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11 mai : 11 photographies du confinement analysées par


deux sociologues de l'image
11/0 5 / 2 0 2 0 (MIS À J O UR À 07:34)

Par Yvan Plantey

Analyses croisées | La France entame son déconfinement progressif ce lundi 11 mai.


Le confinement aura permis aux photographes de saisir ces images des grands
boulevards ou artères vides mais aussi des scènes singulières. Deux sociologues les ont
décryptées pour nous, Gianni Haver et François Cardi.
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Gianni Haver : "Avec cette photo, on a envie de rentrer dans le lyrisme plus que dans l'analyse et se laisser
porter par le ressenti. Elle nous renvoie à des éléments de vécu de cette pandémie." • Crédits : Dominique
Bigelow

Pour Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, la pandémie de Covid-19
est la "pire crise mondiale depuis que l'ONU a été fondée". Alors que la France recense
139 000 cas et 26 380 morts, la tendance semble suffisamment à la baisse pour le
gouvernement qui décide d'opérer un déconfinement partiel de la population ce lundi 11
mai, près de deux mois après le début du confinement.

De la photographie vernaculaire, prise par n'importe qui pour immortaliser son moment, à
la photographie de presse destinée à tout illustrer, le confinement est devenu une source
d'inspiration pour presque quiconque se promenait avec un boîtier professionnel ou un
téléphone portable. Parmi les 11 images que nous avons choisies, toutes proviennent de
photographes professionnels, sauf une. Certaines contiennent intrinsèquement la
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dimension Covid-19, alors que d'autres sont plus "globale[s], sans clé d'entrée, non
discursive[s], apte[s] à changer de sens sous l'effet des variations de contextes", comme
l'écrivait la chercheuse Monique Sicard, dans La fabrique du regard : images de science et
appareils de vision (XVe-XXe siècle).

Pourtant, cette photographie réalisée par un "amateur" est l'une des plus marquantes
 les
pour deux spécialistes que nous avons interrogés. Le premier, 
DIRECT Gianni Haver,
00:00 / 00:00est 
professeur de sociologie de l'image et d'histoire sociale des médias à l'Université de
Lausanne (Suisse) et auteur de La presse illustrée : une histoire romande, en 2018. Le
second, François Cardi, est professeur de sociologie de l'éducation et de la formation, et
en sociologie de l'art (photographie) à l'Université d'Évry et il a publié Une démarche
inductive en sociologie visuelle : le commentaire analytique.

Deux générations séparées par une vitre et le Covid-19


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"La photo de ma chère Addison et ma grand-mère Fluffy est devenue virale. Je ne vois personne de plus
doux et de plus gentil pour diffuser un message d'amour et d'espoir", écrit l'internaute qui a posté cette
photo sur Facebook • Crédits : Dominique Bigelow

François Cardi : Elle est très touchante, car on voit bien qu'il y a tout un jeu de reflets et de
transparence entre cette vieille dame et cette petite fille. Il y a, à la fois, la séparation de
deux personnes par la vitre et puis une correspondance qui reste forte. Et c'est très
troublant ce jeu de transparence et de séparation. On voit une correspondance presque
terme à terme entre les deux visages : les yeux, les nez, les bouches, les oreilles sont à la
même hauteur. D'un côté, il y a une grande oreille, de l'autre, on a une petite oreille qui
était très ourlée, très mignonne. Il y a des rides sur le visage de la dame qui ont pour
correspondance, et ça c'est très touchant aussi, la joue et les coins d'yeux lisses de la
fillette. Et enfin, il y a la vieille main de la dame, très soignée, avec la main de la fille qui lui
esquisse un baiser. Elle lui rend son baiser mais sans la main et à travers la vitre. La
vieille dame a aussi du rouge à lèvres, la petite fille a les lèvres rouges comme celles des
petits enfants, ce qui estLEtoujours
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en général très rouge et très mignon.

C'est une très belle photo, avec beaucoup de complicité. On voit que la voiture va partir et,
c'est là où la dimension du Covid-19 apparaît. On se demande si ce n'est pas la dernière
fois que la vieille dame voit cette gamine. Il y a vraiment un dialogue entre générations qui
est dramatisé par le coronavirus. Il y a, à la fois, une jeunesse invraisemblable chez cette
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vieille  00:00
dame et un aspect assez mûr chez cette petite fille. C'est l'idée de quelque
/ 00:00 chose
d'inéluctable et de dramatique qui passe, mais qui n'est pas tragique. Cette dame a l'air
d'avoir accepté son âge, d'avoir accepté de faire des bisous à travers la vitre à cette petite
gamine. La gamine est très contente aussi. Et il y a le sourire de cette dame qui est
ineffable et même incroyable. J'aimerais bien avoir une grand mère qui a un sourire pareil
!

Je voulais aussi relever le format carré de la photo qui renforce la proximité des deux
personnages. D'abord, ça contraint à concentrer le regard, à construire une photo tout à
fait différente : elle est construite en croix verticale. Et puis, cela renforce beaucoup ce qui
se passe dedans avec ce dialogue entre les générations. Le photographe a perçu que
quelque chose passe entre ces deux êtres et c'est très réussi.

Gianni Haver : Cette photo est très belle et l'esthétique remplit une fonction
communicationnelle. Cette image nous renvoie à tout : au début et la fin de la vie, à la
séparation, la beauté des corps. La jeune fille est jolie et la vieille dame est belle. Ce n'est
pas un hasard que le ciel et les nuages soient du côté de cette dernière. On a envie de
rentrer dans le lyrisme plus que dans l'analyse et se laisser porter par le ressenti. Elle
nous renvoie à des éléments de vécu de cette pandémie : ma maman est en Italie donc
on communique à distance, mais les parents de ma compagne sont âgés alors on va les
voir, leur apporter des courses et on prend nos distances. Il y a cette "proximité distante"
qui nous touche tous.

Je dirais que cette photo a toutes les caractéristiques pour devenir iconique : elle est loin
du style documentaire et on est dans l'humain et dans les sentiments. L'histoire nous
enseigne que l'émotion joue un rôle dans la photographie. Comme celle-ci, les photos
célèbres sont des "instants décisifs" comme disait Henri Cartier-Bresson. On pense
notamment à l'exécution de Saïgon, la petite fille au napalm, la fleur devant le fusil, où il y
a un drame humain qui amène vers la souffrance. Là, on a un côté émotionnel presque
positif grâce à l'affection qui s'en dégage mais qui très fort quand même, car il y a la
séparation de ces deux êtres.

Un instant inouï dans un TGV médicalisé


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Le personnel médical installe des patients infectés par le Covid-19 à bord d'un train TGV médicalisé à la
gare d'Austerlitz, à Paris, pour être évacué vers d'autres hôpitaux situés en Bretagne, le 1er avril 2020. •
Crédits : Thomas Samson - AFP

FC : C'est l'une des plus intéressantes sur le plan documentaire avec celle du policier
indien car elles montrent toutes les deux le caractère tout à fait exceptionnel de la période
que nous vivons. La mention "InOui" est le punctum à l'état pur (selon Roland Barthes, il
est "piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure – et aussi coup de dés. Le punctum
d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point mais aussi me meurtrit, me poigne")
car tout est inouï dans cette photographie. Et j'ai construit un petit texte autour de cela
que je tenais à vous lire :

Écouter

François Cardi : "Elles sont inouïes ces charlottes à fleurs


bleu, blanc, bordeaux ; comme si le mal était si profond
1 MIN et le soin si exténuant qu'il fallait, en les oubliant, que
leur couleur continue la vie"

GH : Il y a une symbolique assez particulière, parce que le TGV est un symbole identitaire
français. Ce n'est pas le plus grand, ni le plus important (Marianne, la Tour Eiffel), mais
quand même, à l'étranger, c'est l'un des éléments qui définit la France. La première chose
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qui nous frappe, c'est cet attirail médical dans un espace si restreint. On ne comprend
pas tout de suite que l'on est dans un TGV. Après, on voit InOui TGV et on percute. Le
regard descend et on voit les sièges dans lesquels on a été si souvent assis et cet espace
presque familier que l'on a parcouru plusieurs fois. Je pense que la force de cette photo
réside dans cette dualité : l'extraordinaire dans un lieu familier. 

Ilfaut DIRECT
aussi noter les chapeaux avec ces petites fleurs et ces algues  qui m'étonnent
00:00 / 00:00 par
rapport à la technicité et au high-tech qu'il y a à bord. C'est un bel exemple de la
dimension globale de cette photo : elle est humaine sans que l'on ne voit de visage. Les
malades, comme les soignants, sont submergés par les appareils médicaux mais cette
image déborde de vie malgré tout.

À Clichy-sous-Bois, les droits des hommes et ceux de la


nature

Des habitants de Clichy-sous-Bois font la queue en attendant de recevoir de l'aide alimentaire auprès de
l'association ACLEFEU, le 22 avril 2020. À ce moment, la France entame son 37e jour de confinement. •
Crédits : Ludovic Marin - AFP

FC : Cette image m'interpelle dans sa composition : la courbe de la file d'attente, le


premier plan très présent avec cette herbe sauvage sur laquelle se trouve le photographe.
Pour avoir vu de nombreux espaces dans les quartiers, je n'ai jamais vu une herbe si
haute. Elle reprend ses droits et elle contraste avec la végétation que l'on voit de l'autre
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côté du carrefour. Il y a un voisinage entre cette herbe sauvage qui pousse et ces gens qui
attendent sans fin. Cela met en lumière une différence saillante : la nature reprend ses
droits et les hommes voient leurs droits fortement limités. Cela va du droit de se
promener, d'acheter, de consommer, de s'embrasser, à celui d'être les uns auprès des
autres.

 quiDIRECT
Ce m'intéresse, c'est cette idée que l'on appelle, en sociologie 
urbaine,
00:00 la "nature dé-
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naturée" par les architectes et que l'on "re-nature" pour en faire des allées, des terre-
pleins centraux pour les boulevards, les autoroutes, etc. La végétalisation de ces espaces.
Là, on est au-delà de cette problématique et la nature n'a plus rien à faire de la "dé-
naturation", ni de la "re-naturation" : elle reprend ses droits.

GH : De nouveau, cette image est une "image coronavirus" parce qu'on nous le dit. On voit
des gens qui font la queue ou qui attendent quelque chose. Le premier élément qui me
vient à l'esprit, c'est cette distanciation sociale, dont on entend parler tous les jours, qui
est mal respectée. Elle est respectée à droite de l'image mais, à gauche, les gens
semblent beaucoup plus regroupés. On sait aussi qu'on est dans un milieu défavorisé et
on peut imaginer que les gestes barrières sont appliqués de manière inégale, que nous ne
sommes pas égaux face au fait d'avoir intégré, ou non, des gestes barrières. Mais ça, c'est
de l'extrapolation. C'est pour ça que la photo a un lien avec le réel qui est à la fois très
proche et très éloigné, car c'est un art limité par le cadrage et par le temps. On ne sait pas
ce qu'il se passe à côté, ni avant ou après le déclenchement de l'appareil. La photo,
comme le montre par exemple le soldat républicain milicien de Robert Capa, c'est un
instant. Il faut effectivement interpréter cette image par sa résonance, et les significations
sociales qu'elle acquiert à un moment donné et qu'elle va peut-être perdre dans la
seconde.

Au Pays de Galles, cinq chèvres renversent le monde


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Fin mars, un troupeau de chèvres est aperçu durant le confinement dans la ville balnéaire de Llandudno, au
Pays de Galles. • Crédits : Peter Byrne - AFP

FC : Qu'elles sont étonnantes ! Ces cinq chèvres qui se promènent dans la rue et qui
trimballent leur magnifique laine devant un magasin - celui du milieu - qui vend justement
de la laine. Il y a quelque chose d'intéressant car, en général, quand on regarde de la
laine, on remonte jusqu'à la chèvre. C'est-à-dire que, d'habitude, on remonte la chaîne à
partir du produit fini pour revenir jusqu'au produit de base, la chèvre. On le lit le monde à
l'envers, si l'on peut dire. Là, cette photographie permet d'inverser ce rapport et de nous
faire lire le monde à l'endroit. On se rappelle ensuite qu'il faut traiter la laine sur le dos de
ces bêtes, la carder, la nettoyer, la filer, la teindre, la recomposer sous forme de
vêtements, etc. On s'aperçoit d'un seul coup que la nature est là alors qu'on l'avait
oubliée. Il y a aussi quelque chose d'humoristique avec le panneau de stationnement qui
importe bien peu à ces chèvres qui sont complètement en désaccord avec notre monde
social ordinaire.

GH : J'adore, elle est sympa ! La photo est étonnante car il y a une absence humaine dans
ces rues mais aussi ces chèvres sont à la queue leu-leu. Si on voulait extrapoler sur le
côté britannique, ça rappelle vaguement la photo des Beatles qui traversent la rue. Mais
sur cette photographie, il y a un côté moralisant sans qu'il soit péjoratif. On réalise qu'il
suffit de quelques jours d'absence de l'activité humaine pour que la nature respire et
reprenne ses droits. Cela nous rappelle aussi que la vie va continuer, même sans nous.
Mais cela peut aussi évoquer une autre référence qui nous vient du milieu fictionnel : on a
déjà vu des scènes semblables dans les films d'anticipation et du genre
postapocalyptique. Des villes désertes dans lesquelles l'urbain redevient forêt, nature. On
est face à un genre qui a été beaucoup traité dans la littérature, dans le cinéma, dans la
bande-dessinée, mais cette image prend quand même son sens parce qu'elle est
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inhabituelle.

Même si elle est amusante, il y avait également dans le photojournalisme des années
1930 une place réservée aux photos surprenantes, par exemple dans le magazine Vu. Je
me suis renseigné et celui qui a photographié ces chèvres les a suivies pendant tout
l'après-midi et il a dû mitrailler pour obtenir cette bonne photo, comme l'avait fait Alberto
 DIRECT
Korda  00:00
pour réaliser le Guerrillero Heroico avec le Che Guevara. Quand on regarde
/ 00:00 la 
planche contact de ce dernier, les autres sont anodines mais pas celle que l'on connaît.

Docteur Li Wenliang, le martyr du Covid-19

Un mémorial en hommage au Docteur Li Wenliang, originaire de Wuhan et lanceur d'alerte du Covid-19,


tenu par des étudiants chinois devant l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA), le 15 février 2020. •
Crédits : Mark Ralston - AFP

FC : Ce qui m'a frappé, c'est le dessin du lanceur d'alerte sur la droite de la photo. Mais
cela ne veut pas dire que c'est la seule chose intéressante parce qu'en réalité, c'est le
dernier élément que l'on aurait pu remarquer. Si on lit la photo de gauche à droite, on voit
d'abord cette femme qui dépose un bouquet de fleurs blanches. Elle est presque
anonyme car elle est courbée et de dos. Mais ce qui m'intéresse, c'est ce panneau blanc
d'abord parce qu'il est en noir et blanc dans une image en couleurs et ensuite car c'est un
cadre dans le cadre d'image. Le médecin, que l'on voit à peine derrière ces lunettes, n'a
pas été photographié, ni dessiné sans masque. Il est représenté par ce qui le symbolise
et ce qui symbolise sonLE DIRECT
histoire.

L'image qui m'intéresse le plus est celle de droite. À commencer par le fait qu'il est
dessiné et non pas photographié. Cela montre un traitement particulier de l'apparence de
ce médecin qui renvoie, selon moi, plus profondément à la culture chinoise qu'à celle de
la photographie. Ensuite, son dessin est comme couronné par un ruban mortuaire. Dans
 les
tous cas, c'est une sorte d'hommage rendu au médecin que del'avoir
DIRECT 00:00présenté
/ 00:00 comme
cela. Pour moi, c'est un hommage bien plus qu'une mythification car dans la
représentation des mythes, qu'ils soient révolutionnaires ou dictateurs, il y a une sorte de
lyrisme dans leur mise en scène et celle-ci est dramatisée. Ce n'est pas le cas ici.

GH : Ce mini mausolée qu'on a consacré à Li Wenliang est très intéressant. On est face à
la construction de l'individualisation héroïque du martyr qui est assez courante dans des
situations graves avec beaucoup de morts (guerres, catastrophes). Li Wenliang remplit
parfaitement ce rôle à la fois de héros et de martyr. On pourrait presque tenter la
comparaison avec celle du professeur Didier Raoult car on a vu des photos semblables à
Marseille. C'est un peu l'image de l'incompris qui avait peut-être raison au final.

Nous avons également une photographie d'une photographie, qui l'ancre dans le réel et
aussi, un dessin qui est tiré de la photographie, mais qui, d'une certaine manière, nourrit
encore plus le mythe. Le portrait constitue une étape supplémentaire par rapport à une
construction de mythe par l'image. Évidemment, cette image n'est pas lue de la même
manière si on se trouve en France, en Italie ou en Chine. La Chine a récupéré la figure de
cette ophtalmologue en omettant le couac initial, alors qu'en Occident, on insiste plutôt
sur le fait que la première réaction des autorités chinoises a été d'occulter le médecin.

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Covid-19 : ces lanceurs d’alerte menacés pour avoir dit la vérité sur la pandémie

Les intentions masquées de Xi Jinping


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Le président chinois, Xi Jinping, dirige une téléconférence et prononce un discours important après des
recherches autour de l'épidémie de Covid-19 qui a débuté à Wuhan, dans la province du Hubei. • Crédits :
Ju Peng - Maxppp

FC : Je me suis demandé pourquoi il portait un masque. C'est quand même l'un des
dirigeants les plus puissants de la planète. On peut penser que, à moins qu'il ait des
collaborateurs dans le bureau politique qui cherchent à le faire tomber malade, c'est l'un
des mieux protégés sur la planète. Un peu comme le policier indien, je me suis dit qu'il
porte un masque par souci pédagogique pour montrer que lui aussi se conforme aux
règles. J'ai été frappé par le caractère assez inexpressif du regard de cet homme et par
le caractère très impersonnel de son vêtement qui est sans élégance. Je me suis
demandé de quoi cet homme est le nom ou le produit, pour reprendre les mots d'Alain
Badiou à propos de Nicolas Sarkozy. Quelles sont les forces politiques qui l'ont mené
jusqu'ici ? Mais après, il s'agit de politique et ce n'est plus mon domaine.

Pour revenir sur la photo, elle est prise par un téléobjectif, ce qui explique pourquoi le
premier plan avec le nom de Xi Jinping et le rideau sont flous. Le rideau est indescriptible
au sens propre du terme : on ne sait pas de quelle couleur il est, ni la matière qui le
compose. Regardons un peu les plis du vêtement de Xi Jinping : il est habillé comme
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n'importe qui. Son masque, également, est celui que tout le monde peut avoir.

GH : Sur cette photo, on peut voir un punctum avec le masque. On est sur une photo très
classique - de nombreuses comme celle-ci ont arrosé les sites des agences de presse
depuis que Xi Jinping est au pouvoir - car c'est une conférence de presse banale où le
Président a les cheveux impeccables mais il y a ce masque. C'est l'élément central, qui se
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détache sur cette photo. C'est comme l'Autoportrait en Mona Lisa de Dali ou/ 00:00
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le L.H.O.O.Q
de la Joconde (essayez de le prononcer à haute voix, N.D.L.R) de Marcel Duchamp qui
rajoute également une moustache mais aussi un bouc. Ici, c'est la même chose : on a un
élément étranger qui se colle sur du déjà-vu et qui fait basculer le sens de la photo. Mais
aussi, il y a une connotation asiatique du masque que nous avons intégrée depuis des
décennies car nous les voyons régulièrement en porter dans les rues et cela avant le
coronavirus.

Il faut quand même dire que, parmi les dirigeants détestables et présentés comme tel par
les médias tout comme Donald Trump ou Boris Johnson, Xi Jinping communique bien.
Contrairement à eux, il agit et le montre. Il porte un masque en public, il fait construire un
hôpital en quelques jours. 

L'hôpital de Wuhan, entre rapidité et propagande


visuelle ?
Alors que la construction est lancée le 24 janvier 2020, l'hôpital chinois Leishenshan ouvre ses portes le 8
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février 2020. Une prouesse déjà réalisée par la Chine en 2003 lors de l'épidémie de SRAS (Syndrome
respiratoire aigu sévère). • Crédits : PHOTOSHOT - Maxppp

GH : Cette photographie est très intéressante car elle rapporte à un contexte culturel. Tout
d'abord, si on enlève la légende, cela ressemble à n'importe quel chantier. Mais quand on
sait que cet hôpital a été construit en si peu de temps, elle suscite de la fascination et
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un peu de suspicion quant à la rapidité. Ensuite, c'est uneimage documentaire de
 00:00 / 00:00 
cette époque. Elle renvoie un peu à la construction de la Grande Muraille de Chine, même
s'il y a quand même moins de personnel mobilisé ! On voit un déploiement de moyens
renforcé par cette forêt de grues. Pour un gouvernement, c'est une déclaration de rapidité,
de réaction face à une crise comme on aurait pu la voir pour Notre-Dame ou le Pont
Morandi à Gênes, en Italie.

Ce n'est certainement pas pour dédouaner la Chine, mais pour plutôt dire que ces
mécanismes par l'image fonctionnent aussi souvent chez nous. On a trop été habitué à
penser la propagande par la connotation négative qu'elle a acquise à l'après-guerre, mais
"propagande", cela veut dire propager, communiquer. Aujourd'hui, on lui préfère d'autres
termes, mais au fond, il n'y a pas de politique sans propagande.

FC : Il y a une perspective dessinée par le photographe avec l'allée que l'on voit à gauche,
les toits et la perspective lointaine. Cette profondeur est coupée par les lignes
horizontales qui vont du premier plan jusqu'au dernier. On pourrait avoir une sensation
d'écrasement, mais il y a plutôt une impression de légèreté à certains moments. Cela
vient des grues. On pourrait penser qu'il faudrait d'énormes grues pour réaliser un travail
aussi rapide mais, bien qu'elles soient nombreuses, elles ne sont pas immenses. Il y a
également de nombreuses ouvertures qui donnent de l'air dans cette photo : dans les
bâtiments, les allées, etc.

Autre chose m'a beaucoup frappé : le caractère décontracté des gens que l'on voit sur la
photo. On aurait pu s'attendre à une suractivité pour tenir le délai des dix jours de
construction, car le monde entier a les yeux tournés vers la Chine et sur Wuhan. Mais en
réalité, on voit des ouvriers qui ont l'air d'être décontractés, et pas pressés du tout.
Certains flânent, d'autres se promènent. Alors je me suis demandé si c'était une photo de
propagande pour montrer qu'en Chine, les gens travaillent librement, qu'ils ne sont pas
sous la contrainte ou dans des conditions épouvantables, etc. Très souvent, quand on
pense à la Chine, on a cette image stéréotypée de la fourmilière où les gens sont
entassés. Cela montre une espèce d'exploit naturel et c'est ce qui m'a questionné.

En Inde, la tragi-comique sensibilisation au Covid-19


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Un policier vu sur un marché de Chennai, en Inde, en train de sensibiliser à la distanciation sociale. Le


confinement est en vigueur depuis le 25 mars dans celui qui est le deuxième pays le plus peuplé au
monde. • Crédits : Arun Sankar - AFP

FC : On est pris d'une certaine hésitation devant cette photographie : entre respect,
terreur et fou rire. Au premier coup d'œil, on voit une ruelle commerçante colorée, un
événement singulier, un acteur et des spectateurs. Alors faisons l'hypothèse que le
personnage central appartient à la police, et faisons aussi l'hypothèse qu'il a associé
l'exemple démonstratif à l'injonction de respecter la loi. Il porte dans chaque main, une
représentation caricaturale et colorée du Covid-19. Il a même poussé le sens de la
pédagogie jusqu'à placer sur sa tête et sur son masque, une autre représentation du virus
trouée d'un rectangle pour y voir clair. Il est déguisé en virus. Et, qui a vu une figure de
carton du Carnaval de Nice ne peut être que frappé par la similitude. Quand on sait que
les figures niçoises représentent tout ce dont on a peur pour s'en moquer, on est fondé à
éclater de rire pour mieux conjurer l'effroi qu'inspire l'épidémie. J'y vois une espèce de
comédie pédagogico-contraignante d'un policier qui a trouvé le moyen de faire peur aux
gens, de leur dire qu'il faut respecter les consignes et à la fois de les faire rire. On a envie
de rigoler en voyant cet accoutrement mais les gens ne rient pas et le policier non plus. Il
a manifestement ce souci pédagogique évident. Selon moi, c'est une des photos les plus
intéressantes dans cette sélection.

GH : Cette image révèle l'ambivalence de cette période particulière. D'un côté, on a
l'aspect tragique et on pense aux 200 000 morts, il y a des gens qui ont perdu des
proches et ça, c'est quelque chose qu'on ne peut pas oublier. Mais en filigrane, il y a le
côté "vacances forcées"LE oùDIRECT
les gens ont du temps, se réinventent, postent leurs activités
rigolotes, leurs discussions par fenêtres interposées. On positive un peu le drame. Et cette
photo rassemble ces deux dimensions. 

Alors il faut aussi savoir que c'est une collaboration entre un artiste indien et la police
mais là on a une sensibilisation particulière avec ce casque en forme de virus. Mais c'est
 sensibilisation
une DIRECT à laquelle on n'adhère pas chez nous. On voit très 00:00
mal un gendarme
/ 00:00

faire la même chose et cela renforce aussi le décalage culturel : le policier alerte non pas
par une image au microscope mais avec une personnification du virus. Il y a une autre
ambiguïté car derrière l'avertissement du policier, il y a la foule, du contact, un amas de
personnes et forcément, une contagion possible. Donc, cette photo nous fait rire et nous
inquiète aussi. Et c'est peut-être le secret de ces photos : l'ambiguïté, le fait de nous
balancer entre deux extrêmes.

L'Italie bénit ses morts à la chaîne

Le 28 mars 2020, le prêtre Don Marcello bénit les cercueils des personnes décédées du Covid-19, à
l'intérieur de l'église de San Giuseppe à Seriate, dans la banlieue de Bergame en Italie. • Crédits : Piero
Cruciatti - AFP

FC : Elle est construite de la même façon que celle de l'hôpital de Wuhan. Cependant, la
position du photographe est tout à fait différente parce qu'il est un peu en plongée par
rapport aux cercueils et un peu en contre-plongée par rapport au prêtre qui officie. Cela
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met les cercueils en perspective et, là encore, on voit ces lignes parallèles qui tracent une
perspective jusqu'au fond. C'est "l'instant décisif", comme disait le photographe Henri
Cartier-Bresson : le geste du prêtre est pris à son amplitude la plus significative, la plus
grande. Je suis frappé là aussi, un peu comme pour l'hôpital chinois, par le caractère très
impersonnel de ces cercueils qui sont tous les mêmes qui sont homogénéisés par ces
étiquettes qui se trouvent sur la gauche et qui définissent chacun. On peut penser que sur
chaque étiquette est indiqué le nom de la personne décédée. La seule
 DIRECT exception
 00:00 / 00:00 est ce 
qui apparaît comme une rose sur l'un des cercueils et qui donne un peu d'humanité à la
chose.

L'autre détail qui donne de l'humanité est la statue qui se trouve en haut à droite. Elle
symbolise une sorte de bienveillance, de pitié, et donne un peu de chaleur en même
temps que la lumière qui est assez belle dans cet bel endroit. S'il n'y avait pas cette
lumière et cette statue, on pourrait dire que c'est une cérémonie, une bénédiction de
cercueils à la chaîne.

GH : Cette image est très forte mais elle est à la fois singulière et passe-partout. Elle
pourrait illustrer un tremblement de terre, un accident aérien, une rentrée de soldats
décédés en opération à l'étranger. Mais ce qui la rend singulière et l'ancre dans le Covid-
19, c'est le fait que l'église est vide. Généralement, face à l'ampleur d'une catastrophe, il
y a une adhésion de la population et une participation aux funérailles. Là, les gens
restent à la maison, il n'y a plus que les morts et le curé. C'est la solitude absolue car,
même dans la mort, on ne peut pas rendre hommage. La perspective de cette photo
renforce le fait qu'il est difficile de les compter, cela donne une idée de perte de vue
comme pour celle de l'hôpital de Wuhan.

Le bateau américain aux 1 000 lits d'hôpitaux 


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Le 30 mars 2020, le navire médical USNS Comfort remonte la rivière Hudson à son arrivée à New York. Les
centres de congrès, les arènes sportives et les parkings, à travers les États-Unis, sont convertis en hôpitaux
de campagne. • Crédits : Angela Weiss - AFP

FC : L'une des particularités de la ville de New York réside dans l'existence de toutes les
lignes en horizontal et vertical. Il n'y a pas d'obliques. Sur cette photo, on en voit deux
avec les grues mais elles sont temporaires car cela veut dire qu'il y a des travaux. Elles
seront chassées quand il n'y aura plus de travaux. L'hélicoptère fait la synthèse des deux
car il s'inscrit dans la verticalité de l'image, comme les tours derrière lui, mais son
plancher est à l'horizontale. J'ai aussi remarqué ce caractère gigantesque de la ville et, à
l'inverse, le petit remorqueur en bas à droite, qui échappe à cela. C'est un peu la vie qui
continue même si elle est au ralenti. Les gens sont malades, sont évacués ou alors
complètement confinés dans tous les aspects verticaux de New-York. La vie est au ralenti
mais lui continue son petit bonhomme de chemin.

Les branches en bas à gauche de la photo m'intéressent beaucoup car cela revient à la
problématique de la nature qui reprend ses droits. C'est le rappel que cette ville énorme
existe par la destruction absolue qui a été d'une brutalité inouïe de tout ce qui était
naturel. La nature est toujours là, même dans le coin de la photo. Elle est présente et
prête à reprendre ses droits sur une civilisation qui n'a fait que la mépriser et l'utiliser.

GH : Là aussi, on est sur une photo documentaire, d'une certaine manière, et elle n'a pas
beaucoup de symbolique cachée. Cela fait partie des photos qui vont concerner New-York
à l'avenir, pour se souvenir de l'une des façons dont le Coronavirus a frappé ici. Tout est
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lisible : ce bateau, cet hélicoptère, les gratte-ciels. Il y a quand même un fait inhabituel car
le port de New-York n'est pas un port militaire et le caractère d'urgence que l'on perçoit
sur la photo. Ce dernier n'a plus vraiment existé ici depuis 2001.

Interdiction et isolement : le quotidien des enfants


durant le confinement
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Confiné dans son appartement parisien, Martin Argyroglo épuise la vue qu'il a en photographiant tout ce qui
rentre dans son champ de vision. • Crédits : Martin Argyroglo

FC : La plongée radicale de cette photographie, presque à 90 degrés, donne aux lignes
que l'on trouve par terre, une importance terrible parce que ça montre des limites, des
règles, des obligations, des normes. Il s'agit d'un terrain de sport, on voit bien qu'il y a des
lignes blanches et des lignes rouges et à chaque fois, ce sont des limites. Il ne faut pas
sortir du terrain et si on les franchit, il y a des sanctions qui sont immédiates et
extrêmement rigides. Donc, c'est un univers d'interdictions. L'interdiction est dessinée sur
cette photo et elle l'est aussi sur la tête de cette petite fille. On voit très bien deux raies
sur sa tête qui dessinent une sorte de croix et, de chaque côté de la croix, on a rassemblé
les cheveux pour faire des couettes. On retrouve encore une fois des lignes et elles
forment un angle droit. On sait bien que toutes les choses qui sont à angle droit, au carré
comme on dit à l'armée ou ailleurs, c'est l'ordre. Là aussi, c'est l'ordre des cheveux.
GH : On imagine facilement le xylophone qui résonne dans le silence. Là aussi, on est
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dans une photo qui capte son sens par les circonstances, parce qu'on pourrait très bien
être dans une photographie qui recherche le simple esthétisme entre les lignes, ce
quadrillage et la figure isolée au milieu du goudron. À la coiffure, je dirais que c'est une
jeune fille qui joue seule mais dans un espace qui n'est pas immense non plus. Il y a peut
être la thématique de l'enfance qui renvoie aussi au fait que les enfants sont peut-être
épuisés par la maladie. Mais aussi, il y a presque ce sentiment d'impunité qui renvoie au
fait
 que les enfants sont beaucoup moins touchés que les adultes. 00:00 / 00:00
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TAGS : confinement image Coronavirus / Covid-19 Photographie


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