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Aujourd’hui, l’on peut aisément constater que la mondialisation est loin

d’être un rapport « gagnant-gagnant » entre l’Afrique et le monde


occidental. Elle apparaît plutôt comme le fil conducteur de « la
dépersonnalisation des Africains ou désafricanisation » à travers un
processus d’assimilation culturelle que dénonçaient Cheikh Anta Diop,
Frantz Fanon et l’auteur camerounais Engelbert Mveng.

Il en résulte une Afrique affectée par le « syndrome de Samba Diallo


», héros du roman de Cheikh Hamidou Kane, c’est-à dire piégée entre
« la soumission aux normes ancestrales et l’acceptation des valeurs
nouvelles, totalement étrangères au groupe ».

Après la célébration massive des indépendances factices accordées


tant bien que mal aux nouveaux États africains, la réalité brutale s’est
révélée au grand jour : L’Afrique noire avait effectivement pris un
mauvais départ, comme l’avait relevé l’auteur français René Dumont.
L’envahisseur n’avait décolonisé qu’en paroles. Il demeurait là à
travers l’héritage colonial : éducation occidentale institutionnalisée,
langues étrangères devenues nationales, modèle occidental de
gestion sociopolitique.

Contraints de s’approprier ces nouvelles valeurs léguées par les


puissances coloniales, les Africains ont, par la même occasion,
provoqué leur mort culturelle. D’après Engelbert Mveng, « Le
processus de mise à mort culturelle est en effet un processus de
désappropriation, d’expropriation, d’aliénation et d’annihilation
culturelle. Il est partout l’œuvre de la domination étrangère et du
colonialisme ». C’est ce que l’on appelle communément «
acculturation » ou « déculturation ».

Ce processus de mise à mort culturelle a conduit à la perte d’une


identité propre aux Africains. Les valeurs prônées par les royaumes et
empires précoloniaux, prédécesseurs des chefferies actuelles, se sont
vues reléguées au second plan parce qu’ « on ne voit pas l’utilité de
connaitre l’histoire, la géographie, les traditions de son milieu ». Au
prix d’un ultime sacrifice culturel, on veut devenir moderne – laquelle
modernité consiste à devenir un occidental typique – ; mais l’on
réussit simplement à être un « clochard culturel » dont la subsistance
repose sur la dépendance à une culture autre que la sienne.
Dans l’esprit de cette créature défaitiste des temps modernes, la
nécessité d’un retour aux sources africaines se présente plus comme
une réalisation impossible qu’un mensonge car l’on est habitué à vivre
selon les règles du voisin et changer ces habitudes semble être un
effort surhumain, surtout lorsqu’on est convaincu que des fléaux tels
que « la domination des hommes, la marginalisation des femmes, la
non prise en compte des droits de l’enfant (…) font partie de nos
cultures et c’est grâce au contact avec le reste du monde que nous
nous sommes rendus compte de leur barbarie » (Béfoune).

Ceux qui prennent pour argent comptant de telles considérations


véhiculées par l’intelligentsia dominante ignorent par exemple que le
royaume du Dahomey avait consacré le principe de parité homme-
femme dans son fonctionnement bien avant le mouvement féministe.

Parler de « valeurs africaines » ne revient pas à dire que l’Afrique est


uniforme. D’ailleurs, nous employons l’expression « sociétés
africaines » pour montrer que l’Afrique est diverse. Cependant, l’on
peut relever des similarités dans l’organisation sociopolitique des
différents groupes ethniques qui la composent. Notamment, l’on peut
constater que cette organisation sociopolitique repose sur la primauté
de la communauté sur l’individu.

Par exemple, le système de gouvernance dans les sociétés


précoloniales reposait sur « l’arbre à palabres », une institution qui «
constitue le vecteur essentiel du dialogue social. Elle constitue un
moyen d’adoption des décisions importantes et un mode de résolution
des conflits ». Dans son autobiographie, Nelson Mandela précise que
tous les citoyens y prenaient part sans distinction de classe sociale et
de sexe. C’est à travers elle que les individus s’exprimaient et
participaient à la vie sociopolitique de leurs communautés.

Par exemple, le système de


gouvernance dans les sociétés
précoloniales reposait sur « l’arbre
à palabres », une institution qui «
constitue le vecteur essentiel du
dialogue social.
En outre, nous devons admettre qu’il est important de se défaire de
certaines valeurs qui nous confinent dans cette situation de sous-
développement. Effectivement, comme le précise la Charte africaine
de la Jeunesse en son article 20, il est de notre devoir d’ « éliminer
toutes les pratiques traditionnelles qui portent atteinte à l’intégrité
physique et à la dignité de la femme » telles que l’excision. Toutefois,
nous devons « reconnaître et valoriser les croyances et les pratiques
qui contribuent au développement ». Nous disons qu’il est même
impératif de placer ces valeurs socioculturelles africaines au centre de
notre vision du monde.

Nous disons qu’il est même


impératif de placer ces valeurs
socioculturelles africaines au
centre de notre vision du monde.
L’afrocentricité est une théorie du changement social qui voit le jour
dans les années 80 sous la plume de l’historien et philosophe afro-
américain Molefi Kete Asante et qui donne une réponse à la question
suivante : « Si l’on est Africain, pourquoi devrait-on percevoir la réalité
autrement que du point de vue africain ? ». Elle est une perspective
qui permet à l’Africain de replacer l’Afrique au centre de sa vision du
monde et de se détacher ainsi du référentiel occidental. Comme
l’affirme le professeur originaire de la Guadeloupe Ama Mazama, «
l’afrocentricité est l’une des réponses forgées par les Africains afin de
remédier à la situation de dépendance dans laquelle nous nous
trouvons, en dépit d’une indépendance nominale ».

Cette approche centrée sur l’Afrique ne nie pas la contribution de


l’Occident à l’avancée de la civilisation humaine notamment à travers
le progrès technologique qui permet de sauver des vies partout dans
le monde, mais dénonce simplement l’universalisation du modèle de
développement occidental. Mettre l’Afrique au centre de notre vision
du monde ne signifie pas rejeter absolument tout ce que l’Occident
produit : nous mangeons des pâtes italiennes, utilisons les réseaux
sociaux pour communiquer.

Mais cet impératif nous invite à puiser au plus profond de nos


traditions particulières l’essence de notre développement. Selon
l’écrivain américain Molefi Kete Asante, « Il s’agit de l’Afrique qui
s’affirme intellectuellement et psychologiquement, cassant les chaînes
de la domination occidentale sur nos esprits, afin que nous puissions
nous libérer dans tous les domaines ». La libération de cet esclavage
mental nous permettra de faire le tri dans nos échanges avec
l’Occident et de mettre sur pied un modèle de développement qui
place l’Africain au centre de sa perspective.

Le recours à la justice traditionnelle pour le règlement des conflits au


Rwanda ou au Burundi est la preuve que nos traditions ont des
valeurs auxquelles on peut encore se vouer et même appliquer dans
le fonctionnement actuel de nos sociétés. D’ailleurs, c’est ce que
reconnaît Aimé Césaire en ces termes : « Il nous faudra avoir la
patience de reprendre l’ouvrage, la force de refaire ce qui a été défait ;
la force d’inventer au lieu de suivre, d’inventer notre route et de la
débarrasser des formes toutes faites ».

Le recours à la justice
traditionnelle pour le règlement des
conflits au Rwanda ou au Burundi
est la preuve que nos traditions ont
des valeurs auxquelles on peut
encore se vouer et même appliquer
dans le fonctionnement actuel de
nos sociétés.
L’Histoire nous montre que le processus d’évolution résulte d’un
échange et d’un partage d’idées comme ce fut le cas dans l’Antiquité
lorsque les Grecs se sont inspirés des Égyptiens. Elle nous montre
également que l’impérialisme et la déshumanisation d’un groupe par
un autre à travers le processus d’aliénation culturelle a toujours
conduit à des dérives qui freinent la création d’un monde sain.

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