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Anthropologie de la mort.
LOUIS-VINCENT THOMAS
Professeur à l'Université de Paris V,
membre fondateur de la Société de Thanatologie
L A M O R T
A F R I C A I N E
PAYOT, PARIS
106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
1982
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.
Copyright © Payot, Paris 1982.
INTRODUCTION
a) La bonne mort
c) La mort désirable
Lorsque les hommes vivaient au ciel, ils ne mouraient pas. Comme ils
devenaient trop nombreux, Dieu avec l'aide du Forgeron en envoya un
certain nombre sur la terre où ils s'organisèrent en deux groupes : les Maîtres
de la Terre qui régnaient sur le froid et le sec et les Maîtres de la Pluie qui
régnaient sur le chaud et l'humide. Le monde était donc parfaitement
équilibré : quand les Maîtres de la Pluie augmentaient la chaleur, cela
provoquait la sécheresse de la terre ; alors les Maîtres de la Terre augmen-
taient le froid pour déclencher la pluie. Pour les mêmes raisons d'équilibre,
les Maîtres de la Pluie, destinés à mourir, n'avaient aucun contact avec leurs
morts et les Maîtres de la Terre, immortels, faisaient le travail de fossoyeurs.
Les premiers étaient contents de leur sort et ne disaient rien; quand l'un
d'eux mourait, ils organisaient les fêtes des funérailles et mangeaient le lalso
(plat préparé par les femmes du lignage du défunt). Mais les Maîtres de la
Terre étaient jaloux ; ils voulaient aussi manger le lalso. Alors, ils envoyèrent
deux messagers en brousse afin d'acheter la Mort pour le prix d'un chat. Ils
finirent par l'obtenir en échange d'un bœuf et devinrent les égaux des Maîtres
de la Pluie. Tant pis si l'harmonie du monde fut perturbée ; en effet, il faudra
désormais compter avec les aléas des saisons, la sécheresse et les mauvaises
récoltes : c'était cela le vrai prix à payer pour jouir de la vie.
— Dieu avait créé l'homme pour durer toujours. Pas de mort. Il voulut
voir si les hommes étaient sages. Il vint avec deux paquets qu'il mit devant
eux et demanda : « Voulez-vous le paquet de la mort ou la paquet de la vie
éternelle ? » Les hommes ont choisi le paquet de la mort car ils craignaient de
devenir trop vieux et de supporter les infirmités de la vieillesse. Dieu, quand
il constata ce choix, se retira, fâché.
— Ata Emit ayant créé le premier homme lui donna une femme. Il les
appela un jour et leur montra deux sacs dont le plus grand était bourré de
cadeaux, denrées comestibles et biens utilitaires. Il contenait aussi la mort.
L'autre, plus petit, contenait l'immortalité. « Lequel choisissez-vous ? »
demanda Ata Emit. L'homme hésita. Mais la femme insista pour obtenir les
biens. Ils prirent le grand sac et l'emportèrent. Et depuis tous les hommes
doivent mourir.
— N° d'impression : 376-190.
Dépôt légal : septembre 1982.
Imprimé en France
Bibliothèque Scientifique
LAMORTAFRICAINE
Confronté à un environnement souvent hostile dont il est
étroitement dépendant, l'Africain vit en familiarité avec la
mort. A défaut d'outils et de techniques pour pallier le risque
permanent de mourir de faim ou de maladie, sa culture lui
fournit une exceptionnelle disposition à manier les symboles
pour transcender l'angoisse de la précarité. La mort indivi-
duelle n'est qu'un moment du cycle vital; elle ne saurait porter
atteinte à la continuité de la vie car elle en est la condition
implicite. Cette signification particulière donnée à la mort est
attestée par les mythes.