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Résonance fatale

Par Serre Thierry


- Centre Solaire, ici remorqueur spatial l'Ange Noir du conglomérat COMSPACE; Notre orbite de transfert vers Jupiter est parfaite.
Pas de problème à bord. Message terminé.
Six mois de dérive interplanétaire, voilà ce qui me restait à faire. Deux mille six cents tonnes de minerai de fer tracté par notre tas de
ferraille volant. Nous devions le livrer en orbite autour de Jupiter, dans une des usines orbitales géantes. Tout ce bon fer était pour les
gars du système Jupiter pour contribuer à développer leurs colonies.
Ce fer provenait des zones d'extraction de la ceinture d'astéroïde. Ce commerce rapportait gros à nous les spacers, ceux qui
vadrouillaient dans le système solaire depuis plus d'un siècle à bord de vaisseaux puissant. Les diverses colonies avaient besoin de nous
et pas qu'un peu.
Mon nom est Jack Skyway, un nom adéquat, astronaute de son état et engagé pas COMSPACE pour piloter les remorqueurs spatiaux
dans le système solaire comme des milliers d'entre nous. C'était bien payé. C'est ce que disait ma femme sur la Lune, qui me voyait
rarement mais suffisamment longtemps à chaque fois. J'ai la peau rêche et brunie sous les radiations de l'espace avec des cheveux poivre
et sel d'un bel effet, ma fois.
- Eh, Jack! Veux-tu faire une partie de carte ?
Mes deux coéquipiers, le navigateur John Carlile et l'ingénieur de l'équipe Robert Longstreet, se tenaient dans une petite pièce faisant
office de cuisine, salle à manger et dortoir de la petite salle de pilotage.
Ils avaient leurs cartes flottantes devant eux, on était en apesanteur dans cette salle; Mais un tore en rotation nous fournissait des
salles en pesanteur terrestre ou presque. Malgré tout pour jouer aux cartes rien de mieux que la salle de pilotage. Nous pouvions ranger
nos cartes devant nous sans les toucher et c'était dur de tricher car il n’y a pas de gestes brusques en apesanteur.
Ce voyage s'annonçait donc sans problème, c'était la routine habituelle.

Johnson se sentait bien dans son fauteuil de la salle de contrôle. Devant lui se trouvait un écran d'environ un mètre de côté, c'était une
version réduite de l'écran de contrôle géant, situé derrière lui, qui montrait l'ensemble du système solaire.
Sur cet écran on pouvait y voir le soleil au centre, jaune, et les neuf planètes. Les échelles réelles n'étaient pas respectées mais une
grille de zones d'égale distance superposée corrigeait ce défaut. Sur tout l'ensemble de l'espace exploré par l'homme, ils y avaient une
multitude de points lumineux de différentes couleurs. Ces points, marques de lieu de vies humaines fragiles par rapport à l'immensité du
système solaire, étaient coloriés suivant leurs natures. Certains étaient des vols commerciaux de transport de denrées et produits divers,
d'autres étaient des vols de passagers en route vers les diverses colonies en de longs vols solitaires dans l'espace, et d'autres marquaient
effectivement la présence de ces colonies. Les planètes, bien évidement, amis également les innombrables astéroïdes et stations orbitales
ou dérivantes. Ces dernières étaient des moyens commodes de vivre et de se déplacer dans le système solaire de cette moitié du
XXIIème siècles.
Une grande quantité de lumières clignotantes indiquaient des relais de navigations et autres installations de repérages qui jalonnaient
les orbites les plus fréquentés.
Une de ces lumières clignotait plus rapidement que les autres en changeant de couleur. Un cercle rouge vif l'entourait à présent.
Une urgence.
Johnson pointa la zone de ce relais sur son écran de contrôle. Un texte se trouvait à côté du symbole du relais. « Alerte d'urgence.
Message de demande d'aide code 10 de la station 4578, Amarante.
Johnson écouta le message: « ... ici station Amarante 4578. Nous sommes en difficulté. Nos systèmes de propulsion et de secours
sont fichus consécutifs à l'impact d'un bolide de grande taille. La moitié d'entre nous est morte. J'ai pu lancer ce message grâce à un
émetteur de secours de faible porté qui a pu atteindre, je l'espère, un relais. Aidez-nous, je vous en supplie. Notre système de maintien
de vie est très endommagé. Nous pensons que nous en avons pour deux semaines de survie tout au plus... » Un sifflement se
poursuivait, puis plus rien. Leur radio devait être foutue.
Le personnel présent au Centre Solaire s'était rapproché de la station de Johnson. D'autres étaient déjà entrain de communiquer avec
des responsables. Les gens étaient entraînés à ce type de situation bien qu'elle fût fort rare. Des calculs de la position de l'astéroïde
étaient en cours. Ils étaient rapides, vu que ces calculs étaient effectués en temps réel pour la surveillance du trafic interplanétaire. Mais
il en fallait de plus précis pour ce cas là car quelques secondes perdues pouvaient signifier la mort de centaines de personne.
Les résultats défilaient sur les écrans de la salle.
- Ils se sont fourvoyés dans un drôle de merdier!, fit quelqu'un en scrutant l'un des écrans de contrôle.
Il se trouvait qu'ils étaient captés dans une résonance des plus curieuses entre plusieurs petits corps du système solaire et de Jupiter.
La destruction de leur système de propulsion ne leur permettait pas de corriger la résonance. Elle les entraînait vers leur fin par
explosion dans la limite de schwarschild d'un astéroïde géant de la ceinture du système solaire.
- Merde! Il y a un autre problème. Le programme de sélection automatique des vaisseaux de sauvetage les plus proches donne une
réponse négative.
- C'est la première fois que je vois ça! , dit Johnson.
- Et la dernière, répliqua un autre, les probabilités de l’événement sont quasi-nulles à la vue de la couverture usuelle actuelle du
système solaire par les engins spatiaux.
- Que faire ?
- Quel est l'engin le plus proche d'eux ?
- L'Ange Noir. Un vaisseau remorqueur commercial.

Nous avions fini de prendre un repas et nous nous s'occupions de divers réglages dans le vaisseau quand un appel prioritaire de Centre
Solaire survient. Le message fut éloquent. Il fallait qu'on participe à un sauvetage.
- Mais nous ne sommes pas des spécialités, affirma Carlile.
- C'est dans notre contrat, dis-je, nous sommes obligés d'y répondre.
- Oui, mais apparemment nous n'avons pas assez de temps disponible pour arriver à leur secours avec une chance de les sauver.
Selon le Centre Solaire, ils examinent la question et nous demandent de se tenir près pour toutes éventualités, précisais-je,
apparemment la compagnie est d'accord pour nous laisser carte blanche avec le Centre.
Il fallait donc préparer des couchettes et de la place pour y recevoir tous les blessés possibles et les fournitures médicales. Nous
nous y employâmes de bonne grâce. C'était la première fois que je participais à une telle opération. Evidement, la question du temps
du trajet était un problème grave. Mais il était clair qu'il n'y avait qu'une seule solution pour arriver à temps: accélérer au-delà de 1 G.
Mais c'était dangereux car l'homme n'était pas fait pour supporter cela longtemps. Nous avions été entraînés aux suraccélérations mais
jusqu'à une certaine limite.
Plusieurs heures plus tard, avec le délai des communications interplanétaires, la réponse vint. « Ici, Centre Solaire. OK. Après
examen du statut de votre réserve de carburant, nourriture et stock médical, ainsi que de la place disponible, l'opération semble
possible, mais il vous faudra être ravitaillé en carburant auparavant. L'accélération nécessaire est de 6 G pendant plus de 4 jours.
Un vaisseau automatique de carburant vous est d'ores et déjà dépêché sous accélération maximale de 20 G. il sera dans votre
secteur en moins de 2 jours. »
C'était parti pour 6 G en 4 jours. Il allait falloir se préparer, ménager des couchettes verticales perpendiculaires au vecteur
d'accélération, mettre des combinaisons anti-Gs très efficaces, bien meilleures que celles portées par les pilotes du XXème siècle, mais
moins que les pilotes de combat de la Force Spatiales Terrestre. Peut être faudrait-il également s'immerger dans des tubes remplis de
liquide. Notre réserve d'eau pouvait être utilisée.

La préparation était terminée. Nous étions en accélération depuis plusieurs jours. Nous communiquions entre nous par l'intercom mais
la solitude pesait tout de même sur nous. Nous étions tellement habitués à toujours être entre nous depuis des mois que cette période
d'isolation provoquait un sentiment bizarre d'exclusion de la réalité. Ce sentiment était renforcé par le ronronnement sourd des
propulseurs et les cliquetis et chuintements diverses de l'appareillage électronique.
«Ici Central Solaire, votre vecteur d'accélération est nominal. Arrivée estimée à un jour vingt-sept minutes. Nous estimons que
vous serez arrivés à moins d'une heure de leur astéroïde à la limite de roche de Jupiter. Inutile de vous préciser que la vitesse
d'exécution sera votre principale obsession durant l'évacuation. Nous n'avons plus de communications avec Amarante 4578, donc
nous ne savons pas ce que vous trouverez à votre arrivée. Faites au mieux une fois sur place. »
«A la bonne heure! Un peu de surprises pour changer» Pensai-je.
Je branchais l'écran principal de mon caisson. Jupiter s'y dessina devant la froideur noire de l'espace. Nous étions encore trop loin
pour apercevoir Amarante, même en vision télescopique. Les étoiles brillaient sans variations autour de la planète. Que c'était beau
mais dangereux pour l'homme et... profitable, en pensant aux tonnes de minerai que nous avions provisoirement laissé sur place pour
accélérer plus vite.

- Ca y est les gars. Nous sommes dans le terrain de jeu.


Je réglais le télescope et Amarante apparût. C'était un morceau de rocher banal, grêlé de cratères, probablement très anciens. Une
gigantesque trace pleine de circonvolutions existait. C'était probablement la trace d'un choc gigantesque avec un autre astéroïde jadis.
Sur un des cotés des traces noires en grand nombre se déployaient et un gigantesque cratère. Des structures internes de la base
construite à l'intérieur du bloc rocheux étaient ouvertes à l'espace, comme arrachées par une main géante. « Là il y a eu certainement
des morts » pensai-je. En tous cas l'astroport était en bon état apparent. Mais ce qui se remarquait le plus était un feu ! Probablement
les réserves d'oxygène avec des matériaux de la station se combinaient. Le choc a dû être terrible car ces réserves sont habituellement
très protégées. Une fournaise rougeoyait sur un des cotés de l'astéroïde, lançant des éclats de lumière lugubre dans le froid de l'espace.
La température était estimée à au moins 1500°C d'après mes instruments.
Je dirigeai notre vaisseau vers ce feu. Il fallait établir un couloir souple entre une entrée et nous.
- Il y a un relais clignotant à l'extérieur de l’astéroïde non loin de l'astroport ! Dit un de mes compagnons.
- Oui, je le vois et il semble y avoir une entrée à côté. Je pense que les survivants doivent être là ! Dis-je avec enthousiasme. Ne
perdons pas de temps.

2
Je rapprochais le vaisseau avec l'aide du pilote automatique par bouffées de gaz avec les réacteurs de manoeuvres fines.
- Contact !
Nos grappins d'amarrage trouvèrent des points d'ancrage. Nous nous précipitâmes vers notre conduit d'évacuation. Le sas de
décompression s'ouvrit: il y avait une atmosphère respirable derrière. Un flot de fumées chaudes nous envahit. Je toussais sous le choc
et fût forcé mettre mon masque de respiration.
Les premiers rescapés apparurent. Ils étaient dans un piteux état, certains étaient gravement brûlés. Mais tous partirent dans des
effusions sans fin de joie et de gratitude à notre égard. Certains hommes ou femmes pleuraient. Je vois que nous arrivions au bon
moment.
- Combien de survivant ? Demandai-je rapidement.
- Seulement 200 personnes, répondit un homme hirsute, mais manifestement le commandant civil de cette station, ce qui était
apparent à ses insignes sur sa veste déchirée.
- Mais vous étiez 4000 sur cette station ! , dis-je totalement abasourdi par l'ampleur de la catastrophe. C'était probablement la pire
depuis plus d'un siècle.
- Je sais mais le choc a été terrible. La seule décompression a emporté plus de 2500 personnes. Puis un feu s'est déclaré. Cela fait
des jours que nous le combattons, nous n'avons pas pu éjecter les réserves d’oxygène en flamme. Plus rien ne fonctionne sur cette
station, plus rien... » Il se courba sous une toux irrépressible.
- Allez avec les autres nous avons préparé un espace vie dans notre soute. Ce n'est pas un hôtel de luxe mais vous survivrez.
- Merci beaucoup commandant. Je n'arrive pas à croire que vous êtes là, nous pensions que notre dernière heure arrivait, dit-il avec
un regard de gratitude.
- Oui, mais c'était difficile... on a dû accélérer sous 6G pendant 4 jours. Les survivants se précipitaient dans le conduit, guidés par
mes hommes. Le dernier survivant arriva quand le vaisseau et l'astéroïde furent secoués par un tremblement gigantesque. « La limite
de Roche » Pensai-je, « Merde... ».
- Dépêchez-vous ! Criai-je, l'astéroïde se déglingue !
L'évacuation était finie. Je me précipitais vers le central de commande et bouclais mon harnais de sécurité et commençais les
manoeuvres de désamarrage sans réfléchir. « Pas le temps de penser à la sécurité !» Pensai-je. J'enclenchais le réacteur principal.
Je fus plaqué sur mon fauteuil. Derrière moi j'entendais juré un de mes coéquipiers malgré le grondement assourdissant.
Sur l'écran principal je vis l'astéroïde se désintégrer mais surtout... exploser ! « Merde, le réacteur à fusion s'était probablement
emballé, ils n'avaient probablement pas réussi à le couper !»
«Ici le commandant, l'astéroïde vient d'exploser, préparez-vous pour l'onde de choc et d'éventuels chocs avec des morceaux. »
Le vaisseau était durement secoué. Des diverses salles venaient des messages disant que des trous étaient apparus dus à des
morceaux de rocher accélérés par l'explosion. Puis tout rentra dans l'ordre. En route pour la station la plus proche, nous devions nous
occuper des blessés.
- Station Central Solaire, mission accomplie, mais c'était moins une !
Sur mon écran les morceaux de l'astéroïde se dispersaient dans toutes les directions au milieu de nuages de gaz lumineux et des
radiations.
L'enfer...

30 décembre 1995

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