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Douces déroutes, le dernier roman de Yanick Lahens est la chronique à la fois émouvante et

somptueuse d’une cité grosse de ses avatars les plus tragiques. Le lieu nous est familier : il s’agit
de Port-au-Prince. Une ville à l’asphalte fertile ou germent toutes les aventures. Un lieu où la
mort peut toujours pointer, au détour d’une rue, sa gueule de méduse. Mais dans cet espace de
tous les dangers, la vie refuse d’abdiquer.

L’écriture de la romancière, précise et stylisée, est pleine de tous les vacarmes d’une
agglomération qui vit la gueule ouverte. Le moindre incident est un spectacle qui distrait des
petits malheurs du quotidien.

La ville est excessive, baroque et fantasque. Comme une meule, elle broie les existences mais
génère, dans son dynamisme quotidien, mille et une recettes de survie. Elle est aussi le lieu
géométrique de la vitalité solaire d’un peuple dont la vie est un défi permanent : « Imaginez une
ville entière sur des sièges ou agglutinée jusque sur les trottoirs, à regarder devant un téléviseur,
dans une totale hystérie, vingt-deux adultes courir derrière un ballon. Une ville entière qui crie
Gooooal !!!! Et arrose le ciel de quelques rafales d’armes automatiques. Pour oublier ceux que
les rafales atteignent vraiment. » (p22).

La ville n’avait pas toujours cet air boudeur de forteresse assiégée : certains quartiers ont jadis
dégagé des fragrances enivrantes de bourgades fleuries : « Puis est venu le temps des clôtures…
sont arrivés les lourds fers forgés aux fenêtres, les hauts murs de pierre et les barrières-ponts-
levis à l’entrée des maisons ». Il s’agit donc pour la narratrice de raconter, comment sous les
coups de boutoir d’une histoire traumatisante, a émergé une urbanité meurtrie, soumise au feu
roulant de la violence sommaire des maîtres de l’heure qui sont de tous horizons et de toutes
nationalités.

Ce qui doit plaire au lecteur, c’est la familiarité avec des situations les unes amusantes, les autres
outrageantes - qui remplissent les pages du roman. Des personnages que l’on a l’impression de
connaître. Et surtout cette tension dramatique donnant le tempo de cette ville qui consume la vie
par les deux bouts. Une cité où le silence est une parenthèse paradisiaque et où Eros et Thanatos
se frottent les vertèbres dans un corps à corps aussi érotique que funeste. Pourtant le récit ne
s’enferme pas à double tour dans un mimesis du réel. Jouant des silences et des ellipses, il fait la
part belle à l’imagination du lecteur et la pluralité des points de vue s’élève du macadam brûlé
comme un vaste chant profane.

Il y a dans ce nouveau livre de Yanick Lahens tous les ingrédients du polar à suspens : une mort
sur ordonnance, un juge assassiné ; une enquête à hauts risques et interminable. Le polar n’est
pourtant qu’un moule où chacun vient glisser sa musique, comme dirait Patrick Reynald. Mais le
plus important est le regard sans complaisance sur une société qui se laisse aller à de douces
dérives, une chimie sociale complexe, que nous avons trop tendance à analyser avec nos binocles
d’une autre époque, insensible aux mutations de la folle transition politique.

Un roman haletant, une écriture jazzée avec des changements de rythme suivant qu’elle narre
l’histoire de l’étudiant révolutionnaire Ezéchiel, ou celle de Pierre l’homosexuel, banni, mais à la
morale la moins douteuse, ou même du caïd Joubert dont le nom de guerre on ne peut plus
suggestif est Jojo Piment piqué.

La fièvre de raconter bat à la porte d’une ville des sept douleurs, s’engouffre dans les rues
étroites débordantes de rumeurs et de destins fracassés. Le mouvement est perpétuel et l’axe du
manège est Brune, jeune chanteuse droite dans ses bottes apportant au roman fraîcheur et
espérance.

Les personnages féminins de Yanick Lahens sont à leur manière des gouverneures de la rosée :
ce sont elles qui dans Failles comme dans Bain de Lune sonnent le clairon de la révolte face à la
robuste santé du malheur.

Le texte échappe à l’enfermement des récits confinés et par moments nombrilistes, genre voyage
autour de ma chambre. Ce faisant, il s’ouvre à un bouquet d’humanité, à des personnages qui se
côtoient pour dégager une chaleur diffusément universelle.

Douces déroutes est de ces écrits qui nous invite à ne pas nous contenter de l’écume des choses,
mais à plonger au fond du chaudron social pour anticiper le tsunami qui se prépare.

*Enseignant, éditorialiste

Douces déroutes, Yanick Lahens, Sabine Wespieser Eds, Paris, janvier 2018

Douces déroutes, le dernier roman de Yanick Lahens est la chronique à la fois émouvante et
somptueuse d’une cité grosse de ses avatars les plus tragiques. Le lieu nous est familier : il s’agit
de Port-au-Prince. Une ville à l’asphalte fertile ou germent toutes les aventures. Un lieu où la
mort peut toujours pointer, au détour d’une rue, sa gueule de méduse. Mais dans cet espace de
tous les dangers, la vie refuse d’abdiquer.

L’écriture de la romancière, précise et stylisée, est pleine de tous les vacarmes d’une
agglomération qui vit la gueule ouverte. Le moindre incident est un spectacle qui distrait des
petits malheurs du quotidien.

La ville est excessive, baroque et fantasque. Comme une meule, elle broie les existences mais
génère, dans son dynamisme quotidien, mille et une recettes de survie. Elle est aussi le lieu
géométrique de la vitalité solaire d’un peuple dont la vie est un défi permanent : « Imaginez une
ville entière sur des sièges ou agglutinée jusque sur les trottoirs, à regarder devant un téléviseur,
dans une totale hystérie, vingt-deux adultes courir derrière un ballon. Une ville entière qui crie
Gooooal !!!! Et arrose le ciel de quelques rafales d’armes automatiques. Pour oublier ceux que
les rafales atteignent vraiment. » (p22).

La ville n’avait pas toujours cet air boudeur de forteresse assiégée : certains quartiers ont jadis
dégagé des fragrances enivrantes de bourgades fleuries : « Puis est venu le temps des clôtures…
sont arrivés les lourds fers forgés aux fenêtres, les hauts murs de pierre et les barrières-ponts-
levis à l’entrée des maisons ». Il s’agit donc pour la narratrice de raconter, comment sous les
coups de boutoir d’une histoire traumatisante, a émergé une urbanité meurtrie, soumise au feu
roulant de la violence sommaire des maîtres de l’heure qui sont de tous horizons et de toutes
nationalités.

Ce qui doit plaire au lecteur, c’est la familiarité avec des situations les unes amusantes, les autres
outrageantes - qui remplissent les pages du roman. Des personnages que l’on a l’impression de
connaître. Et surtout cette tension dramatique donnant le tempo de cette ville qui consume la vie
par les deux bouts. Une cité où le silence est une parenthèse paradisiaque et où Eros et Thanatos
se frottent les vertèbres dans un corps à corps aussi érotique que funeste. Pourtant le récit ne
s’enferme pas à double tour dans un mimesis du réel. Jouant des silences et des ellipses, il fait la
part belle à l’imagination du lecteur et la pluralité des points de vue s’élève du macadam brûlé
comme un vaste chant profane.

Il y a dans ce nouveau livre de Yanick Lahens tous les ingrédients du polar à suspens : une mort
sur ordonnance, un juge assassiné ; une enquête à hauts risques et interminable. Le polar n’est
pourtant qu’un moule où chacun vient glisser sa musique, comme dirait Patrick Reynald. Mais le
plus important est le regard sans complaisance sur une société qui se laisse aller à de douces
dérives, une chimie sociale complexe, que nous avons trop tendance à analyser avec nos binocles
d’une autre époque, insensible aux mutations de la folle transition politique.

Un roman haletant, une écriture jazzée avec des changements de rythme suivant qu’elle narre
l’histoire de l’étudiant révolutionnaire Ezéchiel, ou celle de Pierre l’homosexuel, banni, mais à la
morale la moins douteuse, ou même du caïd Joubert dont le nom de guerre on ne peut plus
suggestif est Jojo Piment piqué.

La fièvre de raconter bat à la porte d’une ville des sept douleurs, s’engouffre dans les rues
étroites débordantes de rumeurs et de destins fracassés. Le mouvement est perpétuel et l’axe du
manège est Brune, jeune chanteuse droite dans ses bottes apportant au roman fraîcheur et
espérance. Douces déroutes, le dernier roman de Yanick Lahens est la chronique à la fois
émouvante et somptueuse d’une cité grosse de ses avatars les plus tragiques. Le lieu nous est
familier : il s’agit de Port-au-Prince. Une ville à l’asphalte fertile ou germent toutes les
aventures. Un lieu où la mort peut toujours pointer, au détour d’une rue, sa gueule de méduse.
Mais dans cet espace de tous les dangers, la vie refuse d’abdiquer.
L’écriture de la romancière, précise et stylisée, est pleine de tous les vacarmes d’une
agglomération qui vit la gueule ouverte. Le moindre incident est un spectacle qui distrait des
petits malheurs du quotidien.

La ville est excessive, baroque et fantasque. Comme une meule, elle broie les existences mais
génère, dans son dynamisme quotidien, mille et une recettes de survie. Elle est aussi le lieu
géométrique de la vitalité solaire d’un peuple dont la vie est un défi permanent : « Imaginez une
ville entière sur des sièges ou agglutinée jusque sur les trottoirs, à regarder devant un téléviseur,
dans une totale hystérie, vingt-deux adultes courir derrière un ballon. Une ville entière qui crie
Gooooal !!!! Et arrose le ciel de quelques rafales d’armes automatiques. Pour oublier ceux que
les rafales atteignent vraiment. » (p22).

La ville n’avait pas toujours cet air boudeur de forteresse assiégée : certains quartiers ont jadis
dégagé des fragrances enivrantes de bourgades fleuries : « Puis est venu le temps des clôtures…
sont arrivés les lourds fers forgés aux fenêtres, les hauts murs de pierre et les barrières-ponts-
levis à l’entrée des maisons ». Il s’agit donc pour la narratrice de raconter, comment sous les
coups de boutoir d’une histoire traumatisante, a émergé une urbanité meurtrie, soumise au feu
roulant de la violence sommaire des maîtres de l’heure qui sont de tous horizons et de toutes
nationalités.

Ce qui doit plaire au lecteur, c’est la familiarité avec des situations les unes amusantes, les autres
outrageantes - qui remplissent les pages du roman. Des personnages que l’on a l’impression de
connaître. Et surtout cette tension dramatique donnant le tempo de cette ville qui consume la vie
par les deux bouts. Une cité où le silence est une parenthèse paradisiaque et où Eros et Thanatos
se frottent les vertèbres dans un corps à corps aussi érotique que funeste. Pourtant le récit ne
s’enferme pas à double tour dans un mimesis du réel. Jouant des silences et des ellipses, il fait la
part belle à l’imagination du lecteur et la pluralité des points de vue s’élève du macadam brûlé
comme un vaste chant profane.

Il y a dans ce nouveau livre de Yanick Lahens tous les ingrédients du polar à suspens : une mort
sur ordonnance, un juge assassiné ; une enquête à hauts risques et interminable. Le polar n’est
pourtant qu’un moule où chacun vient glisser sa musique, comme dirait Patrick Reynald. Mais le
plus important est le regard sans complaisance sur une société qui se laisse aller à de douces
dérives, une chimie sociale complexe, que nous avons trop tendance à analyser avec nos binocles
d’une autre époque, insensible aux mutations de la folle transition politique.

Un roman haletant, une écriture jazzée avec des changements de rythme suivant qu’elle narre
l’histoire de l’étudiant révolutionnaire Ezéchiel, ou celle de Pierre l’homosexuel, banni, mais à la
morale la moins douteuse, ou même du caïd Joubert dont le nom de guerre on ne peut plus
suggestif est Jojo Piment piqué.

La fièvre de raconter bat à la porte d’une ville des sept douleurs, s’engouffre dans les rues
étroites débordantes de rumeurs et de destins fracassés. Le mouvement est perpétuel et l’axe du
manège est Brune, jeune chanteuse droite dans ses bottes apportant au roman fraîcheur et
espérance.
Les personnages féminins de Yanick Lahens sont à leur manière des gouverneures de la rosée :
ce sont elles qui dans Failles comme dans Bain de Lune sonnent le clairon de la révolte face à la
robuste santé du malheur.

Le texte échappe à l’enfermement des récits confinés et par moments nombrilistes, genre voyage
autour de ma chambre. Ce faisant, il s’ouvre à un bouquet d’humanité, à des personnages qui se
côtoient pour dégager une chaleur diffusément universelle.

Douces déroutes est de ces écrits qui nous invite à ne pas nous contenter de l’écume des choses,
mais à plonger au fond du chaudron social pour anticiper le tsunami qui se prépare.

*Enseignant, éditorialiste

Douces déroutes, Yanick Lahens, Sabine Wespieser Eds, Paris, janvier 2018

Douces déroutes, le dernier roman de Yanick Lahens est la chronique à la fois émouvante et
somptueuse d’une cité grosse de ses avatars les plus tragiques. Le lieu nous est familier : il s’agit
de Port-au-Prince. Une ville à l’asphalte fertile ou germent toutes les aventures. Un lieu où la
mort peut toujours pointer, au détour d’une rue, sa gueule de méduse. Mais dans cet espace de
tous les dangers, la vie refuse d’abdiquer.

L’écriture de la romancière, précise et stylisée, est pleine de tous les vacarmes d’une
agglomération qui vit la gueule ouverte. Le moindre incident est un spectacle qui distrait des
petits malheurs du quotidien.

La ville est excessive, baroque et fantasque. Comme une meule, elle broie les existences mais
génère, dans son dynamisme quotidien, mille et une recettes de survie. Elle est aussi le lieu
géométrique de la vitalité solaire d’un peuple dont la vie est un défi permanent : « Imaginez une
ville entière sur des sièges ou agglutinée jusque sur les trottoirs, à regarder devant un téléviseur,
dans une totale hystérie, vingt-deux adultes courir derrière un ballon. Une ville entière qui crie
Gooooal !!!! Et arrose le ciel de quelques rafales d’armes automatiques. Pour oublier ceux que
les rafales atteignent vraiment. » (p22).

La ville n’avait pas toujours cet air boudeur de forteresse assiégée : certains quartiers ont jadis
dégagé des fragrances enivrantes de bourgades fleuries : « Puis est venu le temps des clôtures…
sont arrivés les lourds fers forgés aux fenêtres, les hauts murs de pierre et les barrières-ponts-
levis à l’entrée des maisons ». Il s’agit donc pour la narratrice de raconter, comment sous les
coups de boutoir d’une histoire traumatisante, a émergé une urbanité meurtrie, soumise au feu
roulant de la violence sommaire des maîtres de l’heure qui sont de tous horizons et de toutes
nationalités.

Ce qui doit plaire au lecteur, c’est la familiarité avec des situations les unes amusantes, les autres
outrageantes - qui remplissent les pages du roman. Des personnages que l’on a l’impression de
connaître. Et surtout cette tension dramatique donnant le tempo de cette ville qui consume la vie
par les deux bouts. Une cité où le silence est une parenthèse paradisiaque et où Eros et Thanatos
se frottent les vertèbres dans un corps à corps aussi érotique que funeste. Pourtant le récit ne
s’enferme pas à double tour dans un mimesis du réel. Jouant des silences et des ellipses, il fait la
part belle à l’imagination du lecteur et la pluralité des points de vue s’élève du macadam brûlé
comme un vaste chant profane.

Il y a dans ce nouveau livre de Yanick Lahens tous les ingrédients du polar à suspens : une mort
sur ordonnance, un juge assassiné ; une enquête à hauts risques et interminable. Le polar n’est
pourtant qu’un moule où chacun vient glisser sa musique, comme dirait Patrick Reynald. Mais le
plus important est le regard sans complaisance sur une société qui se laisse aller à de douces
dérives, une chimie sociale complexe, que nous avons trop tendance à analyser avec nos binocles
d’une autre époque, insensible aux mutations de la folle transition politique.

Un roman haletant, une écriture jazzée avec des changements de rythme suivant qu’elle narre
l’histoire de l’étudiant révolutionnaire Ezéchiel, ou celle de Pierre l’homosexuel, banni, mais à la
morale la moins douteuse, ou même du caïd Joubert dont le nom de guerre on ne peut plus
suggestif est Jojo Piment piqué.

La fièvre de raconter bat à la porte d’une ville des sept douleurs, s’engouffre dans les rues
étroites débordantes de rumeurs et de destins fracassés. Le mouvement est perpétuel et l’axe du
manège est Brune, jeune chanteuse droite dans ses bottes apportant au roman fraîcheur et
espérance.

Les personnages féminins de Yanick Lahens sont à leur manière des gouverneures de la rosée :
ce sont elles qui dans Failles comme dans Bain de Lune sonnent le clairon de la révolte face à la
robuste santé du malheur.

Le texte échappe à l’enfermement des récits confinés et par moments nombrilistes, genre voyage
autour de ma chambre. Ce faisant, il s’ouvre à un bouquet d’humanité, à des personnages qui se
côtoient pour dégager une chaleur diffusément universelle.

Douces déroutes est de ces écrits qui nous invite à ne pas nous contenter de l’écume des choses,
mais à plonger au fond du chaudron social pour anticiper le tsunami qui se prépare.

*Enseignant, éditorialiste

Douces déroutes, Yanick Lahens, Sabine Wespieser Eds, Paris, janvier 2018

Douces déroutes, le dernier roman de Yanick Lahens est la chronique à la fois émouvante et
somptueuse d’une cité grosse de ses avatars les plus tragiques. Le lieu nous est familier : il s’agit
de Port-au-Prince. Une ville à l’asphalte fertile ou germent toutes les aventures. Un lieu où la
mort peut toujours pointer, au détour d’une rue, sa gueule de méduse. Mais dans cet espace de
tous les dangers, la vie refuse d’abdiquer.

L’écriture de la romancière, précise et stylisée, est pleine de tous les vacarmes d’une
agglomération qui vit la gueule ouverte. Le moindre incident est un spectacle qui distrait des
petits malheurs du quotidien.
La ville est excessive, baroque et fantasque. Comme une meule, elle broie les existences mais
génère, dans son dynamisme quotidien, mille et une recettes de survie. Elle est aussi le lieu
géométrique de la vitalité solaire d’un peuple dont la vie est un défi permanent : « Imaginez une
ville entière sur des sièges ou agglutinée jusque sur les trottoirs, à regarder devant un téléviseur,
dans une totale hystérie, vingt-deux adultes courir derrière un ballon. Une ville entière qui crie
Gooooal !!!! Et arrose le ciel de quelques rafales d’armes automatiques. Pour oublier ceux que
les rafales atteignent vraiment. » (p22).

La ville n’avait pas toujours cet air boudeur de forteresse assiégée : certains quartiers ont jadis
dégagé des fragrances enivrantes de bourgades fleuries : « Puis est venu le temps des clôtures…
sont arrivés les lourds fers forgés aux fenêtres, les hauts murs de pierre et les barrières-ponts-
levis à l’entrée des maisons ». Il s’agit donc pour la narratrice de raconter, comment sous les
coups de boutoir d’une histoire traumatisante, a émergé une urbanité meurtrie, soumise au feu
roulant de la violence sommaire des maîtres de l’heure qui sont de tous horizons et de toutes
nationalités.

Ce qui doit plaire au lecteur, c’est la familiarité avec des situations les unes amusantes, les autres
outrageantes - qui remplissent les pages du roman. Des personnages que l’on a l’impression de
connaître. Et surtout cette tension dramatique donnant le tempo de cette ville qui consume la vie
par les deux bouts. Une cité où le silence est une parenthèse paradisiaque et où Eros et Thanatos
se frottent les vertèbres dans un corps à corps aussi érotique que funeste. Pourtant le récit ne
s’enferme pas à double tour dans un mimesis du réel. Jouant des silences et des ellipses, il fait la
part belle à l’imagination du lecteur et la pluralité des points de vue s’élève du macadam brûlé
comme un vaste chant profane.

Il y a dans ce nouveau livre de Yanick Lahens tous les ingrédients du polar à suspens : une mort
sur ordonnance, un juge assassiné ; une enquête à hauts risques et interminable. Le polar n’est
pourtant qu’un moule où chacun vient glisser sa musique, comme dirait Patrick Reynald. Mais le
plus important est le regard sans complaisance sur une société qui se laisse aller à de douces
dérives, une chimie sociale complexe, que nous avons trop tendance à analyser avec nos binocles
d’une autre époque, insensible aux mutations de la folle transition politique.

Un roman haletant, une écriture jazzée avec des changements de rythme suivant qu’elle narre
l’histoire de l’étudiant révolutionnaire Ezéchiel, ou celle de Pierre l’homosexuel, banni, mais à la
morale la moins douteuse, ou même du caïd Joubert dont le nom de guerre on ne peut plus
suggestif est Jojo Piment piqué.

La fièvre de raconter bat à la porte d’une ville des sept douleurs, s’engouffre dans les rues
étroites débordantes de rumeurs et de destins fracassés. Le mouvement est perpétuel et l’axe du
manège est Brune, jeune chanteuse droite dans ses bottes apportant au roman fraîcheur et
espérance.

Les personnages féminins de Yanick Lahens sont à leur manière des gouverneures de la rosée :
ce sont elles qui dans Failles comme dans Bain de Lune sonnent le clairon de la révolte face à la
robuste santé du malheur.
Le texte échappe à l’enfermement des récits confinés et par moments nombrilistes, genre voyage
autour de ma chambre. Ce faisant, il s’ouvre à un bouquet d’humanité, à des personnages qui se
côtoient pour dégager une chaleur diffusément universelle.

Douces déroutes est de ces écrits qui nous invite à ne pas nous contenter de l’écume des choses,
mais à plonger au fond du chaudron social pour anticiper le tsunami qui se prépare.

*Enseignant, éditorialiste

Douces déroutes, Yanick Lahens, Sabine Wespieser Eds, Paris, janvier 2018

Douces déroutes, le dernier roman de Yanick Lahens est la chronique à la fois émouvante et
somptueuse d’une cité grosse de ses avatars les plus tragiques. Le lieu nous est familier : il s’agit
de Port-au-Prince. Une ville à l’asphalte fertile ou germent toutes les aventures. Un lieu où la
mort peut toujours pointer, au détour d’une rue, sa gueule de méduse. Mais dans cet espace de
tous les dangers, la vie refuse d’abdiquer.

L’écriture de la romancière, précise et stylisée, est pleine de tous les vacarmes d’une
agglomération qui vit la gueule ouverte. Le moindre incident est un spectacle qui distrait des
petits malheurs du quotidien.

La ville est excessive, baroque et fantasque. Comme une meule, elle broie les existences mais
génère, dans son dynamisme quotidien, mille et une recettes de survie. Elle est aussi le lieu
géométrique de la vitalité solaire d’un peuple dont la vie est un défi permanent : « Imaginez une
ville entière sur des sièges ou agglutinée jusque sur les trottoirs, à regarder devant un téléviseur,
dans une totale hystérie, vingt-deux adultes courir derrière un ballon. Une ville entière qui crie
Gooooal !!!! Et arrose le ciel de quelques rafales d’armes automatiques. Pour oublier ceux que
les rafales atteignent vraiment. » (p22).

La ville n’avait pas toujours cet air boudeur de forteresse assiégée : certains quartiers ont jadis
dégagé des fragrances enivrantes de bourgades fleuries : « Puis est venu le temps des clôtures…
sont arrivés les lourds fers forgés aux fenêtres, les hauts murs de pierre et les barrières-ponts-
levis à l’entrée des maisons ». Il s’agit donc pour la narratrice de raconter, comment sous les
coups de boutoir d’une histoire traumatisante, a émergé une urbanité meurtrie, soumise au feu
roulant de la violence sommaire des maîtres de l’heure qui sont de tous horizons et de toutes
nationalités.

Ce qui doit plaire au lecteur, c’est la familiarité avec des situations les unes amusantes, les autres
outrageantes - qui remplissent les pages du roman. Des personnages que l’on a l’impression de
connaître. Et surtout cette tension dramatique donnant le tempo de cette ville qui consume la vie
par les deux bouts. Une cité où le silence est une parenthèse paradisiaque et où Eros et Thanatos
se frottent les vertèbres dans un corps à corps aussi érotique que funeste. Pourtant le récit ne
s’enferme pas à double tour dans un mimesis du réel. Jouant des silences et des ellipses, il fait la
part belle à l’imagination du lecteur et la pluralité des points de vue s’élève du macadam brûlé
comme un vaste chant profane.
Il y a dans ce nouveau livre de Yanick Lahens tous les ingrédients du polar à suspens : une mort
sur ordonnance, un juge assassiné ; une enquête à hauts risques et interminable. Le polar n’est
pourtant qu’un moule où chacun vient glisser sa musique, comme dirait Patrick Reynald. Mais le
plus important est le regard sans complaisance sur une société qui se laisse aller à de douces
dérives, une chimie sociale complexe, que nous avons trop tendance à analyser avec nos binocles
d’une autre époque, insensible aux mutations de la folle transition politique.

Un roman haletant, une écriture jazzée avec des changements de rythme suivant qu’elle narre
l’histoire de l’étudiant révolutionnaire Ezéchiel, ou celle de Pierre l’homosexuel, banni, mais à la
morale la moins douteuse, ou même du caïd Joubert dont le nom de guerre on ne peut plus
suggestif est Jojo Piment piqué.

La fièvre de raconter bat à la porte d’une ville des sept douleurs, s’engouffre dans les rues
étroites débordantes de rumeurs et de destins fracassés. Le mouvement est perpétuel et l’axe du
manège est Brune, jeune chanteuse droite dans ses bottes apportant au roman fraîcheur et
espérance.

Les personnages féminins de Yanick Lahens sont à leur manière des gouverneures de la rosée :
ce sont elles qui dans Failles comme dans Bain de Lune sonnent le clairon de la révolte face à la
robuste santé du malheur.

Le texte échappe à l’enfermement des récits confinés et par moments nombrilistes, genre voyage
autour de ma chambre. Ce faisant, il s’ouvre à un bouquet d’humanité, à des personnages qui se
côtoient pour dégager une chaleur diffusément universelle.

Douces déroutes est de ces écrits qui nous invite à ne pas nous contenter de l’écume des choses,
mais à plonger au fond du chaudron social pour anticiper le tsunami qui se prépare.

*Enseignant, éditorialiste

Douces déroutes, Yanick Lahens, Sabine Wespieser Eds, Paris, janvier 2018

Les personnages féminins de Yanick Lahens sont à leur manière des gouverneures de la rosée :
ce sont elles qui dans Failles comme dans Bain de Lune sonnent le clairon de la révolte face à la
robuste santé du malheur. Douces déroutes, le dernier roman de Yanick Lahens est la chronique
à la fois émouvante et somptueuse d’une cité grosse de ses avatars les plus tragiques. Le lieu
nous est familier : il s’agit de Port-au-Prince. Une ville à l’asphalte fertile ou germent toutes les
aventures. Un lieu où la mort peut toujours pointer, au détour d’une rue, sa gueule de méduse.
Mais dans cet espace de tous les dangers, la vie refuse d’abdiquer.

L’écriture de la romancière, précise et stylisée, est pleine de tous les vacarmes d’une
agglomération qui vit la gueule ouverte. Le moindre incident est un spectacle qui distrait des
petits malheurs du quotidien.
La ville est excessive, baroque et fantasque. Comme une meule, elle broie les existences mais
génère, dans son dynamisme quotidien, mille et une recettes de survie. Elle est aussi le lieu
géométrique de la vitalité solaire d’un peuple dont la vie est un défi permanent : « Imaginez une
ville entière sur des sièges ou agglutinée jusque sur les trottoirs, à regarder devant un téléviseur,
dans une totale hystérie, vingt-deux adultes courir derrière un ballon. Une ville entière qui crie
Gooooal !!!! Et arrose le ciel de quelques rafales d’armes automatiques. Pour oublier ceux que
les rafales atteignent vraiment. » (p22).

La ville n’avait pas toujours cet air boudeur de forteresse assiégée : certains quartiers ont jadis
dégagé des fragrances enivrantes de bourgades fleuries : « Puis est venu le temps des clôtures…
sont arrivés les lourds fers forgés aux fenêtres, les hauts murs de pierre et les barrières-ponts-
levis à l’entrée des maisons ». Il s’agit donc pour la narratrice de raconter, comment sous les
coups de boutoir d’une histoire traumatisante, a émergé une urbanité meurtrie, soumise au feu
roulant de la violence sommaire des maîtres de l’heure qui sont de tous horizons et de toutes
nationalités.

Ce qui doit plaire au lecteur, c’est la familiarité avec des situations les unes amusantes, les autres
outrageantes - qui remplissent les pages du roman. Des personnages que l’on a l’impression de
connaître. Et surtout cette tension dramatique donnant le tempo de cette ville qui consume la vie
par les deux bouts. Une cité où le silence est une parenthèse paradisiaque et où Eros et Thanatos
se frottent les vertèbres dans un corps à corps aussi érotique que funeste. Pourtant le récit ne
s’enferme pas à double tour dans un mimesis du réel. Jouant des silences et des ellipses, il fait la
part belle à l’imagination du lecteur et la pluralité des points de vue s’élève du macadam brûlé
comme un vaste chant profane.

Il y a dans ce nouveau livre de Yanick Lahens tous les ingrédients du polar à suspens : une mort
sur ordonnance, un juge assassiné ; une enquête à hauts risques et interminable. Le polar n’est
pourtant qu’un moule où chacun vient glisser sa musique, comme dirait Patrick Reynald. Mais le
plus important est le regard sans complaisance sur une société qui se laisse aller à de douces
dérives, une chimie sociale complexe, que nous avons trop tendance à analyser avec nos binocles
d’une autre époque, insensible aux mutations de la folle transition politique.

Un roman haletant, une écriture jazzée avec des changements de rythme suivant qu’elle narre
l’histoire de l’étudiant révolutionnaire Ezéchiel, ou celle de Pierre l’homosexuel, banni, mais à la
morale la moins douteuse, ou même du caïd Joubert dont le nom de guerre on ne peut plus
suggestif est Jojo Piment piqué.

La fièvre de raconter bat à la porte d’une ville des sept douleurs, s’engouffre dans les rues
étroites débordantes de rumeurs et de destins fracassés. Le mouvement est perpétuel et l’axe du
manège est Brune, jeune chanteuse droite dans ses bottes apportant au roman fraîcheur et
espérance.

Les personnages féminins de Yanick Lahens sont à leur manière des gouverneures de la rosée :
ce sont elles qui dans Failles comme dans Bain de Lune sonnent le clairon de la révolte face à la
robuste santé du malheur.
Le texte échappe à l’enfermement des récits confinés et par moments nombrilistes, genre voyage
autour de ma chambre. Ce faisant, il s’ouvre à un bouquet d’humanité, à des personnages qui se
côtoient pour dégager une chaleur diffusément universelle.

Douces déroutes est de ces écrits qui nous invite à ne pas nous contenter de l’écume des choses,
mais à plonger au fond du chaudron social pour anticiper le tsunami qui se prépare.

*Enseignant, éditorialiste

Douces déroutes, Yanick Lahens, Sabine Wespieser Eds, Paris, janvier 2018

Le texte échappe à l’enfermement des récits confinés et par moments nombrilistes, genre voyage
autour de ma chambre. Ce faisant, il s’ouvre à un bouquet d’humanité, à des personnages qui se
côtoient pour dégager une chaleur diffusément universelle.

Douces déroutes est de ces écrits qui nous invite à ne pas nous contenter de l’écume des choses,
mais à plonger au fond du chaudron social pour anticiper le tsunami qui se prépare.

*Enseignant, éditorialiste

Douces déroutes, Yanick Lahens, Sabine Wespieser Eds, Paris, janvier 2018

Présentons d’emblée le résumé. Le roman « Douces déroutes » de Yanick Lahens raconte


l’histoire d’un juge, Raymond Berthier, retrouvé assassiné quelque part dans un faubourg
de Port-au-Prince parce qu’il en savait trop et qu’il refusait de se laisser entraîner dans un
système complètement corrompu, pourri, voulant garder son intégrité et sa rectitude
morale. Jusque-là, tout est banal ! Dans une ville en proie à l’insécurité et au chômage,
minée par la violence des gangs, des politiques irresponsables et des hommes d’affaires
véreux, le juge a été assassiné pour avoir été un homme honnête et de conviction. Ce qui
n’est pas courant ! Comme toujours, l’enquête se poursuit … Vieille rengaine ! Son frère
Pierre et sa fille Brune, déterminés et presque désespérés, veulent connaître les auteurs de
ce crime odieux. Entre-temps, Joubert alias Jojo Piman Piké continue de semer la terreur
dans la cité. En toute impunité. Francis, le journaliste français arrivé pour un reportage sur
le pays « fini » (p. 29), découvre les mille et une facettes de la ville. Ces premières images
de ces « temps sombres » n’ont rien à voir avec la mélancolie ou la tristesse. La
construction générale du roman n’est pas un mouvement de l’ombre vers la lumière, hélas !
Une bien jolie histoire, non ? Du déjà vu ! Le sujet traité est assez convenu mais les
personnages, pathétiques, décrits avec un art consommé de la mise scène, nous donnent
le tournis. A sa culture littéraire, Yanick Lahens a toujours combiné une grande passion
pour les questions de société et les controverses politiques. Mais c’est une histoire distillée
à petites gouttes, tantôt à travers les lignes d’une lettre du juge destinée à sa femme,
Thérèse, tantôt d’après les introspections de son beau-frère Pierre, homosexuel petit-
bourgeois, décidé à faire la lumière sur ce crime, ou d’après les explications d’un narrateur
qui se pose soit en tant que personnage de l’histoire, par exemple utilisation du « je », soit
en tant que personnage extérieur qui n’intervient pas dans la conduite du récit ou dans
l’explication des pensées des protagonistes, voir par exemple l’utilisation de « il/elle » tout
au long du récit. C’est un mode d’écriture très élaboré, digne d’une romancière avisée et
inventive.
Cependant, malgré la prédominance de l’histoire de l’assassinat du juge Berthier, Douces
déroutes n’est pas concentré uniquement sur ce personnage mais multiplie les drames et
les désillusions. Le véritable personnage – tout au moins le personnage emblématique –,
c’est la ville, Port-au-Prince et ses environs. Avec ses personnages crasseux, déplorables,
malaisés … Dans l’œuvre de Yanick Lahens, la ville scindée en force éruptive et
menaçante est plus qu’un principe de structure ou décoratif. Sans doute le véritable sujet
de Douces déroutes est la ville de Port-au-Prince dont la vertigineuse brutalité, la tristesse
de fin du monde, la décrépitude semblent récurrentes dans la majeure partie de ses romans
qui provoquent à chaque fois qu’elle le peut toutes sortes de sentiments, sauf l’ennui ou la
torpeur. Dans Douces déroutes, elle a réussi un véritable tour de force : condenser en
forme de fiction romanesque un immense ensemble d’aberrations urbaines qui assaillent
Port-au-Prince. Il s’agit à la fois du temps que nous vivons, de notre société malade, et,
plus largement, du mauvais temps qu’il fait. Mais le pouvoir à tout prix, et, plus l’argent sale
sont ici féconds en dérives.
Alliant la sensibilisation de la conteuse à la passion de la nouvelliste et de l’essayiste, le
roman nous entraine dans la vie de plusieurs autres personnages : Joubert alias Jojo
Piman piké, amoureux de son flingue et des femmes; Ézéchiel, jeune poète famélique issu
des quartiers populaires, un peu fanfaron qui rêve d’un grand soir dans son ile ; Brune
Berthier, la fille du juge Berthier, jeune chanteuse au destin tourmenté ; Cyprien Novilus, en
transfert de classe, écrasé par ses nouveaux partenaires sociaux, mais tentant de
s’accrocher à ses valeurs d’antan de jeune campagnard où il puisse laisser libre cours à
son goût pour le changement et à la révolte. Fixant de « nouvelles » formes de composition
et de « tempo », Yanick Lahens écrit comme si la littérature pouvait faire bouger les choses,
comme si le présent était lié consubstantiellement au futur. Figure majeure de notre
littérature, elle entend ne laisser voir que ses sentiments les plus sincères et ne rien livrer
de faux ni d’ironique à l’ère de la «post-vérité ».
Photographies réalistes de l’Haïti post-Goudougoudou et cartes postales dégueulasses, ce
sont ces morceaux de vie emportés par les bouleversements politiques, ces déshérités du
Bel-Air ou de la rue St-Martin qui peinent à joindre les deux bouts, la blonde tropicale
Dorothée, « seins de silicone et fesses rebondies par la chirurgie plastique », ces têtes
féminines déguisées en débrouillardise et en audace que Yanick Lahens qui carbure à la
dérive met sous nos yeux. Comme dans ses autres romans et nouvelles, les personnages
sont victimes de violences, de préjugés et de pratiques injustes dans leurs activités
quotidiennes et leurs fors intérieurs. De Nerline, militante des droits des femmes, à
Magdala, prostituée et femme-chance de Jojo, il y a tout un monde de différence ! Le sujet
archétypique acquiert ainsi une identité parlante : il passe de l’individu au symbolisme, au
collectif. Cette adolescente qui accepte l’inacceptable pour ne pas crever. C’est aussi tous
ces visages, projetés sur cette glissée, qui refusent de vivre leurs vies ordinaires. Ils sont
les grands perdants d’un monde en perdition !
Le second tour de force de l’auteure de Douces déroutes est de garder un certain recul
sans avoir recours à de grands effets spéciaux ni des leçons de morale. La réalité et le rêve
se mélangent. Cette violence sordide est décrite crûment sous les traits de Joubert (Jojo
Piman piké) qui se fait tueur à gages pour échapper à la misère de son milieu social, plus
subtilement dans la scène qui met aux prises Cyprien Novilus, jeune paysan et « modeste
stagiaire dans un cabinet d’avocats » (p.29), avec le ministre de la Justice devant lequel il
doit s’abaisser à cause de la morgue de ce dernier, encore plus violemment au cours de la
scène de « la boite de nuit, mi-garçonnière, mi-bordel », où le même Cyprien assiste pétrifié
au spectacle offert par une jeune danseuse et par de « respectables » hommes politiques
dont leur ombre plane sur chaque combine ou scandale. C’est qu’il ne s’agit pas de croiser
les bras, mais de découvrir des personnages aux destins entrecroisés. En pénétrant dans
le petit cercle vicieux et vicié de l’homme d’affaires Sami Hamid (portrait craché du
flibustier), le jeune avocat Cyprien Norvilus voit la vraie vie. Eh oui, la misère produit ça
aussi des opportunistes bon teint, des criminels à gogo ! Et pendant que Pierre reçoit du
monde chez lui, Brune continue à chanter pour ne pas désespérer, et Ézéchiel cherche
dans la poésie un prétexte pour fuir la misère de son quartier. Les profils épinglés montrent
comment Yanick Lahens manie, comme en photographie, la technique d’agrandissement
en témoignant d’un surprenant sens de la variation. Certains thèmes – trames même – vont
et viennent sous sa plume. Mais aussi et surtout quelle galerie de personnages !
Douces déroutes nous livre une entrée dans le monde haïtien de la drogue tel qu’il est tenu
par une fraction de la bourgeoisie qui éblouit Cyprien par sa « décontraction calculée et
coûteuse ». Ce que l’on peut résumer si facilement, ce n’est pas l’action du roman – c’est
ce que sa contemporanéité suggère en termes de flux politiques, de critique sociale, de
préoccupations collectives.
Cupide et impitoyable, le représentant le plus symbolique de cette bourgeoisie est Sami
Hamid, un « riche Syro-Libanais d’origine [qui] avait franchi la barre sociale en épousant
une mulâtresse de cette bourgeoisie qui, il y a cinquante ans, l’aurait regardé de haut. »
(p.180). Il y a là un registre fort révélateur qui montre la perspicacité et la conscience
politique de Yanick Lahens, portraitiste hors pair. C’est aussi au sein de cette bourgeoisie
corrompue et « ti-kouloute » que se conjugue l’apartheid haïtien, l’exclusion sociale sur la
base de la couleur de peau dont Cyprien — encore lui — fait l’expérience. Il y a là un cliché
intemporel, un marqueur de notre société endo-coloniale. L’histoire est horrible, nous
l’avons vu, mais l’écriture l’est également sous sa forme discursive. Il n’y a pas ici de
messianisme ni de « sortie de crise ». Le talent de Yanick Lahens, toujours radieuse dans
ses élans, est au zénith dans sa manière de décrypter tout aussi bien le contenu
sociologique, les considérations d’ordre politique et les déductions que les paysages et les
ambiances, avec une justesse de ton maîtrisé. Cet aspect de notre Histoire immédiate –
l’hégémonie des Syro-libanais à grand renfort de malversations (concussions, contrebande,
criminalité) – mérite mûre réflexion. Ils se sont confortablement installés au cœur du «
système ». Un grand débat !
Dans le monde épouvantable où évolue la jeunesse à la merci de toutes les mauvaises
folies criminelles de l’impunité, plongée dans la « merde », ce roman est écrit pour nous
rappeler que le pays a changé mais d’une façon monstrueuse. Un lieu qui exclut de plus en
plus toutes les valeurs morales d’intégrité, de droiture et d’estime de soi. Le constat ici est
désolant : la jeunesse est condamnée à ne vivre que de rapines et de combines si elle ne
se résigne comme un mouton à avoir l’échine souple d’Émile Loriston en se débarrassant
de tout sens critique comme Cyprien Norvilus. S’agit-il d’une fatalité ? D’une déveine ?
Faire comme Jojo Piment Piqué si elle souhaite voir un brin de changement dans sa vie.
C’est un monde manichéen, une société bloquée que décrit Yanick Lahens sans reculer
devant ce qui peut gêner : la corruption ou la lâcheté et le crime organisé. A cela, il y a, je
crois, d’autres réactions, à savoir la résistance la plus résolue, le sens de la solidarité, la
défense de l’intérêt commun. Ce coup de projecteur éclatant montre des bourreaux et
victimes prisonniers de leurs malheurs.

Comment freiner de telles déroutes Présentons d’emblée le résumé. Le roman « Douces


déroutes » de Yanick Lahens raconte l’histoire d’un juge, Raymond Berthier, retrouvé
assassiné quelque part dans un faubourg de Port-au-Prince parce qu’il en savait trop et
qu’il refusait de se laisser entraîner dans un système complètement corrompu, pourri,
voulant garder son intégrité et sa rectitude morale. Jusque-là, tout est banal ! Dans une ville
en proie à l’insécurité et au chômage, minée par la violence des gangs, des politiques
irresponsables et des hommes d’affaires véreux, le juge a été assassiné pour avoir été un
homme honnête et de conviction. Ce qui n’est pas courant ! Comme toujours, l’enquête se
poursuit … Vieille rengaine ! Son frère Pierre et sa fille Brune, déterminés et presque
désespérés, veulent connaître les auteurs de ce crime odieux. Entre-temps, Joubert alias
Jojo Piman Piké continue de semer la terreur dans la cité. En toute impunité. Francis, le
journaliste français arrivé pour un reportage sur le pays « fini » (p. 29), découvre les mille et
une facettes de la ville. Ces premières images de ces « temps sombres » n’ont rien à voir
avec la mélancolie ou la tristesse. La construction générale du roman n’est pas un
mouvement de l’ombre vers la lumière, hélas ! Une bien jolie histoire, non ? Du déjà vu ! Le
sujet traité est assez convenu mais les personnages, pathétiques, décrits avec un art
consommé de la mise scène, nous donnent le tournis. A sa culture littéraire, Yanick Lahens
a toujours combiné une grande passion pour les questions de société et les controverses
politiques. Mais c’est une histoire distillée à petites gouttes, tantôt à travers les lignes d’une
lettre du juge destinée à sa femme, Thérèse, tantôt d’après les introspections de son beau-
frère Pierre, homosexuel petit-bourgeois, décidé à faire la lumière sur ce crime, ou d’après
les explications d’un narrateur qui se pose soit en tant que personnage de l’histoire, par
exemple utilisation du « je », soit en tant que personnage extérieur qui n’intervient pas dans
la conduite du récit ou dans l’explication des pensées des protagonistes, voir par exemple
l’utilisation de « il/elle » tout au long du récit. C’est un mode d’écriture très élaboré, digne
d’une romancière avisée et inventive.

Cependant, malgré la prédominance de l’histoire de l’assassinat du juge Berthier, Douces


déroutes n’est pas concentré uniquement sur ce personnage mais multiplie les drames et
les désillusions. Le véritable personnage – tout au moins le personnage emblématique –,
c’est la ville, Port-au-Prince et ses environs. Avec ses personnages crasseux, déplorables,
malaisés … Dans l’œuvre de Yanick Lahens, la ville scindée en force éruptive et
menaçante est plus qu’un principe de structure ou décoratif. Sans doute le véritable sujet
de Douces déroutes est la ville de Port-au-Prince dont la vertigineuse brutalité, la tristesse
de fin du monde, la décrépitude semblent récurrentes dans la majeure partie de ses romans
qui provoquent à chaque fois qu’elle le peut toutes sortes de sentiments, sauf l’ennui ou la
torpeur. Dans Douces déroutes, elle a réussi un véritable tour de force : condenser en
forme de fiction romanesque un immense ensemble d’aberrations urbaines qui assaillent
Port-au-Prince. Il s’agit à la fois du temps que nous vivons, de notre société malade, et,
plus largement, du mauvais temps qu’il fait. Mais le pouvoir à tout prix, et, plus l’argent sale
sont ici féconds en dérives.

Alliant la sensibilisation de la conteuse à la passion de la nouvelliste et de l’essayiste, le


roman nous entraine dans la vie de plusieurs autres personnages : Joubert alias Jojo
Piman piké, amoureux de son flingue et des femmes; Ézéchiel, jeune poète famélique issu
des quartiers populaires, un peu fanfaron qui rêve d’un grand soir dans son ile ; Brune
Berthier, la fille du juge Berthier, jeune chanteuse au destin tourmenté ; Cyprien Novilus, en
transfert de classe, écrasé par ses nouveaux partenaires sociaux, mais tentant de
s’accrocher à ses valeurs d’antan de jeune campagnard où il puisse laisser libre cours à
son goût pour le changement et à la révolte. Fixant de « nouvelles » formes de composition
et de « tempo », Yanick Lahens écrit comme si la littérature pouvait faire bouger les choses,
comme si le présent était lié consubstantiellement au futur. Figure majeure de notre
littérature, elle entend ne laisser voir que ses sentiments les plus sincères et ne rien livrer
de faux ni d’ironique à l’ère de la «post-vérité ».

Photographies réalistes de l’Haïti post-Goudougoudou et cartes postales dégueulasses, ce


sont ces morceaux de vie emportés par les bouleversements politiques, ces déshérités du
Bel-Air ou de la rue St-Martin qui peinent à joindre les deux bouts, la blonde tropicale
Dorothée, « seins de silicone et fesses rebondies par la chirurgie plastique », ces têtes
féminines déguisées en débrouillardise et en audace que Yanick Lahens qui carbure à la
dérive met sous nos yeux. Comme dans ses autres romans et nouvelles, les personnages
sont victimes de violences, de préjugés et de pratiques injustes dans leurs activités
quotidiennes et leurs fors intérieurs. De Nerline, militante des droits des femmes, à
Magdala, prostituée et femme-chance de Jojo, il y a tout un monde de différence ! Le sujet
archétypique acquiert ainsi une identité parlante : il passe de l’individu au symbolisme, au
collectif. Cette adolescente qui accepte l’inacceptable pour ne pas crever. C’est aussi tous
ces visages, projetés sur cette glissée, qui refusent de vivre leurs vies ordinaires. Ils sont
les grands perdants d’un monde en perdition !
Le second tour de force de l’auteure de Douces déroutes est de garder un certain recul
sans avoir recours à de grands effets spéciaux ni des leçons de morale. La réalité et le rêve
se mélangent. Cette violence sordide est décrite crûment sous les traits de Joubert (Jojo
Piman piké) qui se fait tueur à gages pour échapper à la misère de son milieu social, plus
subtilement dans la scène qui met aux prises Cyprien Novilus, jeune paysan et « modeste
stagiaire dans un cabinet d’avocats » (p.29), avec le ministre de la Justice devant lequel il
doit s’abaisser à cause de la morgue de ce dernier, encore plus violemment au cours de la
scène de « la boite de nuit, mi-garçonnière, mi-bordel », où le même Cyprien assiste pétrifié
au spectacle offert par une jeune danseuse et par de « respectables » hommes politiques
dont leur ombre plane sur chaque combine ou scandale. C’est qu’il ne s’agit pas de croiser
les bras, mais de découvrir des personnages aux destins entrecroisés. En pénétrant dans
le petit cercle vicieux et vicié de l’homme d’affaires Sami Hamid (portrait craché du
flibustier), le jeune avocat Cyprien Norvilus voit la vraie vie. Eh oui, la misère produit ça
aussi des opportunistes bon teint, des criminels à gogo ! Et pendant que Pierre reçoit du
monde chez lui, Brune continue à chanter pour ne pas désespérer, et Ézéchiel cherche
dans la poésie un prétexte pour fuir la misère de son quartier. Les profils épinglés montrent
comment Yanick Lahens manie, comme en photographie, la technique d’agrandissement
en témoignant d’un surprenant sens de la variation. Certains thèmes – trames même – vont
et viennent sous sa plume. Mais aussi et surtout quelle galerie de personnages !

Douces déroutes nous livre une entrée dans le monde haïtien de la drogue tel qu’il est tenu
par une fraction de la bourgeoisie qui éblouit Cyprien par sa « décontraction calculée et
coûteuse ». Ce que l’on peut résumer si facilement, ce n’est pas l’action du roman – c’est
ce que sa contemporanéité suggère en termes de flux politiques, de critique sociale, de
préoccupations collectives.

Cupide et impitoyable, le représentant le plus symbolique de cette bourgeoisie est Sami


Hamid, un « riche Syro-Libanais d’origine [qui] avait franchi la barre sociale en épousant
une mulâtresse de cette bourgeoisie qui, il y a cinquante ans, l’aurait regardé de haut. »
(p.180). Il y a là un registre fort révélateur qui montre la perspicacité et la conscience
politique de Yanick Lahens, portraitiste hors pair. C’est aussi au sein de cette bourgeoisie
corrompue et « ti-kouloute » que se conjugue l’apartheid haïtien, l’exclusion sociale sur la
base de la couleur de peau dont Cyprien — encore lui — fait l’expérience. Il y a là un cliché
intemporel, un marqueur de notre société endo-coloniale. L’histoire est horrible, nous
l’avons vu, mais l’écriture l’est également sous sa forme discursive. Il n’y a pas ici de
messianisme ni de « sortie de crise ». Le talent de Yanick Lahens, toujours radieuse dans
ses élans, est au zénith dans sa manière de décrypter tout aussi bien le contenu
sociologique, les considérations d’ordre politique et les déductions que les paysages et les
ambiances, avec une justesse de ton maîtrisé. Cet aspect de notre Histoire immédiate –
l’hégémonie des Syro-libanais à grand renfort de malversations (concussions, contrebande,
criminalité) – mérite mûre réflexion. Ils se sont confortablement installés au cœur du «
système ». Un grand débat !

Dans le monde épouvantable où évolue la jeunesse à la merci de toutes les mauvaises


folies criminelles de l’impunité, plongée dans la « merde », ce roman est écrit pour nous
rappeler que le pays a changé mais d’une façon monstrueuse. Un lieu qui exclut de plus en
plus toutes les valeurs morales d’intégrité, de droiture et d’estime de soi. Le constat ici est
désolant : la jeunesse est condamnée à ne vivre que de rapines et de combines si elle ne
se résigne comme un mouton à avoir l’échine souple d’Émile Loriston en se débarrassant
de tout sens critique comme Cyprien Norvilus. S’agit-il d’une fatalité ? D’une déveine ?
Faire comme Jojo Piment Piqué si elle souhaite voir un brin de changement dans sa vie.
C’est un monde manichéen, une société bloquée que décrit Yanick Lahens sans reculer
devant ce qui peut gêner : la corruption ou la lâcheté et le crime organisé. A cela, il y a, je
crois, d’autres réactions, à savoir la résistance la pluPrésentons d’emblée le résumé. Le
roman « Douces déroutes » de Yanick Lahens raconte l’histoire d’un juge, Raymond
Berthier, retrouvé assassiné quelque part dans un faubourg de Port-au-Prince parce qu’il en
savait trop et qu’il refusait de se laisser entraîner dans un système complètement corrompu,
pourri, voulant garder son intégrité et sa rectitude morale. Jusque-là, tout est banal ! Dans
une ville en proie à l’insécurité et au chômage, minée par la violence des gangs, des
politiques irresponsables et des hommes d’affaires véreux, le juge a été assassiné pour
avoir été un homme honnête et de conviction. Ce qui n’est pas courant ! Comme toujours,
l’enquête se poursuit … Vieille rengaine ! Son frère Pierre et sa fille Brune, déterminés et
presque désespérés, veulent connaître les auteurs de ce crime odieux. Entre-temps,
Joubert alias Jojo Piman Piké continue de semer la terreur dans la cité. En toute impunité.
Francis, le journaliste français arrivé pour un reportage sur le pays « fini » (p. 29), découvre
les mille et une facettes de la ville. Ces premières images de ces « temps sombres » n’ont
rien à voir avec la mélancolie ou la tristesse. La construction générale du roman n’est pas
un mouvement de l’ombre vers la lumière, hélas ! Une bien jolie histoire, non ? Du déjà vu !
Le sujet traité est assez convenu mais les personnages, pathétiques, décrits avec un art
consommé de la mise scène, nous donnent le tournis. A sa culture littéraire, Yanick Lahens
a toujours combiné une grande passion pour les questions de société et les controverses
politiques. Mais c’est une histoire distillée à petites gouttes, tantôt à travers les lignes d’une
lettre du juge destinée à sa femme, Thérèse, tantôt d’après les introspections de son beau-
frère Pierre, homosexuel petit-bourgeois, décidé à faire la lumière sur ce crime, ou d’après
les explications d’un narrateur qui se pose soit en tant que personnage de l’histoire, par
exemple utilisation du « je », soit en tant que personnage extérieur qui n’intervient pas dans
la conduite du récit ou dans l’explication des pensées des protagonistes, voir par exemple
l’utilisation de « il/elle » tout au long du récit. C’est un mode d’écriture très élaboré, digne
d’une romancière avisée et inventive.

Cependant, malgré la prédominance de l’histoire de l’assassinat du juge Berthier, Douces


déroutes n’est pas concentré uniquement sur ce personnage mais multiplie les drames et
les désillusions. Le véritable personnage – tout au moins le personnage emblématique –,
c’est la ville, Port-au-Prince et ses environs. Avec ses personnages crasseux, déplorables,
malaisés … Dans l’œuvre de Yanick Lahens, la ville scindée en force éruptive et
menaçante est plus qu’un principe de structure ou décoratif. Sans doute le véritable sujet
de Douces déroutes est la ville de Port-au-Prince dont la vertigineuse brutalité, la tristesse
de fin du monde, la décrépitude semblent récurrentes dans la majeure partie de ses romans
qui provoquent à chaque fois qu’elle le peut toutes sortes de sentiments, sauf l’ennui ou la
torpeur. Dans Douces déroutes, elle a réussi un véritable tour de force : condenser en
forme de fiction romanesque un immense ensemble d’aberrations urbaines qui assaillent
Port-au-Prince. Il s’agit à la fois du temps que nous vivons, de notre société malade, et,
plus largement, du mauvais temps qu’il fait. Mais le pouvoir à tout prix, et, plus l’argent sale
sont ici féconds en dérives.

Alliant la sensibilisation de la conteuse à la passion de la nouvelliste et de l’essayiste, le


roman nous entraine dans la vie de plusieurs autres personnages : Joubert alias Jojo
Piman piké, amoureux de son flingue et des femmes; Ézéchiel, jeune poète famélique issu
des quartiers populaires, un peu fanfaron qui rêve d’un grand soir dans son ile ; Brune
Berthier, la fille du juge Berthier, jeune chanteuse au destin tourmenté ; Cyprien Novilus, en
transfert de classe, écrasé par ses nouveaux partenaires sociaux, mais tentant de
s’accrocher à ses valeurs d’antan de jeune campagnard où il puisse laisser libre cours à
son goût pour le changement et à la révolte. Fixant de « nouvelles » formes de composition
et de « tempo », Yanick Lahens écrit comme si la littérature pouvait faire bouger les choses,
comme si le présent était lié consubstantiellement au futur. Figure majeure de notre
littérature, elle entend ne laisser voir que ses sentiments les plus sincères et ne rien livrer
de faux ni d’ironique à l’ère de la «post-vérité ».

Photographies réalistes de l’Haïti post-Goudougoudou et cartes postales dégueulasses, ce


sont ces morceaux de vie emportés par les bouleversements politiques, ces déshérités du
Bel-Air ou de la rue St-Martin qui peinent à joindre les deux bouts, la blonde tropicale
Dorothée, « seins de silicone et fesses rebondies par la chirurgie plastique », ces têtes
féminines déguisées en débrouillardise et en audace que Yanick Lahens qui carbure à la
dérive met sous nos yeux. Comme dans ses autres romans et nouvelles, les personnages
sont victimes de violences, de préjugés et de pratiques injustes dans leurs activités
quotidiennes et leurs fors intérieurs. De Nerline, militante des droits des femmes, à
Magdala, prostituée et femme-chance de Jojo, il y a tout un monde de différence ! Le sujet
archétypique acquiert ainsi une identité parlante : il passe de l’individu au symbolisme, au
collectif. Cette adolescente qui accepte l’inacceptable pour ne pas crever. C’est aussi tous
ces visages, projetés sur cette glissée, qui refusent de vivre leurs vies ordinaires. Ils sont
les grands perdants d’un monde en perdition !

Le second tour de force de l’auteure de Douces déroutes est de garder un certain recul
sans avoir recours à de grands effets spéciaux ni des leçons de morale. La réalité et le rêve
se mélangent. Cette violence sordide est décrite crûment sous les traits de Joubert (Jojo
Piman piké) qui se fait tueur à gages pour échapper à la misère de son milieu social, plus
subtilement dans la scène qui met aux prises Cyprien Novilus, jeune paysan et « modeste
stagiaire dans un cabinet d’avocats » (p.29), avec le ministre de la Justice devant lequel il
doit s’abaisser à cause de la morgue de ce dernier, encore plus violemment au cours de la
scène de « la boite de nuit, mi-garçonnière, mi-bordel », où le même Cyprien assiste pétrifié
au spectacle offert par une jeune danseuse et par de « respectables » hommes politiques
dont leur ombre plane sur chaque combine ou scandale. C’est qu’il ne s’agit pas de croiser
les bras, mais de découvrir des personnages aux destins entrecroisés. En pénétrant dans
le petit cercle vicieux et vicié de l’homme d’affaires Sami Hamid (portrait craché du
flibustier), le jeune avocat Cyprien Norvilus voit la vraie vie. Eh oui, la misère produit ça
aussi des opportunistes bon teint, des criminels à gogo ! Et pendant que Pierre reçoit du
monde chez lui, Brune continue à chanter pour ne pas désespérer, et Ézéchiel cherche
dans la poésie un prétexte pour fuir la misère de son quartier. Les profils épinglés montrent
comment Yanick Lahens manie, comme en photographie, la technique d’agrandissement
en témoignant d’un surprenant sens de la variation. Certains thèmes – trames même – vont
et viennent sous sa plume. Mais aussi et surtout quelle galerie de personnages !

Douces déroutes nous livre une entrée dans le monde haïtien de la drogue tel qu’il est tenu
par une fraction de la bourgeoisie qui éblouit Cyprien par sa « décontraction calculée et
coûteuse ». Ce que l’on peut résumer si facilement, ce n’est pas l’action du roman – c’est
ce que sa contemporanéité suggère en termes de flux politiques, de critique sociale, de
préoccupations collectives.

Cupide et impitoyable, le représentant le plus symbolique de cette bourgeoisie est Sami


Hamid, un « riche Syro-Libanais d’origine [qui] avait franchi la barre sociale en épousant
une mulâtresse de cette bourgeoisie qui, il y a cinquante ans, l’aurait regardé de haut. »
(p.180). Il y a là un registre fort révélateur qui montre la perspicacité et la conscience
politique de Yanick Lahens, portraitiste hors pair. C’est aussi au sein de cette bourgeoisie
corrompue et « ti-kouloute » que se conjugue l’apartheid haïtien, l’exclusion sociale sur la
base de la couleur de peau dont Cyprien — encore lui — fait l’expérience. Il y a là un cliché
intemporel, un marqueur de notre société endo-coloniale. L’histoire est horrible, nous
l’avons vu, mais l’écriture l’est également sous sa forme discursive. Il n’y a pas ici de
messianisme ni de « sortie de crise ». Le talent de Yanick Lahens, toujours radieuse dans
ses élans, est au zénith dans sa manière de décrypter tout aussi bien le contenu
sociologique, les considérations d’ordre politique et les déductions que les paysages et les
ambiances, avec une justesse de ton maîtrisé. Cet aspect de notre Histoire immédiate –
l’hégémonie des Syro-libanais à grand renfort de malversations (concussions, contrebande,
criminalité) – mérite mûre réflexion. Ils se sont confortablement installés au cœur du «
système ». Un grand débat !

Dans le monde épouvantable où évolue la jeunesse à la merci de toutes les mauvaises


folies criminelles de l’impunité, plongée dans la « merde », ce roman est écrit pour nous
rappeler que le pays a changé mais d’une façon monstrueuse. Un lieu qui exclut de plus en
plus toutes les valeurs morales d’intégrité, de droiture et d’estime de soi. Le constat ici est
désolant : la jeunesse est condamnée à ne vivre que de rapines et de combines si elle ne
se résigne comme un mouton à avoir l’échine souple d’Émile Loriston en se débarrassant
de tout sens critique comme Cyprien Norvilus. S’agit-il d’une fatalité ? D’une déveine ?
Faire comme Jojo Piment Piqué si elle souhaite voir un brin de changement dans sa vie.
C’est un monde manichéen, une société bloquée que décrit Yanick Lahens sans reculer
devant ce qui peut gêner : la corruption ou la lâcheté et le crime organisé. A cela, il y a, je
crois, d’autres réactions, à savoir la résistance la plus résolue, le sens de la solidarité, la
défense de l’intérêt commun. Ce coup de projecteur éclatant montre des bourreaux et
victimes prisonniers de leurs malheurs.

Comment freiner de telles déroutes ou dérives ? Mais avec qui ? Scepticisme grandissant
du côté de l’auteure. Désormais, plus personne ne lui fera croire à un quelconque plan de
sauvetage national. Ce dont nous sommes capables, en tout cas, c’est de lire Yanick
Lahens même si son œuvre est sombre, truffée de clichés (comme c’est le cas de bon
nombre de ses contemporains et contemporaines à succès), pessimiste même. Face à tant
de réflexions mises en perspective, elle ne peut que laisser échapper un profond soupir. Un
soupir mélangeant perplexité, dépit et observations acerbes.

s résolue, le sens de la solidarité, la défense de l’intérêt commun. Ce coup de projecteur


éclatant montre des bourreaux et victimes prisonniers de leurs malheurs.

Comment freiner de telles déroutes ou dérives ? Mais avec qui ? Scepticisme grandissant
du côté de l’auteure. Désormais, plus personne ne lui fera croire à un quelconque plan de
sauvetage national. Ce dont nous sommes capables, en tout cas, c’est de lire Yanick
Lahens même si son œuvre est sombre, truffée de clichés (comme c’est le cas de bon
nombre de ses contemporains et contemporaines à succès), pessimiste même. Face à tant
de réflexions mises en perspective, elle ne peut que laisser échapper un profond soupir. Un
soupir mélangeant perplexité, dépit et observations acerbes.ou dérives ? Mais avec qui ?
Scepticisme grandissant du côté de l’auteure. Désormais, plus personne ne lui fera croire à
un quelconque plan de sauvetage national. Ce dont nous sommes capables, en tout cas,
c’est de lire Yanick Lahens même si son œuvre est sombre, truffée de clichés (comme c’est
le cas de bon nombre de ses contemporains et contemporaines à succès), pessimiste
même. Face à tant de réflexions mises en perspective, elle ne peut que laisser échapper un
profond soupir. Un soupir mélangeant perplexité, dépit et observations acerbes.

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