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de Rome
Résumé
L'examen de l'orientation du palais néronien construit sur l'Oppius, l'analyse de son site (en particulier dans ses rapports
avec la course apparente du soleil), l'étude du parc et des éléments qui le composent entraînent à regarder du côté
d'Alexandrie d'Egypte. Or, Néron, rassuré et encouragé par des précédents familiaux, exhorté par son entourage, poussé
par ses goûts naturels, fortifié par la gloire d'Alexandre et par l'éclat de ses successeurs, rêve d'Alexandrie. Au point
d'avoir voulu implanter, au cœur de Rome, un « palais », la Domus Aurea, semblable dans sa conception aux palais
alexandrins.
En annexe : « L'Egypte vue de Rome : des astrologues sans fellahs ».
Voisin Jean-Louis. Exoriente sole (Suétone, Ner. 6). D'Alexandrie à la Domus Aurea. In: L'Urbs : espace urbain et
histoire (Ier siècle av. J.-C. - IIIe siècle ap. J.-C.). Actes du colloque international de Rome (8-12 mai 1985) Rome : École
Française de Rome, 1987. pp. 509-543. (Publications de l'École française de Rome, 98);
https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1987_act_98_1_2984
par le soleil entre son lever et son coucher. Les dessins8 de l'abaque
astronomique réalisé par Robert Marchand avec la collaboration de
l'Observatoire du Monte Mario, qui correspondent aux equinoxes avec
leurs légères variations en heures, joints à des relevés très précis,
montrent que, du site du palais (fig. 1 et 2), il était possible de suivre la
8 Dessins utilisés par P. Gros, Aurea Templa, Rome, 1976 qui les décrit ainsi (p. 152) :
«deux tableaux d'où l'on peut déduire, par lecture directe, à quel point remarquable des
déplacements du soleil sur l'horizon au cours de l'année correspond éventuellement un
azimut donné, et inversement, pour une date donnée, quel est l'arc suivi par le soleil
entre son lever et son coucher».
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9 Les problèmes que soulèvent l'orientation solaire des villes ont été étudiés par J. Le
Gall, Les Romains et l'orientation solaire, dans MEFRA, 87, 1975, p. 287-320, en
particulier sur les méthodes des arpenteurs p. 306-308. En revanche, l'orientation des temples ne
répond pas à des préoccupations identiques. «Dans les deux grands sanctuaires augus-
téens du Forum», P. Gros {op. cit., p. 147-153) retrouve «l'écho de spéculations solaires»
et constate une orientation des axes de leurs cellae.
10 Sur l'importance et les implications du dies natalis dans l'architecture
augustéenne, cf. P. Gros, op. cit., p. 147-153. Voir aussi pour un cas particulier, Ed. Buchner, Die
Sonnenuhr des Augustus, Mayence, 1982. L'Horologium augustéen était construit à partir
de l'équinoxe de septembre, date qui coïncidait avec l'anniversaire de la naissance
d'Auguste (pour la symbolique de la victoire sur l'Egypte et sur Marc-Antoine, p. 37). On peut
alors légitimement s'interroger sur les intentions de Néron : volonté de se rattacher à la
tradition augustéenne ou plutôt désir de supplanter Auguste et de réparer ainsi l'outrage
fait à Marc Antoine et à l'Egypte. Sur la rapidité des travaux de la Noua Urbs, cf. A.
Balland, Noua Urbs et Neapolis, remarques sur les projets urbanistiques de Néron, dans
MEFR, 1965, 77, p. 351-352. Sur les multiples utilisations de l'équinoxe, cf. Vitruve, IX et
les commentaires de J. Soubiran {C.U.F., Paris, 1969). Relevons que l'astronomie
populaire romaine s'attache principalement aux solstices et aux equinoxes. Cette conjonction
d'intérêt avec l'astronomie gréco-égyptienne, dans laquelle l'observation des equinoxes et
des solstices joue un rôle essentiel, explique en partie les emprunts romains à
l'astronomie alexandrine. Remarque que je dois à Otta Wenskus. Cf. aussi O. Wenskus, Les vrais et
les faux calendriers agricoles romains, dans Histoire et mesure (à paraître).
Fig. 2 - Carte de la Domus Aurea (d'après J. Β. Ward-Perkins, Nero's Golden House, dans
avec les emplacements des levers et des couchers de soleil.
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11 Sur cette salle, la seule à ne pas porter des traces de peinture et sur les hypothèses
qu'elle a suscitées (est-elle ou n'est-elle pas la cenatio rotunda ?), voir surtout, G. Giovanno-
ni, La cupola della Domus Aurea neroniana in Roma, dans Atti del I Congresso nazionale di
storia dell'architettura (29-31 ott. 1936), 1938, p. 3-6; P. Mingazzini, Tentativo di
ricostruzione grafica della cœnatio rotunda della Domus Aurea, dans Quaderni dello Istituto di
storia dell'architettura, 31-48, 1961, p. 21-26; H. Prückner et S. Storz, Beobachtung im Okto-
gon der Domus Aurea, dans MDAI(R), 81, 1974, p. 326-339; Β. Andreae, L'art de l'ancienne
Rome, Paris, 1973, p. 500-501 ; W. L. Mac Donald, op. cit., p. 38-41 ; L. Beck, Quaestiones
Conuiuales, dans ARID, 12, 1983, p. 88-96; H. Stierlin, Hadrien et l'architecture, Paris,
1984, p. 46-51.
12 Cf. L. Fabbrini, loc. cit., 1983, p. 178-179.
13 Pour cette raison, P. Marchand pense que la référence au nord est possible par
Yoculus. De plus, il estime que cette salle pouvait être inondée et qu'il était alors possible
d'y simuler des conditions de navigation avec, sur la voûte, des représentations des
données astronomiques. Quoiqu'il en soit, comme il n'y avait pas d'étoile «polaire» à cette
époque, le pôle nord céleste frappait moins l'imagination qu'à l'heure actuelle.
14 Ce n'est pas un exemple unique dans la DA. On connaît par Pline (nat., 36, 163) une
pierre, la phengite, variété d'albâtre, découverte en Cappadoce sous le principat de Néron
et utilisée pour la construction d'un temple de la Fortune compris dans le périmètre de la
DA : «même les portes fermées, il y régnait le jour la clarté du dehors, mais de façon
différente, cependant, que celle que procure la pierre spéculaire : la lumière y semble
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enfermée et non pas transmise» (trad. R. Bloch, C.U.F., Paris, 1981). Sur ce temple, cf.
P. Gros, Trois temples de la Fortune des Ier et IIe siècles de notre ère, dans MEFR, 79, 1967,
p. 504; F. Coarelli, La Porta Trionfale e la Via dei Trionfi, dans DArch., 2, 1968, p. 75-76
et contra F. Champeaux, Fortuna. La culte de la Fortune à Rome et dans le monde romain,
Rome, 1982, p. 274-276. De plus, les jeux de lumière (B. Andreae, op. cit., p. 500),
l'opposition ombre/lumière sont partout présents dans la DA. Voir, mais en faisant abstraction de
la démonstration sous-jacente, H. P. L'Orange, Domus aurea. Der Sonnenpalast, dans Serta
Eitremiana, Symbolae Osloenses, suppl., Oslo, 1942, p. 68-100 repris dans Likeness and
Icon, Odense University Press, 1973, p. 292-312, en part. p. 293-294.
15 Sur l'habitude du luxe et des machineries extraordinaires à l'intérieur des maisons
d'habitation, cf. Sen., epist., 90, 15 (nous suivons la chronologie proposée par P. Grimal,
Sénèque ou la conscience de l'Empire, Paris, 1978, p. 451) qui daterait de fin juillet 64,
c'est-à-dire avant la construction de la DA. Voir également M. P. O. Morford, The
Distortion of the Domus Aurea Tradition, dans Eranos, 66, 1968, p. 167-170, p. 173-177 (lettre
datée de l'automne 64). sur le goût de Néron pour les machines étranges, cf. M. Charles-
worth, Nero : some Aspects, dans JRS, 40, 1950, p. 71.
16 Mart., epigr. 2; Tac, ann. 15, 42; Suet., Ner., 31, 1-4. Sur la prodigalité, signe
manifeste d'un mauvais empereur, cf. en dernier lieu, J. Gascou, Suétone historien, Rome,
1984, p. 748-749.
17 Mart., 12, 57, 21. Le premier à utiliser l'expression rus in urbe pour qualifier la DA
m'a semblé être A. Boëthius, The Golden House of Nero, Ann Arbor, 1960, p. 205.
Interprètent la DA comme une uilla traditionnelle, P. Grimal, Les jardins romains, 3e éd., Paris,
1984, p. 233; A. Boëthius, Nero's Golden House, dans Eranos, 44, 1946, p. 443; J. B. Ward
Perkins, loc. cit., dans Antiquity, 30, 1956, p. 212; G. Wataghin Cantino, loc. cit., dans
Mesopotamia, 1, 1966, p. 109, p. 110 etc.; A. Aiardi, Per un'interpretazione della Domus
Aurea, dans PP, 33, 179, 1978, p. 93. Sur l'opposition lexicale domus/uilla, cf. Sylvie Aga-
che, L'idée de uilla dans la littérature latine, thèse dactylographiée, Paris, 1980, «uilla et
domus » p. 77-80. Sur la DA, p. 79-80. Comme aucun écrivain antique ne désigne la DA par
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l'emploi du mot uilla, l'auteur, se fondant sur l'épigraphie (CIL, IV, 1136) suggère
l'utilisation de praedium qui définit indifféremment des propriétés urbaines ou rurales.
18 Mart., epigr. 2, 8.
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dans Antiquity, 30, 1956, p. 212-215; F. L. Bastet, Domus Transitoria I, dans BABesch, 46,
1971, p. 170-172.
23 P. Grimal, Sur deux mots de Néron, dans Pallas, 3, 1955, p. 15-20.
24 Ils sont plutôt ornements, sources de plaisirs et de réflexions, images et rappels de
la Nature.
25 Suet., Ner., 31,3. Voir, à titre de comparaison, Yaviarium de la villa de Varron, cf.
F. Coarelli, Architettura sacra et architettura privata nella tarda repubblica, dans
Architecture et société, Rome, 1983, p. 206-215.
26 Sur le sens philosophique de l'expression, cf. P. Grimal, toc. cit., dans Pallas, 3,
1955, p. 15-20.
27 Si l'on suit les analyses d'E. Cizek, L'expérience néronienne : réforme ou révolution,
dans REA, 84, 1982, p. 105-115 et d'Y. Perrin, La fête néronienne, loc. cit. Sur la fête
perpétuelle, expression de la civilisation du bonheur que Néron voulait instaurer, voir A.
Michel, Tacite et le destin de l'Empire, Paris, 1966, p. 161-163.
28 Pline (nat., 33, 54) va même plus loin : c'est la DA qui englobe la ville! (. . . aurea
domus ambientis urbeml). Cf. encore, nat., 36, 111.
29 Sur les remaniements du Forum et de la Via sacra, cf. E. B. Van Deman, The Nero-
nian Sacra Via, dans A3A, 27, 1923, p. 383-424; Id., The Sacra Via of Nero, dans MAAR,
1925, p. 115-125; A. Balland, loc. cit., dans MEFR, 77, 1965, p. 358-359; M. P. O. Morford,
loc. cit., dans Eranos, 66, 1968, p. 166-167.
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30 Formule empruntée à E. Cizek, Néron, op. cit., p. 129. Voir aussi, Y. Perrin, Néron
et l'Egypte : une stèle de Coptos montrant Néron devant Min et Osiris (Musée de Lyon), dans
REA, 84, 1982, p. 127 : «cadre expérimental, la nouvelle Domus Aurea abrite la nouvelle
vie en gestation : elle en représente le cœur esthétique et idéologique ».
31 La plus célèbre, la plus contestée également, est, sans conteste, la piste orientale
proposée par H. P. L'Orange.
32 C. Charles-Picard, op. cit. Concept étendu au domaine politique par E. Cizek qui
fait un rapide historique du mot, loc. cit., dans REA, 84, 1982, p. 105-106.
33 P. Grimal, Le De dementia et la royauté solaire de Néron, dans REL, 49, 1971,
p. 205-217; Y. Perrin, loc. cit., dans REA, 84, 1982, p. 131. Y. Perrin avait reconnu une
filiation lagide (l'a-t-il abandonnée?), cf. Nicolas Ponce et la Domus Aurea de Néron : une
documentation inédite, dans MEFRA, 94, 1982, p. 881-882.
34 Pour replacer la politique égyptienne dans l'ensemble de la politique de Néron, cf.
W. Schur, Die Orient politik des Kaisers Nero, dans Klio, Beiheft 15, 1923; G. Schumann,
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leur étude se dégage une double attitude de l'empereur. D'une part une
indifférence à l'égard de la population indigène : pour elle, le règne est
marqué par la présence d'une administration plus active, plus efficace,
oppressante aussi et prompte aux abus, alors que le pays traverse une
crise économique. Dans l'ensemble, une conduite conforme à celle de
ses prédécesseurs35. À l'inverse, envers les Alexandrins et les Grecs
d'Egypte, le comportement de Néron, plus original, est déférent, voire
prévenant. Dès les premiers mois de son règne, il témoigne son intérêt
pour la cité fondée par Alexandre et pour la communauté grecque
d'Egypte36. Pendant quatorze années la faveur impériale se manifestera
sans interruption. L'ascension sociale de deux Alexandrins en atteste la
vigueur : Norbanus Ptolémée assume, en 63, les deux charges ducénai-
Hellenistische und griechische Elemente in der Regierung Neros, Leipzig, 1930 (en
particulier p. 4-41 pour l'Egypte); E. M. Sanford, Nero and the East, dans HSPh, 48, 1937, p. 75-
103. Brève et dense synthèse dans E. Cizek, op. cit., p. 84-93, p. 121-123, p. 198-201. À cela,
il convient d'ajouter les articles d'O. Montevecchi, Nerone a una polis e ai 6475, dans
Aegyptus, 50, 1970, p. 5-33; ΕΤΟΥΣ ΕΒΔΟΜΟΥ ΙΕΡΟΥ ΝΕΡΩΝΟΣ, dans Aegyptus, 51,
1971, p. 212-220; Nerone e l'Egitto, dans PP, 30, 1975, p. 48-58; L'ascesa al trono di Nerone
e le tribù alessandrine, dans CISA, 4, / canali della propaganda nel mondo antico, Milan,
1976, p. 200-219; // significato dell'età neroniana secondo i papiri greci d'Egitto, dans Nero-
nia 1977, Clermont-Ferrand, 1982, p. 41-54; de M. Amelotti et L. Migliardi, Nerone agli
Alessandrini, dans SDHI, 36, 1970, p. 410-418; de M. P. Cesaretti, Nerone in Egitto, dans
Aegyptus, 64, 1984, p. 3-25.
35 En particulier, M. P. Cesaretti, loc. cit., dans Aegyptus, 64, 1984, qui note (p. 11-14)
que Néron, comme ses prédécesseurs immédiats, comme les Lagides, adopte, dans sa
titulature hiéroglyphique le système en usage à l'époque pharaonique. Observation
identique pour la titulature en démotique. De même, dans les constructions entreprises par
Néron (p. 19), il y a continuité. Ainsi à Dendara, on achève presque l'ornementation de la
salle hypostyle du temple d'Hathor et l'on entreprend la construction d'un nouveau
manimisi qui sera terminé par les Flaviens et les Antonins cf. F. Dumas, Les mammisis de
Dendara. Le manimisi de Nectanébo, Le Caire, 1955, p. XXII, p. XXIV; Id., Les Mammisis
des temples égyptiens. Étude d'archéologie et d'histoire religieuse, Paris, 1958, p. 348. Sur la
crise économique que connaît le pays depuis Claude et qui atteint son paroxysme sous
Néron, I. H. Bell, The Economie Crisis in Egypt under Nero, dans 1RS, 28, 1938, p. 1-8;
G. Chalon, L'édit de Tiberius Iulius Alexander. Étude historique et exégétique, Lausanne,
1964, p. 53-68; O. Montevecchi, loc. cit., dans Neronia 1977, p. 49-50.
36 Intérêt bienveillant qui marque une rupture avec la politique claudienne. Les
éléments principaux en sont : une correspondance dès 55 (Amelotti/Migliardi, loc. cit., dans
SDHI, 36, 1970); la remise de Yaurum coronarium (Montevecchi, loc. cit., dans Aegyptus,
50, 1970); la réforme des tribus alexandrines, peut-être une réalisation de Claudius Bal-
billus, déjà préparée à l'époque claudienne (Montevecchi, loc. cit., dans PP, 30, 1975,
p. 49, p. 52-53; dans CISA, 4, 1976, p. 206-217; dans Neronia 1977, p. 45-47).
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37 Sur Norbanus Ptolémée, cf. O. Montevecchi, loc. cit., dans Aegyptus, 51, 1971 ; dans
PP, 30, 1975, p. 49; H. G. Pflaum, Les carrières procuratoriennes équestres sous le Haut-
Empire romain, Paris, 1960 et 1961, p. 44, p. 1085, p. 1087; Id., Scripta Varia, II, La Gaule
et l'empire romain, Paris, 1981, p. 252-253; P. R. Swarney, The Ptolemaic and roman Idios
Logos, Microfilm, University of Michigan, Ann Arbor, 1970, p. 138-140.
38 Sur Iulius Alexander, outre O. Montevecchi (loc. cit., dans Aegyptus, 51, 1971,
p. 219-220; dans PP, 30, 1975, p. 49; dans Neronia 1977, p. 45, p. 47-50), cf. H. G. Pflaum,
op. cit., p. 46-49; G. Chalon, op. cit., passim.
39 Néron était le plus jeune empereur que les Romains aient jamais eu, cf. E. Cizek,
Néron, p. 86. Sur la vogue particulière à Alexandrie de la foi en des enfants divins, Ch.
Picard, Sens et portée des arts alexandrins, dans Journal de psychologie normale et
pathologique, 44, 1951, p. 65-84, (en part. p. 83-84). Sur les honneurs en général que les
Alexandrins décernèrent à Néron, cf. G. Schumann, op. cit., p. 8-14.
40 Sur l'origine exclusivement alexandrine de l'expression, cf. O. Montevecchi, loc.
cit., dans Aegyptus, 51, 1971, p. 219-220. Voir également E. Cizek, Néron, 89-91 ; P. Grimal,
Sénèque. . ., p. 161.
41 Sur la stèle de Busiris (OGIS II, 666 = IGRR, I, 1110), deux interprétations
contradictoires. Les uns (Grimal, Sénèque. . ., p. 161-162) y voient un geste de «piété populaire»
qui remercie l'empereur «des heureuses conditions dans lesquelles s'est produite, cette
année-là, l'inondation du Nil». Les autres (G. Chalon, op. cit., p. 53; O. Montevecchi, loc.
cit., dans Neronia 1977, p. 50) la considèrent, avec raison, comme un texte laudatif,
stéréotypé, qui ne doit pas faire illusion et qui n'a pas de valeur de preuve. Sur le Nil soumis
à l'Empereur dans cette inscription, cf. D. Bonneau, La crue du Nil, Paris, 1964, p. 334-
335, p. 358.
42 Sur cet exemple unique, cf. O. Montevecchi, loc. cit., dans Aegyptus, 51, 1971 et
dans PP, 30, 1975, p. 48-49.
43Suet., Ner., 20, 5. Éloges qui émurent si fort l'Empereur qu'il fit aussitôt venir
d'autres Alexandrins. Sur cet épisode, cf. M. Malaise, Les conditions de pénétration et de
diffusion des cultes égyptiens en Italie, EPRO, 22, Leiden, 1972, p. 326, 328, 398, 403. Cf.
également les éloges chantés par des nautes alexandrins en l'honneur d'Auguste, à Pouz-
zoles. Suet., Aug., 98. Autre faveur, plus banale, le mois de Pharmuthi reçoit le nom de
Neroneios Sebastos.
522 JEAN-LOUIS VOISIN
l'édit de Ti. Iulius Alexander44, est plus sensible à nous autres Modernes
qu'aux contemporains de Néron (voir annexe) pour lesquels le voyage
en Egypte se confondait avec celui d'Alexandrie. Ainsi de celui
qu'entreprit, sans le réaliser, Néron en 64. Alors que Tacite signale urbem
reuisit, prouincias Orientis, maxime Aegyptum, secretis imaginationibus
agitans, Suétone précise : peregrinationes duas omnino suscepit Alexan-
drinam et Achaicam45. Pourquoi avoir préparé ce déplacement? Pour
quelles raisons l'Egypte enflammait-elle l'esprit de l'empereur?
La mode pouvait être à l'égyptomanie. A-t-elle exercé son pouvoir
sur le jeune homme? Impossible de l'affirmer ou de l'infirmer. Mais
lorsque ses effets touchent la personne impériale, ils dépassent par
leurs conséquences les caprices d'un engouement passager. D'ailleurs,
le plus souvent, le goût du jour était celui qu'affichait l'empereur. Aussi
est-ce à partir de Néron lui-même que doit être repérée la présence de
facteurs susceptibles de pousser l'empereur à prendre l'initiative d'une
telle expédition.
S'il est difficile d'évaluer le rôle de la première enfance dans la
formation de cette attirance pour l'Egypte46, en revanche de fortes
traditions familiales incitaient l'adolescent, puis l'adulte à regarder avec
bienveillance la terre égyptienne et ses anciens maîtres, les Lagides.
L'Egypte n'avait-elle pas été l'asile de son arrière grand-père, Cn. Domi-
44 Aux Égyptiens le préfet promet d'adoucir leur sort, aux Alexandrins et aux Grecs,
de conserver leurs privilèges. Cf. G. Chalon, op. cit., p. 67.
45 Tac, ann., 15, 36; Suet., Ner., 19, 1. De même, Eucaerus, joueur de flûte est dit
natione Alexandrinus (Tac, ann., 14, 60, 2) et peu après surnommé tibicen aegyptins (Tac,
ann. 14, 61, 4). Le voyage fut bien préparé : on construisit des bains pour Néron (Suet.,
Ner., 35, 5; Dion Cassius-Xiphilin, 63, 18, 1). Sur la date, obligatoirement 64 plutôt que 66
ou 67, cf. H. G. Pflaum, op. cit., p. 45; E. Cizek, Néron, p. 123, p. 148-149.
46 Relevons simplement que les nourrices de Néron restèrent toute leur vie attachées
à leur maître. Ce sont elles (Suet., Ner., 50, 2) qui se chargèrent de ses funérailles. À
l'inverse Néron avait en elles une entière confiance : il se tourna vers elles lorsqu'il apprit
que Galba et que les Espagnes avaient fait défection (Suet., Ner., 42, 1). Elles peuvent
donc avoir laissé à l'enfant une image affective aimable et attractive de leurs pays
respectifs (sur l'importance des nourrices et de leurs rôles, cf. J.-P. Néraudau, Être enfant à
Rome, Paris, 1984, p. 281-287). Or, toutes deux sont d'origine gréco-orientale, si l'on en
croit leurs noms : Églogé et Alexandria. D'après H. Solin, Die griechischen
Personennamen in Rom : ein Namenbuch, Berlin/New York, 1982, on relève pour Rome 94
Alexandria, nomen qui signifierait une origine égyptienne (p. 621-623) ou alexandrine. Et c'est
sous les règnes de Tibère et de Néron qu'apparaissent, datées avec précision, les
premières attestations. Il est donc tout à fait vraisemblable de considérer Alexandria comme
native d'Alexandrie.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 523
1962, p. 257-271), en revanche il est usuel que Pharaon, fils de Rê, soit comparé au Soleil
levant. Sur l'association du soleil levant et du culte royal, plus spécialement de la
nais ance, cf. F. Daumas, Les Mammisis des temples égyptiens, Paris, 1958, p. 124-127, p. 145-149.
Sur la signification de ces chapelles consacrées à la naissance du dieu-fils Horus et à
l'accouchement de la déesse-mère, cf. ibid., p. 26-27, p. 161-166, p. 302, p. 347.
58 Sur la récupération par les Lagides du culte dynastique de rite égyptien, cf. F.
Daumas, op. cit., p. 504-509 (C'est en particulier sous Ptolémée II que le mammisi de Nectané-
bo est remanié «attestant l'importance croissante prise par les rites et la théologie de la
naissance divine.»); C. Préaux, Le monde hellénistique, Paris, 1978, p. 259-261 (sur la
naissance royale et sur l'idée du renouvellement de la vitalité de toutes choses à l'intervention
du roi, p. 262) ; mise au point de L. Koenen, Die Adoptation ägyptischer Königsideologie
am Ptolemäerhof, dans Studia Hellenistica, 27, 1983, p. 142-190.
59 Chaeremon : PIR II, C, n° 706; RE, 3, col. 2025-2027 (E. Schwartz); F. Cumont, Les
religions orientales, Paris, 1929, p. 82, p. 159, p. 238 n. 48; H. R. Schwyzer, Chairemon,
Leipzig, 1932; A. J. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste, Paris, 1944, p. 23,
p. 28-31, p. 86-87; M. A. Levi, Nerone e i suoi tempi, Milan, 1949, p. 93, p. 148, p. 155-156;
M. Malaise, Conditions..., op. cit., p. 403; P. Grimal, Sénèque..., op. cit., p. 68, p. 70,
p. 117-119, p. 160-162; E. Cizek, Néron, surtout p. 30, p. 184; P. W. van der Horst, The
way of life of the Egyptian priests according to Chaeremon, dans Studies in the History of
Religion, 93, 1982, p. 61-71 ; Id., Chaeremon. Egyptian Priest and Stoic Philosopher (EPRO,
101), Leyde, 1984, (Voir le compte rendu de J. Bingen, dans Chronique d'Egypte, 59, 1984,
p. 191-192). Les différents auteurs s'accordent pour penser que Chaeremon et Sénèque se
connaissaient, peut-être dès le voyage de Sénèque en Egypte.
526 JEAN-LOUIS VOISIN
une forte signification idéologique tant elles furent méditées, tant elles
furent spectaculaires.
Deux d'entre elles, entreprises à sa propre initiative, sont fameuses.
Connue par une inscription, la première consista à désensabler le
sphinx de Gizeh confondu avec Harmakhis, transcription grecque du
nom du dieu solaire Hor-em-akhet (Horus dans l'horizon)64. La seconde
que rapporte sa descendante Iulia Balbilla, fut de transformer la
curiosité qui conduisait à la statue de Memnon, appelée par ce nom pour la
première fois par Pline l'Ancien, en tourisme religieux : la première
inscription qui précise l'heure - vraisemblablement la prima hora - date
du 16 mars 65. Trois militaires, tous trois citoyens Romains, l'ont
inscrite sur le côté gauche de la jambe droite du colosse, le côté le mieux
éclairé par le soleil levant65. Ces deux mesures de prestige, on ne l'a pas
assez souligné, loin d'être indépendantes l'une de l'autre, se complètent
harmonieusement. Le dégagement du sphinx rattache le règne naissant
à la tradition pharaonique du Nouvel Empire : à la suite d'un rêve,
Thoutmosis IV, nous le savons par une stèle qui se dresse entre les
pattes du dieu, fit déblayer la statue. Action qui devait lui assurer la
domination sur l'Egypte. Quant à la statue de Memnon, Balbillus, utilisant le
«lien fonctionnel qui existait déjà entre le Colosse et le soleil levant»,
tire profit du profond courant qui «tendait à revaloriser aux yeux des
esprits religieux du monde gréco-romain la vieille religion égyptienne»
pour jeter les bases, près de Thèbes, d'une dévotion nouvelle, inconnue
à l'époque de Strabon. Ce culte réactualise d'anciennes pratiques
égyptiennes, les déforme, les enrichit d'éléments alexandrins et associe
intimement le règne de Néron au soleil levant66.
Ce n'est pas tout. Le monnayage émis à Alexandrie sous la
responsabilité de Balbillus a été peu étudié. A bien été relevée l'apparition,
pour la première fois en 56/57, du motif de l'Uraeus, couronné du
pschent avec à droite et à gauche des épis et des pavots et la légende
Νέο(ς) Άγαθ(ο)δαίμ(ων), ensemble qui doit être mis en rapport avec le
qualificatif décerné au jeune empereur dans l'inscription de Busiris67.
zen der Sammlung des Instituts für Altertumskunde der Universität zu Köln, Bd I, Papyro-
logica Coloniensia, vol. 5, 1974, n°113 (avec bibliographie antérieure). Pour les frappes
ultérieures, cf. n° 127 (57/58), n° 131 et 132 (58/59), n° 142 (59/60). Puis en bronze, n°208,
n°213 (67/68). Sur le motif de l'Agathodémon, sa signification et ses rapprochements
avec la stèle de Busiris, cf. F. Dunand, Les représentations de l'Agathodémon. À propos de
quelques bas-reliefs du Musée d'Alexandrie, dans BIFAO, 67, 1969, p. 9-48 (en part. p. 25,
p. 30); O. Montevecchi, loc. cit., dans CISA, 4, 1976, p. 209-210. Sur la complémentarité de
l'Agathodémon avec les oiseaux dans le conte de la fondation d'Alexandrie afin de donner
à ce geste l'Univers entier comme garant, cf. C. Le Roy, Les oiseaux d'Alexandrie, dans
BCH, 105, 1981, p. 392-406. Sur l'Agathodémon, héritier du dieu égyptien Shaï et déjà
récupéré par les Lagides, mise au point L. Koenen, loc. cit., dans Studia Hellenistica, 27,
1982, p. 153, p. 148-149.
68 A. Geissen, op. cit., n° 121 note dans la main droite une mappa tandis que J.-P.
Martin, Providentia Deorum, op. cit., p. 157 et p. 162 voit un globe. Sur le sens de la légende,
ibid., p. 157-158.
69 Tac, hist., 1, 22, 3. Sur ces astrologues, cf. J.-P. Martin, Providentia Deorum, op.
cit., p. 147-148; Id., loc. cit., dans Pallas, 30, 1983, p. 63-74.
70 Suet., Otho, 12, 2. Sur l'attitude de Poppée, R. Turcan, Sénèque et les religions
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 529
orientales, Bruxelles, 1967, p. 10; M. Malaise, Conditions. . ., op. cit., p. 404-406 (l'auteur
suggère, p. 406, que Poppée éveilla, chez Othon, cette dévotion à Isis); E. Cizek, Néron,
p. 177-180. Concernant le sacellum à Pompéi, cf. V. Tran Ταμ Τινη, Essai sur le culte d'Isis
à Pompéi, Paris, 1964, p. 48-49.
71 E. Cizek, Néron, chap. 2, «la personnalité de Néron», p. 25-70.
72 En ce qui concerne Alexandrie, deux ouvrages, A. Bernand, Alexandrie la Grande,
Paris, 1966 et surtout P. M. Fraser, Ptolemaic Alexandria, Oxford, 1972. Pour l'urbanisme,
les jardins, R. Martin, L'urbanisme dans la Grèce antique, Paris, 1956, p. 251-252; pour les
jardins, P. Grimal, Jardins. . ., p. 84-86, p. 399 n. 3; pour les gymnases, J. Delorme,
Gymnasium, Paris, 1960, p. 137, p. 139. Sur le faste architectural des Lagides, voir en dernier
lieu G. Grimm, Orient une Okzident in der Kunst Alexandriens, dans Aegyptiaca Treveren-
sia, I, 1981, p. 13-25 (en part. p. 14-18).
530 JEAN-LOUIS VOISIN
73 Diod. Sic, 17, 52, 5, éd. trad. P. Goukowsky, C.U.F., Sur la réputation d'Alexandrie
comme capitale du monde, cf. P. Ceauçescu, Altera Roma. Histoire d'une folie politique,
dans Historia, 25, 1976, p. 98-103.
74 Suet., Cal., 52, 3. Avant lui, Marc Antoine, Germanicus avaient, eux aussi, voulu
imiter Alexandre le Grand. Cf. D. G. Weingärtner, op. cit., p. 104-105.
75 A. Bruhl, Le souvenir d'Alexandre le Grand et les Romains, dans MEFR, 47, 1930,
p. 221. Voir également, E. M. Sanford, loc. cit., dans HSPh, 48, 1937, p. 86-89; M. A. Levi,
Nerone e i suoi tempi, Milan, 1949, p. 154 η. 1, p. 208-209.
76 Suet., Ner., 19, 4; Plin., nat., 34, 63.
77 Sur cette statue, actuellement au British Museum, trouvée dans le Suffolk mais
vraisemblablement faite sur le continent, voir J. M. C. Toynbee, Art in Britain under the
Romans, Oxford, 1964, p. 49, pi. V. Sur la chevelure, Suet. Ner., 51,2. Deux
interprétations ont été proposées. H. P. L'Orange (Le Néron constitutionnel et le Néron apothéose,
dans From the Collections of the Ny Carlsberg Glyptothek, 3, Copenhague, 1942, p. 247-267,
repris dans Likeness and Icon, Odense, 1973, p. 278-291 et Apotheosis in ancien
portraiture, Oslo, 1947, p. 57-63) pense qu'il s'agit d'une imitation des portraits héroïsés
d'Alexandre alors que J. M. C. Toynbee (Num. Chron., 7, 1947, p. 126-137 et JRS, 38, 1948, p. 160-
162) penche pour l'imitation de la chevelure des auriges. Les deux explications peuvent
d'ailleurs cohabiter, remarque E. Cizek, Néron, p. 38.
78 Plin., nat., 34, 48 et 82.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 531
ble que Néron choisit Corinthe pour résidence permanente pendant son
séjour en Grèce parce que ses habitants avaient gratifié Alexandre du
droit de cité qu'ils n'avaient donné, avant lui, qu'à Hercule79.
Seulement, inscrire ses pas dans ceux du vainqueur de Darius n'était pas
qu'une simple imitatio. Il y avait, sous-jacent, un choix idéologique :
Alexandre, dont le mythe venait d'être ravivé par Quinte Curce, se
trouvait au cœur des débats politiques romains. S'affrontaient deux images,
l'une positive, l'autre négative, que véhiculaient deux légendes, l'une
«dorée», l'autre «noire», lesquelles renvoyaient à deux conceptions
opposées du pouvoir. Or l'image positive, la légende dorée, était née à
Alexandrie où le souvenir d'Alexandre se trouvait le plus solidemment
enraciné. Dès la fin du IVe siècle et surtout au IIIe siècle y avait été
exaltée la domination universelle exercée par Alexandre, devenu le
prototype du kosmocrator, «maître de toute la terre ainsi que de la mer»,
assimilé à Hélios, portant les attributs de Zeus, d'Ammon, d'Héraklès80.
Au surplus Alexandrie se trouvait à l'origine du développement du
mythe d'Alexandre en Néos Dionysos81.
Eriger Alexandre en modèle entraînait inévitablement Néron à se
tourner vers l'Orient, vers l'Egypte. Et à épouser la conduite des Lagi-
des. Héritiers du Conquérant, promoteurs et gardiens du mythe, ils
incarnaient précisément le nouveau type de souverain qu'aurait
souhaité Alexandre. De surcroît, comme lui, ils se déclaraient descendants des
Pharaons et, à ce titre, étaient salués des noms «Fils de Ré», «Image
82 Sur la volonté de Ptolémée Ier d'imiter Alexandre et sur le rôle essentiel des Lagides
dans le développement du mythe d'Alexandre, cf. P. Goukowsky, Essai. . . 1. 1, op. cit.,
p. 135, t. II, p. 79, 83, p. 134-135. Sur les Lagides, successeurs des pharaons et exploitant
l'héritage pharaonique {supra, n. 58), cf. L. Cerfaux, J. Tondriau, Un concurrent du
christianisme, le culte des souverains dans la civilisation gréco-romaine, Tournai, 1975, p. 208-
212 et L. Koenen, loc. cit., dans Studia Hellenistica, 27, p. 148-149 et pour la titulature
p. 155, p. 169.
83 Pourquoi ne le réalisa-t-il pas ? Il y eut certes des raisons circonstancielles de
politique intérieure, liées en partie à la hantise des Romains de voir se déplacer l'empereur (cf.
Ceausescu, loc. cit., dans Eistoria, 25, 1976, p. 92-94; E. Cizek, Héron, p. 148-149) mais une
autre explication est possible, qui, d'ailleurs, peut s'ajouter à la précédente. On connaît
l'esprit frondeur et le goût critique des Alexandrins. On sait d'autre part que Néron était
un professionnel du spectacle qui «en véritable artiste ne cessa jamais d'avoir le trac»
(A. Baudot, Musiciens Romains de l'Antiquité, Montréal, 1973, p. 67). Il refusa ainsi (ibid,
p. 26), nous apprend Dion Chrysostome 71, 9, déjouer du tibia parce qu'il se sentait
incapable d'élégance dans cet exercice. Enfin, tout montre dans le comportement de
l'Empereur comme homme de spectacle, le souci de procéder par étapes progressives, de plus
en plus difficiles : scène privée, scène publique à Naples, puis la Grèce. Le couronnement
du voyage était-il Alexandrie? C'est probable. Néron alors eut-il peur de ne pas être à la
hauteur et de décevoir ce public qu'il estimait entre tous?
84 En effet l'image d'Alexandre a varié. Si, dans un premier temps, alors qu'il était
triumvir, Octavien a utilisé les images du sphinx et du Conquérant comme ornements de
son sceau personnel dans un second temps, devenu Augustus, il les fit totalement
disparaître au profit de sa propre image. Voir O. Weippert, Alexander-Imitatio und römische
Politik in republikanischer Zeit, Würzburg, 1972, p. 254 et p. 259. Sur Alexandre, contre-
modèle d'Auguste, cf. G. Wirth, Alexander und Rom, dans Alexandre le Grand. Image et
réalité (Entretiens sur l'Antiquité classique. Fondation Hardi), Genève, 1976, p. 195. Voir
aussi, P. Ceauçescu, La double image d'Alexandre le Grand à Rome, essai d'une explication
politique, dans Studii clasice, 16, 1974, p. 153-168 et F. Coarelli, Alessandro, I Licinii e
Lanuvio, dans L'Art décoratif à Rome, Rome, 1981, p. 229-284. Sur Auguste imitant au
Palatin les constructions royales hellénistisques regroupées en un centre homogène mais
modeste, cf. P. Zanker, Der Apollontempel auf dem Palatin, dans Città e architettura nella
Roma imperiale, op. cit., p. 21-27.
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 533
85 J. -P. Martin, Providentia deorum, op. cit., p. 161-163; Id., loc. cit., dans Pallas, 30,
1983, p. 67.
86 Autres exemples. À l'imitation des Lagides, Néron envoie une mission
géographique et économique en Nubie (Sen., not. 6, 8, 34; Plin., nat., 6, 181). Il fait venir
d'Alexandrie du sable (Suet., Ner., 45, 1), y fait chercher un médecin spécialiste pour soigner son
ami Cossinus (Plin., nat., 29, 93). À la cour, on trouve des flûtistes alexandrins (Tac, ann.,
14, 60, 2), une quantité d'esclaves aux dieux exotiques {ann., 14, 44), un Égyptien habitué
à manger de la chair crue qui seconde Néron dans ses «cruautés» (Suet., Ner., 37, 4).
C'est également un Alexandrin, Dionysos, directeur du Musée d'Alexandrie, qui est, à
Rome, chargé d'une partie de la Correspondance impériale (PIR, II, D, n° 103). Quatre
autres faits sont à mettre au crédit du prestige d'Alexandrie, aux yeux de Néron. D'abord
la transformation de Pouzzoles, le port d'arrivée des bateaux venant d'Alexandrie, en
colonie (Tac, ann., 14, 27, 1. Cf. A. Balland, loc. cit., dans MEFR, 77, 1965, p. 387-391).
Ensuite l'extraordinaire ascension de son frère de lait, Caecina Tuscus qui de fils de
nourrice se retrouve préfet d'Egypte en 63. Ascension surprenante, plus compréhensible
s'il est le fils d'Alexandria plutôt que celui d'Églogé (cf. supra, n. 46). En outre au
moment de l'insurrection de Vindex, Néron est absorbé dans l'examen d'un nouveau
modèle d'orgue (Suet., Ner., 41, 4). La fabrication en est probablement alexandrine: la
ville était à l'origine de cet instrument, cf. W. Apel, Early history of the Organ, dans
Speculum, 23, 1948, p. 192-193, p. 198 et Β. GiLLE, Les mécaniciens grecs, Paris, 1980, p. 91-93.
534 JEAN-LOUIS VOISIN
Mais ils baignent dans une même lumière : la référence aux Lagides. Je
n'en retiendrai ici qu'un seul exemple, celui des émissions monétaires
de l'atelier d'Alexandrie. Les monnaies qui en sortaient exposent des
figures originales. Ainsi la présence de l'égide. Cet attribut de Zeus qu'il
prête à ses représentants est attesté pour la première fois dans le
monnayage de Ptolémée Ier Sôter, d'abord sur des tétradrachmes au nom
d'Alexandre IV, puis sur les bustes monétaires de Ptolémée lui-même.
Au revers, l'aigle et le foudre renforcent les liens entre la puissance du
Lagide et celle du maître de l'univers. Après la dynastie lagide, l'égide
disparaît des monnaies87. Pour la retrouver, il faut attendre le
monnayage néronien de l'atelier grec d'Antioche où, en 59/60, elle est
représentée entourant le cou de l'empereur comme sur les bustes monétaires
des Ptolémées. À partir de 64/65, elle marque les tétradrachmes de
l'atelier d'Alexandrie, vite imité par l'atelier de Rome. Pareillement au
monnayage lagide, elle est, dès 64/65, associée à la couronne radiée.
Les revers ne sont pas moins significatifs : Sarapis apparaît en 63/64; le
Nil, représenté à la mode égyptienne, avec lotus et tiges de papyrus, se
voit pour la première fois la même année et en 65/66, première effigie,
dans le monnayage impérial, de la ville d'Alexandrie portant les
dépouilles d'éléphants88. On ne peut douter que ces monnaies traduisent
Enfin bien que l'objet soit difficile à utiliser, tant les spécialistes en discutent la datation,
les arguments apportés par F. L. Bastet {Nero und die Patera von Aquileia, dans BABesch,
44, 1969, p. 143-161) semblent convaincants. Dans ce cas, la patere, de facture
alexandrine, daterait de 64. À cela s'ajoute le thème de l'âge d'or, cher à Néron. On sait que
l'installation d'un nouveau prince entraîne un nouvel âge, un renouveau séculaire : là encore, il
s'agit d'un emprunt aux Lagides (Cf. C. Préaux, Le monde hellénistique, op. cit., p. 262).
Et la représentation des Saisons, associées à l'Âge d'or, que l'on retrouve dans la DA,
provient elle aussi de la cour ptolémaïque (cf. Y. Perrin, loc. cit., dans MEFRA, 94, 1982,
p. 880, n. 73).
87 Elle apparaît épisodiquement sur quelques camées. Sur l'égide cf. P. Bastien,
Égide, Gorgonéion et buste impérial, dans Numismatica e Antichità classiche, 9, 1980, p. 247-
283; P. GouKOWSKY, Essai... L, p. 134. Sur l'association avec la couronne radiée, cf.
P. Bastien, Couronne radiée et buste monétaire impérial. Problèmes d'interprétation, dans
Numismatica antiqua, Louvain, 1982, p. 264-265.
88 Sarapis : A. Geissen, op. cit., n° 160, n° 161. Sur l'apparition de ce thème monétaire,
cf. W. Hornbostel, Sarapis (EPRO, 32), Leyde, 1973, p. 263-264, p. 370 et V. Tran Ταμ
TiNH, État des études iconographiques relatives à Isis, Sérapis et Sunnaoi Theoi, dans
ANRW, II, 17, 3, p. 1717. Il est, de plus, intéressant de noter que Sarapis est déjà assimilé
à Hélios (V. Tran Ταμ Tinh, Essai sur le culte d'Isis. . ., op. cit., p. 84, n. 5; Id., Le baiser
d'Hélios, dans Studi e materiali, 5, Alessandria e il mondo ellenistico-romano, Rome, 1984,
EXORIENTE SOLE (SUÉTONE, NER. 6) 535
p. 321-323). Enfin les temples de Sarapis étaient orientés pour permettre à la statue
cultuelle de recevoir la salutatio Solis (R. A. Wild, The known Isis-Sarapis Sanctuaries of
the Roman Period, dans ANRW, II, 17, 4, p. 1836-1837 et F. Thelamon, Sérapis et le baiser
du Soleil, dans Aquileia e l'Africa, Antichità alto-adriatìche, 5, 1974, p. 227-250. Le Nil:
A. Geissen, op. cit., n° 156; la ville d'Alexandrie : n° 172.
89 A. Balland, loc. cit., dans MEFR, 77, 1965, p. 392. Imitation poussée jusqu'à creuser
une sorte de Canope (ibid., p. 377).
90 Voir supra, n. 22. Pour comparer cf. F. Dunand, Fête et propagande à Alexandrie
sous les Lagides, dans La Fête, pratique et discours, Centre de Recherches d'histoire
ancienne, 42, Paris/Besançon, 1981, p. 13, p. 15-16, p. 23. Sur le «parfum égyptien» des fêtes
données en 64, cf. E. Cizek, Néron, p. 149. En outre, on peut remarquer que le passage où
Tacite (ann., 15, 37) décrit le banquet et la fête dont Tigellin est l'organisateur suit
exactement les lignes (15, 36) où l'historien évoque le voyage prévu à Alexandrie. La liaison se
faisant par : Ipse, quo fidem adquireret nihil usquatn perinde laetum sibi, publicis locis
struere conuiuia totaque Urbe quasi domo uti. Ce qui laisse entendre que les plaisirs que le
Prince cherchait à Alexandrie, se trouvent maintenant à Rome. Sur les plaisirs
d'Alexandrie, cf. A. Bernand, op. cit., p. 298-316.
91 Pour les gymnases et le culte royal, cf. supra, n. 72. Voir C. Préaux, op. cit., p. 265-
266, p. 562-565. En ce qui concerne les jeux organisés par Néron, voir en dernier lieu, la
536 JEAN-LOUIS VOISIN
94 Suet., Ner., 6, 1. Texte souvent rapproché, à tort, de Dion Cassius (61,2) qui décrit
l'apparition de lumière au milieu des ténèbres, peu avant le lever du soleil. Deux
traductions possibles : soit (trad. H. Ailloud, C.U.F.) voir en terra un nominatif (. . . en sorte qu'il
fut frappé de ses rayons presque avant la terre), soit un ablatif (de sorte qu'il fut presque
touché par ses rayons avant que de l'être par la terre), qui présente l'avantage de se
référer au rite de la depositio au sol du nouveau-né. Sur cette solution que nous préférons, cf.
P. A. Gallivan, Historical comments on Suetonius, Nero, 6, dans Latomus, 33, 1974, p. 385-
386.
95 P. Grimal, loc. cit., dans REL, 49, 1971, p. 211-212. Voir aussi E. Cizek, Néron, p. 25
et supra n. 57, 58. On sait également par Suétone (Ner., 22, 9) qu'arrivant à Cassiope, dans
l'île de Corcyre, Néron fit ses débuts de chanteur devant l'autel de Jupiter Cassius. Si le
surnom est mal connu, on pense qu'il évoque le lever du soleil, que ce soit celui observé
du Mont Casius en Syrie ou celui qu'attendaient, du Mont Casios, à l'est du Delta, les
Alexandrins (Lucan., 10, 434-435). Cf. à ce sujet, J. Gagé, Apollon Romain, op. cit., p. 654-
655.
96 Suet., Ner., 50, 3; Lucan., 10, 115-116. Sur le porphyre, son travail, son exploitation,
sa diffusion, cf. M. L. Lucci, // porfido nell'Antichità, dans Archeologia classica, 16, 1964,
p. 226-271.
538 JEAN-LOUIS VOISIN
101 Sur la machine de Ktésibios, cf. B. Gille, op. cit., 1980, p. 97-101; P. Mingazzini,
loc. cit., dans Quaderni dell'Istituto di storia dell'architettura, 31-48, 1961, p. 21-26;
H. Prückner, S. Storz, loc. cit., dans MDAI (R), 81, 1974, p. 326-399.
102 Trois aspects sont à dégager. Tout d'abord, il y a une rupture avec la tradition
architecturale vitruvienne et augustéenne, cf. P. Gros, Statut social et rôle culturel des
Architectes, dans Architecture et société, Rome, 1983, p. 447. Ensuite existent de puissants
liens entre astrologie et architecture au service du pouvoir néronien, cf. J.-P. Martin, Pro-
videntia. . ., p. 155, p. 182-183; F. Coarelli, Architettura sacra e architettura privata nella
tarda republica, dans Architecture et société, op. cit., p. 213. Enfin, pour les Romains,
l'astrologie, comme une certaine architecture, appartenait plus à la tradition égyptienne qu'à
la tradition chaldéenne, cf. A. J. Festugière, La révélation..., p. 117-118; F. Cumont,
L'Egypte des astrologues, op. cit., passim; C. Froidefond, Le mirage égyptien dans la
littérature grecque d'Homère à Aristote, Paris, 1970, p. 318-319, p. 321-322; E. Baldwin-Smith,
Architectural Symbolism of Imperial Rome and the Middle Ages, Princeton, 1956, p. 124,
p. 126. Aussi la salle octogonale, avec ses particularités lumineuses lors de l'équinoxe (sur
l'importance de l'équinoxe dans les calculs astrologiques, cf. A. J. Festugière, La
révélation. . . p. 99-101; W. Hübner, L'astrologie dans l'Antiquité, dans Pallas, 30, 1983, p. 7-12),
avec ses machineries, sa symbolique, ses possibilités astrologiques pouvait être
considérée comme «égyptienne», ou plutôt de «goût égyptisant». À ce sujet voir supra, n. 10.
540 JEAN-LOUIS VOISIN
courut que Néron était parti se réfugier en Egypte 109. Un peu plus tard,
l'auteur de l'Apocalypse de Jean confond le colosse de Néron avec la
statue de Memnon : c'est dire à quelle point la liaison s'était faite entre
la Domus Aurea, l'Egypte et le Soleil110. Quant à Dion Chrysostome, il
réunit dans le même exemple de mauvais rois Ptolémée Aulète et
Néron, deux rois musiciens111.
Aussi lorsque Martial, en 80, remercie Titus d'avoir rendu Rome à
elle-même (reddito. Roma sibi es/)112, c'est bien sûr pour avoir
démantelé l'immense parc mais encore pour avoir fait disparaître ce morceau
de terre étrangère ancrée au cœur de Rome. Car ni palais solaire, ni
demeure dionysiaque, la Domus Aurea, véritable territoire alexandrin
au nord de la Méditerranée, était l'un et l'autre. Comme les souverains
lagides étaient à la fois fils de Rê et émules de Dionysos.
Jean-Louis Voisin
ANNEXE
109 Plut., Galba, 2, 1 ; 14, 4. D'ailleurs Néron avait demandé qu'on lui accordât la
préfecture d'Egypte (Suét., Ner., 47, 2).
110 Cf. J. Schwartz, loc. cit., dans BIFAO, 49, 1950, p. 53-54.
111 Dion Chrys., 3, 134-135. Rapprochement avec les Ptolémées dans G. Charles-
Picard, op. cit., p. 208-209.
112 Mart., epigr., 2, 11-12.
113 Voir texte et n. 44. On doit rappeler que dans la Constitution antoninienne de 212,
les Égyptiens appartiennent à la catégorie des déditices.
114 Sur le voyages en Egypte : R. Meyer, Die Bedeutung Aegytens in der lateinischen
Literatur der vorchristlichen Zeit, Zurich, 1964 (montre bien les emprunts à la littérature
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ment dit, toute documentation sur l'Egypte passe par le canal alexandrin. Au
contact des Grecs, des Juifs, des Égyptiens hellénisés qui vivaient dans la
métropole, les Romains se renseignaient sur l'Egypte118. Le tableau qu'ils en
retiraient, déjà déformé par les filtres du temps et de l'espace, l'était encore
par le filtre alexandrin. Au point d'assimiler Egypte et Alexandrie.
118 Trois exemples de l'influence alexandrine sur la connaissance que les Romains
avaient de l'Egypte : M. Van den Bruwaene, Traces de mythologie égyptienne dans le de
natura deorum de Cicéron, dans Latomus, 38, 1979, p. 368-412; P. Grimal, Le dieu Sérapis
et le Genius de Messalla, dans Bui. de la Société française d'Êgyptologie, 53-54, 1969, p. 42-
51 ; J. Volpihac, Lucain et l'Egypte dans la scène de nécromancie de la Pharsale, VI, 413-
930, à la lumière des papyri grecs magiques, dans REL, 56, 1978, p. 272-287.