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valeurs ancestrales en vue du développement de l’Afrique

L’impératif d’un retour aux valeurs


ancestrales en vue du développement de
l’Afrique
! 10 décembre 2016 " Contributions Valeurs africaines
Alice Malongte

Depuis plusieurs décennies déjà, l’Afrique est présentée comme l’une des zones du
monde qui connaissent un retard en termes de développement. Les organisations
internationales ainsi que leurs experts accrédités pointent du doigt plusieurs
phénomènes tels que les insuffisances démocratiques, le déficit de gouvernance, la
persistance des conflits et la corruption.

Cependant, ces organisations qui contrôlent l’intelligentsia internationale ignorent les


fondements même de ce sous-développement : l’esclavage et la colonisation qui ont
conduit à la déstructuration des sociétés africaines ainsi qu’à la création d’un rapport
de dépendance entre le Nord et le Sud, la domination symbolique à travers
l’imposition d’une vision occidentale du progrès (capitalisme, libéralisme).

Aujourd’hui, l’on peut aisément constater que la mondialisation est loin d’être un
rapport « gagnant-gagnant » entre l’Afrique et le monde occidental. Elle apparaît
plutôt comme le fil conducteur de « la dépersonnalisation des Africains ou
désafricanisation » à travers un processus d’assimilation culturelle que dénonçaient
Cheikh Anta Diop, Frantz Fanon et l’auteur camerounais Engelbert Mveng.

Il en résulte une Afrique affectée par le « syndrome de Samba Diallo », héros du


roman de Cheikh Hamidou Kane , c’est-à dire piégée entre « la soumission aux
normes ancestrales et l’acceptation des valeurs nouvelles, totalement étrangères au
groupe ».

Après la célébration massive des indépendances factices accordées tant bien que mal
aux nouveaux États africains, la réalité brutale s’est révélée au grand jour : L’Afrique
noire avait effectivement pris un mauvais départ, comme l’avait relevé l’auteur
français René Dumont. L’envahisseur n’avait décolonisé qu’en paroles. Il demeurait là
à travers l’héritage colonial : éducation occidentale institutionnalisée, langues
étrangères devenues nationales, modèle occidental de gestion sociopolitique.
Contraints de s’approprier ces nouvelles valeurs léguées par les puissances coloniales,
les Africains ont, par la même occasion, provoqué leur mort culturelle. D’après
Engelbert Mveng, « Le processus de mise à mort culturelle est en effet un processus
de désappropriation, d’expropriation, d’aliénation et d’annihilation culturelle. Il est
partout l’œuvre de la domination étrangère et du colonialisme ». C’est ce que l’on
appelle communément « acculturation » ou « déculturation ».

Ce processus de mise à mort culturelle a conduit à la perte d’une identité propre aux
Africains. Les valeurs prônées par les royaumes et empires précoloniaux,
prédécesseurs des chefferies actuelles, se sont vues reléguées au second plan parce
qu’ « on ne voit pas l’utilité de connaitre l’histoire, la géographie, les traditions de son
milieu ». Au prix d’un ultime sacrifice culturel, on veut devenir moderne – laquelle
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modernité consiste à devenir un occidental typique – ; mais l’on réussit simplement à
être un « clochard culturel » dont la subsistance repose sur la dépendance à une
culture autre que la sienne.

Les valeurs prônées par les royaumes et empires


précoloniaux, prédécesseurs des chefferies actuelles, se
sont vues reléguées au second plan parce qu’ « on ne
voit pas l’utilité de connaitre l’histoire, la géographie,
les traditions de son milieu ».

Dans l’esprit de cette créature défaitiste des temps modernes, la nécessité d’un retour
aux sources africaines se présente plus comme une réalisation impossible qu’un
mensonge car l’on est habitué à vivre selon les règles du voisin et changer ces
habitudes semble être un effort surhumain, surtout lorsqu’on est convaincu que des
fléaux tels que « la domination des hommes, la marginalisation des femmes, la non
prise en compte des droits de l’enfant (…) font partie de nos cultures et c’est grâce au
contact avec le reste du monde que nous nous sommes rendus compte de leur
barbarie » (Béfoune).

Ceux qui prennent pour argent comptant de telles considérations véhiculées par
l’intelligentsia dominante ignorent par exemple que le royaume du Dahomey avait
consacré le principe de parité homme-femme dans son fonctionnement bien avant le
mouvement féministe.

Parler de « valeurs africaines » ne revient pas à dire que l’Afrique est uniforme.
D’ailleurs, nous employons l’expression « sociétés africaines » pour montrer que
l’Afrique est diverse. Cependant, l’on peut relever des similarités dans l’organisation
sociopolitique des différents groupes ethniques qui la composent. Notamment, l’on
peut constater que cette organisation sociopolitique repose sur la primauté de la
communauté sur l’individu.

Par exemple, le système de gouvernance dans les sociétés précoloniales reposait sur
« l’arbre à palabres », une institution qui « constitue le vecteur essentiel du dialogue
social. Elle constitue un moyen d’adoption des décisions importantes et un mode de
résolution des conflits ». Dans son autobiographie, Nelson Mandela précise que tous
les citoyens y prenaient part sans distinction de classe sociale et de sexe. C’est à
travers elle que les individus s’exprimaient et participaient à la vie sociopolitique de
leurs communautés.

Par exemple, le système de gouvernance dans les


sociétés précoloniales reposait sur « l’arbre à palabres
», une institution qui « constitue le vecteur essentiel du
dialogue social.

En outre, nous devons admettre qu’il est important de se défaire de certaines valeurs
qui nous confinent dans cette situation de sous-développement. Effectivement,
comme le précise la Charte africaine de la Jeunesse en son article 20, il est de notre
devoir d’ « éliminer toutes les pratiques traditionnelles qui portent atteinte à l’intégrité
physique et à la dignité de la femme » telles que l’excision. Toutefois, nous devons «
reconnaître et valoriser les croyances et les pratiques qui contribuent au
développement ». Nous disons qu’il est même impératif de placer ces valeurs
socioculturelles africaines au centre de notre vision du monde.
Nous disons qu’il est même impératif de placer ces
valeurs socioculturelles africaines au centre de notre
vision du monde.

L’afrocentricité est une théorie du changement social qui voit le jour dans les années
80 sous la plume de l’historien et philosophe afro-américain Molefi Kete Asante et qui
donne une réponse à la question suivante : « Si l’on est Africain, pourquoi devrait-on
percevoir la réalité autrement que du point de vue africain ? ». Elle est une
perspective qui permet à l’Africain de replacer l’Afrique au centre de sa vision du
monde et de se détacher ainsi du référentiel occidental. Comme l’affirme le professeur
originaire de la Guadeloupe Ama Mazama, « l’afrocentricité est l’une des réponses
forgées par les Africains afin de remédier à la situation de dépendance dans laquelle
nous nous trouvons, en dépit d’une indépendance nominale ».

Cette approche centrée sur l’Afrique ne nie pas la contribution de l’Occident à


l’avancée de la civilisation humaine notamment à travers le progrès technologique qui
permet de sauver des vies partout dans le monde, mais dénonce simplement
l’universalisation du modèle de développement occidental. Mettre l’Afrique au centre
de notre vision du monde ne signifie pas rejeter absolument tout ce que l’Occident
produit : nous mangeons des pâtes italiennes, utilisons les réseaux sociaux pour
communiquer.

Mais cet impératif nous invite à puiser au plus profond de nos traditions particulières
l’essence de notre développement. Selon l’écrivain américain Molefi Kete Asante, « Il
s’agit de l’Afrique qui s’affirme intellectuellement et psychologiquement, cassant les
chaînes de la domination occidentale sur nos esprits, afin que nous puissions nous
libérer dans tous les domaines ». La libération de cet esclavage mental nous
permettra de faire le tri dans nos échanges avec l’Occident et de mettre sur pied un
modèle de développement qui place l’Africain au centre de sa perspective.

Le recours à la justice traditionnelle pour le règlement des conflits au Rwanda ou au


Burundi est la preuve que nos traditions ont des valeurs auxquelles on peut encore se
vouer et même appliquer dans le fonctionnement actuel de nos sociétés. D’ailleurs,
c’est ce que reconnaît Aimé Césaire en ces termes : « Il nous faudra avoir la patience
de reprendre l’ouvrage, la force de refaire ce qui a été défait ; la force d’inventer au
lieu de suivre, d’inventer notre route et de la débarrasser des formes toutes faites ».

Le recours à la justice traditionnelle pour le règlement


des conflits au Rwanda ou au Burundi est la preuve que
nos traditions ont des valeurs auxquelles on peut
encore se vouer et même appliquer dans le
fonctionnement actuel de nos sociétés.

L’Histoire nous montre que le processus d’évolution résulte d’un échange et d’un
partage d’idées comme ce fut le cas dans l’Antiquité lorsque les Grecs se sont inspirés
des Égyptiens. Elle nous montre également que l’impérialisme et la déshumanisation
d’un groupe par un autre à travers le processus d’aliénation culturelle a toujours
conduit à des dérives qui freinent la création d’un monde sain.

Alice Malongte

Alice Malongte est une Camerounaise dont la passion pour l’Afrique est
visible à travers son blog “L’Afrique, vue par Alice“. Elle est titulaire du
Master des Hautes études européennes et internationales obtenu au
Centre international de formation européenne (CIFE).

Sources :

ASANTE, M. (1991), « The Afrocentric idea in education », Journal of Negro Education,


N° 60, PP 170-179.
BADIE, B. (1992), L’État importé: Essai sur l’occidentalisation de l’ordre politique,
Fayard, 334 pages.
BEFOUNE, A.M. (2016), « Le mensonge de la nécessité d’un retour aux racines en
Afrique », www.wathi.org/valeurs-africaines/mensonge-de-necessite-dun-retour-aux-
racines-afrique, consulté le 29/11/2016.
CESAIRE, A. (1956), Lettre à Maurice Thorez, http://lmsi.net/Lettre-a-Maurice-
Thorez, consulté le 30/11/2016.
DIOP, C.A. (2000), Nations nègres et culture : De l’Antiquité nègre égyptienne aux
problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui, Éditions présence africaine, 564
pages.
FANON, F. (1952), Peau noire, masques blancs, Seuil, Paris, disponible en version
numérique sur
http://classiques.uqac.ca/classiques/fanon_franz/peau_noire_masques_blancs/peau_noir
260 pages.
KANE, C.H. (1961), L’aventure ambigüe, Éditions Julliard, Paris, 192 pages.
LEBAKENG, T.J., PHALANE, M. (2001) « Africanisation des sciences sociales dans le
contexte de la mondialisation », Bulletin du CODESRIA, N°3 & 4, 2001,
http://unpan1.un.org/idep/unpan007450, consulté le 29/11/2016.
MAZAMA, A. (2003), L’impératif afrocentrique, Éditions MENAIBUC, 296 pages.
MANDELA, N. (1996), Un long chemin vers la liberté, Editions Le livre de poche, Paris,
767 pages.
MVENG, E. (1976), « Mort ou survie culturelle », Éthiopiques, Numéro spécial,
http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article624, consulté le 29/11/2016.
PONDEA, L.I. (2004), « La dimension psychanalytique de la culture dans l’aventure
ambigüe de Cheikh Hamidou Kane et dans Orphée-D’Afric de WereWere Linking »,
Éthiopiques, N°73, http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page=imprimer-
article&id_article=114, consulté le 29/11/2016
ROBERT, A-C. (2006), L’Afrique au secours de l’Occident, Les Editions de l’Atelier,
Paris, 207 pages.

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Thomas Omer 5 janvier 2017 12 h 47 min

L’Afrique reste et demeure le berceau de l’humanité. Les recherches


archéologiques concordent sur les migrations de l’homo erectus depuis
l’Afrique pour conquérir le monde à la faveur des changements du climat. Un
phénomène naturel qui est à l’origine de la disparition de plusieurs espèces
dont l’homme de Néanderthal. Le changement climatique en cours fera
disparaître les espèces qui n’arriveront pas à s’adapter aux nouvelles
conditions terrestres. Il n’est donc pas exclu que l’Afrique dont les habitants
vivent dans une relative pauvreté alimente à nouveau le monde de souches
ayant résisté aux différents catastrophes qui se profilent à l’horizon et
incitent les pays riches à explorer d’autres planètes. L’Afrique est la source de
toutes les civilisations occidentales depuis l’Egypte pharaonique. Quelles que
soient leurs dimensions, les oreilles ne sauraient dépassées la tête. Les
africains modernes doivent prendre conscience de cette réalité humaine et
cesser d’envier les paramètres éphémères de l’humanité.

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