Vous êtes sur la page 1sur 36

Publications de l'École française

de Rome

Exoriente sole (Suétone, Ner. 6). D'Alexandrie à la Domus Aurea


Jean-Louis Voisin

Résumé
L'examen de l'orientation du palais néronien construit sur l'Oppius, l'analyse de son site (en particulier dans ses rapports
avec la course apparente du soleil), l'étude du parc et des éléments qui le composent entraînent à regarder du côté
d'Alexandrie d'Egypte. Or, Néron, rassuré et encouragé par des précédents familiaux, exhorté par son entourage, poussé
par ses goûts naturels, fortifié par la gloire d'Alexandre et par l'éclat de ses successeurs, rêve d'Alexandrie. Au point
d'avoir voulu implanter, au cœur de Rome, un « palais », la Domus Aurea, semblable dans sa conception aux palais
alexandrins.
En annexe : « L'Egypte vue de Rome : des astrologues sans fellahs ».

Citer ce document / Cite this document :

Voisin Jean-Louis. Exoriente sole (Suétone, Ner. 6). D'Alexandrie à la Domus Aurea. In: L'Urbs : espace urbain et
histoire (Ier siècle av. J.-C. - IIIe siècle ap. J.-C.). Actes du colloque international de Rome (8-12 mai 1985) Rome : École
Française de Rome, 1987. pp. 509-543. (Publications de l'École française de Rome, 98);

https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1987_act_98_1_2984

Fichier pdf généré le 26/03/2019


JEAN-LOUIS VOISIN

EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6).


D'ALEXANDRIE À LA DOMUS AUREA

À l'origine de ces réflexions, deux observations1. La première


concerne l'orientation du palais néronien construit sur l'Oppius. Tous
les auteurs qui s'y sont intéressés2 ont noté que cette demeure, en
particulier dans ce qu'il est convenu d'appeler son aile est, était orientée
exactement «selon les points cardinaux»3. La seconde se rapporte à ses
fondations. Bien qu'il n'y en ait pas d'étude d'ensemble, il est admis
que cette construction est à cheval sur la pente et le sommet de
l'Oppius. Une telle disposition a nécessité d'entamer la colline et de
construire de puissants soutènements: «on ne comprend guère à première
vue, relève G. Charles-Picard, pourquoi les architectes, disposant de
tout l'espace qu'ils désiraient, ont décidé de plaquer le palais à la colli-

1 Je remercie le Professeur Anne-Marie Seronde-Babonaux qui m'a donné de précieux


conseils pour les problèmes de cartographie et de topographie; le Professeur Marcel Le
Glay qui, au cours de son séminaire de l'année universitaire 1984-1985 a consacré
plusieurs séances de travail à la Domus Aurea, heures riches de discussions et de réflexions ;
M. Jean-Claude Grenier, inspecteur du Museo Gregoriano Egizio (Musei Vaticani) qui a
bien voulu m'exposer le point de vue d'un égyptologue; M. Robert Marchand, architecte,
ancien pensionnaire de l'Académie de France à Rome qui, avec une générosité
intellectuelle infinie, m'a ouvert ses dossiers, ses cartes et ses dessins.
2 La bibliographie sur la Domus Aurea (désormais DA) est immense. Inutile de
l'exposer à nouveau. L'étendu de ma dette envers les études antérieures apparaîtra d'elle-
même. Je n'ai pu consulter l'ouvrage de M. T. Griffin, Nero : The End of a Dynasty,
Londres, 1984. Sur l'orientation reconnue par tous, quelques exemples. F. Weege, Das
goldene Haus des Neros, dans JDAI, 28, 1913, p. 162; G. Lugli, Roma antica, I monumenti
antichi di Roma e suburbio. La zona archeologica, I, Rome, 1930, p. 201 ; G. Charles-Picard,
Auguste et Néron. Le secret de l'Empire, Paris, 1962, p. 159; W. L. Mac Donald, The
Architecture of the Roman Empire, 2e éd., Yale, 1982, p. 33; G. Wataghin Cantino, Observations
on the Domus Aurea, dans Mesopotamia, 1, 1966, p. 110; F. Coarelli, Roma, Rome/Bari,
1981, p. 198-202; K. De Fine Licht, Scavi alle Sette Sale, dans Città e architettura nella
Roma Imperiale (Analecta Romana Instituti Danici, supl. X), 1983, p. 193 et p. 198.
3 N. Dacos, La découverte de la Domus Aurea et la formation des grotesques à la
Renaissance, Londres-Leyde, 1969, p. 6.
510 JEAN-LOUIS VOISIN

ne, entaillant celle-ci, au prix de travaux considérables et adossant au


remblai les pièces du fond»4.
Le rapprochement de ces deux observations entraîne trois
remarques. Tout d'abord l'orientation du bâtiment n'est pas justifiée par la
topographie des lieux : l'importance des travaux de soubassement, les
directions des maisons prénéroniennes, celles des thermes de Trajan en
apportent les preuves5. Ensuite, comme aucune disposition naturelle
n'encourageait l'établissement d'un tel édifice à cet endroit précis -
c'est-à-dire le long de la courbe de niveau d'une altitude de 50 mètres -,
on doit accepter, si l'on écarte le hasard et si l'on se souvient des
constructions élevées à flanc de colline, que cet aménagement obéit à une
volonté et répond à un programme architectural. Mais lequel? Et dans
quel but? Enfin, il serait injustifié de dissocier la résidence de son
entourage. En effet, la quasi totalité des ouvertures se trouve sur la
façade sud et donne sur le parc alors que le côté nord n'est constitué, à
deux ou trois exceptions près, guère significatives, que de couloirs et de
murs aveugles. En conservant à l'esprit ces trois remarques, j'ai tenté
un nouvel examen des lieux.
Pour commencer, le site. Il s'agit du seul endroit d'où l'on domine
l'ensemble du parc6 : le Palatin, le Caelius, à plus forte raison les
dépressions intermédiaires, se trouvaient soumis au regard dominateur
que l'on avait de l'Oppius, domination naturelle que devait renforcer
l'élévation du palais7. D'autre part, cet emplacement est d'une
extraordinaire accessibilité à la lumière. Rien ne faisait obstacle à l'arc suivi

4 G. Charles-Picard, op. cit., p. 162.


5 Pour une synthèse, F. Coarelli, op. cit., p. 200, p. 202-204. Sur les soubassements et
les orientations des constructions antérieures à la DA, cf. F. Sanguinetti, Lavori recenti
nella Domus Aurea, dans Palladio, 7, 1957, p. 126; Id., // mosaico del ninfeo ad altre recenti
scoperte nella Domus Aurea, dans Boll. Centro studi storia arch., 12, 1958, p. 42, p. 44-45;
G. Zander, La Domus Aurea : nuovi problemi architettonici, dans Boll. Centro studi storia
arch., 12, 1958, p. 52, p. 62; Id., Nuovi studi e ricerche sulla Domus Aurea, dans Palladio,
nouv. sér. 1, 1965, p. 157-158.
6 Pour les limites du parc, voir toujours Cl. Van Essen, La topographie de la Domus
Aurea Neronis, dans Mededeelingen d. K. Nederl. Akad. v. Wetenshappen, N.R., 17, 12,
1959, p. 371-398. Précisions complémentaires dans J. B. Ward Perkins, Nero's Golden
House, dans Antiquity, 30, 1956, p. 212-219. Pour le Palatin, cf. B. Tamm, Auditorium and
Palatium, Lund, 1963, p. 72-75.
7 Le palais comportait un étage, cf. L. Fabbrini, Domus Aurea. Il piano superiore del
quartiere orientale, dans MemPontAcc, 14, 1982, p. 5-24; Id., Domus Aurea : una nuova
lettura planimetrica del palazzo sul colle Oppio, dans Città e architettura nella Roma
imperiale, op. cit., p. 169-174 et sur la position dominante p. 180-181.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 511

Fig. I - Astrolabe de Rome été-automne, 41° 55' (P. Marchand).

par le soleil entre son lever et son coucher. Les dessins8 de l'abaque
astronomique réalisé par Robert Marchand avec la collaboration de
l'Observatoire du Monte Mario, qui correspondent aux equinoxes avec
leurs légères variations en heures, joints à des relevés très précis,
montrent que, du site du palais (fig. 1 et 2), il était possible de suivre la

8 Dessins utilisés par P. Gros, Aurea Templa, Rome, 1976 qui les décrit ainsi (p. 152) :
«deux tableaux d'où l'on peut déduire, par lecture directe, à quel point remarquable des
déplacements du soleil sur l'horizon au cours de l'année correspond éventuellement un
azimut donné, et inversement, pour une date donnée, quel est l'arc suivi par le soleil
entre son lever et son coucher».
512 JEAN-LOUIS VOISIN

course solaire sans interruption, cela dans le cycle de la journée et dans


le cycle de l'année.
L'orientation du bâtiment est tout aussi remarquable. Dans son
plus grand développement, elle suit strictement, exemple unique à
Rome pour les demeures impériales, un axe ouest-est, ainsi que me l'a
confirmé l'Observatoire de Paris. Dans ce cas singulier, totalement
différent de celui des villes9, l'implantation du palais a été faite en tenant
compte des points cardinaux. Parmi les systèmes pratiqués par les
arpenteurs de l'époque impériale, deux ont pu être utilisés ici, d'ailleurs
de façon complémentaire : l'orientation par rapport au nord et au sud
vrais déterminés à partir de l'observation du mouvement apparent,
l'orientation par visée sur le soleil à son lever. Dans cette dernière
hypothèse, l'observation du soleil levant se serait effectuée à l'équinoxe,
le seul moment de l'année où le lever du soleil et son coucher
correspondent à la direction est-ouest à laquelle obéit le plan général de la
façade. Deux dates peuvent alors être proposées : l'équinoxe de
septembre, l'équinoxe de mars (avec peut-être des vérifications de l'un à
l'autre). Parce que les travaux de la Noua Urbs et du palais ont été engagés
très rapidement, il n'est pas téméraire de retenir comme dies natalis
théorique du corps de ce bâtiment l'équinoxe de septembre 64 10.

9 Les problèmes que soulèvent l'orientation solaire des villes ont été étudiés par J. Le
Gall, Les Romains et l'orientation solaire, dans MEFRA, 87, 1975, p. 287-320, en
particulier sur les méthodes des arpenteurs p. 306-308. En revanche, l'orientation des temples ne
répond pas à des préoccupations identiques. «Dans les deux grands sanctuaires augus-
téens du Forum», P. Gros {op. cit., p. 147-153) retrouve «l'écho de spéculations solaires»
et constate une orientation des axes de leurs cellae.
10 Sur l'importance et les implications du dies natalis dans l'architecture
augustéenne, cf. P. Gros, op. cit., p. 147-153. Voir aussi pour un cas particulier, Ed. Buchner, Die
Sonnenuhr des Augustus, Mayence, 1982. L'Horologium augustéen était construit à partir
de l'équinoxe de septembre, date qui coïncidait avec l'anniversaire de la naissance
d'Auguste (pour la symbolique de la victoire sur l'Egypte et sur Marc-Antoine, p. 37). On peut
alors légitimement s'interroger sur les intentions de Néron : volonté de se rattacher à la
tradition augustéenne ou plutôt désir de supplanter Auguste et de réparer ainsi l'outrage
fait à Marc Antoine et à l'Egypte. Sur la rapidité des travaux de la Noua Urbs, cf. A.
Balland, Noua Urbs et Neapolis, remarques sur les projets urbanistiques de Néron, dans
MEFR, 1965, 77, p. 351-352. Sur les multiples utilisations de l'équinoxe, cf. Vitruve, IX et
les commentaires de J. Soubiran {C.U.F., Paris, 1969). Relevons que l'astronomie
populaire romaine s'attache principalement aux solstices et aux equinoxes. Cette conjonction
d'intérêt avec l'astronomie gréco-égyptienne, dans laquelle l'observation des equinoxes et
des solstices joue un rôle essentiel, explique en partie les emprunts romains à
l'astronomie alexandrine. Remarque que je dois à Otta Wenskus. Cf. aussi O. Wenskus, Les vrais et
les faux calendriers agricoles romains, dans Histoire et mesure (à paraître).
Fig. 2 - Carte de la Domus Aurea (d'après J. Β. Ward-Perkins, Nero's Golden House, dans
avec les emplacements des levers et des couchers de soleil.
514 JEAN-LOUIS VOISIN

Que la construction et la conception de cet ensemble se


conforment à des calculs astronomiques extrêmement précis, nous en avons
encore une éclatante confirmation dans la salle octogonale11. Centre du
palais12, rigoureusement orientée selon les points cardinaux, elle
comporte une coupole qui n'est pas noyée dans le reste des constructions. À
son sommet, un large oculus de près de six mètres de diamètre. Bien
qu'il ne soit pas la seule source lumineuse, il commande la luminosité
qui baigne cette salle. Les variations de son éclairage ont été
minutieusement établies en 1973 par Robert Marchand et par Jérôme Veyrin-
Forrer, membres de l'équipe du «Volume Bleu et Jaune». Leurs
travaux, inédits, aboutissent à trois constats essentiels. À l'intérieur du
périmètre de la salle octogonale, on peut, par Yoculus, avoir accès au
pôle nord céleste13. Au solstice d'été, et à midi solaire, le cercle
lumineux que découpe Yoculus se projette totalement sur le sol. Aux deux
equinoxes, et à midi solaire, dans le cercle lumineux formé par Yoculus
s'inscrit exactement la porte nord (fig. 3), celle qui donne sur le plus
vaste des cinq espaces secondaires qui faisait office de nymphée. On
avait là, réunis, le soleil, la terre, l'eau. Mieux, le rayon lumineux
devenait générateur de formes14. À l'évidence, un tel phénomène procède de

11 Sur cette salle, la seule à ne pas porter des traces de peinture et sur les hypothèses
qu'elle a suscitées (est-elle ou n'est-elle pas la cenatio rotunda ?), voir surtout, G. Giovanno-
ni, La cupola della Domus Aurea neroniana in Roma, dans Atti del I Congresso nazionale di
storia dell'architettura (29-31 ott. 1936), 1938, p. 3-6; P. Mingazzini, Tentativo di
ricostruzione grafica della cœnatio rotunda della Domus Aurea, dans Quaderni dello Istituto di
storia dell'architettura, 31-48, 1961, p. 21-26; H. Prückner et S. Storz, Beobachtung im Okto-
gon der Domus Aurea, dans MDAI(R), 81, 1974, p. 326-339; Β. Andreae, L'art de l'ancienne
Rome, Paris, 1973, p. 500-501 ; W. L. Mac Donald, op. cit., p. 38-41 ; L. Beck, Quaestiones
Conuiuales, dans ARID, 12, 1983, p. 88-96; H. Stierlin, Hadrien et l'architecture, Paris,
1984, p. 46-51.
12 Cf. L. Fabbrini, loc. cit., 1983, p. 178-179.
13 Pour cette raison, P. Marchand pense que la référence au nord est possible par
Yoculus. De plus, il estime que cette salle pouvait être inondée et qu'il était alors possible
d'y simuler des conditions de navigation avec, sur la voûte, des représentations des
données astronomiques. Quoiqu'il en soit, comme il n'y avait pas d'étoile «polaire» à cette
époque, le pôle nord céleste frappait moins l'imagination qu'à l'heure actuelle.
14 Ce n'est pas un exemple unique dans la DA. On connaît par Pline (nat., 36, 163) une
pierre, la phengite, variété d'albâtre, découverte en Cappadoce sous le principat de Néron
et utilisée pour la construction d'un temple de la Fortune compris dans le périmètre de la
DA : «même les portes fermées, il y régnait le jour la clarté du dehors, mais de façon
différente, cependant, que celle que procure la pierre spéculaire : la lumière y semble
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 515

calculs qui prennent en compte aussi bien le moindre détail de la salle


octogonale que l'orientation générale des bâtiments.
Cette curiosité architecturale s'ajoutant à la prouesse technique
que constitue l'élévation de la coupole rendait déjà ce palais
exceptionnel. Son parc lui conférait d'autres qualités. Plus que le luxe de la
demeure, plus même que certaines machines merveilleuses15, ses
dimensions - quatre-vingts hectares - avaient frappé de stupeur les
contemporains, tel Martial, témoin oculaire. Cet étonnement s'est
transmis aux générations suivantes, celles de Tacite et de Suétone qui l'ont
utilisé pour noircir le portrait d'un prince si prodigue 16 avant de
parvenir aux historiens modernes. Pour les uns, s'inspirant d'un passage de
Martial, le parc serait simplement un morceau de campagne implanté
en ville, un rus in urbe, bref, une uilla gigantesque transposée en milieu
urbain17. Toutefois, le texte de Martial s'applique à la domus de Spar-

enfermée et non pas transmise» (trad. R. Bloch, C.U.F., Paris, 1981). Sur ce temple, cf.
P. Gros, Trois temples de la Fortune des Ier et IIe siècles de notre ère, dans MEFR, 79, 1967,
p. 504; F. Coarelli, La Porta Trionfale e la Via dei Trionfi, dans DArch., 2, 1968, p. 75-76
et contra F. Champeaux, Fortuna. La culte de la Fortune à Rome et dans le monde romain,
Rome, 1982, p. 274-276. De plus, les jeux de lumière (B. Andreae, op. cit., p. 500),
l'opposition ombre/lumière sont partout présents dans la DA. Voir, mais en faisant abstraction de
la démonstration sous-jacente, H. P. L'Orange, Domus aurea. Der Sonnenpalast, dans Serta
Eitremiana, Symbolae Osloenses, suppl., Oslo, 1942, p. 68-100 repris dans Likeness and
Icon, Odense University Press, 1973, p. 292-312, en part. p. 293-294.
15 Sur l'habitude du luxe et des machineries extraordinaires à l'intérieur des maisons
d'habitation, cf. Sen., epist., 90, 15 (nous suivons la chronologie proposée par P. Grimal,
Sénèque ou la conscience de l'Empire, Paris, 1978, p. 451) qui daterait de fin juillet 64,
c'est-à-dire avant la construction de la DA. Voir également M. P. O. Morford, The
Distortion of the Domus Aurea Tradition, dans Eranos, 66, 1968, p. 167-170, p. 173-177 (lettre
datée de l'automne 64). sur le goût de Néron pour les machines étranges, cf. M. Charles-
worth, Nero : some Aspects, dans JRS, 40, 1950, p. 71.
16 Mart., epigr. 2; Tac, ann. 15, 42; Suet., Ner., 31, 1-4. Sur la prodigalité, signe
manifeste d'un mauvais empereur, cf. en dernier lieu, J. Gascou, Suétone historien, Rome,
1984, p. 748-749.
17 Mart., 12, 57, 21. Le premier à utiliser l'expression rus in urbe pour qualifier la DA
m'a semblé être A. Boëthius, The Golden House of Nero, Ann Arbor, 1960, p. 205.
Interprètent la DA comme une uilla traditionnelle, P. Grimal, Les jardins romains, 3e éd., Paris,
1984, p. 233; A. Boëthius, Nero's Golden House, dans Eranos, 44, 1946, p. 443; J. B. Ward
Perkins, loc. cit., dans Antiquity, 30, 1956, p. 212; G. Wataghin Cantino, loc. cit., dans
Mesopotamia, 1, 1966, p. 109, p. 110 etc.; A. Aiardi, Per un'interpretazione della Domus
Aurea, dans PP, 33, 179, 1978, p. 93. Sur l'opposition lexicale domus/uilla, cf. Sylvie Aga-
che, L'idée de uilla dans la littérature latine, thèse dactylographiée, Paris, 1980, «uilla et
domus » p. 77-80. Sur la DA, p. 79-80. Comme aucun écrivain antique ne désigne la DA par
516 JEAN-LOUIS VOISIN

Fig. 3 - Eclairement des equinoxes, passage au


sud, au midi solaire, de la porte nord de la salle
octogonale (photo P. Marchand).

sus. Lorsque le poète veut stigmatiser les dimensions du parc néronien,


il parle de superbus agerls. Pour d'autres, parc et palais sont un refuge,
une cachette où Néron pouvait exercer le besoin de puissance qu'il ne

l'emploi du mot uilla, l'auteur, se fondant sur l'épigraphie (CIL, IV, 1136) suggère
l'utilisation de praedium qui définit indifféremment des propriétés urbaines ou rurales.
18 Mart., epigr. 2, 8.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 517

pouvait satisfaire dans la réalité19. Mais une cachette de quatre-vingts


hectares? En plein cœur de Rome? Il s'agit plus d'une affirmation sans
complexe de sa puissance que d'un repli frileux, peu en accord avec
l'importance de ce domaine qui couvrait le quart de la Rome
républicaine. Un mot circulait. Qui rappelait à la fois la deuxième fondation
par Camille et la hantise de quitter l'emplacement sacré de la ville :
«Roma domus fiet : Vetos migrate, Quintes, / si non et Veios occupât ista
domus»20. À d'autres encore, ce jardin, «pays des dieux», «τέμενος» de
l'empereur divinisé, évoquait «l'image parfaite de la campagne
idyllique, réalisée avec des proportions dignes d'un jardin impérial». En
quelque sorte une grandiose extension des jardins habituels, mais où la
tradition romaine rencontrait et rendait familières des traditions
étrangères qu'elle sublimait21.
Que trouve-t-on donc dans l'enceinte de ce parc baptisé Domus
Aurea et dans lequel on pénétrait par une somptueuse entrée? Des
collines et des vallées ; des pièces d'eau diverses, nombreuses et de qualités
différentes : un lac maris instar, des bains où se mêlent eau de mer et
eaux des sources sulfureuses d'Albula sur le territoire de Tibur; des
fontaines, des cascades, des nymphées, l'Aqua Claudia qui aboutit au
temple de Claude transformé pour une partie en grandiose nymphée;
des espaces cultivés, des vignobles, des pâturages et des espaces qui se
veulent sauvages, des bois; des constructions qui donnent l'apparence
de véritables villes; des espaces ouverts et des perspectives, des
animaux sauvages et des animaux domestiques. Sans oublier la demeure
de l'Oppius, le colosse de Néron, des portiques, la cenano rotunda, les
bâtiments du Palatin et des «fabriques» mal connues22. En résumé, les

19 Par exemple, G. Charles-Picard, op. cit., 1962, p. 146.


20 Suet., Ner., 39, 3.
21 Ainsi P. Grimal, Jardins. . ., p. 347-348; E. Cizek, Néron, Paris, 1982, p. 128-132.
22 Importante littérature sur les différents éléments qui composent la DA. Bonne et
pratique mise au point dans K. R. Bradley, Suetonius'Life of Nero. An Historical
Commentary, Bruxelles, 1978, p. 169-181. Sur le rôle essentiel de l'eau, très bien mis en valeur par
P. Grimal, Jardins. . ., p. 153 et par Y. Perrin, La fête néronienne, (à paraître dans les
Actes du Colloque international sur la fête, le carnaval et les communications, tenu à Nice
en mars 1984), voir également J. Carcopino, La basilique pythagoricienne de la Porte
Majeure, Paris, 1927, p. 70-74; H. Lavagne, Le nymphée au Polyphème de la Domus Aurea,
dans MEFR, 82, 1970, p. 673-721 ; D. Bizzarri- Vivarelli, Un ninfeo sotto il parco di
Troiano, dans MEFRA, 88, 1976, p. 719-757; Κ. De Fine Licht, loc. dt, dans Città e architettura
nella Roma imperiale, 1983. Sur les monuments mal connus, J. Ward-Perkins, loc. cit.,
518 JEAN-LOUIS VOISIN

éléments qui, de nature opposée et néanmoins complémentaire,


forment le monde dans son alchimie de composants naturels et de
créations humaines et divines23. Au sein de ce microcosme, éloigné dans son
essence de la campagne humanisée que rappellent les jardins d'une uil-
la24, se lisent symboliquement plaines et montagnes, fleuves et mers,
villes et campagnes. Si le monde souterrain est présent, le monde
céleste, lui, est peu représenté, sinon par la cenano rotunda qui, jour et nuit,
tournait sur elle-même comme l'univers25. Est-il trop audacieux de
considérer alors la stricte orientation est-ouest du palais de l'Oppius
comme la représentation symbolique de la course du soleil à travers le
monde? Ainsi ce bâtiment régnerait doublement sur le parc. Sa
situation topographique lui assurait une domination territoriale et visuelle
qu'amplifiait en la transfigurant sa domination symbolique.
«Logé comme un homme»26, le maître de ce domaine, souverain
effectif de ces eaux et de ces terres, pouvait enfin vivre selon les
valeurs - Γάγών, le luxus, la fête perpétuelle, expressions de la
civilisation du bonheur27 - qu'il prétendait incarner et qu'il voulait imposer.
Par suite, Rome ne dominait plus le monde. Par une sorte de
retournement dérisoire, la ville conquérante était transformée en périphérie de
ce parc à qui elle servait d'écrin28. Quant au Forum29, remanié,
converti en gigantesques propylées, passage obligé et contrôlé, il donnait

dans Antiquity, 30, 1956, p. 212-215; F. L. Bastet, Domus Transitoria I, dans BABesch, 46,
1971, p. 170-172.
23 P. Grimal, Sur deux mots de Néron, dans Pallas, 3, 1955, p. 15-20.
24 Ils sont plutôt ornements, sources de plaisirs et de réflexions, images et rappels de
la Nature.
25 Suet., Ner., 31,3. Voir, à titre de comparaison, Yaviarium de la villa de Varron, cf.
F. Coarelli, Architettura sacra et architettura privata nella tarda repubblica, dans
Architecture et société, Rome, 1983, p. 206-215.
26 Sur le sens philosophique de l'expression, cf. P. Grimal, toc. cit., dans Pallas, 3,
1955, p. 15-20.
27 Si l'on suit les analyses d'E. Cizek, L'expérience néronienne : réforme ou révolution,
dans REA, 84, 1982, p. 105-115 et d'Y. Perrin, La fête néronienne, loc. cit. Sur la fête
perpétuelle, expression de la civilisation du bonheur que Néron voulait instaurer, voir A.
Michel, Tacite et le destin de l'Empire, Paris, 1966, p. 161-163.
28 Pline (nat., 33, 54) va même plus loin : c'est la DA qui englobe la ville! (. . . aurea
domus ambientis urbeml). Cf. encore, nat., 36, 111.
29 Sur les remaniements du Forum et de la Via sacra, cf. E. B. Van Deman, The Nero-
nian Sacra Via, dans A3A, 27, 1923, p. 383-424; Id., The Sacra Via of Nero, dans MAAR,
1925, p. 115-125; A. Balland, loc. cit., dans MEFR, 77, 1965, p. 358-359; M. P. O. Morford,
loc. cit., dans Eranos, 66, 1968, p. 166-167.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 519

accès à ce monde nouveau, idéal et clos, à cette «unité topographique


autonome à l'intérieur de Rome», la Domus Aurea30.
Il était impensable que l'enjeu d'un tel complexe architectural
échappât à l'attention des Modernes. Malgré leurs divergences
d'interprétation, historiens et archéologues partagent une même conviction :
le palais et son parc sont au service de i'Imperator, que ce dernier soit
un «Sonnenkaiser», un «César-pharaon» ou un «émule de Dionysos».
Et, afin de mieux comprendre les intentions qui ont présidé à sa
naissance, ils ont cherché des antécédents et des filiations31. Quatre
cheminements ont été proposés. L'un conduit vers l'Orient parthe, perse ou
iranien. Le deuxième se tourne vers «la civilisation hellénistique». Le
troisième remonte à la plus haute tradition romaine. Quant au
quatrième, avec une distribution différente selon les auteurs, il rassemble les
précédents dans un mouvement politique, esthétique, éthique, plus ou
moins défini, mais qui serait malgré tout perceptible et que G. Charles-
Picard a nommé «néronisme»32.
Une direction cependant me paraît avoir été sous-estimée, celle qui
mène à l'Egypte. Déjà Pierre Grimai avait suggéré de fructueux
rapprochements entre l'idéologie néronienne et le monde égyptien. Reprenant
le dossier à l'occasion de l'étude d'une stèle de Coptos, Yves Perrin
reconnaît le jeu d'une influence égyptienne sur Néron mais lui dénie,
aussitôt après, toute primauté directe dans l'élaboration et du
«néronisme» et de la Domus aurea23. C'est pourtant vers l'Egypte qu'entraînent
ces observations.
Les relations entre Néron et l'Egypte sont assez bien connues34. De

30 Formule empruntée à E. Cizek, Néron, op. cit., p. 129. Voir aussi, Y. Perrin, Néron
et l'Egypte : une stèle de Coptos montrant Néron devant Min et Osiris (Musée de Lyon), dans
REA, 84, 1982, p. 127 : «cadre expérimental, la nouvelle Domus Aurea abrite la nouvelle
vie en gestation : elle en représente le cœur esthétique et idéologique ».
31 La plus célèbre, la plus contestée également, est, sans conteste, la piste orientale
proposée par H. P. L'Orange.
32 C. Charles-Picard, op. cit. Concept étendu au domaine politique par E. Cizek qui
fait un rapide historique du mot, loc. cit., dans REA, 84, 1982, p. 105-106.
33 P. Grimal, Le De dementia et la royauté solaire de Néron, dans REL, 49, 1971,
p. 205-217; Y. Perrin, loc. cit., dans REA, 84, 1982, p. 131. Y. Perrin avait reconnu une
filiation lagide (l'a-t-il abandonnée?), cf. Nicolas Ponce et la Domus Aurea de Néron : une
documentation inédite, dans MEFRA, 94, 1982, p. 881-882.
34 Pour replacer la politique égyptienne dans l'ensemble de la politique de Néron, cf.
W. Schur, Die Orient politik des Kaisers Nero, dans Klio, Beiheft 15, 1923; G. Schumann,
520 JEAN-LOUIS VOISIN

leur étude se dégage une double attitude de l'empereur. D'une part une
indifférence à l'égard de la population indigène : pour elle, le règne est
marqué par la présence d'une administration plus active, plus efficace,
oppressante aussi et prompte aux abus, alors que le pays traverse une
crise économique. Dans l'ensemble, une conduite conforme à celle de
ses prédécesseurs35. À l'inverse, envers les Alexandrins et les Grecs
d'Egypte, le comportement de Néron, plus original, est déférent, voire
prévenant. Dès les premiers mois de son règne, il témoigne son intérêt
pour la cité fondée par Alexandre et pour la communauté grecque
d'Egypte36. Pendant quatorze années la faveur impériale se manifestera
sans interruption. L'ascension sociale de deux Alexandrins en atteste la
vigueur : Norbanus Ptolémée assume, en 63, les deux charges ducénai-

Hellenistische und griechische Elemente in der Regierung Neros, Leipzig, 1930 (en
particulier p. 4-41 pour l'Egypte); E. M. Sanford, Nero and the East, dans HSPh, 48, 1937, p. 75-
103. Brève et dense synthèse dans E. Cizek, op. cit., p. 84-93, p. 121-123, p. 198-201. À cela,
il convient d'ajouter les articles d'O. Montevecchi, Nerone a una polis e ai 6475, dans
Aegyptus, 50, 1970, p. 5-33; ΕΤΟΥΣ ΕΒΔΟΜΟΥ ΙΕΡΟΥ ΝΕΡΩΝΟΣ, dans Aegyptus, 51,
1971, p. 212-220; Nerone e l'Egitto, dans PP, 30, 1975, p. 48-58; L'ascesa al trono di Nerone
e le tribù alessandrine, dans CISA, 4, / canali della propaganda nel mondo antico, Milan,
1976, p. 200-219; // significato dell'età neroniana secondo i papiri greci d'Egitto, dans Nero-
nia 1977, Clermont-Ferrand, 1982, p. 41-54; de M. Amelotti et L. Migliardi, Nerone agli
Alessandrini, dans SDHI, 36, 1970, p. 410-418; de M. P. Cesaretti, Nerone in Egitto, dans
Aegyptus, 64, 1984, p. 3-25.
35 En particulier, M. P. Cesaretti, loc. cit., dans Aegyptus, 64, 1984, qui note (p. 11-14)
que Néron, comme ses prédécesseurs immédiats, comme les Lagides, adopte, dans sa
titulature hiéroglyphique le système en usage à l'époque pharaonique. Observation
identique pour la titulature en démotique. De même, dans les constructions entreprises par
Néron (p. 19), il y a continuité. Ainsi à Dendara, on achève presque l'ornementation de la
salle hypostyle du temple d'Hathor et l'on entreprend la construction d'un nouveau
manimisi qui sera terminé par les Flaviens et les Antonins cf. F. Dumas, Les mammisis de
Dendara. Le manimisi de Nectanébo, Le Caire, 1955, p. XXII, p. XXIV; Id., Les Mammisis
des temples égyptiens. Étude d'archéologie et d'histoire religieuse, Paris, 1958, p. 348. Sur la
crise économique que connaît le pays depuis Claude et qui atteint son paroxysme sous
Néron, I. H. Bell, The Economie Crisis in Egypt under Nero, dans 1RS, 28, 1938, p. 1-8;
G. Chalon, L'édit de Tiberius Iulius Alexander. Étude historique et exégétique, Lausanne,
1964, p. 53-68; O. Montevecchi, loc. cit., dans Neronia 1977, p. 49-50.
36 Intérêt bienveillant qui marque une rupture avec la politique claudienne. Les
éléments principaux en sont : une correspondance dès 55 (Amelotti/Migliardi, loc. cit., dans
SDHI, 36, 1970); la remise de Yaurum coronarium (Montevecchi, loc. cit., dans Aegyptus,
50, 1970); la réforme des tribus alexandrines, peut-être une réalisation de Claudius Bal-
billus, déjà préparée à l'époque claudienne (Montevecchi, loc. cit., dans PP, 30, 1975,
p. 49, p. 52-53; dans CISA, 4, 1976, p. 206-217; dans Neronia 1977, p. 45-47).
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 521

res de Iuridicus d'Alexandrie et d'Egypte et d'idiologus37 tandis que Ti.


Iulius Alexander est nommé en 66 préfet d'Egypte38. Au demeurant les
Alexandrins ne s'y trompaient point. Ils surent manifester leurs
hommages à ce jeune homme, aussi jeune que l'avaient été certains de leurs
souverains39 - lui décernant, seul empereur à l'avoir jamais porté, le
titre d 'αγαθός δαίμων της οικουμένης40, lui attribuant, dès 55, la crue
du Nil et les copieuses récoltes41, lui offrant une année sainte, en 60/61,
exemple unique dans toute l'histoire impériale42 et en 64, à Naples, le
comblant d'éloges chantés, analogues aux cantates exécutées en
l'honneur des Ptolémées43. Cette dualité de comportement, manifeste dans

37 Sur Norbanus Ptolémée, cf. O. Montevecchi, loc. cit., dans Aegyptus, 51, 1971 ; dans
PP, 30, 1975, p. 49; H. G. Pflaum, Les carrières procuratoriennes équestres sous le Haut-
Empire romain, Paris, 1960 et 1961, p. 44, p. 1085, p. 1087; Id., Scripta Varia, II, La Gaule
et l'empire romain, Paris, 1981, p. 252-253; P. R. Swarney, The Ptolemaic and roman Idios
Logos, Microfilm, University of Michigan, Ann Arbor, 1970, p. 138-140.
38 Sur Iulius Alexander, outre O. Montevecchi (loc. cit., dans Aegyptus, 51, 1971,
p. 219-220; dans PP, 30, 1975, p. 49; dans Neronia 1977, p. 45, p. 47-50), cf. H. G. Pflaum,
op. cit., p. 46-49; G. Chalon, op. cit., passim.
39 Néron était le plus jeune empereur que les Romains aient jamais eu, cf. E. Cizek,
Néron, p. 86. Sur la vogue particulière à Alexandrie de la foi en des enfants divins, Ch.
Picard, Sens et portée des arts alexandrins, dans Journal de psychologie normale et
pathologique, 44, 1951, p. 65-84, (en part. p. 83-84). Sur les honneurs en général que les
Alexandrins décernèrent à Néron, cf. G. Schumann, op. cit., p. 8-14.
40 Sur l'origine exclusivement alexandrine de l'expression, cf. O. Montevecchi, loc.
cit., dans Aegyptus, 51, 1971, p. 219-220. Voir également E. Cizek, Néron, 89-91 ; P. Grimal,
Sénèque. . ., p. 161.
41 Sur la stèle de Busiris (OGIS II, 666 = IGRR, I, 1110), deux interprétations
contradictoires. Les uns (Grimal, Sénèque. . ., p. 161-162) y voient un geste de «piété populaire»
qui remercie l'empereur «des heureuses conditions dans lesquelles s'est produite, cette
année-là, l'inondation du Nil». Les autres (G. Chalon, op. cit., p. 53; O. Montevecchi, loc.
cit., dans Neronia 1977, p. 50) la considèrent, avec raison, comme un texte laudatif,
stéréotypé, qui ne doit pas faire illusion et qui n'a pas de valeur de preuve. Sur le Nil soumis
à l'Empereur dans cette inscription, cf. D. Bonneau, La crue du Nil, Paris, 1964, p. 334-
335, p. 358.
42 Sur cet exemple unique, cf. O. Montevecchi, loc. cit., dans Aegyptus, 51, 1971 et
dans PP, 30, 1975, p. 48-49.
43Suet., Ner., 20, 5. Éloges qui émurent si fort l'Empereur qu'il fit aussitôt venir
d'autres Alexandrins. Sur cet épisode, cf. M. Malaise, Les conditions de pénétration et de
diffusion des cultes égyptiens en Italie, EPRO, 22, Leiden, 1972, p. 326, 328, 398, 403. Cf.
également les éloges chantés par des nautes alexandrins en l'honneur d'Auguste, à Pouz-
zoles. Suet., Aug., 98. Autre faveur, plus banale, le mois de Pharmuthi reçoit le nom de
Neroneios Sebastos.
522 JEAN-LOUIS VOISIN

l'édit de Ti. Iulius Alexander44, est plus sensible à nous autres Modernes
qu'aux contemporains de Néron (voir annexe) pour lesquels le voyage
en Egypte se confondait avec celui d'Alexandrie. Ainsi de celui
qu'entreprit, sans le réaliser, Néron en 64. Alors que Tacite signale urbem
reuisit, prouincias Orientis, maxime Aegyptum, secretis imaginationibus
agitans, Suétone précise : peregrinationes duas omnino suscepit Alexan-
drinam et Achaicam45. Pourquoi avoir préparé ce déplacement? Pour
quelles raisons l'Egypte enflammait-elle l'esprit de l'empereur?
La mode pouvait être à l'égyptomanie. A-t-elle exercé son pouvoir
sur le jeune homme? Impossible de l'affirmer ou de l'infirmer. Mais
lorsque ses effets touchent la personne impériale, ils dépassent par
leurs conséquences les caprices d'un engouement passager. D'ailleurs,
le plus souvent, le goût du jour était celui qu'affichait l'empereur. Aussi
est-ce à partir de Néron lui-même que doit être repérée la présence de
facteurs susceptibles de pousser l'empereur à prendre l'initiative d'une
telle expédition.
S'il est difficile d'évaluer le rôle de la première enfance dans la
formation de cette attirance pour l'Egypte46, en revanche de fortes
traditions familiales incitaient l'adolescent, puis l'adulte à regarder avec
bienveillance la terre égyptienne et ses anciens maîtres, les Lagides.
L'Egypte n'avait-elle pas été l'asile de son arrière grand-père, Cn. Domi-

44 Aux Égyptiens le préfet promet d'adoucir leur sort, aux Alexandrins et aux Grecs,
de conserver leurs privilèges. Cf. G. Chalon, op. cit., p. 67.
45 Tac, ann., 15, 36; Suet., Ner., 19, 1. De même, Eucaerus, joueur de flûte est dit
natione Alexandrinus (Tac, ann., 14, 60, 2) et peu après surnommé tibicen aegyptins (Tac,
ann. 14, 61, 4). Le voyage fut bien préparé : on construisit des bains pour Néron (Suet.,
Ner., 35, 5; Dion Cassius-Xiphilin, 63, 18, 1). Sur la date, obligatoirement 64 plutôt que 66
ou 67, cf. H. G. Pflaum, op. cit., p. 45; E. Cizek, Néron, p. 123, p. 148-149.
46 Relevons simplement que les nourrices de Néron restèrent toute leur vie attachées
à leur maître. Ce sont elles (Suet., Ner., 50, 2) qui se chargèrent de ses funérailles. À
l'inverse Néron avait en elles une entière confiance : il se tourna vers elles lorsqu'il apprit
que Galba et que les Espagnes avaient fait défection (Suet., Ner., 42, 1). Elles peuvent
donc avoir laissé à l'enfant une image affective aimable et attractive de leurs pays
respectifs (sur l'importance des nourrices et de leurs rôles, cf. J.-P. Néraudau, Être enfant à
Rome, Paris, 1984, p. 281-287). Or, toutes deux sont d'origine gréco-orientale, si l'on en
croit leurs noms : Églogé et Alexandria. D'après H. Solin, Die griechischen
Personennamen in Rom : ein Namenbuch, Berlin/New York, 1982, on relève pour Rome 94
Alexandria, nomen qui signifierait une origine égyptienne (p. 621-623) ou alexandrine. Et c'est
sous les règnes de Tibère et de Néron qu'apparaissent, datées avec précision, les
premières attestations. Il est donc tout à fait vraisemblable de considérer Alexandria comme
native d'Alexandrie.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 523

tius Ahenobarbus47? Ce dernier n'était-il pas, plus tard, le seul, parmi


les compagnons d'Antoine à saluer Cléopâtre de son nom48? Mieux:
par son père et par sa mère, Néron descendait de Marc Antoine dont le
souvenir lié à l'Egypte demeurait vif. Le triumvir «héritier du monde
hellénistique» avait «fait d'Alexandrie le centre du monde nouveau
dont il venait de dessiner les contours»49. Quant à Germanicus, grand-
père de Néron, admirateur des antiquités égyptiennes, il s'était rendu
en 19 à Alexandrie, y avait gagné popularité et affection, avait remonté
le Nil jusqu'à l'île Elephantine, s'était entretenu avec des prêtres
égyptiens, avait enfin visité les sites les plus illustres de l'Egypte
pharaonique50. Reprenant toute entière la tradition antonienne dans ses deux
dimensions - égyptophile et hellénistique -, Caligula, fils de
Germanicus et oncle de Néron, l'avait poussée au-delà du supportable : Suétone
établit un lien direct entre son projet de s'installer à Alexandrie, après
avoir mis à mort les membres les plus éminents du Sénat, et son
assassinat51. Or le même historien, confirmé par Dion Cassius, reconnaît
dans Caligula un modèle que s'était donné Néron : il voulait l'imiter,
voire le surpasser52. Pourtant ces traditions familiales que l'on ne
saurait négliger tant est forte à Rome Yimitatio des ancêtres53 auraient pu

47 W. Peremans et E. Van't Dack, Prosopographia Ptolemaica. VI. La cour, les relations


internationales et les possessions extérieures, la vie culturelle, Louvain, 1968, n° 16169; Fr.
Hinard, Les proscriptions de la Rome républicaine, Rome, 1985.
48 Vell., 2, 84, 2.
49 F. Chamoux, La civilisation hellénistique, Paris, 1985, p. 171.
50 Suet., Tib., 52, 5 ; Tac, ann., 2, 59-60. Voyage étudié par D. W. Weingärtner, Das
Ägyptenreise des Germanicus, Bonn, 1969, p. 67 (pour les dates), p. 108-121 (sur le séjour à
Alexandrie), p. 104-105 (sur sa volonté d'imiter Alexandre et Marc Antoine).
51 Sur la liaison entre le souhait de Caligula et son meurtre : Suet., Cal., 49, 2 ; Flav.
los., Ant. lud., 19, 81-83. Voir P. Ceausescu, Altera Roma. Histoire d'une folie politique,
dans Historia, 25, 1976, p. 90-92. Sur Caligula et l'Egypte, cf. surtout E. Köberlein,
Caligula und die ägyptischen Kulte, Meisenheim, 1962. À compléter par J. Guey, Les bains d'or
de Caligula, dans BSFN, 31, 1976, p. 50 et par M. Malaise, Conditions. . ., op. cit., p. 395-
401.
«Suet., Ner., 30, 2; Dion Cas., 61, 5, 1; Eutr., 7, 9. Caligula et Néron sont encore
associés par Pline, not., 36, 111. Voir également pour l'imitation de Caligula par Néron,
Pline, nat., 33, 90 (et note H. Zehnacker, C.U.F.) : Néron, comme Caligula, fait colorer le
sable de l'arène du cirque et tous deux soutenaient la faction verte. En outre, des
indications dans M. Malaise, Conditions. . ., op. cit., p. 398 ; P. Ceausescu, loc. cit., dans Historia,
25, 1976, p. 92-97; P. Grenade, Un exploit de Néron, dans REA, 50, 1948, p. 280-283.
53 Sur l'imitation familiale de Marc Antoine à Néron, compléter lés articles et les
524 JEAN-LOUIS VOISIN

demeurer un héritage passif, sans conséquences, si elles n'avaient été


réveillées et réactivées par l'entourage du prince.
En 64, le clan égyptophile qui environne Néron depuis 55 54 est plus
puissant que jamais. En effet, avec la retraite de Sénèque en 62, a
disparu une influence pondératrice essentielle55. Certes, Sénèque
connaissait l'Egypte. Il avait même écrit un De situ et sacris Aegyptiorum. Mais
il se méfiait des croyances et des religions de ce pays. Et, si dès 54 avec
YApocoloquintose, puis de nouveau en 56 avec le De dementia, il avait
rattaché, mais non de façon exclusive, le nouveau règne à la tradition
royale égyptienne, il avait également désiré exorciser les souvenirs
fâcheux des thèmes antoniens56. Toutefois, malgré lui, il avait exposé
l'idéologie impériale à une dérive vers l'Egypte. Plus spécialement vers
sa tradition pharaonique et sa théologie solaire du pouvoir, pense
Pierre Grimai au terme d'une analyse serrée et audacieuse de ces deux
textes. Pendant que le savant français allait directement à l'Egypte
pharaonique, Orsolina Montevecchi, en s'appuyant sur les deux mêmes
textes, remontait, par le biais de l'épigraphie et de la papyrologie, à
Alexandrie et au royaume lagide. Tous deux, indépendamment l'un de
l'autre, parvenaient à des conclusions similaires : l'image du soleil
montant dans le ciel à l'Orient, du soleil naissant auquel était comparé le
jeune empereur, renvoie vers les plus anciennes conceptions
égyptiennes de la souveraineté57. Ainsi une filiation idéologique qui menait de

ouvrages précédents par L. Colin, Les consuls du César-pharaon Caligula et l'héritage de


Germanicus, dans Latomus, 13, 1954, p. 394-416. Bref état de la question dans E. Cizek,
Néron, p. 75-77, p. 114, p. 122.
54 L'entourage gréco-oriental de Néron avait été abordé par G. Schumann, op. cit.,
p. 34-59 qui avait dressé un catalogue de 27 noms. À compléter par H. G. Pflaum, Les
procurateurs équestres sous le Haut-Empire romain, Paris, 1950, p. 208-209; E. Cizek, Néron,
p. 121-123, p. 198-201. Sur le rôle de ce clan égyptophile dès 55, cf. O. Montevecchi, loc.
cit., dans CISA, 4, 1976.
55 P. Grimal, Sénèque. . ., op. cit., p. 206-219.
56 Pour le voyage de Sénèque en Egypte, cf. Annexe 4, n. 114. La chronologie des
œuvres est celle proposée par P. Grimai. Sur les thèmes développés par Sénèque, cf.
P. Grimal, loc. cit., dans REL, 49, 1971 (avec écho dans P. Grimal, L'éloge de Néron au
début de la Pharsale est-il ironique?, dans REL, 38, 1961, p. 296-305); Id., Sénèque. . ., op.
cit., p. 107-131, p. 160-162. Voir également J. R. Fears, Nero as the Viceregent of the Gods
in Seneca's De Clementia, dans Hermes, 103, 1975, 398-408.
57 O. Montevecchi, loc. cit., dans PP, 30, 1975, p. 53-58. Si les scènes d'adoration dui
soleil levant, dans l'Egypte pharaonique sont rares (cf. Ph. Derchain, L'adoration du
Soleil levant dans le temple de Psammétique Ier à El Kab, dans Chronique d'Egypte, 37,
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 525

Sénèque aux Pharaons, en passant par les Ptolémées, était-elle


solidement reconstituée58.
Esquissée par Sénèque, cette filiation ne pouvait, en 64, qu'avoir
été consolidée par les familiers du prince. L'un des plus anciens et sans
nul doute des plus écoutés, était Chaeremon. Avant Sénèque, peut-être
dès les années 46-47, il avait été invité à Rome pour devenir le
précepteur du jeune L. Domitius. C'était une personnalité extraordinaire59.
Vraisemblablement à la tête du Musée d'Alexandrie, directeur d'une
école de grammairiens dans la même ville, initié à l'écriture
hiéroglyphique dans les écoles des temples, féru d'histoire pharaonique,
passionné par l'étude des mouvements des corps célestes, surtout des
comètes dont l'apparition, pensait-il, signalait les grands moments de la
vie des souverains, très versé en philosophie stoïcienne, familier des
anciennes pratiques magiques, spécialiste incontesté d'astrologie (peut-
être est-ce lui qui donna une signification astrologique à la division
égyptienne du zodiaque en 36 décans!), superbement informé en
géométrie comme en arithmétique, excellent connaisseur de la religion
égyptienne traditionnelle, de ses rites et de son clergé, ce «scribe

1962, p. 257-271), en revanche il est usuel que Pharaon, fils de Rê, soit comparé au Soleil
levant. Sur l'association du soleil levant et du culte royal, plus spécialement de la
nais ance, cf. F. Daumas, Les Mammisis des temples égyptiens, Paris, 1958, p. 124-127, p. 145-149.
Sur la signification de ces chapelles consacrées à la naissance du dieu-fils Horus et à
l'accouchement de la déesse-mère, cf. ibid., p. 26-27, p. 161-166, p. 302, p. 347.
58 Sur la récupération par les Lagides du culte dynastique de rite égyptien, cf. F.
Daumas, op. cit., p. 504-509 (C'est en particulier sous Ptolémée II que le mammisi de Nectané-
bo est remanié «attestant l'importance croissante prise par les rites et la théologie de la
naissance divine.»); C. Préaux, Le monde hellénistique, Paris, 1978, p. 259-261 (sur la
naissance royale et sur l'idée du renouvellement de la vitalité de toutes choses à l'intervention
du roi, p. 262) ; mise au point de L. Koenen, Die Adoptation ägyptischer Königsideologie
am Ptolemäerhof, dans Studia Hellenistica, 27, 1983, p. 142-190.
59 Chaeremon : PIR II, C, n° 706; RE, 3, col. 2025-2027 (E. Schwartz); F. Cumont, Les
religions orientales, Paris, 1929, p. 82, p. 159, p. 238 n. 48; H. R. Schwyzer, Chairemon,
Leipzig, 1932; A. J. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste, Paris, 1944, p. 23,
p. 28-31, p. 86-87; M. A. Levi, Nerone e i suoi tempi, Milan, 1949, p. 93, p. 148, p. 155-156;
M. Malaise, Conditions..., op. cit., p. 403; P. Grimal, Sénèque..., op. cit., p. 68, p. 70,
p. 117-119, p. 160-162; E. Cizek, Néron, surtout p. 30, p. 184; P. W. van der Horst, The
way of life of the Egyptian priests according to Chaeremon, dans Studies in the History of
Religion, 93, 1982, p. 61-71 ; Id., Chaeremon. Egyptian Priest and Stoic Philosopher (EPRO,
101), Leyde, 1984, (Voir le compte rendu de J. Bingen, dans Chronique d'Egypte, 59, 1984,
p. 191-192). Les différents auteurs s'accordent pour penser que Chaeremon et Sénèque se
connaissaient, peut-être dès le voyage de Sénèque en Egypte.
526 JEAN-LOUIS VOISIN

sacré», «second Manethon», avait publié plusieurs ouvrages qui


tendaient à préserver la tradition sacerdotale indigène en l'intégrant au
mouvement de la pensée alexandrine. Avec autant d'intelligence que de
sincérité, il y exaltait l'Egypte d'autrefois, où le soleil était, écrivait-il,
considéré comme le créateur de toutes choses; il y maniait des
concepts philosophiques grecs.
Autre astrologue (éphésien? alexandrin? on ne sait), autre ardent
admirateur de l'Egypte pharaonique : Ti. Claudius Balbillus. Le
personnage est célèbre60. Rappelé d'Egypte dont il était le gouverneur depuis
la fin de l'année 55, il revient à Rome dans la seconde moitié de l'année
59 et se trouve en avril 65 au côté de Néron. Entre-temps, il était resté à
la cour. La popularité de ses exploits - il avait rallié Alexandrie en un
temps record - le renom de sa culture littéraire et de sa science atrolo-
gique, l'habileté de sa conduite politique lui assuraient considération et
respect61. D'autant que Néron l'écoutait dans des moments difficiles,
conjuration de Pison ou passage de comètes62. Or, cet intime du prince
avait une connaissance approfondie de l'Egypte et d'Alexandrie. Outre
les liens affectifs et les intérêts économiques qui unissaient sa famille à
l'ancienne capitale lagide, Balbillus, avant sa préfecture, avait
accumulé, une dizaine d'années, durant, des postes à Alexandrie63 qui lui
avaient permis de satisfaire sa curiosité pour les antiquités égyptiennes.
Aussi les actions qu'il mena au cours de son gouvernement ont-elles

60 Ti Claudius Balbillus : PIR II, B, n° 38 ; J. Schwartz, Ti. Claudius Balbillus (préfet


d'Egypte et conseiller de Néron), dans BIFAO, 49, 1950, p. 45-55; H. G. Pflaum, loc. cit.,
1960, p. 34-41; J. Gagé, Basiléia, Paris, 1968, surtout p. 75-117; O. Montevecchi, loc. cit.,
dans Aegyptus, 51, 1971, p. 218-219; P. Grimal, Sénèque. . ., p. 160-162; J.-P. Martin, Provi-
dentia deorum, Rome, 1982, p. 158-163; E. Cizek, Néron, p. 90-91, p. 199-200, p. 250,
p. 295.
61 Plin., nat., 19, 3; Sen., nat., 4, 2, 13.
62 Sur l'apparition d'une comète fin 64 et sur la conjuration de Pison, Suet., Ner., 36,
1-2; Tac, ann., 15, 47, 1. Il y a tout lieu de penser que cette consultation impériale faisait
suite à une première qui avait dû donner entière satisfaction lors de l'apparition d'une
comète en 60 (Sen., nat., 7, 17, 2; 21, 3; 29, 3). Sur ces problèmes, cf. en dernier lieu,
J.-P. Martin, Néron et le pouvoir des astres, dans Pallas, 30, 1983, p. 63-74 (en part. p. 64-
68).
63 Liens avec l'Egypte surtout établis par J. Schwartz, H. G. Pflaum, Ο. Montevecchi,
E. Cizek (cf. supra, n. 60). Sur sa carrière cf. H. G. Pflaum ; il avait été successivement :
archiereus Alexandreae et Aegypti, procurator supra museum et ab Alexandrina bybliotheca,
procurator aedium diui Augusti et [. . .e]t lucorum sacrorumque omnium quae sunt
Alexandreae et in tota Aegypto.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 527

une forte signification idéologique tant elles furent méditées, tant elles
furent spectaculaires.
Deux d'entre elles, entreprises à sa propre initiative, sont fameuses.
Connue par une inscription, la première consista à désensabler le
sphinx de Gizeh confondu avec Harmakhis, transcription grecque du
nom du dieu solaire Hor-em-akhet (Horus dans l'horizon)64. La seconde
que rapporte sa descendante Iulia Balbilla, fut de transformer la
curiosité qui conduisait à la statue de Memnon, appelée par ce nom pour la
première fois par Pline l'Ancien, en tourisme religieux : la première
inscription qui précise l'heure - vraisemblablement la prima hora - date
du 16 mars 65. Trois militaires, tous trois citoyens Romains, l'ont
inscrite sur le côté gauche de la jambe droite du colosse, le côté le mieux
éclairé par le soleil levant65. Ces deux mesures de prestige, on ne l'a pas
assez souligné, loin d'être indépendantes l'une de l'autre, se complètent
harmonieusement. Le dégagement du sphinx rattache le règne naissant
à la tradition pharaonique du Nouvel Empire : à la suite d'un rêve,
Thoutmosis IV, nous le savons par une stèle qui se dresse entre les
pattes du dieu, fit déblayer la statue. Action qui devait lui assurer la
domination sur l'Egypte. Quant à la statue de Memnon, Balbillus, utilisant le
«lien fonctionnel qui existait déjà entre le Colosse et le soleil levant»,
tire profit du profond courant qui «tendait à revaloriser aux yeux des
esprits religieux du monde gréco-romain la vieille religion égyptienne»
pour jeter les bases, près de Thèbes, d'une dévotion nouvelle, inconnue
à l'époque de Strabon. Ce culte réactualise d'anciennes pratiques
égyptiennes, les déforme, les enrichit d'éléments alexandrins et associe
intimement le règne de Néron au soleil levant66.
Ce n'est pas tout. Le monnayage émis à Alexandrie sous la
responsabilité de Balbillus a été peu étudié. A bien été relevée l'apparition,
pour la première fois en 56/57, du motif de l'Uraeus, couronné du
pschent avec à droite et à gauche des épis et des pavots et la légende
Νέο(ς) Άγαθ(ο)δαίμ(ων), ensemble qui doit être mis en rapport avec le
qualificatif décerné au jeune empereur dans l'inscription de Busiris67.

64 Stèle de Busiris (supra, n. 41).


65 Plin., not., 36, 58. Sur le Colosse de Memnon, cf. A. et E. Bernand, Les inscriptions
grecques et latines du Colosse de Memnon, Paris, 1960. Sur Balbilla et son ancêtre, surtout,
p. 28, p. 85, p. 92. Sur l'emplacement des inscriptions, le choix effectué par les dédicants
et l'heure, p. 11-13. Voir également, J. Gagé, Apollon romain, Paris, 1955, p. 655-656.
66 Citation tirée de A. et B. Bernand, op. cit., p. 13, n. 1.
67 Tétradrachme : en dernier lieu, cf. A. Geissen, Katalog Alexandrinischer Kaisermün-
528 JEAN-LOUIS VOISIN

Cette émission reprenait là encore un vieux thème ptolémaique propre


à Alexandrie, celui de YUraeus, génie protecteur de la ville à la triple
fonction agraire, funéraire, royale. En revanche, l'on n'a pas remarqué
la date d'arrêt de ce modèle. Répété avec des variantes, en 57/58, en
59/60, il disparaît cette année-là, date du départ de Balbillus pour
Rome, de la frappe des tétradrachmes. À l'exception de deux émissions
de bronze, datées de 67/68, il faut attendre Domitien pour constater le
retour de YUraeus. Il y a donc simultanéité entre la réactualisation d'un
motif lagide et la préfecture de Balbillus. C'est également en 56/57,
pendant sa préfecture que sont frappées des monnaies avec au revers
l'empereur qualifié de Νέος Σεβαστός et représenté assis à gauche sur
un trône, portant la couronne radiée, tenant un globe (?) et un
sceptre68. À son habitude, Balbillus innove mais en se rattachant aux Lagi-
des, en donnant une forme nouvelle à une tradition ancienne, en
recréant, si l'on peut dire, une tradition.
S'ils sont les plus influents, Balbillus et Chaeremon ne sont pas les
seuls mathematici égyptisants de la cour. D'autres sont connus, tel ce
Ptolémée, un des astrologues de Poppée69. En effet, éprise d'astrologie,
l'impératrice entretenait un cercle d'astrologues et devait être
bienveillante aux cultes égyptiens : sa famille ne possédait-elle pas, à Pompéi,
un sacellum dédié à Isis? Et son deuxième époux, Othon, ne célébrait-il
pas, en public, le culte de cette déesse?70.

zen der Sammlung des Instituts für Altertumskunde der Universität zu Köln, Bd I, Papyro-
logica Coloniensia, vol. 5, 1974, n°113 (avec bibliographie antérieure). Pour les frappes
ultérieures, cf. n° 127 (57/58), n° 131 et 132 (58/59), n° 142 (59/60). Puis en bronze, n°208,
n°213 (67/68). Sur le motif de l'Agathodémon, sa signification et ses rapprochements
avec la stèle de Busiris, cf. F. Dunand, Les représentations de l'Agathodémon. À propos de
quelques bas-reliefs du Musée d'Alexandrie, dans BIFAO, 67, 1969, p. 9-48 (en part. p. 25,
p. 30); O. Montevecchi, loc. cit., dans CISA, 4, 1976, p. 209-210. Sur la complémentarité de
l'Agathodémon avec les oiseaux dans le conte de la fondation d'Alexandrie afin de donner
à ce geste l'Univers entier comme garant, cf. C. Le Roy, Les oiseaux d'Alexandrie, dans
BCH, 105, 1981, p. 392-406. Sur l'Agathodémon, héritier du dieu égyptien Shaï et déjà
récupéré par les Lagides, mise au point L. Koenen, loc. cit., dans Studia Hellenistica, 27,
1982, p. 153, p. 148-149.
68 A. Geissen, op. cit., n° 121 note dans la main droite une mappa tandis que J.-P.
Martin, Providentia Deorum, op. cit., p. 157 et p. 162 voit un globe. Sur le sens de la légende,
ibid., p. 157-158.
69 Tac, hist., 1, 22, 3. Sur ces astrologues, cf. J.-P. Martin, Providentia Deorum, op.
cit., p. 147-148; Id., loc. cit., dans Pallas, 30, 1983, p. 63-74.
70 Suet., Otho, 12, 2. Sur l'attitude de Poppée, R. Turcan, Sénèque et les religions
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 529

Ainsi l'entourage immédiat de Néron rendait toujours présentes


celles des traditions familiales qui, depuis Marc Antoine, se réclamaient
de l'Egypte lagide. Les goûts personnels de l'empereur ne pouvaient
que renforcer cette inclination. Les penchants et les préférences de
Néron pour certaines disciplines et pour certaines activités ont été
étudiés à plusieurs reprises71. Du portrait de l'empereur que Cizek a fixé,
et dont il est peu probable qu'il soit considérablement retouché, j'en
retiens les traits principaux : nature exubérante et dissipée ; homme de
plaisir, de tous les plaisirs; souci raffiné de l'élégance et de la tenue;
puissant appétit pour le luxe, le faste, les fêtes; conscience aiguë de sa
légitimité dynastique; vif intérêt pour les sciences de la nature et pour
la philosophie; amour pour les exercices physiques, spécialement pour
les courses de chevaux; passion pour toutes les formes d'art,
architecture, peinture, gravure, sculpture, littérature, poésie, théâtre, chant,
musique. À quoi il convient d'ajouter une croyance aveugle dans
l'astrologie et une admiration sans limites pour l'hellénisme. Or, une ville, à
nulle autre comparable résumait à elle seule tout cela : Alexandrie. Sa
disposition, ses ports et son front de mer, ses avenues
impres ionnantes, la splendeur de ses palais, ses innombrables monuments, ses
jardins et ses parcs, son Musée avec sa promenade et son exèdre, son
gymnase, le plus grand que l'on connût alors, sa palestre avec des
cercles de bronze servant à des observations astronomiques, son phare, ses
fêtes et leurs extraordinaires mises en scène, le renom de ses
philosophes, de ses artistes, de ses écrivains, de ses mécaniciens, de ses
astrologues, de ses médecins, de ses savants72 devaient fasciner le jeune
homme. En outre, il y avait ce genre de vie inimitable qui avait fait écrire
quelques décennies plus tôt à Diodore de Sicile : « par tout ce qui a trait

orientales, Bruxelles, 1967, p. 10; M. Malaise, Conditions. . ., op. cit., p. 404-406 (l'auteur
suggère, p. 406, que Poppée éveilla, chez Othon, cette dévotion à Isis); E. Cizek, Néron,
p. 177-180. Concernant le sacellum à Pompéi, cf. V. Tran Ταμ Τινη, Essai sur le culte d'Isis
à Pompéi, Paris, 1964, p. 48-49.
71 E. Cizek, Néron, chap. 2, «la personnalité de Néron», p. 25-70.
72 En ce qui concerne Alexandrie, deux ouvrages, A. Bernand, Alexandrie la Grande,
Paris, 1966 et surtout P. M. Fraser, Ptolemaic Alexandria, Oxford, 1972. Pour l'urbanisme,
les jardins, R. Martin, L'urbanisme dans la Grèce antique, Paris, 1956, p. 251-252; pour les
jardins, P. Grimal, Jardins. . ., p. 84-86, p. 399 n. 3; pour les gymnases, J. Delorme,
Gymnasium, Paris, 1960, p. 137, p. 139. Sur le faste architectural des Lagides, voir en dernier
lieu G. Grimm, Orient une Okzident in der Kunst Alexandriens, dans Aegyptiaca Treveren-
sia, I, 1981, p. 13-25 (en part. p. 14-18).
530 JEAN-LOUIS VOISIN

aux plaisirs de l'existence Alexandrie l'emporte sur les autres villes»73.


Au demeurant, Néron pouvait s'autoriser de précédents familiaux :
César s'y était établi un temps, Marc Antoine y avait célébré ses
triomphes, Germanicus y avait prononcé un éloge dithyrambique de la ville
et Caligula aurait aimé s'y rendre. De plus, les modèles que Néron se
proposait d'imiter justifiaient par-dessus tout son voyage à Alexandrie.
À croire les auteurs anciens, le fils d'Agrippine voulait régler sa
conduite sur celles d'Alexandre et de Caligula. Celui-ci admirait celui-
là : il alla jusqu'à endosser la cuirasse du Conquérant qu'il avait fait
retirer de son tombeau74. Derrière la référence à Caligula se dresse
donc, parangon absolu, la stature du Macédonien. A. Bruhl l'avait déjà
noté en 1930 qui voyait en Néron «un admirateur fanatique
d'Alexandre»75. L'empereur surnomma en effet «Phalange d'Alexandre le
Grand» la légion d'élite qu'il recruta pour préparer une expédition vers
les Portes Caspiennes, fit recouvrir d'or la statue d'Alexandre enfant,
œuvre de Lysippe le portraitiste préféré du Conquérant76. On connaît
même une statue de Néron en Alexandre et si, à partir de 64, il
«arrangeait toujours sa chevelure en étages», c'est, semble-t-il, pour
s'identifier aux portraits héroïques de son modèle77. Dans la vie quotidienne,
Néron cultivait encore la ressemblance : comme Alexandre il emportait
partout avec lui sa statue favorite78. Selon Cizek, il est très vraisembla-

73 Diod. Sic, 17, 52, 5, éd. trad. P. Goukowsky, C.U.F., Sur la réputation d'Alexandrie
comme capitale du monde, cf. P. Ceauçescu, Altera Roma. Histoire d'une folie politique,
dans Historia, 25, 1976, p. 98-103.
74 Suet., Cal., 52, 3. Avant lui, Marc Antoine, Germanicus avaient, eux aussi, voulu
imiter Alexandre le Grand. Cf. D. G. Weingärtner, op. cit., p. 104-105.
75 A. Bruhl, Le souvenir d'Alexandre le Grand et les Romains, dans MEFR, 47, 1930,
p. 221. Voir également, E. M. Sanford, loc. cit., dans HSPh, 48, 1937, p. 86-89; M. A. Levi,
Nerone e i suoi tempi, Milan, 1949, p. 154 η. 1, p. 208-209.
76 Suet., Ner., 19, 4; Plin., nat., 34, 63.
77 Sur cette statue, actuellement au British Museum, trouvée dans le Suffolk mais
vraisemblablement faite sur le continent, voir J. M. C. Toynbee, Art in Britain under the
Romans, Oxford, 1964, p. 49, pi. V. Sur la chevelure, Suet. Ner., 51,2. Deux
interprétations ont été proposées. H. P. L'Orange (Le Néron constitutionnel et le Néron apothéose,
dans From the Collections of the Ny Carlsberg Glyptothek, 3, Copenhague, 1942, p. 247-267,
repris dans Likeness and Icon, Odense, 1973, p. 278-291 et Apotheosis in ancien
portraiture, Oslo, 1947, p. 57-63) pense qu'il s'agit d'une imitation des portraits héroïsés
d'Alexandre alors que J. M. C. Toynbee (Num. Chron., 7, 1947, p. 126-137 et JRS, 38, 1948, p. 160-
162) penche pour l'imitation de la chevelure des auriges. Les deux explications peuvent
d'ailleurs cohabiter, remarque E. Cizek, Néron, p. 38.
78 Plin., nat., 34, 48 et 82.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 531

ble que Néron choisit Corinthe pour résidence permanente pendant son
séjour en Grèce parce que ses habitants avaient gratifié Alexandre du
droit de cité qu'ils n'avaient donné, avant lui, qu'à Hercule79.
Seulement, inscrire ses pas dans ceux du vainqueur de Darius n'était pas
qu'une simple imitatio. Il y avait, sous-jacent, un choix idéologique :
Alexandre, dont le mythe venait d'être ravivé par Quinte Curce, se
trouvait au cœur des débats politiques romains. S'affrontaient deux images,
l'une positive, l'autre négative, que véhiculaient deux légendes, l'une
«dorée», l'autre «noire», lesquelles renvoyaient à deux conceptions
opposées du pouvoir. Or l'image positive, la légende dorée, était née à
Alexandrie où le souvenir d'Alexandre se trouvait le plus solidemment
enraciné. Dès la fin du IVe siècle et surtout au IIIe siècle y avait été
exaltée la domination universelle exercée par Alexandre, devenu le
prototype du kosmocrator, «maître de toute la terre ainsi que de la mer»,
assimilé à Hélios, portant les attributs de Zeus, d'Ammon, d'Héraklès80.
Au surplus Alexandrie se trouvait à l'origine du développement du
mythe d'Alexandre en Néos Dionysos81.
Eriger Alexandre en modèle entraînait inévitablement Néron à se
tourner vers l'Orient, vers l'Egypte. Et à épouser la conduite des Lagi-
des. Héritiers du Conquérant, promoteurs et gardiens du mythe, ils
incarnaient précisément le nouveau type de souverain qu'aurait
souhaité Alexandre. De surcroît, comme lui, ils se déclaraient descendants des
Pharaons et, à ce titre, étaient salués des noms «Fils de Ré», «Image

79 Sen., benef., 1, 13, 1-2. Cf. E. Cizek, Néron, p. 152-153.


80 Sur les conditions qui ont concouru à faire d'Alexandrie la terre par excellence
d'Alexandre, cf. P. Goukowsky, Essai sur les origines du mythe d'Alexandre. I. Les origines
politiques, Nancy, 1978, p. 131-135. Sur les références aux divinités auxquelles il était
assimilé, cf. P. Goukowsky, op. cit., I, p. 149, p. 150-151, p. 159, p. 165, p. 331 n. 235, p. 332
n. 238. Voir aussi J. Tondriau, Alexandre le Grand assimilé à différentes divinités, dans
RPh, 75, 1949, p. 42-52. Sur les statues et portraits représentant Alexandre en Hélios, avec
couronne solaire à sept pointes, cf. D. Michel, Alexander ah Vorbild für Pompeius, Caesar
and Marcus Antonius. Archäologische Untersuchungen, Bruxelles, 1968, p. 24, p. 30-31. De
plus, on peut remarquer qu'il s'agit des dieux auxquels Néron empruntait en partie ou en
totalité les attributs.
81 Alors que jamais Dionysos ne fut le modèle d'Alexandre, cf. P. Goukowsky, Essai
sur les origines du mythe d'Alexandre. II. Alexandre et Dionysos, Nancy, 1981. En
particulier p. 79, p. 83. L'auteur relève (p. 184 n. 34) qu'en 124, les Alexandreia et les Dionysies
fusionnèrent à Rhodes et que cela vaut également pour l'ensemble du monde grec
contemporain.
532 JEAN-LOUIS VOISIN

vivante d'Amon»82. On comprend alors que, rassuré et encouragé par


des précédents familiaux, exhorté par son entourage, poussé par ses
goûts naturels, fortifié par la gloire d'Alexandre et par l'éclat de ses
successeurs, Néron ait voulu entreprendre le voyage à Alexandrie83.
Mais en élisant le Macédonien et la dynastie lagide, il abandonnait la
tradition augustéenne qui avait eu à l'égard d'Alexandre une attitude
ambiguë où se mêlaient, suivant les circonstances, admiration et
hostilité84. Rupture donc avec une certaine politique augustéenne, rupture
avec le règne de Claude, rupture avec Agrippine et ce que l'on a
nommé le quinquennium Neronis. Toutefois cette option était approuvée (et

82 Sur la volonté de Ptolémée Ier d'imiter Alexandre et sur le rôle essentiel des Lagides
dans le développement du mythe d'Alexandre, cf. P. Goukowsky, Essai. . . 1. 1, op. cit.,
p. 135, t. II, p. 79, 83, p. 134-135. Sur les Lagides, successeurs des pharaons et exploitant
l'héritage pharaonique {supra, n. 58), cf. L. Cerfaux, J. Tondriau, Un concurrent du
christianisme, le culte des souverains dans la civilisation gréco-romaine, Tournai, 1975, p. 208-
212 et L. Koenen, loc. cit., dans Studia Hellenistica, 27, p. 148-149 et pour la titulature
p. 155, p. 169.
83 Pourquoi ne le réalisa-t-il pas ? Il y eut certes des raisons circonstancielles de
politique intérieure, liées en partie à la hantise des Romains de voir se déplacer l'empereur (cf.
Ceausescu, loc. cit., dans Eistoria, 25, 1976, p. 92-94; E. Cizek, Héron, p. 148-149) mais une
autre explication est possible, qui, d'ailleurs, peut s'ajouter à la précédente. On connaît
l'esprit frondeur et le goût critique des Alexandrins. On sait d'autre part que Néron était
un professionnel du spectacle qui «en véritable artiste ne cessa jamais d'avoir le trac»
(A. Baudot, Musiciens Romains de l'Antiquité, Montréal, 1973, p. 67). Il refusa ainsi (ibid,
p. 26), nous apprend Dion Chrysostome 71, 9, déjouer du tibia parce qu'il se sentait
incapable d'élégance dans cet exercice. Enfin, tout montre dans le comportement de
l'Empereur comme homme de spectacle, le souci de procéder par étapes progressives, de plus
en plus difficiles : scène privée, scène publique à Naples, puis la Grèce. Le couronnement
du voyage était-il Alexandrie? C'est probable. Néron alors eut-il peur de ne pas être à la
hauteur et de décevoir ce public qu'il estimait entre tous?
84 En effet l'image d'Alexandre a varié. Si, dans un premier temps, alors qu'il était
triumvir, Octavien a utilisé les images du sphinx et du Conquérant comme ornements de
son sceau personnel dans un second temps, devenu Augustus, il les fit totalement
disparaître au profit de sa propre image. Voir O. Weippert, Alexander-Imitatio und römische
Politik in republikanischer Zeit, Würzburg, 1972, p. 254 et p. 259. Sur Alexandre, contre-
modèle d'Auguste, cf. G. Wirth, Alexander und Rom, dans Alexandre le Grand. Image et
réalité (Entretiens sur l'Antiquité classique. Fondation Hardi), Genève, 1976, p. 195. Voir
aussi, P. Ceauçescu, La double image d'Alexandre le Grand à Rome, essai d'une explication
politique, dans Studii clasice, 16, 1974, p. 153-168 et F. Coarelli, Alessandro, I Licinii e
Lanuvio, dans L'Art décoratif à Rome, Rome, 1981, p. 229-284. Sur Auguste imitant au
Palatin les constructions royales hellénistisques regroupées en un centre homogène mais
modeste, cf. P. Zanker, Der Apollontempel auf dem Palatin, dans Città e architettura nella
Roma imperiale, op. cit., p. 21-27.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 533

peut-être encouragée) par le clan égyptophile. Ainsi, selon Jean-Pierre


Martin, l'arrivée de Balbillus à Rome suivit l'assassinat d'Agrippine.
Bien qu'il eût reçu l'appui constant de la fille de Germanicus, le préfet
ne souffrit aucune disgrâce. Il est vrai qu'il avait pris ses précautions :
du monnayage alexandrin de l'année 59/60, il avait fait disparaître les
émissions en l'honneur d'Agrippine alors qu'elles avaient été exécutées
tous les ans depuis son entrée en charge! «Par ce geste, il donnait son
plein accord à la politique de Néron et à sa propagande»85.
De l'admiration pour Alexandre, Néron passa naturellement à
l'admiration pour la ville. Non seulement ses habitants avaient reconnu le
Grand Homme et en étaient en quelque sorte les légataires, non
seulement ils avaient poussé au plus haut degré les ressources de l'esprit
humain et de la créativité artistique, mais ils avaient, de plus, prodigué
à l'empereur des hommages auxquels aucun de ses prédécesseurs
n'avait eu droit, le plaçant dans la lignée des Lagides et de leur
prestigieux modèle. Du reste, à l'égal des princes lagides, n'avait-il pas eu,
pour précepteur un des directeurs du Musée?
Cette attitude de la part de Néron éclaire de la façon la plus
complète les privilèges qu'il accorda aux Alexandrins et sa politique
égyptienne. Les aspects en sont variés. Ils touchent à tous les domaines86.

85 J. -P. Martin, Providentia deorum, op. cit., p. 161-163; Id., loc. cit., dans Pallas, 30,
1983, p. 67.
86 Autres exemples. À l'imitation des Lagides, Néron envoie une mission
géographique et économique en Nubie (Sen., not. 6, 8, 34; Plin., nat., 6, 181). Il fait venir
d'Alexandrie du sable (Suet., Ner., 45, 1), y fait chercher un médecin spécialiste pour soigner son
ami Cossinus (Plin., nat., 29, 93). À la cour, on trouve des flûtistes alexandrins (Tac, ann.,
14, 60, 2), une quantité d'esclaves aux dieux exotiques {ann., 14, 44), un Égyptien habitué
à manger de la chair crue qui seconde Néron dans ses «cruautés» (Suet., Ner., 37, 4).
C'est également un Alexandrin, Dionysos, directeur du Musée d'Alexandrie, qui est, à
Rome, chargé d'une partie de la Correspondance impériale (PIR, II, D, n° 103). Quatre
autres faits sont à mettre au crédit du prestige d'Alexandrie, aux yeux de Néron. D'abord
la transformation de Pouzzoles, le port d'arrivée des bateaux venant d'Alexandrie, en
colonie (Tac, ann., 14, 27, 1. Cf. A. Balland, loc. cit., dans MEFR, 77, 1965, p. 387-391).
Ensuite l'extraordinaire ascension de son frère de lait, Caecina Tuscus qui de fils de
nourrice se retrouve préfet d'Egypte en 63. Ascension surprenante, plus compréhensible
s'il est le fils d'Alexandria plutôt que celui d'Églogé (cf. supra, n. 46). En outre au
moment de l'insurrection de Vindex, Néron est absorbé dans l'examen d'un nouveau
modèle d'orgue (Suet., Ner., 41, 4). La fabrication en est probablement alexandrine: la
ville était à l'origine de cet instrument, cf. W. Apel, Early history of the Organ, dans
Speculum, 23, 1948, p. 192-193, p. 198 et Β. GiLLE, Les mécaniciens grecs, Paris, 1980, p. 91-93.
534 JEAN-LOUIS VOISIN

Mais ils baignent dans une même lumière : la référence aux Lagides. Je
n'en retiendrai ici qu'un seul exemple, celui des émissions monétaires
de l'atelier d'Alexandrie. Les monnaies qui en sortaient exposent des
figures originales. Ainsi la présence de l'égide. Cet attribut de Zeus qu'il
prête à ses représentants est attesté pour la première fois dans le
monnayage de Ptolémée Ier Sôter, d'abord sur des tétradrachmes au nom
d'Alexandre IV, puis sur les bustes monétaires de Ptolémée lui-même.
Au revers, l'aigle et le foudre renforcent les liens entre la puissance du
Lagide et celle du maître de l'univers. Après la dynastie lagide, l'égide
disparaît des monnaies87. Pour la retrouver, il faut attendre le
monnayage néronien de l'atelier grec d'Antioche où, en 59/60, elle est
représentée entourant le cou de l'empereur comme sur les bustes monétaires
des Ptolémées. À partir de 64/65, elle marque les tétradrachmes de
l'atelier d'Alexandrie, vite imité par l'atelier de Rome. Pareillement au
monnayage lagide, elle est, dès 64/65, associée à la couronne radiée.
Les revers ne sont pas moins significatifs : Sarapis apparaît en 63/64; le
Nil, représenté à la mode égyptienne, avec lotus et tiges de papyrus, se
voit pour la première fois la même année et en 65/66, première effigie,
dans le monnayage impérial, de la ville d'Alexandrie portant les
dépouilles d'éléphants88. On ne peut douter que ces monnaies traduisent

Enfin bien que l'objet soit difficile à utiliser, tant les spécialistes en discutent la datation,
les arguments apportés par F. L. Bastet {Nero und die Patera von Aquileia, dans BABesch,
44, 1969, p. 143-161) semblent convaincants. Dans ce cas, la patere, de facture
alexandrine, daterait de 64. À cela s'ajoute le thème de l'âge d'or, cher à Néron. On sait que
l'installation d'un nouveau prince entraîne un nouvel âge, un renouveau séculaire : là encore, il
s'agit d'un emprunt aux Lagides (Cf. C. Préaux, Le monde hellénistique, op. cit., p. 262).
Et la représentation des Saisons, associées à l'Âge d'or, que l'on retrouve dans la DA,
provient elle aussi de la cour ptolémaïque (cf. Y. Perrin, loc. cit., dans MEFRA, 94, 1982,
p. 880, n. 73).
87 Elle apparaît épisodiquement sur quelques camées. Sur l'égide cf. P. Bastien,
Égide, Gorgonéion et buste impérial, dans Numismatica e Antichità classiche, 9, 1980, p. 247-
283; P. GouKOWSKY, Essai... L, p. 134. Sur l'association avec la couronne radiée, cf.
P. Bastien, Couronne radiée et buste monétaire impérial. Problèmes d'interprétation, dans
Numismatica antiqua, Louvain, 1982, p. 264-265.
88 Sarapis : A. Geissen, op. cit., n° 160, n° 161. Sur l'apparition de ce thème monétaire,
cf. W. Hornbostel, Sarapis (EPRO, 32), Leyde, 1973, p. 263-264, p. 370 et V. Tran Ταμ
TiNH, État des études iconographiques relatives à Isis, Sérapis et Sunnaoi Theoi, dans
ANRW, II, 17, 3, p. 1717. Il est, de plus, intéressant de noter que Sarapis est déjà assimilé
à Hélios (V. Tran Ταμ Tinh, Essai sur le culte d'Isis. . ., op. cit., p. 84, n. 5; Id., Le baiser
d'Hélios, dans Studi e materiali, 5, Alessandria e il mondo ellenistico-romano, Rome, 1984,
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 535

une volonté, surtout sensible à partir de 64, de s'intégrer à la tradition


lagide.
Une volonté qui se retrouve, aussi tendue, dans une véritable
stratégie idéologique qui vise à subvertir Rome afin d'y établir, puisque le
déplacement à Alexandrie était impossible (ou trop dangereux), un
gouvernement de style lagide. J'en énonce quelques grandes lignes :
transformation de «Rome en une Néropolis qui, reprenant la tradition des
grandes cités régulières de l'époque hellénistique, rappelât
Alexandrie»89; instauration de fêtes dont l'interprétation peut être plurielle
mais qui dans leurs réalisations ressemblent étroitement aux fêtes
alexandrines : décision royale (ou impériale), utilisation du cadre
urbain, figurants rangés en classes d'âges, place considérable accordée
aux femmes, aux adolescents et aux enfants, rôle des masques,
importance du cadre aquatique, fêtes qui se déroulent la nuit et le jour et où
la licence est admise sinon obligatoire90; si l'instauration de jeux, les
Neronia, et la construction d'un gymnase n'évoquent pas directement
Alexandrie, il faut néanmoins se rappeler que les Ptolemaia furent les
premiers concours de l'époque hellénistique créés à l'image des
concours grecs, que le plus grand gymnase connu se trouvait à
Alexandrie et que l'Egypte lagide foisonne d'attestations du culte royal rendu
dans les gymnases91; création d'une vie de cour ambitieuse où les

p. 321-323). Enfin les temples de Sarapis étaient orientés pour permettre à la statue
cultuelle de recevoir la salutatio Solis (R. A. Wild, The known Isis-Sarapis Sanctuaries of
the Roman Period, dans ANRW, II, 17, 4, p. 1836-1837 et F. Thelamon, Sérapis et le baiser
du Soleil, dans Aquileia e l'Africa, Antichità alto-adriatìche, 5, 1974, p. 227-250. Le Nil:
A. Geissen, op. cit., n° 156; la ville d'Alexandrie : n° 172.
89 A. Balland, loc. cit., dans MEFR, 77, 1965, p. 392. Imitation poussée jusqu'à creuser
une sorte de Canope (ibid., p. 377).
90 Voir supra, n. 22. Pour comparer cf. F. Dunand, Fête et propagande à Alexandrie
sous les Lagides, dans La Fête, pratique et discours, Centre de Recherches d'histoire
ancienne, 42, Paris/Besançon, 1981, p. 13, p. 15-16, p. 23. Sur le «parfum égyptien» des fêtes
données en 64, cf. E. Cizek, Néron, p. 149. En outre, on peut remarquer que le passage où
Tacite (ann., 15, 37) décrit le banquet et la fête dont Tigellin est l'organisateur suit
exactement les lignes (15, 36) où l'historien évoque le voyage prévu à Alexandrie. La liaison se
faisant par : Ipse, quo fidem adquireret nihil usquatn perinde laetum sibi, publicis locis
struere conuiuia totaque Urbe quasi domo uti. Ce qui laisse entendre que les plaisirs que le
Prince cherchait à Alexandrie, se trouvent maintenant à Rome. Sur les plaisirs
d'Alexandrie, cf. A. Bernand, op. cit., p. 298-316.
91 Pour les gymnases et le culte royal, cf. supra, n. 72. Voir C. Préaux, op. cit., p. 265-
266, p. 562-565. En ce qui concerne les jeux organisés par Néron, voir en dernier lieu, la
536 JEAN-LOUIS VOISIN

Augustiani, les philosophes, les amis du prince, les astrologues, les


ambassadeurs occupent une place de premier plan, semblable en cela à
la cour d'Alexandrie92; enfin, peut-être, l'interprétation est délicate,
Γ« embaumement» de Poppée93.

très riche mise au point de M. A. Ca vallerò, Spese e spettacoli. Aspetti economici-struttu-


rali degli spettacoli nella Roma giulio-claudia, Bonn, 1984, p. 54-56, p. 170-182.
92 Pour un parallèle entre cour lagide et aula neroniana, voir d'une part, F. Cumont,
L'Egypte des astrologues, Bruxelles, 1937, p. 30-33; C. Préaux, L'économie royale des Lagi-
des, Bruxelles, 1939, p. 57-60 (en part, sur les obligations de faste que se doivent les rois,
sur le luxe de la cour, sur les grands palais, les parcs où l'on cultive des plantes rares, les
jardins où sont élevés des animaux étranges) ; Id., Le monde hellénistique, op. cit., p. 208-
238. Sur la tryphè comme idéal de vie de la cour ptolémaïque et comme «philosophie
royale du mieux vivre» et sur ses liaisons avec une imprégnation dionysiaque, cf. J. Ton-
driau, La Tryphè, philosophie royale ptolémaïque, dans REA, 50, 1948, p. 49-54. D'autre
part, E. Cizek, Néron, p. 182-256; Y. Perrin, loc. cit., dans MEFRA, 94, 1982, p. 890; Id.,
loc. cit., dans REA, 84, 1982, p. 127-128. Pour Néron séduit par l'étiquette lagide, cf.
M. Malaise, Conditions. . ., op. cit., p. 403. Sur la création des Augustiani inspirée par un
modèle hellénistique, cf. M. Rostowzew, Römische Bleitesserae, Leipzig, 1905, p. 73-74;
A. M. Cavallero, op. cit., p. 68 n. 107. Sur la façon dont cette cour est perçue à Rome,
comme «égyptienne», cf. J.-M. Engel, Tacite et l'étude du comportement collectif, Lille,
1972, p. 152-153.
93 Nous disposons d'un seul texte, Tac, ann., 16, 6, 2 : Corpus non igni abolitum, ut
Romanus mos, sed, regum externorum consuetudine, differtum odoribus conditor, tumulo-
que Iuliorum infertur. Son interprétation divise les spécialistes. Les uns y voient un
«embaumement à l'égyptienne», ou des traits d'une éventuelle influence égyptienne. Les
autres font remarquer que les Juifs et d'autres Orientaux répandaient également sur le
cadavre des aromates sans pour autant l'embaumer. Il me semble que l'on peut sortir de
cette alternative si l'on prend comme référence Alexandrie et l'Egypte lagide plutôt que
l'Egypte pharaonique. On a tout d'abord un modèle, celui du corps d'Alexandre le Grand.
Quinte Curce (4, 10, 4) signale la présence dans l'armée du Macédonien de prêtres
égyptiens. En 10, 10, 13, il précise: itaque Aegyptii Chaldaeique iussi corpus suo more curare
primo non sunt ausi admouere uelut spiranti manus. Deinde precati, ut ius frasque esset
mortalibus attrectare deum, purgauere corpus; repletumque est odoribus aureum solium, et
capiti adiecta fortunae eius insignia. Peu importe la réalité des faits : les contemporains de
Néron, eux, l'imaginaient ainsi. À cela viennent s'ajouter deux autres indices. Lors de
l'apparition de la comète, à la fin de l'année 64, Néron consulte Balbillus. Qui lui répond :
solere reges talia ostenta caede aliqua illustri expiare. . . (Suet., Ner., 36, 2). Par reges, Bai-
billus entend les rois qu'il connaît le mieux, c'est-à-dire les Lagides, dont il sait en outre
l'importance pour Néron. Or, nous trouvons la même expression en ce qui concerne
Poppée : regum externorum consuetudine. Enfin, il est bien connu qu'Alexandrie était le
grand centre d'approvisionnement de parfums (C. Préaux, Le monde hellénistique, op.
cit., p. 504-505), le seul susceptible de fournir une quantité aussi importante que celle
suggérée par Pline (nat., 12, 83). Cet ensemble d'indices laisse supposer une origine
alexandrine à la manière dont a été traité le cadavre de Poppée.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 537

Autre aspect de cette stratégie néronienne, la constitution d'une


mythologie personnelle. Un témoignage nous est parvenu. Suétone
nous apprend que Néron est né tantum quod exoriente sole. Il ajoute :
paene ut radiis prius quant terra contingeretur94. Avec l'image du soleil
naissant, celle qui désignait le pharaon ou son successeur lagide, nous
voici ramenés à l'Egypte. Peut-être même, si l'on suit Pierre Grimai95, à
l'Egypte la plus antique dont une fête, celle de l'union au disque,
continuait d'être célébrée en pleine époque impériale. Quoi qu'il en soit,
touché par les rayons du soleil, marqué d'un signe royal, l'enfant
appartenait avant tout au monde solaire.
C'est dans cette atmosphère alexandrine et égyptisante, où les
images d'Alexandre et d'Alexandrie sont présentes à tous les esprits
éclairés, qu'il faut replacer la construction de la Domus Aurea. À cela,
plusieurs raisons. Psychologiques tout d'abord. On doit se souvenir de la
puissance qu'avaient pour Néron les modèles d'Alexandre et des Lagi-
des. Pour en mesurer la force, un dernier exemple : Néron fut le
premier empereur qui ait eu un sarcophage en porphyre. Ce matériau
égyptien, travaillé à Alexandrie, réservé aux membres de la famille
impériale, trouvait son origine symbolique dans l'Egypte pharaonique
qui l'avait transmise aux Lagides. Une source copte, fondée sur des
sources grecques, rapporte qu'à l'intérieur de la tombe d'Alexandre se
trouvaient huit sarcophages de porphyre. Et Lucain décrit des colonnes
de porphyre dans le palais de Cléopâtre, à Alexandrie96. Jusque dans la

94 Suet., Ner., 6, 1. Texte souvent rapproché, à tort, de Dion Cassius (61,2) qui décrit
l'apparition de lumière au milieu des ténèbres, peu avant le lever du soleil. Deux
traductions possibles : soit (trad. H. Ailloud, C.U.F.) voir en terra un nominatif (. . . en sorte qu'il
fut frappé de ses rayons presque avant la terre), soit un ablatif (de sorte qu'il fut presque
touché par ses rayons avant que de l'être par la terre), qui présente l'avantage de se
référer au rite de la depositio au sol du nouveau-né. Sur cette solution que nous préférons, cf.
P. A. Gallivan, Historical comments on Suetonius, Nero, 6, dans Latomus, 33, 1974, p. 385-
386.
95 P. Grimal, loc. cit., dans REL, 49, 1971, p. 211-212. Voir aussi E. Cizek, Néron, p. 25
et supra n. 57, 58. On sait également par Suétone (Ner., 22, 9) qu'arrivant à Cassiope, dans
l'île de Corcyre, Néron fit ses débuts de chanteur devant l'autel de Jupiter Cassius. Si le
surnom est mal connu, on pense qu'il évoque le lever du soleil, que ce soit celui observé
du Mont Casius en Syrie ou celui qu'attendaient, du Mont Casios, à l'est du Delta, les
Alexandrins (Lucan., 10, 434-435). Cf. à ce sujet, J. Gagé, Apollon Romain, op. cit., p. 654-
655.
96 Suet., Ner., 50, 3; Lucan., 10, 115-116. Sur le porphyre, son travail, son exploitation,
sa diffusion, cf. M. L. Lucci, // porfido nell'Antichità, dans Archeologia classica, 16, 1964,
p. 226-271.
538 JEAN-LOUIS VOISIN

confection de sa dernière demeure, Néron poursuivait son imitation


chimérique. Or, Alexandre est assimilé en Egypte à Hélios. De ce fait, il
a vocation cosmique : à Alexandrie, une statue encore visible à l'époque
de Libanius, mais elle datait du règne de Ptolémée Ier, représentait le
Conquérant sur un socle qui figurait la terre et que soutenaient quatre
colonnes symbolisant les points cardinaux97. On racontait encore
qu'après sa victoire d'Issos, Alexandre siégeait sur un trône d'or dans la
tente de Darius. Circulaire et voûtée, elle symbolisait la Terre et le Ciel
et était installée dans un paradeisos, un de ces immenses parcs entourés
de murs, comprenant des forêts, des sources aménagées, des tours
pour les chasseurs et dans lesquels Alexandre traqua le lion98. Il fut
ainsi le premier à s'approprier un paradeisos oriental. En fit-il
reproduire des éléments à Alexandrie? On ne le sait pas. Toujours est-il que
la surface inaccoutumée des parcs et des jardins de la ville stupéfia les
Anciens. En outre le nombre et la variété des palais royaux auxquels
était associée une citadelle, le fait qu'ils soient dispersés dans ces parcs
où se rencontrait une inhabituelle juxtaposition de tombeaux, d'autels,
de temples, de laboratoires, de fontaines, de bâtiments à usages
pratiques, d'autres construits à des fins purement artistiques, d'animaux de
toute espèce rassemblés dans un zoo par Philadelphie, des arbres et des
fleurs de toutes sortes frappaient leur imagination99.
Si l'on compare maintenant le quartier royal d'Alexandrie avec ce
que nous savons de la Domus Aurea, le parallèle s'impose100. Au
demeurant, il n'est pas étonnant. Comment «l'admirateur fanatique»
d'Alexandre et des Lagides aurait-il pu oublier ces parcs et ces palais?
Et négliger ces machines extraordinaires, telle cette horloge hydrauli-

97 P. Goukowsky, Essai. . ., op. cit., I, p. 149-150 et appendice XXIV, p. 213-214, «la


statue de l'Alexandre Ktistès».
98Diod. Sic, 17, 36, 5; Athénée, 12, 537 d; Quinte Curce, 7, 1, 11. Cf. P. Goukowsky,
Essai. . ., op. cit., p. 123, p. 342 et appendice XIII, p. 191-192, «le luxe royal d'Alexandre».
Sur l'appropriation d'un paradeisos par Alexandre, cf. W. Jashemski, The Gardens of
Pompei, New Rochelle-New York, 1979, p. 68-72. Sur la reprise de cette tente par Néron,
cf. Y. Perrin, loc. cit., dans MEFRA, 94, 1982, p. 881-882 et H. Stierlin, op. cit., p. 138-
139.
99 Strabon, 17, 8-9. Voir A. Bernand, op. cit., p. 112-148; P. M. Fraser, op. cit., p. 14-
16, p. 23, p. 25, p. 199, p. 204, p. 208-209, p. 413, p. 515, p. 610-611.
100 Suggéré par A. W. Byvanck, Le problème de l'art romain, dans BABesch, 33, 1958,
p. 17, par A. Boëthius, op. cit., 1960, p. 97, par A. Balland, loc. cit., dans MEFR, 77, 1965,
p. 367 n. 3. Plus nuancé, P. Grimal, Jardins. . ., p. 85. Hostile, G. Wataghin Cantino, loc.
cit., dans Mesopotomia, 1, 1966, p. 113.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 539

que, une invention de Ktésibios, qui réalisait automatiquement en


projection sur le plan de l'équateur, les mouvements mêmes de la sphère
céleste, alors qu'il souhaitait bâtir une nouvelle ville à l'image
d'Alexandrie101? Comment imaginer qu'il poussât l'imitation jusqu'à rivaliser
avec ses exemples sans concevoir le projet de les dépasser dans tous les
domaines, y compris dans ce qui paraissait le moins imitable?
Comment enfin peut-on admettre que pour une entreprise aussi grandiose
et aussi lourde de significations idéologiques, ni Chaeremon, ni Balbil-
lus, avec tous leurs talents, toutes leurs conceptions du monde et de la
royauté n'aient été consultés?
À ces raisons d'ordre psychologique s'ajoutent quelques apports
archéologiques. Ils sont minces. Mais ils existent. En premier lieu
l'orientation du palais de l'Oppius et les curiosités lumineuses et
astronomiques de la salle octogonale. Elles correspondent au renouveau
d'une pensée qui unit philosophie, mathématique, religion, astrologie,
architecture et qui se met au service d'un monarque cosmocrator, lui
suggérant que l'harmonie de la révolution des astres est le modèle de
l'ordre qui doit régner dans le monde terrestre102. En deuxième lieu la
décoration de la Domus Aurea révèle un goût égyptisant. On trouve des
sphinx, des griffons qui, joints aux autres êtres mythiques, fantastiques
et grotesques, marquent « la volonté de Néron de se poser en prince cos-

101 Sur la machine de Ktésibios, cf. B. Gille, op. cit., 1980, p. 97-101; P. Mingazzini,
loc. cit., dans Quaderni dell'Istituto di storia dell'architettura, 31-48, 1961, p. 21-26;
H. Prückner, S. Storz, loc. cit., dans MDAI (R), 81, 1974, p. 326-399.
102 Trois aspects sont à dégager. Tout d'abord, il y a une rupture avec la tradition
architecturale vitruvienne et augustéenne, cf. P. Gros, Statut social et rôle culturel des
Architectes, dans Architecture et société, Rome, 1983, p. 447. Ensuite existent de puissants
liens entre astrologie et architecture au service du pouvoir néronien, cf. J.-P. Martin, Pro-
videntia. . ., p. 155, p. 182-183; F. Coarelli, Architettura sacra e architettura privata nella
tarda republica, dans Architecture et société, op. cit., p. 213. Enfin, pour les Romains,
l'astrologie, comme une certaine architecture, appartenait plus à la tradition égyptienne qu'à
la tradition chaldéenne, cf. A. J. Festugière, La révélation..., p. 117-118; F. Cumont,
L'Egypte des astrologues, op. cit., passim; C. Froidefond, Le mirage égyptien dans la
littérature grecque d'Homère à Aristote, Paris, 1970, p. 318-319, p. 321-322; E. Baldwin-Smith,
Architectural Symbolism of Imperial Rome and the Middle Ages, Princeton, 1956, p. 124,
p. 126. Aussi la salle octogonale, avec ses particularités lumineuses lors de l'équinoxe (sur
l'importance de l'équinoxe dans les calculs astrologiques, cf. A. J. Festugière, La
révélation. . . p. 99-101; W. Hübner, L'astrologie dans l'Antiquité, dans Pallas, 30, 1983, p. 7-12),
avec ses machineries, sa symbolique, ses possibilités astrologiques pouvait être
considérée comme «égyptienne», ou plutôt de «goût égyptisant». À ce sujet voir supra, n. 10.
540 JEAN-LOUIS VOISIN

mocrator»103. On rencontre également une figure d'Anubis104, des


représentations de grands jardins, peut-être des paradeisoi, des paysages
sacrés caractéristiques de l'Egypte (pyramide)105. En troisième lieu,
F. L. Bastet a montré que la Domus Transitoria, palais précurseur de la
Domus Aurea avait été luxueusement décorée à la façon alexandrine et
vraisemblablement par des artistes originaires d'Alexandrie106. Et il est
fort probable que cet atelier ait continué ses travaux dans le nouveau
palais.
Enfin les contemporains associent Domus Aurea et palais
alexandrins. Les spécialistes s'accordent sur l'évolution politique de Lucain.
En 62, il approuve Néron. En 64 et pendant les premiers mois de
l'année 65, il le combat107. Les dix livres de la Pharsale reflètent cette
évolution. Le dernier, inachevé, est le plus violent réquisitoire contre
l'Empereur. Que décrit-il? Alexandrie, ses palais, leurs luxes. Qui attaque-t-il?
Alexandre, César, Cléopâtre. Mais tous les commentateurs modernes de
Lucain admettent qu'il s'agit, en contrepoint, d'une critique du luxe
néronien, du faste projeté de la Domus Aurea et de celui, passé, de la
Domus Transitoria. En raillant Alexandre, Lucain invective l'empereur
tyran, en condamnant le luxe alexandrin, il discrédite la Domus Aurea
et en accusant la royauté lagide il déprécie les tenants d'une monarchie
à l'égyptienne108. Si le poète connaissait le poids de l'influence
alexandrine sur la politique de Néron, la foule romaine la ressentait
confusément : lors des derniers jours du règne, rapporte Plutarque, le bruit

103 Y. Perrin, Êtres mythiques, êtres fantastiques et grotesques de la Domus Aurea de


Néron, dans DHA, 8, 1982, p. 303-338 (citation p. 324); aussi Id., loc. cit., dans MEFRA, 94,
1982, p. 880.
104 M. De Vos, L'Egittomania in pitture e mosaici romano-campani della prima età
imperiale, Leyde, 1980, p. 22.
105 L'association de la DA avec l'Orient est explicitement faite par Dion Chrysostome,
47, 14-15. Sur la représentation des jardins, cf. W. J. Th. Peters, Die Landschaftbilder in
den Wand - und Deckenmalereien der Domus Aurea, dans BABesch, 57, 1982, p. 58-59. Sur
les paysages sacrés, ibid., 59-61.
106 F. L. Bastet, Domus Transitoria II, dans BABesch, 47, 1972, p. 80, p. 86.
107 Voir en particulier, J. Brisset, Les idées politiques de Lucain, Paris, 1964; P.
Grimal, loc. cit., dans REL, 38, 1961, p. 296-305; Id., Sénèque. . ., p. 201-202.
108 A. Bruhl, loc. cit., dans MEFR, 47, 1930, p. 222; M. A. Levi, op. cit., p. 63-65;
J. Brisset, op. cit., p. 206-210; M. P. O. Morford, loc. cit., dans Eranos, 66, 1968, p. 170-
171 ; F. L. Bastet, Lucain et les arts, dans Lucain (Entretiens sur l'Antiquité classique.
Fondation Hardi), Genève, 1970, p. 139-144; E. Cizek, L'époque de Néron et ses controverses
idéologiques, Leyde, 1972, p. 176-178.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 541

courut que Néron était parti se réfugier en Egypte 109. Un peu plus tard,
l'auteur de l'Apocalypse de Jean confond le colosse de Néron avec la
statue de Memnon : c'est dire à quelle point la liaison s'était faite entre
la Domus Aurea, l'Egypte et le Soleil110. Quant à Dion Chrysostome, il
réunit dans le même exemple de mauvais rois Ptolémée Aulète et
Néron, deux rois musiciens111.
Aussi lorsque Martial, en 80, remercie Titus d'avoir rendu Rome à
elle-même (reddito. Roma sibi es/)112, c'est bien sûr pour avoir
démantelé l'immense parc mais encore pour avoir fait disparaître ce morceau
de terre étrangère ancrée au cœur de Rome. Car ni palais solaire, ni
demeure dionysiaque, la Domus Aurea, véritable territoire alexandrin
au nord de la Méditerranée, était l'un et l'autre. Comme les souverains
lagides étaient à la fois fils de Rê et émules de Dionysos.

Jean-Louis Voisin

ANNEXE

L'EGYPTE VUE DE ROME :


DES ASTROLOGUES SANS FELLAHS

À l'exception de Iulius Alexander113, mais juif et alexandrin, les Romains de


la première moitié du premier siècle semblent ignorer la présence d'indigènes.
Les fellahs n'encombrent guère l'Egypte dont parlent les Romains, celle dont
ils rêvent et qu'ils décrivent, le plus souvent sans même l'avoir visitée114. La

109 Plut., Galba, 2, 1 ; 14, 4. D'ailleurs Néron avait demandé qu'on lui accordât la
préfecture d'Egypte (Suét., Ner., 47, 2).
110 Cf. J. Schwartz, loc. cit., dans BIFAO, 49, 1950, p. 53-54.
111 Dion Chrys., 3, 134-135. Rapprochement avec les Ptolémées dans G. Charles-
Picard, op. cit., p. 208-209.
112 Mart., epigr., 2, 11-12.
113 Voir texte et n. 44. On doit rappeler que dans la Constitution antoninienne de 212,
les Égyptiens appartiennent à la catégorie des déditices.
114 Sur le voyages en Egypte : R. Meyer, Die Bedeutung Aegytens in der lateinischen
Literatur der vorchristlichen Zeit, Zurich, 1964 (montre bien les emprunts à la littérature
542 JEAN-LOUIS VOISIN

parcourent-ils? Ils vérifient alors ce qu'ils ont lu, ou entendu dire, ou vu


représenté et en rapportent des souvenirs conformes aux images fabriquées avant le
départ. Si l'Egypte les fascine, les enchante, les effraie, c'est parce que pour
eux, ce pays s'identifie à un décor exotique surchargé de pyramides et de
monuments colossaux, imprégné de mystères et de religions aux pratiques
scandaleuses et aberrantes, aux dieux bizarres et ridicules, inondé à intervalles
réguliers par un fleuve bienfaisant dont on ignore les sources115. Et les seuls
habitants qu'ils semblent avoir rencontrés répondent à des rôles stéréotypés :
astrologues, sages, prêtres, médecins, astronomes, devins. Cette vision de
l'Egypte, fort éloignée de celle que peut avoir un égyptologue, dérive
directement d'un modèle grec, plus spécialement alexandrin116 quand bien même ce
dernier puise ses informations dans un authentique fond égyptien117. Autre-

grecque et la transformation, sous le poids des événements politiques, d'une réelle


curiosité en une attitude pleine de méfiance); E. Van'T Dack, Les relations entre l'Egypte ptolé-
maïque et l'Italie, dans Studia Hellenistica, 27, p. 383-406, (en part. p. 385-398); N. Hol-
WEIN, Déplacements et tourisme dans l'Egypte romaine, dans Chr. d'Egypte, 30, 1940,
p. 253-278 (p. 261, sur l'attrait d'Alexandrie). Deux exemples. Le voyage de Sénèque :
P. Faider, Sénèque en Egypte, dans BIFAO, 30, 1931, p. 83-87, critique sur l'expérience
égyptienne de l'écrivain (en part. p. 86); inversement, vision favorable de P. Grimal,
Sénèque ou la conscience de l'Empire, Paris, 1978, p. 66-78; interprétation plus «pratique»,
L. Cantarelli, // viaggio di Seneca in Egitto, dans Aegyptus, 8, 1927, p. 89-96. Belle
synthèse sur l'attitude de Sénèque envers la religion égyptienne dans R. Turcan, Sénèque et les
religions orientales, Bruxelles, 1967, p. 39-62. Quant à Pline, cf. M. Malaise, Pline l'Ancien
a-t-il séjourné en Egypte? ', dans Latomus, 27, 1968, p. 852-863. La réponse est négative, ce
qui ne l'empêche pas de s'être informé, mais suivant les canaux d'information
traditionnels. Sur les clichés qui définissent le Nil, cf. B. Post, Die Bedeutung des Nil in der
römischen Literatur, Vienne, 1970, p. 205-214.
115 Sur les attraits de l'Egypte et sur son influence : C. Préaux, La singularité de
l'Egypte dans le monde gréco-romain, dans Chr. d'Egypte, 49, 1950, p. 110-123; Id., Les
raisons de l'originalité de l'Egypte, dans MH, 10, 1953, p. 203-221 ; J. Leclant, Reflets de
l'Egypte dans la littérature latine d'après quelques publications récentes, dans REL, 36,
1958, p. 81-86; Id., On aspect des influences alexandrines en Gaule: les scènes nilotiques
exhumées en France, dans Studi e materiali, 6, 1984, en part. p. 440; M. Malaise, Les
conditions de pénétration et de diffusion des cultes égyptiens en Italie (EPRO, 22), Leyde,
1972, p. 247-251, p. 329 (sur les circuits classiques).
116 Ainsi, B. Van de Walke, Le temple égyptien d'après Strabon, Hommages à W. Deon-
na, Bruxelles, 1957, p. 508 (sur la vision de l'honnête homme devant les monuments
pharaoniques) ; C. Froidefond, Le mirage égyptien dans la littérature grecque d'Homère à Aris-
tote, Paris, 1970. Un exemple de la force du filtre alexandrin, celui des Pygmées connus
des Romains par l'intermédiaire de la «douane d'Alexandrie», cf. J. P. Cèbe, La caricature
et la parodie dans le monde romain antique, des origines à Juvénal, Paris, 1966, p. 345-
354.
117 Cf., par exemple, Ph. Derchain, L'authenticité de l'inspiration égyptienne dans le
Corpus Hermeticum, dans RHR, 161, 1962, p. 174-198.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 543

ment dit, toute documentation sur l'Egypte passe par le canal alexandrin. Au
contact des Grecs, des Juifs, des Égyptiens hellénisés qui vivaient dans la
métropole, les Romains se renseignaient sur l'Egypte118. Le tableau qu'ils en
retiraient, déjà déformé par les filtres du temps et de l'espace, l'était encore
par le filtre alexandrin. Au point d'assimiler Egypte et Alexandrie.

118 Trois exemples de l'influence alexandrine sur la connaissance que les Romains
avaient de l'Egypte : M. Van den Bruwaene, Traces de mythologie égyptienne dans le de
natura deorum de Cicéron, dans Latomus, 38, 1979, p. 368-412; P. Grimal, Le dieu Sérapis
et le Genius de Messalla, dans Bui. de la Société française d'Êgyptologie, 53-54, 1969, p. 42-
51 ; J. Volpihac, Lucain et l'Egypte dans la scène de nécromancie de la Pharsale, VI, 413-
930, à la lumière des papyri grecs magiques, dans REL, 56, 1978, p. 272-287.

Vous aimerez peut-être aussi