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Études culturelles africaines

Enjeux, approches et horizons critiques

I
II
Études culturelles africaines
Enjeux, approches et horizons critiques
Sous la direction de

Isaac BAZIÉ
Souleymane GANOU
Fatou Ghislaine SANOU

Hommage au Professeur Salaka Sanou

NIV E R
SU SI
SE T

P
U
ES

A
IR
PR

ES
© Isaac BAZIÉ, Souleymane GANOU, Fatou Ghislaine SANOU - 2020
Aux termes de la loi n° 32-99 du 22 décembre 1999, « toute
reproduction, traduction, adaptation, représentation,
diffusion par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de
l’esprit en violation des droits de l’auteur constitue un délit
de contrefaçon, voir de piraterie, sanctionné comme tel ».
Tous droits réservés pour tous pays.

ISBN 979-10-90524-79-8
EAN 9791090524798

IV
Comité scientifique

AMANGOUA Atcha Philip : PT, Université Félix Houphouët


Boigny de Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire
COULIBALY Adama : PT, Université Félix Houphouët Boigny
de Cocody, Abidjan, Côte d’Ivoire
DAKOUO Yves, PT, Université Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou,
Burkina Faso
DAOUDA ISSA Abdoul Aziz : PT, Université Abdou
Moumouni, Niamey, Niger
GARNIER Xavier : Professeur des Universités, Université Paris
III Sorbonne nouvelle, France
GBENOUGA Dossou Martin : PT, Université de Lomé, Togo
GRASSIN Jean-Marie : Professeur des Universités, Université de
Limoges, France
KOLÉA Zigui : PT, Université Alassane Ouattara, Bouaké, Côte
d’Ivoire
KONANDRI Virginie : PT, Université Félix Houphouët Boigny
de Cocody, Abidjan : Côte d’Ivoire
OUÉDRAOGO Albert : PT, Université Joseph Ki-Zerbo,
Ouagadougou, Burkina Faso
PARÉ Joseph : PT, Université Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou,
Burkina Faso
SANOU Salaka : PT, Université Joseph Ki-Zerbo,
Ouagadougou, Burkina Faso
SARE/MARE Honorine : Maître de Conférences, Université
Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou, Burkina Faso
TANDINA Ousmane : Université Abdou Moumouni, Niamey,
Niger
TCHASSIM Koutchoukalo Marcelle : PT, Université de Lomé,
Directrice de l’Institut Confucius, Togo
TONDA Joseph : PT, Université Oumar Bongo, Libreville,
Gabon
TRO Déo Roger : PT, Université Alassane Ouattara,
Bouaké, Côte d’Ivoire

V
VI
Sommaire

Arts, Cultures, Identités


1. Cultures et défi de résolution de la problématique
identitaire en Afrique : l’apport du jeu théâtral………......3
Bi Zamblé Alain TRA
(Université Félix Houphouët-Boigny / Côte d’Ivoire)

2. Théâtre africain contemporain francophone et instances


de légitimation………………………………………..17
Hamadou MANDÉ
(Université Joseph Ki-Zerbo, Ouagadougou / Burkina Faso)

3. Dualité linguistique et culturelle en milieu estudiantin au


Burkina Faso : enjeux, manifestations et perceptions…45
Bangré Yamba PITROIPA
(Université Norbert ZONGO / Burkina Faso)

4. Identité nationale et identité culturelle à l’épreuve de la


mondialisation……………………………..…………57
Allegbe Joseph ALLEGBE
(Université Alassane Ouattara, Côte d’Ivoire)

5. Le français, un habit à la taille du locuteur


burkinabè………………………………………..…....75
Béli Mathieu DAÏLA
(Université de Dédougou, Burkina Faso)

6. À la découverte d’un nouvel outil d’analyse des œuvres


et expressions artistiques africaines : « l’artiamédialité »….....89
Ousséni OUÉDRAOGO et Wendmy Désiré GARBA
(Université Joseph KI-ZERBO, Burkina Faso)

VII
Rites, Traditions et Sociétés africaines
7. Cultures transversales au service de l’union en Afrique :
contribution des contes et de la parenté à plaisanterie à
l’intégration ouest-africaine …………………..……...113
Patrice KOURAOGO
(CNRST-INSS - Burkina Faso).

8. Étude comparative des rituels de masques chez les Bobo


de Tondogosso et les Gulmance du Nungu……..…...149
Germain OUALLY,
(Université Norbert ZONGO – Burkina Faso)

9. La dot chez les Agni Djuablin de côte d’ivoire : de


l’animation socioculturelle à la polémique et à la
pérennisation culturelle……………………………....177
Pierre Kouakou TANO
(Université Félix HOUPHOUËT BOIGNY)

10. La Mort du Souverain Gulmance : un retour à la vie


spirituelle dans une conception négro-africaine………193
Yendifimba Dieudonné LOUARI
(Université Nazi Boni / Bobo-Dioulasso, Burkina Faso)

11. Le Festival International des Masques et des Arts


(FESTIMA) de Dédougou : quand un genre en cache un
autre………………………………………………....209
Honorine SARÉ/MARÉ
Université Joseph KI-ZERBO, Burkina Faso
Souleymane GANOU
Université Joseph KI-ZERBO, Burkina Faso

VIII
Études et Politiques du culturel
12. La culture, composante essentielle pour le
développement de l’Afrique…………………………227
Hassane HAMADOU
(Université Abdou Moumouni, Niger)
Simon AGANI
(Université Abdou Moumouni, Niger)

13. Étude des pratiques culturelles des Burkinabè…….245


Jacob Yarassoula YARABATIOULA
(Université Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso)

14. Médias, culture et nouvelles collectivités dans le


roman ivoirien…………………………………...…..257
Amadou DAGNOGO
(Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody)

15. Cultural studies et analyse de contenus culturels dans


les médias au Burkina Faso………………………......277
Évariste DAKOURÉ
(Université Aube Nouvelle, Burkina Faso)

IX
X
Avant-propos

Remerciements
Nous sommes heureux de publier cet ouvrage à la suite du
colloque organisé en hommage au Professeur Salaka Sanou en juin
2019. Ce colloque fut un incitatif important pour envisager la
présente publication. Elle se conçoit par conséquent comme un
volet pérenne de la reconnaissance que les dizaines de chercheur.e.s
en études des littératures et cultures africaines ont voulu manifester
envers le Pr. Sanou lors du colloque. C’est aussi la raison pour
laquelle l’ouvrage commence avec l’hommage que l’un de nos
respectables pairs, le Pr. Adama Coulibaly, a bien voulu rédiger pour
le Pr. Sanou.
Nos sincères remerciements s’adressent en premier lieu aux
chercheures en études des cultures et littératures africaines qui ont
participé à cet ouvrage. Sans leurs contributions et le soin qu’ils ont
mis à satisfaire aux demandes des évaluateurs et évaluatrices tout au
long du processus éditorial, cette publication n’aurait pas vu le jour.
Nous tenons par ailleurs à donner un écho durable aux
remerciements déjà exprimés à l’endroit des autorités et institutions
qui ont grandement contribué à la tenue du colloque, mais aussi à la
réussite des étapes subséquentes à celui-ci. La liste des personnes
présentes ci-dessous atteste des deux champs majeurs d’implication
du Professeur Sanou :
Les anciens Ministres de la Culture suivants :
- Dr Mahamoudou OUÉDRAOGO,
- M. Filippe SAVADOGO,
- M. Hama BABA.

XI
Les ministres et anciens ministres en charge de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche scientifique ainsi que celui chargé de
l’Éducation nationale :
- Dr Jean-Noël PODA,
- Pr Joseph PARÉ,
- Pr Albert OUÉDRAOGO,
- Pr Alkassoum MAÏGA,
- Pr Stanislas OUARO.
Il est important de remercier Monsieur Abdoul Karim SANGO,
Ministre de la Culture, des Arts et du Tourisme. La contribution
financière du ministère de la Culture aura permis l’édition du présent
volume.
Sur ce volume : L’ouvrage réunit quinze articles dans lesquels
plusieurs aspects des cultures africaines sont abordés. Ces réflexions
sont regroupées en trois parties inégales en volume, mais dont la
cohérence se retrouve dans les enjeux qu’elles soulèvent. Les
lecteurs et lectrices trouveront des considérations très éclairantes sur
le lien entre arts, cultures et identités, dans la première partie du livre,
tandis que la deuxième partie est consacrée aux rites, traditions et
leurs manifestations actuelles dans les sociétés africaines ; la
troisième partie du volume regroupe des réflexions qui abordent les
politiques culturelles et des approches de la culture comme objet
d’études.
Nous sommes convaincus que ces nombreuses perspectives sur
les cultures africaines constituent une contribution importante dans
le champ des études culturelles africaines.

Isaac BAZIÉ, Professeur titulaire


Département d’études littéraires, Université du Québec à
Montréal
Directeur, Laboratoire des Afriques Innovantes (LAFI) –
https://lafi.uqam.ca

XII
Souleymane GANOU, Maître-assistant
Département de Lettres modernes, Université Joseph Ki-Zerbo
Laboratoire Littératures, Arts, Espaces et Sociétés (LLAES)

Fatou Ghislaine SANOU, Maître-assistante


Département de Lettres modernes, Université Joseph Ki-Zerbo
Laboratoire Littératures, Arts, Espaces et Sociétés (LLAES)

XIII
XIV
En hommage au Pr Salaka Sanou
En acceptant de rendre un hommage scientifique au Pr Salaka
Sanou, j’ai d’abord ressenti l’honneur d’un choix sur ma modeste
personne dans un espace des africanistes où il y a du monde et du
beau monde. Passé le moment de l’euphorie, j’ai pris la mesure de la
responsabilité de dire d’un aîné, d’un maître, ce que je connais de
son travail. Ce faisant, je suis bien conscient aussi de trahir ce que je
n’en pas connais pas. Aussi voudrais-je planter le décor, en
soulignant que pour moi, il s’agit, non d’un exercice à vocation de
totalisation, mais bien d’une traversée dans la production du maître.
Lire, c’est emprunter les chemins droits mais aussi les chemins de
travers pour retrouver et rattacher le fil d’Ariane de la pensée…
Le comité d’organisation m’a facilité la tâche en m’aidant à
constituer un corpus de 32 articles et d’un livre intitulé La littérature
burkinabè : L’histoire, les hommes et les œuvres (PULIM, 2000).
Mais encore un fois, tout n’y est pas. Par souci taxinomique, ces
articles sont rangés en trois volumes : 1-Littérature africaine =
huit (8) articles ; 2-Culture africaine = huit (8) articles ; 3-
Littérature burkinabè =seize (16) articles.
Sous le strict angle d’une lecture derridienne, on sait que les
articles fonctionnent comme trace : Derrida (p. 90) nous dit que
« La trace n’est pas seulement la disparition de l’origine, elle veut
dire ici – dans le discours que nous tenons et selon le parcours que
nous suivons – que l’origine n’a même pas disparu, qu’elle n’a
jamais été constituée qu'en retour par une non-origine, la trace, qui
devient ainsi l’origine de l’origine. » Cumulativement, ces traces,
ces articles devraient me permettre de remonter vers l’origine de
l’origine.
Les textes liés à la littérature africaine et qui convoquent et
étudient des icônes tels Mongo Beti, Léopold Sédar Senghor ou
Ahmadou Kourouma sont des contributions lumineuses sur des

XV
problématiques centrales de notre champ tels les enjeux de la
mobilité dans l’initiation, la question des littératures nationales et des
littératures émergentes. Ces travaux proposent de lire les littératures
africaines dans une tension permanente entre une approche
nationale et une approche régionale. Cette perspective de
l’ouverture est perceptible déjà chez Senghor chez qui Salaka met à
nu, entre intertextualité et interculturalité, une forme de relativisme
culturel prôné par « l’homme de la traversée des cultures et l’homme
de l’ouverture ». Mais l’enfantement même de cette littérature écrite
dont les vagissements se sont faits dans la rencontre avec l’autre
nous même, avec les Antilles (2009, pp. 353-374), dont une
communauté de destin explique le projet d’une littérature
postcoloniale négritudienne et post-négritudienne en partage et en
héritage… Dans « Etudes littératures africaines et littératures
émergentes : quelles méthodologies ? », apparait l’une des questions
centrales des études africanistes actuelles : « Comment le critique
peut-il et doit-il considérer cette réalité littéraire éclatée qui ne peut
plus répondre aux critères et canons en cours jusqu’ici ? » (p. 204).
Le Prof. SALAKA esquisse deux niveaux de réponses qui traversent
l’ensemble de ses travaux. Il faut, s’intéresser, nous dit-il, à élaborer
des monographies et surtout, il faut interroger l’histoire littéraire.
Mais y a-t-il même littérature, devait-on d’abord se demander. Les
articles « La problématique de l’édition littéraire au Burkina Faso »
(2005, pp.) et « La diffusion de l’information scientifique dans les
Universités africaines francophones » rappellent qu’il n’y a de
littérature et de visibilité de cette dernière sans maîtrise de la
production et sans diffusion. Instrument de l’Institution littéraire,
l’édition est une condition d’appropriation et donc de création1 alors
que l’Université est un lieu de légitimation. C’est pourquoi on est
attentif aux résultats importants auxquels Salaka parvient à l’analyse

1Qu’on pense à ce que la critique génétique appelle le travail d’atelier, par


exemple…

XVI
de la revue Notre Librairie dans le débat des littératures nationales
et des littératures émergentes…
Sous le strict angle de la littérature africaine, avant de
s’intéresser à la littérature burkinabè écrite, on note que le Prof.
Salaka s’est intéressé à pratiquement tous les genres. Le document
portant sur la culture rappelle qu’il a établi le bilan partiel des ateliers
d’Arts dramatiques du Burkina, à partir des services extérieurs de
l’Université (1982-1983) mais aussi à partir des deux premières
années de la Semaine Nationale de la Culture (Gaoua 84, Bobo 86)
à partir du « Spectacle et de sa fonction sociale ». Il a produit une
présentation détaillée et minutieuse de Manéga, le sanctuaire culturel
de Maître Pacéré Titinga, chez qui, il a trouvé, spécifiquement, une
littérature dite “littérature culturelle” dont la tension critique lui
permet de mettre en évidence avec la Bendrologie, une littérature du
tam-tam, une littérature de la musique et du chant, une littérature de
la danse et du mouvement, une littérature du discours et de la parole
dont les caractéristiques seraient la connaissance, l’historiographie et
l’organisation de la société traditionnelle mais aussi la centralité de
l’homme de lettres dans l’univers de valeurs. Critique et homme de
terrain, ces travaux comparatifs saisissent dans le vif la spécificité
inclusive des spectacles des masques (sacrés ou profanes) où le cycle
mystique de l’homme et de la nature s’appellent et s’interpénètrent,
par rapport aux spectacles modernes.
À ceux qui pourraient se demander pourquoi une telle débauche
d’énergie, pourquoi ces intérêts pour des objets de connaissance, a
priori, loin de son centre d’intérêt principal que sont le roman
africain, le roman burkinabè, l’article « De quoi hériteront les jeunes
générations ? » (2014, pp. 32-66) apporte une réponse :
Si nous sommes convaincus que l’éducation traditionnelle en
Afrique a toujours eu pour ambition et finalité de faire un
homme accompli, un homme sur lequel son groupe saura
compter, en tout temps et tout lieu, alors nous avons la voie
dans laquelle nous devons nous engager pour léguer à notre

XVII
jeunesse les repères dont elle aura besoin pour exister et faire
face à toutes les adversités qu’elle rencontrera. (Loc. cit., p.
64)
Arithmétiquement, on aura remarqué que la moitié des travaux
du critique est consacrée à la Littérature burkinabè. Sous ce chapitre,
il y a, rangées des contributions sur « Les caractéristiques de la poésie
écrite du Burkina Faso », des travaux sur le théâtre, sur la Littérature
de jeunesse avec « Mes flèches blanches de Roger Nikiema », mais
aussi sur le roman (notamment « Le héros du roman Burkina ou le
roman comme véhicule de l’identité culturelle » (1999, pp. 165-181)
(à partir de ces repères historiques, de sa topographie, de ses sources
d’inspirations, etc.)
Pour arriver à ces conclusions sur des genres particuliers et des
motifs littéraires divers, le critique s’est longuement interrogé sur les
conditions d’existence de cette littérature burkinabè : « La littérature
burkinabè écrite d’expression française. Naissance et
évolution 1962-juillet 1990 » (1993, pp. 63-72), « Problématique de
la littérature au Burkina Faso » (1989, pp. 149-173) et « Les formes
d’organisation et la responsabilité des écrivains burkinabè » (1993,
pp. 148-167) et autres contributions rappellent, dans une approche
bourdieusienne et d’histoire littéraire, qu’il faut sortir du sentiment
des écrivains et du problème de l’écriture pour prendre en compte
le champ littéraire. Si à l’échelle de la littérature africaine, l’exemple
de l’analyse de Notre Librairie a été avancé, pour la littérature
burkinabè, Salaka a conduit des études importantes qui portent sur
les institutions mises en place, sur les principaux acteurs, sur les prix
littéraires.
Pour prendre un exemple particulièrement marquant, le texte
« Les formes d’organisation et la responsabilité des écrivains
burkinabè » (loc. cit.) est une étude historique et chronologique des
tentatives de regroupements des écrivains du Burkina Faso, en
partant du CALAHV (le Cercle d’activités littéraires et des
artistiques de Haute-Volta, créé en 1966), en passant par l’UVAC

XVIII
(Union voltaïque des associations culturelles, qui a existé entre 1966
et 1974), en passant par les échecs de la SEV (Société des écrivains
voltaïques), l’APB (Association des poètes burkinabè, mise en place
le 18 novembre 1984), à l’UGEL (Union gens de lettres du
Burkina)…
« De la philosophie des concours littéraires au Burkina Faso »
montre les mécanismes et les étapes par lesquels, depuis 1983,
l’Administration culturelle (notamment le ministère de la Culture) a
encouragé la création par l’impression des textes primés lors de
Concours littéraires GPNAL et autres. Ce faisant, elle a ainsi
accompagné le développement d’un champ littéraire (par la
politique des langues nationales et politiques de publication des
textes de la paralittérature…).
Si on peut se poser la question d’une littérature nationale
burkinabè, les travaux de Salaka répondent avec ce leitmotiv présent
dans plusieurs articles (La littérature burkinabè existe ; il y a les
hommes, il y a les œuvres)2. Cette affirmation importante dépasse la
valeur de scansion pour constituer un horizon de démonstration qui
se remplit progressivement par la convocation des grands genres
(roman, théâtre, poésie) mais aussi par la mise en orbite d’écrivains
sélectionnés et présentés comme pour constituer progressivement
les épigones de la littérature burkinabè. Je le cite :
[Les] différents concours ont permis de découvrir et ont
servi de rampe de lancement à une nouvelle génération
d’écrivains après les anciens comme le regretté Nazi Boni,
Maitre Pacéré Titinga, Nikiéma Roger, Coulibaly Sondé
Augustin, Kollin Noaga : ainsi des noms comme Bazié
Jacques Prosper, Hien Ansonwin Ignace, Ilboudo
Gomdaogo Patrick, Ilboudo Pierre Claver, Dao-Sanou
Bernadette, Somé Jean Baptiste, Zongo Norbert, Zongo

2 Les formes d’organisation (p. 150) ; « La littérature burkinabè écrite d’expression


française (p. 63) ; Le roman comme véhicule de l’identité culturelle (p. 166) ; La
littérature burkinabè ; une littérature émergente (p. 177)…

XIX
Martin, Hama Baba, Bazié Jean Hubert vont être
révélés. (loc. cit., p. 167)
Dans “Les raisons de la critique pure”, on retrouve cette
constante que « la critique a pour une de ses tâches de reverser sur
la littérature du passé l’expérience littéraire du présent. » (G.
Genette, 1969, p. 14). De ce point de vue, la démarche du Prof.
Salaka pose fondamentalement la question d’une pensée critique
endogène et autonome pour cerner au plus près la littérature
africaine et notre façon spécifique d’être au monde.
M. Foucault (1994, pp. 789-821) propose une nuance essentielle
entre le texte et l’œuvre : le premier texte (texte, testus, est
combinaison avec un souci de démonstration limitée dans l’espace
et dans le temps : Testus au sens de tissage alors que l’œuvre est
construction systémique (avec une volonté de totalisation, il est
vrai). À la recherche de l’origine de l’origine dans les traces des textes
de Salaka, l’on débouche immanquablement sur une œuvre : celle
d’une postulation documentée d’une littérature burkinabè, avec son
histoire, ses hommes, ses textes et ses œuvres. En passant des textes
à l’œuvre, des contributions à la Contribution, les travaux du Maître
jouent bien le rôle de pionnier dans un champ en pleine
construction. Dans la préface qu’il propose à l’excellent livre La
littérature burkinabè : L’histoire, les hommes et les œuvres
(PULIM, 2000), Jean-Marie Grassin rappelle bien que ce document
complète très heureusement le numéro de Notre Librairie consacré
à la littérature burkinabè (p. 9). Il tire la conclusion centrale et que
l’objectif de ce livre est de faire connaître « les producteurs et les
œuvres », l’ambition de faciliter l’enseignement de cette littérature
montre que l’on est passé d’une phase de postulation de cette
littérature à l’établissement d’un panorama de la réalité de cette
littérature avec un outil de prime importance.
En substance, le don de livres est comme un don d’engrais, de
l’engrais biologique qui va fertiliser. Qui donne un livre, donne une
culture, qui donne un livre sème la connaissance au gré du vent…

XX
Qui donne un livre marque son amour, son souci de voir celui à qui
il donne évoluer mais aussi « Pour que, plus jamais, un Maître ne
laisse ses disciples sans héritage ».
À l’origine de l’origine de la contribution du Pr. Salaka, aux
études africanistes à partir de ce corpus impressionnant et dense, il
y a l’affirmation d’une culture et d’une littérature écrite africaine et
singulièrement une littérature burkinabè écrite. Chez le critique, il y
a aussi cette tension du devenir de la culture : devenir critique,
devenir social dans un univers du simulacre et de la globalisation :
une culture, enjeu de pouvoir plus que jamais…
Aux étudiants et aux disciples de Pr Sanou, Senghor dans Elégie
des Circoncis nous rappelle qu’avec la circoncision, l’initiation n’est
pas finie c’est pourquoi, le Circoncis, le nouvel initié, ne peut que
s’écrier :
Maître des Initiés, j’ai besoin, je le sais, de ton savoir pour
percer le chiffre des choses
Prendre connaissance de mes fonctions de père […]
Mesurer exactement le champ de mes charges, répartir la
moisson sans oublier un ouvrier ni orphelin.
(L. S. Senghor, 1967, p. 155)
En véritable arpenteur du champ littéraire burkinabè et africain,
le Prof. Salaka a fait sa part, il a produit une cartographie vivante et
remplissant plus qu’on ne pouvait en attendre.

Prof. COULIBALY Adama,


Professeur Titulaire du CAMES
Littérature africaine francophone
Université Félix Houphouët Boigny
Département de Lettres modernes

XXI
Références bibliograghiques

DERRIDA Jacques, 1967, De la grammatologie, Paris, Minuit.


FOUCAULT Michel, 1994, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Dits et
écrits, Paris, Gallimard, Tome 1, pp. 789-821.
GENETTE Gérard, « Raisons de la critique pure », Figures II, Paris,
Seuil, 1969, pp.
SANOU Salaka,
- 2000, La littérature burkinabè : L’histoire, les hommes et les
œuvres, Presses universitaires de Limoges,
« Francophonies ».
- « Études littératures africaines et littératures émergentes :
quelles méthodologies », p. 204.
- « Mes flèches blanches ou Roger Nikiema et la poésie
illustrée pour enfants »
- 1989, « Problématique de la littérature au Burkina Faso »,
Annales Université de Ouagadougou, Série A, Vol. 2, pp.
149-173.
- 1993, « La littérature burkinabè écrite d’expression française.
Naissance et évolution 1962-juillet 1990 » Cahiers de
Linguistique sociale, pp. 63-72, « Le Français au Burkina
Faso », Claude Caitucoli (dir.)
- 1993, « Les formes d’organisation et la responsabilité des
écrivains burkinabè », Cahiers du CERLESHS, n° 8, pp.
148-167.
- 1999, « Le roman comme véhicule de l’identité culturelle au
Burkina Faso », Francophonie et Identités culturelles,
Karthala, pp. 165-181, Christiane Albert (dir.)
- 2005, « La problématique de l’édition littéraire au Burkina
Faso », Langues et Littératures, Revue du Groupe d’études
Linguistiques et littéraires, Université Gaston Berger-Saint
Louis, n° 9, pp.
- 2014, « De quoi hériteront les jeunes générations », Actes du
Colloque sur la Personnalité, la pensée et l’œuvre de Mgr
Anselme Titianma Sanon et la théologie africaine (Bobo-
Dioulasso 5-7 septembre 2012), mai, pp. 32-6666

XXII
- 2009, « Afrique-Antilles : une rencontre, des expériences, un
mouvement : la Négritude », Annales de l’Université de
Ouagadougou, Serie A, Vol. 8, pp. 353-374.
SENGHOR Léopold Sédar, « Elégie des Circoncis »,
Nocturnes, 1967.

XXIII
XXIV
5. Le français, un habit à la taille du locuteur
burkinabè

Béli Mathieu DAÏLA


Docteur en Sciences du langage
Université de Dédougou, Burkina Faso
E-mail : dailamathieu@yahoo.fr

Résumé
Le Burkina Faso est reconnu en Afrique de l’Ouest comme le pays « des
deux roues » parce que le moyen de locomotion le plus pratique et le plus
utilisé est la moto. Cette familiarité des populations avec les deux roues
entraîne tout un parler. C’est pourquoi le présent article dont le titre est «
Le français un habit à la taille du locuteur burkinabè » fait une analyse
sociolinguistique de la désignation des motos au Burkina Faso. Cet article
s’articule autour des préoccupations suivantes : dans quels contextes les
populations surnomment- elles les motos ? Comment les locuteurs du
français appréhendent-ils ce phénomène langagier ? La méthode d’analyse
emprunte les outils de la sociolinguistique et la grammaire.

Mots-clés : sociolinguistique-parlers- ville-locuteur-français

Abstract
Burkina Faso is commonly known as "the capital of motorcycles" because
the most convenient and used means of transportation is motorcycle. This
familiarity of the populations with the two wheels causes a whole speech.
This is why this article whose title is "French a dress the size of the
Burkinabe speaker" makes a sociolinguistic analysis of the designation of
motorcycles in Burkina Faso. This article focuses on the following
concerns: In what contexts do people call motorcycles? How do French
speakers apprehend this language phenomenon? The method of analysis
borrows the tools of sociolinguistics and grammar.

Keywords: sociolinguistics-speaking-city-speaker-french

75
Introduction

Le recensement général de la population réalisé en 2006 par


l’Institut national de la statistique et de la démographie, le Burkina
Faso a une forte proportion de jeunes. Cette forte proportion des
jeunes a pour conséquence des problèmes complexes sur le plan
économique, politique, social, culturel et surtout linguistique. Pour
G. Kedrebeogo et alii (1982), la population burkinabè est composée
de 59 ethnies parlant plusieurs langues. En effet, le contexte
linguistique est singulier du fait de la rivalité entre les langues
nationales et le français, la langue officielle. Ainsi, cette
configuration sociolinguistique amène la communication publique à
se faire très souvent en français au Burkina Faso. Même si ce français
n’est pas celui du « Bon Usage », ni du « Robert », il en demeure un
qui permet l’intercommunication d’un groupe à un autre, d’une
localité à une autre et presque commun au Burkinabè. Il vaut mieux
s’exprimer dans ce français qui ne trouve sa norme que chez le
locuteur que de parler sa langue maternelle quand on veut être
écouté en ville. C’est ainsi que l’on observe un parler dans les
dénominations des engins à deux-roues.

1. Problématique

En Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso est reconnu comme le


pays « des deux roues ». En effet, ce qui apparaît aux yeux du visiteur
nouvellement arrivé à Ouagadougou tout comme dans les autres
villes, c’est le nombre élevé de motos et de vélos qu'il rencontre.
Cette familiarité des populations avec les deux roues entraîne tout
un parler dans le français parlé au quotidien chez les jeunes. C’est
pourquoi le présent article dont le titre est « Le français un habit à la
taille du locuteur burkinabè » fait une analyse sociolinguistique de la
désignation des motos au Burkina. Cet article s’articule autour des
préoccupations suivantes : dans quels contextes les populations

76
surnomment- elles les motos ? Comment les locuteurs du français
appréhendent-ils ce phénomène langagier ?

Méthodologie
Dans le but d’obtenir des données nécessaires pour la réalisation
de ce travail, nous avons utilisé principalement deux outils pour la
collecte des données : le questionnaire d’enquête et l’entretien direct
participatif. Les fiches d’enquêtes ont permis de recueillir les
désignations des engins à deux-roues dans les différentes villes et les
informations y afférentes. Pour ce qui est des entretiens directs
participatifs, ils ont permis de savoir les mobiles qui sous-entendent
ces désignations. Cette étude a concerné une population de soixante
(60) personnes dans les trois grandes villes du Burkina Faso
(Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Koudougou), à raison de vingt
(20) personnes par ville.

2. Aperçu historique des deux roues au Burkina

L’histoire des motocyclettes est liée à celle de l’arrivée du colon


et de l’installation de l’administration coloniale au Burkina Faso, ex
Haute-Volta (1887-1888). Le colon pour parcourir les localités du
Burkina a eu besoin de moyens de locomotions, et le moyen de
locomotion qui convenait le mieux était le vélo ou le cyclomoteur.
Le vélo était réservé pour les courtes distances et le cyclomoteur
pour les longues. Ainsi, pour parcourir les différents cercles (cercles
de Fada, Gaoua Tenkodogo, Ouagadougou, Dédougou, Bobo-
Dioulasso.) afin de « civiliser » les populations ; il a fallu au colon
des engins à deux roues (vélocipède, vélomoteur, cyclomoteur). Les
deux roues ont d’abord été pour les colons et par la suite pour leurs
commis (les noirs qui étaient aux services du colon). Depuis les
années 1960 à nos jours, les deux-roues ont été et restent toujours
les moyens de locomotion préférentiels des Burkinabè. C’est cette
préférence des deux roues qui fait du Burkina Faso l’un des grands

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utilisateurs des deux-roues au plan mondial. Ils font donc partie
intégrante du vécu quotidien des populations à tel enseigne qu’ils
constituent un vocabulaire spécifique.

3. Le français, un outil tel habit moulant

Dans la désignation des deux roues au Burkina, les populations


nomment les engins selon, leur compétence linguistique qui ne
respectent pas les normes du français standard. Il s’agit d’une
désignation des engins à deux roues selon les circonstances et les
contextes dans le temps et l’espace. Ici, le français parlé est fonction
de la culture et des besoins du locuteur. Plus un locuteur est
compétent en français, il choisira la forme basilectale et/ou
mésolectale dans la désignation de la moto selon qu’il est à en classe
ou au marché. Cette variation du français est une sorte d’habit taillé
qui moule bien avec le locuteur. Les différentes désignations varient
d’une localité à une autre et d’un locuteur à un autre. Le tableau ci-
dessous donne les appellations des locuteurs (désignations des
locuteurs) et leurs correspondances en français standard (contextes
et structures lexico-sémantiques).

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Désignations des Contextes et structures lexico-sémantiques
locuteurs
Les néologismes de sens : syntagmes nominaux
Avion par terre Avion par terre (syntagme nominal) désigne la
SparkZ de marque Yamaha. Cette dénomination
de l’engin s’explique par sa taille basse.
Battement de cœur Battement de cœur (syntagme nominal) désigne la
Yamaha X -1R. La possession de ladite moto,
permet de conquérir le cœur des jeunes filles, car
dit-on, qu’elle accélère le battement cardiaque de
celles-ci.
Casseur de pieds Ce syntagme nominal désigne la Vespa 150. En
cas d’accident, son utilisateur s’en sort souvent
avec une fracture au pied ; d’où la désignation
casseur de pieds
Chaises à jardin Ce terme (syntagme nominal) désigne toutes les
petites motos dont la cylindrée n’excède pas 49,9
cm3. Cette désignation explique du fait que le
porte-bagage desdites motos n’est pas
confortable et ressemble à une chaise à jardin.
Enfants bâtards Enfants bâtards (/bogdel bi : / en moré) désigne la
Yamaha Spark X-1. En 2002, à la sortie celle-ci,
lesdits détenteurs ont fait des enfants adultérins ;
ce que lui vaut le surnom d’enfants bâtards.
La charrette chinoise La charrette chinoise ou la charrette de chine désigne la
Yamaha Mate 50 ou 80. Le terme de charrette au
Burkina Faso est un type de chariot généralement
tracté par un âne. Celui-ci est attribué à l’engin du
fait de sa puissance et de sa résistance.
La voiture burkinabè La voiture burkinabè désigne la Yamaha V80 parce
que, c’est une moto confortable, luxueuse pour
les Burkinabè. Ainsi l’assimile-t-on à une voiture.
Le chien de Dori Il désigne tous les gros châssis de CG125-6 ou
CG125-5. Bobo-Dioulasso est la cité des Bobos,
ceux-ci ont une relation à plaisanterie avec les
Peuls que l’on retrouve dans le sahel dont le chef-

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lieu de région est Dori. Donc tout utilisateur de
l’engin serait un Peul pour les Bobos.
Samedi soir Ce terme désigne la moto Yamaha à gros châssis
de type Sanya. Cette dénomination est due au fait
qu’en 2010, date de la sortie de la moto, elle était
une moto pour les soirées de samedi.
Tige de mil Il désigne la moto CT de marque Peugeot, ce
surnom fait allusion à la minceur de la CT par
rapport à la tige de mil.
Ma femme Ma femme désigne toute nouvelle moto que l’on
présente à un proche. La conversation suivante
illustre bien nos propos : « C’est comment les
gaza ? tout est opérationnel ? Je vous présente ma
nouvelle femme. »
Le char Le char (voiture de combat), Il désigne la moto
chez les jeunes.
La chinoiserie Le terme chinoiserie est péjoratif chez les
Burkinabè et est synonyme de pacotille. Il désigne
toutes les motos en provenance de la chine de
mauvaise qualité.
La pintade La pintade désigne la motocyclette Vespa. Cette
dénomination est due à la taille basse de ladite
motocyclette en comparaison à celle de la
pintade.
Le buffle Le buffle (animal sauvage) désigne dans ce
contexte la motocyclette de type LVS et de
marque Peugeot, distribuée par la S.I.F.A1. la
LVS a un gros réservoir, c’est pourquoi l’on
l’assimile au buffle.
Le retraité Le retraité (personne qui est à la retraite), il
désigne, ici, la Vespa. En effet dans les années
1990, des fonctionnaires achetaient la Vespa à

1Société Industrielle du Faso (S.I.F.A. 1984). Cette société a fait faillite dans les
années 2000.

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l’approche de leur retraite parce qu’elle est
résistante.
Le voyou Ce surnom est attribué à la TVS de type Apache,
parce qu’on estime que c’est la moto des voyous,
des militaires, etc.
Les emprunts de langues
Baba ni kongo Baba ni kongo [baba ni kgo] est une expression de
la langue dioula qui signifie « bonne arrivée
papa » quand celui-ci revient du champ. Il est une
formule dans ce contexte et désigne la
motobécane de marque Peugeot distribuée par
CAMICO.
Bobaraba Bobaraba [bobaraba] veut dire littéralement en
dioula « grosses fesses » parlant d’une femme
callipyge. Ce terme désigne la vespa du fait de la
rondeur de ses capots qui s’apparentent aux
« fesses d’une fille ».
Koro pa mon Koro pa mon [kↄrↄ pa m] (moré) ou [kↄrↄ ma
bãbã] (dioula) désigne la jailing ou la Jianshe125.
Littéralement, ces termes signifient « grand-frère
n’a pas grouillé » ou « grand-frère ne vaut rien ».
En clair, avoir cette moto est insigne de pauvreté
chez le parent ou l’aîné qui l’a acheté pour le fils
ou le cadet.
Tassaba Tassaba [tasaba] est une expression du dioula qui
signifie « gros plat », cependant le jargon confère
le sens de fille callipyge à tassaba. Cet emprunt de
langue est synonyme de bobaraba. Tassaba est la
P50 de marque Peugeot en opposition à la P50
Electric de la maison S.I.F.A.
Leguema logo Leguema logo [legemalↄgↄ] est un emprunt du
français au dioula. « Leguema » est un effort de
prononciation du mot français « légume » ; et le
terme de logo signifie marché en dioula. D’où
« leguema logo» signifie le marché de légume. En
effet, Leguema logo est un marché de légume situé

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au secteur numéro 1 de Bobo-Dioulasso. Dans ce
marché, presque toutes les vendeuses de légumes
et commerçantes ont pour préférence la Crypton
de couleur rouge. Donc c’est en référence à cette
situation que la moto fut surnommée leguema
logo. Nous signalons que depuis 2011, ce
marcher n’existe plus parc que ces occupant ont
été déguerpis.
Nanon Nanon [nan] est une expression du moré qui
signifie les « pieds du roi ». Il est attribué à la
Nano de marque Yamaha par sa robustesse et
son coût élevé. On ne peut s’acheter la Nano que
si on est « naba » ; c’est-dire riche. Parlant du
terme naba, il est polysémique et désigne chef en
langue moré, mais, l’on appelle aussi chef ou naba
celui qui est aisé ou qui est d’un rang social élevé.
King King est un mot emprunté à l’anglais qui signifie
roi. Le king est « toute moto vétuste chez les
jeunes Ouagalais ». Il est surtout utilisé par les
jeunes qui adhèrent au mouvement hip-hop.
Les acronymes et sigles
CAMICO Ici l’acronyme CAMICO (Comptoir de
l’automobile, du matériel industriel du cycle et de
l’outillage) indique l’industrie de montage des
engins de marque Peugeot et de type motobécane.
Donc l’objet est désigné par le nom du fabricant.
CENOU m’a sauvé Centre national des œuvres universitaires
(CENOU) désigne la moto de marque Peugeot et
de type P154. Cette désignation est née dans le
milieu estudiantin dans les années 1980. En effet,
cette structure accordait des prêts de motos aux
étudiants boursiers. Cet acronyme désigne le
cyclomoteur de type P154 et de marque Peugeot,
ainsi, l’on reconnaissait les étudiants à travers la
P 154. Comme ce don est une œuvre salvatrice

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du Centre national des œuvres universitaires
(CE.N.O.U.), la moto fut surnommée ainsi.
CG CG (dans Cercueil garanti ou dans Compaoré et
Gouama, Couche-toi à gauche au cimetière de
Gounghin, Casse gueule) désigne la moto de
marque Honda et de type 125 ou la Jincheng 125
à gros châssis. Cet acronyme humoristique est dû
au fait que ces motos exposent leur utilisateur au
danger de mort. Les utilisateurs ont de forte
malchance d’être trainés, « la gueule cassée » au
cimetière de Gounghin (quartier de
Ouagadougou).
KTM KTM [kanu tignƐ motokↄ]. Cet acronyme
signifie « le foyer ne se construit pas derrière la
moto » en dioula. Ce surnom est donné à l’engin
pour se moquer des filles qui aiment se faire
remorquer par celui-ci, croyant que le possesseur
ira au mariage avec elles. Il désigne la X-1 KTM
de marque Yamaha et est beaucoup fréquente
dans la ville de Bobo-Dioulasso.
JC Jamila Compaoré (JC) serait le nom de la fille de
l’ex-président du Burkina Faso Blaise Compaoré.
Et désigne toute motocyclette de type Jincheng.
LVS Longue vie à Sankara (LVS) est la moto de
marque Peugeot et de type LVS. Elle est apparue
sous le règne du capitaine Thomas Sankara
(1983- 1987).
Néologismes de sens : Les emprunts de noms
Arafat Emprunt du pseudonyme (l’artiste ivoirien, DJ
Arafat). Il désigne la moto Jupiter Gravita de
marque Yamaha.
Obama Obama est un emprunt de nom propre, il désigne
la moto SmartRX surtout de couleur noire griffée
de blanc. Selon les enquêtés, la couleur noire
(pantalon) et blanc (chemise) sont les couleurs

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préférées du président américain, Barack Hussen
Obama (44e président américain élu en 2008).
Jack Bauer Ce surnom est donné à la X-2. Ce terme a
emprunté le nom du personnage fictif, héros de
la série télévisée de 24 heures chrono. Kiefer
Sutherland qui incarne le personnage de Jack
Bauer.
Tiken Jah Tiken Jah ou CAM.ICO désignent la motobécane.
C’est le pseudonyme de Doumbia Moussa
Facoly. Cet artiste chanteur ivoirien dénonce la
politique néocoloniale de la France en Afrique dans
son album Françafrique paru en 2002.

En somme, ces désignations des deux roues selon le contexte


et les structures lexico-sémantiques démontrent la particularité de
l’usage du français au Burkina Faso. Ce français est taillé selon le
locuteur tel « un habit que l’on coud à sa taille » (Ahmadou
Kourouma cité par P. Dumont, 2001, p. 115).

4. Contexte d’utilisation des surnoms

La problématique de la sociolinguistique est très variée et


« englobe pratiquement tout ce qui est étude du langage dans son
contexte socioculturel » selon C. Baylon (1991, p. 35), ainsi les
surnoms dans leurs différents contextes constituent de l’argot. Cet
argot est propre à la jeunesse surtout urbaine. Ces parlures
argotiques sont utilisées par connivence, de façon ludique et par
effet de mode.
4.1. Par connivence
Les surnoms des motocyclettes sont donnés par connivence
parce qu’ils sont dans la majeure partie donnés par un groupe de
personnes bien précis et ensuite vulgarisés. Cet argot ayant un usage
caché est réservé à ce groupe. Ce caractère restreint ne permet pas
au locuteur du français standard de comprendre ces expressions. Il

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lui serait difficile de donner un sens aux différentes désignations
contenues dans le tableau précédent. De même, cette difficulté va
s’imposer à tout burkinabè qui n’est pas informé de l’existence d’un
tel phénomène langagier de comprendre ce langage. Ce jargon est
spécifique ; c’est-à-dire qu’il est réservé pour un domaine donné, à
une catégorie donnée et varie d’une localité à une autre et d’une
époque à une autre. Par exemple les désignations telles lèguema logo,
bobaraba, tassaba, baba ni kongo, kanu tignè motoko sont plus utilisés par
les dioulaphones, précisément dans la ville de Bobo-Dioulassso. Par
contre nanon, koro pa mon sont spécifiques aux locuteurs moréphones
de la ville de Ouagadougou et de Koudougou. Aussi, les surnoms
tels, CENOU m’a sauvé, le bac m’a sauvé, king, la chinoiserie sont
généralement ceux donnés par les lettrés ; c’est-à-dire les étudiants
et les fonctionnaires.
4.2. L’effet ludique
Dans le domaine des transports, il y a des désignations telles koro
pa mon [kↄrↄ pa m] (moré) ou [kↄrↄ ma bãbã] (dioula), bon arrivée
le peul, cercueil garanti ou casse gueule ou couche-toi à gauche au
cimetière de Gounghin qui sont tous des motocyclettes ou des
cyclomoteurs. Ces désignations sont attribuées aux engins dans le
but d’attirer l’attention des usagers sur le danger encouru, d’une part
et aussi plaisanter ou se moquer d’un proche ou d’une tierce
personne sans la dénigrer, d’autre part. C’est par le biais de la relation
à plaisanterie que le Bobo identifie les motocyclettes GC-125 au
Peul. Les propos suivants sont illustratifs : « Mon ami tu es tombé
bas en t’achetant ou koro ma banban [kↄrↄ ma bãbã] une kôrô pa
mon [kↄrↄ pa m] (selon les moréphones) ». La traduction littéraire
de cette phrase est : « tu es aussi pauvre à tel point que tu t’es résigné
à acheter la Jianshe ou la Jailing de marque Yamaha. » Ces propos
s’adressent à une personne dont le sujet parlant entretien des
relations de familiarité. En outre, dans le domaine de l’habillement,
les désignations comme laisses-moi chier, la folle relèvent du caractère

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ludique, dans le sens qu’il s’agit d’un métalangage. Les auteurs de
cette langue laissent paraître un jeu de signifiant du français qui
revêtent des signifiés nouveaux selon les cultures et les
circonstances. En somme, certains faits de langue dans la
désignation sont une sorte de raillerie d’un jeu de mots qui gardent
toujours son caractère cryptique comme toute langue spéciale.
4.3. L’effet de mode ou de style
Comme le souligne les romantiques au XVIIe siècle, le style est
personnel et unique. Il est la manière de faire ou d’être d’un individu.
Les auteurs des technolectes et néologismes choisissent, dans les
villes ou centres universitaires, ce style langagier au détriment des
désignations reconnues, parce qu’il est précis et économique. Toute
chose qui caractérise les valeurs emblématiques de l’argot. Les
technolectes et les néologismes étudiés illustrent le caractère
économique à travers la troncation et la néographie. Les exemples
tels moto, sat, k, bac, etc., dans la désignation des engins à deux
roues ; et ceux relevés dans l’écriture phonétique comme mank, dcd,
prkw, kdo, sont suffisamment illustratifs. Les auteurs des surnoms
préfèrent ceux-ci par rapport aux désignations reconnues parce
qu’ils sont précis et économiques. L’argot est précis dans la
désignation et économique, et cela s’explique. Les surnoms donnés
sont évolutifs et peuvent changer selon les générations, ainsi avons-
nous par exemple CAMICO (1960), baba ni kongo (1996) et tiken Jah
ou françafrique (1999 jusqu’à nos jours) pour désigner le même
référent à des périodes différentes ; la motobécane de marque
Peugeot.
Les différentes désignations des engins à deux roues ont une
valeur publicitaire et commerciale. L’approche de la désignation
repose sur une dimension markéting, dont l’un des supports est la
construction de la relation entre le client, sinon le client potentiel, et
l’objet mis en valeur et en évidence.
En effet, les désignations peuvent inciter à l’achat d’un engin.
L’allusion faite aux acteurs de la musique (Tiken Jah, Arafat), du

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cinéma (Jack Bauer) et aux hommes politiques (Obama) est un
moyen de valorisation à partir d’une figure emblématique du monde
des stars. Une telle démarche publicitaire qui incite à l’achat montre
que la communication a des enjeux socio-économiques directs. La
désignation Obama, Tiken Jah, Arafat, Jack Bauer à la motocyclette par
les locuteurs du français parlé au quotidien dans les villes du Burkina
finit par être intégrée et griffée sur ladite moto. Cela peut s’entendre
par le processus de lexicalisation du mot. Le nom propre devient un
nom commun, plus précisément une désignation qui donne une
envie à acheter l’objet qui est la moto. Ce processus de lexicalisation
traduit que la communication et la dimension markéting qui y est
associée s’intègrent dans un environnement social marqué par la
proximité entre les destinataires des messages et les figures mises en
évidence.

Conclusion

Cet article présente les variétés linguistiques observées chez les


populations des villes du Burkina Faso (Koudougou, Bobo-
Dioulasso et Ouagadougou). Elles sont entre autres des sigles, des
emprunts, des calques, des troncations des lexies créées, des noms
propres et du verbatim, tous dans des parlures argotiques. Si l’usage
de ces parlures relève souvent du niveau d’instruction et de
l’influence des langues nationales, il est aussi une volonté de la part
des locuteurs de se démarquer à travers celles-ci.
Pour certains enquêtés il y a lieu « d’africaniser » les réalités de
l’occident ou de parler du « français à l’africain » pour se ressentir
affranchi de la colonisation linguistique dont le Burkina Faso a été
victime. Par contre d’autres y trouvent un style, une mode, une
appartenance à une catégorie sociale ou une familiarité. Aussi les
évènements sociaux, historiques, politiques, économiques et la
mode influencent grandement les populations et les jeunes surtout
à surnommer les motos.

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