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Terme anglo-saxon désignant les Connaissances, Talents, Aptitudes et Autres caractéristiques des
candidats potentiels (Knowledge, Skills, Abilities and Other caracteristics)
d. e-Gestion de la performance : cherchant à aligner le comportement des salariés aux
objectifs cherchés par l'entreprise, ce système permet de définir clairement les standards
de performance, d'évaluer celle des salariés et les informer de leurs résultats (nombre
d'unités de travail complétées, temps dépensé par tâche, taux d'erreurs…) et finalement
de définir les actions permettant de remédier aux différences en cas de besoin…
Toutefois, la diffusion de ces technologies dans les pratiques de GRH reste
tributaire de plusieurs conditions dont la plus importante reste la taille de l'entreprise,
vu l'importance de l'investissement initial en e-RH qui n'est pas forcément accessible
pour une grande partie des entreprises.
Il faut également, l'importance du poids du département RH dans la mise en
place de la stratégie de l'entreprise et son ancienneté au sein de cette dernière jouent un
rôle décisif dans l'introduction des TIC à la GRH (Parry, 2011).
3.1.2 Effets des TIC sur la GRH:
Les TIC sont considérées comme un investissement efficace et nécessaire
dans l'environnement concurrentiel d'aujourd'hui. En effet, c'est un facteur
incontournable de flexibilité et de compétitivité permettant aux entreprises de réduire
substantiellement leurs coûts de fonctionnement et de répondre adéquatement aux
exigences de leur environnement hyperconcurrentiel.
À titre d'illustration, le travail collaboratif en groupe de membres
physiquement distants réduit les contraintes de temps et d'espace pouvant entraver la
bonne marche des activités de l'entreprise. Les TIC favorisent alors l'éclatement des
espaces, le re-engineering des processus RH et la mise en place de nouvelles formes
flexibles et compétitives d'organisation de travail (Strohmeier 2009, Matmati 2004).
En outre, la force des TIC provient de la démocratisation de l'accès aux informations
clés auprès de toutes les parties prenantes de l'entreprise grâce à une diffusion
immédiate leur permettant de rester au fait et prendre part de son évolution.
C'est un outil accessible, flexible et transparent assurant une circulation
correcte de l'information et rendant l'organisation de plus en plus aplatie, mettant ainsi
l'être humain au centre du web 2.0 et l'incitant à participer activement au façonnement
du Knowledge Management de son établissement (Hasnaoui et Freeman 2010, Matmati
2004).
Ce "partage de la fonction RH" s'avère particulièrement efficace en raison
de la responsabilisation accrue des parties à tous les niveaux dans le management des
RH de leur entreprise.
L'automatisation poussée de la GRH permet également aux experts plus
compétents de la FRH (maîtrise croissante des TIC, expertises nouvelles…) de se
consacrer plus aux tâches dites "stratégiques" liées au développement de l'entreprise et
ses activités.
3.2 La mise en place des pratiques RSE en GRH: vers une GRRH
Toujours dans le cadre des changements vécus par la DRH, aujourd'hui nous
assistons à un glissement vers le rôle d'une Direction de la Responsabilité Sociale
(Fraisse et Guerfel-Henda 2005). La prise en compte des principes sociaux de la RSE
dans les différentes pratiques de GRH permet l'instauration d'un espace de dialogue et
d’échange nécessaire et bénéfique.
Nous pouvons parler alors d'une gestion responsable des ressources
humaines ou de responsabilité sociale envers les employés, considérée comme une
dimension incontournable de la RSE. En effet, les salariés sont parmi les principaux
ayants droit à prendre en compte dans l'entreprise (Ramboarisata et al, 2008).
3.2.1 Principes de RSE appliqués à la GRH
Les principes de RSE sont établis et mis en place et régis par des
organisations internationales et sont par la suite appropriés par les entreprises désirant
adopter une démarche socialement responsable.
Figure 2: Pyramide des composantes de la responsabilité sociale de l'entreprise
Carroll, 1991
3.3. Vers une synergie nécessaire entre l'humain et l'électronique pour une bonne
GRH
Dans ce point, nous allons commencer par l'identification des effets sociaux
de l'e-GRH, suivie par les pratiques RSE correctives assurant une bonne intégration
sociale des TIC et garantissant ainsi une bonne GRH dans l'entreprise.
3.3.1 Analyse des effets paradoxaux de l'introduction des TIC aux pratiques de GRH
du point de vue RSE
L’introduction des Technologies de l’Information et de la Communication
n’est pas sans effet sur l’environnement du travail. Silva et Hugon (2009), Benrais et al
(2005) et Matmati, (2004) entre plusieurs autres chercheurs font le tour de ses diverses
retombées sur les pratiques de GRH. Loin de prétendre l'exhaustivité, nous citerons:
‐ TIC et productivité des salariés : Tout d'abord, l’informatisation accrue de l'espace de
travail permet de démocratiser de l’information en la rendant accessible et disponible
en temps réel. Les salariés peuvent alors accéder à toutes les données nécessaires à la
réalisation de leur travail ce qui renforce substantiellement la compétitivité de
l'entreprise.
De même, l’avènement des TIC a donné naissance à de nouvelles formes de
travail (dont le télétravail, groupeware et workflow) ce qui permet de flexibiliser
l'entreprise, d'accroitre l’autonomie et la responsabilisation des salariés en les libérant
de la présence physique dans le lieu de travail. Aujourd'hui, plusieurs études ont
démontré que l'e-GRH réduit les coûts relatifs aux frais de déplacement et permet la
réalisation des gains tangibles en termes de productivité et flexibilité.
Également, parmi les bienfaits constatés de l'introduction des TIC à la GRH
nous constatons une amélioration nette de la communication, partage et interactivité
entre les diverses parties prenantes de l’organisation. Cette nouvelle forme de
collaboration est à l’origine de synergies augmentant l’efficacité grâce à une meilleure
diffusion de l'information.
Néanmoins, la difficulté du management des employés en situation de
télétravail, la gestion de l’isolement inévitable dû au télétravail, l'instauration de
mesures de contrôle des équipes de plus en plus virtuelles et la perte des repères pour
leurs membres nécessitent de grands efforts de la part des DRH pour réduire le risque
nocif des TIC sur les pratiques de GRH.
-TIC et conditions de travail : L’informatisation des procédés décentralise la décision,
et ainsi, réduit les rôles d’intermédiaires joués par les managers. Ceci accentue
davantage le sentiment d’autonomie et de responsabilité chez les salariés. Pour tout dire,
le rôle des DRH se trouve largement allégé suite à l'utilisation des TIC, les libérant ainsi
des tâches administratives routinières pour se focaliser davantage sur les aspects plus
stratégiques et prioritaires de la GRH.
Toutefois, la mise en place des nouvelles technologies ne s'accompagne pas
toujours d'une amélioration des conditions de travail. D'un côté, les attitudes et
comportements des collaborateurs s’en trouvent largement affectés car le nouveau mode
de gestion intégrant les diverses technologies intensifie le rythme des échanges au
travail. La journée de travail se rallonge et envahie la sphère privée de la vie des salariés
(phénomène du blurring vie personnelle/vie professionnelle), qui deviennent de plus en
plus victimes de troubles musculo-squelettiques, de fatigue physique, troubles visuels,
de pressions psychologiques et d'ergostressie (stress technologique) générés par
l'augmentation de la cadence du travail.
Par conséquent, ils montrent une certaine réticence et résistance en raison de
l'alourdissement et surcharge de travail découlant de l'usage croissant des TIC. Ces
facteurs, dégradent graduellement la santé et ainsi la satisfaction au travail.
- TIC et emploi, employabilité et développement des compétences : La plupart des études
réalisées au niveau international n'ont pas pu démontrer que le passage de l'entreprise à
la "société de l’information" a un effet net positif et significatif sur l’emploi.
Dans les entreprises, l’introduction des TIC est souvent traduite par une
meilleure insertion des personnes défavorisées (démocratisation du recrutement) en
parallèle avec une reconfiguration des processus de travail dont la conséquence est une
rationalisation de l’emploi et réduction des effectifs (les sureffectifs sont souvent
redéployés vers d’autres activités).
Côté employabilité, les TIC offrent des applications qui permettent la
formation en ligne (e-learning), l’accès aux bases de connaissances ainsi qu’aux
référentiels de compétences de l’entreprise et à l’offre de mobilité interne. Couplé aux
ressources existantes sur Internet, l'ensemble des services RH en ligne donne aux
salariés la possibilité de construire un plan de carrière et de suivre sa mise en oeuvre.
Bref, les TIC facilitent l’accroissement de l’employabilité des salariés mais
seulement si l’entreprise intègre cet objectif dans sa politique RH et alloue les
ressources financières et organisationnelles nécessaires pour sa réalisation
- TIC et dialogue social : Le dialogue social dans l’entreprise renvoie aux échanges
entre les représentants des salariés dans leur diversité avec les représentants de
l’employeur de l’autre côté.
L’objet est souvent lié à la négociation de la politique des ressources
humaines. Bien que, leurs effets de rapprochement entre les différentes parties de
l'entreprise reste indéniable, l'introduction des TIC se traduit par une complexification
et une fragilisation des relations sociales avec des effets négatifs constatés sur la «
légitimité » de l’employeur
TIC et hiérarchie sociale : Le développement des nouveaux outils reste très lié à la
hiérarchie au sein de l'entreprise. En effet, le recours à l'informatique augmente à
mesure que l'on passe des emplois d'exécution aux postes à responsabilités. Le
renforcement de l’utilisation des TIC concerne toutes les catégories
socioprofessionnelles quoique dans des proportions très variées.
Ainsi, nous pourrions dire que pour bénéficier pleinement des avantages
constatés par l'introduction des TIC à la GRH et minimiser leurs effets sociaux nocifs,
il nous parait alors primordial de les jumeler avec une politique sociale adaptée au
contexte de l'entreprise. Nous parlons ainsi d'une intégration sociale des TIC (Mallein
et Toussaint, 1994)
3.3.2. Pratiques RSE facilitatrices de l'intégration des TIC en GRH: vers une e-
GRRH de qualité
Au vu des divers effets sociaux négatifs produits par l’introduction des TIC
dans l’entreprise, la conception de toute une politique sociale accompagnatrice de ce
changement, mettant l'homme au centre de ses préoccupation est de la première
importance.
Nous pouvons ainsi parler d'un mariage entre les pratiques sociales de RSE
et celles d'e-GRH, que nous pouvons nommer e-GRRH (Gestion électronique
Responsable des Ressources Humaines), prenant en charge l'adoucissement, voire
correction (ou encore mieux: prévention) des conséquences indésirables des TIC sur les
comportements des salariés et la garantie d'une atmosphère sociale saine au travail
En se référant essentiellement aux travaux de Matwyshyn (2010), Silva et
Hugon (2009), Schoemaker et al (2006) et Benrais et al (2005), nous pouvons fusionner
l'essentiel des pratiques RSE permettant d'assurer une adoption correcte des TIC
introduite en GRH au sein de l'entreprise sous forme de quatre axes principaux:
3.3.2.1 Prévoir un accompagnement spécial des salariés ayant des difficultés suite à
l'usage des TIC
Par la mise en place d’un comité de pilotage ayant pour mission de
centraliser la gestion de l'insertion du projet technologique en GRH, assurer
l’accompagnement du changement grâce à une maintenance continue et une assistance
de proximité et ainsi améliorer substantiellement l’utilisation des TIC et réduire les
risques de leur sous-utilisation.
Ledit comité devrait se charger également de l'établissement des bilans sur
l'usage des TIC afin de mieux les encadrer, en mettant en relief en plus les différents
besoins en formation nécessaires détectés.
Finalement, ce bilan doit également inclure une étude faisant valoir les gains
nouveaux générés suite à l'usage des TIC, leurs impacts sociaux et humains ainsi que
leurs potentiels d'amélioration.
Dans cette perspective, Pensel (2010) insiste qu'une perspective responsable
doit viser à élargir le nombre des parties prenantes prises en considération lors de la
mise en place d'une l'e-GRH, en intégrant progressivement des parties prenantes
qualifiée de secondaires.
Dans la logique d’une plus grande responsabilité sociétale de l’entreprise,
trois niveaux de management des parties prenantes doivent tous être considérés (Figure
ci-après).
Figure 4: Les trois niveaux de responsabilité sociétale (Pensel, 2010.)
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Donc rompre avec les anciens modèles pour en créer de nouveaux.
I.1.1 Des emplois menacés
Digital et automatisation
Le digital démultiplie les perspectives d’automatisation des métiers. Plus
précisément, l’automatisation est un phénomène ancien (création du moulin en eau au
moyen âge par exemple), mais le digital, notamment les progrès réalisés dans le
domaine de l’intelligence artificielle, permet aujourd’hui de construire des algorithmes
et programmes capables d’exécuter des tâches de plus en plus complexes, et non plus
seulement des tâches constituées de séquence répétitives.
L’intelligence artificielle consiste à reproduite et imiter le raisonnement et
les capacités des êtres humains.
L’intelligence artificielle génère plusieurs applications : reconnaissance
visuelle, reconnaissance et synthèse vocales, traitement automatique du langage, tri de
l’information, planification raisonnement, système d’aide à la décision…. Ces
applications peuvent ensuite se concrétiser dans notre quotidien. Ce sont ces nouveaux
service ou produits qui peuvent faire évoluer les besoins en main- d’œuvre en
permettant l’automatisation de certaines tâches, voire de certains métiers
Créer autant ou plus de valeur avec moins de personnes
Au- delà de l’automatisation, le digital permet de créer autant ou plus de
valeur avec moins de personnes. L’automatisation en est une des premières causes.
L’introduction par exemple des caisses automatiques dans les grandes surfaces permet
ainsi de faire passer tout autant voire plus de clients dans le même temps, avec moins
d’effectifs.
Le digital facilite également le partage d’informations et permet donc
d’augmenter la productivité individuelle ou collective. En entreprise, les réseaux
sociaux internes ou de groupes de conversation par chat ou e-mails permettent aux
salariés de demander conseils à leurs pairs et de recevoir des réponses très rapidement.
En outre, le digital facilite le travail collaboratif à distance et favorise également la
collaboration entre les sites très éloignés géographiquement (différents pays) sans
oublier l’accès à une formation à distance ( MOOC, Massive Open Online Courses)
Les facteurs tels que l’automatisation, partage facile d’informations et la
formation plus accessible alimentent la thèse selon laquelle le digital permet
d’augmenter la productivité, autrement dit de produire autant avec moins de personnes.
Une baisse tendancielle et inéluctable des effectifs
Finalement, l’automatisation et l’augmentation de la productivité diminuent
les besoins en main d’œuvre. Or, cette réduction pourrait ne pas être compensée par la
création d’emplois dans le secteur digital. Ce secteur bien que valorisé financièrement,
n’emploie que peu e salariés.
Ainsi en 2018, Facebook ne compte que 10000 employés pour une
valorisation boursière de 400 milliards de dollars alors que General Motors emploie
200000 personnes pour une valorisation boursière de 51 milliards de dollars.
Par ailleurs, la réduction d’emplois dans un secteur suppose des
licenciements et des réductions d’effectifs, même si elle est contrebalancée dans un
autre secteur Mais l’effet de vase communiquant est limité, car la mobilité
professionnelle d’un secteur à un autre est parfois difficile. On peut supposer que les
mêmes individus concernés par les destructions d’emplois ne sont pas les mêmes que
ceux concernés par les créations d’emplois.
I.1.2 les enjeux des suppressions d’emplois
La digitalisation des processus de production relève de la substitution du
capital humain au travail. La nouveauté introduite par le digital tient essentiellement au
rythme soutenu des innovations techniques qui rend difficile une gestion au fil du temps
de sureffectif engendré. Il s’agit souvent de gérer des suppressions d’emplois dont on
perçoit bien les implications sociales. Il faut aller vite tout en préservant le lien social.
Ces contraintes à réfléchir aux caractéristiques particulières de l’échange économique
et social qu’est la relation d’emploi
L'enjeu pour la fonction RH est alors de tenter de rétablir cette valeur. Cela
passe par un travail sur l'employabilité des salariés concernés par les destructions
d'emplois. En aval, cette employabilité suppose que les salariés sont capables de se
projeter dans des situations différentes dans lesquelles leurs compétences sont
susceptibles d'être valorisées. Cela peut passer par exemple par le détachement hors de
l'entreprise et l'exploration d'autres contextes professionnels. L'employabilité dépend
aussi de la façon dont les compétences détenues peuvent être rendues visibles aux yeux
d'autres employeurs. Un travail doit être entrepris pour inscrire les compétences dans
les cadres institutionnels du marché du travail en les exprimant dans les termes des
systèmes de qualification, de classification et de diplômes les plus usuels.
C'est tout l'enjeu de la validation des acquis de l'expérience, par exemple.
Enfin, ce travail sur l'employabilité peut s'anticiper en favorisant des formes
d'organisation encourageant l'ouverture d'esprit et les a tissages, en choisissant des
méthodes de travail suffisamment génériques pour que les compétences développées
soient transférables, mais aussi en responsabilisant les salariés
On le voit, parce que les destructions d'emplois liées au digital sont
inéluctables, les promesses inhérentes à la relation d'emploi évoluent. Il ne s'agit plus
de garantir la sécurité de l'emploi, mais l'employabilité. Ce raisonnement invite à
prendre acte du caractère éphémère des collabo rations et corrélativement à se méfier
de toutes formes d'investissement professionnel ou affectif trop spécifiques.
Ce faisant, les parties prenantes à la relation d'emploi pourraient être incitées
à se comporter de façon plus opportuniste en réduisant la relation d'emploi à ses strictes
dimensions économiques dans des temporalités courtes, ce qui constitue un très grand
désenchantement du contrat psychologique et rompt avec l'idée qu'une entreprise peut
se constituer en communauté de destins.
I.1.3. Pratiquer la flexisécurité à l'échelle de l'entreprise
La grande rupture du digital consiste en sa soudaineté et son effet immédiat
là où on ne l'attend pas forcément. Des entreprises créées il y a 3 ou 4 ans s'emparent,
avec des effectifs assez faibles, de terrains de jeu économique mettant à mal des acteurs
traditionnels qui se sont construits sur plusieurs décennies. Si dans un premier temps,
seuls quelques secteurs d'activité du service étaient concernés, si bien que le phénomène
demeurait marginal, le phénomène s'est élargi à d'autres secteurs, y compris l'industrie
qui se croyait protégée par des investissements parfois importants. C'est bien pourquoi
on parle de disruption
Quel contrat pour demain et sur quelles bases ?
La baisse tendancielle des effectifs cache un autre phénomène : l'implosion
de la technostructure. En effet, avec les outils du digital, on a moins besoin de fonctions
et managers intermédiaires pour piloter une structure. C'est ce que Joël de Rosnay
nomme l'horizontalisation des organisations ».
L'évolution vers des structures plus plates non seulement renforce la baisse
tendancielle des effectifs, mais modifie aussi la composition des organisations avec
moins de possibilités de carrière longue, d'où l'intérêt de se reposer sur des viviers de
talents interentreprises à créer et gérer. Les filières et les branches professionnelles
peuvent jouer un rôle actif en la matière, à condition de ne pas rigidifier les statuts, mais
au contraire de jouer un rôle de mise en relation.
Dans leur rôle stratégique, les RH ont donc une responsabilité importante
pour réduire cette fracture, liée à l'usage des outils digitaux, mais aussi et surtout à ses
conséquences. Non seulement les formations doivent sensibiliser les salariés à l'usage
du digital mais également porter sur les enjeux futurs. La sensibilisation à la sécurité,
entre autres des données, est l'un des points majeurs, d'autant plus que, dans la plupart
des cas, c'est un facteur humain qui ouvre la faille : profil mal verrouillé, mot de passe
trop simple, ignorance du fonctionnement du web, données laissées en accès...
I.2. Quelles compétences à l'heure de l'obsolescence accélérée?
L'essor du digital a des répercussions sur les effectifs. Il a également entraîné
plusieurs types de transformations affectant les compétences : la nécessité d'un
accroissement de la flexibilité qualitative de la main-d'œuvre, un changement du modèle
de production qui relativise l'importance du capital physique au profit d'un capital
humain constitué de compétences rares, et une accélération des mutations
technologiques qui ôte au système de brevets sa capacité de protection des positions
dominantes et rend les compétences rapidement obsolètes.
I.2.1. L’évolution des métiers et des compétences
La nécessaire adaptation des compétences
Le digital conduit à une évolution de certains métiers et de certaines
activités. Tout d'abord, la digitalisation s'incarne par exemple dans l'automatisation de
certaines tâches autrefois effectuées manuellement. De plus, le digital a pu diminuer le
niveau de compétences requis pour effectuer certaines activités, les rendant accessibles
à des non-spécialistes et provoquant ainsi la quasi-obsolescence des compétences
spécifiques liées à cette spécialité. C'est le cas par exemple de certaines tâches d'écriture
ou de mise en forme de documents, ou encore de communication. On est ainsi passé
d'un monde où, au cours du xx siècle, des dactylographes professionnelles participaient
à des concours de rapidité de frappe, à un monde où, au début du xx siècle, taper un
texte à l'ordinateur est devenu le quotidien de bien des salariés d'entreprise et où,
rapidement, les logiciels de retranscription automatique rendront sans doute inutiles
toutes les compétences liées à la dactylographie.
La transformation des modèles de production
La digitalisation conduit également à une transformation des modèles de
production, dans lesquels l'importance du capital physique est relativisée au profit du
capital humain, et plus précisément des compétences rares. En effet, la virtualisation
des échanges et des relations réduit l'importance des lieux d'interaction physique.
Un exemple flagrant de cette évolution est bien sûr le secteur de la grande
distribution. Amazon s'est introduit avec succès dans ce secteur sans disposer de points
de vente physiques, alors que les acteurs traditionnels (supermarchés, boutiques...)
cherchent à s'implanter dans des lieux stratégiques en matière de zone de chalandise.
On passe donc d'un modèle dans lequel le lieu d'implantation est un paramètre
stratégique, différenciant, à un modèle dans lequel il n'a plus d'importance.
L'accélération des changements technologiques
Enfin, la digitalisation s'accompagne d'une accélération des mutations
technologiques qui irriguent tous les domaines et les secteurs. Les phénomènes dits de
« disruption », qui existaient déjà auparavant mais sont de plus en plus fréquents,
illustrent cette accélération. D'après une étude menée par Accenture en 2018, 44 % des
3 600 plus grandes entreprises au niveau international sont confrontées à un risque élevé
de disruption'.
Cette accélération s'accompagne d'une croissance importante des dépôts de
brevets : en 2017, l'Office européen des brevets a enregistré 310000 demandes, contre
225000 en 2008. Or, les dépôts de brevets avaient déjà connu une croissance
ininterrompue depuis la fin du xx siècle. Selon une étude de l'OCDE (2015), cette
croissance est notamment liée à la compétitivité croissante des processus d'innovations,
au développement des systèmes de partage de connaissances et à l'arrivée de nouveaux
acteurs (start-up notamment) sur le marché de l'innovation technologique, qui
diminuent la pérennité des brevets.
Par ailleurs, de nombreuses connaissances sont aujourd'hui produites en
dehors du système des brevets: c'est le cas par exemple des logiciels libres ou en open
source, qui respectent des principes de libre redistribution et d'accès au code source. Le
mouvement de l'open source, créé à la fin des années 1990 dans le monde informatique,
s'oppose aux systèmes d'innovation fermée et protégée par la propriété intellectuelle.
Les tenants de l'open source valorisent notamment les possibilités de collaboration,
d'amélioration et d'innovation qu'autorise l'accès au code du logiciel.
Le digital contribue donc à trois grands changements :
✓ Une recherche croissante de flexibilité qualitative et quantitative ;
✓ Une diminution de l'importance du capital physique (au profit sou- vent du
capital humain);
✓ Une accélération des changements technologiques.
Ces changements mettent la capacité d'innovation au cœur de la stratégie et de la
pérennité des entreprises et font évoluer la façon de considérer et de gérer les
compétences de l'entreprise.
I.2.2. Repenser l’entreprise comme une combinatoire de compétences
Les capacités d’adaptation et d’innovation prennent une importance vitale.
Cette évolution conduit à repenser les stratégies de l’entreprise. Depuis les années 1990,
les théoriciens de l’analyse stratégique ont fait évoluer leurs modèles. Les approches les
plus récentes insistent peu sur l’excellence opérationnelles dans un domaine d’activité
particulier. Elles invitent au contraire à regarder comment les entreprises peuvent
exploiter un portefeuille de ressources et de compétences pour opérer dans des
domaines variés et évolutifs.
Vers l'abandon de toute forme de GPEC ?
Les schémas traditionnels de carrières avec des organisations RH par paliers
évolutifs perdent de leur sens dans le contexte actuel. Ils seraient même contre-
productifs. Nous ne sommes plus dans des processus de production continus, mais
plutôt « incrémentiels »et non linéaires favorisent la réactivité.
Il faut pour cela des personnes autonomes et agiles et organiser de
l'information permettant une entropie positive. L'organisation RH doit être souple, pour
intégrer, comme on l'a vu précédemment, mais également pour favoriser le temps de
production ou de réalisation. Est-ce à dire pour autant que cela condamne toute GPEC?
La gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) visait à
anticiper les besoins futurs en matière d'emplois, à identifier les écarts entre les
compétences actuelles et futures induites par les emplois de demain, et naturellement à
travailler sur des programmes de formation et d'accompagnement des salariés.
Si l'on en croit le nombre de plans de licenciement intervenus dans les années
1990 et après, force est de constater que ce ne fut pas un grand succès. De plus, la
digitalisation qui engendre un double contexte de non- prédictibilité (incertitude
économique et compétences techniques futures inconnues') rend plus difficile
l'identification des besoins futurs.
Reprenons notre exemple sportif pour essayer de mieux cerner les enjeux de
notre organisation. On l'a vu, il faut être capable de s'adapter rapide- ment pour pouvoir
pivoter et faire appel à des compétences très précises (sans qu'on les connaisse
précisément à l'avance), le tout en conservant un collectif. On peut donc identifier trois
enjeux majeurs méritant réflexion pour la fonction RH:
✓ Faire en sorte de mobiliser des compétences futures et être en mesure de
les déployer rapidement pour répondre à la nécessité d'un pivot
stratégique ;
✓ Identifier les compétences-clés et les distinguer des compétences
périphériques ; jauger la force centripète à appliquer ou le degré
d'intégration plus ou moins fort dans le collectif.
✓ Entretenir la curiosité et l'apprentissage de l'organisation, nourrir un
système ouvert (à l'inverse des anciens modèles fermés sur eux- mêmes).
Il faut :
Gérer les compétences en vivier
Répondre au premier enjeu suppose non seulement une fonction
d'identification forte (cf. supra sur le recrutement), mais surtout une capacité de
déploiement rapide, c'est-à-dire un socle solide de compétences premières sur lesquels
on pourra s'appuyer. Il faut donc déployer un système de veille large capable d'identifier
des signaux faibles avant-gardistes et annonciateurs de besoins futurs. Et, outre la
constitution d'un vivier, il faut s'organiser pour pouvoir le solliciter et l'organiser
rapidement en force de frappe en mode projet.
L'exemple des grands chantiers pourrait servir de modèle : capacité à créer
dans le monde une force de frappe pour mener à bien la construction d'un pont, d'un
stade ou d'un autre bâtiment avec d'une part des salariés du groupe et d'autre part des
indépendants. On pointe là une dimension « architecte « (pour rester dans le monde de
la construction) ou « chef de projet » de la fonction RH. C'est une révolution puisque
les compétences ne sont plus à gérer au sein d'une structure, mais plus largement.
Ne pas marginaliser les compétences périphériques
Pour ce faire, il faut pouvoir s'appuyer sur une ossature forte et résiliente.
C'est tout l'objet du deuxième enjeu : distinguer les compétences centrales ou nodales
qui devront faire l'objet d'un lien fort avec l'organisation et bénéficieront sûrement d'un
contrat salarié, des compétences plus périphériques qui bénéficieront d'un statut moins
pérenne qui ne devra pas pour autant être un sous-statut.
Dit autrement, il faut gérer la dichotomie des profils et l'hyper-fréquence
des compétences techniques (fait d'avoir besoin sur un temps très court d'une très haute
compétence technique mais pas de manière durable). Rôle plus stratège que le
précédent, la fonction RH doit faire preuve de discernement pour adopter le bon lien et
apprendre à gérer des contrats juridiques multiples : salarié, mais aussi indépendants,
dans la continuité ou avec un relâchement plus ou moins important selon la nécessité
stratégique de la compétence.
Entretenir un état de veille permanent
Dernier enjeu, la RH doit entretenir la curiosité d'équipes hétérogènes pour
les maintenir en éveil permanent et faire en sorte qu'elles se for- ment, en restant
ouvertes sur l'extérieur. C'est un point important de la transformation digitale que de
repenser la formation, certes du fait des nouveaux outils (en ligne, mais aussi du point
de vue de la pédagogie comme l'utilisation de serious games) et nouvelles possibilités
offertes, mais surtout conceptuellement : la formation n'est plus un grand plan pensé et
diligenté par la direction de la formation ou le service du même nom, elle doit se
construire avec les individus bénéficiaires (et pas uniquement avec les managers). Ces
derniers doivent être dans une démarche continue d'autoformation, qu'ils se forment
dans ou hors de l'entreprise.
La fonction RH a un rôle crucial pour que les salariés prennent en main leur
formation professionnelle. La fonction formation n'est donc plus top down
(conceptualisée au niveau de la direction puis « descendue » vers les salariés) et unique
service de prestations (incapacité à intégrer des actions de formations non pilotées par
le service), mais en soutien soft et efficace de l'ensemble des salariés pour entretenir
l'esprit de curiosité et d'ouverture.
D'une certaine façon, on pourrait dire que la RH doit effectuer un lâcher-
prise. Poussée dans une forme de justification de son rôle, la fonction a peut-être pêché
par pseudo-rationalisation en faisant de la GPEC un cadre scientifique de la gestion des
ressources en entreprise. Or, il ne s'agit plus de gérer les compétences pour des emplois
déterminés, mais bien de créer les conditions favorables à la polarisation d'une somme
de compétences utiles pour un moment donné.
En ce sens, la GPEC est morte. Mais dans son ambition stratégique
d'anticipation, elle perdure et devient même un facteur essentiel de la réussite de la
direction des RH.
I.3. Repenser le dialogue social
Les évolutions importantes introduites par le digital (rapidité des
changements, adaptation permanente des effectifs, compétences confrontées au risque
d'obsolescence accélérée) nécessitent une adaptabilité forte des entreprises. Cette
adaptabilité doit être actée dans le dialogue social. Or, ce dialogue est lui-même
confronté à de nouveaux enjeux, liés par exemple à la baisse tendancielle des effectifs,
qui lui imposent une forme de renouvellement. Le digital crée toutefois de nouveaux
outils ou de nouvelles formes de concertation qui peuvent soutenir ce renouvellement
I.3.1. Un dialogue social
Le dialogue social, condition de l'adaptation des entreprises :
Les entreprises font aujourd'hui face à des restructurations fréquentes et
importantes, visant un maintien de la compétitivité dans un univers incertain où les
changements s'accélèrent. Or, la mise en place d'une forme de flexibilité, qu'elle soit
externe ou interne, quantitative ou qualitative, nécessite dans la majorité des cas de
passer par le dialogue social. De la même façon, les obligations des (grandes)
entreprises en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences leur
imposent d'échanger avec les instances représentatives du personnel.
Le dialogue social est une condition de l'adaptation des entreprises. C'est ce
que prouvent différents cas d'entreprises freinées dans leur évolution par un dialogue
social bloqué, et à l'inverse d'entreprises qui se servent du dialogue social pour poser
les bases d'une adaptabilité à la fois rapide et respectueuse des individus.
Les nouveaux enjeux du dialogue social :
Or, s'il constitue une condition de l'adaptabilité des entreprises, le dialogue
social doit lui-même faire face à de nouveaux enjeux.
Le premier enjeu est lié à la baisse tendancielle des effectifs et à la hausse
des contrats temporaires. Ainsi, la baisse des effectifs pourrait contribuer à la
multiplication de petites structures, au détriment des grandes entreprises traditionnelles.
Or, les obligations sociales des entreprises dépendent de leur taille, les grandes
entreprises ayant plus d'obligations que les petites en matière de négociation et de
concertation avec les syndicats.
Mais si les petites structures se multiplient, sachant que le dialogue social y
est moins développé que dans les grandes, quel est l'avenir des syndicats ? Par ailleurs,
le recours à des contrats de type free-lance, sous-traitance, intérim, pose au moins autant
de questions aux syndicats qu'aux DRH. En effet, traditionnellement, les syndicats
défendent les intérêts des « insiders » à savoir les salariés en CDI. Dès lors, le périmètre
des syndicats doit-il évoluer pour tenir compte de cette main d'œuvre en périphérie de
l’entreprise ?
Le deuxième enjeu est lié à l'évolution des compétences. L'obsolescence
rapide des compétences impose aux salariés de développer des capacités d'adaptation,
et accorde un primat aux compétences transférables, moins menacées d'obsolescence.
Cette tendance risque de se trouver en porte-à- faux avec certaines logiques d'identité
professionnelle ou de métier fortement ancrées dans des savoir-faire ou des
compétences techniques.
Les syndicats seront donc peut-être amenés à revoir leurs logiques et stratégies
à l'aune des changements déjà amorcés.
Enfin, le troisième enjeu, qui peut constituer une source de regain de
légitimité pour les organisations syndicales, est lié à l'importance croissante du capital
humain au détriment du capital physique. En effet, les syndicats ont justement pour rôle
de défendre et de souligner l'importance du facteur humain dans l'entreprise.
Historiquement, cette défense a plutôt pris la forme d'une défense de l'emploi ou de
revendications statutaires.
Mais les syndicats pourraient voir dans ces changements une opportunité
pour glisser vers une défense des salariés et du capital humain et non plus de l'emploi,
et ainsi espérer un regain de légitimité.
Le digital au service du dialogue social ?
Cependant, la digitalisation n'est pas uniquement constituée de menaces ou
de nouveaux enjeux structurants pour le dialogue social. Elle apporte aussi de nouveaux
outils et de nouvelles formes de concertation ou négociation.
Ainsi, le développement de la prise de parole des salariés, par exemple grâce
aux réseaux sociaux internes, constitue un premier outil de renouvellement du dialogue
social. Ainsi, dans la vie publique, les citoyens n'hésitent plus à mobiliser les réseaux
sociaux pour provoquer la mise à l'agenda de certaines demandes, comme en témoigne
le succès de pétitions lancées sur les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux peuvent aussi être mobilisés à des fins d'organisation et
de mobilisation. Même si le phénomène est encore peu développé en entreprise, on
pourrait imaginer des mobilisations de salariés identiques sur les réseaux internes des
entreprises.
Plus générale- ment, ces plateformes d'expression des salariés pourraient
représenter une source d'informations importante pour les syndicats dans l'identification
des besoins et des revendications des salariés. Par ailleurs, les syndicats pourraient aussi
utiliser les réseaux sociaux pour communiquer auprès des salariés sur leurs activités et
leur positionnement.
Echanger avec les syndicats sur le digital peut aussi conduire à la création de
nouvelles instances plus souples et plus ouvertes que les instances traditionnelles. En
effet, ces dernières, souvent « silotées » en fonction de leurs thématiques d'expertise
(exemple: santé et sécurité au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail),
sont peu propices aux échanges sur un sujet aussi transverse que le digital.
Or, pouvoir échanger avec les syndicats sur les mutations du travail
engendrées par la digitalisation semble essentiel. C'est pourquoi certaines entreprises
ont fait le choix de créer une instance dédiée : Orange a par exemple mis en place un «
conseil national de la transformation numérique » qui se réunit régulièrement pour
permettre aux syndicats et à la direction d'échanger par exemple sur des
expérimentations de nouveaux modes de travail.
Cette concertation peut même aboutir à la signature de nouveaux accords.
Ainsi, certaines entreprises ont profité de l'obligation de signer une charte ou un accord
sur le droit à la déconnexion pour négocier avec les syndicats sur le sujet plus large du
digital. Ces différents éléments représentent autant d'opportunités pour renouveler un
dialogue social aujourd'hui en perte de vitesse, notamment auprès des salariés les plus
jeunes
Dialoguer pour apprendre et améliorer les décisions :
De façon peut-être caricaturale, on peut avancer que le management est
souvent tenté de faire taire l'expression de contradictions, notamment lorsque les
décisions sont complexes et ont des effets qui ne sont pas univoques. Cela passe par
deux stratégies aux résultats similaires :
✓ Exercer une pression plus ou moins violente sur les salariés (ceux qui ne sont pas
d'accord peuvent aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte ») ;
✓ Mobiliser des arguments d'autorité teintés d'évidences scientifiques pour
discréditer tout avis contraire (« Il n'y a pas d’alternative !»).
Dans un cas comme dans l'autre, les salariés ne sont pas entendus. Or.
l’expression des salariés est précieuse. L'information ainsi remontée peut concerner les
attentes des salariés ou leur ressenti. La décision pourra alors être améliorée dans le sens
d'une plus grande satisfaction des intérêts en présence. Mais l'information peut aussi
concerner les mutations à l'œuvre.
L'insatisfaction des salariés ne porte en effet pas uniquement sur leur
rétribution. Elle concerne souvent la qualité du travail fourni, la façon de satisfaire les
clients, ou des choix technologiques ou organisationnels que les salariés jugent plus ou
moins appropriés. La résistance au changement ne reflète pas que le refus de sortir de
routines sécurisantes ; c'est aussi une façon de viser le bien commun en débattant de
l'utilité de ce changement et en cherchant à l'améliorer en faisant valoir l'expertise
accumulée dans le travail et dans l'expérience.
Le dialogue social peut ainsi viser à solliciter cette expertise tacite pour
élargir le spectre des paramètres à intégrer dans les décisions de toute nature : RH,
marketing, technologique, organisationnelle, stratégique. Cela semble d'autant plus
pertinent que l'on se situe dans un environnement VUCA qui rend la prise de décision
à la fois plus fréquente, mais également plus périlleuse.
Il faut pour cela permettre l'expression des salariés, ce qui suppose
notamment que ceux qui contribuent au débat soient encouragés et préservés
d'éventuelles représailles dans l'hypothèse où leurs contributions viendraient heurter tel
ou tel ego ou tels ou tels intérêts.
Ici encore, la fonction RH et ses partenaires sociaux peuvent jouer un rôle
pour organiser et sécuriser ces espaces de discussion et rendre possible l'existence de
groupes de brainstorming aussi permanents qu'informels dans les organisations en
pleine mutation.
I.3.2. Passer de la confrontation à la coopération
L'impératif d'agilité des structures pour faire face à l'accélération du temps
ne peut se faire sans l'assentiment de toutes les personnes contribuant à l'organisation.
La construction d'un dialogue social apaisé est donc nécessaire.
Selon la taille des entreprises, il s'exprimera différemment : au sein des PME,
des TPE ou des organisations à taille humaine, la proximité des acteurs entre eux et avec
le terrain joue assez naturellement en faveur d'un dialogue direct et dénué d'enjeux
politiques. Dans les grandes organisations, il n'en est pas toujours de même et encore
moins dans le cas spécifique français, où le dialogue social peut prendre une forme plus
conflictuelle et stéréotypée.
Quelle que soit la taille de l'entreprise, le corps social aura une tendance
naturelle à se souder face à un environnement incertain. Tout l'enjeu pour les RH
consiste à en faire, indépendamment du contexte juridique, l'un des pivots sur lequel
articuler l'agilité des organisations en dépassant les clichés traditionnels. Et de cette
capacité dépend l'utilité de la fonction dans la structure.
Prendre en compte la puissance des réseaux sociaux :
Les organisations n'échappent pas aux réseaux. La représentation
institutionnelle n'est plus la seule existante dans les organisations. Comme dans la
société civile, les réseaux sociaux sont devenus incontournables. S'il y a toujours eu des
réseaux au sein des organisations, les outils numériques leur ont donné un poids
différent et l'absence de fonctionnement de la représentativité traditionnelle et
institutionnelle nourrira encore leur essor.
Il ne faut donc pas sous-estimer le rôle des réseaux sociaux dans le cadre du
dialogue social, que ces réseaux se construisent dans un but durable ou plus éphémère.
Ils peuvent répondre à des problématiques très différentes.
On peut aussi citer les blogs de salariés ou de managers, ou encore d'un
dirigeant s'adressant directement à l'ensemble des salariés. Il s'agit d'une forme plus
subtile et moins formelle que les anciennes directives ou les discours, à la différence
près que n'importe qui peut l'initier.
Il parait impossible d'ignorer ces formes de dialogue. Les RH doivent les
canaliser et les organiser pour les intégrer dans le dialogue global, d'une part au travers
du réseau social de l'entreprise en lui-même, qui doit pou- voir laisser l'expression libre
et la spontanéité s'exprimer, et d'autre part dans le cadre des réseaux sociaux extra-
entreprises.
Dialogue direct vs dialogue intermédié ?
Faut-il opposer les deux dialogues ? Il est plus intéressant de considérer ces
différentes formes d'expression comme le cours d'un fleuve ; si, à un moment, la rivière
se divise pour former un autre bras, c'est qu'un obstacle (pas forcément visible) a fait
dévier une partie de l'eau qui rejoindra ainsi plus rapidement le lit principal.
Le collectif peut s'enrichir de ces différentes formes d'expressions et
s'appauvrir de ne considérer que l'un des bras de la rivière : souvent, les sujets ne sont
pas les mêmes, et les manières de les aborder peuvent être très complémentaires.
La RH a une double mission de recontextualisation des prises de position
d'une part, de synthèse de l'autre. Cela fait d'ailleurs partie de son rôle que de pouvoir
aller toujours plus dans les détails et d'en tirer une synthèse globale utile pour le
collectif. La fonction RH a un rôle important de storytelling pour juguler ces forces
centripètes et les obstacles au collectif.
Ces réseaux sont par ailleurs l'opportunité d'identifier les leaders d'opinion
utiles au collectif. Ils constituent donc une pépinière intéressante de talents, au même
titre que les élections. La RH doit donc construire un continuum d'expression entre ces
différentes formes de dialogue et assurer la cohérence des positions prises sur la totalité
des médias.
CHAPITRE II : MARCHANDISATION : LE DIGITAL, OU LA
TRANSPARENCE SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
On a pu démontrer dans le premier défi que le digital a eu pour conséquence
une accélération très forte du temps et du changement, provoquant la nécessité pour les
organisations d'évoluer en permanence et pour les RH de réfléchir à la notion de
compétences : quelle signification donner au mot dans un monde en perpétuel
mouvement et incertain, quelles notions de référentiel construire ?
Il y a également pour la fonction, nécessité de réimaginer un dialogue social
actif à un moment où la notion d'effectifs pourrait poser question (pérennité des
effectifs, périmètre à considérer...).
II.1. De « tous fonctionnaires à « tous intermittents »?
Sous l'effet de la digitalisation, l'organisation classique, fondée sur la
pérennité de la relation employeur-salarié et aux frontières bien déter- minées, risque
de ne plus constituer la norme. Les formes d'organisation temporaires, ou par projet,
peuvent quant à elles devenir beaucoup plus fréquentes, engendrant une croissance des
nouvelles formes d'emploi et de la pluriactivité.
II.1.1. Vers la norme de l’organisation par projet ?
L’organisation par projet, structurée autour des projets et donc par définition
mouvante, a toujours existé dans certains domaines notamment dans le milieu artistique,
les individus travaillent sur les projets temporaires et doivent changer de projet une fois
leur mission terminée.
De ce fait ils sont amenés à changer régulièrement le lieu de travail,
d’employeur, de collègues. Or, sous l’effet de la digitation, ce type d’organisation
pourrait devenir la norme. Ce phénomène conjure trois facteurs ; brouillage des
frontières de l’organisation, l’apparition ou l’extension de nouvelles formes d’emploi
et la croissance de la pluriactivité.
Des frontières de l'organisation qui se brouillent
L'accélération des changements technologiques, le besoin d'innovation et le
partage de l'information rendent obsolète le modèle de l'organisation refermée sur elle-
même. Pour renforcer leur stratégie d'innovation, les entreprises ont au contraire de plus
en plus tendance à s'ouvrir vers des écosystèmes relativement larges : partenariats avec
des start-up, avec des laboratoires de recherche, avec des chaires, avec leurs concurrents
ou leurs partenaires industriels ou commerciaux, ou encore avec leurs clients. Ce
phénomène, relativement récent, est parfois qualifié d'entreprise étendue ».
Ces phénomènes contribuent à brouiller les frontières de l'organisation, qui
ne se caractérise plus par des frontières rigides et bien établies, mais s'insère dans un
écosystème plus large.
Les nouvelles formes d'emploi :
Le brouillage des frontières de l'organisation s'accompagne de l'apparition
et de la croissance de nouvelles formes d'emploi, plus précaires et plus flexibles. Le
modèle du CDI à temps plein est ainsi fortement remis en cause. Différentes formes
d'emploi se développent.
Une première forme correspond au travail indépendant en freelance. Pendant
longtemps, cette forme d'emploi a été réservée à des prestations intellectuelles ou de
service (informatique, coaching, conseil, formation), mais elle s'est considérablement
développée ces dernières années, notamment avec l'apparition de nouveaux acteurs
comme Uber.
L'un des intérêts majeurs mis en avant par les individus en freelance réside
dans l'autonomie et la liberté importantes qui sont permises par ce statut. Ainsi, un
freelance peut décider lui-même des missions qu'il réalise, du temps de travail qu'il y
consacre, de l'organisation de son temps. Cependant, cette autonomie a pour corollaire
négatif une précarisation importante, puisque l'organisation qui emploie le freelance
peut rompre le contrat très facilement.
Une deuxième forme d'emploi concerne le travail pour des groupements
d'employeurs, proche du portage salarial : un individu a un contrat avec un groupement
d'employeurs, ou bien est employé ponctuellement par un autre employeur que le sien
dans le cadre d'un prêt de main-d'œuvre. Ces formes d'emploi sont encore relativement
peu développées en France (en 2017, 30000 personnes travaillent pour un groupement
d'employeurs, 30000 en portage salarial selon l'APEC'), mais illustrent aussi une forme
de rupture avec le CDI classique.
Enfin, une troisième forme d'emploi concerne moins le statut du travailleur
que la manière dont s'opère le travail au sein de l'entreprise. Un salarié peut en effet,
tout en restant en CDI classique pour une entreprise, ne pas avoir de mission, de
responsable hiérarchique ni d'équipe attitrés, mais être amené à travailler sur des projets
temporaires.
Dans ce cas, il change de responsable et d'équipe à chaque fois qu'il change
de projet. Cette forme d'activité, courante par exemple dans les cabinets de conseil,
pourrait se développer sous l'impulsion de nouvelles solutions de mise en relation entre
des salariés et des projets.
II.1.2. L’extension du domaine du marché ?
Les formes atypiques d’emploi qui viennent d’être décrites ne sont pas
nouvelles. Toutefois ; le digital favorise leur généralisation. En effet, en rendant moins
couteux le recours au marché, il réduit le périmètre des emplois stables classiques. Ce
faisant, il conduit la fonction la fonction RH à sortir des frontières juridiques de
l’entreprise.
La GRH est historiquement ancrée dans une forme particulière d’emploi
caractérisée par l’idée que les salariés participent de façon relativement pérenne à une
organisation et une seule qui a pour mission et pour intérêt de développer leurs
compétences et de les affecter, en interne à différentes tâches en fonction de ses besoins
dans le cadre d’une relation de subordination assumée.
Vers des organisations polymorphes ;
L'accélération du temps et la compétitivité accrue poussent les organisations
non à s'adapter, mais à devenir souples. La nuance est importante : avant, il suffisait
d'adapter le cadre pour faire face à un facteur exogène ; aujourd'hui, ce cadre doit
pouvoir s'ajuster en permanence. Pour gagner en souplesse, les fonctions RH vont
devoir apprendre à dissocier leurs effectifs du lieu, physique ou juridique, de réalisation
de la création de valeur en adoptant des organisations polymorphes à géométrie
variable.
À l'inverse du passé, il n'y a plus de modèle standard dominant
d'organisation, mais au contraire x solutions à concevoir en fonction des logiques
propres de création de valeur. À la fonction RH d'imaginer les liens les plus
efficaces/rentables de chacun des contributeurs avec l'organisation : contrats de
collaboration sur mesure en plus des salariés, notion d'effectifs à géométrie variable,
intégration de statuts d'indépendants dans la politique RH... Par polymorphe, on entend
cette diversité qui fait plus penser à une notion de hub de production, une sorte de
plateforme sociale à géométrie variable qu'à une entreprise. Ce n'est pas sans soulever
des questions juridiques importantes au titre du lien de subordination, de la dépendance
économique ou de traitement équitable.
Apprendre à partager ses compétences :
Fortes de toutes ces évolutions, les organisations et donc les fonctions RH
vont devoir apprendre à partager les compétences. Ce n'est pas un concept nouveau,
puisqu'il existait des réseaux de partage d'un salarié entre plu- sieurs entreprises (il suffit
d'évoquer les groupements d'entreprises). La nouveauté provient de la multiplication
des slashers, indépendants, dont on a parlé en début de chapitre, qui n'est pas sans poser
des questions du point de vue RH.
Jusqu'à présent, l'organisation du travail était assez simple puisque la
majorité des travailleurs relevaient d'un statut principal auquel était associé un temps de
travail déterminé par la législation en vigueur. En cas de multi-employeurs, le temps de
travail était fractionné.
Les formes temporaires, CDD ou intérim, étaient également cadrées. En
revanche, le statut d'indépendant ne l'est pas, par définition. Le recours accru à ce mode,
associé au fait que les individus vont avoir plusieurs emplois, complexifie le travail de
la fonction RH, d'un point de vue légal et du respect de la réglementation du temps de
travail, mais aussi du point de vue de la santé et donc de l'encadrement de ces individus.
Sur le plan de la confidentialité et de la propriété intellectuelle du savoir
développé également, la fonction RH va devoir apprendre à gérer autre- ment et intégrer
ces nouveaux statuts en s'inspirant des pratiques plus contractuelles du marché :
signature de non disclosure agreement, pratique d'appels d'offres ou de contrats d'achat
de prestations intellectuelles en évitant les conflits d'intérêts (ce qui remplace les règles
sociales d'exclusivité).
La plus grande difficulté consistera à jongler entre droit salarial et droit des
affaires, avec le risque en France que le premier prenne le dessus en termes de
compétences (compétence exclusive du Conseil de prud'hommes dès lors qu'il est avéré
qu'il existe un contrat de travail, toute la question reposant sur l'existence d'un lien de
subordination).
La fonction RH va donc s'élargir au-delà du suivi et de l'accompagne- ment
des salariés. Elle va progressivement intégrer certains prestataires externes et
fournisseurs dont les attentes sont plus fortes et les statuts multiples (autant de contrats
individualisés avec des clauses spécifiques que de contractants).
II.2. La marchandisation du travail
Nous avons rapidement évoqué dans le point précédent l'apparition de plate-
formes venant modifier la relation d'emploi, en facilitant notamment la mise en relation.
Il ne s'agit pas d'un phénomène anodin, mais bien d'une tendance de fond qui facilite la
dérégulation du marché du travail.
Dès lors, les polarisations sociales risquent d'être accentuées, entre individus
« starifiés » et exclus du marché du travail, ou travailleurs cantonnés à des formes
d'emploi précaires. Ce risque de marginalisation et d'ubérisation, s'il n'est pas nouveau,
engendre des défis importants pour la fonction RH.
II.2.1. Une ubérisation progressive
Uber, plateforme de mise en relation entre des chauffeurs et des clients, a
donné son nom à une tendance de fond : l'ubérisation. On peut donner plusieurs
définitions de l'ubérisation, qui présente toutefois trois caractéristiques essentielles :
l'existence d'une plateforme numérique de mise en relation, le paiement du client auprès
de la plateforme (dont le business model repose sur le prélèvement d'une commission)
et le paiement du prestataire par la plateforme, et l'évaluation croisée du prestataire par
le client et du client par le prestataire.
L'ubérisation présente de nombreux enjeux sociétaux, notamment en lien
avec des risques de polarisation sociale et de marginalisation.
Polarisation(s) sociale(s) :
La polarisation du marché du travail est une des conséquences de cette
disparition du CDI. Certaines études indiquent qu’entre 1980 et 2000, le marché du
travail s’est progressivement polarisé dans les pays développés vers des emplois à bas
salaire et des emplois à haut salaire, au détriment des emplois intermédiaires. Ces
évolutions résultant de l’évolution technologique qui a contribué à l’automatisation des
taches routinières manuelles, modifié les besoins en main d’œuvre et facilité la
mondialisation et les délocalisations
Les risques de marginalisation :
Ces polarisations risquent de se traduire par une marginalisation et une
précarisation de certains individus, hors du marché du travail rémunéré et stable.
Plusieurs cas peuvent ainsi être identifiés :
Les individus ne parvenant pas à assurer la visibilité de leur profil ou de leurs
compétences risquent de se trouver exclus du marché du travail. Cette tendance, qui
était déjà à l’œuvre étant donnée l’importance attachée au CV dans le cadre du
recrutement, se renforce du fait de la transparence et de l’accès à l’information facilité
par Internet. Pour y remédier, l’APEC propose des formations ou conseils dans le
domaine du personal branding « gestion de l’image de soi » sur Internet et les réseaux
sociaux en particulier) ;
Les individus ne parvenant pas à prouver leur adaptabilité et leur capacité à
suivre les évolutions de l’entreprise risquent aussi cette exclusion. Comme on l’a vu
dans le Chapitre 2, l’obsolescence accélérée des compétences et savoir-faire fait de la
capacité d’adaptation une qualité essentielle sur le marché du travail. Par ailleurs, la
marginalisation peut prendre plusieurs formes, liées aux différents types de polarisation
: salaires faibles, travail à temps partiel, en contrat précaire, sans locaux ou bureaux…
Ainsi, comme on l’a vu, les travailleurs d’Amazon Mechanical Turk n’ont
pas de bureaux à leur disposition : ils doivent eux-mêmes fournir leur matériel de travail,
et on retrouve le même phénomène pour les chauffeurs Uber.
Ces phénomènes de marginalisation peuvent de plus s’accompagner d’une transition
vers de nouvelles formes de travail, plus souples, mais aussi plus précaires, comme la
pluriactivité.
II.2.2. Vers une mise en concurrence généralisée des travailleurs
Le digital, en améliorant le fonctionnement du marché du travail, concourt
au délitement des organisations qui avaient pour rôle de protéger les salariés des aléas.
Deux faits saillants appellent un effort d’analyse. D’une part, le digital facilite la mise
en concurrence des travailleurs en fluidifiant les marchés en général et le marché du
travail en particulier.
D’autre part, l’évolution des compétences se fait à un rythme tel que les
dispositifs traditionnels d’évaluation des qualités professionnelles des individus « les
diplômes » sont de moins en moins opérants.
Ces deux phénomènes conjugués font courir le risque de l’exclusion, de la précarisation
et de la dégradation des conditions de travail aux individus qui pourraient peiner à se «
vendre » décemment
II.2.3. La standardisation des profils
La fin de l’asymétrie de l’information qui a pendant un temps donné plus de
pouvoir aux salariés grâce à leur exposition plus facile sur le marché de l’emploi et un
partage de l’information, tend en réalité à se traduire au fil du temps par une
marchandisation croissante des individus avec l’essor des plateformes.
Qu’il s’agisse de réseaux sociaux professionnels, de plateformes pour
freelances ou de jobboards, elles œuvrent à une standardisation des profils et à une
concurrence accrue tendant à faire pression à la baisse sur la valeur travail (comme si
les salariés avaient bénéficié historiquement d’un marché imparfait). Pour reprendre le
concept de coût marginal zéro développé par Jeremy Rifkin, l’abondance conduit
inéluctablement à une perte de la valeur travail.
Une valeur travail marginale zéro :
Une des raisons d’être des carrières organisationnelles longues était de
remédier à l’incertitude qui prévalait sur le marché : incertitude de trouver un poste,
incertitude de trouver le salarié idoine.
Dans un modèle classique de GRH, l’entrée dans une organisation « pour y
faire carrière » se faisait généralement sur des postes particuliers qui servaient de point
d’observation des compétences et du comportement des salariés. Sur ces postes, le
salarié avait quant à lui, et en effet miroir, la possibilité d’observer les conditions de
travail, la culture de l’organisation et d’évaluer plus précisément les perspectives de
rétribution à court et long terme.
Cette mise à l’essai réciproque permettait d’imaginer d’aller plus loin dans
l’échange du fait des connaissances accumulées au fil du temps.
Il était alors possible de s’accorder sur des profils de compétences particuliers à
mobiliser sur des postes aux contours flous et évolutifs.
En outre, l’organisation de carrière permettait de s’accorder sur une forme
d’entrée dans l’organisation à un prix inférieur au marché afin de permettre au
travailleur de révéler ses compétences. Ce dernier pouvait accepter cet accord du fait
des perspectives de carrière qui lui permettraient de compenser ce sacrifice initial.
Si, dans un premier temps, les salariés ont été séduits par les opportunités
offertes par les plateformes digitales en les exposant plus fortement et en laissant croire
à une inversion du pouvoir de négociation, il en a résulté un jeu de dupe. En effet, les
plateformes ont pour double conséquence d’augmenter le nombre des profils et de les
standardiser pour les rendre interchangeables. La rente dont pouvait tirer profit un
salarié dans un marché imparfait s’estompe donc dans un marché de masse qui, en outre,
s’est internationalisé.
La disparition de ces formes de carrières, supplantées par des relations plus
proches de la transaction commerciale, a donc pour conséquence une baisse de la valeur
marginale travail. La fin de l’asymétrie d’information, caractéristique du lien de
subordination qui annonçait un nouveau rapport de force, se traduit finalement, au
contraire, par un moindre pouvoir de négociation des salariés.
La fin des rentes est valable pour tous. Par rente salariale, nous pouvions
entendre une rente liée à un diplôme ou à une accumulation de compétences qui avait
une valeur salariale d’autant plus forte que nous étions dans un marché imparfait. Le
diplôme, on l’a vu, perd de sa valeur intrinsèquement.
L’obsolescence rapide des compétences a pour conséquence d’amoindrir
leur valeur d’une part, et d’autre part de limiter les efforts de formation dans le cadre
d’un calcul de retour sur investissement. Qu’en est-il de la valeur de l’expérience ? Est-
elle constitutive d’une rente ?
En fait, sous les fourches caudines de la standardisation des plateformes,
elle se trouve également marginalisée. On est bien dans une tendance de fond à la
marginalisation de la valeur travail des individus.
Le paradoxe du digital fait qu’il multiplie les formes du travail au détriment
du salariat (tous artisans), mais accentue la standardisation et le côté « tâcheron » : nous
assistons bien à une extension du domaine marché.
L’enjeu essentiel pour la fonction RH sera alors de standardiser les fonctions
pour les rendre interchangeables et coller à ce marché de masse qui se dessine. En ce
sens, la fonction se trouve cantonnée à un rôle très traditionnel, à l’opposé des approches
sur mesure que l’on a évoquées.
Il y a là une forme de schizophrénie de la fonction : très à l’écoute sur
certains profils, très normative sur la masse, accentuant ainsi les inégalités, mais en
ouvrant l’accès à des « non-sachant » (en privilégiant le recrutement sur le
comportemental et non sur la maîtrise technique). C’est un nouveau paradoxe à
surmonter pour conserver un sens au collectif.
C’est aussi l’opportunité de présenter des emplois sous un jour nouveau et
valorisant, qu’il s’agisse des chauffeurs Uber, des coursiers de l’entreprise Houra, ou
de la campagne de recrutement dans le métro de Michel et Augustin. En ayant accès à
un vivier de talents dont les caractéristiques techniques peuvent être prétriées et traitées,
les RH peuvent aussi s’ouvrir sur des soft-skills et casser les codes de leur recrutement.
II.3. Se raconter pour se distinguer
Pour éviter la marginalisation, les individus ont tout intérêt à se distinguer, à
souligner leurs compétences spécifiques. Or, la transparence que le digital introduit ou
renforce sur le marché du travail prend d’abord la forme d’une plus grande mise en
visibilité des individus. Du fait de l’essor des réseaux sociaux, mettre en visibilité ses
savoir-faire, ses compétences et ses réalisations devient un impératif et une compétence
clé.
Ces phénomènes peuvent être analysés sous l’angle d’une quête de
singularité qui n’est pas nouvelle, mais ils posent de nouveaux enjeux pour la fonction
RH, autour d’une individualisation croissante de la GRH (une RH sur mesure) et d’un
maintien de l’équité (comme faire coexister du sur-mesure dans un cadre commun).
II.3.1 La mise en visibilité des individus
Dans un contexte où l’accès aux informations sur les profils et carrières des
individus est grandement facilité par les de mise en relation et de présentation de soi,
ne pas participer à cette diffusion massive d’information revient quasiment à s’exclure
soi-même d’une importante partie du marché du travail. Cet impératif de mise en
visibilité a finalement pour conséquence compétences.
Les réseaux sociaux et la mise en visibilité :
Depuis les années 2000, l’essor et l’évolution des réseaux sociaux ont
conduit à des changements importants dans les relations sociales.
Les entreprises ont peu à peu acté l’essor des réseaux sociaux et ont pour certaines
décidé de se doter de réseaux sociaux internes.
Ces réseaux sociaux visent notamment à permettre aux salariés d’échanger
entre eux et à favoriser la collaboration transversale. Comme pour les réseaux sociaux
externes, le mode de fonctionnement est essentiellement fondé sur la mise en visibilité
de soi, notamment de ses compétences et savoir-faire. Si la création de ces réseaux
internes est limitée par la concurrence des plateformes externes, les entreprises
cherchent à en développer l’usage parmi leurs salariés.
Un accès à l’information sur Internet facilité : être visible devient un impératif :
La mise en visibilité de soi et la réputation apparaissent donc comme les
fondements de ces réseaux sociaux qui ont tant de succès. Or, cette mise en visibilité
devient impérative à l’heure où une partie non négligeable du marché du travail passe
par ces réseaux sociaux et plus généralement par l’information trouvée sur Internet.
L’exemple du recrutement est particulièrement emblématique.
Une étude réalisée par Regionsjob en 2015 et 2016 sur les pratiques des
salariés, des demandeurs d’emploi et des recruteurs permet d’obtenir des informations
sur l’utilisation des réseaux sociaux dans le cadre du recrutement. 69 % des recruteurs
indiquent qu’ils se renseignent sur les candidats en tapant leur nom sur Google. Une
autre étude menée par Bond.
Une entreprise spécialisée dans les solutions de recrutement, indique par
ailleurs que 91 % des recruteurs sont actifs (en tant que recruteurs) sur les réseaux
sociaux, notamment sur LinkedIn. Les réseaux sont mobilisés notamment pour
rechercher des candidats, entrer en contact avec eux et poster des offres d’emploi.
La starification des individus :
L’enjeu de mise en visibilité de dans un contexte d’accès très facile à
l’information sur Internet aboutit finalement à un phénomène de « starification » des
individus, qui correspond à la valorisation très forte de certains individus, au détriment
du collectif.
Ce phénomène de starification est très nettement perceptible sur les réseaux
sociaux, où certaines personnes particulièrement visibles pourront capter une bonne
partie des flux et finalement des revenus.
C’est le cas par exemple sur YouTube pour quelques Youtubeurs stars : alors
qu’environ 600000 heures de vidéos sont publiées chaque jour sur YouTube, seules
quelques personnes parviennent à gagner leur vie grâce aux revenus issus de la
plateforme.
En France, quelques noms ou pseudos émergent : les humoristes Norman ou
Cyprien, le joueur de jeu vidéo Squeezie, la conseillère beauté Enjoy Phoenix en font
partie. Leurs abonnés se comptent en millions. Alors que ces stars parviennent à gagner
des revenus conséquents grâce à leurs vidéos, la grande majorité des Youtubeurs ne
reçoit en fait aucun revenu pour cette activité.
Le même phénomène se retrouve sur les réseaux sociaux professionnels,
donc en lien avec le marché du travail. Sur LinkedIn, quelques profils sont
particulièrement recherchés et regardés : développeurs logiciels, développeurs web,
ingénieurs en systèmes d’information… Or, ces profils les plus recherchés ne
correspondent pas aux profils les plus présents sur le réseau. Ce déséquilibre entre
l’offre et la demande, courant sur un marché du travail, est ici accentué par la grande
transparence assurée par le réseau.
Réseaux sociaux vs logiciel RH :
L’apparition des premiers réseaux sociaux professionnels était très liée à des
problématiques de recrutement, puisque les individus y affichaient leur CV dans
l’espoir d’être recruté par d’autres entreprises. Les services RH ont eu beau essayer de
limiter les accès ou de traquer les salariés indiscrets, la logique des réseaux l’a emporté.
Notons que, au passage, ces mêmes organisations ont été gagnantes, puisqu’elles-
mêmes pouvaient faire une veille active à des fins de recrutements ou pour anticiper des
départs.
Avec le développement des réseaux, les salariés ont pris l’habitude de
communiquer non plus sur leurs compétences de manière statique à l’image d’un CV,
mais sur leurs réalisations, leurs progrès, plus rarement sur leurs échecs pour ne pas dire
jamais. Ainsi, ils tissent des liens professionnels avec l’extérieur, mettant en exergue
leurs capacités d’analyse, de travail, etc.
Ce faisant, ils dressent une liste à ciel ouvert de leurs facultés intrinsèques,
souvent plus riche et plus actualisée que les logiciels RH internes, censés recenser les
compétences des uns et des autres. L’inconvénient de l’emphase propre aux réseaux
sociaux, qui incitent toujours à en dire plus que la réa lité (il suffit de confronter les
titres sur LinkedIn avec la réalité pour s’en donner une image) est largement compensé
par l’actualité des informations traitées : ainsi, alors que, dans un logiciel RH,
l’information date souvent, car il faut l’identifier, la récolter, la traiter et la codifier dans
le référentiel interne, le salarié est plus prompt à communiquer sur ses réalisations.
Dans nombre de grands groupes, les logiciels RH internes ne sont pas le reflet de la
réalité et, au moment des revues de talents, certains RH préfèrent recourir à LinkedIn
car les informations les plus récentes y figurent.
Cela pose un certain nombre de questions en matière de RH : est-il utile de
conserver des logiciels internes ? Un référentiel de compétences ? Cela a-t-il du sens,
dans la mesure où les compétences nécessaires dans le futur ne sont probablement pas
connues à date ? Comment réinternaliser de manière utile un réseau social, sachant que
bien souvent les comportements observés sur les réseaux externes (facilité de
communication de soi) ne sont pas reproduits sur les réseaux d’entreprise ?
CHAPITRE III. COLLABORATION LE DIGITAL, OU LE TRAVAIL
COLLABORATIF ET LIBÉRÉ
Les mutations induites par le digital se caractérisent par une stabilisation
permanente des business models et potentiellement par un retour du marché dans la
relation d’emploi. Les deux premières parties de cet ouvrage ont été consacrées à ces
phénomènes.
Mais le digital, c’est aussi une incroyable refonte des modes d’organisation
du travail permise par la circulation facilitée de l’information et la possibilité de
communiquer de façon instantanée et multilatérale dans et entre les organisations.
Si l’émergence de la grande entreprise intégrée, caractéristique des révolutions
industrielles précédentes, a pu conduire à la mise en place d’organisations pyramidales,
visant à prescrire le travail et à en contrôler l’exécution, l’époque est désormais à la
généralisation de formes de travail collaboratives à grande échelle qui étaient
jusqu’alors réservées à quelques métiers liés à la création ou à l’innovation.
Les organigrammes s’aplatissent, le recours à la formalisation de postes et de
fonction régresse, on évalue peut- être moins les salariés en fonction de leur contribution
à la production et davantage à leur capacité à contribuer à la compétence collective.
C’est du moins ainsi que les discours managériaux reflètent la révolution digitale dans
les modes d’organisation du travail et ses incidences sur la GRH.
III.1 L’essor de la collaboration
La digitalisation ouvre de nouvelles opportunités pour repenser la
coopération et donc le travail au sein des entreprises. Au-delà de la question des outils,
des modèles managériaux plus horizontaux et responsabilisants sont valorisés. On passe
ainsi d'organisations mécanistes à des organisations organiques, ce qui nécessite de la
part des RH de gagner en agilité : repenser les organigrammes, les interactions, les
postes…
III.1.1.les formes de collaboration
La digitalisation conduit à repenser la coopération et le travail tif entre et au
sein des entreprises. Ainsi, elle induit un renouveau du management en valorisant des
modes de management plus horizontaux et coopératifs, mais elle incite aussi les
entreprises à proposer à leurs salariés des expériences en dehors des frontières de
l’entreprise. Enfin, le modèle de l’entreprise libérée s’affirme comme un horizon pour
certaines organisations.
Le digital : un enjeu d’ouverture à de nouveaux modes de fonctionnement :
Par ailleurs, comme on l’a vu dans la partie 2, les frontières de l’organisation
classique se brouillent, incitant l’entreprise à s’ouvrir sur son écosystème. En matière
de management, cela se traduit notamment par le fait d’inciter les salariés à découvrir
de nouveaux horizons de travail Cette tendance prend actuellement plusieurs formes :
espaces de cowor king, tiers-lieux, learning expeditions, partenariats avec des start-
up…
Les espaces de coworking sont des lieux où se côtoient des individus de
différents horizons. Dans ces « tiers lieux », différents acteurs se croisent et peuvent
échanger : des salariés en télétravail, des entrepreneurs, des étudiants, des travailleurs
indépendants… L’objectif consiste à créer des échanges entre des communautés
habituellement très séparées, de manière à favoriser les collaborations ou l’échange
d’idées.
Les learning expeditions ont pour objectif de faire sortir les salariés de leur
entreprise pour leur permettre de découvrir, généralement en groupe, d’autres
entreprises et espaces de travail. La durée de ces expéditions> peut varier, allant d’un
jour à deux semaines en général, et le dépaysement peut provenir soit du fait d’aller
visiter une entreprise d’un tout autre secteur ou d’une tout autre taille, soit du fait de
partir à l’étranger, par exemple. Quel que soit le format choisi, le fond des activités reste
identique : les participants visitent des organisations qu’ils ne connaissent pas, et
découvrent ainsi de nouvelles manières de travailler, de s’organiser, de coopérer.
Enfin, d’autres entreprises mettent en place des partenariats avec des start-
up, pour permettre à leurs salariés d’aller travailler quelques mois en start-up avant de
revenir à leur poste
III.1.2. De l’organisation mécaniste à l’organisation organique
La révolution digitale évoque indubitablement un basculement vers des
formes d’organisation plus souples et plus responsabilisantes. Pour autant, on peut aussi
voir dans les progrès numériques la possibilité de mieux contrôler le travail et de mieux
prescrire les gestes et comportements attendus des salariés. Entre renouveau des
possibilités de libération et renouveau des possibilités de contrôle, le débat reste ouvert
et ne se limite pas à l’exploration des possibilités techniques offertes.
Il s’agit là d’un débat consubstantiel à la théorie des organisations qui a pu
dans un premier temps opposer deux conceptions diamétralement opposées de la
«bonne organisation pour finalement arriver à la conclusion que les organisations ne
sont pas bonnes ou mauvaises, mais sont adaptées ou non au jeu de contraintes que
rencontrent les entreprises.
Taylor l’ingénieur contre Mayo le psychologue
Pour comprendre les enjeux d’une théorie des organisations, il faut garder à
l’esprit que le fait que des individus en viennent à travailler ensemble, à conjuguer leurs
efforts afin d’atteindre un but commun, n’a rien de naturel.
L’organisation s’apparente à une technologie en ce sens qu’elle permet de
repousser les limites du possible. Ainsi, la façon de diviser le travail. C’est-à-dire de
répartir les tâches entre les individus, de le coordonner, c’est-à-dire de réguler les flux
d’activité et enfin de le contrôler, c’est-à- dire de vérifier qu’il a bien été exécuté
résultent de choix, de méthodes, de dispositifs inventés dans le but de viser une plus
grande performance productive, mais aussi sociale.
Il est classique de présenter Frederick Taylor’ comme le premier théoricien
des organisations. Son projet, le taylorisme, repose sur une méfiance certaine à l’égard
de la bonne volonté des opérateurs qu’il suspecte de chercher à entretenir une forme
d’opacité sur leur activité afin de limiter leur activité et de tirer les salaires vers le haut.
L’idée de Taylor est d’organiser le travail de façon « scientifique », c’est-à-dire de s'en
remettre aux calculs des ingénieurs pour optimiser l’outillage et les gestes productifs.
Il s’agit d’imposer aux opérateurs une façon de faire, puis de contrôler
respectée. Cet effort de rationalisation repose donc sur la séparation des tâches de
conception (confiées au « bureau des méthodes ») et des tâches d’exécution. Dans le
prolongement de ces travaux, les continuateurs de l’organisation scientifique du travail
(dont Henry Ford ou Louis Renault) combineront cette division verticale du travail avec
la division horizontale promouvant ainsi la spécialisation et le travail à la chaine comme
autre modalité de recherche de gains de productivité.
Le taylorisme favorise ainsi un appauvrissement du travail dans la mesure
où l’expertise des ouvriers n’est plus sollicitée. En revanche, les gains de productivité
permettent de penser des formes de redistribution et la recherche de sources de
motivation extrinsèques : la consommation de masse compense la production de masse.
Très vite le taylorisme est décrié.
Il l’est tout d’abord pour ses effets aliénants. Les Temps modernes de
Charlie Chaplin sont une des formulations les plus populaires de cette critique. Il l’est
également du point de vue de ses per- formances.
En effet, les psychologues du travail, emmenés par Elton Mayo’, considéré
comme l’initiateur de l’école des relations humaines, découvrent ou redécouvrent très
rapidement tout l’intérêt qu’il y a à solliciter l'expertise des salariés.
L’enjeu concerne en premier lieu la motivation, mais il est aussi et surtout
d’ordre technique. Les chercheurs rappellent que les opérateurs sont porteurs de
connaissances, de savoir-faire qui échappent à la capacité de modélisation des
ingénieurs. S’en priver est donc contreproductif.
Le geste prescrit taylorisé est toujours incomplet, il ne permet pas de faire
face aux aléas, aux pannes, aux irrégularités du processus de production.
Les opérateurs sont donc de toute façon amenés à faire preuve d’autonomie et à se
ménager des marges de manœuvre pour bricoler en permanence afin d’améliorer la
production ou de rendre leur travail supportable. Or. Ces bricolages sont au mieux
négligé, au pire interdits par la pure logique tayloriste, ce qui se solde par des contre-
performances productives et l’émergence de pathologies liées à un travail de mauvaise
qualité.
A l'opposé de l’organisation mécaniste se sont donc développées des formes
organiques d’organisation du travail qui reposent sur la participation des salariés aux
décisions qui les concernent, sur la collaboration, et plus largement sur l’enrichissement
du travail. Le tableau suivant en reprend les principes.
Table 1 : Les dimensions clés des organisations mécanistes et organiques
Organisations mécanistes Organisations organiques
Division du travail Spécialisation poussée Structure Définition large des fonctions
pyramidale Systèmes de qualification Hiérarchie peu marquée
des postes Rôles perpétuellement redéfinis
en fonction des missions
Coordination du Les droits et obligations sont formalisés Les droits et obligations sont
travail et liés au poste L’information et les négociés
directives passent par la hiérarchie L’information est transversale
Peu d’effort de mise en perspective des et circule dans tous les sens
rôles dans le fonctionnement global de La compréhension du
l’organisation fonctionnement global de
l’organisation est un enjeu fort
Contrôle du travail Contrôle par la hiérarchie en référence à Contrôle par les pairs organisés
des standards prédéfinis dans les réseaux internes
On cherche l’obéissance et le respect des On évalue la contribution,
normes l’implication et l’engagement.
Source : Grasser et Noel (2007)
Les facteurs de contingence
Organisations mécanistes et organiques ne sont jamais que des idéaux-
types. Il y a toujours une part de collaboration et de participation dans les organisations
les plus structurées. Elle est souvent clandestine, mais peut aussi être tolérée, voire
encouragée (dans les modèles de lean-management par exemple).
Inversement, il y a toujours une part de structure dans les organisations les
plus souples et les plus libérées. Si une forme d’organisation avait réellement des
mérites supérieurs à l’autre, des mécanismes de sélection darwiniens auraient
probablement eu raison de la forme la moins efficace.
Organisation du travail et modèles de GRH
Lorsqu’il est pertinent de mettre en place un mode d’organisation orga nique,
la GRH doit également s’adapter. Tant que le travail est prescrit, il est possible de
concevoir des politiques RH qui reposent sur l’idée que deux individus ne peuvent avoir
des contributions différentes.
Cette hypothèse conduit à des pratiques RH fondées sur la nature du poste
occupé. En revanche, dès que le travail à effectuer est déterminé par les individus en
fonction des circonstances, il devient impossible de raisonner en fonction du poste et
les décisions RH doivent être pensées en fonction des individus. Ce sont alors bien
davantage les compétences ou le niveau d’implication qui importent que les prérequis
du poste.
Repenser les organigrammes :
Le fameux organigramme ! Quel DRH, lors de sa prise de fonction, n’a pas
commencé par prendre connaissance de ce fameux document ? Cela répond à une
question somme toute assez naturelle (savoir qui fait quoi) mais aussi personnelle
(savoir où je me situe dans la hiérarchie).
Consubstantiellement aux développements des entreprises, les
organigrammes se sont structurés sur la base d’une pyramide verticale plus ou moins
évasée et dans une logique de commandement à l’exemple des armées. Dans les années
1970-1980, ils ont été enrichis de nombreuses fonctions transversales avec
l’internationalisation croissante des entre- prises faisant apparaître des matrices qui
constituaient une première incartade à la verticalité.
Il existait déjà des organisations sans organigramme, mais cela restait
marginal et souvent limité à de petites entreprises.
Faut-il revoir la notion de poste ?
Faut-il encore parler de profil de poste ? Le profil de poste et l’organigramme
sont l’alpha et l’oméga des services RH. Les caractéristiques d’un profil de poste sont
généralement :
✓ Un rattachement hiérarchique souvent vertical et un rattachement
fonctionnel tout aussi vertical ;
✓ Des responsabilités plus ou moins détaillées qui vont de pair avec un
intitulé de poste ;
✓ Généralement, une liste, qui peut être très longue, de tâches à accomplir,
associées aux responsabilités. La plupart du temps, il s’agit de tâches
individuelles.
Le poste est souvent prédéterminé, c’est-à-dire qu’il préexiste au
recrutement du salarié, ce qui n’est pas sans poser question comme on a pu le voir
précédemment.
Si l’on passe au tamis des évolutions actuelles ces différentes caractéristiques, cela
donne :
✓ La hiérarchie existe toujours, même si elle a tendance à s’aplatir, mais elle
n’est plus aussi importante et structurante. Bien plus que la position
hiérarchique, ce qui importe finalement, c’est bien la capacité à conduire
le poste. En quelque sorte, le fond l’emporte sur la forme ;
✓ Les responsabilités telles qu’évoquées actuellement sont souvent décrites
de manière statique en lien avec le descriptif de poste. Dans un cadre
VUCA tel que nous l’avons défini précédemment, cela peut être un peu
court. Pensons à notre coach sportif : il ne connaît pas l’épreuve de la
compétition. Cela ne lui sert à rien de recruter un sprinteur ou un nageur
ni même de lui dire qu’il a responsabilité de s’entraîner sur cette course
avec pour objectif de réaliser le meilleur temps. Il serait plus intéressant
d’évoquer le but même du recrutement : compléter une équipe sportive
afin de relever un challenge à venir ; aura comme
✓ Quant à une liste de tâches, pour ces mêmes raisons, la rédiger au
préalable serait limitatif par essence et assez peu dynamique. En outre,
cela peut aller à l’encontre d’une autonomie dans la réalisation et
reviendrait à une forme de micro-management en se focalisant sur une
multitude de tâches à accomplir plutôt que de viser la réalisation
d’objectifs. Steve Jobs répétait souvent qu’il ne sert à rien de recruter des
gens intelligents pour leur dire ce qu’ils doivent faire.
N’oublions pas que l’environnement de travail est de plus en plus marqué
par la coopération et le travail en équipe, avec une évolution du cadre (accélération
temps) obligeant à des adaptations. En ce sens, la fiche de poste rigidifie la structure et
ne paraît plus adaptée au monde de demain. Est-elle pour autant un outil obsolète ?
Les RH doivent la faire évoluer vers un document plus souple permettant
justement d’accompagner ce changement et d’une certaine manière la libéralisation du
travail, sans pour autant renoncer à fixer des points de repère. Parler de rôle (et non de
rôle anglo-saxon) peut être un moyen de dynamiser les fonctions des uns et des autres
en privilégiant une position d’animation de l’entreprise.
Ainsi, plutôt que de se contenter de décrire des tâches, la fiche de poste peut
essayer de définir le but du recrutement à l’instar des recrutements de la chaîne
Abercrombie. L’on ne pense plus le poste de manière statutaire, mais bel et bien de
manière dynamique dans un cadre global : l’individu devient acteur de la conduite d’un
projet au sein d’un groupe et en interaction avec celui-ci. Il peut se repositionner dans
la stratégie de l’entreprise, qui lui laisse une certaine latitude.
En revanche, de telles fiches de poste remaniées doivent s’accompagner de
règles de fonctionnement plus claires pour canaliser l’autonomie et les initiatives En
caricaturant, auparavant on indiquait à chacun individuellement ce qu’il pouvait faire ;
demain, on fixera des limites collectives.
III.2 Organiser la collaboration
Le travail collectif semble partout s’imposer, ce qui nécessite de nouvelles
formes de gestion. Cette gestion passe entre autres par la diffusion de nouveaux outils
collaboratifs favorisant le partage entre salariés et ainsi l’innovation organisationnelle.
Il revient alors à la fonction RH de mettre en place les systèmes de contrôle et
d’incitation visant l’adoption de com- portements collaboratifs.
III.2.1. Les nouveaux outils collaboratifs
Plusieurs types d’outils digitaux permettent d’organiser la collaboration,
notamment les dossiers partagés ou les wikis d’entreprise. D’autres visent à favoriser la
prise de parole des salariés, comme les réseaux sociaux d’entre- prise. Cependant, la
digitalisation ne doit pas faire oublier l’importance des locaux de travail. De nouvelles
initiatives émergent aussi dans ce domaine.
L’importance des outils d’échange et de collaboration :
De la collaboration passe avant tout par la mise à disposition d’outils la
facilitant. Les outils qui permettent à une communauté de travailler ensemble à
l’élaboration d’un même document deviennent alors essentiels : espaces de stockage et
de partage de documents en ligne, ou encore espaces de production commune
d’information et de contenu.
Ainsi, les outils du type Dropbox, SharePoint, ou encore « wikis d’entreprise
» se diffusent largement au sein des entreprises.
Les réseaux sociaux d’entreprise, un lieu de prise de parole ? Les réseaux sociaux
d’entreprise (voir partie 2 pour une définition) se sont considérablement développés
durant les dernières années.
En 2015, comme on l’a vu, 32 groupes du CAC40 étaient dotés d’un réseau
social d’entreprise. Les promoteurs de ces réseaux sociaux internes soulignent qu’ils
démultiplient les possibilités de partage de l’information et des connaissances, qu’ils
réduisent ainsi le temps consacré à la recherche d’information et qu’ils facilitent la
collaboration’.
Cependant, il ne suffit pas de se doter d'un réseau social pour modifier les
pratiques des salariés en matière de collaboration. Aujourd'hui, les réseaux sociaux
internes font face à plusieurs enjeux.
Le premier enjeu est celui de l'implication et de la participation des sala- ries
: comment faire en sorte qu'ils utilisent le réseau ? Une étude menée en 2015 par
l'Observatoire de l'Intranet et de la stratégie numérique révèle ainsi que les outils
sociaux restent globalement peu utilisés en entreprise, la pratique étant largement
étendue dans seulement 5 % des cas et des outils utilisés régulièrement dans seulement
7 % des cas. Dans 43 % des cas, les outils tels que le réseau social sont utilisés seulement
ponctuellement, ou par certaines populations de l'entreprise seulement.
Le deuxième enjeu réside dans la complémentarité avec les autres outils.
Ainsi, plusieurs entreprises se demandent comment leur réseau social pourrait être
utilisé en remplacement des messages électroniques par exemple. En effet, la
multiplication des outils peut augmenter les risques d'hyper connexion et la charge
mentale associée au traitement de l'information. C'est pourquoi faire en sorte que
l'information issue du réseau social remplace les autres types d'information plutôt que
de s'y ajouter représente un enjeu important. Par ailleurs, un réseau social doit per-
mettre d'organiser le partage d'information de façon plus ordonnée que la messagerie
électronique.
Enfin, le troisième enjeu est celui de la prise de parole des salariés. Faut-il
laisser les salariés s’exprimer totalement à leur guise, faut-il modérer leurs propos, faut-
il les réguler au moyen d’une charte ? En effet, un des bénéfices associés aux réseaux
sociaux internes réside dans la libération de la parole des salariés. Cela représente un
avantage pour l’entreprise, qui accède ainsi à une meilleure connaissance de l’avis de
ses salariés sur tel ou tel sujet, mais aussi pour les salariés, qui peuvent en retirer le
sentiment qu’ils ont le droit de s’exprimer sur les sujets qui leur importent.
Cependant, comment faire quand des propos haineux, insultants, ou même très critiques
à l’égard de l’entreprise sont exprimés ? En réponse à cette interrogation, plusieurs
entreprises ont fait le choix de se doter d’une charte de bonnes pratiques.
III. 2.2 Organiser la délibération
Les expériences relatées précédemment montrent que la collaboration n’est
pas spontanée. Elle s’organise et elle s’outille. Si chacun a la possibilité de travailler de
façon transversale, de donner son opinion, ou encore d’avancer « à son idée » sur les
projets dans lesquels il est impliqué (ou dans lesquels il s’invite), encore faut-il que la
délibération ne tourne pas au désordre et au conflit et qu’un but commun puisse encore
se dégager pour préserver la performance de l’ensemble.
Cela conduit à réfléchir tout d’abord au rôle des conflits dans les
organisations agiles et ensuite à la façon de traduire les différents projets dans le langage
et les systèmes d’intérêt des différents protagonistes pour construire une communauté
dans laquelle tout le monde va dans le même sens, même si ce n’est pas pour les mêmes
raisons.
Les nouveaux enjeux de l’évaluation :
Traditionnellement, les systèmes d’évaluation prennent leur essence autour
de l’entretien annuel, ce qui pouvait s’entendre dans le cadre normé de l’entreprise
traditionnelle. Mais dans un environnement qui bouge sans cesse et dont le temps s’est
accéléré, il n’est clairement plus adapté. Quant à sa justification même, il est souvent
inopérant et désuet si l’on fait le pari de l’intelligence des salariés.
En effet, l’entretien annuel est souvent vécu tant par le manager que par le
salarié comme un pensum, une obligation réglementaire et processuelle qui est le plus
souvent focalisée sur les dernières semaines de la relation de travail : dans bien des cas,
toute en plus d’entreprises ont une année de travail se joue sur l’entente entre manager
et salarié au cours des trois semaines. D’ailleurs, de plus remis en question les entretiens
annuels pour aller vers des solutions de suivi continu des collaborateurs, tout au long de
l’année.
Dans un monde qui bouge, il est plus performant de disposer d’un processus
d’évaluation en continu permettant un échange régulier. Mais ce n’est pas qu’un sujet
de process, c’est aussi un enjeu sur le fond. Avec le développement du travail
collaboratif, il faut également privilégier des solutions permettant une vision à 360°, et
donc permettre aux différentes personnes en interaction avec le salarié de porter une
appréciation.
Les RH doivent donc construire un système permettant l’expression de tous,
tout en évitant qu’il donne lieu à un règlement de compte ou à une profusion
d’informations non utilisables par l’intéressé. Souvent, le plus simple consiste, à partir
du processus classique n+1/n, à adjoindre une première dimension latérale de collègues
(de même niveau) puis dans un second temps de salariés n-1/n de manière à avoir une
vision à 360°.
Enfin, il convient également de réfléchir au contenu même des entretiens afin
de déterminer ce que l’on veut faire ressortir, notamment les soft skills et les moyens
de développer des points forts.
Le statut du salarié a changé : mieux éduqué, plus autonome et travaillant
plus en équipe, il ne se satisfait plus d’un retour de type « évaluation » (qui peut
effectivement sembler ridicule et très scolaire).
Il est désormais en demande d’un échange permettant d’améliorer ses
performances, à l’exemple du sportif passionné ou d’un artiste qui souhaite toujours
plus exceller dans son art. Les sciences sociales ont démontré depuis longtemps qu’on
dépensait trop d’énergie à combler une faiblesse alors qu’un travail continu sur ses
forces permet d’atteindre des résultats bien meilleurs.
Quant au manager, ce n’est pas un chef, c’est une personne en charge d’une
équipe qu’il doit faire grandir. Par ailleurs, il doit en permanence résoudre les
injonctions paradoxales qui lui remontent (propre à sa fonction de manager, car là où il
n’y a pas d’injonctions paradoxales, il n’y a point besoin de management). Il est donc
primordial pour lui d’avoir une remontée du terrain pour savoir de quelle manière il est
perçu et pouvoir se corriger pour réaligner constamment ses actions et son équipe avec
la stratégie de l’entreprise.
Du contrôle à la maîtrise, ou comment conserver la motivation :
Par essence, le digital, c’est le contrôle absolu. La capacité de traitement et
de calcul est telle aujourd’hui que l’on peut analyser et interpréter des milliards de
données et les confronter entre elles. Et c’est de plus en plus à la portée de tout le monde.
C’est bien plus puissant que la traditionnelle badgeuse : contrôle du temps derrière un
écran, des consultations, des flux transactionnels de l’individu, du temps et des
déplacements grâce à des caméras de surveillance ou des capteur wifi, 4G, etc.
La masse d’informations disponible est considérable mais, paradoxalement,
dans le cadre de l’entreprise libérée, la promotion de la responsabilité individuelle doit
s’accompagner d’un contrôle moins marqué pour laisser de l’espace aux initiatives et
au droit à l’erreur.
Le contrôle doit laisser la place à la maîtrise. Il ne s’agit pas, au sens fordien
ou comme dans le cadre des organisations tayloriennes, de contrôler les individus dans
une finalité productiviste, mais bien plus de maîtriser des forces de travail hétéroclites
(songeons aux différents statuts et modes de contribution) et de les canaliser dans une
même direction, celle du groupe, de l’entreprise, en facilitant voire en provoquant les
collaborations et les échanges. Tout en étant capable de suivre les rythmes de
production.
Avec les outils actuels, on peut disposer en permanence du niveau des stocks
ainsi que de la productivité en temps réel et à tout moment. Dans le cadre d’une
organisation collaborative et libérée, il faut donc organiser cette information pour
qu’elle soit partagée et disponible dans un état d’esprit non de contrôle, mais de maîtrise
des événements, afin de pouvoir rectifier le tir en continu.
Prenons l’exemple d’une fourmilière, dans laquelle les ouvrières sont
constamment en contact et échangent les informations pour s’adapter et reformer la
route qu’un obstacle a pu perturber. Nul besoin de contremaître, chef de service ou autre
intermédiaire : l’information circule et chacun ajuste son ouvrage en conséquence.
En termes RH, l’une des transitions à opérer consiste à renoncer au travail
séquentiel pour adopter le travail en continu : il faut ainsi s’organiser pour être en
mesure de s’ajuster et de modifier des paramètres en permanence. De même, il faut
passer d’un contrôle unique et annuel à une maîtrise continue et partagée.
Organiser ce contrôle dans une organisation verticale est relativement
Simple. Le mettre en pratique dans un système ouvert sans stériliser l’initiative
nécessaire à la création de valeur et à l’agilité est plus complexe et cela ne peut reposer
que sur un système qui permet :
✓ Un environnement global favorable à la prise de risques et au droit
à l’erreur ;
✓ Un organigramme dans lequel on raisonne par cercles de
responsabilités/objectifs et non pas de manière pyramidale : ce
n’est pas la fonction ou le statut qui donne la légitimité mais la
proximité avec l’expertise de la question traitée et l’objectif
poursuivi. Cet organigramme doit pouvoir intégrer des personnes
externes aux statuts différents ;
✓ Un partage et une organisation de la donnée non pas par strate
hiérarchique, mais ouverte pour que chacun puisse à partir de
l’information réagir et contribuer. Une réflexion sur la data
pertinente doit être initiée en parallèle pour réussir à la fois à être
objectif et à donner du sens ;
✓ Une organisation de la collaboration et de l’échange en
commençant par une diffusion des objectifs et leur partage.
Idéalement, le choix des marqueurs de la réussite des objectifs doit
être défini par les intéressés ;
✓ Un changement culturel pour que les individus ne se sentent pas
propriétaires de leurs idées ou de leur production, mais passeurs
de témoin : comme au rugby, le joueur passe la balle à son équipier
pour la faire avancer. Le résultat est collectif et non individuel, car
sans l’aide de ses coéquipiers le marqueur n’aurait jamais pu
franchir la ligne ;
✓ Enfin, une célébration des réussites et non une stigmatisation des
erreurs et échecs.
III. 3 Fédérer le collectif
Mobiliser les salariés et faire en sorte qu’ils adhèrent à ces nouveaux modes
de fonctionnement deviennent des enjeux centraux pour les entreprises. Cela confère
une importance d’autant plus grande à la culture d’entre- prise, qui peut favoriser les
processus de socialisation et d’apprentissage des normes. La fonction RH doit alors
identifier les leviers de l’adhésion des salariés.
III.3.1. Les nouveaux enjeux de la culture d’entreprise
Les changements de modes de fonctionnement et l’introduction de nouveaux
outils peuvent inciter les entreprises à revoir leur culture. Deux grandes tendances sont
identifiées en la matière, l’une autour de l’importance grandissante de la marque
employeur, l’autre autour de la tendance émergente de l’expérience salarié.
Une culture d’entreprise qui se transforme :
La culture d’entreprise n’est pas un concept nouveau : dès la seconde moitié
du XXe siècle, des consultants se sont emparés de ce sujet et ont proposé aux entreprises
des stratégies de développement de discours, de pratiques, de conventions, de valeurs,
propices à l’engagement et à la fidélisation des salariés, mais correspondant aussi au
projet stratégique de l’entreprise. Cependant, à la suite de l’évolution des modes de
management et des outils de travail, les entreprises peuvent être contraintes de redéfinir
une partie de leur culture d’entreprise
Digital et marque employeur :
Le concept de marque employeur est apparu à la fin du XXe siècle et a été
défini notamment par Ambler et Barrow’. Il renvoie à l’ensemble des bénéfices
fonctionnels, économiques et psychologiques fournis par le fait de travailler au sein
d’une entreprise.
Les dimensions concrètes de la marque employeur sont alors les suivantes :
intérêt du travail, opportunités de développement, relations avec les collègues,
avantages économiques, environnement de travail. La marque employeur représente
aujourd’hui un enjeu important pour les entreprises, du fait de la concurrence entre
employeurs pour recruter les meilleurs salariés.
Les entreprises auraient ainsi intérêt à accroître leur attractivité auprès des
candidats, notamment en soignant leur communication externe. Mais, une fois les
salariés recrutés, il s’agit aussi pour les entreprises de les fidéliser, de manière à réduire
un turn-over parfois coûteux. Cela constitue le second pan de la gestion de la marque
employeur, consistant à améliorer les conditions et l’environnement de travail, ou les
opportunités au sein de l’entreprise.
La digitalisation a renouvelé une partie des stratégies de marque employeur.
Tout d’abord, l’essor des réseaux sociaux a incité les employeurs à communiquer de
façon différente, moins institutionnalisée, auprès des candidats. La création de postes
de community managers RH, visant à animer en ligne des communautés de candidats
et de salariés, s’inscrit dans cette tendance.
La constitution de salariés ambassadeurs de la marque employeur sur les
réseaux sociaux externes en fait également partie.
Ensuite, au-delà du recrutement, la diffusion de la culture d’entreprise passe aussi par
l’animation de communautés de salariés en interne, de manière à faire vivre cette culture
au quotidien, mais aussi le cas échéant à identifier les écarts entre la culture telle qu’elle
a été définie et le quotidien des salariés.
Changement de culture et culture du changement :
Les quelques lignes précédentes rappellent d’une part que la culture est un
élément stabilisateur, qu’elle permet aux membres d’une organisation de savoir quoi
faire, même lorsque ce n’est pas explicitement précisé, et d’autre part que la culture se
diffuse et s’entretient par les processus de socialisation. Toutefois, on en voit
immédiatement les limites : en tant qu’élément stabilisateur, une culture forte peut
constituer une entrave au changement.
Il serait d'ailleurs abusif d’attribuer les résistances au changement à des
salariés peu impliqués qui ne veulent pas faire l’effort de sortir de leurs routines. Les
résistances au changement sont aussi, et peut être même surtout, le fait de salariés
surinvestis dans leur entreprise et qui adhèrent pleinement à sa culture. A trop travailler
une culture d’entreprise, on court le risque de créer des inerties. Ce qui amène à
travailler à l’identification des traits culturels pour penser le changement de culture ou
à tenter de promouvoir une culture du changement.
Psychosociologues ont bien montré l’inconfort ressenti lorsque nos actes ne
sont pas alignés sur nos valeurs ou lorsque nous constatons que la réalité ne confirme
pas nos croyances. Pour réduire ces écarts, appelés « dissonances cognitives », les
individus ont tendance à aligner leurs comportements, leurs croyances et leurs valeurs
en ajustant leurs com portements, leurs croyances ou encore leurs valeurs. Il est donc
de changer les règles et les procédures d’une organisation pour favoriser de nouveaux
comportements parmi ses membres.
On peut espérer que, sur le long terme, ces nouveaux comportements finiront
par modifier les valeurs de l’organisation. Mais les procédures et les règles sont aussi
souvent réinterprétées par les membres d’une organisation et utilisées différemment
selon le substrat culturel dans lequel elles sont proposées.
Face à tant de forces de rétroaction, changer une culture est un processus
nécessairement long et peu maîtrisable par le management d’une organisation puisque
cette culture est le reflet de la façon dont un groupe s’adapte aux problèmes internes ou
externes qu’il rencontre.
Cela doit conduire à considérer la culture non pas comme un élément à
changer, mais plutôt comme une ressource, un levier sur lequel s’appuyer, y compris
pour favoriser le changement (Thévenet, 2015). Comme pour toute ressource
structurante et distinctive, la stratégie de l’organisation peut gagner à la considérer
comme un point d’ancrage autour duquel on peut pivoter en toute sécurité, mais duquel
on ne peut s’éloigner.
Connaître et respecter les croyances et les normes partagées par les membres
d’un groupe et approcher au plus près leur façon de se représenter le monde constitue
un levier pour le management. Un effort de traduction peut souvent per- mettre de
mettre l’organisation en marche en jouant sur ce ressort de l’action collective.
Pour autant, les cultures ne sont pas forcément toutes incompatibles avec l’idée de
changement.
En fait, dès les années 1980, les travaux consacrés à la mise à jour de la
diversité des cultures d’entreprise ont bien montré qu’elles pouvaient proposer des
formules favorables au changement et à l’innovation.
Plus précisément, les cultures peuvent s’opposer en fonction de deux
dimensions. Certaines cultures sont ouvertes à la flexibilité et valorisent des processus
organiques ; d’autres sont plus en quête de stabilité et cherchent à contrôler leurs
processus. Certaines cultures sont plus ouvertes sur l’extérieur et valorisent la
compétition et la différentiation ; d’autres sont plus attentives à leur fonctionnement
interne et sont en recherche d’ordre et d’harmonie entre les membres de l’organisation.
Quand on croise ces deux dimensions, il devient possible de décrire quatre
formes culturelles distinctes :
- Le clan (processus organique et orientation interne), qui recherche sa cohésion
dans un esprit familial. Le management y joue un rôle de facilitateur et de mentor. La
loyauté, la tradition et l’engagement sont valorisés ;
- L’adhocratie (processus organique, orientation externe), qui pro- meut
l’entrepreneuriat, l’adaptabilité et la créativité. Le management y joue un rôle de moteur
dans l’innovation. L’adhocratie correspond à ces formes d’organisations qui s’adaptent
en fonction des circonstances ? La prise de risque, la flexibilité, la nouveauté et
l’exploration sont valorisées ;
- Le marché (processus mécanique et orientation externe), qui pro- meut la
compétitivité et la performance. Le management y joue un rôle d’entraînement dans la
production, il fixe les lignes et entre- tient la performance. On y valorise la compétition,
le résultat et la supériorité ;
- La hiérarchie (processus mécanique et orientation interne), qui recherche
l’ordre, l’uniformité et le respect des règles. Le manage- ment joue un rôle de contrôle
et de coordination. On y valorise la stabilité, la prévisibilité.
Dans chacune de ces cultures, le digital peut venir jouer un rôle en
formalisant des processus, en permettant de souder la communauté sur des réseaux
sociaux, en soutenant le travail en mode projet ou encore en produisant des indicateurs
de performance permettant à chacun de se jauger. En revanche, ce qu’on qualifie
souvent de « culture digitale » semble renvoyer clairement à la recherche de prise de
risque et de travail collaboratif autour de projets innovants caractéristiques de
l’adhocratie
III.3.2. Les enjeux de l’adhésion des salariés
La fin des rentes et le partage de l’information vont finalement laisser comme
seul facteur de différenciation stratégie le facteur humain. La capacité à attirer et à
conserver des talents autour d’un objectif commun va devenir le levier de la réussite de
l’exécution d’une stratégie.
Dans le contexte d’une moindre prégnance des structures organisationnelles,
de la multiplication de statuts d’indépendants et de la montée en puissance de
l’individualisme, l’adhésion des collaborateurs à une stratégie constitue donc un enjeu
important pour les équipes RH, bien plus important que la seule gestion de la marque
employeur.
Une marque, c’est une promesse. Sa force réside dans la véracité de cette
promesse. Avec le déploiement du digital et des réseaux sociaux, le partage des
expériences via les témoignages met en concurrence les promesses des marques
employeurs. Souvent élaborées par des communicants, nombre de marques employeur
sonnent creux, car elles ne tiennent pas leurs promesses. Il revient aux RH de prendre
le sujet en main pour échanger sur la réalité de l’expérience vécue et en faire un outil.
Les stratégies d’intégration/on boarding :
Ce n’est pas le babyfoot qui fait venir, encore moins rester, les
collaborateurs. Mais bien plus les premiers pas et la manière dont on est intégré dans la
structure et l’organisation qui permet de s’y sentir bien.
Au-delà de ce que nous pourrions appeler des gadgets médiatiques
(babyfoot, table de pingpong, salle de repos ou de sieste, club de sport…), les services
RH ont fortement développé les stratégies d’intégration depuis ces 20 dernières années
en privilégiant le parrainage et l’inclusion au sein de l’entreprise : package d’arrivée
prêt (alors qu’il fallait précédemment aller chercher ses affaires auprès de différents
services) permettant de travailler tout de suite, cartes de visite, déjeuner d’intégration,
visite des locaux, voire séminaire d’intégration.
Comment suivre le vécu des salariés (baromètres, 360°) :
L’expérience salarié est au cœur du ciment social. La capacité à l’incarner
et à la partager est un enjeu crucial : dans un environnement multipolaire et mouvant,
ce vécu doit être explicite (reconnaissable et assimilable) rapidement et constituer la
signature RH de l’organisation.
La ligne managériale doit pouvoir l’incarner tout autant que les salariés. Les
baromètres et sondages interactifs sont de bons outils pour tâter à tout moment le pouls
de l’entreprise. C’est aussi le moyen de rappeler et d'entretenir l'appartenance au groupe
et l’occasion de partager des résultats et la poursuite des objectifs. Cela ne doit pas être
une simple remontée d’information, mais l’occasion de partager et d’échanger autour
d’information commune. L’idée est d’inscrire la démarche dans l’objectif de maîtrise et
non de contrôle.
Il faut donc privilégier des outils souples et fluides (consultation régulière),
sans pour autant tomber dans un travers trop intrusif (qui risque de faire l’objet d’un
rejet) ou répétitif (qui risque de lasser). L’idéal étant de privilégier des questions courtes
en lien avec l’actualité de l’organisation et donc prétexte à créer de l’échange.
Travailler le sentiment d’appartenance collectif :
Forte du travail sur les motivations intrinsèques et la mise en place d’outils
interactifs permettant de suivre et de piloter l’adhésion individuelle aux valeurs du
collectif, la fonction RH doit nourrir le sentiment d’appartenance collectif. Pour cela, il
est possible d’instaurer des rites (déjeuners d’équipe, déjeuners d’intégration, journées
corporate, séminaires professionnels…), mais aussi et surtout de donner un sens à
l’ensemble. C’est la dimension conteur du RH. Rien de grand ne peut se faire sans une
part de rêve et les équipes RH sont là pour sublimer le quotidien, raconter une histoire,
conter les réalisations collectives.
Reprenons l’exemple du coach sportif qui doit fédérer des personnes très
différentes (car il a diversifié son recrutement) pour préparer une épreuve dont il ne
connaît pas la teneur (environnement VUCA). Il lui faudra, pour emmener son collectif
et obtenir le meilleur de tous, raconter une histoire crédible qui emporte au-delà de
réalité.
De ses talents de conteur dépendra in fine le résultat. Autre exemple : Venise
ne s’est pas construite en un jour. Au départ, il s’agissait de terres insalubres. Un groupe
d’hommes, contre toute attente rationnelle, a transformé une lagune en un joyau. Ils
n’ont réussi que parce qu’ils se sont convaincus qu’une histoire plus importante que la
réalité observée était à construire. On en revient au moteur même de l’entrepreneuriat :
voir le récit possible et l’écrire. Les équipes RH sont aux avant-postes pour écrire le
récit du collectif dans ces aventures.
Cette faculté à faire la synthèse et à porter un message donnant une réalité
au collectif est une force d’autant plus grande que les organisations tendent à être moins
structurantes (auparavant, le fait d’appartenir à une organisation légitimait une histoire).
La RH doit faire preuve de leadership en ayant constamment un temps d’avance et une
vision d’ensemble pour que chacun, pris individuellement, puisse trouver sa place dans
le récit collectif.
CHAPITRE IV : ROBOTISATION : LE DIGITAL, OU UNE PLACE PLUS
GRANDE LAISSÉE AUX ROBOTS
La digitalisation s’est accompagnée d’une explosion de la quantité de
données disponibles. En parallèle, de nouvelles méthodes de stockage et d’analyse de
ces données ont permis de faire émerger de nouveaux usages. Ainsi, la notion
d’algorithmes s’est peu à peu imposée. Initialement, les algorithmes sont tout
simplement des suites d’instructions dans un pro- gramme, informatique par exemple.
Dans le contexte de l’explosion des données, ces algorithmes contribuent à
hiérarchiser les informations, sélectionner celles qui peuvent intéresser l’utilisateur ou
le client, prédire le comportement de ce dernier et même parfois le suppléer ou le
remplacer dans certaines tâches. Ainsi, certains algorithmes ont pris une place
croissante dans nos vies.
Cette intrusion des algorithmes, que l’on peut qualifier de « robotisation »
au sens où elle s’inscrit dans un mouvement consistant à accorder une place plus grande
aux machines au sens large du terme (algorithmes informatiques, logiciels, robots
mécaniques…), pose de nombreux enjeux pour la fonction RH.
IV.1. Les nouveaux usages autour des données
Le digital a contribué à une explosion du volume et de la variété des don-
nées disponibles. Dans le même temps, les progrès réalisés en informa- tique et en
statistique ont permis de développer de nouvelles méthodes de stockage, de traitement
et d’analyse de ces données.
Pour la fonction RH, la question de la « mise en données » du réel conduit à
des enjeux spécifiques, à la fois méthodologiques et éthiques. Quoi qu’il en soit, de
nouveaux usages autour des données commencent à pénétrer le monde RH : algorithmes
prédictifs ou visant la personnalisation des services destinés aux salariés, par exemple.
IV.1.1. Le digital et l’importance croissante des données et des algorithmes
Deux phénomènes simultanés ont conduit à conférer une place de plus en
plus importante aux algorithmes dans la vie quotidienne. Tout d’abord, le digital a
contribué à un accroissement très rapide du volume de données disponibles (les big
data), mais les données produites par le digital ne correspondent pas toutes aux critères
classiques de qualité et de pertinence.
Cependant, dans le même temps, des progrès ont été réalisés dans les
domaines informatique et statistique, faisant émerger de nouvelles méthodes de
traitement et d’analyse des données, et rendant ainsi possible l’utilisation des données
produites par le digital. Ces deux phénomènes ont alors contribué à l’émergence rapide
des algorithmes
La place croissante des algorithmes
L’essor de la quantité et de la variété des données, ainsi que l’émergence de
modalités de stockage et de traitement permettant de les utiliser, ont conduit à une
mobilisation croissante des algorithmes dans nos vies quotidiennes. Ainsi, notre rapport
à l’information est aujourd’hui structuré par quatre Types d’algorithmes (cardon, 2015):
✓ Les algorithmes de popularité, tels ceux utilisés par ou Google Analytics,
qui comptent le nombre de vues ou de clics ; Médiamétrie
✓ Les algorithmes d’autorité, tels ceux utilisés par PageRank ou Wikipedia,
qui mesurent la pertinence d’une information au nombre de liens qui
renvoient vers celle-ci ;
✓ Les algorithmes de réputation, tels ceux utilisés par Facebook ou Twitter,
qui mesurent le nombre de « likes » ou d’interactions aux- quels un
contenu donne lieu ;
✓ Les algorithmes de prédiction, tels ceux utilisés par Amazon ou la
publicité comportementale, qui cherchent à prédire le comporte- ment de
l’utilisateur à partir des traces qu’il laisse sur Internet.
Par ailleurs, les algorithmes prennent aussi une place croissante dans le
domaine de l’aide à la décision humaine. Ainsi, aux États-Unis, des algorithmes sont
mobilisés pour évaluer le risque de récidive des condamnés, ou pour décider du prix
d’une assurance automobile, ou encore pour prendre des décisions de recrutement
(O’Neil, 2016).
Enfin, les algorithmes sont aussi utilisés à des fins d’amélioration de
processus, dans différents domaines. Par exemple, le domaine de la médecine a
considérablement bénéficié de la mise au point d’algorithmes d’aide au diagnostic,
permettant d’analyser des volumes de données plus importants issus notamment de
capteurs de santé ; le domaine de la maintenance aussi a connu des améliorations
conséquentes liées au développement d’algorithmes de maintenance prédictive.
IV.1.2. Les enjeux spécifiques de la quantification de la ressource humaine
Les RH ne font pas exception : la quantité et la variété des données
disponibles en RH ont également crû très rapidement. Ainsi, la digitalisation des
processus RH a contribué à démultiplier les possibilités de collecte des données, et
l’apparition d’outils informatiques comme la message- rie électronique, ou, plus
récemment, les réseaux sociaux d’entreprise a aussi permis l’apparition de nouveaux
types de données.
Cependant, la quantification pose des enjeux spécifiques dans le domaine
RH. En effet, la question de la quantification des phénomènes humains (travail,
compétences, aptitudes…) divise, entre les partisans d’une approche positiviste
estimant que tout peut être quantifié et qu’il suffit de limiter les erreurs de mesure, et
les discours critiques remettant en cause l’idée que l’être humain puisse être quantifié.
Par ailleurs, dans le domaine RH, plusieurs phénomènes sont relativement complexes à
mesurer, au sens où leur définition même fait débat : l’engagement ou la qualité de vie
au travail, par exemple.
Enfin, la quantification de l’humain s’est accompagnée depuis ses débuts de
dérives possibles, racistes ou sexistes notamment, ce qui finalement incite à s’intéresser
aux enjeux éthiques.
Du positivisme au doute sur la quantification de l’humain :
Deux grandes postures s’opposent sur la possibilité de quantifier l’être
humain, ses aptitudes, compétences, comportements, performance…
Une première posture, identifiable notamment chez les psychotechniciens, et que l’on
peut qualifier de « positiviste », repose sur l’idée qu’il est non seulement possible de
« quantifier » l’humain, mais que c’est aussi souhaitable, notamment pour produire des
informations plus objectives, fiables et rigoureuses.
Dès lors, tout l’enjeu des psychotechniciens consiste à réduire les erreurs de
mesure et les biais. L’exemple de l’histoire des tests psychotechniques, utilisés entre
autres dans le cadre du recrutement, rend compte de cet objectif.
Une seconde posture, qui se retrouve dans différentes disciplines, depuis la
psychologie jusqu’à la sociologie, met au contraire en doute la possibilité de quantifier
l’humain. Plusieurs arguments sont convoqués au service de ce discours.
Tout d’abord, il semble impossible d’éliminer tout à fait les biais
d’évaluation. L’évaluateur aura toujours des biais, conscients ou inconscients, qui
diminueront l’exactitude de son évaluation, et, même dans le cas des tests où
l’évaluateur disparaît entièrement (tests par QCM par exemple), les biais de
discrimination indirecte peuvent toujours exister.
La discrimination indirecte correspond ainsi à des situations où un outil de
mesure apparemment neutre (un QCM par exemple) contribue en fait à désavantager
certaines populations sur des critères prohibés (femmes, seniors, personnes en situation
de handicap, par exemple).
Ensuite, les mesures psychotechniques sont décontextualisées : les
producteurs de ces tests arguent qu’ils permettent de mesurer les aptitudes et les
performances en dehors de tout contexte de travail. Or, des sociologues, ergonomes ou
psychologues du travail ont montré que la capacité à mobiliser ces aptitudes ou
performances dépend en fait étroitement du contexte de travail (contexte social,
organisationnel, relationnel, notamment)’.
Ce second argument renvoie en fait à une forme d’imprévisibilité et de
complexité de l’être humain, qui ne peut être entièrement saisie par des mesures
quantifiées.
Des construits complexes :
Par ailleurs, dans le domaine RH, la quantification de l’humain renvoie à des
concepts ou phénomènes parfois difficiles à définir. Les tests psycho- techniques
cherchent ainsi à mesurer les aptitudes, parfois l’intelligence. Or, comment définir
l’intelligence humaine ? L’absence de consensus sur cette définition rend d’autant plus
douteuse la possibilité d’aboutir à un accord sur une mesure objective, efficace, valide,
de l’intelligence.
De la même façon, les entreprises cherchent régulièrement à mesurer des
phénomènes individuels et collectifs dont la définition même est sujette à débat.
L’exemple des échelles de mesure de la charge de travail permet de rendre
compte de cette difficulté.
Des enjeux forts d’accompagnement et de formation des acteurs RH :
L’apparition de ces nouveaux enjeux autour de la lutte contre les
discriminations et de la protection des données rend sans doute d’autant plus nécessaire
l’accompagnement et la formation des acteurs RH sur le sujet des données et de leur
utilisation.
De la même façon, l’accompagnement et la formation des représentants du
personnel semblent devenir incontournables pour pouvoir créer les conditions d’un
dialogue social informé et serein sur ces questions. Cette formation peut viser plusieurs
objectifs :
✓ Apprentissage des grands principes méthodologiques, juridiques et
éthiques à respecter en matière de collecte de données ;
✓ Apprentissage des méthodes quantitatives les plus courantes ;
✓ Sensibilisation aux enjeux éthiques ;
✓ Sensibilisation aux différents biais possibles et aux enjeux
spécifiques liés à la quantification de la ressource humaine.
Plus globalement, pour la fonction RH, garder une forme de contrôle ou en tout cas de
responsabilité sur les algorithmes qu’elle utilise semble essentiel pour garantir la prise
en compte de ces différents enjeux.
IV.2. Penser la collaboration humain-machine
La place croissante des robots, machines et algorithmes (au sens large) ne
se limite pas à la vie quotidienne : le monde du travail aussi est concerné par ce
phénomène. Son versant positif repose sur l’idée d’un accroissement des capacités
humaines.
Cependant, elle conduit aussi à modifier le contenu du travail et donc le
rapport au travail. Il revient alors à la fonction RH de gérer la collaboration humain-
machine de manière à préserver le sens et l’intérêt du travail.
IV.2.1 l’humain augmenté
Les machines (au sens large du terme : robots mécaniques, codes informa-
tiques, logiciels, algorithmes…) permettent dans certains cas d’augmenter les capacités
humaines, tant sur le plan physique qu’intellectuel, et finalement d’accroître l’efficacité
humaine.
Augmenter les capacités physiques :
Les technologies visant à augmenter les capacités physiques humaines ont
initialement été développées à destination des personnes en situation de handicap.
Ainsi, certains exosquelettes (structures mécaniques qui enveloppent le corps pour
améliorer ses capacités physiques) sont pensés pour permettre aux paraplégiques de se
mettre debout ou même de marcher. De la même façon, certaines prothèses auditives
ou visuelles visent à compenser des déficiences sensorielles dans le domaine de la vueou
de l’audition.
Cependant, rapidement, les constructeurs ont compris que ces machines
pouvaient aussi venir seconder la musculature ou les capacités sensorielles humaines
pour toutes les tâches nécessitant une certaine force ou des sens particulièrement
aiguisés. Ainsi, certaines de ces machines commencent à s’introduire dans le monde
industriel.
Plus récemment, d’autres technologies qui promettent aussi d’augmenter
les capacités physiques humaines ont fait leur apparition. Ainsi, des chercheurs
travaillent sur l’amélioration de la résistance aux infections. Dans le monde du travail,
la résistance aux maladies ou aux infections pourrait aussi constituer un atout précieux
dans les domaines où des travailleurs sont exposés à des substances microbiennes, ou
plus généralement nuisibles.
Augmenter les capacités intellectuelles :
D’autres machines visent plutôt l’augmentation des capacités
intellectuelles. Ainsi, les outils de traitement de l’information viennent structurer une
information existante de façon à en faciliter l’usage par l’être humain. L’être humain
n’a alors plus besoin de fournir du temps et des efforts pour compiler une information
parfois très disséminée et très déstructurée.
Les moteurs de recherche comme Google font partie de ce groupe d’outils.
Ensuite, les outils d’aide à la décision mobilisent cette structuration de l’information
pour définir la meilleure décision à prendre. Ainsi, IBM a développé de nombreux outils
dans le domaine de l’aide à la décision.
Augmenter l’efficacité :
D’autres technologies visent plutôt à accroître l’efficacité humaine, par
exemple en prenant en charge un certain nombre de tâches jugées peu intéressantes ou
chronophages. Ces outils sont parfois qualifiés d’assistants personnels ». Par exemple,
l’application Agenda de Google intègre automatiquement dans l’agenda individuel
certains événements (voyage en train, en avion, concerts…), identifiables à partir des e-
mails reçus ou envoyés par l’individu.
Ce système vise donc à décharger l’individu de la tâche parfois fastidieuse
d’intégration de l’événement dans l’agenda. Plus récemment, les assistants personnels
» ont pris la forme d’outils capables de réaliser des tâches à la place d’un individu, et
fonctionnant sur la base d’un contrôle vocal…
D’autres technologies sont apparues plus récemment, et visent explicite-
ment des gains de temps ou de praticité dans la vie quotidienne. Ainsi, les micro-puces
implantables dans le corps humain permettraient par exemple de payer en magasin (en
remplacement de la carte bancaire), ouvrir sa porte (en remplacement des clés), diffuser
des informations de santé en cas d'accident nécessitant l'intervention de pompiers ou de
médecins (en remplacement du carnet de santé ou de la carte de groupe sanguin)'... Ces
différentes technologies représenteraient donc un gain d'efficacité humaine.
Finalement, les machines (au sens large du terme) peuvent venir augmenter
les capacités humaines, plus précisément diminuer la pénibilité augmenter la
performance des individus. Ce faisant, elles modifient le rapport de l'homme à son
travail. Elles ont notamment tendance à standardiser les postures, les gestes, les prises
de décision...
De fait, l'utilisation d'un exosquelette vise entre autres à inciter l'individu à
adopter la « bonne » posture ou le « bon » geste respectueux des contraintes
ergonomiques, et ce peut-être au prix d'une certaine standardisation. Par ailleurs, leur
importance grandissante risque d'engendrer des inégalités entre ceux qui ont les moyens
de « s'augmenter » et les autres, ce qui pourrait creuser les inégalités socio-économiques
déjà existantes.
IV.2.2 Le travail dans la construction des identités et du bien-être
Le recours à des technologies dans les activités de production n’est
évidemment pas nouveau. Le rythme actuel des innovations techniques s’est certes
considérablement accéléré, mais les promesses restent inchangées : productivité,
fiabilité, réduction de la pénibilité liée à l’effort physique ou à la répétition des tâches…
Le « progrès » technique n’est pour autant pas sans heurts. Il y a tout d’abord l’impact
sur l’emploi et les compétences qui a été évoqué dans la première partie de cet ouvrage
et qui nécessite un effort d’anticipation particulier.
Il y a ensuite les conséquences à explorer sur le rapport même au travail. Les
technologies peuvent bouleverser les hiérarchies sociales en remettant en cause
l’importance des compétences : celui qui était incontournable hier peut très rapidement
se retrouver renvoyé à son inutilité demain.
Elles modifient en outre les gestes, les savoir-faire, les réseaux propres à l’activité de
production et peuvent certes faciliter le travail, mais aussi parfois le vider de son intérêt
et générer du mal-être. Comprendre ces enjeux, déterminer dans quelle mesure
l’augmentation de l’humain. Est désirable ou non invite à plonger dans l’univers social
des professions.
IV.2.3. Directeur des ressources humaines et robotique
En quoi le développement du digital remet-il au goût du jour la collaboration
homme-machine ? Elle ne date pas d’hier, qu’il s’agisse des premiers automates ou plus
récemment de l’introduction de l’informatique dans les années 1950.
Dans un cas comme dans l’autre, on ne parle que d’outils, certes de plus en
plus sophistiqués avec le temps, mais on reste dans une relation millénaire (homo faber,
l’homme s’est construit et contrôle son environnement grâce aux outils qu’il a
fabriqués).
Ces outils impliquent une technicité de maintenance de plus en plus
importante et ont contribué à une complexité croissante des organisations : création de
directions technique, de la maintenance, informatique pour ne citer qu’elles. Elles
pèsent également dans les organisations – songeons aux chaînes mécanisées qui
modèlent l’espace de production ou aux bureaux conditionnés par les ordinateurs et la
micro-informatique.
Mais dans un cas comme dans l’autre, la machine reste le prolongement
d’une action humaine. Dit autrement, l’homme reste maître de son outil avec l’aide d’un
service dédié, de techniciens pour entretenir les automates ou les machines, d’un service
informatique pour ce qui concerne l’usage des ordinateurs.
Si ces machines participent à la structuration de l’organisation du travail,
elles n’en restent pas moins dans une logique d’accessoire à une organisation humaine
préexistante. Elles renforçaient, jusque-là, les structures hiérarchiques en participant à
l’augmentation de la technostructure’.
L’essor du digital s’est accompagné d’une multiplication de solutions
informatiques en usage simple. Alors qu’il fallait auparavant installer un logiciel /ou un
client sur son ordinateur ou sur les réseaux de l’entreprise via le service informatique,
aujourd’hui les salariés peuvent utiliser librement » des solutions logicielles en client-
serveur externe (en mode SaaS, pour Software as a Service).
L’impact, en termes d’organisation, est loin d’être négligeable : cela a
modifié le rapport de l’homme à la machine, mais aussi la manière de travailler et le
rapport entre les individus marquant en quelque sorte un deuxième âge de la machine.
En effet, les machines sont devenues simples d’utilisation, nul besoin d’expertise pour
leur usage, autonomisant leur propriétaire.
Elles sont également plus facilement accessibles en termes de coût, ce qui
facilite leur usage dehors des contraintes hiérarchiques. Enfin, elles ont pour la plupart
multiplié le travail en réseau et permis à chacun d’accéder à de plus grandes expertises
(le fait d’avoir multiplié les accès a réduit le coût des expertises).
Il suffit pour s'en convaincre d’observer le nombre d’apps » (nouveau nom
donné à ces applications) disponibles pour la seule fonction RH : depuis celles
spécialisées sur l’identification de talents à celles gérant l’« onboarding» des salariés en
passant par les plateformes de tests de recrutement, de coaching, de sondages ou «
survey» permanent. Nul besoin d’être une grande entreprise pour bénéficier de
l’expertise d’un service RH digne de ce nom’.
C’est ce que nous pourrions appeler un second âge de la machine, marquant
une double autonomisation de l’utilisateur : par rapport à la complexité de l’outil (qui
est devenu souple et agile), par rapport à l’organisation puisqu’il peut s’affranchir de
ses règles. Ce deuxième âge contribue, à l’inverse du premier, à réduire les besoins en
corps intermédiaires ou en expertises, et donc à diminuer la technostructure.
Avec les solutions d’intelligence artificielle visant à développer l’auto-
apprentissage de la machine (deep learning) et la mise en connexion de l’ensemble de
ces outils, se dessine encore un nouveau type de rapports homme-machine posant la
question cette fois-ci de l’autonomie de l’outil en lui-même (est-ce la fin de
l’anthropocène, au sens d « âge de l’homme » ?). C’est ce que nous pourrions appeler
un troisième âge de la machine.
Vers des roborganisations :
En sciences sociales, on définit une organisation comme un groupe social
formé d’individus en interaction, ayant un but collectif, mais dont les préférences, les
informations, les intérêts et les connaissances peuvent diverger. Avec le développement
de la robotique, il faudra peut-être réécrire un peu différemment cette définition pour
intégrer ces nouveaux venus.
Deux questions se posent, en termes RH : quels postes les robots occuperont-
ils ? Et comment pourra-t-on qualifier la relation homme-robot ?
Dans un premier temps, les postes d’expertise et de production risquent fort d’être
remplacés par des robots, du fait de leurs meilleures capacités de traitement (comme
nous avons pu le voir précédemment): plus grande quantité de données traitées, plus
rapidement et plus rigoureusement que par les hommes.
Les postes d’animation, de coordination, de contacts sophistiqués,
d’arbitrage… bref ce qui fait la composante sociale et humaine de l’organisation, ce qui
lui donne un but et anime les interactions resteront l’apanage de l’humain.
C’est moins la production et la capacité à faire que la résolution de
problèmes qui fondera donc les organisations de demain. Cela a-t-il un sens d’imaginer
une organisation composée uniquement de robots ? Non. Il y a donc peu de risques que
l’homme disparaisse de l’équation.
Comment qualifier la relation homme-robot ? Est-ce une relation de
collaboration, de subordination, d’esclavage ? Quels sont les droits et obligations de
chacun ? Car nous ne sommes plus dans une relation classique homme-outil traditionnel
telle qu’elle a existé depuis des millénaires.
Il s’agit d’une interaction entre deux intelligences, l’une d’ordre biologique,
l’autre d’ordre mécaniste. En cas de dissension, à qui donner le dernier mot ? Cela a-t-
il du sens de sanctionner un robot ? Peut-on envisager une relation de subordination de
l’homme à la machine ? Et dans le cas de conflit entre robots, comment trancher le
désaccord ? Comme on peut le voir, la relation reste à construire et imaginer ; vaste
chantier pour le DRHR.
À ce titre, la question de la programmation des pilotes automatiques des
voitures est certainement annonciatrice des questions qui se poseront aux RH : en cas
d’accident, jusqu’à présent, les réflexes imparfaits (et irréfléchis) des humains
conditionnaient les choix faits ; lorsqu’il s’agit de programmer un ordinateur, il faut
faire un choix au préalable, ce qui introduit des dilemmes du type « vaut-il mieux sauver
une vie jeune ou moins jeune ?», « une femme plutôt qu’un homme ?».
D’autres cas sont encore plus problématiques. Quoi qu’il en soit,
l’algorithme doit disposer d’un arbre de préférence pour pouvoir fonctionner. Il n’est
pas possible de laisser des « blancs » dans la programmation
Concurrence homme-machine : la place de l’outil :
Compte-tenu des avantages des robots sur l’homme, ce dernier ne peut pas
soutenir la rivalité, sur nombre de postes : pas besoin de repos hebdomadaire, pas
d’usure (ou moins que pour un individu), grande régularité…
Mais poser la question uniquement en termes de concurrence n’est pas le bon
angle pour les RH : l’humain reste compétitif dans certains domaines ; il faut voir dans
les capacités supérieures du robot l’opportunité pour l’homme de se décharger de tâches
usantes et fatigantes.
Les services RH doivent se poser la question de la place du robot dans
l’organisation, en ayant en tête le risque que l’homme :
✓ Oublie ou omette une information (ce qui ne se produira pas avec une
machine). Pour qu’une machine oublie une information, il faudrait la
programmer pour cela, ce qui conditionnerait son oubli. La capacité
d’oubli peut être intéressante pour les fonctions de création ;
✓ Mente ou raconte des histoires. Jusqu’à preuve du contraire, la capa-
cité à mentir ou à « raconter des histoires » est l’élément principale
distinction entre une intelligence artificielle et une intelligence
humaine. En quoi cette aptitude pourrait-elle être intéressante ?
Songez à nombre de fonctions de contact dans lesquelles exposer trop
rapidement la vérité serait contreproductif (tout simplement parce que
votre interlocuteur ne peut entendre la vérité tout de suite) ;
✓ Prenne une décision irrationnelle. Par définition, la machine fera un
calcul rationnel et prendra une décision sur la base de statistiques. Les
biais cognitifs peuvent nous faire prendre des décisions qui, sans être
les meilleures, ouvrent de nouvelles perspectives : sans elle, nous ne
connaîtrions pas la tarte Tatin par exemple, car une machine aurait-
elle servi une tarte tombée par terre ?
✓ Tranche sans une vision complète de la situation. C’est le propre de
l’homme depuis des millénaires que de savoir trancher sans avoir la
totalité des cartes en main. Face à un dilemme, la machine se bloquera
ou ne prendra une décision qu’après avoir étudié toutes les
possibilités et les avoir organisées par probabilité statistique.
En outre, il faut penser également aux situations improbables, mais pour-
tant bien réelles, dans lesquelles la machine bugue.
Dans un second temps, il faudra ajuster et accompagner la transition en ayant
un facteur psychologique important en tête : le robot n’est ni un esclave, ni un maître,
ni un collègue, ni un pair, mais une entité d’une autre nature, avec laquelle il faut définir
des relations non pas symétriques, mais de services réciproques.
Ce n’est pas naturel pour les hommes. Il y a donc là un apprentissage à conduire.
IV.3. Mon chef est un robot
Enfin, la collaboration humain-machine peut prendre une autre forme, celle
de la soumission de l’être humain à la machine. Cette soumission renvoie aux enjeux
d’autonomie et de liberté de l’individu au travail. Pour les RH, l’enjeu principal consiste
alors à gérer la question de la responsabilité des succès et des erreurs, une multitude
d’acteurs ou d’objets devenant de fait responsable, depuis le concepteur de l’algorithme
ou la machine jusqu’à l’individu qui l’a utilisée, en passant par la machine elle-même.
IV.3.1. L’humain prescrit
La soumission de l’humain à la machine peut prendre plusieurs formes, dont
certaines ne sont pas si récentes. Ainsi, il existe de nombreux cas où la technique prescrit
l’activité humaine (travail à la chaîne, champs à remplir dans un formulaire
informatique…).
Plus récemment, dans le monde des entreprises, la notion de « management
par les algorithmes » a été créée pour qualifier les situations où les tâches et le travail
individuel sont fournis à l’individu par la machine. Enfin, l’apparition d’algorithmes
prédictifs est venue modifier la donne en créant des situations où la prise de décision
est entièrement laissée à la machine.
Le management par les algorithmes :
Plus récemment, l’émergence de plateformes de travail a incité à la création
de la notion de « management par les algorithmes », renvoyant à des situations dans
lesquelles l’ensemble du travail de l’individu, depuis sa planification jusqu’à son
évaluation, lui est fourni par la machine.
La gestion des entrepôts chez Amazon rend compte de ce phénomène : les
travailleurs y sont équipés de scanners qui leur indiquent quel produit aller chercher et
où il se situe. Ce type de gestion est justifié sur le plan de la productivité, puisqu’il vise
à limiter au maximum les déplacements des salariés dans ces immenses entrepôts (et
donc la perte de temps associée).
Cependant, il est aussi fortement critiqué sous l’angle de la dégradation des
conditions de travail, notamment parce qu’il se traduit par des cadences extrêmes et une
obsession de la productivité¹.
Cependant, les salariés d’Amazon ont encore des managers humains, ce qui
n’est pas le cas par exemple des chauffeurs d’Uber ou des livreurs de Deliveroo. Ces
plateformes poussent ainsi à l’extrême le principe de management par les algorithmes,
en faisant disparaître totalement le rôle du manager, mais aussi des collègues et donc
globalement du collectif de travail.
Ce phénomène de management par les algorithmes prend une importance
croissante avec l’essor des plateformes de travail. Il soulève plusieurs enjeux, autour de
la liberté et de l’autonomie des individus, et autour de la disparition des relations
interindividuelles de travail.
La prise de décision laissée aux mains des algorithmes :
Enfin, l’apparition des algorithmes prédictifs a engendré des situations
jusqu’alors inédites, dans lesquelles la prise de décision est totalement laissée à la
machine. Le cas des voitures autonomes semble particulière- ment évocateur.
Dans le monde de l’assurance, les algorithmes prenant des décisions à la place des
individus commencent aussi à émerger. Ainsi, comme on l’a vu, aux États-Unis par
exemple, des algorithmes sont utilisés pour définir le prix de l’assurance automobile de
chaque individu².
Ces algorithmes engendrent donc des situations dans lesquelles l’être humain
est totalement dépossédé de la prise de décision. Cela pose plu- sieurs questions. Tout
d’abord, qui peut être tenu pour responsable des décisions ainsi prises et de leurs
conséquences ? Ensuite, comment s’assurer que la machine prenne les «bonnes »
décisions (celles qui engendrent le moins de risque mortel par exemple, dans le cas des
voitures auto- nomes) ? Faut-il indexer la qualité des décisions prises par la machine
sur les décisions qui auraient pu être prises par l’être humain, ou bien peut-on attendre
de la machine qu’elle prenne de « meilleures » décisions ?
Ces questions, qui restent encore en suspens, limitent pour l’instant la
diffusion de ces outils.
IV.3.2. Quelle autonomie pour les humains dans un monde de machines ?
Le développement de l’intelligence artificielle change le regard qu’il
convient de porter sur l’usage des technologies en contexte de travail. On ne peut plus
considérer ces dernières comme un simple prolongement des humains qui pourraient
décider d’utiliser ou pas les technologies pour améliorer leurs gestes pour atteindre leurs
buts.
En effet, les technologies intelligentes de performance et participent à la
prise de décision. Il faut dès lors les inclure dans l’analyse des relations sociales et ne
pas les cantonner à un statut d’objet neutre et inerte. La question de l’autonomie des
humains se trouve posée.
L’intelligence est distribuée entre humains et machines :
Il est classique de parler « d’intelligence distribuée» lorsqu’on s’intéresse
aux relations entre humains dans les organisations. Ce terme renvoie au fait que chacun
porte une part de la connaissance et de l’expertise nécessaire au traitement d’une
situation. L’analyse de la distribution de l’intelligence permet de comprendre la
collaboration, mais aussi les rapports de force internes aux organisations.
Dans cette analyse, il faut désormais inclure l’intelligence des machines et
s’intéresser à la façon dont elle s’intègre dans les systèmes sociaux propres au travail’,
ce qui suppose qu’on s’intéresse aux propriétés matérielles des technologies, mais aussi
aux intentions de leurs concepteurs qui se projettent à distance dans l’action par
l’intermédiaire des outils qu’ils mettent à disposition.
Toutes les technologies ne sont pas intelligentes de la même manière et ne
permettent pas aux humains de peser. Certaines machines restent « à la main » des
humains qui peuvent décider de l’usage qu’ils en font, les contrôler, les modifier, les
détourner et donc les adapter pour servir leurs propres fins.
D’autres systèmes intelligents sont en revanche beaucoup plus fermés et se
« débrouillent tout seuls ». Ils présentent souvent l’avantage d’être simples à utiliser,
mais le prix à payer est celui de la perte de contrôle. Cette perte de contrôle est d’ailleurs
souvent insoupçonnée tant que l’utilisateur, séduit par la facilité d’utilisation, ne fait pas
l’effort de comprendre le fonctionnement du système.
Ce type de technologies invite à porter le regard davantage sur la conception
et sur les idéologies qu’elles véhiculent que sur l’usage qui en est fait.
Comprendre l’interface homme-machine nécessite qu’on porte l’attention, certes sur ce
que les hommes font avec les machines, mais aussi, en retour, sur ce que les machines
font aux hommes. Il n'y a pas de déterminisme clair entre technologie et travail : les
individus gardent des marges de manœuvre, ne serait-ce parce que ce sont quand même
encore les humains qui conçoivent les outils, mais les machines contraignent l’action
des individus en cadrant l’information qui leur est accessible et en favorisant certaines
actions.
Les technologies telles qu’elles sont utilisées ne sont donc pas des données.
Elles sont plutôt le résultat d’une négociation. L’introduction de nouvelles technologies
est un processus d’adaptation au cours duquel les usages et les relations entre les
humains, entre les humains et les machines et entre les machines elles-mêmes se
stabilisent et finissent pas s’institutionnaliser pour définir un état acceptable, ou qui
n’est plus contesté. Ce cadre ouvre des perspectives heureuses pour apprendre à
cohabiter avec les robots.
Menaces sur l’autonomie ?
Les discours sur l’intelligence artificielle sont souvent empreints de
l’angoisse d’un renversement de la prise de contrôle et d’une subordination à la
technologie. Le digital conduit certes à des hiérarchies moins pesantes, il favorise la
collaboration et la prise de responsabilité.
Peut-on pour autant conclure à un surcroît d’autonomie si les technologies
s’interposent entre le réel et les humains en sélectionnant et en interprétant
l’information, en établissant les priorités, en imposant les gestes ? On retrouve
finalement derrière la prescription technologique les travers du taylorisme.
On l'a vu au chapitre précédent, la préservation de marges de manœuvre est
un enjeu de bien-être au travail. Tant que l’intelligence artificielle ne sera pas parfaite,
l’autonomie restera également un enjeu d’efficacité productive et d’efficience
économique.
La production ne pourra probablement pas être entièrement robotisée,
notamment parce que, dans bien des domaines, l’intelligence artificielle continuera à
coûter plus cher que l’intelligence humaine, mais aussi parce que, à l’instar de la
prescription taylorienne, la prescription digitale ne pourra prévoir tous les aléas. Les
organisations auront donc probablement encore longtemps besoin d’individus
compétents et autonomes.
On peut d’ailleurs fantasmer l’arrivée de temps heureux où ne resteront à
faire que les tâches réclamant de l’autonomie non programmable. Le travail sera
émotionnel et relationnel, la production sera laissée aux machines ou sera faite par des
humains animés par le seul plaisir de faire.
Cette perspective inspire d’ailleurs des évolutions sociétales fortes qui
redéfinissent la place du travail dans la construction des identités individuelles,
remettent au centre les préoccupations écologiques et l’attention portée aux autres et
invitent à revenir à la joie du travail accompli.
En attendant ce jour et pour lui permettre d’advenir, l’heure est à la réflexion
politique et à la construction d’un compromis soutenable entre concepteurs, promoteurs
et usagers des outils.
CONCLUSION GENERALE
Nous voici au terme de ces notes cours sur la E- Gestion des Ressources
Humaines destinées aux étudiants de la deuxième année de licence en Gestion des
Ressources Humaines de l’université de Kinshasa. Deux parties parties composent ces
notes de cours sont l’une concernes les considérations générales de la digitalisation des
ressources humaines et l’autre aborde la question des défis stratégiques à l’ère de la
digitalisation et des Ressources Humaines.
Dans la première partie, nous avons échangé sur la nécessité de la
digitalisation de quelques pratiques des Ressources Humaines étant donné son impact
sur la vie des organisations. Il était également question d’indiquer le rôle du système
d’information des ressources dans l’accompagnement de la fonction Ressources
Humaines dans les organisations, car le SIRH n'est plus au cœur de la DRH, mais bien
au cœur de l’entreprise et donc ses enjeux sont stratégiques affirme Peretti (2004).
Le SIRH permet entre autres de faciliter la gestion des savoirs, la diffusion
des connaissances, le développement des compétences requises, la mobilisation et la
conservation de ces compétences.
Enfin, nous avons parlé des NTIC et la RSE vers la GRH. Il est de notoriété
publique les incidences des NTC sur le fonctionnement des organisations affirment
Silva et Hugon (2009). Cet impact n’est pas sans effets négatifs dans la suppression des
emplois par exemple comme positifs d’amélioration indéniable de la productivité et de
la compétitivité. Ces technologies et formes d’organisation qui en découlent induisent
des nouveaux modes de management ainsi que des évolutions notables dans
l’autonomie et la responsabilisation des salariés (Matmati, 2004).
Dans la deuxième partie où nous avons invoqué quatre défis stratégiques
qui peuvent impacter le développement du digital dans le domaine de ressources
humaines :
D’abord, une accélération sans précédent du changement avec
conséquences multiples sur les emplois, le choix des compétences futures, sur
l’organisation même de l’entreprise qui doit être agile pour rester dans la compétition,
et sur la réinvention du dialogue social en tant que lieu d’apprentissage collectif, faute
de quoi il ne sera pas possible pour les entreprises d’évoluer
Deuxièmement, le digital, c’est aussi la multiplication des réseaux et des
plates formes d’emplois, la transparence du marché du travail ( au point de se poser la
question de la marchandisation des individus avec ce que cela signifie pour les
ressources humaines en matière d’éthique en premier lieu, de qualité de vie au travail
et de conséquences en termes de risques psycho sociaux) et la complexité accrue de
gestion : multitude de statuts et disparition de la frontière juridique de l’entreprise
En troisième lieu, le digital est aussi la réinvention du travail collaboratif,
avec la possibilité de travailler d’où on veut et quand on veut de s’émanciper des
intermédiaires y compris du management obligeant les RH à réinventer les
organisations en dehors du modèle qui a prévalu jusque-là
Enfin, le digital c’est introduction du nouveau type d’acteurs au sein des
organisations ; les algorithmes (simples traitements automatisés de la data, ils sont
devenus autonomes, soulevant un nombre de questions et des chantiers RH en rapport
avec la nature des relation Robot-Salarié, sur la responsabilité des actes et des décisions
prises par ces machines et aussi sur l’acculturation nécessaire des salariés par rapport à
ces robots porteurs d’expertise.
Nous espérons avoir atteint notre objectif en donnant l’essentiel pour
l’étudiant ayant participé activement à cet échange sur la E-Gestion des RH.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Martory, B & D. Crozet (2003): « Gestion des ressources humaines: pilotage
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ESKA.
Tixier , J & F.Deltour : « Du contrôle de performance à la coordination des pratiques
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