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Ouverture des débats de la journée anniversaire des 80 ans du CNRS, à la Maison de la Mutualité à Paris, le 1er février
2019. Photo Denis Allard pour Libération
Monsieur Antoine Petit, puisque vous êtes tant «attaché à la force du collectif» et que le
darwinisme social est «tellement éloigné de vos valeurs personnelles», nous comptons
désormais sur vous pour être en tête du combat contre une loi qui aurait pour principe la
reconnaissance de «bons» et de «mauvais chercheurs» en demandant à ces derniers «d’en
tirer les conséquences». Comme vous avez dû serrer les dents lorsque vous avez entendu le
président de la République prononcer ces paroles ! Car comme nous, vous savez que la
recherche ne peut s’inscrire dans une logique de compétition individuelle. Et vous
connaissez très bien les conséquences morales et éthiques désastreuses d’une telle logique
tout comme son impact psychologique dévastateur, comme vous l’ont rappelé les Comités
d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail du CNRS.
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Pour mettre en œuvre cette politique, vous soulignez en le déplorant que «nos dépenses en
faveur de la recherche et du développement, publiques et privées, [aient] stagné depuis
une vingtaine d’années». Nous nous réjouissons de voir en vous le relais des
revendications et des attentes des personnels de l’Enseignement supérieur et de la
recherche (ESR) depuis si longtemps et nous comptons vivement sur vous pour peser de
tout votre poids pour que cette loi impose à la France de respecter – enfin ! – les accords
de Lisbonne (engagement pris par les pays de l’UE en 2000 pour «faire de l’UE l’économie
de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde» à l’horizon 2010.
Pour ce faire, l’ambition était que les pays de l’UE portent leur effort en recherche et
développement à 3% du PIB, 2% privé, 1% public. La France était alors à 2,2%. Elle l’est
toujours aujourd’hui, avec une part de la recherche publique de 0,82% du PIB). Vous
exprimez aussi le souhait que «les chercheurs et les chercheuses aient les moyens
d’exercer correctement leur métier avec un soutien au juste niveau des laboratoires» (qui
sont effectivement dramatiquement insuffisants) et que «le budget de l’Agence nationale
de la recherche [soit] aligné sur les standards internationaux». Mais pour cela, il faudrait
défendre avec vigueur l’augmentation conjointe des budgets récurrents des laboratoires et
ceux de l’Agence nationale de la recherche. Vous déclarez aussi que «nous avons besoin de
maintenir une recherche fondamentale, et ce dans tous les domaines scientifiques», une
recherche «avec le temps long» tout en insistant sur la nécessité de faire «des choix, des
différences». Mais comment maintenir une recherche dans tous les domaines scientifiques
et dans le même temps faire des choix qui reviendraient à en éliminer certains ? Ces
contradictions apparentes seraient levées si, comme vous le demandez, notre pays finissait
par investir massivement dans la recherche publique pour qu’elle atteigne enfin, vingt ans
après les engagements pris à Lisbonne, 1% de son PIB. Nous attendons cela nous-mêmes
depuis si longtemps ! Et nous vous faisons confiance pour continuer à soutenir des
recherches dont la rentabilité n’est pas immédiate, y compris si cela va à l’encontre des
désirs politiques du moment.
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Monsieur Petit, dans ce combat, s’il a lieu, nous comptons donc sur vous pour être à nos
côtés, comme votre tribune l’exprime si clairement, et contrairement à la teneur de vos
propos antérieurs ou des rapports précités. Si tel n’était pas le cas, il nous faudrait tous,
collectivement, en tirer les conséquences. Parmi celles-ci, nous n’accepterions plus que le
CNRS soit dirigé par le défenseur d’une loi massivement rejetée et qui aurait totalement
trahi la confiance de ses personnels en reniant à ce point des propos publics.
un collectif de chercheurs