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Comptes rendus 289

Noms barbares. 1, Formes et contextes d ’une pratique p. 93-108. D ’autant plus que ces barbara onomata
magique, sous la dir. de Michel Tardieu, Anna Van acquièrent une fonction communicative double sur
den K erchove et Michela Z ago (Bibliothèque de les defixionum tabellae - petites plaques en plomb sur
l’École des hautes études. Section des sciences lesquelles sont inscrites des formules d ’exécration -,
religieuses 162), Turnhout, Brepols, 2013, 426 p. ; selon que l ’on privilégie l ’axe vertical ou l ’axe
ISBN 978-2-503-54945-3. horizontal des inscriptions - Amina Kropp , « Le
rôle des noms barbares dans le déroulement d ’une
Comme l’énonce clairement dans son introduction defixio », p. 77-92 -, et ne sont pas sans recéler de
Michel Tardieu, l ’objet de cet ouvrage collectif concerne nombreux procédés élaborés et variés multipliant les
« la rhétorique [...], abondante mais laissée de côté, qui niveaux de sens des papyrus : Amaury Pétigny, « Jeux
n ’est ni grecque ni latine mais utilise les alphabets grec graphiques et phonétiques dans les noms barbares du
et latin pour être translittérée et transcrite » (p. 11-18, ici papyrus magique P.Leyde I 383 + P.BM 10 070 »,
p. 11). Et il a le mérite d ’introduire pleinement l ’étude p. 155-176. On ne peut non plus laisser de côté les
de pratiques magiques dans le champ de l ’histoire des jeux symboliques sur les nombres - Silvia P ieri,
religions, l ’objet « magique » portant inscriptions, le « Numero e filosofia : alcune note sul cosiddetto ottavo
phylactère par exemple, étant commun au monde de la libro di Mosè (PGM XIII) », p. 191-202 - ni même
religion et au monde religieux de la magie (M. T ardieu, une « interpretatio barbara » multipliant les noms
« Nommer la matière », p. 21-36, ici p. 29). C’est cette de la déesse de l ’amour pour assurer la réussite d ’une
problématique récurrente que pose à nouveau le regretté entreprise de séduction - M. T ardieu, « Les noms
et grand savant Jean Y oyotte - « La parole et l’objet, magiques d ’Aphrodite en déesse barbare (PGM IV
et vice versa », p. 37-49 - : peut-on séparer, au point 2912-2939) », p. 225-238 -, toutes ces tentatives
de les opposer, savoir sacré (écriture hiéroglyphique) visant à atteindre le nom physique du dieu ou de
et pouvoir magique (inscriptions sur amulettes) ? Il l ’entité invoquée (voir l ’article de M. Zago). Ces jeux
nous semble évident que l ’historien des religions s’en linguistiques sont si répandus qu’on les retrouve même
est trop longtemps tenu au cadre trop strict du second chez Plotin qui donne une double signification au nom
terme en n ’étant pas d ’abord et avant tout un historien du dieu Apollon de manière à distinguer « l ’élévation
du religieux. C’est la raison pour laquelle Michela Z ago en tant que purification et abolition de la multiplicité
- « Le nom physique du dieu », p. 205-224 - propose et l ’élévation en tant qu’ascension vers l ’unification
un concept de religion le plus élargi possible, « cela avec le Dieu Premier » (Luciana Gabriela Soares
dans le but d ’éviter une définition christianocentrique Santoprete, « La signification plotinienne du nom
de religion, qui tout en partant de la vera religio comme divin d ’Apollon », p. 239-252, ici p. 251). Autant dire
de la religion, finit par pousser aux marges tout autre que magie et mystères divins tendent à se confondre,
produit culturel ne correspondant pas à ses canons » ce qui était explicitement le cas chez un philosophe
(p. 207). Il faut dire en outre qu’à haute époque, qu’il comme Jamblique : « La principale règle des pratiques
s ’agisse de la cosmologie égyptienne ou des rites “magiques” est de faire appel au pouvoir des mots et
hittites et mésopotamiens - Alice M outon, « Torche et des noms d’entités : le ritualiste mobilise ce pouvoir en
encens en Anatolie et Mésopotamie anciennes », p. 51­ prononçant ces mots et noms, afin de rendre efficace
66 -, ce que l’on reconnaît à juste titre comme religion la formule rituelle qu’il énonce » (Anna V an den
n ’est pas dénué d ’aspects « magiques ». On aurait tort Kerchove, « Les noms barbares dans le traité gnostique
d ’ailleurs de considérer, du fait d ’une documentation Melchisédek (NH IX, 1) », p. 265-286, ici p. 265).
ample et surprenante à basse époque, que la magie Évidemment, étudier l ’ésotérisme antique ne
déborderait en quelque sorte la religion : d ’une part, peut se faire en excluant les gnoses chrétiennes.
magie et religion sont indissociables et évoluent De la même manière en effet que les « païens », les
ensemble - Yvan K oenig, « La magie égyptienne : de valentiniens jouent sur les significations possibles
l ’image à la ressemblance », p. 177-189 - , d ’autre part, du nom de Jésus - Jean-Daniel D ubois, « Le “nom
l ’usage de parlers « barbares » dans les incantations insigne” d ’après Marc le mage », p. 253-264 - et les
est un phénomène fort ancien : Michaël Guichard, traités de certains codices de Nag Hammadi ne sont
« Langues étranges dans les textes magiques suméro- pas sans similitudes avec les PGM (voir l ’article de
akkadiens », p. 131-142. A. Van den Kerchove). La similarité est d ’ailleurs
Il est vrai toutefois que la palette linguistique de grande entre le nom Ialdabaoth d ’un de ces traités et
la Mésopotamie des IIIe et IIe millénaires était bien certains noms d ’un papyrus magique grec - M. Z ago,
moins étendue que dans l ’aire multiculturelle de « Le nom physique du dieu », p. 205-224, ici p. 219
l ’Empire romain où le recours aux nomina barbara, de -, le dieu biblique Iaô Sabaoth étant présent dans les
fait, s’intensifie : Nicolas Corre, « Noms barbares et deux types de corpus. La manière encore dont certains
“barbarisation” dans les formules efficaces latines », gnostiques ont forgé un nom « barbare » à partir d ’une

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expression biblique en hébreu pour être un révélateur avant les aperçus sur l ’histoire, la société et enfin la
du divin - Lucia Saudelli, « Le nom barbare Kaulakau religion, qui est au cœur de la thématique de l’ouvrage.
selon l ’hérésiologie chrétienne », p. 287-299 - ne La problématique de l’ouvrage, qui justifie l’approche
rend guère pertinente toute opposition monothéisme/ de l ’auteur, est basée sur les aspects régionaux des
polythéisme. Il est, en outre, un étrange rapprochement cultes en Nabatène, une synthèse qui manquait en effet
à faire entre les noms imprononçables de démons sur les dans la bibliographie récente, pourtant abondante, sur
inscriptions de coupes magiques judéo-araméennes et la religion nabatéenne. L’A. justifie les termes de son
le tétragramme divin devenu interdit de prononciation titre, Religious life, plus adapté à son propos, mais aussi
puis véritablement imprononçable - Maria G orea, sans doute pour se démarquer de l ’ouvrage de référence
« Des noms imprononçables », p. 109-120 -, les uns sur la question en général, celui de J. F. Healey *, dont
« magiques », l’autre « sacré »... il critique l ’approche centrée sur les divinités, alors
L’ouvrage comporte des index nombreux et variés que ces différentes façons d ’aborder la question sont
(p. 359-415) permettant au chercheur d ’opérer les complémentaires ; mais il lui rend néanmoins hommage,
recoupements nécessaires entre les différents articles. ainsi qu’à J. Starcky, dont l ’article du Dictionnaire de
Il apparaît donc ainsi comme un instrument de travail la Bible2, reste une référence. Les aspects historiques
pouvant faciliter les recherches du spécialiste même si et politiques des cultes en Nabatène n ’apparaissent pas
l ’on peut regretter que le sommaire ait été thématique dans la présentation, alors qu’ils sont particulièrement
sans tenir aucunement compte de la chronologie ni importants pour comprendre la carte de répartition
même des aires géographiques. Il est à noter enfin des grands sanctuaires, dont les fondations ou les
que les communications publiées ont pour origine le réaménagements ne sont pas étrangers à une volonté du
séminaire de Michel Tardieu au Collège de France pouvoir central. Sur la notion de Nabatène, l ’A. rappelle
(2006-2008) dans le cadre du CENOB (Corpus des deux marqueurs traditionnellement retenus pour la
énoncés de noms barbares), sous l’égide de Jean-Daniel définir, au sens culturel du terme : les inscriptions et
Dubois, qui a mis en ligne sa propre base de données la présence de tessons de céramique très fine, rouge
(www.cenob.org). orangé et délicatement peinte, présente sur les grands
sites ; mais il néglige, ce qui est curieux, la présence
Christophe L emardelé de bétyles, dont il récuse d ’ailleurs la terminologie
(betyl), et qu’il appelle idol blocks ; l ’un ou l’autre
terme peuvent en fait être employés. Il bute sur la date
de 106, l’annexion du royaume nabatéen par Trajan, qui
est une coupure politique, mais non pas culturelle ; on
note au passage que ce choix, qui se comprend mais
P eter A lpass, The religious life o f Nabataea (Religions qu’il ne peut pas toujours respecter, est en contradiction
in the G raeco-Rom an W orld 175), Leiden - avec sa conception du rôle de l ’histoire ; s’arrêter
Boston, Brill, 2013, xi-316 p. ; ISBN 978-90-04­ à cette date est en effet artificiel, sinon illusoire, de
19051-1. nombreux documents ayant trait à la religion n ’étant
pas clairement datés, et d ’autres, très utiles, comme les
L’ouvrage de P. Alpass est la version révisée de sa très nombreux graffites du Sinaï (plus de trois milliers),
thèse, soutenue à l ’université de Durham en 2011, et datant d ’après l ’annexion. Il ne parle pas non plus des
dont il existe aussi une version numérique ; on peut sanctuaires en dehors du royaume, à part S fa dans le
donc saluer la publication rapide de son manuscrit Hawran, qui appartient à la province romaine de Syrie.
révisé, dans la collection « Religions of the Graeco­ C’est en effet toute la difficulté de la démarche que de
Roman world » chez Brill. La table des matières, de la cerner la culture nabatéenne, complexe et composite.
p. v à la p. vii, est suivie d ’une liste des 6 cartes (p. vii), Le commentaire sur la société (p. 9-13) se concentre
d ’une liste des 69 figures (p. ix à xi) qui sont en fin sur la question de l ’opposition nomades-sédentaires ;
d ’ouvrage, p. 263-316, d ’une liste des abréviations cet aspect a beaucoup occupé les chercheurs anglo­
(p. xiii), des remerciements d ’usage (p. xv), et d ’une saxons, mais la réalité du terrain incite à la prudence ;
carte topographique (p. xvi), malheureusement un peu d ’une part, la société nabatéenne est complexe, et
trop pâle. cela se reflète dans l ’organisation du culte, d ’autre
L’introduction (p. 1-35) présente rapidement la
religion, la société, l ’histoire et la découverte de la
Nabatène (p. 4-20), avant d ’aborder les sources : 1. J. F. H ealey, The religion o f the Nabataeans, Leiden,
inscriptions, textes, sculptures, archéologie (p. 21-35). Brill, 2001.
L’on aurait plutôt attendu un rappel des découvertes dans 2. J. Starcky, « Pétra et la Nabatène », Dictionnaire de la
les différentes régions et la présentation des sources, Bible. Supplément. 7, Paris, 1966, col. 886-1017.

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