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MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE Université Virtuelle du Sénégal

SUPPORT DE COURS UVS 2016 LICENCE 2 SOC

LICENCE 2

SOCIOLOGIE
Sociologie A
fricaine
Historique d
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sociologie e
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t Concepte
Enseignan

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Fevrier 2016
SUPPORT DE COURS UVS 2016 LICENCE 2 SOC

INTRODUCTION
L’Afrique n’a pas toujours été étudiée par la sociologie. Pendant longtemps, les
sciences sociales qui y dominaient étaient l’ethnologie, l’anthropologie à côté
des sciences humaines et sociales plus classiques que sont l’histoire, la géogra-
phie, etc.

Pourtant, il est important, au moment où les sciences sociales comme la socio-


logie triomphent, gagnent une représentation plus importante sur l’échiquier
des disciplines qu’elles sachent leurs traditions, leur histoire des idées. Ce défi
Enseignant Concepteur : Dr Tidjane NDOYE

est d’autant plus important que la sociologie portant sur des problématiques
africaines est jusque là très peu pratiquée de façon systématique. A un moment
où l’histoire de ces idées est bien assise dans d’autres pays occidentaux notam-
ment, en Afrique, du travail reste à faire.

Cette situation s’explique par le fait que « (…) l’Afrique a été longtemps vue plus
comme un « terrain » pour les africanistes, spécialistes de sciences sociales (eth-
nologues, sociologues, démographes, socio-anthropologues), que comme un lieu
de production de connaissances sociologiques et de formation de sociologues. »
(Hirchhorn, Tamba, 2010 : 14).

Pourtant, le travail d’exhumation de cette histoire, de ce cheminement reste


crucial si l’Afrique veut bâtir une sociologie digne de ce nom. Comme le disent
M. Tamba et M. Hirhhorn : « (…) les sociologues africains ne pourront faire face
à la mondialisation que s’ils sont capables de proposer au continent une nouvelle
vision de son avenir, et ils ne pourront y arriver que s’ils assument pleinement la
responsabilité de la construction de leur discipline, que s’ils élaborent enfin une
sociologie émancipée du prisme de « l’européocentrisme » et libérée à la fois de «
«l’afropessimisme» » et de «l’afrooptimisme» » (Hirchhorn, Tamba, 2010 : 14).

Le cours propose un tel écart : interroger d’un côté les savoirs qui peuvent
rendre compte de la réflexion sociologique en Afrique d’où qu’ils viennent
(romans, philosophies, sociologues « africanistes », autres sciences sociales) de
l’autre s’émanciper autant que faire se peut de l’« européocentrisme » qui freine
l’interrogation de la tradition de pensée afro-enracinée (bibliothèque musul-
mane, etc.).

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HISTORIQUE DE LA SOCIOLOGIE EN AFRIQUE


thropologie sociale fait partie des études sociologiques,
1-Rappels sur l’histoire de la discipline en Afrique les deux disciplines se distinguent par leur objet et leur
méthode : « L’anthropologie étudie directement les so-
Il est difficile de parler de sociologie, de son histoire ciétés primitives ; il habite sur place pendant des mois
en Afrique sans passer par des étapes qui se réfèrent et des années, tandis que la recherche sociologique s’ef-
à d’autres disciplines ou traditions « littéraires », dis- fectue principalement sur la base de documents et de
cursives, etc. : les récits de voyageurs et explorateurs, statistiques. L’anthropologie étudie les sociétés en tant
l’ethnographie, l’ethnologie, l’anthropologie, l’histoire, qu’entités » (cité par Lombard, op. cit. p. 13).
etc.
« Ce qui est évident à partir de 1930, c’est la place accor-
1-1- De l’ethnologie à la sociologie en Afrique dée à la compilation des données sociales et statistiques
puis, de manière plus systématique, approfondie et au-

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« L’ethnologie, c’est tout d’abord le regard posé sur l’autre, tonome, à la collecte et à l’analyse de données d’abord
le désir de connaissance de ces peuples, plus ou moins administratives puis plus ethnographiques par les fonc-
distants, mais parfois proches, qui nous semblent si dif- tionnaires en poste » (Copans, 2014 : 54).
férents de nous. Curiosité banale, à l’origine, de la décou-
verte de l’inconnu, terres à explorer ou cimes inviolées Il faut d’abord rappeler que l’Afrique était l’espace par
à gravir, mers lointaines à sillonner, mais aussi popu- excellence de l’ethnologie et de l’anthropologie. Les
lations apparemment étranges à connaître et à com- ethnologues comme Georges Balandier ont été mobi-
prendre. Curiosité qui devient alors plus scientifique, lisés pour fournir des renseignements sur les pays co-
dans la mesure où cette recherche de l’autre aboutit à lonisés par la France. Félix Eboué va être à l’origine de
une réflexion sur la nature humaine, sur ses ressem- la création d’un centre de recherches ethnologiques.
blances et ses différences et sur les raisons de celles-ci » La volonté de mettre en place une politique
(Lombard, 1998 : 17). « fondée sur le respect des institutions et des coutumes
traditionnelles » (cf. Copans, 2014 : 56) amène Félix
L’Afrique a tout d’abord été rapportée de ce point de Eboué à s’attacher les services d’une ethnologie qui
vue : des récits des voyageurs sur la curiosité que sus- lui permette de prendre les bonnes décisions dans les
cite les mœurs des « autres » que sont les africains. colonies : élire un bon chef, légitime, accepté dans sa
C’est progressivement que la rigueur devient plus communauté. Le gouverneur Bayardelle va transfor-
effective et les descriptions moins caricaturales. Le mer le centre en un institut d’études centrafricaines
travail de découverte et de rapportage amène à parler et justifie ses ambitions de la sorte : « la connaissance
d’ethnographie qui se focalise plus sur les descriptions, approfondie et rationnelle d’un pays est l’un des instru-
les analyses et systématisations arrivant plus loin et se ments indispensables de l’action. Et, par ‟connaissance
rapportant à l’ethnologie. En France ce concept va être rationnelle”, il faut entendre une connaissance qui va à
pendant longtemps préférée à celle d’anthropologie la source et au détail » (Copans, op. cit. : 56).
qui, pourtant, se rapporte à un travail similaire dans
le monde anglo-saxon. La sociologie apparaît ainsi Ces travaux étaient d’abord destinés à l’administration
comme le moment final de cette approche graduelle. qui décide de sa publication ou non. Pour la Grande
Bretagne, l’anthropologie sociale, dite de gouverne-
Jacques Lombard (1998) dans Introduction à l’ethno- ment, avec une approche assumée d’inspirer l’action
logie introduit de façon pédagogique une telle distinc- coloniale, était déjà très avancée dans ce sens contrai-
tion intéressante de l’anthropologie et de la sociologie rement à la France et ses chercheurs comme Georges
en s’inspirant de l’anthropologie anglaise : « La socio- Balandier. Ces travaux visaient d’abord à maintenir
logie selon L. Mair, est l’étude de la société et l’anthropo- l’ordre de la société et donc des colonies. Le sociologue
logie sociale une branche de celle-ci » (An introduction d’alors (comme Georges Balandier, alors engagé sur
to Social anthropology, Oxford, OUP, 1970. P.1) . les chantiers de la commande), si on peut utiliser ce
terme, « se trouve ainsi au carrefour de l’action pratique,
Poussant la distinction Jacques Lombard cite E. E. prépolitique en un sens, et de la compréhension scienti-
Evans-Pritchard qui affirme que si à ses yeux « l’an- fique » (idem : 57). Georges Balandier s’y est beau-
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coup adonné en Afrique centrale (Gabon, Congo). Les élément extérieur à ce dernier peut saisir la structure
recherches de sociologie urbaine en Afrique centrale totale de ce système. C’est dire que l’anthropologue de
et de l’Ouest permettent à G. Balandier et à d’autres terrain voit encore sa situation concrète d’Européen
d’entamer un regard renouvelé sur l’Afrique en mou- comme condition du savoir qu’il vise à élaborer (Co-
vement. pans, id : 431-432).

1-2- Les faits à l’origine du retard d’une sociologie Les anthropologues britanniques, à travers l’anthro-
au Sénégal pologie appliquée, vont jouer un rôle important et
affirmé dans le sens de l’indirect rule (politique d’ad-
« Les sociétés africaines ont longtemps été appréhendées ministration indirecte). En France, les anthropologues
suivant le clivage manichéen tradition/modernité. Cette vont jouer un rôle analogue mais sans que ce soit ins-
tradition «française» que Balandier a commencé à in- titutionnalisé. Mais après une avance fulgurante de
fléchir peut s’expliquer par les influences dues à la filia- l’anthropologie britannique qui va fonder plusieurs
tion de l’école française de sociologie. Le «dépositaire du courants théoriques comme l’anthropologie politique
positivisme comtien», Durkheim, avait en effet conçu (avec Malinowski qui dira find the chief pour com-
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les sociétés sur le mode de deux types de «solidarité prendre la structure politique locale), économique,
sociale» : l’une mécanique (ou par similitudes) rele- l’anthropologie française va précéder dans le domaine
vant des sociétés dites primitives, l’autre organique, de la prise en compte des évolutions en cours au sein
procédant des sociétés «complexes» ou modernes », des colonies en promouvant une sociologie consacrée
(Fred Eboko, Durkheim et l’Afrique contemporaine, à l’Afrique.
vers une relecture de durkheim et de la sociologie
africaniste). « Dès 1925 en effet, Mauss, Lévy-Bruhl et 2. L’avènement de la sociologie africaine
Paul Rivet créent l’Institut d’ethnologie de l’Université
de Paris. Leurs élèves se déploient sur le continent afri- La naissance de ce qu’il est convenu d’appeler la so-
cain, notamment au sein de l’empire colonial français ciologie africaine est à situer dans les années 1950 et
et perpétuent à bien des égards une logique monogra- s’inscrit dans une série de ruptures. On peut dénom-
phique érigeant les sociétés africaines en communautés brer trois niveaux de ruptures : une rupture empirique
anhistoriques (Fred Eboko, idem). C’est ce qui fait dire (prise en compte effective de l’histoire réelle des popu-
que « (…) l’Afrique a été longtemps vue plus comme un lations africaines), une rupture au niveau de l’échelle
« terrain » pour les africanistes, spécialistes de sciences d’observation et d’analyse (on passe de la monogra-
sociales (ethnologues, sociologues, démographes, socio- phie villageoise aux groupes sociaux nationaux) et
anthropologues), que comme un lieu de production de enfin rupture théorique (prise de distance vis-à-vis de
connaissances sociologiques et de formation de sociolo- l’idéalisme griaulien et adoption d’une explication de
gues. » (Hirchhorn, Tamba, 2010 : 14). type matérialiste et historique). Cette rupture permet
de réfléchir les sociétés « traditionnalistes » engagées
L’évolution de la réflexion qui va conduire à l’avène- dans un processus rapide de modernisation avec un
ment de la sociologie africaine est étroitement liée à accent mis sur les conséquences de la colonisation.
l’histoire de la présence occidentale en Afrique. C’est d’ailleurs cet intérêt pour la modernisation qui
De voyageur explorateur, on est passé au mission- va, en partie, enrichir la réflexion sur la sociologie du
naire, au militaire à l’administrateur et enfin à l’ethno- développement.
logue. L’ethnologue a eu donc une autonomie relative.
Pour l’anthropologie, K. Gough en dit qu’elle est fille Plusieurs fondements de l’anthropologie et de l’eth-
de l’impérialisme. Pour les Victoriens, l’anthropologie nologie classiques vont être remises en question pour
reflétait le discours et la pratique d’une société qui se fonder l’armature théorique de cette nouvelle disci-
donnait l’alibi, la bonne conscience et le luxe d’une pline :
« scientificité » de ses pratiques coloniales. Pour l’an- 1) les sociétés africaines ont une histoire,
thropologue de terrain, sa position d’Européen a une 2) les mouvements sociaux et idéologiques (messia-
signification scientifique précise et seulement une nismes, syncrétismes, idéologies et partis politiques)
signification scientifique (méthodologique) : la com- enregistrés relèvent de la structure passée mais éga-
préhension de systèmes sociaux réels suppose une lement des transformations occasionnées par la situa-
certaine extériorité par rapport a ce système. Seul un tion coloniale
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3) la situation coloniale est un phénomène inégali- l’Afrique tropicale (1963).


taire.
Ces mouvements religieux vont avoir un impact sur les
La sociologie africaine naissante va réfléchir la mon- évolutions sociopolitiques de cette partie de l’Afrique.
tée des nationalismes africains. Quelques dates vont Mais l’avènement de la décolonisation va changer les
être marquantes : I945, émeutes d’Algérie; 1947, sou- acteurs mais pas forcément les thématiques puisque
lèvement malgache; I946-I953, guerre d’Indochine; le néocolonialisme va se substituer au colonialisme.
1947-I949, grèves en AOF; 1952, soulèvement mau- L’approche marxiste va permettre de réfléchir les nou-
mau; I947, indépendance indienne ; 1949, socialisme velles configurations entre anciens colonisateurs et
en Chine; I955 enfin, Bandoeng... colonisés. Les pays nouvellement colonisés intègrent
un système mondial impérialiste. L’institution d’une
Les africanistes non engagés dans une dépendance à économie capitaliste aura pour conséquence un déve-
l’administration coloniale vont profiter de ce moment loppement de classes sociales qui vont intéresser les
pour engager une autre réflexion que les cadres clas- marxistes.

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siques d’interprétation comme celui de M. Griaule ne
pouvaient plus permettre de comprendre. Face aux La réflexion qui structure la sociologie africaine se
changements profonds qui affectaient ces sociétés en- construit à travers plusieurs disciplines. Fidèle Pierre
gagées dans des mouvements profonds de lutte pour Nze-Nguéma résume bien la constitution de cette
l’autodétermination, d’autres postures théoriques se discipline en Afrique : « Parler de sociologie et de la
sont imposées d’autant qu’émergeait localement une construction du champ scientifique en Afrique, c’est
nouvelle élite qui tentait une remise en question cri- non seulement prendre appui sur d’autres disciplines
tique de la situation coloniale. connexes en sciences sociales, c’est aussi porter un autre
regard sur ces divers champs avec, pour exigence épisté-
La sociologie africaine va s’imposer progressivement mologique fondamentale, de saisir la nécessaire dialec-
dans la deuxième moitié des années 1950. Des socio- tique entre une science dont la vocation affirmée était
logues comme G. Gurvitch vont s’illustrer dans ces alors de répondre aux interrogations de sociétés entrées
nouvelles voies. Une conscientisation idéologique en modernité et un continent qu’une certaine idéologie
et politique des étudiants va être occasionnée par la européocentriste, dont Hegel fut l’épigone, s’était empres-
guerre d’Algérie et les autres guerres de libération sée de ranger aux marges de l’histoire » (Nze-Nguema,
nationale. Dans les années 1960 va être officialisée à 2010 : 30).
travers les Cahiers d’Etudes africaines de même que
l’inscription de ce domaine dans la recherche et l’en-
seignement (certificats de sociologie et d’histoire de

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