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revue Recherche en Sciences de Gestion-Management Sciences-Ciencias de

Gestión, n°139, p. 275 à 298

Les transformations organisationnelles en contexte


africain: une analyse des usages des réseaux sociaux
numériques par la force de vente des entreprises de
services

Alain Noël Soné Mbassi


Maître de Conférences
Centre d'Études et de Recherche en Économie et Gestion
Université de Yaoundé II
(Cameroun)

Cet article analyse les transformations organisationnelles


consécutives aux usages des réseaux sociaux numériques par la force
de vente. Il mobilise la littérature en marketing et en systèmes
d'information ainsi que la théorie structurationniste comme cadre
théorique. Il examine le cas de deux entreprises de services au
Cameroun. Les résultats font état d'une synergie des canaux de
communication qui améliore la performance de la force de vente dans
les deux entreprises. Cependant, les transformations qui en découlent
sont de natures différentes et permettent d'identifier deux modèles
présentant des caractéristiques opposées. Des recommandations sont
ensuite émises.

Mots-clés : Réseaux sociaux numériques - Médias sociaux - Force de


vente- Transformations organisationnelles - Théorie
structurationniste.

This article analyzes the organizational transformations


resulting from the use of digital social networks by the sales force. It
mobilizes literature in marketing and information systems as well as
structurationist theory as a theoretical framework. It examines the
case of two service companies located in Cameroon. The results show
a synergy of communication channels that improves the performance
of the sales force in both companies. However, the resulting
276 ALAIN NOËL SONÉ MBASSI

transformations are of different natures and make it possible to


identify two models presenting different characteristics.
Recommendations are then issued.

Key-words: Digital social network - Social media - Sales force -


Organizational transformation - Structurationist theory.

Este artículo analiza las transformaciones organizacionales


consecutivas a los usos de redes sociales numéricas por la fuerza de
venta. Moviliza la literatura en marketing y en sistema de información
así como la teoría estructuracionista como marco teórico.
Examinamos el caso de dos empresas de servicios en Camerún. Los
resultados demuestran una sinergia de canales de comunicación que
mejora el desempeño de la fuerza de ventas en ambas empresas. Sin
embargo, las transformaciones que resultantes son de naturalezas
diferentes y permiten identificar dos modelos con características
diferentes. A continuación, se emiten las recomendaciones.

Palabras-clave: Redes sociales numéricas - Medias sociales -


Fuerza de venta - Transformaciones organizacionales - Teoría
estructuracionista.

Introduction

Les technologies androïdes et leurs applications sur les


téléphones intelligents accroissent, plus que par le passé, l'accessibilité
à l'information à travers les médias sociaux. Les réseaux sociaux
numériques (RSN) tels que Facebook, Twitter, LinkedIn confèrent
aux clients plus d'autonomie et de pourvoir dans le choix des produits
ainsi que les échanges entre clients et vendeurs (Agnihotri et al.,
2016). Ces innovations sont une opportunité à saisir par les vendeurs
qui servent de relais entre l'entreprise et le marché. Les commerciaux
sont les mieux placés pour faire prévaloir leurs positions dans les
relations sociales dans le but d'améliorer les ventes (Bristor, 1992).
Les RSN sont d'ailleurs devenus indispensables à la fonction
commerciale parce qu'ils dotent les vendeurs de capacités permettant
d'établir le contact avec les clients, et d'interagir avec eux dans
l'optique du capital social (Agnihotri et al., 2012). Ils affectent
désormais presque tout le processus de vente (Andzulis et al., 2012).
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RÉSEAUX SOCIAUX & FORCE DE VENTE

S'il existe déjà une littérature qui exalte les bénéfices des
RSN dans les entreprises, force est de constater que l'adoption des
RSN par les vendeurs, pour en faire de véritables outils de stratégie
commerciale a nécessité un certain temps, à cause des échecs répétés
des tentatives d'automatisation des ventes (Speier et Venkatesh 2002).
Ces échecs associés à l'absence d'une approche basée sur la rentabilité
dans l'investissement en RSN (Gupta et al., 2011) ont freiné les
projets de digitalisation de la vente malgré l'enthousiasme manifesté
par les clients (Agnihotri et al., 2012). La maîtrise du processus
d'implémentation des RSN et des bénéfices qu'il procure était encore
embryonnaire il y a quelques années. Selon Gupta et al. (2011) les
nombreux obstacles observés émanent de diverses sources parmi
lesquelles les coûts, le temps, l'incompétence de la direction, le
manque de contrôle par l'entreprise. Les travaux existants ont abordés
ces questions dans le cadre restreint du B to C, alors que de nombreux
articles appellent à la recherche dans le B to B (Trainor, 2012;
Agnihotri et al., 2012; Andzulis et al., 2012).

En outre, la popularité des RSN ainsi que leur usage domestique par
les individus, dissimulent bien le retard accusé par les chercheurs pour
éclaircir l'opinion sur leurs réels avantages. En effet, les recherches
qui se sont livrées à l'analyse des incidences des RSN sur les
transformations organisationnelles sont rares (Tran, 2014). A ce jour,
il y a eu peu de recherches s'intéressant au rôle des RSN, ainsi que
leur influence sur le comportement des commerciaux, le processus de
vente proprement dit ou le management des ventes (Andzulis et al.,
2012).

Les tentatives d'analyse des effets des RSN sur l'organisation se sont
alignées sur les versants théoriques soutenus par trois approches
antagonistes. Le déterminisme technologique attribue les effets du
changement à la technologie. Il s'oppose au déterminisme
organisationnel qui se situe aux antipodes de la logique précédente.
Une troisième approche se propose de dépasser les deux modèles
déterministes en intégrant notamment les acteurs, la structure sociale
pour mieux appréhender le changement (Orlikowski, 1992; De Sanctis
et Poole, 1994). Dans cette mouvance, le contexte dans lequel
évoluent les entreprises n'est pas sans effets sur leurs organisations.
278 ALAIN NOËL SONÉ MBASSI

Les entreprises africaines n'échappent pas à cette règle, et sont


également confrontées à la montée vertigineuse des usages des RSN
dans le continent. En l'absence d'études pertinentes sur les
mécanismes par lesquels les entreprises africaines utilisent les RSN, la
présente recherche voudrait répondre à la question suivante: de par
leurs usages par la force de vente, comment les RSN transforment- ils
la fonction commerciale des entreprises de services Africaines?

Examinant la situation de deux entreprises de services respectivement


dans le secteur du CRM et des télécommunications, cette recherche a
pour intérêt de relever les spécificités du changement dans les
entreprises B to B d'une part, et B to C d'autre part. Elle faciliterait
ainsi la formulation de stratégies digitales et leur opérationnalisation
par la direction générale. A cet effet, la recherche mobilise la théorie
structurationniste de Giddens (1984), reprise dans la recherche en
systèmes d'information par Orlikowski (2000). Dans le contexte
africain, les recherches se sont peu intéressées à une telle
problématique, alors que la popularité des RSN s'accroît
inexorablement. Le reste de l'article se présente comme suit: la
première section présente le cadre théorique de la recherche, la
deuxième section présente la méthodologie, les résultats ressortent à la
troisième section et sont discutés à la quatrième section, et la
conclusion de l'article apparaît à la cinquième section.

1. – Cadre théorique de la recherche

1.1. Les RSN et la force de vente: un état des lieux

Bien que les RSN soient déjà bien ancrés dans les travaux des
chercheurs en systèmes d'information, leur définition demeure un
exercice délicat. Pour les définir simplement nous présentons côte à
côte trois de leurs fonctions principales. Ainsi, les RSN sont des
services de la toile qui facilitent aux internautes la construction d'un
profil et l'établissement d'une liste d'amis avec lesquels ils sont
connectés, tout en permettant de voir et de parcourir leur contacts et
ceux des autres internautes au sein du réseau (Boyd et Ellison, 2007).
Leur ascension fulgurante résulte du passage du Web 1.0 avec pour
spécificité le caractère asynchrone de la communication, au Web 2.0
qui permet dorénavant les interactions avec les clients, à tout moment
et en tout lieu, devenus producteurs d'information (Shang et al., 2011)
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RÉSEAUX SOCIAUX & FORCE DE VENTE

et co-créateur de contenus (Cova et al., 2010). D'après la littérature en


marketing, les médias sociaux devraient être possédés par les
fonctions de l'entreprise qui connaissent le mieux les clients - les
ventes et le marketing (Andzulis et al., 2012).

La montée d'une littérature qui exalte le déploiement de


stratégies de RSN (Guesalaga, 2016) laisse transparaître de nombreux
avantages pour la fonction de vente (Tableau 1). D'entrée de jeu,
notons que les RSN n'occultent guère les TIC classiques tels que le
téléphone et l'email, ils participent simplement à leur complétude par
une amélioration de la valeur de chaque interaction avec le client
(Andzulis et al., 2012). Dans cette mouvance, les travaux de Trainor
(2012) font découvrir le CRM social comme la résultante de
l'association des RSN à la gestion de la relation client. Cette
innovation met l'accent sur la création de la valeur perçue par le client
et le vendeur à travers une communication interactive propice à la co-
création des connaissances (Agnihotri et al., 2012 ). La fluidité qui
caractérise la circulation de l'information entre vendeurs et clients
diminue les asymétries d'information et personnalise le processus de
vente (Marshall et al., 2012). Dans la même lancée, il est désormais
établi que les RSN sont susceptibles d'impacter le processus de vente
parce qu'ils permettent de contacter le client tout en découvrant ses
besoins, de présenter la valeur du produit et de le vendre, et en assurer
le service après-vente (Andzulis et al., 2012; Zhang et Li, 2019).
Enfin, certains auteurs reconnaissent aux RSN deux principaux
avantages sur la fonction vente: ils contribuent à la réactivité des
vendeurs et à la satisfaction des clients (Agnihotri et al., 2016; Lin et
al., 2019).

Les RSN présentent toutefois quelques risques contre


lesquels les entreprises devraient se prémunir. En effet, en dépit de
l'engouement manifeste des clients pour l'usage du numérique, les
vendeurs âgés et souvent plus expérimentés ont très peu recours aux
RSN. En outre, on assiste à l'exode du pouvoir, de l'entreprise vers les
clients, causé par l'augmentation des interactions et la co-création de
connaissances et de valeur (Prahalad et Ramaswamy, 2004;
Greenberg, 2010). L'adaptation devient un impératif (Hibbert et al.,
2012). L'usage des RSN dans la fonction de vente nécessite donc des
transformations, en l'absence desquelles l'entreprise court à la dérive
280 ALAIN NOËL SONÉ MBASSI

(Andzulis et al., 2012). Dans les entreprises de services, la production


et la livraison du service s'effectuent dans la servuction. Il s'agit de
l’organisation systématique et cohérente de tous les éléments
physiques et humains de l’interface client-entreprise nécessaires à la
réalisation d’une prestation de services dont les caractéristiques
commerciales et les niveaux de qualité ont été déterminés (Eiglier et
Langeard, 1987). Il s'agit d'un système composé du client, du
personnel en contact dans notre cas la force de vente, du service, du
support physique et du système d’organisation interne. C'est à travers
le processus de servuction que les transformations consécutives aux
usages des RSN peuvent être analysées. Nous envisageons dans la
suite les transformations organisationnelles sous le prisme de la
théorie structurationniste.

Tableau 1. Synthèse de la littérature sur les RSN et la force de


vente
Boyd et Ellison (2007); - Définition des RSN.
Cova et al. (2010); - Emergence des RSN dans la fonction
Shang et al. (2011); de vente.
Andzulis et al. (2012)
Trainor (2012) - L'étendue des outils pour les ventes.
Agnihotri et al. (2012) - Avantages et défis.
Guesalaga (2016) - Rôle des vendeurs dans le
déploiement.
Marshall et al. (2012) - L'ampleur de l'utilisation des RSN par
les vendeurs.
Andzulis et al. (2012) - Influence des RSN sur le processus
Zhang et Li (2019) de vente.
Greenberg (2010) -Les RSN outils de réactivité des
Prahalad et Ramaswamy vendeurs.
(2004) -Les RSN outils de satisfaction des
Agnihotri et al. (2016) clients.
Lin et al. (2019)
Andzulis et al. (2012)
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RÉSEAUX SOCIAUX & FORCE DE VENTE

1.2. Les transformations organisationnelles

«La transformation organisationnelle est une modification


majeure, profonde, fondamentale ou généralisée, qui équivaut à une
rupture, ou encore une modification qui touche les composantes
principales ou essentielles de l’organisation» (Brassard, 2003, P 258).
Bien que le concept ait fait l'objet de plusieurs études, sa
compréhension continue de susciter le débat sur plusieurs aspects.
Rowe et Besson (2011, P 9) confrontent deux types en fonction de
l'initiative. D'une part, des auteurs tels que Brown et Eisenhardt
(1997) et Orlikowski (1996) évoquent la transformation sous forme
d'un phénomène diffus et spontané. Elle est caractérisée par des
contraintes structurelles, d’improvisations et de bricolage locaux.
D'autre part, la transformation en tant que phénomène organisé. Cette
dernière s'inscrit dans la vision stratégique par la direction de
l'entreprise et issue des travaux de Tichy (1983), Pettigrew (1985) et
Miles (1997) entre autres. Outre l'initiative de transformation, ces
auteurs identifient dans la littérature trois autres thématiques
permettant de problématiser la transformation à savoir l’écologie de
la transformation, le processus de transformation, les résultats de la
transformation et leur mesure. Le processus de transformation se
fonde sur la périodisation et l’action stratégique adéquate. Le modèle
en trois phases de Lewin (1958) –freezing – unfreezing – refreezing –
est une référence en la matière. La réussite du processus de
transformation dépend du degré de fluidité et de plasticité de
l’organisation, deux éléments essentiels de l'appréciation de l'inertie
organisationnelle. A l'issue du processus de transformation, diverses
méthodes peuvent permettre l'évaluation de son résultat. La valeur
perçue par les marchés, le risque d’échec et la valeur d’adaptation sont
trois variables d'évaluation pertinentes dans le domaine des systèmes
d'information.

Plusieurs mobiles sont susceptibles de justifier une


transformation organisationnelle. Avec l'avènement des TIC dans les
organisations, le phénomène a pris de l'ampleur au point de donner
naissance à un courant de pensée dénommé technology mediated
organizational change. Dans ce paradigme des systèmes
d'information, s'affrontent différentes tendances et approches
théoriques quant à la compréhension des incidences des technologies
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sur les changements organisationnels. Plus spécifiquement, la


perspective de la Human Agency défendue par Boudreau et Robey
(2005) postule qu'un système d'entreprise peut être résisté ou
réinventé. En effet, au fur et à mesure que les utilisateurs redéfinissent
la technologie par leurs actions, cette dernière perd de sa pertinence et
voit son rôle dans le changement organisationnel diminuer. Se situant
aux antipodes de cette logique, Gosain (2004) estime que la
technologie limite activement les capacités humaines dans la mesure
où les systèmes d'entreprises sont des outils d'institutionnalisation
pendant la configuration et portent la logique institutionnelle pendant
l'utilisation. La prétention à résoudre ce débat a motivé l'émergence
d'autres approches parmi lesquelles la théorie de la structuration.

1.3. La théorie de la structuration en systèmes d'information

Souvent mobilisée pour appréhender les incidences de


l’informatisation sur l’organisation, la théorie de la structuration de
Giddens (1984) traite des relations entre les individus au sein des
systèmes sociaux et de la structure sociale. Son intérêt pour la
recherche date des années 1980 avec les travaux de Barley (1986).
Ceux-ci ont pour logique que ce ne sont pas les outils informatiques
qui sont ou non innovants, mais plutôt la façon dont les utilisateurs se
les approprient. Pour les instigateurs de l'approche structurationniste
en systèmes d'information, la technologie revêt des règles et des
ressources, et apparaît comme un objet social et un artefact matériel
(Orlikowski, 1992; De Sanctis et Poole, 1994).

En empruntant la notion de dualité de la structure à Giddens (1984),


ils la transposent en dualité de la technologie. Orlikowski (2000) va
au-delà de l'appropriation de la technologie, et analyse les propriétés
structurelles qui émanent de manière progressive des interactions entre
les acteurs et la technologie. Dans son concept de technologie en
pratique, la mise en action d’un élément et sa transformation dans
l’action caractérise l'énaction. Les règles et les ressources qui
structurent les interactions des acteurs avec la technologie sont
énactées pendant les usages des technologies. Ces interactions
récurrentes et situées génèrent les structures constitutives de la
technologie. De par leur nature récursive, elles favorisent l'influence
des usages sur la technologie et réciproquement celle de la technologie
sur les usages. De ce modèle résultent finalement trois formes
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RÉSEAUX SOCIAUX & FORCE DE VENTE

d'énaction. D'abord l'inertie qui caractérise une situation dans laquelle,


tout en maintenant leurs anciennes pratiques, les acteurs optent pour
l'usage des technologies. Ensuite l'application qui traduit un usage de
la technologie dans le but d'améliorer les pratiques. Enfin le
changement qui marque le passage à de nouvelles pratiques, au
détriment des pratiques anciennes. La présente recherche articule son
analyse autour des trois énactions, afin de procéder à une grille de
lecture des transformations sur la base des quatre thématiques
proposées par Besson et Rowe (2011) dans les entreprises de services.

2. – Méthodologie

Nous menons une recherche qualitative de type exploratoire.


Il s'agit d'une étude de cas parce que l'analyse porte sur les liens au
cours du temps qui assemblent des éléments, au détriment des
fréquences ou des impacts, spécifiquement dans des situations où
l'enquête et l'expérimentation ne se prêtent pas à l'analyse, du fait de la
complexité desdits liens (Yin, 1984). L’étude de cas de type multiple
qui identifie les aspects récurrents d'un ensemble de situations (Stake,
1995) nous semble appropriée pour l'analyse de deux entreprises de
services. Les données de l'étude sont issues de plusieurs sources.
Vingt entretiens semi directifs ont été réalisés dans les deux
entreprises en trois phases: une première phase pendant la période
avril-juillet 2016, une seconde phase en avril 2017 pour compléter les
informations manquantes, et une troisième phase en juillet-août 2017
pour affiner les analyses.

Ainsi, les entretiens ont été menés auprès des responsables de la


direction générale, de la direction commerciale et des services
techniques (informatiques) des entreprises. Le choix des répondants
s'est fait selon la méthode de l'échantillonnage à choix raisonné. Au
cours de nos premiers entretiens, nous avons reçu des informations
servant à orienter le choix des personnes interviewées au fur et à
mesure que les entretiens se poursuivaient. Par effet de boule de neige,
nous sommes parvenus à l'enregistrement du nombre d'entretiens jugé
suffisant pour une analyse pertinente. Conformément au principe de
saturation théorique, la récurrence des résultats au fur et à mesure que
se poursuivaient les interviews a permis la fin du processus
d'échantillonnage théorique (Glaser et Strauss, 1967). Les entretiens
284 ALAIN NOËL SONÉ MBASSI

ont été réalisés en face à face dans les bureaux des interviewés, à l'aide
d'un dispositif d’enregistrement sonore pendant une durée allant de
trente minutes à deux heures.

Un guide d'entretien a été élaboré sur la base des concepts de


la théorie de la structuration, notamment les trois formes d'énaction
développées par Orlikowski (2000) l'inertie, l’application et le
changement, ainsi que l'initiative, l’écologie, le processus, les résultats
et leur mesure dans la transformation (Besson et Rowe, 2011). Ceci
nous a permis de recueillir des informations sur les interactions entre
les acteurs et l'organisation à l'aune des usages des RSN. Notre
objectif était de connaître les différentes positions, compréhensions,
attitudes, etc., relevant du sujet, et permettre une analyse menée par
thème. Dans un second temps, et afin de répondre au principe de
triangulation (Eisenhardt, 1989), nous avons utilisé des données issues
des rapports, les notes internes, ainsi que la visite des sites internet.
Outre les échanges avec d'autres chercheurs dans un souci
d'enrichissement de notre cadre théorique, et d'élimination des biais
internes, notre démarche a également intégré des allers-retours entre la
théorie et le terrain. Des relances par téléphones et email nous ont
permis d'apporter des clarifications à nos entretiens. Nous avons
ensuite procédé à une analyse de contenu. Les interviews ont été
transcrites manuellement et constituées en verbatim. Nous avons
procédé au processus de codage selon trois phases. Dans le codage
ouvert, nous avons étiqueté les portions du texte à partir des entretiens
retranscrits. La confrontation des codes précédents ainsi que leur
combinaison en un code général se sont effectuées dans la phase de
codage axial. Nous avons alors pu extraire des catégories générales.
Uniquement les codes pertinents relatifs au concept de transformation
organisationnelle et aux autres concepts de l’étude ont été retenus.
Nous avons ensuite procédé à la connexion des codes généraux afin de
faire émerger la théorie dans le codage sélectif.

3. – Résultats

Cette partie a pour objectif d'analyser les circonstances dans


lesquelles l'énaction des RSN a engendré des transformations dans les
fonctions commerciales des deux entreprises d'une part, et d'en décrire
les conséquences sur leurs structures sociales.
TRANSFORMATIONS ORGANISATIONNELLES : 285
RÉSEAUX SOCIAUX & FORCE DE VENTE

3.1. Les Caractéristiques de la transformation Cas1

3.1.1. Initiative: une transformation planifiée


L'entreprise 1 a intégré les RSN comme canaux de
communication commerciale par une décision de la direction générale
après l'arrivée de Facebook dans les années 2007-2008. «Nous
voulions conserver notre position de leader sur le marché, et pour cela
adoptions toutes innovations pouvant faciliter la communication avec
le grand public à moindre coût» (Verbatim, Directeur marketing).

3.1.2. Écologie: une absence d'inertie


Les entretiens ne font aucunement mention d'une résistance
au changement. Par conséquent l'inertie n'est pas perceptible dans ce
contexte. La coproduction du service à travers les RSN est à l'origine
de nouveaux procédés: crowdsourcing, soumission des votes sur les
RSN, jeux concours et quiz, social one to one et contrôle de la
coproduction du service. Ces procédés ont conduit l'entreprise à
repenser ses stratégies marketing en y intégrant une place centrale aux
clients.

3.1.3. Le processus est graduel


De cette décision résulte le développement de nouvelles
compétences pour satisfaire de nouveaux modes opératoires, et de
nouveaux concepts: communities managers par exemple. La mise en
place des transformations est graduelle et évolue avec le niveau
d'adoption des RSN.

«Nous sommes présents sur Facebook depuis 2006, sur


twitter depuis 2010, et plus récemment sur Google +, Instagram,
LinkedIn et YouTube. Au fur et à mesure, nous développons notre
force de vente par rapport à ces technologies» (Verbatim, digital
manager). Plusieurs innovations sont menées.

«Un service de conversion media Gateway transforme et


convertit des flux multimédias entre des réseaux de
télécommunications, et permet également la communication entre des
réseaux de nouvelle génération et des réseaux fixes ou mobiles. Grâce
au système Avaya Aura Contact Center, l'usage des fonctionnalités de
routage intelligent, les processus de sélection des ressources
286 ALAIN NOËL SONÉ MBASSI

permettent à l'entreprise 1 de gérer efficacement les contacts avec les


clients» (Verbatim, responsable des systèmes d'information).

«Ainsi, pour un besoin donné, l'agent le mieux qualifié et le


plus compétent est désigné pour répondre à la demande du client par
le canal le plus approprié, ou alors le canal préféré du client»
(Verbatim, responsable clientèle).

3.1.4. Évaluation par rapport aux objectifs du projet de transformation


Les innovations réalisées par l'entreprise ont favorisé la
réduction du volume des appels et permis l'émergence de
communications alternatives telles que les emails, les sms, les chats et
les RSN, nettement moins onéreuses. Finalement, nous observons une
synergie des canaux de communication qui améliore la performance
de la force de vente.

3.1.5. Formes d'énaction: le « changement »


L'énaction des RSN génère le changement de la fonction
commerciale. Ceci se traduit par l'innovation des services intégrant la
participation des clients. Nos entretiens en dénombrent six.

Le développement des pratiques de crowdsourcing


Tout en permettant à la marque d'être totalement innovante et
en accord avec les aspirations de ses consommateurs, la création de
contenus et la co-création avec l'entreprise incitent à l'achat des
produits via l'eBAO. « En juin 2017, le compte Twitter de l'entreprise
compte 2836 photos et vidéos postées par l'entreprise pour alimenter
15725 tweets présentant différentes offres, les démonstrations, les
sponsorings et parrainage de l'entreprise. Ils sont encore plus
nombreux, les contenus créés et publiés par les clients internautes et
qui contribuent à vulgariser la marque » (Verbatim directeur
marketing).

L'écoute et l'échange avec la communauté sur les RSN


L'animation, la publication, le questionnement, les
interpellations sur Facebook, Tweeter, et Whatsapp ont créé une
relation de qualité entre l'entreprise et ses consommateurs. « Il y a une
récurrence des feedbacks des consommateurs, les tests de nouveaux
concepts. La détermination de l'indice de sympathie de la marque est
TRANSFORMATIONS ORGANISATIONNELLES : 287
RÉSEAUX SOCIAUX & FORCE DE VENTE

également possible grâce à Facebook » (Verbatim directeur


marketing).

La soumission des votes sur les RSN


« Les community managers interrogent les clients, leur
proposent un vote avec conséquences sur l’évolution des produits, de
la publicité par exemple, ce qui simplifie le choix des consommateurs
envers un produit et rassure l'entreprise sur le succès futur de ce
produit » (Verbatim digital manager). Les clients deviennent des
acteurs qui participent activement au marketing, et peuvent même
acquérir le statut de Brand ambassador.

Les jeux-concours et quiz


« Par l'envoi de photo ou de vidéo sur un concept, les clients
gagnent des prix, ce qui renforce leur engagement envers la marque.
Et pour l'entreprise cela favorise la mise en avant dans les médias et
un capital sympathie » (Verbatim responsable clientèle).

La pratique du social one to one


La pratique du social one to one est également apparue
comme une des transformations majeures de la servuction. « Avant on
se contentait de laisser un message sur le mur, ou d'envoyer un mail
contenant le même message à tous les clients. Aujourd'hui nous
envoyons des messages personnalisés à chaque client » (Verbatim
responsable des systèmes d'information).

L'entreprise dispose de bases de données clients renseignant


sur leurs différents modes de communication. Elle dispose également
d'opt-in qui l'autorisent à envoyer directement à chaque client des
newsletters et des offres dédiées et personnalisées à partir de sa
nouvelle plate-forme marketing. «Sur Facebook nous créons des
onglets additionnels dont nous pilotons les contenus depuis notre
plate-forme marketing. Ceci nous permet de personnaliser les
contenus en assurant en même temps la cohérence avec les autres
canaux » (Verbatim responsable des systèmes d'information).
288 ALAIN NOËL SONÉ MBASSI

Le contrôle de la coproduction du service sur les RSN


L'offre répond à une demande ciblée. «Nous créons un
service pour satisfaire un besoin, nous prenons en compte les lignes
de vie...» (Verbatim commerciaux). « Avant, nous suivions les
interventions des clients par des appels qu'ils émettaient sur un
numéro gratuit, ou lorsqu'ils se présentaient dans nos agences.
Aujourd'hui, nos forums sur les RSN ont amélioré ce service. Nous
intégrons davantage les suggestions des clients dans notre stratégie
de différenciation des services» (Verbatim commerciaux). « Le
contrôle s'établit uniquement dans l'orientation des requêtes des
clients, aucune action corrective n'est menée à l'encontre d'actions
inappropriées par les clients » (Verbatim digital manager).

Une unité de traitement des plaintes et requêtes digitales mise


en place depuis 2013 assure la gestion et la transmission des données
vers les autres départements de l'entreprise pour traitement. De même,
« les clients peuvent évaluer notre service par des "like", ou tout autre
moyen, mais entre clients il n'existe pas de véritables contrôles »
(Verbatim responsable des systèmes d'information).

3.2. Les Caractéristiques de la transformation Cas 2

3.2.1. Initiative: une transformation émergente

Par contre, l'entreprise 2 ne connaît pas des transformations


initiées par la direction.
«Nous sommes avant tout une entreprise de B to B. Nous ne
visons pas le grand public mais les entreprises. La combinaison des
RSN aux canaux de communications classiques n'a pas fait l'objet de
décision formelle de la direction. Mais nous adoptons des formules
diverses en fonction des problèmes rencontrés» (Verbatim, Directeur
général adjoint).
L'entreprise n'a pas mis en place une stratégie de
digitalisation. «L'adoption des RSN n'est pas formelle et relève des
initiatives individuelles des vendeurs» (Verbatim, responsable de la
relation client).

3.2.2. Ecologie: présence d'inertie


La communication est efficace, malgré la non-implication de
la direction pour rendre formelles les procédures et les méthodes de
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RÉSEAUX SOCIAUX & FORCE DE VENTE

travail informelles que tous les employés pratiquent, avec des


compétences individuellement acquises.
«La direction de l'entreprise continue par exemple de
solliciter les copies de mails comme traces d'un deal entre un
commercial et un client» (Verbatim, responsable de la direction
technique).

3.2.3. Processus: Indéfini


La direction adopte les quelques nouveaux procédés initiés
par la force de vente, sans toutefois s'investir dans le renforcement des
compétences. En outre, ces procédés ne sont pas formalisés. Leur
recours demeure donc officieux.

3.2.4. Évaluation par rapport aux objectifs du projet de transformation


Bien que la direction n'ait pas préalablement planifié le
changement, elle reconnaît les effets positifs des RSN sur la
communication.
« Au début ce n'était vraiment pas notre priorité dans la
mesure où les canaux traditionnels de communication nous
satisfaisaient totalement. Aujourd'hui quand même, on reconnaît les
effets positifs bien que ce soit encore embryonnaire » (Verbatim
directeur général adjoint).
3.2.5. Formes d'énaction: l'« application »
L'énaction des RSN améliore l'organisation de la fonction
commerciale sans toutefois la changer.
Le développement des pratiques de crowdsourcing
L'entreprise applique également les techniques de
crowdsourcing, bien que celles-ci ne soient pas aussi développées que
dans le cas 1. Les RSN Facebook, twitter et WhatsApp sont mis à
contribution pour recueillir les informations et avis des clients.
Cependant, aucune stratégie digitale n'a jusqu'ici été mise en œuvre
par la direction.
«Après une tentative de développement du community
manager qui s'est soldée par un échec, nous avons abandonné toute
initiative » (Verbatim directeur général adjoint).
La personnalisation des contenus
Par contre la personnalisation des contenus est une pratique
courante du département marketing. «Malgré la persistance du
290 ALAIN NOËL SONÉ MBASSI

mailing et des SMS, les messages par WhatsApp constituent la


véritable révolution et ce, malgré l'absence d'une stratégie digitale»
(Verbatim responsable de la direction technique).

Le contrôle de la coproduction du service sur les RSN


L'implication du client dans la conception la réalisation et la
livraison du service est une pratique antérieure à l'adoption des RSN.
Cependant, à travers les RSN, « ce contrôle entre dans les opérations
de veille concurrentielle et comporte deux phases. Le traitement de
premier niveau, qui permet d'abord de s'assurer que l'information
reçue est exacte, ensuite un traitement de deuxième niveau qui permet
de prendre la décision finale face à une situation donnée » (Verbatim
responsable de la direction technique).
Il n'existe pas de contrôle du client par d'autres clients. « De fait, les
clients étant tous des entreprises (B to B), ils ne se livrent pas à une
communication libre et ouverte, qui elle est plus adaptée aux
consommateurs dans le cadre du B to C » (Verbatim responsable de la
relation client).

4. – Discussion

La confrontation des variables de transformation


organisationnelle et des formes d'énaction des RSN aboutit à une grille
de lecture des transformations consécutives aux usages des RSN. Dans
le cas 1, le système de servuction intègre les contributions des clients
et prospects via les RSN. Il est favorable à l'innovation, appelle
davantage d'autonomie des employés, et nécessite l'initiative de la
direction générale. Dans cette logique descendante (top down), le
changement est planifié mais son écologie est caractérisée par une
absence d'inertie, les employés adhérant à l'initiative. Le processus qui
a été savamment pensé intègre les trois phases du modèle de Lewin
(1958). L'usage de la technologie par les acteurs contribue à changer
sensiblement leurs façons de faire antérieures. A cet effet, les
interactions récursives font émerger le «changement» comme
troisième forme d'énaction (Orlikowski, 2000). On assiste à une action
récursive pendant laquelle l'énaction des RSN influence les actions de
la servuction et donc spécifiquement les départements commerciaux et
marketing. Ces derniers commanditent à leur tour des effets sur les
TRANSFORMATIONS ORGANISATIONNELLES : 291
RÉSEAUX SOCIAUX & FORCE DE VENTE

autres départements de l'entreprise. On retrouve bien ici la production


et la reproduction des propriétés structurelles du système social telles
que décrites par Giddens (1984) dans la dualité de la structure. La
structure de légitimation se caractérise par de nouvelles règles dans les
rapports entre les départements commerciaux et marketing et les
autres départements de l'entreprise. Les actions initiées par les clients
s'implémentent de manière incrémentale dans l'entreprise et retournent
chez le client sous forme de réponse. La coproduction du service
confère plus de pouvoir aux clients dans le processus de servuction.
Ce faisant, les structures de domination régissent de nouveaux
rapports de pouvoir entre l'entreprise (la force de vente) et les clients.
Le second type de servuction (cas 2) se caractérise par
l'absence d'une reconfiguration de l'organisation, moins d'autonomie
pour les employés, et la centralisation des décisions. Les stratégies y
sont peu évolutives et l'innovation absente. La transformation
s'assimile à «l'application» (Orlikowski, 2000) dans la mesure où les
acteurs ont recours à la technologie pour améliorer leur organisation
antérieure. L'environnement peu concurrentiel dans lequel évolue
l'entreprise du cas 2 est favorable à cette organisation. Le choix de
l'usage des RSN pour exécuter une tâche est une intention individuelle
de chaque employé. Les usages se généralisent ensuite dans toute
l'entreprise traduisant ainsi un mode de changement émergent
(Dawson, 1994). La variable initiative de la transformation suit une
logique ascendante (bottom up). Ici les structures de signification
façonnent positivement la communication entre les employés
initiateurs du travail avec les RSN et les dirigeants. Cependant les
usages généralisés ne convergent pas vers des transformations
relatives à la nature du travail, les modèles d'interaction, la répartition
des tâches. Par conséquent, le processus de transformation n'est guère
perceptible.

Finalement, deux transformations caractérisent les entreprises


observées (Tableau 2). D'une part, un modèle que nous qualifions de «
transformation participative » qui reflète un phénomène organisé et
implémenté par la direction de l'entreprise 1 (cas 1). Nos analyses ont
démontré que ce type de transformation est compatible au changement
en tant que troisième forme d'action. D'autre part, un modèle que nous
qualifions de « transformation non participative » sous forme d'un
phénomène diffus et spontané dans l'entreprise 2 (cas 2), favorable à
292 ALAIN NOËL SONÉ MBASSI

la deuxième forme d'énaction à savoir l'application. L'évaluation des


résultats de la transformation met en évidence des améliorations plus
significatives dans le premier modèle au détriment du second,
notamment la réduction du volume des appels, l'émergence de
communications alternatives moins onéreuses, une synergie des
canaux de communication.

Tableau 2: Modèle participatif vs non participatif

Participatif Non
participatif
Initiative Organisée Spontanée
(planifiée) (émergente)
Ecologie Absence Présence
d'inertie d'inertie
Processus Trois phases Indéfini
de Lewin
(1958)
Résultat positif Indéfini
Enaction Changement Participation
Recommandations -Stratégie digitale
-Implication de la direction
-Approche relationnelle

Sur un plan beaucoup plus global de la littérature en systèmes


d'information, nos analyses de la théorie de la structuration se
rapprochent de ceux de Michaux et Geffroy-Maronnat (2011) qui
démontrent que les transformations socio-organisationnelles en
contexte CRM peuvent être regroupées en quatre grands domaines
distincts de transformation: métier/compétence, contexte de travail,
structure sociale, liens stratégiques organisation/environnement.
Précédemment à cette réflexion, Godé-Sanchez (2008) démontrait
déjà que l’énaction des TIC affecte différemment l’efficacité relative
des mécanismes de coordination selon l’environnement d’action et les
enjeux poursuivis par l’organisation. Les recherches qui centrent leurs
analyses sur la performance du CRM social, sans toutefois se focaliser
sur le concept de transformation organisationnelle, mettent également
en exergue le rôle de ces dernières pour que les entreprises réussissent
l'implantation de ces systèmes (Trainor et al., 2014; Choudhury et
TRANSFORMATIONS ORGANISATIONNELLES : 293
RÉSEAUX SOCIAUX & FORCE DE VENTE

Harrigan, 2014; Harrigan, et al., 2015). Ces travaux relèvent le


concept de capabilité du CRM social, faisant référence à la
compétence d'une entreprise à générer, intégrer et répondre à
l'information obtenue à partir des interactions avec les clients, celles-ci
étant facilitées par les technologies des médias sociaux.

Conformément à la logique de l'entreprise relationnelle, ils


montrent que les systèmes de gestion axés sur le client augmentent la
capacité d'une organisation à se concentrer sur les interactions avec les
clients, en développant les processus d'information et sont susceptibles
d'influencer le succès des initiatives de CRM. Il s'agit de facteurs
déterminants qui soutiennent une culture axée sur le client. Ils sont
constitués d'éléments structurels et technologiques qui garantissent
que les actions organisationnelles sont motivées par les besoins des
clients (Kim et al., 2012; Reimann et al., 2010). Ces recherches
appréhendent les RSN comme des ressources qui influencent
positivement la performance de la relation client via des capabilités au
niveau de l'entreprise. Ces hypothèses battent en brèche les velléités
des approches déterministes comme potentielles sources de l'avantage
concurrentiel. Elles facilitent simplement les capabilités qui
permettent aux entreprises de mieux répondre aux besoins des clients.

5. – Conclusion

Cette recherche a permis d'identifier deux modèles


d'implémentation des RSN dans la fonction commerciale. Les
transformations qui en résultent sont de natures différentes. Nous
avons par conséquent formulé deux recommandations: d'abord la mise
en place d'une stratégie de digitalisation pilotée par la direction de
l'entreprise, et impliquant l'ensemble des fonctions de vente et
marketing; ensuite, l'adoption d'une approche relationnelle, dans
laquelle le client prendrait une place centrale, plus importante dans la
servuction. Au niveau managérial, cette recherche permet de relever
les spécificités du changement dans les entreprises B to B et B to C, et
de faciliter la compréhension des stratégies digitales et leurs
opérationnalisations. Sur le plan théorique, la recherche contribue à
l'analyse du changement organisationnel par la théorie
structurationniste. En s'éloignant des approches déterministes, elle
confirme la logique de la technologie en pratique, qui sous-tend une
294 ALAIN NOËL SONÉ MBASSI

conjonction de la technologie, de la structure sociale et de l'acteur


comme déterminant du changement. Elle permet également une
meilleure appréhension des variables de transformation
organisationnelle par rapport à la nature de l'entreprise. Toutefois,
cette recherche présente deux limites majeures. D'une part une telle
recherche aurait pu être menée sur des secteurs autres que les services,
intégrant les entreprises de tailles diverses, notamment les PME parce
qu'elles sont fortement représentées dans les économies africaines.
D'autre part, notre étude de cas ne permet pas de généraliser nos
résultats parce qu'elle repose sur des critères qualitatifs et un nombre
d'observations restreint. Nous espérons que les recherches futures
prendront en compte ces limites.
TRANSFORMATIONS ORGANISATIONNELLES : 295
RÉSEAUX SOCIAUX & FORCE DE VENTE

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