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Etudes

africaines

Lambert Mossoa

Où va
la Centrafrique ?
Où va la Centrafrique ?
Collection « Études africaines »
dirigée par Denis Pryen et son équipe

Forte de plus de mille titres publiés à ce jour, la collection


« Études africaines » fait peau neuve. Elle présentera
toujours les essais généraux qui ont fait son succès, mais se
déclinera désormais également par séries thématiques : droit,
économie, politique, sociologie, etc.

Dernières parutions
AMBOULOU (Hygin Didace), La déjudiciarisation et les procédures
non contentieuses en Afrique, 2015.
BOUOPDA (Pierre Kamé), L’indépendance du Cameroun, Gloire et
naufrages politiques de l’UPC, 2015.
YEKOKA (Jean Félix), KIDIBA (Samuel) et LEMBIKISSA
(Augus) (dir.), Le mariage coutumier chez les Suundi du Congo-
Brazzaville, 2015.
VITA (Ndugumbo), SAVARD (Denis), FOURNIER (Jean-
Pierre), Reconstruire l'éducation "après-guerre" en R.D. Congo, 2015.
NGOULOURE NJOYA (Moïse), Les unions consensuelles chez les
femmes africaines, 2015.
DE YEIMBÉREIN (Bali), Quand l’Afrique réapparaîtra…, 2015.
DIANE (Moustapha), La liberté des médias en Guinée. Entre textes et
institutions, quelles réalités ?, 2015.
TINOU (Robert), 1700 proverbes vili, 2015.
TINOU (Robert), Abécédaire du Kouilou, 2015.
N’GUETTIA KOUASSI (René), La Côte d’Ivoire de notre rêve, 2015.
TABEZI PENE-MAGU (Bernard-Gustave), Évaluer l’élève en
Afrique Noire, De la pédagogie traditionnelle aux estimations
contemporaines, 2015
NZENGUI (Aaron Septime), De Kant à l’Afrique. Réflexion sur la
constitution républicaine en Afrique noire, 2015
HOUEDANOU (Sessinou Emile), La gestion transfrontalière des forêts
en Afrique de l’Ouest, 2015
EKANZA (Simon-Pierre), Le Moronou, notre patrimoine, Géographie,
Agriculture, et Sociétés, 2015
KAYOMBO (Chrysostome Cijika), La planification de l’éducation en
Afrique, Mode d’emploi, 2015
Lambert MOSSOA

Où va la Centrafrique ?
© L’Harmattan, 2015
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-343-0207808-3
EAN : 9782343078083
DU MÊME AUTEUR

Chez le même éditeur

 Politiques urbaines en Afrique subsaharienne. Les con-


tours réels, coll. ur
 L’appareil éducatif en Centrafrique coll. « Etudes afri-
caines », Paris, 2013
 Où en est l’urbanisation en Centrafrique. « Etudes afri-
caines », Paris, 2014
 Education in east and central Africa. Edited by Charl
Wolhuter, Bloomsbury, London
À tous mes collègues de l’Université de Bangui
REMERCIEMENTS

Nous tenons à exprimer notre reconnaissance pour l’aide


et les conseils que nos amis et collègues nous ont apportés
au cours de la préparation de ce modeste ouvrage qui doit
son origine au travail de document effectué dans différents
centres-ressources consultés aussi bien à Bangui qu’à Paris.
Nous remercions particulièrement Messieurs Denis
Pryen, Directeur des Editions l’Harmattan à Paris, Jean
François Akandji-Kombé, Professeur Titulaire à
l’Université de Paris 1, Eddy Symphorien Kparékouti en
Tanzanie, pour leurs conseils et leurs encouragements.
Nous exprimons aussi notre gratitude à toutes celles et
à tous ceux qui ont contribué, directement ou indirec-
tement, à la rédaction de ce livre par leurs informations et
leurs suggestions. Cependant, nous assumons seul la
responsabilité de tous les propos contenus dans cet
ouvrage qui n’a d’ailleurs pas la prétention d’être parfait.
Nous pensons néanmoins qu’il pourra être utile aux amis
de la République centrafricaine. Quoi qu’il en soit, on y
trouvera un goût des choses de l’esprit et une
indépendance de pensée qui portent en eux-mêmes leur
Prix et leur Rançon.
Enfin et surtout, ma très affectueuse gratitude va à mon
épouse Rosalie, mon associée et mon amie, qui m’a tout
au long de mon travail soutenu de son affection et de ses
encouragements.
PRÉFACE

Ce livre a pour objectif de favoriser la réflexion sur


certains aspects obscurs de ce que l’on peut désormais
qualifier de « question » ou « d’équation centrafricaine ».
Il se base sur un certain nombre de points de vue érigés
par les uns comme des vérités établies et par les autres
comme des raccourcis de la pensée. Au comble de la
résignation partagée par la plupart des dirigeants africains,
le président du Sénégal déclarait dans les années 80 que :
« l’Afrique a perdu la bataille du développement et sa
jeunesse sombre dans le désespoir. »1 Aux décennies
perdues, serait-il vain pour la nouvelle génération
d’opposer une vision plus courageuse ou d’imaginer une
autre Centrafrique possible ?
Le peuple centrafricain peine à sortir de la morne
routine des désastres naturels et humains. Les rebellions et
d’autres crises militaro-politiques semblent résister à tout
espoir de voir s’installer dans le pays une paix durable et
des lendemains meilleurs. Clichés ou réalité, certains
phénomènes interpellent tous ceux qui s’intéressent à
l’histoire de la République centrafricaine, mais la
compréhension de l’objet « Centrafrique » est rendue
difficile par de nombreuses réductions.
Aujourd’hui, des spécialistes de tous bords se penchent
sur les causes du mal de la République centrafricaine et
tentent d’apporter des explications sur les raisons de la
longue agonie de ce pays. Si dans la pensée de certains, la
maladie paraît incurable, dans celle des autres tout n’est
pas perdu et l’espoir est permis. Nous convenons
volontiers que ce sont ces deux ordres de pensée tantôt
optimiste, tantôt pessimiste qui ont servi de points de
départ à nos interrogations. La réalité historique,
économique, sociale et politique de ce pays est passée en
revue, que l’on se situe dans l’une ou l’autre conception. A
contre-courant de ces deux modes d’interprétation, se
développe une troisième approche qui se veut plus réaliste
et plus nuancée. Nous sommes victimes mais aussi acteurs
de notre Histoire, nous a confié un interlocuteur interrogé.
Personnellement, nous ne nous situons dans aucune des
conceptions dont les querelles souvent stériles
n’améliorent que modestement notre connaissance.
Toutefois, l’histoire nous enseigne que la République
centrafricaine n’est pas le seul pays du monde à subir des
sorts tragiques. La cruauté et la barbarie sont, semble-t-il,
inséparables du règlement des affaires humaines et aucun
peuple n’est à l’abri de désastres orchestrés par la folie
destructrice de l’Homme. L’histoire de l’humanité est
jalonnée par la détresse de différentes sociétés. Nous ne
pouvons pas continuellement nous barricader dans la
coquille vide du Noir Victime de l’Histoire. Les guerres,
les violations, les pillages et les génocides perpétrés par
l’homme en direction de ses semblables remplissent notre
mémoire collective.
La question qui se pose alors est de savoir pourquoi la
République centrafricaine souffre encore là où sous
d’autres cieux le poids du passé n’a pas entravé le
développement. Ce pays a vécu des épreuves plus que les
autres pays d’Afrique centrale, mais l’attachement à la vie
des Centrafricains témoigne de la capacité qu’ils ont à
réinventer constamment leur devenir et cela, malgré les
difficultés. Mais, il est temps pour ce pays de se

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débarrasser de ces fantômes de son histoire et d’aller à la
conquête de sa véritable liberté : la maîtrise de sa destinée.
De nombreuses questions aussi essentielles, restent
aujourd’hui en suspens : comment la République
centrafricaine peut-elle s’ouvrir au monde sans s’enfermer
dans de nouveaux schémas de dépendance ? Quelle place
pour ce pays dans le monde actuel ? Comment éviter les
pièges de la mondialisation et parvenir à la définition d’un
autre modèle de développement pour ce pays ? Allons-
nous inscrire nos combats dans le moule virtuel et sans
connaissance du « choc des civilisations » ?
La République centrafricaine qu’il faut construire
aujourd’hui n’est pas celle d’hier. La référence au passé
doit fonder une démarche résolument tournée vers le futur
en s’appuyant sur une compréhension solide des obstacles
du présent. Sans vouloir prétendre apporter toutes les
réponses à de nombreuses questions que notre curiosité a
soulevées au fil de l’écriture, il nous semble normal en
tant que Centrafricain d’apporter une contribution à la
réflexion. Ce livre est un essai qui présente des défauts
que nous ne nous dissimulons pas. Quelques-unes de ces
lacunes sont celles qu’il est impossible d’éviter quand on
aborde un problème pour la première fois.
Toutefois, le problème complexe de la République
centrafricaine ne doit pas nous exempter de la réflexion et
de l’analyse. Aussi, il n’est nullement question de
s’inscrire dans une tradition de pensée, ni dans une
quelconque école. Notre pensée est libre des luttes
partisanes, académiques ou idéologiques, c’est celle d’un
Centrafricain préoccupé par le destin de son pays et qui
tente de formuler sa vision des choses. La liberté de ton
que la démocratie accorde est un bien précieux, legs que
l’on doit manier avec intelligence dans le sens de la paix,
de la réconciliation et de la construction, surtout dans un

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monde tiraillé entre des extrémismes de diverses
obédiences.
Ce livre se propose de créer un lien entre tous les
penseurs qui se sentent préoccupés ou s’intéressent encore
à la République centrafricaine, quel que soit le point de
vue défendu. Il ne prétend pas donner aux uns ou aux
autres ce qui leur manque, ni ne cherche à privilégier une
pensée plutôt qu’une autre, quelles que soient les positions
de ceux qui les produisent. Nous nous contentons
d’éveiller l’attention des uns et des autres et nous nous
devons de satisfaire, plus particulièrement de réveiller les
jeunes intellectuels centrafricains ou tous ceux qui sont en
quête de la solution de « l’équation centrafricaine ».
Si notre tentative peut avoir pour effet de rapprocher
tout ce monde autour de l’essentiel, à savoir une réflexion
féconde et utile pour la Centrafrique, nous aurions tout le
plaisir à croire qu’un grand pas sera franchi et que l’espoir
reste permis dans ce pays.

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INTRODUCTION

L’histoire politique de la République centrafricaine qui


est émaillée, depuis l’indépendance à ce jour de violences
diverses, de tribalisme et de régionalisme, de dictature et
de parodie de démocratie, d’absence de patriotisme et de
volonté politique pour les dirigeants, de la mauvaise
gouvernance, de la culture de la médiocrité et du
mensonge d’Etat, de la pratique de l’exclusion et de
l’ostracisme des leaders, avec sa litanie de souffrance pour
le peuple, ne semble pas encore servir de leçon et
préoccuper fondamentalement les leaders politiques ainsi
que les dirigeants politiques de ce pays d’Afrique centrale.
En effet, suite au départ du duo Djotodja-Tiangaye,
contraints à la démission devant leur incapacité notoire à
gérer la transition politique et à favoriser le retour à l’ordre
constitutionnel, vœu de tous, Madame Catherine Samba-
Panza a été désignée le 20 janvier 2014 par le Conseil de
transition pour assurer la continuité de la gestion du pays.
Une grande première dans l’histoire politique et
institutionnelle de la République centrafricaine, qui se voit
doter d’une présidente élue au suffrage indirect par une
assemblée coptée par des prédateurs en mal de
gouvernance.
Si l’attente de la population centrafricaine sur la
désignation d’un « rassembleur » a volé en éclat, c’est
fondamentalement parce que le Conseil National de
Transition (CNT), constitué pour les ¾ des personnes
coptées par le duo Djotodja-Tiangaye, a accepté de vendre
son âme au diable en transigeant avec l’intérêt général au
profit de l’intérêt égoïste, en particulier de celui de ses
membres. En réalité, de sources concordantes et
constantes provenant du Conseil National de Transition
ainsi que de plusieurs personnalités désirant garder
l’anonymat, la désignation de Madame Catherine Samba-
Panza a été « huilée ».
Malheureusement, le commun des mortels n’a pas
besoin d’attendre trop longtemps pour découvrir la vraie
face cachée de celle qui convoitait fort longtemps le
fauteuil présidentiel et qui n’est aujourd’hui que fière
d’être présidente de la République. Comme une carpe, elle
a gardé un mutisme total sur les exactions de la Séléka et
des Anti-balaka, et n’a daigné lever un seul doigt pour
condamner, en tant que mère et femme, les violations
massives des droits de l’homme qui en découlaient. Ce qui
est vraiment anachronique à la situation de terreur
qu’endure aujourd’hui la population centrafricaine.
La souffrance du peuple centrafricain, comme le disait
Vaclavavel, «a créé une gestion cahin cahan et un recours
à des diktats népotistes », alors que tout le monde appelle
à une bonne gouvernance du pays, afin d’accroitre sa
légitimité. Aussi inacceptable qu’elle soit, la démotivation
est devenue désormais une option pour de nombreuses
personnes qui sont frustrées et marginalisées. D’ailleurs,
cette démotivation comporte de nos jours plusieurs
dimensions négatives parmi lesquelles l’exode de plus en
plus massif des déplacés.
La réapparition de la violence politique en République
centrafricaine et le débouché sanglant qu’il emprunte,
réactualise la question de la nature des conflits en Afrique
et de leur récurrence depuis une vingtaine d’années. Les
analyses auxquelles la presse quotidienne nous a

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habituées, ont toujours tenté d’appréhender la montée de
la conflictualité en termes d’oppositions ethniques.
Termes que ne récusent pas, au demeurant, les acteurs
eux-mêmes comme le rappelle encore l’épisode rwandais
ou la conceptualisation de l’ivoirité. Les moins sommaires
parlent des luttes factionnelles ou de « politiques du
ventre ».
« Voici venu en République centrafricaine le temps des
mercenaires, des réseaux mafieux, de la criminalité
interétatique qui associe dictatures africaines et élites
occidentales… », a déclaré en substance un éminent
universitaire (Raphaël Nzabakomanda).
Très affaiblie par de multiples critiques, la transition
actuelle ne cesse d’être continuellement dénoncée pour sa
faible performance opérationnelle, sa politisation à
outrance et son ethnisation locale. Bref, l’image de la
haine d’ « Armageddon » que l’on donne aujourd’hui à la
République centrafricaine, ressemble beaucoup aux
images de barbarie qui ont été présentées au XIXe siècle.
Certains centrafricains désespérés s’entendent même dire
qu’ils ne peuvent plus se gouverner et qu’il faudrait faire
revivre le colonialisme mental pour des raisons pratiques
et morales, afin de maintenir les conditions les plus
élémentaires pour une vie sociale civilisée.
Autant, le présent ouvrage permet justement de faire
l’histoire de ce qui se passe aujourd’hui en République
centrafricaine : destruction des villes et villages par des
groupes armés dits incontrôlés, massacres des hommes,
des femmes et des enfants, établissement des camps de
réfugiés, fusillades en masse, tortures diverses, etc. Il
permet aussi, grâce à de nombreuses enquêtes, non de
faire parler les morts, mais de reconstituer nombre
d’histoires individuelles et collectives, surtout de femmes
et d’hommes qui ont échappé aux assassins. Il permet
enfin de voir que, même au sein de l’administration, de

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l’armée et de la police etc., il y a encore de nombreux
obstacles réels à surmonter.
Notre propos dans cet ouvrage est certainement
d’articuler, entre autres, une nouvelle vision du pays au
début de ce troisième millénaire, une vision dont les
éléments de définition comporteraient les traits nobles et
élégants du patrimoine culturel de la République
centrafricaine, les diverses significations ou implications
des expériences qui consisteraient à s’attaquer aux
problèmes déclenchés dans le pays, ainsi que notre
sentiment de ce que devra être l’Etat centrafricain et
comment il pourra devenir ce qu’il devra être. Cette vision
devra être expérimentée en termes de questions,
d’objectifs et de programmes d’actions.
Bref, dans cet ouvrage, nous reviendrons sur une
importante question concernant, entre autres, la compré-
hension et la transformation de la situation en
Centrafrique. Toutefois, des voix de l’intérieur du pays
continuent aujourd’hui de s’élever, proclamant fortement
des positions et attitudes qui ne cessent de transcender le
pessimisme, le cynisme et le désespoir à l’air de la crise.
Le moment est aujourd’hui venu d’intégrer toutes ces voix
qui réclament le retour à une vision et à un rêve
centrafricains. Etant donné le contexte particulier du pays,
ces voix exigent non seulement la reconnaissance des
dures vérités qui sont parties intégrantes de notre histoire
et des formidables défis qui nous interpellent aujourd’hui.
Six questions fondamentales reviennent sur toutes les
lèvres : Est-ce que la crise de l’Etat centrafricain est la
crise d’un Etat postcolonial qui privilégierait l’adminis-
tration au politique ? Pourquoi la démocratie et la bonne
gouvernance ne répondraient-elles pas à la tradition
centrafricaine et ne seraient-elles pas les prérequis au
développement de la République centrafricaine ? Quelle
est la situation de la société civile en République

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centrafricaine ? La crise de l’Etat centrafricain, depuis le
début des années 90 jusqu’à nos jours, ne serait-elle pas le
résultat d’une conception qui a toujours considéré la « sur-
administration » comme un préalable au développement
du pays ? Ceci n’a-t-il pas entraîné l’enrichissement
presque disproportionné d’une élite politico administrative
et un non-développement de fait du pays tout entier ?
Bref, cette situation a contraint, au début de cette
dernière décennie, la communauté internationale à inverser
la perspective en accusant l’Etat centrafricain de tous les
maux et à parer la société de toutes les vertus
démocratiques. Même si l’idéal démocratique semble faire
son chemin dans le pays – ce qui n’est pas évident
aujourd’hui -, cette politique nationale a sensiblement
disloqué l’Etat et la communauté politique, en favorisant
aujourd’hui ce que nous appelons les « fièvres religieuse
et ethnique », et en soustrayant les élites centrafricaines
devenues de plus en plus des « contractuels en dévelop-
pement » à tout contrôle démocratique. De plus, rien
n’indique aujourd’hui que la démocratie va favoriser le
développement de la République centrafricaine. Du côté
de la société civile, on a pu observer que la plupart des
ONG, devenus de plus en plus pléthoriques en République
centrafricaine depuis que la dernière crise a éclaté,
stimulent cette crise pour s’assurer définitivement la
position de seuls remparts contre l’anarchie totale qui
règne dans le pays. Il apparait donc que la réalité plurale
de la République centrafricaine ne peut se satisfaire des
« recettes » toutes faites élaborées à l’extérieur.

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CHAPITRE I

La difficile voie de la souveraineté


et de l’indépendance de la Centrafrique

Entourée de toutes parts par de vastes pays comme : le


Soudan à l’est, le Cameroun à l’ouest, le Tchad au nord et
les deux Congo (RDC et Congo-Brazzaville) au sud, la
Centrafrique, comme son nom l’indique, est située au
« cœur de l’Afrique ». Ainsi, ce pays est de fait un Etat
enclavé et intracontinental. C’est le référendum du 28
septembre 1958, organisé par le général De Gaulle, qui
ouvrit une nouvelle phase dans l’histoire de cette ancienne
colonie française dans l’ordre et l’amitié. En effet,
l’Oubangui-Chari, hier colonie française, après avoir émis
un vote favorable au référendum est devenue, le 1er
décembre 1958, une République libre au moins
politiquement, et a pris le nom de République centra-
fricaine suivant le grand dessein de Barthélémy Boganda
de regrouper dans une seule et même République ou une
Fédération d’Etats, l’ancienne Afrique Equatoriale
Française, qu’il se plaisait à appeler aussi « l’Afrique
latine ». Ce dernier ne verra, hélas, jamais le jour. Des
considérations égoïstes lui ont fait échec.
I. EUPHORIE ET ESPOIR APRÈS L’INDÉPEN-
DANCE DU PAYS
Même si l’indépendance (surtout politique) a été
acquise sans conflit, ni heurt sanglant, cela ne veut point
dire sans lutte politique. Barthélémy Boganda mena de
1946 à 1958 une lutte héroïque, démontrant ainsi toute sa
mesure de combattant tenace, de téméraire, d’altier,
d’homme politique de grande envergure, de tribun, de
défenseur de la liberté du peuple africain.
En créant le Mouvement d’Evolution Sociale de
l’Afrique Noire (MESAN) en 1949, Barthélémy Boganda
rêvait d’en faire un grand parti susceptible de s’étendre,
comme le prévoyaient les statuts initiaux, à tous les Noirs
du monde. Des sections étaient fondées, non seulement en
Oubangui-Chari, mais aussi à Fort-Lamy, à Brazzaville, à
Libreville. Lors de l’accession de l’Oubangui-Chari au
statut d’Etat membre de la Communauté en 1958, le
MESAN, qui avait remporté tous les sièges à l’Assemblée
territoriale, apparaissait comme le premier parti national.
Boganda s’était cependant prononcé pour le pluralisme.
Les partis politiques comme : le Mouvement Socialiste
Africain (M.S.A.) et le Rassemblement Démocratique
Africain (RDA) avaient constitué plusieurs sections, mais
ils ne comptaient que peu d’adhérents. Comme l’affirmait
à juste titre le Professeur Raphael Nzabakomanda-Yakoma
en 1983, s’agissant précisément de la personnalité de
Barthélémy Boganda, « Quel administrateur, quel gouver-
neur, quel gouverneur général, quel haut-commissaire de
cette époque pouvait ignorer l’existence du député de
l’Oubangui-Chari ? » En effet, cette lutte de verbe,
d’éloquence et de finesse aussi n’a pas été vaine. Elle a
abouti à la liberté et à l’indépendance des pays africains et
à celles de son pays. Cette phase infiniment exaltante de la
vie de ce grand homme d’Etat mériterait qu’on lui

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consacrât tout un livre, et ne saurait être traitée ici, de
crainte qu’elle ne soit escamotée.
La République fut donc proclamée le 1er décembre
1958. Barthélémy Boganda en devint le premier Président
et le Chef du Gouvernement provisoire.
Malheureusement, quatre mois plus tard, il trouve la
mort tragique qui le frappe en pleine action… Cette mort
qui enlève Boganda au lendemain même de la procla-
mation de la République n’arrange rien ; bien au contraire,
elle déclenche une véritable crise dans la vie politique du
pays, notamment une lutte âpre pour la succession à la
Présidence de la République : d’abord, Monsieur David
Dacko, se disant héritier spirituel de Barthélémy Boganda,
à la tête du MESAN (Mouvement d’Evolution Sociale en
Afrique Noire) sort vainqueur de cette lutte. Dès lors
s’installe une stabilité politique qui aurait pu être mise à
profit pour entreprendre l’œuvre de promotion écono-
mique et sociale souhaitée par tous. Cet espoir sera
malheureusement vain. En effet, loin de se consacrer
comme ils ont donné l’impression au début du régime à la
haute mission qui leur était confiée, les hommes forts du
régime de Dacko se plaisaient plutôt à jouer les déma-
gogues.
A la disparition de Barthélémy Boganda, les membres
du comité directeur du M.E.S.A.N. devaient se montrer
réticents à l’égard du nouveau Chef de l’Etat. Une appa-
rence de congrès organisée par David Dacko prononça la
destitution du sénateur Etienne Ngougno, président du
parti. A la suite de ces dissensions, plusieurs compagnons
de Boganda rejoignirent l’ancien président du gouver-
nement de la loi-cadre, Abel Goumba, dans un nouveau
parti : le MEDAC (Mouvement d’Evolution Démocratique
de l’Afrique Centrale).
Après avoir dissous le MEDAC en décembre 1960,
David Dacko tenta dans les mois qui suivirent, de

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regrouper autour du MESAN tous les autres partis ou
comités politiques. N’y parvenant pas, il érigea le MESAN
en parti unique. En 1963, le gouvernement décidait de
recouvrer comme en matière d’impôts directs les
cotisations du MESAN, obligatoires pour tout homme,
femme ou enfant. Le fonctionnement du parti était régi par
une loi du 17 mai 1963. Enfin, le texte portant
modification de la Constitution institutionnalisait alors
définitivement le parti. Le MESAN, parti-Etat,
apparaissait dès lors comme un organisme institutionnel
doublant à chaque échelon les institutions existantes.
Le Congrès bi-annuel, regroupant en fait les militants
du MESAN associé au gouvernement, était un organisme
d’acclamation de l’action présidentielle. Il était censé fixer
au gouvernement les grandes options politiques. Le
Comité Directeur du MESAN, composé de personnalités
locales habilement choisies et rétribuées comme de hauts
fonctionnaires, formait une sorte de super-ministère qui
faisait notamment des propositions de nomination aux
principaux postes de l’Etat. Le comité directeur était en
fait entièrement entre les mains du Président de la
République. La formule des Ministres résidents, fut une
véritable comédie, un trompe-l’œil et une gabegie sans
nom. Prévarications, concussions frisant l’obscénité,
gagnèrent la majorité des « barons » du régime.
Ainsi en 1965, un mandat qui fut de cinq ans,
commencé dans l’euphorie, l’enthousiasme et la confiance
la plus inconditionnelle parce que marquant une naissance,
celle de la République, n’inspire plus que désen-
chantement, angoisse et haine. Notre intention ici n’est
point de faire l’histoire du régime Dacko et de ce que l’on
pourrait appeler la Première République. Nous avons
voulu seulement évoquer très rapidement cette période qui
a précédé la deuxième République en esquissant quelques
lignes de crête.

26
Ce faisant, il convient d’ajouter que l’Assemblée
Nationale pendant ces cinq années, composées d’hommes
peu formés à cette tâche, fut un véritable trouble-fête. Les
députés se substituèrent dans les provinces aux autorités
locales (préfets, sous-préfets, maires). Ces derniers ayant
perdu auprès de la population tout pouvoir, n’étaient plus
que des figurants. Il en a résulté la récession économique
que l’on sait et qui a fourni l’occasion aux adversaires, aux
détracteurs de l’indépendance octroyée aux territoires
français d’Outre-mer d’emboucher leurs trompettes et
hauts-bois pour chanter leur victoire sur le slogan qui leur
était cher : « les africains ne sont pas prêts pour accéder à
l’indépendance ». Désillusion ! Pendant ces cinq premiè-
res années de la République, la nouvelle Assemblée
Nationale constituée d’hommes nouveaux ne sut pas jouer
pleinement son rôle, et le pays s’enfonça dans la crise
économique qui le minait au moment où Jean Bedel
Bokassa accéda au pouvoir dans la nuit du 31 décembre
1965 au 1er Janvier 1966, avec la naissance d’une seconde
République.
Ainsi, tout repart sur de nouvelles bases et différentes
mesures ont eu pour effet un véritable changement dans la
vie du pays. Partout et dans toutes les couches de la
Centrafrique se dégagea une nette impression de soutien
au nouvel homme fort du pays et un sentiment de
renouveau. Chacun se fit un devoir de se mettre
résolument au service du pays. Cela était si vrai que les
productions agricoles dépassèrent toutes les prévisions dès
1966, surtout avec le lancement de la fameuse « Opération
Bokassa », et que le budget fut doublé.
Cependant, les bailleurs de fonds (FED, Caisse
Centrale de Coopération Economique, Banque Africaine
de Développement, etc.) poursuivirent leurs généreux
efforts, en veillant à la bonne utilisation des crédits, dans
l’espoir que les atouts dont disposait la République

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centrafricaine lui permettront un jour de sortir de ces
multiples crises et d’envisager son développement dans de
meilleures et fructueuses perspectives.
Malheureusement, cet enthousiasme post-Dacko se
transforma en désastre politique et économique à la fin
années 70, avec l’intronisation de l’Empereur Bokassa qui
jusqu’à son départ forcé en 1978 (grâce à l’opération
« barracuda ») transforma le pays en mouroir. Pays
marqué par plusieurs années d’un pouvoir totalitaire pour
le moins étrange, où les mots étaient constamment
contrôlés, manipulés et mutilés, un pays où régnaient le
silence et la suspicion, où l’on ne pouvait parler et répéter
que l’histoire monotone des dignitaires du nouvel empire,
le tout sur fond d’un régime omniscient investi du droit
divin de nationaliser le temps et le passé, l’histoire et la
volonté populaire.
Ainsi, la censure s’abattait sur les souvenirs, les articles
et les mots utilisés pour contester et tourner l’autorité
singulière en dérision de Bokassa, bannissant et empri-
sonnant de nombreux opposants, réels ou imaginaires,
organisant une véritable chasse aux sorcières contre les
« rebelles » en exil, de sorte que personne ne faisait
confiance à personne, ni les amis ou collègues, ni les
parents, encore moins les partenaires et les époux, et
même un simple rêve pouvait s’avérer dangereux.
Le régime de Bokassa a donc mené de 1974 à 1978 une
guerre sans merci contre le pluralisme, contre les voix qui
exprimaient des opinions divergentes, entonnaient des
chansons différentes, des opinions et des chansons qui ne
glorifiaient pas la sagesse infinie de l’empereur, hululaient
le développement miraculeux que l’on disait avoir cours
dans le pays, et ne s’émerveillaient pas de la stabilité, de la
paix et du calme enviables, etc. Des histoires
imprévisibles, uniques en leur genre, avaient un effet
subversif sur les symboles de l’empire. Ce qu’écrivait,

28
chantait, lisait, pensait le peuple, ce à quoi il rêvait, devait
faire l’objet d’une constante surveillance. La Censure se
faisait au nom de l’intérêt supérieur de l’empire. Sous ce
manteau du silence, un peuple tout entier a été
homogénéisé, infantilisé et avili, leurs langues ayant été
habituées à exprimer et à chanter les banalités de ce que
Vaclav Havel a appelé le nihilisme totalitaire, leurs
imaginations ayant été dépourvues de la faculté de rêver.
Pendant près d’un décennie, le pouvoir omniprésent de
l’empereur Bokassa a installé l’inertie au niveau du grand
public, a sacrifié la volonté et la conscience populaires sur
l’autel de la cupidité et de la terreur d’une classe
dirigeante qui, comme Fanon l’a si bien souligné dans son
sévère procès de l’ordre postcolonial, n’avait aucune
mission historique, si ce n’est sa propre reproduction et le
mimétisme d’une bourgeoisie européenne. La Censure
devenait alors un rideau de fer pour cacher les mensonges,
les déformations et les fantasmes d’un pouvoir impro-
ductif et sans pitié. Et cela engendra l’autocensure, une
peur collective paralysante de tenir une conversation
sociale significative et un discours en public, de remettre
ouvertement en cause l’ordre établi et d’imaginer ce qu’il
devrait être. La censure en Centrafrique avait une
dimension universelle qui consistait à étouffer et à réduire
au silence des récits écrits et oraux, des textes intellectuels
et même le discours de l’homme ordinaire.
Cela pouvait parfois prendre des proportions
grotesques : un assistant en anatomie a été détenu
apparemment pour avoir animé une discussion sur « la
capacité reproductive » des vieillards – un fait considéré
comme un manque de respect à l’égard du vieil empereur
Bokassa. Et plusieurs personnes ont été contraintes à l’exil
pour avoir refusé d’acheter la carte de militant du Parti
unique de l’époque, le MESAN (Mouvement d’Evolution
Sociale en Afrique Noire), de n’avoir pas acheté pour leurs

29
épouses des tissus frappés de l’effigie de l’empereur, ou
d’avoir simplement fait un geste en public qui ne
correspondait pas à la norme.
Les évêques ont fait l’objet des plus vives réprimandes
et ont failli y laisser leur vie pour avoir osé appeler à
l’instauration d’une nouvelle ère, plus juste, plus équitable
et plus démocratique dans le pays. Fort heureusement, ceci
a coïncidé avec l’époque où la Centrafrique sentait venir
les vents du renouveau démocratique sur le continent,
balayant tout sur leur passage, à mesure que les pressions
internes et externes s’accumulaient sans cesse sur la
dictature bokassiste.
Entre temps, l’étau de la tyrannie se resserra davantage
et les arrestations et détentions arbitraires se multiplièrent.
Mais il y avait quelque chose de bien méthodique dans
cette folie : avec les arrestations arbitraires, personne ne
savait pourquoi un tel a été arrêté et, par voie de
conséquence, tout le monde avait peur. Privés de la liberté
d’expression et de moyens de communication de masse
crédibles, les centrafricains ne vivaient que de rumeurs et
de bribes d’informations en provenance de la Radio
France Internationale (RFI) et le pays continuait sa
descente aux enfers.
Les stress et la tension nerveuse pouvaient se lire sur le
visage anxieux des gens dans les lieux publics, dans les
coups d’œil furtifs qui trahissaient une peur mal contenue,
dans les conversations à voix basse, dans le langage des
gestes. L’exil fournissait un certain répit, loin des silences
assourdissants qui rythmaient la vie en Centrafrique.
Certains ont payé de leur vie. Raymond Gabina a été
abattu dans les rues de Bangui, Joseph Feidangaye et sa
famille ont été bombardés au quartier Boy-rabé. Bon
nombres d’artistes centrafricains ont vu leurs talents
s’émousser en terre étrangère. Le silence littéraire de
nombreux intellectuels a été largement imposé par les

30
ténèbres dans lesquelles la tyrannie du régime de Jean
Bedel Bokassa avait plongé le pays tout entier.
Plus grave encore, le carriérisme, l’opportunisme et la
confusion idéologique ont amené de nombreux
« intellectuels » à vendre leurs talents à l’Etat pour des
miettes et des faveurs éphémères. C’est ainsi qu’un
historien de grande renommée à l’époque est devenu le
Secrétaire Général du Parti unique (MESAN), et un autre
(grand philosophe) le rédacteur-en-chef de l’unique
quotidien national, tous deux appartenant à un consortium
de l’empereur et de ses proches.
Ces « intellectuels » étaient devenus les garçons de
course flagorneurs du régime. Entre leurs salaires relative-
ment élevés, leurs voitures de fonction et l’importance
trompeuse de leur train de vie, il y avait toute la colère et
tout le mépris du peuple meurtri.

Il apparait clairement qu’à bien des égards, beaucoup


d’intellectuels de ce pays ont, non seulement, concédé du
terrain politique à l’Etat totalitaire, mais ont aussi parfois
contribué au renforcement de la dérive autoritaire. Il nous
faut reconnaitre ces vérités difficiles à digérer pour que les
critiques que nous formulons à l’encontre des despotes
centrafricains soient moralement acceptables. Nous avions
même parfois soutenu en d’autres circonstances que l’Etat
ne portait pas souvent l’entière responsabilité du
musellement et du bâillonnement de la liberté d’opinion en
Centrafrique. Les pratiques et tendances intolérantes,
hiérarchiques, arbitraires, corrompues, opportunistes à
l’œuvre dans les institutions gérées par les « univer-
sitaires » eux-mêmes, et dans la société globale, ont joué
un rôle de tout premier plan dans le bâillonnement et
l’effondrement de la liberté d’opinion dans les milieux
intellectuels.

31
Aujourd’hui encore, les projets de développement de la
République centrafricaine sont envisagés dans une
situation de crises persistantes où la capacité de production
économique est infime et ne facilite aucunement pas la
visibilité du pays dans tous les secteurs d’activités. Depuis
plus de trois décennies, la situation socio-économique et
politique de la Centrafrique s’est considérablement
dégradée .De fait, cette situation alarmante a détérioré, de
manière notoire, les conditions de vie de la population,
amplifié la pauvreté et rendu l’accès difficile de la
majorité de la population aux services sociaux de base.

II. CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE ET POLITI-


QUE DU PAYS
Enclavée au cœur du continent, à plus de 1000
kilomètres à l’est des côtes du golfe de Guinée, la
République centrafricaine qui couvre une superficie de
623 000 km2 et compte environ 4,5 millions d’habitants,
est isolée par rapport aux grands réseaux d’information en
raison de la faiblesse du niveau de son système de Techno-
logie d’Information et de Communication. Sa capacité de
production scientifique et culturelle est si infime qu’elle ne
facilite pas la visibilité du pays au plan scientifique,
culturel, économique, politique, etc.… Et pourtant, dans le
monde de plus en plus ouvert, où la compétition est rude à
tous les plans, et les défis nombreux, aucune avancée ne
peut se faire sans l’accumulation et l’enrichissement
perpétuel des connaissances.

1. Le développement humain et la situation sociale de


la RCA
Aujourd’hui, la population centrafricaine vit, d’une
manière générale, dans des conditions particulièrement

32
critiques de pauvreté. Au total, 49% de la population
nationale et 57,3% de la population rurale sont affectées
par le fléau de la pauvreté, dont les femmes, les jeunes à la
recherche d’emplois, les handicapés et les groupes
marginaux (Pygmées et Mbororo). L’accès limité à
l’éducation de base (le taux net de scolarisation avoisine
420/00) et la faible qualité de l’enseignement (le ratio
nombre d’élèves par maître atteint 109) constitue l’un des
problèmes cruciaux auxquels s’ajoutent : (a) une faible
espérance de vie à la naissance (49,6 ans) ; (b) un taux
élevé de mortalité maternelle (9,4%0), et de mortalité
infantile (97%0) ; (c) un faible accès aux formations
sanitaires ; (d) un encadrement médical peu efficace (1
médecin pour 21342 habitants, 1 sage-femme pour 16 000
habitants, 1 lit pour 800 malades.) ; (e) une forte
prévalence du VIH/SIDA (15% à Bangui, 8% dans les
villes secondaires et 4% en milieu rural) ; (f) un faible
accès à l’eau potable (30% de la population) et à un milieu
salubre (26,6% des ménages) ; (g) l’ampleur croissante et
inquiétante du chômage, (h) enfin un faible pouvoir
d’achat (plus de 65% de la population vivent avec moins
d’1 dollar US par jour).
Ce profil pourrait faciliter une compréhension de la
fragilité et de la mauvaise qualité et quantité du capital
humain et de sa restructuration multidimensionnelle. C’est
aussi le cas au niveau socioculturel, de l’accès aux
services sociaux de base.

2. La situation du pays au plan politique et économique


Au plan politique
Au plan politique, le pays a amorcé l’apprentissage de
la démocratie au cours des vingt dernières années.
L’exercice est très difficile, car entrecoupé par des crises
militaro-politiques à répétition en 1996, 1997, 2001, 2003

33
et 2013. Toutefois, en dépit de nombreux efforts déployés
et appuyés par la communauté internationale, le dialogue
entre les différents acteurs a souvent été maintenu et des
réformes institutionnelles ont consacré la séparation des
pouvoirs et la prise de conscience du processus de
décentralisation et de planification régionale du
développement.
Autant d’actions qui devaient converger peu à peu à
l’établissement d’un Etat de droit, de la stabilité politique,
et de la promotion des pratiques de bonne gouvernance.
Malheureusement, les séries de crises politico-militaires et
les tentatives de coups d’état survenus dans le pays entre
1996 et 2013, ont créé l’insécurité dans l’arrière-pays et
ont provoqué des mouvements migratoires internes et
externes. Les préfectures les plus frappées par les derniers
évènements sont : l’Ouham-Pendé, l’Ouham, la Kémo, la
Nana Gribizi, l’Ombella-Mpoko, la Ouaka, la Vakaga, la
Bamingui-Bangoran, la Basse-Kotto, la Haute-Kotto, etc.
Aujourd’hui, l’héritage est lourd et le pays tout entier a
perdu toute sa dignité et son honorabilité. Personne
n’aurait cru qu’un Etat « souverain » comme la
République centrafricaine en arriverait à essuyer une telle
infamie, depuis que des forces négatives, soient-elles d’un
pays voisin, se sont allègrement incrustées sur le territoire
centrafricain pour s’alimenter à coups de rapine,
d’enlèvements des bétails et d’exactions sur les paisibles
populations autochtones ; et ceci, dans une posture de
défiance exacerbée, au regard des sacro-saints principes de
l’inviolabilité de l’intégrité du territoire et du peuple du
pays investi.
Entretemps, la présence des rebelles tchadiennes du
FPR (Front Populaire pour le Redressement) de Baba Ladé
à Kaga-Bandoro n’a été ni plus ni moins qu’un sacrilège,
un vandalisme inacceptable de la souveraineté nationale.
Pourtant, c’est bien la répugnante réalité de ce pays,

34
advenue à la faveur d’une démission ahurissante de l’Etat,
devant sa mission régalienne de défendre, par le
truchement de l’armée nationale, l’intégrité du territoire
national.
L’option choisie entre temps par certains « leaders » de
l’opposition dite « démocratique », c’est d’appuyer de
nombreuses rébellions dont les géniteurs seraient de non-
centrafricains, en vue de restaurer l’autorité de l’Etat.
Mais, la coalition Séléka qui a chassé le Président Bozizé
du pouvoir le 24 mars 2013, n’a pas pu rétablir l’autorité
de l’Etat. Bien au contraire, ce groupe de rebelles, dominé
par des mercenaires étrangers, s’est dispersé sur
l’ensemble du territoire, pillant les villages et les quartiers
urbains, et commettant des exactions sur les paisibles
populations autochtones.
Pis encore, ces rebelles ont régulièrement vécu le grand
soir dans les villes, aux dépens des citoyens jetés en pâture
par un « Etat centrafricain défaillant ». En réaction contre
ces agressions généralisées, un groupe de victimes,
constituées en autodéfense, et soutenues par quelques
éléments déserteurs des FACA (Forces Armées
Centrafricaines) organisèrent une contre attaque et
marchèrent sur la capitale – Bangui -, le 05 mars 2013.
Promptement, les réactions de la Communauté
internationale ne se sont pas fait attendre : d’abord, les
Nations-Unies autorisent la France à déployer ses forces
dans le pays en vue d’appuyer les forces dans la FOMAC
qui ont cédé ensuite la place à la MISCA. C’est alors que
les membres de la CEEAC, réunis à Ndjamena (au
TCHAD) forcent les mains de Djotodja et celles de
Tiangaye à jeter l’éponge, donnant l’occasion à Mme
Catherine SAMBA-SAMBA d’accéder au pouvoir.
Là où le bat blesse est qu’en dépit des Résolutions des
Nations-Unies et un nombre important des forces
étrangères sur le territoire centrafricain, l’insécurité va

35
grandissante. L’Etat a disparu et les forces négatives font
leur loi. Et la démission de l’Etat est là. Pour être plus
précis, que dire du fait que des groupes armés incontrôlés
en survivance dans tout le pays, se comportent carrément
en occupants, détruisant en passant de précieux
écosystèmes, pillant, violant et tuant allègrement des
centrafricains sur leur propre sol ?
Cette brève rétrospective nous permet de démontrer à
suffisance qu’aucun bord politique centrafricain, ne
pourrait honnêtement se targuer du monopole de
patriotisme, de nationalisme, et encore moins de la vérité
qui l’habiliterait à jeter la pierre sur les autres. La
succession des évènements aussi dramatiques que
malheureux comme les multiples coups d’Etat, les
mutineries et les rebellions à répétition, l’invasion et
l’occupation d’une partie du territoire national, nous
semble procéder d’une catharsis nationale qui devrait
appeler les citoyens de ce pays à méditer sur ce qui arrive
aujourd’hui, pour s’engager du bon pied sur la route du
futur.
C’est ainsi qu’il nous revient de penser que la classe
politique centrafricaine se doit illico presto de transcender
toutes ses pesanteurs ethnico-régionalistes actuelles,
lesquelles ne cessent de lui dicter des discours de
médiocrité dont le seul mérite est de la happer vers le bas.
Les politiciens centrafricains devraient prendre à bras le
corps tous ces nombreux défis sécuritaires et
socioéconomiques qui jonchent la voie du retour vers le
processus de développement de la République centra-
fricaine. Malheureusement, c’est aujourd’hui le contraire.

Au niveau économique
L’économie centrafricaine dominée par l’informel,
surtout l’agriculture de subsistance et la perfusion de

36
l’aide européenne, fonctionne sur le mode de la survie.
Tout comme la République Démocratique du Congo, qui
occupe le 176è rang sur 182 dans le classement de l’indice
de développement humain (2009), la République
centrafricaine a vu la nature reprendre ses droits sur les
infrastructures essentielles (routes, réseaux d’eau et
d’électricité), faute d’entretien et d’investissements.
Comme nous l’avons déjà dit, depuis l’indépendance, le
parcours économique de ce pays n’a pas été linéaire : à
une période de croissance dans les années 1960 et 1970
ont succédé le déclin puis le total effondrement
économique pur et simple. Cette descente en enfers a
démontré que la pauvreté de masse n’est pas l’œuvre du
destin, mais le résultat logique des décennies de mauvaise
gouvernance. Près de soixante années, ont alterné
dictatures théocratiques de longue durée, coups d’Etat à
répétition, déstabilisations du pays par des croisées de
guerres civiles instrumentalisées.
L’évolution de 1993 à 2015 a été très mitigée et liée
quasiment au rythme des crises militaro-politiques. En ce
qui concerne la production, il convient de noter qu’à la fin
de 1993, le PIB mesuré par les prix de 1985, a connu une
croissance quasi nulle de l’ordre de 0,3%. En revanche, les
deux années suivantes ont été marquées par un haut
conjoncturel dû principalement à l’effet mécanique de la
dévaluation et sans doute, et dans une moindre mesure, au
phénomène de changement politique. Le PIB s’est hissé à
4,9% en 1993 pour culminer l’année suivante à 6,4%. La
reprise du secteur secondaire (industries manufacturières
et de construction) et du secteur tertiaire (les services
privés) en 1994, la renaissance du secteur primaire
(principalement l’agriculture de subsistance) et le bon
niveau des droits d’importations et impôts divers, en 1995,
le justifient.

37
Bref, la situation économique de la République
centrafricaine de ces dernières décennies, a été surtout
lamentable et décevante. Tous les indicateurs
économiques, y compris la production agricole par tête
d’habitant, la production industrielle, les performances en
matière d’exportations et la capacité d’importation ont
enregistré une tendance à la baisse. Le taux d’épargne
nationale et le taux d’investissement sont restés insigni-
fiants et s’inscrivent en baisse. La charge de la dette
extérieure est lourde et continuellement en hausse.
A la suite des faibles performances économiques de ces
dernières décennies, les indicateurs sociaux se sont eux-
aussi détériorés. Les effectifs des écoles primaires ont
chuté dans de nombreuses régions où la qualité de
l’enseignement s’est détériorée et les normes alimentaires
et sanitaires ont nettement baissé.
La faiblesse des performances économiques a des
causes multiples et variées. Ce sont, entre autres, les
mauvaises conditions de départ au moment de l’indépen-
dance du pays, en termes de capacités humaines, techno-
logiques et institutionnelles faibles et insuffisantes, de
stratégies économiques inefficaces, de faibles capacités à
répondre aux chocs extérieurs, des crises militaro-politi-
ques récurrentes, d’attente insuffisante accordée au
soulagement de la pauvreté, d’un secteur privé faible et
peu développé, et d’une politique inappropriée de
développement du pays.
Alors, comment peut-on envisager la reprise d’une
croissance économique forte et durable, au cœur de la
survie de République centrafricaine ? Comment peut-on
augmenter le niveau de revenu, afin de satisfaire les
besoins fondamentaux de la population centrafricaine ? En
somme, comment le pays peut-il accroitre les niveaux de
productivité et de croissance économique ?

38
Pour surmonter la crise économique que connait la
RCA, depuis plusieurs décennies, il faut agir sur plusieurs
fronts. D’abord, les dirigeants de ce pays doivent accorder
la priorité au développement économique, en accordant
prioritairement une plus grande attention à l’agriculture et
au développement rural. Ensuite, des mesures doivent être
prises pour accroitre la mobilisation des ressources
nationales et pour rendre plus efficiente l’utilisation du
capital ; il faudra dans ce cas, améliorer le système de
gouvernance, pour créer ainsi un environnement favorable
à la croissance économique. De même, le cadre politique
et économique doit être propice à la croissance
économique. Il faudra ainsi renforcer les institutions
économiques et développer le capital humain par le biais
de l’éducation et la formation.
Ce qu’il faut, c’est une combinaison de mesures
réalistes à court et moyen termes. Dans une première
étape, il faudra accomplir des actions concertées pour
rationaliser les structures nationales existantes qui ont la
charge d’orchestrer les efforts de coopération à l’intérieur
du pays. Une autre étape pourrait consister à concentrer
l’action sur l’harmonisation des différents plans de
développement du pays (infrastructures, marchés,
structures de production, commerce, suppression des tarifs
douaniers et autres, libre circulation des facteurs de
production). Aussi, devons-nous nous poser les questions
qui suivent : comment la RCA pourra-t-elle ajuster avec
précision une réforme économique pour l’adapter à la
situation actuelle du pays ? Comment le gouvernement
centrafricain et le secteur privé pourront-ils assurer la
durabilité des différentes réformes déjà entreprises et/ou à
entreprendre ? Que doit faire le gouvernement pour la
poursuite des réformes dans la recherche d’une croissance
économique durable ?

39
C’est vrai qu’il faut que le pays maintienne la vitesse
des performances économiques et mette l’accent sur leur
lien avec les objectifs de développement à long terme.
Mais, il faut aussi que les changements adéquats des
structures économiques nationales puissent entrainer une
augmentation générale de la production alimentaire, une
diversification des activités manufacturières, une expan-
sion des capacités humaines, et une croissance soutenue
des exportations non traditionnelles.
L’expansion des cultures à valeur ajoutée relativement
forte (bois, café…) ou des produits agricoles mi-ouvrés,
doit être encouragée. Toutefois, le gouvernement
centrafricain doit aller au-delà des réformes économiques
en cours, en encourageant ou en renforçant la mobilisation
des ressources nationales et les capacités technologiques et
institutionnelles du pays. Malheureusement, suite aux
multiples mutineries, le PIB réel a chuté à -3,1% à la fin
de 1996 pour se redresser en 1997, grâce aux effets
combinés des négociations sous arbitrage des pays amis et
de l’aide internationale. En termes réels, la progression du
PIB a été de 4,2% en 1997, 5,5% en 1998 et 1,67 en 2000,
après une stagnation en 1999. Il a ensuite connu un arrêt
brutal, de 2001 à 2009.
La situation postcoloniale favorable politiquement pour
la République centrafricaine s’est très rapidement
transformée en un bourbier préfigurant toutes les crises
actuelles que connait le pays. L’Etat moderne et ses
attributs légués au pays ont servi toutes les horreurs des
dirigeants en raison de choix politiques et idéologiques
antinomiques à l’intérêt de la population. C’est ainsi que la
République centrafricaine, comme beaucoup de pays
africains, a accusé un immense retard, en servant de terrain
aux conflits de plusieurs belligérants. Les hommes forts
centrafricains qui se sont jusqu’ici succédés au pouvoir
n’ont été que de nocifs dictateurs (Bokassa, Kolingba,

40
Patassé, Bozizé, Ndjotodja…). Ceux qui sont tombés dans
l’escarcelle des grandes démocraties n’ont pas su tirer les
bénéfices de l’Etat de droit et des bienfaits du capitalisme.
Aussi, la démocratie fut-elle rythmée dans ce pays par la
misère sociale et les menaces de rebellions et de coups
d’Etat militaires.
Les chutes de certains chefs politiques centrafricains, à
chaque fois que ce fut le cas, déclenchent un chaos
généralisé. La guerre civile et l’instabilité politique sont
les seuls héritages qu’ils laissent au peuple centrafricain.
Tout peut être vite remis en cause en Centrafrique, et
presque toujours pour des raisons politiques. Alors, se
pose la question pertinente : comment vivre la démocratie
en Centrafrique, en l’absence d’une conscience politique ?
Force est de constater que dans ce pays, la démocratie
n’est pas lisible, et on croit encore que les élections
suffisent pour la faire exister et favoriser le changement.
L’alternance politique exceptionnellement obtenue
n’efface pas les habitudes de gouvernance. Or la démo-
cratie, c’est aussi le mode de gouvernance qui permet aux
gouvernés de participer régulièrement aux prises de
décision concernant la vie quotidienne et la possibilité de
pouvoir tenir les élus responsables de leurs actes.
Malheureusement, les hommes forts en Centrafrique
utilisent presque la même méthode pour obtenir des
résultats aux présidentielles. « On n’organise pas les
élections pour les perdre », martèle ainsi Pascal Lissouba,
ex-président du Congo Brazzaville. Ainsi, la façon dont la
démocratie est vécue en Centrafrique comme en Afrique,
n’a rien à voir avec une vision démocratique de la vie
sociale.

41
La situation du pays au niveau des finances pu-
bliques
La situation de la RCA, au niveau des finances
publiques n’a jamais été aussi brillante, comme on l’avait
souhaité à l’époque. Après une plongée en 1993, les
recettes fiscales ont connu une nette progression entre
1993 et 1995, de l’ordre de 21,48%. Entre 1997 et 1999,
elles ont progressé de l’ordre de 17,49%. Cette progres-
sion est due aux efforts de recouvrement. A la fin de 2000,
cette croissance a atteint 18,27%.
Dans le même temps, les dépenses ont augmenté pro-
portionnellement plus vite que les recettes. La progression
qui était de 30,31% en 1997 et 35,15% en 1998 a chuté
brutalement en 2001 et 2002. Cette situation a débouché
sur l’accumulation des arriérés intérieurs et extérieurs. Au
plan de la balance de paiement, trois enseignements sont à
tirer de l’analyse de la situation du pays dans ses relations
avec l’extérieur.
 Premièrement, la position extérieure du pays, à
travers le solde du compte courant et des transferts
officiels exclus, a été déficitaire sur toute la période
sous revue.
 Deuxièmement, le flux net public n’a été favorable
au pays que pendant les années 1994 et 1995. Après
cette période, il a été largement déficitaire. En effet,
l’aide extérieure a été plus significative pour accom-
pagner la dévaluation. Par la suite, elle a fléchi, alors
que les obligations au titre de la dette extérieure sont
demeurées rigides. Finalement, le solde global du
pays a affiché un excédent sur la seule année 1994
avant des rester déficitaire sur toutes les autres. En
somme, force est aujourd’hui de constater que la
contribution de la RCA au commerce mondial, ses
performances économiques et financières, et son
poids dans les relations commerciales sous régio-

42
nales et intercontinentales sont restés foncièrement
faibles.
 Troisièmement, de nombreuses études et enquêtes
réalisées pour cerner, soit les faits de population, soit
les déséquilibres macroéconomiques, soit les profils
de la pauvreté, soit encore les tendances de la
consommation des ressources de la biodiversité sont
aujourd’hui caduques. Les plus récentes, en terme
exhaustif datent de plus d’une quinzaine d’années.
Aujourd’hui, les grandes décisions de planification,
de gestion, de suivi et d’évaluation de dévelop-
pement sont prises sur la base de supputations, sans
aucun indicateur fiable. Les politiques d’allocation
budgétaire et/ou d’affectation des services sociaux
de base, non plus, ne sont établies sur aucune base
statistique sérieuse. Ce qui n’est pas de nature à
garantir la fiabilité des analyses, ni la pertinence des
options. Peut-on dire que même les activités
pédagogiques ayant trait à la connaissance ou à la
découverte de la République centrafricaine
souffrent-elles aussi des carences notoires en
données fiables ?

Nous pensons par exemple que, la réactualisation de


l’atlas de la République centrafricaine sur la base de
statistiques améliorées, pourrait être un gage pour
l’avancement du chantier de l’élaboration du cadre
stratégique de lutte contre la pauvreté. La République
centrafricaine doit, nous pensons, essayer de se
positionner stratégiquement. Cela cadrerait parfaitement
avec le nouvel esprit post-conflit, un esprit qui veut que le
pays jouisse désormais des fruits de son développement,
en utilisant ses propres ressources, et qu’il soit considéré
comme un Etat réellement souverain et respecté. Par-
dessus tout, il doit aussi désormais connaitre où se situe

43
ses véritables intérêts. Ces réflexions devraient servir de
moment décisif, de catalyseur pour toute action concrète
de l’élite centrafricaine d’aujourd’hui et pour la
Centrafrique de demain. Le peuple de ce pays ne mérite
pas moins. C’est une option réaliste que devraient choisir
dans l’avenir les prochains dirigeants issus des urnes de
fin 2015, au regard de tout ce que le pays a connu
jusqu’ici. Ce qui sous-entend désormais l’existence de
leaders politiques convaincus et engagés.

3. L’absence de vrais leaderships politiques en RCA


L’absence de véritables leaders politiques en Répu-
blique centrafricaine est une réalité qui doit être
considérée comme étant l’une des principales causes de la
profonde crise de développement du pays. En effet, si ce
pays disposait de bons leaders politiques incorruptibles,
intègres, responsables, engagés vis-à-vis du dévelop-
pement et de la défense des intérêts et du bien-être des
citoyens (et non des intérêts de leurs propres groupes
ethniques), on aurait réduit le grave retard que le pays
accuse aujourd’hui.
Aujourd’hui beaucoup de gens se posent à juste raison
la question de savoir, comment la République
centrafricaine peut-elle avoir ou produire de bons leaders
politiques, efficaces, intelligents, imaginatifs, sensibles
aux intérêts et au bien-être de tous les citoyens de l’Etat,
moralement intègres et véritablement engagés à défendre
les causes de sa population ?
Produire ou obtenir de bons leaderships pour la
République centrafricaine, comme pour n’importe quel
pays du continent africain, est toujours une question ardue,
si l’on considère les imperfections que comportent aussi
bien des hommes de ces pays que les institutions en place.
Pourtant, la constitution centrafricaine, non seulement,

44
proscrit la mise en place de tout pouvoir militaire
autoproclamé, mais reste favorable à toute alternance
politique normale.
Il est établi que les institutions politiques introduites en
RCA après la colonisation, ont très peu tenu compte
jusqu’ici des valeurs et pratiques locales. A la place de la
politique « consensuelle » qui était la facette dominante de
la politique coloniale centrafricaine (disons ouban-
guienne), on a fait appel à de nouveaux modèles imposés
de l’extérieur pour pratiquer la nouvelle politique de
confrontation. La politique traditionnelle de compromis
ainsi que d’harmonie et de participation communales fut
donc remplacée par la politique du « tout pour le
gagnant ». Les procédures de prise de décision qui
permettaient ainsi la contribution individuelle et
favorisaient la tolérance mutuelle, la patience et le respect
des opinions des autres, sont mises à l’écart.
Finalement, la notion de l’Etat en tant que res publica –
chose publique – et en tant qu’organisation politique dont
la survie, le bien-être et la réussite étaient l’affaire de tous,
était très bien comprise dans le milieu traditionnel. Il faut
aussi avouer que l’idée politique de la démocratie était
donc parfaitement connue d’une partie de la tradition
centrafricaine ; mais cette idée était exprimée de manière
différente de celle d’aujourd’hui. C’est pourquoi, l’échec
de la politique du pays est à maints égards lié au
fonctionnement de nos institutions sur le modèle des
institutions étrangères imposées et le manque de
compétence bureaucratique appropriée. Il ressort que les
échecs institutionnels de l’époque postcoloniale semblent
suggérer que l’Etat centrafricain doit ériger ses propres
institutions. Ces institutions devraient susciter la
compréhension et la légitimité locale.

45
III. OÙ SONT PARTIS LES INTELLECTUELS CEN-
TRAFRICAINS ?
Dans les circonstances actuelles et au regard des crises
militaro-politiques de ces dernières décennies, la
République centrafricaine, sa population, son élite, ses
décideurs et surtout ses intellectuels, ont besoin d’entre-
prendre une sérieuse réflexion du genre « où sommes-nous
et où allons-nous en tant que peuple ? » La crise à laquelle
nous sommes confrontés n’est pas seulement économique
ou militaro-politique. Nous sommes confrontés à une crise
beaucoup plus profonde, une crise d’esprit, d’engagement
en faveur de notre peuple et de son bien-être à long terme.
Nous devons honnêtement et franchement nous mettre
à la tâche si nous voulons laisser un héritage aux
générations futures, un héritage dont nous serions en droit
d’être fiers en tant que peuple centrafricain. Il est clair que
si la République centrafricaine n’agit pas ensemble et ne
s’unit pas autour de ses intérêts stratégiques, cela risque de
porter préjudice à tous.
Au regard de ce qui s’est passé en Centrafrique pendant
ces deux dernières décennies, et en prenant en compte à la
fois les différents acteurs à l’origine des psychodrames
centrafricains, et ceux qui sont engagés au niveau national
dans la recherche des solutions aux différentes crises
militaro-politiques, nous voulons citer : les politico-
militaires, les milices, les gouvernements (qui se sont
succédés), les politiques, mais surtout la société civile : ce
fourre-tout où se terrent des politiciens ratés ou retraités,
en attente d’une hypothétique nomination ; des regroupe-
ments apolitiques qui ne font que faire de la politique ; des
organisations non gouvernementales (ONG) en apparence,
abritant des militants en tenues d’agents humanitaires ;
enfin, à ne pas passer sous silence, tous ces regrou-
pements, toutes ces personnes dignes et respectables se
réclamant de cette société civile ; beaucoup de questions

46
se posent aujourd’hui : où sont passés ou que sont devenus
aujourd’hui nos intellectuels et nos penseurs ? Y aura-t-il
un jour un gouvernement des « intellectuels », sachant
qu’il y a eu dans le passé des gouvernements « militaire de
redressement national », de « salut public », de « dialogue
et de paix », d’ « électriciens et de réparateurs », de
« rebelles et de politico-militaires », etc. ? Pourquoi ces
« intellectuels » ne s’organisent-ils pas en institutions de
référence pour proposer des solutions idoines aux crises
récurrentes que connait le pays ? Pourquoi ne s’imposent-
ils plus dans les débats politiques comme le faisaient jadis
au Centre Protestant pour la Jeunesse (CPJ), au Centre
Culturel Français (CCF) ou au Centre Jean XXIII de
Bangui, des grands orateurs et hommes à poigne comme :
Alphonse Blagué, Raphaël Nzabakomanda-Yakoma,
Golondo, Pamadou-Pamoto ou Goneyo-Répago ? C’était
véritablement une « classe d’élites ».
Certes, en République centrafricaine comme un peu
partout en Afrique, sont généralement affublés du titre
d’intellectuels, tous ceux qui ont fait des études
supérieures, même s’ils n’ont pas un goût prononcé pour
les choses de l’esprit. On retrouve aussi dans cette
catégorie, des commis et autres auxiliaires de l’adminis-
tration publique ou privée qui, promus par ancienneté ou
souvent par népotisme à des grades et fonctions supé-
rieurs, s’imaginent « intellectuels ». Toutefois, on peut les
regrouper les uns et les autres dans six grands groupes :
1. Des intellectuels blasés et muets : il s’agit de ceux
qui, malgré leur niveau d’études, restent indifférents
aux affaires de la cité, mais demeurent des
professionnels compétents et performants. Philoso-
phes, sociologues, psychologues, anthropologues,
historiens, géographes ou autres, leurs voix ne
s’élèvent souvent que dans les salles de classes des

47
lycées, les amphithéâtres des universités, les services
administratifs ou chez eux.
2. Des intellectuels tièdes et intermittents : ce sont ceux
qui, de temps à autres, osent écrire quelques rares
articles, faire quelques interventions sans aucun éclat
particulier. Ils tombent aussitôt dans l’oubli et
finissent par vautrer dans l’indifférence totale.
3. Des intellectuels en attente de déploiement rapide :
ils sont partout présents, et passent tout leur temps à
veiller et à attendre la moindre occasion qui se
présente devant eux. Ils ne reculent devant rien pour
assouvir leurs ambitions politiques ; et sans
réfléchir, ils s’embarquent pour les premiers postes
de Ministre, de Conseiller ou de Porte-parole du
gouvernement ou de la Présidence de la République.
Généralement, ce sont d’intrépides courtisans,
d’irréversibles intrigants et de véritables spécialistes
rompus aux stratagèmes d’ascension politique
rapide. Toujours présents dans toutes les manifes-
tations de soutien au régime au pouvoir, ou au
candidat potentiellement éligible, ils font tout pour
éblouir, si ce n’est pour paraitre, même au prix du
ridicule.
4. Des intellectuels politiciens échaudés : en
République centrafricaine, comme dans plusieurs
pays d’Afrique d’ailleurs, l’intellectuel mué en
politique a fini toujours par décevoir. Ecrivains et
essayistes, avocats ou journalistes, dans tous les cas,
brillants formateurs ou technocrates, ils jouissent
d’une autorité certaine dans le domaine de la pensée,
savent s’imposer et se faire respecter partout. Mais
improvisés hommes politiques, ils finissent souvent
par décevoir et perdre leur notoriété. Nous savons
encore que des partis uniques en Centrafrique
comme le MESAN (de David Dacko) ou le RDC

48
(d’André Kolingba), ainsi que des despotes comme
Jean Bedel Bokassa, André Kolingba, François
Bozizé et Djotodja ont été soutenus ouvertement par
de nombreux intellectuels véreux, qui ont fait de
grandes études dans de grandes écoles d’Europe et
qui ont une capacité d’analyse pertinente avérée,
mais qui n’ont aucune conviction politique.
5. Des intellectuels inclassables : il s’agit ici des
intellectuels que nous pouvons qualifier de
« flottants » ou d’ « opportunistes », qui n’ont pas
d’engagement politico-citoyen ferme et qui pensent
que la gestion de la cité, la résolution des problèmes
des populations et de la chose publique relèveraient
des seuls hommes de valeur et de grand talent
comme eux.
6. Des intellectuels serviles : ils sont souvent plus
téméraires, plus zélés et plus visibles. Dotés d’une
bonne capacité d’analyse, ils mettent leur
imagination au service du pouvoir en place qu’ils
peuvent servir avec loyauté. C’est le cas d’un
fameux philosophe, éminent Maître de conférences à
l’Université de Bangui qui a pu servir, sans
discontinuité, Ange Félix Patassé, François Bozizé,
Djotodja et aujourd’hui Catherine Samba-Panza.
Bref, il appartient à cette classe d’ « élites
intellectuelles centrafricaines », de créer un espace de
courage, de résistance, d’abnégation et surtout de vision à
long terme, faute de quoi, les rebellions auront encore de
beaux jours devant eux. De toute évidence, le problème
qui se pose aujourd’hui à nos intellectuels, c’est celui de
leur niveau d’héritage et de créativité scientifiques, et de
leur autonomie par rapport aux modèles des écoles
occidentales qu’ils critiquent et diabolisent constamment.
Beaucoup de gens jugent déplorable la tendance à vouloir
rejeter systématiquement tout ce qui vient de l’extérieur ou

49
des registres coloniaux. Certes, c’est une tendance fondée,
mais il faut encore que nos intellectuels soient capables de
réévaluer leurs richesses culturelles.

IV. L’IDENTITÉ DU PAYS ET LE RESPECT DE


SES CITOYENS
On peut dire, sans se tromper que, le non-respect de
l’identité de la RCA de ses citoyens résulte de plusieurs
facteurs :
1. Non l’administration coloniale a interrompu
l’évolution naturelle des valeurs culturelles et
traditionnelles du pays, mais elle a aussi rabaissé et
dénigré ses valeurs – valeurs culturelles – qui
constituent une base essentielle de l’identité d’un
peuple.
2. La « perte » de notre identité, au profit des dirigeants
étrangers, et la déshumanisation concomitante de
nos populations déclenchée par le colonialisme et
l’impérialisme, sont aujourd’hui préoccupantes.
3. Le peu d’empressement de créer nos propres
institutions, de croire en elles et de les entretenir.
4. Les échecs et frustrations politiques et économiques
de l’heure, qui semblent douter de nos capacités à
résoudre nos problèmes, en toute confiance et de
façon satisfaisante, nous rendant la plupart du temps
dépendants des autres.
5. Le fait que nous n’ayons apparemment pas accompli
beaucoup de progrès dans notre vie politique et
économique, depuis l’indépendance du pays : tout
cela a engendré une crise identitaire et d’estime de
soi.

50
S’agissant du rétablissement du respect de notre pays et
de notre dignité, nous pensons qu’il faudra nécessaire-
ment :
 Bâtir une nouvelle société centrafricaine, à partir de
ses racines culturelles, pour donner au peuple
centrafricain un véritable sentiment d’authenticité et
d’enrichissement.
 Mettre en place des structures éducatives destinées à
développer d’une part, les capacités intellectuelles
de la population, et à d’autre part, des attitudes et
des perceptions positives chez des centrafricains
« lettrés » qui font montre de respect ;
 Créer des structures éducatives qui mettront l’accent
sur la créativité et l’esprit d’innovation, et non
d’imitation, et qui combleront le fossé qui sépare
l’élite de la masse.

V. LA PAUVRETÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRI-


CAINE
Partout, on parle de mondialisation, de bonne
gouvernance, de développement durable. Et la pauvreté
aussi est bien là ; elle fait partie du vécu quotidien de
millions d’individus. Elle voyage à travers le monde sans
passeport. Derrière les visages des hommes et femmes
victimes de ce fléau, se cachent des réalités bien tristes,
faites de vies sans espoir et sans possibilités de choix.
Combattre la pauvreté devient finalement l’action
prioritaire de l’humanité toute entière, comme de celle de
la population centrafricaine.
Du coup, la pauvreté devient une notion tragique mais,
à certains égards, confuse qui transite dans les marges de
l’économie, du social et du culturel. Bien souvent, il s’agit
d’un faux fuyant linguistique qui sert de bouche trou au
concept de développement dont on ose de moins en moins

51
parler, parce qu’on sait de moins en moins « ce que c’est »
et que la mode est plutôt aux ajustements et à
l’assainissement financier et économique... A quelque
chose, malheur est bon. Le fait de ne plus s’obnubiler sur
le développement conduit finalement à se poser une
question de bon sens : Que faire concrètement pour
améliorer la vie quotidienne du grand nombre et réduire
la peine des parlas et des exclus.
Par contre coup, l’idée de croissance pourrait être un
jour renouvelée par le sentiment (puisqu’il s’agit encore
d’une intuition) qu’une vraie croissance a au moins pour
première vocation d’éliminer la « pauvreté » ou du moins
les situations les plus criantes d’injustice, de misère, bref,
de déréliction morale et physique de centaines de millions
de personnes sur la planète. On pourrait alors se poser une
question « audacieuse », qui conduirait en quelque sorte à
l’inversion de la « filière orthodoxe » : comment la
réduction de la pauvreté dans la vie quotidienne peut
constituer un véritable levier de la croissance et du
développement ?
D’ores et déjà, l’Assemblée Générale des Nations Unies
avait, jadis, déclaré la période 1996-2006, Décennie pour
l’Eradication de la Pauvreté. Mais, quel que soit le défi à
relever, le point de départ est une prise de conscience :
chaque année, du 17 au 24 octobre est célébrée la semaine de
sensibilisation pour la lutte contre la pauvreté. Le présent
paragraphe traite du problème de la pauvreté en République
centrafricaine et des stratégies à mettre en œuvre pour la
combattre.

1. Les hypothèses de la pauvreté en République centra-


fricaine
Les « hypothèses » de la pauvreté en Centrafrique
examinées dans ce sous-paragraphe ne prétendent en

52
aucune façon à l’exhaustivité, non plus qu’à la pertinence
absolue. Il faut surtout les considérer comme des pistes de
recherche, des sentiers dont le tracé sera tracé ou balisé
dans un futur :
 Premièrement, la croissance démographique du
pays contribue certainement à peser sur le niveau de
vie précaire de la population centrafricaine. Mais, la
démographie en République centrafricaine peut aussi
masquer des facteurs de pauvreté plus évidente
comme : la négligence de l’agriculture, la mauvaise
gestion de l’espace, les disparités socio-
économiques criantes, etc.
 Deuxièmement, la pauvreté est fondamentalement un
problème de sécurité aussi bien dans l’ordre
économique que politique. Mais rien ne prouve, bien
au contraire, que le minimum de sécurité auquel
chaque centrafricain a droit dans un contexte de
crises militaro politiques et économiques, exige un
niveau de production par tête qui serait celui de
l’Occident. La rareté de certaines ressources dans le
pays est de temps en temps amplifiée de façon
artificielle par le fait d’avoir à gérer des systèmes
d’organisation importés sans précaution et sans
doute par une molécularisation sociale excessive qui
fait trop souvent obstacle à l’exercice du minimum
de « biens communs ».
 L’inégale répartition des richesses et leur mauvaise
gestion amplifient dangereusement la pauvreté
relative et absolue en Centrafrique. La population
centrafricaine adopte souvent des modèles de
consommations standards secrétés par les pays
développés, sans qu’elle puisse avoir les moyens de
produire ou d’importer les biens qui y
correspondent. La mauvaise gestion du marché des
matières premières ne fait qu’accentuer ce désé-

53
quilibre. L’existence des modèles de développement
constitués historiquement, souvent de son côté, un
obstacle à la recherche de solutions novatrices. Rien
ne prouve d’ailleurs que les pays du Nord ne
puissent eux-mêmes le pérenniser, autant que son
coût environnemental risque de peser de façon
insupportable sur leur propre développement et sur
celui de la planète.

La « pauvreté » est sans doute liée pour une part non


négligeable à la dégradation de l’environnement ainsi qu’à
la croissance rapide de la population centrafricaine, mais il
est probable que l’importance de ce deuxième facteur ait
été surestimée. Le problème de la pauvreté en RCA est
protéiforme. Il y a donc pauvreté lorsque les participants à
un système économique, social et environnemental ne sont
plus en mesure d’assumer son coût de reproduction.

2. Les visages de la pauvreté en République centrafri-


caine
En octobre 1997, le Bulletin d’Information du Système
des Nations Unies en République centrafricaine a publié
les résultats d’une enquête auprès de la population touchée
par la pauvreté. A la question de savoir : qu’est-ce que la
pauvreté et êtes-vous pauvre ? Voici les réponses de
quelques personnes sélectionnées au hasard :
 Angèle (quartier Lipia) : Quand la pauvreté frappe à
la porte de quelqu’un c’est très dangereux, car la
victime n’a ni maison, ni vêtement pour se mettre à
l’aise. J’accepte que je sois partiellement pauvre, car
je me débrouille pour trouver un peu à manger et je
dors dans une case.
 Fabien (quartier Lakouanga) : La pauvreté pour moi,
est un manque de bien-être minimum. Je ne suis pas

54
pauvre, parce que j’ai un petit boulot qui me permet
d’assurer l’essentiel des besoins de ma famille
(nourriture, santé, éducation).
 Pascal (quartier Boulata) : Le pauvre, c’est celui qui
n’a pas les moyens de faire des choses importantes,
ni de trouver à manger. Je suis pauvre, parce que là
où j’habite est sale et enclavé : il n’y a ni rue, ni
électricité. Quand il fait nuit, je suis bloqué, je ne
peux pas sortir.
 Habib (quartier Potopoto/ville) : La pauvreté, selon
moi, est l’absence de moyens permettant la jouis-
sance du bien-être. Le pauvre, c’est quelqu’un qui
n’a que le strict minimum pour vivre, mais moi, je
vis modestement puisque j’ai quand même une
source de revenus que j’obtiens à travers un emploi.
Je fais allusion ici à l’argent, car c’est ça qui condi-
tionne tout.
 André (quartier Issa Ibrahim) : La pauvreté, c’est
quand tu ne travailles pas. Pour le moment, je suis
pauvre, mais pas tout à fait, parce que j’exerce un
petit métier qui me procure le strict minimum de re-
venus.
 Bertin (quartier Galabadja sinistré) : Pour moi, les
pauvres sont ceux qui n’ont pas d’argent, qui trou-
vent difficilement à manger, qui dorment dans des
taudis… Je peux accepter aujourd’hui que je suis
pauvre, parce que dans la vie tout le monde n’a pas
les mêmes capacités. Certains roulent voitures, ont
des villas mais, d’autres n’ont absolument rien. Ils
n’arrivent à survivre qu’en quémandant par ci par là.
Moi, par contre, je peux trouver le strict minimum,
parce que je suis chauffeur.
 Joël (orphelin sans domicile fixe) : J’étais un peu à
l’aise quand mes parents étaient encore en vie. Mais,
depuis qu’ils sont morts, me laissant à la charge des

55
oncles et cousins, j’ai connu des moments très diffi-
ciles de ma vie : je n’avais pratiquement pas
d’habits, je ne mangeais plus à ma faim et je fûs
même chassé de la maison, parce que je devenais
intraitable selon eux, ce qui m’a amené à me livrer
au vagabondage avec toutes les conséquences qui en
découlent (vols, trafics de drogue, faux et usage de
faux, etc.…)
 Alain-Michel (quartier Ngongono 5) : J’accepte que
je suis pauvre, parce que pour le moment, je ne fais
rien, je n’ai pas de travail, je suis à la maison. La si-
tuation dans laquelle vit ma famille me préoccupe au
plus haut point. J’aimerai avoir un petit lopin de
terre pour subvenir aux besoins de ma famille, mais,
je n’ai pas pu, parce qu’il faut de l’argent pour
l’acheter.
 Jean-Michel (Cité Jean XXIII) : La pauvreté, c’est la
situation qui mène quelqu’un à trouver difficilement
à manger, à se soigner et à manquer le strict mini-
mum de ce qu’il voulait avoir. Moi, je ne peux pas
accepter qu’on me traite de pauvre, puisque je suis
encore robuste. Je suis en mesure de travailler pour
subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille. Être
pauvre pour moi, c’est lorsqu’on est handicapé phy-
sique.
 Félix (quartier Galabadja) : Le pauvre, c’est celui
qui n’a plus les yeux pour voir, car s’il en avait, il
pourrait chercher à avoir de quoi à subvenir à ses be-
soins ; un petit boulot par exemple, parce qu’il n’y a
pas de sous-métiers.
 Claire (SICA 1) : Il y a deux formes de pauvreté : la
pauvreté externe (visuelle) et la pauvreté interne
(spirituelle).
 Martial Salomon, restaurateur : Pour moi, la pau-
vreté c’est lorsqu’on a pas de quoi manger, se vêtir,

56
se soigner. Je ne suis pas pauvre, parce que j’ai
néanmoins de quoi à mettre sous la dent. Il est au-
jourd’hui difficile de vivre décemment comme par le
passé, parce que la dévaluation du franc CFA a fait
grimper les prix des denrées et marchandises
 Fred, fonctionnaire de l’Etat : Pour moi, on peut
voir la pauvreté sur les plans matériel et financier.
Depuis plus de 30 ans, la RCA a traversé des pé-
riodes de crise liées à la chute des prix de nos
produits agricoles. Du coup, le fonctionnaire centra-
fricain que je suis, n’est plus riche comme avant. Je
ne dirai pas non plus qu’il est pauvre.

3. La définition de la pauvreté selon le rapport mondial


sur D.H. 1997
Depuis 1990, le PNUD publie chaque année le Rapport
Mondial sur le Développement Humain. Celui de 1997 a
comme particularité de traduire l’engagement indéfectible
du PNUD de faire de l’éradication de la pauvreté sa
priorité essentielle. Le message essentiel est que la
pauvreté n’est pas une fatalité. Le monde dispose des
ressources et du savoir-faire pour faire totalement
disparaitre la pauvreté en moins d’une génération.
Le rapport fait un tour d’horizon des tendances
mondiales de ce phénomène avant d’évaluer l’ampleur des
problèmes qu’il pose à l’échelle planétaire. Ensuite, il
propose les actions prioritaires pour lutter contre la
pauvreté à l’échelle nationale, ainsi qu’un programme
mondial de soutien à ces initiatives. Comme autre
particularité, le rapport 1997 définit un indicateur de la
pauvreté humaine (IPH) qui mesure pays par pays, la
pauvreté dans la perspective du développement humain.
L’IPH se fonde sur trois variables : i) le risque de décider
à un âge précoce ; ii) le taux d’analphabétisme et iii) la

57
misère sur le plan des conditions de vie, exprimée par le
manque d’accès aux services de santé, à l’eau potable et à
une alimentation convenable. Cet outil se distingue des
indicateurs classiques qui mesurent la pauvreté en termes
de revenus. Il fait donc la différence entre pauvreté
humaine et pauvreté monétaire.
Selon ce rapport de 1997 : « La pauvreté n’implique
pas seulement une pénurie d’éléments nécessaires au bien-
être matériel, mais aussi l’absence d’opportunités qui
permettraient de bénéficier d’une existence tolérable. La
pauvreté possède une multiplicité de visages et va bien au-
delà d’une insuffisance de revenu. Elle se reflète aussi
dans de mauvaises conditions de santé ou d’éducation,
dans le manque d’accès au savoir et aux possibilités de
communication, dans l’impossibilité d’exercer des droits
politiques et de faire valoir les droits de la personne
humaine et dans l’absence de dignité, de confiance et de
respect de soi-même. Il faut ajouter la dégradation de
l’environnement et la paupérisation du pays tout entier,
dans lequel la quasi-totalité de la population vit dans la
pauvreté ». Ces indicateurs sont importants.

4. Les quelques exemples d’activités de lutte contre la


pauvreté en R.C.A.
Appui aux actions d’auto-développement dans la
Basse-Kotto
Ce projet est basé à Kongbo avec des antennes dans
trois autres localités de la préfecture de la Basse-Kotto, à
savoir : Kémbé, Alindao et Mobaye. A Kongbo, un
groupement villageois composé d’une quinzaine de jeunes
filles mène des activités génératrices de revenus telles que
la couture et la saponification.
Elle a bénéficié récemment d’une aide de l’UNICEF
d’un montant total de près de 1.040.000 F CFA, destinée à

58
la formation des membres dans le domaine de la couture.
Toujours, dans cette même ville, un autre groupement
dénommé Dabissi, a considérablement œuvré pour le bien-
être de la population locale. Il gère un dépôt de matériaux
de construction (planches, tôles, ciment, etc.) qui a bien
fonctionné ; cependant, à cause des difficultés rencontrées
dans le convoyage des produits depuis Bangui (manque de
voyages), suivi de rupture de stock, le dépôt a dû fermer
ses portes.
Il existe également dans cette région une autre activité
non moins importante : il s’agit des « tontines
améliorées », une sorte d’entraide sur fonds de crédit.
Elles sont pratiquées par les groupements féminins de
Mobaye et de Kémbé. Comment fonctionnent-elles ?
 Au jour J, chacune des membres donne sa quote-part
au cours d’une réunion programmée pour la cir-
constance ;
 le montant de la somme recueillie sur place est auto-
matiquement remis à la bénéficiaire du moment ;
 un débat autour des activités à mener par cette
dernière avec l’argent de la tontine s’instaure
aussitôt, l’objectif recherché étant d’amener l’heu-
reuse bénéficiaire à se lancer dans une activité
quelconque rentable qui lui permettrait d’honorer à
temps ses engagements vis-à-vis du groupement.
Cela permettra aux autres membres du groupement
de bénéficier à leur tour, des mêmes avantages.

Le programme n’est qu’à ses débuts, mais déjà les


premiers résultats sont déjà prometteurs. Par ailleurs, la
santé, facteur de développement, n’a pas été négligée dans
la région, à en croire l’existence, un peu partout, des
pharmacies villageoises gérées par des comités de gestion
(COGES) mis en place par les populations elles-mêmes.

59
D’une manière générale, les populations locales, toutes
structures confondues, ont reconnu l’enjeu de la situation
de misère et de pauvreté dans laquelle elles se trouvent,
malgré les potentialités dont regorge la région. Elles ont
décidé de se mettre résolument au travail, afin de valoriser
les activités d’auto-développement qu’elles ont initiées.

Les actions du Projet CAF/91/024, Programme de


Développement de la Savane Vivrière (PDSV) en fa-
veur des jeunes de Yaloké et de la Nana-Mambéré
Les préfectures de l’Ombella-M’Poko et de la Nana-
Mambéré ont connu un départ massif des jeunes ruraux
vers la capitale où ceux-ci espéraient trouver un travail
salarié. Malheureusement, le plus souvent, ils se
retrouvent chômeurs et délinquants.
Le programme mis en œuvre par le Projet de
Développement des Savanes Vivrières (PDSV) consiste à
appuyer les jeunes (hommes et femmes) de la région, qui
ont choisi de rester au village, à augmenter leurs revenus
par l’amélioration de leurs conditions de travail. Un appui
technique et financier, sur la base d’un contrat, leur est
garanti pour leur permettre de mettre progressivement en
place une exploitation agricole moderne. Pour bénéficier
de ce programme qui est étalé sur trois ans, le candidat ou
la candidate doit répondre aux critères suivants : être
âgé(e) de 17 à 30 ans ; s’engager volontairement à suivre
et à respecter les clauses du contrat ; être de préférence
marié, installé dans le village depuis plusieurs années et
cultivant déjà une exploitation ; être membre actif d’un
groupement et avoir l’accord du village et la garantie du
chef de village.
Des centaines de jeunes de la région adhèrent déjà au
programme : chacun a bénéficié d’un crédit substantiel
(semences de sésame, houes, pioches) d’une valeur de

60
12 000 F CFA pour exploiter un champ d’une superficie
de 75 ares. Pour le moment, les premiers résultats sont
promoteurs.
En conclusion, nous constatons qu’au cours des deux
dernières décennies, l’économie centrafricaine a été
confrontée de plein fouet par une série de crises, non
seulement économiques, mais surtout militaro-politiques,
qui ont presque réduit à néant les efforts consentis au
lendemain de l’indépendance du pays, et fait de la
République centrafricaine un pays dont la paupérisation
cristallise les débats, ainsi que la spéculation sur des
éléments comme les spécificités de la gouvernance
démocratique du pays, son insertion dans le système
mondial, sa culture, etc.
Aujourd’hui, la République centrafricaine est, comme
cela a été reconnu de tous, dans une sérieuse crise
économique et culturelle. Usant à la fois de l’analyse
quantitative et qualitative, nous sommes d’accord
qu’aujourd’hui, ce pays est devenu globalement et structu-
rellement très faible de plusieurs manières. Les luttes
politiques qui ont conduit aujourd’hui aux guerres civiles
et aux crises militaro-politiques indiquent l’étendue avec
laquelle la cure de la « maladie » centrafricaine se devra
d’être globale et structurelle.
Ces dernières décennies peuvent être décrites dans ce
qu’a dit Claude Ake : « C’est vraiment un temps de crise,
crise de confiance en nous-mêmes, crise de notre vie
politique et économique. Politiquement, la tendance a été
un échec dans la consolidation des acquis de la lutte anti-
coloniale pour concrétiser et faire avancer notre déter-
mination. Nous avons opté pour le développement du
corrompu, les oligarchies inefficaces et irresponsables, le
fascisme, le pouvoir militaire et le non-affranchissement
politique des masses et, dans certains cas un retour virtuel
à la domination de nos maîtres (Ake 1985 :11) ».

61
Les crises récurrentes que le pays ne cesse de connaitre
depuis plus de deux décennies, paraissent être, à ce stade,
générales bien qu’il ne soit pas aisé d’identifier avec
précision leurs causes, du fait que les conditions
culturelles internes dans le pays et l’expansion de la
domination du capitalisme périphérique sont en train de
vivre un véritable mariage conflictuel.
De surcroit, le processus de démocratisation en
République centrafricaine s’opère aujourd’hui dans un
contexte de délégitimassions de l’Etat. D’abord, les reven-
dications démocratiques l’ont considérablement affaibli.
Aussi, les appareils d’Etat sont-ils dénoncés pour leur
faible performance opérationnelle, leur politisation, leur
patrimonialisation et dans certains cas, leur ethnicisassion.
Le processus de démocratisation n’a guère éradiqué ces
maux qui restent d’actualité en Centrafrique. La culture de
l’arbitraire perdure et infecte indéfiniment le présent, alors
que les gouvernements durables sont aujourd’hui ceux qui
possèdent la volonté de créer un « nouvel art de vivre et de
travailler ensemble ». La République centrafricaine n’est
pas le seul pays au monde qui doit apprendre à gouverner
de façon plus humaine et plus avisée : c’est une nécessité
qui se fait sentir dans le monde tout entier.
Selon les termes de Kaptan, nous assistons aujourd’hui
en Centrafrique, au déclin de l’autorité de l’Etat, à la
montée des entités tribales et régionales, à la propagation
incontrôlée du venin du clientélisme et à la généralisation
de la haine dans le pays. Comme nous l’avons déjà dit,
l’image de la haine d’Armageddon que l’on donne de nos
jours à la République centrafricaine, ressemble beaucoup
aux images de barbarie qui ont été peintes au XIXe siècle.
C’est pourquoi, trouver une réponse à la question aussi
complexe que celle du développement d’un pays comme
la République centrafricaine, est une réelle entreprise qui
n’a pas de fin. Et si l’on écrit un livre dans des conditions

62
de cette nature, il faut s’arrêter à un moment donné pour
examiner si les éléments communs de l’expérience
centrafricaine peuvent être convertis en principes qui
pourraient donner aux fils de ce pays une meilleure chance
d’atteindre leur objectif – en l’occurrence, réussir dans le
domaine du développement.
D’un autre point de vue, toutefois, le présent chapitre
qui s’achève, a pris forme au cours des conversations que
nous avons eues avec des villageois et des citadins dans un
certain nombre de régions de la République centrafricaine
où nous avons voyagé, en qualité de chercheur. Ces
collaborateurs ou interlocuteurs (enquêtés) nous ont
enseigné que si nous, chercheurs, voulons être capables de
contribuer à réhabiliter l’histoire de ce pays, nous ne
devons pas raisonner de la même manière que les
« colons ». Nous devons, au contraire, apprendre à penser
comme « les illettrés et les affamés des villages et des
bidonvilles de la RCA ». C’est un point de vue partagé par
plusieurs personnes interrogées dans des régions visitées
où, d’une manière générale, beaucoup de gens nous ont
aidés dans nos différentes investigations. Parmi eux,
quelques-uns ont été particulièrement généreux de leurs
temps et de leurs riches conseils : Pierre Kodro à Sibut,
Paul Nahibé à Kaga-Bandoro, Raphaël Kovouma et
Bernard Kongbo à Banagassou, Jean Bida à Bambari.
Bref, plusieurs personnes rencontrées dans ces différentes
localités du pays dont il est préférable de taire le nom au
cours de cette période trouble que traverse la République
centrafricaine, et qui persiste à l’heure où nous écrivons
ces lignes.
Nous tenons à leur rendre hommage pour le consi-
dérable et remarquable travail d’appui qu’ils ont accompli
pendant nos différents séjours sur le terrain.

63
CHAPITRE II

Le pays à la recherche de la cohésion sociale

L’obtention de l’indépendance politique du pays, le 13


août 1960, et la fin concomitante de la colonisation du
territoire d’Outre-mer de l’Oubangui-Chari (République
centrafricaine), ont naturellement engendré de l’euphorie
et de l’espoir pour un avenir plus prospère. L’espoir était
bien fondé sur l’hypothèse selon laquelle le contrôle
politique de nos affaires nous apporterait : le respect de
nous-mêmes (centrafricains), le pouvoir de gérer nos
propres affaires – et partant, de contrôler notre propre
destin. En quelque sorte, nos richesses qui étaient
auparavant détournées vers la métropole coloniale, allaient
désormais rester dans notre pays.
Cela fait plus de soixante ans que la RCA a conquis
indépendance, et ce pays continue de lutter pour sortir de
la misère et de l’ignorance. Nous nous demandons à juste
titre, ce qui a mal tourné ? Nous l’avons déjà démontré
dans le précédent chapitre que la République
centrafricaine traverse aujourd’hui une crise profonde.
C’est une crise de valeurs qui a fait que ce pays, depuis
plusieurs décennies, n’a plus de contrôle sur sa propre
destinée.
I. ÉTAT DES LIEUX DU PROCESSUS DE DÉMO-
CRATISATION
L’examen du processus de démocratisation de la
République centrafricaine, qui dure depuis plus de deux
décennies, fait ressortir, sur la base du tableau élaboré par
Patrick Quantin (2000), fait ressortir trois cas de figure :
Premièrement, un processus de décompression
autoritaire, jusqu’en 1993, caractérisé par l’organisation
des élections compétitives et l’installation subséquente de
nouvelles autorités politiques (démocratiquement élues),
ainsi que la libération du champ politique. C’était l’époque
du passage de témoin entre le général André Kolingba et
le Président « démocratiquement élu », Ange Félix
Patassé. Malheureusement, ce processus ne durera que
deux ans, dans un contexte de mutineries, de rebellions et
de crise multidimensionnelle, ainsi que d’un rétrécis-
sement du champ de la politique et de l’étiolement de
l’espace étatique. Bien entendu, la situation concrète fut
bien plus complexe et antinomique, car on ne peut espérer
un changement drastique sur une si petite période de
résistance et de lutte pour la démocratie. Devant la montée
de la résistance militaire au pouvoir, la réponse des
autorités établies a été d’abandonner les valeurs démo-
cratiques et de recourir aux tactiques autoritaires.
Deuxièmement, la restauration autoritaire et le retour
des anciens dictateurs avec des fragiles consolidations, à
partir de 2003 avec le coup d’état du général François
Bozizé, et de celui de Michel Djotodja en 2013.
Troisièmement, la transition achevée dans l’entente
d’une consolidation, gérée par Madame Catherine Samba-
Panza depuis 2014 et caractérisée par la mise en place des
pouvoirs de transition dont l’enjeu est aujourd’hui
l’organisation des prochaines élections compétitives et
l’installation subséquente de nouvelles autorités politiques
issues des urnes. C’est bien entendu une donne nouvelle

66
dans le système politique centrafricain qui s’est surtout
illustré pendant longtemps par leur caractère autoritaire,
ou tout au moins, par le refus des pouvoirs en place à
l’époque d’accepter formellement- la compétition
politique, telle qu’inspirée de la pratique des démocraties
pluralistes. On pourrait donc, sans se tromper, considérer
que la fin de l’année 2015 va correspondre à un revirement
radical du discours « idéologique » sur la politique en
République centrafricaine et une vertu politique cardinale
nécessaire pour le développement économique et social de
ce pays meurtri.
Etant donné les multiples difficultés auxquelles le pays
se heurte aujourd’hui, il n’est pas étonnant qu’il connaisse
une aussi grande instabilité intérieure, qui va aujourd’hui
jusqu’à l’anarchie. Cette instabilité est surtout liée aux
multiples conflits militaro-politiques et surtout confes-
sionnels, parce que désormais, chrétiens et musulmans
s’affrontent dans tous les quartiers, localités et régions.
Ces conflits ont finalement pris le caractère de rebellions
et de guerres civiles. Comme nous l’avons déjà fait
remarquer, on peut mesurer l’instabilité politique au
nombre des coups d’Etat et des tentatives de coup d’Etat
qui se sont produits depuis l’indépendance du pays. De
multiples complots sont chaque année, chaque mois,
chaque semaine et chaque jour signalés, mais il est
difficile d’en évaluer le nombre et l’importance.
En tout état de cause, il est évident que beaucoup
d’évènements politiques intérieurs nuisent aujourd’hui au
développement de ce pays, pourtant riche en ressources
naturelles, ne serait-ce qu’en détournant l’attention au
détriment des actions plus constructives. De fait, beaucoup
de secteurs de production sont profondément touchés
aujourd’hui : l’agriculture, l’industrie, le commerce, etc.
Ainsi, la mise en place de processus et d’une culture démo-
cratique en RCA est finalement menacée et sérieusement

67
entravée par des séries de mutineries et de rebellions armées.
La démocratie devient ainsi absurde. Le peuple centrafricain
doit reprendre son destin en mains, s’il veut réaliser des
progrès en matière de démocratisation du pays.

1. Le patrimoine centrafricain
Le patrimoine centrafricain représente, d’un point de
vue général, un ensemble d’attitudes, de valeurs, de
problèmes et de ressources qui semblent expliquer et
représenter le passé centrafricain. Cependant, d’un point
de vue spécifique, le patrimoine centrafricain englobe
plusieurs choses, dont certaines sont positives et d’autres
négatives.
Commençons par quelques-uns des aspects positifs du
patrimoine centrafricain. La République centrafricaine est
certainement « un pays où coulent le lait et le miel ». Pour
cette raison, le pays abrite certaines valeurs socio-
culturelles : les merveilles de l’architecture et de la
médecine (Pygmées) n’en finissent pas d’étonner de
nombreux chercheurs modernes. Même les plus farouches
critiques des réalisations centrafricaines sont aujourd’hui
fascinés par l’art de la Lobaye et du Mbomou.
Sur le plan des ressources, la République centrafricaine
n’est pas le pays le plus pauvre d’Afrique. Elle possède
d’énormes ressources minières (diamant, or, uranium,
manganèse, gisement de pétrole...) qui attendent d’être
exploitées dans la Mambéré-Kadei, dans la Lobaye et dans
le Mbomou. Dans le domaine de l’agriculture, le potentiel
de la RCA est énorme. Sur le plan de la biodiversité, le
pays possède également quelques-unes des espèces végé-
tales et animales les plus rares au monde. La beauté du
pays reflète celle de son peuple. De l’ouest à l’est, du nord
au sud, on trouve certaines des plus belles figures des

68
différentes communautés ethniques (Yakoma, Banda,
Gbaya, Mbimou, etc.)
Cependant, pour ce qui concerne les aspects négatifs, le
patrimoine centrafricain est étonnamment consternant.
Depuis quelques temps, la RCA est la moins habitable. La
crise de l’hospitalité dans l’histoire récente englobe les
problèmes de maladies tropicales, la catastrophe du
VIH/Sida, les difficultés de communications et de transport,
les crises militaro-politiques, la mauvaise gouvernance, la
mauvaise gestion de l’économie, et l’instabilité politique
générale. En outre, la République centrafricaine possède un
héritage fait d’humiliations (commerce des esclaves,
racisme, colonisation, mondialisation néolibérale, etc.)
Malgré son patrimoine de richesses minières et de
potentiel agricole, la RCA demeure un pays en crise. La
crise de ce pays est celle de la pauvreté et de la misère
économique. Le journal Le monde de septembre 2014
déclarait que la République centrafricaine souffrait de
toutes sortes de crises, allant de la surpopulation et
l’absence de nourriture à la paresse pure et simple.
Notamment, en tant que pays le plus pauvre d’Afrique
centrale, la République centrafricaine se paupérisait
d’avantage à un rythme accéléré. Aujourd’hui, plus de
deux millions de personnes vivent dans ce pays avec
moins d’un dollar par jour. C’est un héritage de désespoir
pour les jeunes.
Certes, il est vrai que l’identité centrafricaine est encore
en formation. Il n’y a pas d’identité finie qui soit
centrafricaine. Mais en même temps, il y a une identité
naissante. Et elle se situe dans un certain contexte et un
certain sens. Car, lorsque nous rencontrons quelqu’un dans
un magasin à Paris (en France), il nous demande « êtes-
vous Africain ? », ce qui signifie quelque chose pour les
gens. Chacune de ces étiquettes revêt une signification,
ainsi qu’un prix à payer et une responsabilité à assumer.

69
Malheureusement pour le Centrafricain, toutes ces
marques sont des marques d’incapacité.
Cependant, la question la plus cruciale aujourd’hui en
Centrafrique est surtout de savoir, comment la jeunesse
centrafricaine pourrait s’approprier les aspects tant positifs
que négatifs du patrimoine du pays, afin de construire un
avenir viable pour elle et pour le pays ?

2. Les contours cachés de la transition en République


Centrafricaine
S’agissant de la méthodologie de recherche et des
paradigmes, certains auteurs ont taxé d’inappropriée la
démarche qui consiste à construire des typologies pour
expliquer les transitions démocratiques en Afrique ou
ailleurs. Ils ont fait remarquer que les typologies n’ont de
sens que si un processus de transition ou de changement
unilinéaire est adopté. Ils ont attiré l’attention sur le fait
qu’une fois les typologies privilégiées, il en résulte que la
problématique l’emporte sur l’analytique. Selon eux, le
débat ne porte pas seulement sur les institutions ou les
formes sociales, puisqu’un tel processus de transition peut
soit s’effondrer, soit être soutenu devenant ainsi un
couteau à double tranchant. A notre avis, la méthodologie
la plus appropriée serait de replacer les institutions dans
un contexte historique.
Réagissant à la précédente proposition (construction de
typologies) qu’ils mettent en doute, d’autres auteurs
comme Amos Anyimadu et Pearl Robinson affirment que
les typologies sont erronées car elles comportent des
modèles qui souvent peuvent ne pas ressembler aux
réalités concrètes sur le terrain. Pour eux, le débat
démocratique en Afrique est élitiste à cause de son
caractère démocratique. Achille Mbembe, abondant dans
le même sens que les premiers auteurs, pensent que la

70
construction de typologies n’a aucune valeur et en tant que
telle est problématique tout au plus. Ils ont mis en cause
l’obsession des spécialistes de Sciences sociales à
classifier et à catégoriser. Ils voient cela comme un
élément réducteur qui crée la confusion que l’on retrouve à
la base des discours nationaux. De même, ils partagent
l’avis sur la validité et la fiabilité de l’approche historique
par opposition à la méthode unilinéaire d’étude des
transitions démocratiques.
Aaron Gana, pose les questions de savoir : « comment
le produit fini de la démocratie en République
centrafricaine peut être conceptualisé. Il recommande que
le travail de recherche sur les transitions démocratiques en
Afrique soit axé sur la diversité de typologies qui sont
rigides. De même, des auteurs comme Masipula Sithole
qu’il y a très peu de recherches menées sur le rôle des
partis politiques dans tout le processus de transition,
surtout ceux de l’opposition.
S’agissant précisément de la pertinence des expériences
d’autres pays, nous notons avec insistance qu’il existe un
certain nombre de points engagés dans le processus de
transition qui sont communs à l’Amérique latine et à
l’Afrique.
On peut citer le rôle du régime militaire et la transition
des régimes militaires comme un seul exemple. On peut
aussi mentionner la notion de limites de communautés
politiques en République centrafricaine qui, à la différence
des pays d’Amérique du sud, est une affaire résolue.
Mais, il y a aussi ceux qui continuent de penser que, la
leçon de l’Amérique latine est pertinente pour l’Afrique.
Ils ont réfléchi sur le problème du contexte externe des
transitions démocratiques. De leur point de vue, la nature
et le caractère du contexte externe n’augure pas d’une
démocratisation de ce Pays. Du fait du climat économique,
les classes technocratiques ne sont pas intéressées par les

71
classes populaires dans la quête d’une reconstruction
démocratique de l’Etat centrafricain. C’est pourquoi, les
institutions supranationales de manière générale sont
contre toute forme d’organisation populaire.
En République centrafricaine, la société civile est aussi
liée au territoire considéré. Ceci est un élément important
qu’il faille intégrer. L’ethnicité peut être à l’origine, soit
de l’exclusion, soit de la participation. A ce titre, sur le
plan social, on est passé aujourd’hui d’une approche
d’économie politique à une approche de culture politique.
Ainsi, des variables telles que l’ethnicité, bloquent
aujourd’hui la démocratie.
C’est vrai, la République centrafricaine est aujourd’hui
en « déliquescence » et quels que soient les belles
expressions utilisées et les théories savamment exhibées,
ce pays se porte chaque jour plus mal, comme atteint du
syndrome immunodéficitaire acquis (SIDA), du fait de la
colonisation. C’est pourquoi, le règlement des conflits en
RCA passe aujourd’hui par la « décolonisation du corps
politique et de l’esprit ». Aussi, pour comprendre la crise
militaro-politique que le pays vit depuis plusieurs mois, il
faut en répertorier les grands moments :
En septembre 2012, des groupes armés « centra-
fricains » au sein de la coalition Séléka, lancaient une
offensive dans le nord du pays.
Le 24 mars 2013, à l’issue de quatre mois d’intenses
combats, cette coalition menée par Michel Djotodja
prenait la capitale Bangui et chassait du pouvoir, le
général François Bozizé, lui-même arrivé au pouvoir par
un coup d’Etat en 2003.
Au cours de l’été 2013, des groupes armés d’auto-
défense pro-Bozizé, les Anti-Balaka, attaquaient de plus
en plus régulièrement les Séléka et les populations
musulmanes auxquels ils sont assimilés.

72
Le 05 décembre 2013, les Anti-Balaka menaient une
attaque surprise coordonnée sur Bangui à la veille du
déploiement des forces françaises de l’opération Sangaris,
autorisée par la résolution 21 22 du Conseil de Sécurité
des Nations Unies pour venir en aide à la force africaine
(MISCA) qui n’arrivait à faire stopper les massacres des
populations civiles.
Le 09 juillet 2014, sous la pression de la Communauté
internationale, Michel Djotodja quittait le pouvoir et les
Séléka se retiraient du sud et de l’ouest du pays pour se
regrouper au nord et à l’est. Les miliciens Balaka
profitaient de ce retrait pour attaquer systématiquement les
populations musulmanes, qu’ils accusaient de complicité
et de soutien envers les Séléka.
Bref, le conflit en République centrafricaine a provoqué
le déplacement de plus d’un million des quatre millions
d’habitant du pays, et près de 500 000 personnes sont
réfugiées dans les pays voisins. En deux décennies
marquées par un enchainement de putschs, de mutineries
et de rebellions ayant entrainé une déliquescence de l’Etat,
la République centrafricaine a déjà vu passer des missions
internationales chargées de l’accompagner vers une sortie
de crise : MISSAB, MINURCA, FOMUC, FOMAC,
MICOPAX, pour ne citer que quelques-unes des acro-
nymes des forces africaines ou de l’ONU qui se sont
succédés et n’ont pas su briser la spirale mortifère.
La tâche incombe désormais à la Mission
multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la
Stabilisation en RCA (MINUSCA) de protéger la
population, appuyer le processus politique et contribuer à
la restauration de l’Etat. C’est l’ambition affichée par son
chef, le général sénégalais Babacar Gaye. Mais au sein de
son entourage comme au sein du Secrétaire Général des
Nations Unies, des voix se sont fait entendre pour
dénoncer de graves violations des droits de l’homme

73
(scandales sexuels) : 17 policiers de la RDC impliqués
dans des graves violations des droits de l’homme, ont été
sortis in extremis du dispositif. Certains des membres de
cette unité de la police congolaise auraient participé dans
leur pays à des opérations plus que plus que douteuses.

3. L’élection mitigée de Madame Samba-Panza à la


tête de la transition
En effet, suite au départ de Michel Djotodja et de
Nicolas Tiangaye, contraints à la démission devant leur
incapacité à gérer la transition politique et à favoriser le
retour à l’ordre constitutionnel, Madame Catherine
Samba-Panza a été « désignée » pour assurer la continuité
de la transition. Une première dans l’histoire politique et
institutionnelle de la République centrafricaine, qui se voit
doter d’une présidente élue au suffrage indirect par une
assemblée coptée d’avance.
Seulement, cette désignation a suscité beaucoup de
réactions, car nombreux sont ceux qui ont pensé que le
Conseil National de Transition (CNT), constitué pour les
¾ des personnes acquises à la cause du duo Djotodja-
Tiangaye, aurait conditionné le vote de Madame Catherine
Samba-Panza par des enveloppes fraichement et
gracieusement distribuées pour la circonstance. Conduite,
semble-t-il, dans la discrétion totale, cette opération aurait
été menée de bout en bout pour l’AFDT (Alliance des
Forces Démocratiques pour la Transition), par trois
principales personnalités politiques de la transition.
Cette victoire de Catherine Samba-Panza au second
tour par 75 voix contre 54 pour Désiré Kolingba (parrainé
par Idriss Deby), souligne l’ascendant pris par le Congo-
Brazzaville sur le Tchad. D’ailleurs, bien qu’absent à son
investiture le 23 janvier 2014, le Président Dénis Sassou
Nguessou a contrôlé de bout en bout la désignation de

74
Catherine Samba-Panza comme Présidente en R.C.A.,
avec la caution de Paris et de Washington. Toutefois, les
dix-sept critères d’éligibilité arrêtés par le Conseil
National de Transition (CNT) ont largement servi la
candidate Catherine Samba-Panza, au détriment des autres
successeurs potentiels de Michel Djotodja, tels que Josué
Binoua ou Karim Meckassoua, tous deux, anciens
ministres de François Bozizé.
A première vue, la déclaration faite à chaud après sa
désignation, selon laquelle « je suis une mère. Je vous ai
écouté parler et j’ai ressenti la rancœur. Il faut une mère
pour régler cette situation. », laissait entrevoir un brin
d’espoir pour le peuple meurtri. Malheureusement, ce
peuple a perdu aujourd’hui tout espoir de retrouver le
bien-être. Pour preuve, depuis sa désignation, Madame
Samba-Panza a attendu plusieurs semaines avant de
commencer à faire le tour des camps des déplacés. L’on se
demande même si elle aura le courage pour se rendre au
chevet des malades dans les hôpitaux ?
Quel est le profil de la nouvelle Présidente de
transition ? En effet, née à Sahr au Tchad d’un père
camerounais et d’une mère centrafricaine d’ethnie banziri,
Madame Samba-Panza, 59 ans, est connue à Bangui pour
avoir été vice-présidente de l’Association des femmes
juristes de Centrafrique (AFJC), puis représentante du
réseau des ONG de défense des droits de l’homme. Juriste
d’entreprise diplômée de l’Université Assas à Paris, elle a
également été formatrice pour Amnesty International.
Désignée vice-présidente du dialogue national organisé
en 2004 après le putsch de François Bozizé le 15 mars 2003,
Madame Catherine Samba-Panza avait ensuite été choisie
pour diriger le Comité de suivi du dialogue national (CSDN).
En 2007, elle a tenté d’obtenir un rapprochement entre le
Président François Bozizé et Ange Félix Patassé, qui était
alors réfugié à Lomé (au Togo). Ce dernier s’en est toujours

75
méfié, en raison de son franc-parler et de son intégrité. Après
avoir été remerciée du CSDN, Madame Catherine Samba-
Panza a fait son retour en politique en juin 2013, à la faveur
de sa nomination par un décret de Michel Djotodja comme
Présidente de Délégation Spéciale de la ville de Bangui. Il est
à noter que l’époux de Catherine Samba-Panza, Cyriaque
Samba-Panza fut ailleurs un collègue de travail de l’ex leader
de la Séléka au ministère de l’économie et du plan.

4. Le déficit de consensus autour du forum de Brazza-


ville, au Congo
Le déficit de consensus autour du forum de Brazzaville
a été perçu par l’opinion nationale et internationale comme
le signe fort du réveil de l’orgueil national, un sursaut
patriotique qui ne s’est pas trompé d’ennemis de la paix en
République centrafricaine. En effet, les ténors de la
coalition Séléka de Djotodja, Dhaffane, Nourredine, Djono
Ahaba, etc., qui ont pesé, agacé et mis aux pièces des
argentiers des artifices et les politiques, n’ont pas pu
accorder leurs violons sur les tenants et les aboutissants de
cet accord. Et l’installation d’un Etat major des forces de
la Seleka (Alliance de plusieurs mouvements politico-
militaires) à Bambari, n’est que le prétexte d’un rêve de
l’Etat du Nord-Oubangui dont l’initiateur serait sans aucun
doute Monsieur Michel Djotodja, contraint finalement à la
démission, suite à la résistance des forces d’auto-défense
« Antibalaka. »
Malheureusement, le manque de cohésion et la
dysharmonie ambiante de ces forces d’autodéfense ont
beaucoup pesé sur l’application de l’accord de cessation
des hostilités. Le peuple ayant trop souffert, il y a donc
lieu que les chefs de la Séléka et des Antibalaka
s’entendent dès maintenant ; ces derniers gagneraient en
crédibilité, en sérieux et en lisibilité, sans quoi, ils

76
continueraient à trainer l’étiquette de « nébuleuse » qui
pourrait les rapprocher de l’axe du mal, et leurs baisers de
Brazzaville seraient confondus à celui de Juda.
En dépit des promesses de paix signées le 23 juillet à
Brazzaville, les groupes politico-militaires (Séléka et
Antibalaka) n’ont toujours pas rendu les armes. Beaucoup
d’entre eux attendent de toucher des dividendes du
nouveau processus de désarmement mais, selon plusieurs
sources, les « durs » de la Séléka se sont de nouveau
rééquipés ces derniers temps. Beaucoup d’intellectuels
pensent que la République centrafricaine est en
« déliquescence », mais plus nombreux sont ceux qui
pensent qu’elle est en « désintégration ». Cependant, au-
delà des tiraillements sur les discussions sur ces concepts
dont raffolent les intellectuels, et quelles que soient les
belles expressions utilisées et les théories huilées et
savamment exhibées, la République centrafricaine se porte
chaque jour plus mal, comme atteinte du syndrome
immunodéficitaire acquis (SIDA).
Pour ces mêmes intellectuels, le règlement des conflits
en Centrafrique passe par « la décolonisation du corps
politique et de l’esprit », c'est-à-dire la nécessité pour les
centrafricains de prendre eux-mêmes en charge les
problèmes du pays. Ils sont tentés d’utiliser la notion
d’ « auto-pacification ». Pour le peuple, c’est la paix à tout
prix, quel que soient les moyens utilisés pour y parvenir et
quel qu’en soit le contenu. Peu importe que cette paix
vienne d’Allah ou de Satan.
Hélas ! L’occident, à travers la fameuse « Communauté
internationale », est devenu aujourd’hui le tuteur
autoproclamé du processus de démocratisation et le
distributeur des brevets de « bonne gouvernance » en
RCA. Probablement, il s’apprête déjà à s’autoproclamer
« autorité morale » pour juger de la régularité des

77
prochaines consultations populaires prévues d’ici la fin de
l’année, et de la proclamation des résultats.
D’ailleurs, la paix onusienne, c’est d’abord la Pax
americana, britannica, franca, russe ou même aussi
chinoise. Cette paix imposée comme une nouvelle forme
de paix coloniale est trop fragile pour ne pas nous
emballer. De là à considérer que l’ONU est une entreprise
de charité pour les « petits pays » comme la RCA et que
ceux-ci devraient être reconnaissants envers les
« grands », il n’y a qu’un pas vite fait. Il y a lieu ici de
relever les insuffisances de ce système onusien où certains
ont tout à dire dans le cadre du Conseil de sécurité et les
autres pas assez à dire ou rien à dire, sinon applaudir et
rire lors des assemblées générales qui offrent d’ailleurs à
plusieurs chefs d’Etat africains et à leurs ministres une
occasion de faire du tourisme à New York et dans ses
environs. Le général de Gaulle n’avait pas pour sa part
manqué de qualifier l’ONU de « machin », mais ni le
général, ni ses successeurs ne se sont retirés du
« machin ». C’est aussi le général qui avait enseigné :
« Les Etats n’ont pas d’amis ; ils n’ont que des intérêts ».
Depuis, cette leçon fait partie de l’héritage spirituel de la
France.
Alors, ne pouvons-nous pas (nous centrafricains) nous
auto-pacifier et nous réconcilier sans l’ONU ? C’est la
question fondamentale que chaque centrafricain devrait se
poser avant de proposer des solutions. La plupart des
conflits qui secouent notre pays depuis ces dernières années
sont intimement liés au phénomène de l’ethnicité ou du
tribalisme, c'est-à-dire l’exploitation de certains groupes par
d’autres, la marginalisation de certaines régions par le
pouvoir central, ou sont la conséquence de l’autoritarisme
des gouvernants sur les gouvernés. D’autres sont
commandités par des forces extérieures à la RCA.

78
C’est pourquoi, il faut combattre à la racine le mal à la
base des conflits si l’on veut aboutir à une paix durable.
Les racines sont nombreuses en Centrafrique et ont pour
noms : ethnicisme, tribalisme, régionalisme margina-
lisation, oppression et développement inégale. Même si
une fois obtenus les premiers résultats économiques
souhaités par tous, le pays n’engage pas de sérieuses
réformes démocratiques, alors il n’aboutira en fin de
compte qu’à une croissance désincarnée, source d’inéga-
lités accrues et des désordres sociaux à venir.
Le Secrétaire générale des Nations Unies, à l’époque
disait : « Je le répète, seule la démocratie donne sa
signification au développement » (Ghali 1993 : 16). On ne
peut ni vivre ni survivre sans la paix. C’est donc l’absence
de démocratie en RCA, au sens le plus large, institutionnel
et socio-économique, qui est à la base de tous les conflits
qui font rage dans le pays et qui le placent en hyper-
tension. Il est évident que tant qu’il y aura des hommes en
Centrafrique, il y aura toujours des conflits. La démocratie
demeurera toujours le cadre idéal de règlement de ces
conflits. Elle ne les supprimera jamais, mais elle les
réduira et les conflits les plus graves, comme ceux que le
pays est en train de connaitre, ne pourront être résolus
pacifiquement que par l’application des règles de droit et
par le dialogue.
Jamais, il n’y aura de mariage entre la paix et la servitude,
entre la démocratie et la (re)colonisation, pas plus qu’il n’y
en aura entre le paradis et l’enfer. La démocratie et la paix
sont inconcevables en Centrafrique, en l’absence d’une réelle
indépendance ou de l’exercice de la souveraineté. C’est dire
qu’une fois que nous aurons réussi par la démocratisation et
l’ « auto-pacification » du pays, nous pourrons alors avec
plus d’énergie et de succès nous attaquer au problème de
l’intégration de la République centrafricaine au plan
politique, économique, social et culturel.

79
Seuls les efforts par la lutte démocratique et par le
peuple centrafricain remis au travail après avoir gagné le
combat de la démocratisation, permettront de financer et
d’entretenir les institutions nationales comme une force
centrafricaine d’intervention en faveur de la paix. La
démocratie consolidée, la paix et le développement
diminueront considérablement le nombre de réfugiés ou
feront en sorte qu’il n’y en ait plus du tout, les raisons
pour se faire « réfugié » ayant totalement disparu. Mais ne
brûlons pas les étapes et ne nous laissons pas distraire, le
défi majeur que la République centrafricaine doit
aujourd’hui affronter est celui de la réussite du processus
de démocratisation et de consolidation de celle-ci.
Dans cette lutte contre la « désintégration » ou la
« déliquescence » de la RCA et le règlement de ses
conflits, la réflexion scientifique a une place prédominante
et les débats ont leur importance.

II. BONNE GOUVERNANCE ET CITOYENNETE


EN RCA
1. La bonne gouvernance
Confus et jugé parfois peu opératoire, le concept de
bonne gouvernance doit son succès en partie à l’usage qui
en a été fait dans la littérature anglo-saxonne et par les
institutions de Breton Wood, à savoir, la Banque
mondiale, le F.M.I. (Fonds Monétaire International) et les
bailleurs bilatéraux. Parfois galvaudé, ce concept est par
ailleurs souvent perçu par les pays en voie de
développement, comme un alibi à une sorte de nouvel
impérialisme des pays riches sur les pays pauvres, ou
suspecté de servir de justificatif à des ingérences dans les
affaires intérieures, instaurant ainsi une conditionnalité à
l’aide internationale.

80
Le concept de bonne gouvernance est donc apparu sur
la scène africaine en 1989 et est devenu un axe principal
des politiques de coopération internationale ; c’est dans ce
contexte qu’un grand symposium sur la bonne
gouvernance et le développement s’est tenu à Dakar en
1996. Selon ce symposium, les critères de la bonne
gouvernance se caractérisent par la participation, la
transparence, l’efficacité, la primauté de l’Etat de droit,
l’indépendance de la justice, la responsabilité politique.
La bonne gouvernance se définit également comme
l’ensemble des mesures mises en œuvre pour assurer et
optimiser la gestion des affaires publiques sur le plan
économique, politique, social et administratif. En d’autres
termes, c’est la non observation des principes de
transparence, de responsabilisation, de participation, de la
primauté du droit et de l’Etat de droit qui a conduit
l’Afrique à la mal gouvernance qui se traduit par la
personnalisation du pouvoir, la gestion patrimoniale du
domaine public, la violation des droits de l’homme, le
marasme économique et financier, la misère et la
corruption. La Banque mondiale utilise ce concept où les
bailleurs de fonds bilatéraux utilisent les conditionnalités.
C’est pourquoi, on peut dire que la démocratie est
nécessaire à la bonne gouvernance.

2. La citoyenneté
Dans le langage courant, nous entendons souvent dire
qu’un individu est un bon ou mauvais citoyen ; d’une
manière générale, un citoyen est une personne qui relève
de l’autorité et de la protection d’un Etat et par suite, jouit
des droits et des devoirs envers ce même Etat. Chaque
citoyen exerce à sa manière la citoyenneté, telle qu’elle est
établie par les lois et règlements et intégrée dans

81
l’ensemble des coutumes et mœurs de la société à laquelle
il appartient.
En démocratie, chaque citoyen est détenteur d’une
partie de la souveraineté politique, c'est-à-dire que
l’ensemble des citoyens qui, par l’élection, choisissent
librement leurs gouvernants. C’est donc à travers l’Etat,
cadre institutionnel, que les citoyens exercent leurs droits
et leurs devoirs. Toutes les doctrines, y compris le
marxisme, reconnaissent aujourd’hui la nécessité de
l’existence de l’Etat.

3. Les droits et les devoirs du citoyen centrafricain


La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples,
ratifiée par la RCA en 1981, définit les droits et les devoirs
du citoyen centrafricain ; ces droits et devoirs sont repris par
les différentes constitutions de la République centrafricaine,
notamment celles de 2004 et de 2015.

a) Droits du citoyen centrafricain


 Les droits civils et politiques : Egalité de traitement
pour tous ; droit à la vie et à la sécurité ; interdiction
de torture et de mauvais traitement ; liberté et sécu-
rité ; procès équitable ; liberté d’expression et
d’opinion religieuse ; liberté de réunion, d’asso-
ciation et de circulation ; participation à la direction
des affaires publiques.
 Les droits économiques, sociaux et culturels : Pro-
priété ; travail ; syndicat ; éducation et culture ;
famille ; logement ; nourriture.

82
b) Devoirs du citoyen centrafricain
La charte déclare que chaque individu a des devoirs en-
vers la communauté et envers l’Etat, et qu’il doit exercer
ses droits et libertés sans porter atteinte à ceux des autres.
 Les devoirs personnels : Traiter les autres sans
discrimination ; préserver le développement
harmonieux de la famille ; payer les impôts fixés par
la loi ; veiller à la préservation des valeurs cultu-
relles, dans un esprit de tolérance, de dialogue et de
concertation ; promouvoir l’unité nationale.
 Les devoirs envers l’Etat : Ne pas compromettre la sé-
curité de l’Etat ; préserver et renforcer la solidarité
sociale et nationale ; préserver et renforcer l’indépen-
dance, l’intégrité territoriale du pays et contribuer à sa
défense dans les conditions fixées par la loi.

c) Conditions d’une bonne gouvernance et de la cito-


yenneté en RCA
 La culture démocratique ;
 Le respect des textes ;
 La stabilité politique et paix ;
 La séparation des pouvoirs, sans empiètement des
uns dans le domaine des autres ; les pouvoirs doivent
nécessairement collaborer dans un respect et une
considération réciproques.

En conclusion, bonne gouvernance et citoyenneté n’ont


de sens que dans des conditions minimales de prospérité.
Le chômage et la pauvreté sont les pires ennemis de la
bonne gouvernance. S’agissant de la citoyenneté, Platon
disait que pour que les individus soient pleinement ci-
toyens, ils doivent être guidés par l’esprit de justice et de
pudeur qui conduisent au respect de soi et de l’autre.

83
III. COMMENT CONCILIER DEMOCRATIE ET
TRIBALISME ?
Bien que l’on avance souvent à tort ou à raison la thèse
de la corruption, le tribalisme est probablement le
principal moteur des multiples crises militaro-politiques en
République centrafricaine, autant de réactions violentes
ayant leurs racines dans le ressentiment par un ou
quelques groupes, contre la domination des autres. On
constate invariablement qu’à peine les accusateurs
accèdent-ils au pouvoir, qu’ils sont eux-mêmes accusés
des mêmes méfaits.
S’ils ne sont pas renversés à leur tour, une situation de
tension tribale permanente s’installera. Plus tragiques
assurément sont les nombreuses crises militaro-politiques
aux nuances « ethniques » - sauvagement menées par des
chefs d’Etat (Bokassa, André Kolingba, François Bozizé,
Djotodja…) et chefs de guerres en quête de pouvoir
politique – qui se sont payés et se paient encore, aux prix
de pertes considérables en vies humaines et en biens,
d’une immense souffrance et de la famine.
L’image que notre pays, la République centrafricaine,
offre aujourd’hui au monde entier, est par conséquent celle
du chaos absolu, de la barbarie et du délabrement
économique. Forcément perçu comme facteur
d’instabilité, comme un mal qui rongerait et finirait par
détruire tout ce qui est sur son passage, quels que soient
ses mérites, c’est à juste titre que le tribalisme figure au
premier plan du débat sur la démocratie en République
centrafricaine, au fur et à mesure que des régimes
(Bokassa, Dacko, Kolingba, Patassé, Bozizé, Ndjotodja,
Samba-Panza) ont cédé à la pression populaire.
Depuis l’indépendance du pays jusqu’à nos jours,
nombreux ont été les partisans d’un Etat à parti unique
(MESAN de David Dacko et de Jean Bedel Bokassa ; RDC
d’André Kolingba) ou de régimes militaires (Bokassa,

84
Kolingba, Bozizé et Djotodja) qui se sont servis de la
nécessité de juguler le tribalisme et de promouvoir l’unité
nationale pour justifier le monopole du pouvoir par une
poignée de personnes. Cette position a aujourd’hui engendré
des dictatures et le règne de la terreur dans notre pays.
Ces inconditionnels du monopartisme et du régime
militaire qui on soit pensé à tort qu’il serait possible
d’étouffer le tribalisme, soit par la persuasion, soit par la
contrainte, afin de modeler une nation « servile », se sont
finalement, lamentablement trompés. D’ailleurs, d’une
façon surprenante aujourd’hui, même les défenseurs d’un
système de gouvernement multipartiste semblent
commettre la même erreur de jugement, en affirmant que
les idéaux du parti, la liberté et la justice, le respect des
droits de l’homme et autres principes incarnés par la
démocratie, sont si caressants et plus séduisants qu’on
pourrait sans peine les proposer aux Centrafricains en
échange du tribalisme.
La République centrafricaine, déclarent-ils, n’a pas le
monopole du tribalisme. Ses dirigeants devraient créer les
conditions favorables à son éradication. Ces
« démocrates » aspirent à la création d’une société
centrafricaine homogène sans laquelle, disent-ils, « la
démocratie centrafricaine multipartiste serait en danger » ;
comme s’il était possible de parvenir à une telle
homogénéité en trente ans, voire soixante années, et
comme si cela n’exigeait pas comme condition minimale
une langue commune.
De tels raisonnements trahissent une incompréhension
de la psychologie et de la nature véritable du tribalisme
centrafricain. Nous ne parlons pas ici de la rancune
ressentie par certaines minorités (Pygmées, Peuhls, etc.)
qui, après des décennies ou des siècles d’oppression,
cherchent à obtenir réparation ou sécession (de tels
troubles ont également lieu). Nous parlons de ce qu’est

85
essentiellement l’impulsion primitive du cœur du
Centrafricain
Défini comme le sentiment d’appartenance à un groupe
de clans revendiquant un ancêtre commun, le tribalisme
est, comme l’ont montré les travaux de Sigmund Freud, lié
au totémisme, une phase nécessaire et universelle de
l’évolution humaine. Cette définition diffère considé-
rablement de la compréhension populaire négative qui
perçoit le tribalisme comme « la haine ou la
discrimination dirigée contre d’autres peuples ou tribus »,
une conception renforcée par la situation politique actuelle
en République centrafricaine, que nous venons de décrire
et qui, pour beaucoup en Centrafrique, est un véritable
repoussoir. Un tribalisme qui implique la haine et la
domination des autres est un sentiment dont beaucoup de
Centrafricains ont honte, même s’ils sont, par nature,
tribalistes.
Faisons alors une brève psychanalyse du tribalisme
centrafricain, nous devons commencer par admettre le
postulat freudien selon lequel, en ce XXIe siècle, « il y a
des sociétés qui ont retenu, plus que d’autres, ce sens de
l’union avec la nature dont était imprégnée l’humanité
entière à l’époque primitive, et que ce sens a une influence
considérable sur l’organisation de la vie, trouvant le plus
souvent son expression dans l’animisme et dans le culte
des ancêtres. Telle est la société centrafricaine, encore
extrêmement rurale ; celle-ci se caractérise principalement
par le culte des ancêtres, une religion traditionnelle dont la
loyauté absolue, non seulement envers la famille mais
aussi envers le clan ou la tribu.
Dans les sociétés occidentales, ce sens primitif a été
fortement refoulé dans l’inconscient, bien que l’on en
trouve encore des traces dans certains gestes, superstitions
et rituels. Même si l’on observe un certain regain du sens de
la « tribu » parmi les minorités, aiguisé par des motivations

86
politiques et économiques, la famille en tant qu’unité y a
généralement laissé place à l’individu, la société devenant
un ensemble d’individus, contrastant en cela avec la
République centrafricaine où la société est constituée de
familles et de tribus. L’attachement du Centrafricain à sa
famille ou son adhésion au système de la famille étendue
est trop bien connu pour que l’on s’y attarde.
La loyauté envers le clan, telle que l’exige la religion
traditionnelle, de même que la peur et la méfiance à
l’égard des autres tribus, acquises au cours de longues
périodes des autres conflits tribaux, d’incursions et
d’esclavages, ont souvent engendré dans la psychologie
centrafricaine un sentiment « d’insécurité en dehors du
groupe ». Il ne faut donc pas s’étonner que le centrafricain
témoigne d’une plus grande allégeance envers sa tribu
qu’envers son soi-disant pays. En effet, son système de
valeurs privilégie instinctivement la famille par rapport à
la tribu par rapport au pays.
Beaucoup de centrafricains expriment aujourd’hui leurs
craintes à propos du remplacement de ce qu’ils appellent
péjorativement « l’impérialisme blanc par l’impérialisme
noir ». Un jour, un député de l’opposition déclarait avec
ferveur à la tribune de l’Assemblée Nationale : « J’aime
l’indépendance, j’ai combattu pour elle et sa conquête est
pour nous un honneur. Toutefois, il existe certains doutes
et certaines expériences déplorables, nés de l’attitude peu
sincère, antidémocratique, oppressive, vindicative et
tribale de certains de nos dirigeants. Je dois dire que je
viens d’une tribu dont on estime qu’elle est la troisième du
pays, par sa taille et son ancienneté : je veux parler des
Yakoma. A présent que nous avons obtenu l’indépendance
depuis 1960, nous voulons être indépendants dans cette
tribu pour reconstruire et repenser l’organisation
administrative de sorte que tous les individus parlant
mongbandi soient unis et forment leur propre province ou

87
Etat, au sein d’une Centrafrique indépendante. » Il ne
voulait pas que son peuple soit gouverné par les régions
septentrionales.
Un autre député ne voulait pas non plus, quant à lui,
que son peuple soit ainsi gouverné par ceux qu’il appelle
les « sudistes ». « Je pense, Monsieur le Président de
l’Assemblée », déclarait-il « nous ne serons pas en sécurité
entre les mains de ces prétentieux sudistes. Vous savez
certainement qu’avec le général André Kolingba pour
président, nous, peuples des régions du nord, connaissons
foncièrement l’enfer. »
Les partis politiques qui ont émergé au cours de ces
trois dernières décennies, bien qu’ayant en principe une
vocation nationale, sont aujourd’hui chacun dominés par
une tribu. Il s’agit, entre autres, des partis suivants : le
Rassemblement Démocratique Centrafricain (RDC)
d’André Kolingba, dominé par les Yakoma et assimilés ;
le Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain
(MLPC) du Président Ange Félix Patassé, dominé par les
Gbaya et assimilés ; la Convention Nationale, dominée par
les Banda, etc.
Malheureusement, l’amertume causée chez les
« nordistes » par la scission du MLPC (tendance Patassé et
tendance Ziguélé) et la naissance du parti KNK de
François Bozizé, ont favorisé des graves troubles
politiques, et entrainé une suite d’évènements catastro-
phiques : coup d’Etat militaire de François Bozizé en 2003
et entrée des Séléka avec Michel Djotodja en 2013.
Attentive à ces expériences, la présente constitution en
cours de conception, qui semble marquer le véritable
retour à un gouvernement réellement démocratique, va
exiger des partis politiques qu’ils soient vraiment
nationaux, c'est-à-dire présents sur le territoire de la
République centrafricaine, et que le Président de la
République remporte les élections dans les deux- tiers au

88
moins de l’ensemble des circonscriptions votantes. En
attendant, les formations politiques qui émergent
aujourd’hui ne sont encore qu’une résurrection des partis
d’après l’indépendance, toujours aussi ethniquement
noyautés qu’auparavant, et dirigés presque par les mêmes
personnalités. Certes, dans le cadre d’un autre retour aux
règles démocratiques prévu en 2016, un certain nombre de
mesures seraient en train d’être prises pour éviter que cette
situation ne se reproduise. Y parviendra-t-on ?
Assurément, nous pouvons tirer un certain nombre de
conclusions générales et généralisables de la psychanalyse
du tribaliste centrafricain :
 La première est que le tribalisme est un sentiment
naturel et irrépressible. Il est lié à la personnalité, et
à la véritable identité du centrafricain.
 La seconde est que la République centrafricaine n’a
que peu, voire pas d’expérience dans la mise en
œuvre d’une démocratie basée sur des modèles occi-
dentaux au moment de son indépendance, et éprouve
aujourd’hui encore d’énormes difficultés à assimiler
ces mécanismes.
 La troisième est que les politiciens centrafricains ne
peuvent s’empêcher d’être dominés par des
sentiments tribaux. Il suffit de considérer les
résultats des élections présidentielles de 1993 en
Centrafrique où, malgré le sentiment général d’avoir
à faire à un désir de changement largement répandu,
après plus d’une décennie de règne du pouvoir de
Kolingba, la part des votes recueillie par le candidat
Ange Félix Patassé émanait presque exclusivement
des communautés des régions du nord. Tout cela au
seuil de ce qui était censé être une nouvelle ère
démocratique en République centrafricaine.

89
Il faut tout de même dire que la démocratie, depuis son
apparition dans les cités grecques, a toujours démontré sa
supériorité par rapport à tous les autres systèmes
politiques. C’est un système qui a triomphé du
totalitarisme de l’Europe orientale, et qui rencontre un
succès croissant dans l’ensemble du Tiers monde. La
pauvreté n’est pas un obstacle. Après tout, la plus grande
démocratie du monde, l’Inde, est un pays pauvre. Et il ne
fait aucun doute que la paix et la prospérité futures de la
Centrafrique dépendraient de l’enracinement de la
démocratie dans ce pays.
Le problème aujourd’hui est que les Centrafricains
n’ont jamais essayé de construire la démocratie avec
réalisme, en se basant sur les institutions dont ils
disposent. Ils ont cédé, et ils cèdent encore, à la facilité de
l’imitation. Aucune des grandes démocraties actuelles n’a
copié en bloc le système d’une autre. Quel que soit le
système adopté, il est à la fois le reflet du caractère
national et de l’histoire de chaque pays : le Royaume-Uni,
monarchie constitutionnelle depuis Guillaume et Marie en
1689 ; La France, système présidentiel unitaire depuis
1958, après une longue période d’instabilité gouverne-
mentale et de quête d’un système plus durable – en fait
depuis la révolution de 1789 ; les Etats-Unis, un système
présidentiel fédéral depuis 1789, année d’entrée en
vigueur de la Constitution des Etats-Unis.
Les pères fondateurs de cette constitution, nous-a-t-on
dit, ont examiné tous les systèmes politiques connus –
monarchie, oligarchie et démocratie – et les ont tous
rejeté comme dangereux, préférant les fondre tous trois en
un système d’équilibre des pouvoirs, affiné il est vrai par
divers amendements. Il s’agit d’un document important,
qui convient au tempérament américain, et qui a résisté à
l’épreuve du temps.

90
Condamnés à vivre ensemble dans des Etats modernes,
les Centrafricains doivent trouver une formule pour la
paix. Le tribalisme, tel qu’il vient d’être décrit, ne devrait
pas être considéré comme un facteur de division, mais
comme une institution naturelle (un pluralisme intégré ou
des circonscriptions électorales naturelles si l’on veut)
avec laquelle construire une démocratie, serait l’idéal
recherché. C’est ce à quoi tendent tous les vœux pieux des
centrafricains. Mais, y parviendra-t-on sans se heurter aux
esprits « démoniaques » de division.
La question qui se pose inévitablement aujourd’hui en
Centrafrique, c’est celle de savoir, comment concilier
pratiquement le tribalisme et la démocratie. Il faut
naturellement commencer par établir une constitution qui
mette l’accent sur les principes de base intangibles de la
démocratie, c'est-à-dire le respect des droits de l’homme,
celui des droits des minorités, la liberté d’expression et la
liberté de la presse, l’indépendance des pouvoirs législatif
et judiciaire, une distribution équitable des richesses de la
nation, des services sociaux et des équipements,
l’éducation pour tous et l’obligation pour le gouvernement
d’agir constitutionnellement.
Un système tel que celui suggéré dans la nouvelle
constitution en cours de promulgation, signifie néces-
sairement des pouvoirs réduits pour quiconque sera choisi,
par quelque moyen que ce soit, pour occuper la tête de
l’Etat. Il signifie également des pouvoirs plus étendus pour
le gouvernement et le pouvoir législatif. Ce système ne
fonctionnera effectivement que sur base d’un engagement
à respecter. Ignorer, déplorer ou essayer de s’aveugler sur
le tribalisme pour construire une démocratie forte,
équivaut à rêver tout éveillé demain dans ce pays.

91
CHAPITRE III

Vers une nouvelle vision


du développement de la RCA

Comme nous l’avons déjà dit à juste titre au début de


cet ouvrage, l’obtention de l’indépendance (politique) de
la République centrafricaine, le 13 août 1960, avait
naturellement engendré à l’époque de l’euphorie et de
l’espoir pour un avenir plus ou moins prospère. L’espoir
était fondé sur l’hypothèse selon laquelle le contrôle
politique de nos propres affaires ou l’auto-administration,
devrait nous apporter : le respect de nous-mêmes, le
pouvoir de gérer nos propres affaires – et partant, de
contrôler notre propre destin, la liberté et la possibilité de
créer des institutions appropriées pour le développement
du pays, et surtout, augmenterait notre bien-être
économique, avec tout ce que cela devrait comporter.
L’amélioration du niveau de vie devrait résulter, d’une
certaine façon, de la conviction selon laquelle une bonne
part des richesses de la République centrafricaine
décolonisée, qui étaient auparavant détournées vers la
métropole coloniale, allaient désormais rester dans le
nouvel Etat centrafricain indépendant.
C’était là un espoir légitime et sensé, qu’on pouvait
s’attendre à trouver chez un peuple au seuil de
l’indépendance politique. Mais, cela fait presque soixante
ans maintenant que la République centrafricaine a conquis
son indépendance, et ce pays continue toujours de lutter
pour sortir de la misère. Nous devons nous demander, à
juste titre, ce qui a mal tourné. Car, l’espoir d’un bien-être
économique – d’une vie d’abondance matérielle et
d’amélioration du niveau de vie, est aujourd’hui brisé par
des séries de crises militaro-politiques et économiques. Il
est donc impératif de revisiter ou de réviser les éléments
de base de ce qui va constituer désormais la nouvelle
vision pour le développement de la Centrafrique.
A cet égard, il faut qu’il y ait un large consensus sur
cette destination et la façon d’y parvenir. Le leadership, le
renforcement du consensus, ainsi que l’engagement
politique, peuvent être des facettes importantes du
processus de développement et de mise en œuvre d’une
vision stratégique. Le lieu de telles initiatives se situe
d’abord au niveau local.

I. QU’EST-CE QU’UNE VISION DE DÉVELOPPE-


MENT DE LA RCA ?
Une vision du développement de la RCA serait une
articulation de la condition ou de la situation la plus
souhaitable et réaliste à laquelle ce pays aimerait parvenir,
et de la ligne de conduite la plus plausible pour sa
réalisation. C’est une conception d’idéaux, de ce qui
devrait être – du meilleur type de société ou de condition
qu’il faudrait créer. Ainsi, cette vision peut être la source
d’une entreprise normative et comporterait (i) une
orientation claire de là où notre pays devrait aller, (ii) la
façon dont il peut y parvenir, et (iii) des programmes
d’action spécifiques.
Cette vision est essentiellement axée sur des objectifs à
long terme et leur réalisation. Des plans à court et à moyen
terme devraient, non seulement, être basés sur cette vision,

94
mais également lui être conformes. Essentiellement formée
d’idéaux, cette vision pourrait ne pas être réalisable de la
manière souhaitée ; mais elle pourrait être réalisée, et
devrait, en fait inspirer la recherche d’idées et de stratégies
profondes et novatrices dans la poursuite de ses objectifs.
Une vision est une incarnation de nos futurs espoirs –
les types d’individus que nous aimerions être ou devenir,
le type de société que nous aimerions avoir créée dans
l’avenir. Dans l’histoire de l’humanité, la vision a ouvert
la manche vers le progrès et la transformation culturelle, a
tiré l’humanité des bas-fonds de l’accablement, de la
frustration, du désespoir et de la résignation, pour l’élever
aux plateaux de l’espoir et d’une vie nouvelle.
Ainsi, à la lumière des échecs et des frustrations politiques
et économiques manifestes de la République centrafricaine
postcoloniale, et des problèmes décourageants auxquels le
pays fait face en ce moment, au début de ce troisième
millénaire, une nouvelle vision devrait servir de guide pour
s’attaquer à la crise actuelle du développement.
Il s’agit, entre autres, de traiter les problèmes ayant trait
à la capacité du pays d’être compétitif dans l’économie
continentale et même mondiale, à améliorer le niveau de vie
de la population, à bâtir une nation forte où devrait régner la
cohésion sociale à partir de plusieurs groupes ethnoculturels
différents, à instaurer de nouveaux loyalismes pour un
nouvel Etat centrafricain, de former de nouvelles identités,
et de créer des institutions politiques fortes, démocratiques
et viables. Nombreux sont aujourd’hui des centrafricains
qui sont conscients de la nécessité urgente d’articuler une
nouvelle vision du pays, pour servir de phare devant
éclairer notre chemin et nous guider vers le futur. Il est
indéniable que l’articulation d’une nouvelle vision de la
République centrafricaine devra être réaliste et servir de
plateforme de lancement pour traiter les multiples crises
que nous connaissons aujourd’hui.

95
II. PROCESSUS D’ARTICULATION D’UNE VISION
DE DÉVELOPPEMENT EN RÉPUBLIQUE CEN-
TRAFRICAINE
Le processus d’articulation de visions de développement
de la Centrafrique doit être une entreprise globale. Il doit
établir collectivement des objectifs de ce que ce pays a
l’intention de réaliser, comment atteindre ces objectifs, et
susciter la compréhension et l’engagement des parties
intéressées quant à leur mise en œuvre. L’origine locale de
cette vision est fondamentale pour générer la compré-
hension et l’engagement requis pour l’action. Même s’il
faut un leadership ferme pour guider le processus, un
consensus sur des visions stratégiques est une condition
sine qua non pour susciter un sentiment d’intérêt et
d’engagement national.
Dans cette recherche du consensus, il faudra considérer
et aplanir en amont les différences potentielles entre les
groupes d’intérêts très divers du pays. Il faut dans ce cas
une base commune pour forger une vision partagée à long
terme pour la République centrafricaine. Cette vision
devra englober un vaste éventail d’intérêts, et nécessiter de
la tolérance dans le processus d’établissement de
compromis inévitables.
En principe, il y a trois aspects fondamentaux dans tout
processus de définition d’une vision :
 La fixation des objectifs réalistes en vue des con-
traintes potentielles ;
 L’évaluation des gagnants et des perdants potentiels
à court terme, tout en indiquant clairement les avan-
tages dont tous devant jouir à long terme ;
 L’engagement suscité par toutes les parties concer-
nées à l’égard de l’action, en particulier des leaders
politiques.

96
Ainsi, l’articulation d’une vision du développement de
la Centrafrique doit être compatible avec la conception
d’un cadre d’une politique saine et la création de
structures administratives et institutionnelles réelles pour
la mise en œuvre et le contrôle des performances. C’est
pourquoi, nous pensons qu’il serait nécessaire d’établir des
points de référence clairs pour les performances et les
horizons réalistes, ce qui permettra d’éviter l’inaction et
les frustrations inutiles nées d’attentes irréalistes. Des
résultats provisoires positifs sont aussi importants pour
soutenir l’effort et l’engagement, qu’un bon leadership.
En définitive, quel que soit le soutien extérieur que la
Centrafrique pourrait recevoir pour élaborer et mettre en
œuvre ses stratégies de développement, ce soutien devra
être considéré comme un complément de sa propre
initiative. Cela revêt une importance particulière si l’on
considère la dépendance actuelle du pays vis-à-vis des
idées, ressources et pressions extérieures relativement à des
actions particulières et à la réalisation des objectifs fixés.

III. NOUVELLE VISION DE LA RCA : QUESTIONS


CRITIQUES ET PROGRAMMES D’ACTION
1. Le leadership
L’absence de véritables leaders politiques en
République centrafricaine doit être considérée comme
étant l’une des principales causes de la crise du dévelop-
pement dans ce pays. La raison en est que, si nous avions
eu de bons leaders incorruptibles et responsables, nous
aurions pu traiter de façon assez satisfaisante au moins,
d’autres questions ou problèmes qui ont sans nul doute
contribué aux différentes crises que le pays a connues ces
dernières décennies.
Ce doit être des leaders personnellement intègres,
engagés vis-à-vis notamment du développement du pays et

97
de la poursuite des intérêts et du bien-être de la population
centrafricaine toute entière, et non des intérêts des
membres de leurs propres groupes ethniques ou de coteries
de chercheurs de pouvoirs ayant le même esprit, et guidés
par l’intérêt personnel, des leaders qui ne se considèrent
pas comme indispensables.
Comment ce futur Etat centrafricain peut-il avoir ou
produire un bon leadership ou un leader qui soit efficace et
responsable, un leader intelligent et imaginatif, un leader
moralement intègre et qui agira selon des principes et
opérera dans le cadre de la structure constitutionnelle
existante, sait ce qu’il veut faire et où il veut aller, un
leader qui soit sensible aux intérêts et au bien-être de tous
les citoyens centrafricains, qui soit sincèrement engagé à
l’égard du progrès de l’Etat ?
Produire ou obtenir un bon leader pour la République
centrafricaine est une question ardue, si l’on considère les
imperfections que comportent aussi bien l’être humain que
les institutions humaines. Cependant, la création d’un
système démocratique centrafricain qui non seulement
pourrait proscrire l’entrée de dirigeants (militaires)
autoproclamés, mais mettrait en place un (ou des)
processus connus et acceptés qui consisteraient à choisir
un bon leader et à destituer un mauvais leader. Grace à des
procédures structurées, il serait difficile, sinon impossible,
pour les leaders sans scrupule, d’essayer de subvertir le
système de sélection et de destitution d’un leader.

2. Les institutions politiques


Les institutions politiques introduites jadis en
République centrafricaine par les dirigeants « coloniaux »
ont très peu tenu compte des valeurs et pratiques locales.
Les centrafricains étaient (devaient être) à l’école de ces
institutions importées. Cependant, ils n’ont pas pu les

98
appliquer avec succès, et au profit de la population
centrafricaine. A la place de la politique consensuelle qui
était la facette dominante de la culture politique
précoloniale centrafricaine, on a fait appel à ces institutions
pour pratiquer la nouvelle politique de confrontation.
La politique traditionnelle centrafricaine de compromis
ainsi que d’harmonie et de participation « communale » fut
remplacée par la politique du « tout pour le gagnant ». Les
procédures de prise de décision qui permettaient la
contribution individuelle et favorisaient la tolérance
mutuelle, la patience et le respect des opinions des autres
furent mises à l’écart dans l’Etat colonial et postcolonial
centrafricain.
La notion de l’Etat en tant que res publica – chose
publique – en tant qu’organisation politique dont la survie,
le bien-être et la réussite étaient l’affaire de tous, était très
bien comprise, surtout dans le milieu centrafricain
traditionnel. L’idée politique de la démocratie était donc
parfaitement connue d’une bonne partie de la tradition
centrafricaine ; mais cette idée était exprimée de manières
différentes de celle introduites par les dirigeants
coloniaux, et qui avaient leur préférence.
L’échec de la politique centrafricaine est à maints
égards le manque de fonctionnement efficace avec des
institutions étrangères imposées et le manque de
compétence bureaucratique appropriée. Alors, la grande
question est de savoir, quelles sortes d’institutions
politiques et socio-économiques (pouvant être mises en
œuvre de la façon la plus satisfaisante par les centra-
fricains eux-mêmes), la République centrafricaine doit-elle
se développer ? Devons-nous ignorer les institutions
coloniales héritées lorsque nous essayons de créer de
nouvelles institutions, ou de les adapter, et comment ? Nos
propres institutions traditionnelles ont-elles une place dans

99
le renforcement institutionnel dans l’environnement
mondial moderne ?
Les échecs institutionnels de l’époque postcoloniale
semblent suggérer que l’Etat centrafricain doit ériger ses
propres institutions. Ces institutions devraient susciter la
compréhension et la légitimité locales. Si on considère que
les institutions coloniales héritées en valent la peine, on
doit se les approprier, les domestiquer et, par conséquent,
leur permettre de s’enraciner dans la culture politique
traditionnelle de République centrafricaine.

3. La construction d’une nouvelle société civile


La gouvernance (système d’administration) post-
coloniale a été essentiellement basée sur l’Etat, avec très
peu ou pas de contribution de la part des associations et
institutions bénévoles non gouvernementales. Dans la
mesure où la société civile se réfère à l’existence
d’institutions, d’organisations et d’activités qui sont
nettement non gouvernementales et en même temps vont
au-delà de l’échelle familiale et du ménage, on peut dire
qu’il y avait très peu d’éléments de cette société civile dans
la République centrafricaine postcoloniale. Ils étaient tantôt
inefficaces, tantôt sans aucune influence, tantôt ignorés par
des régimes despotiques comme celui de Bokassa.
A la question de savoir comment des éléments viables
de la société civile pourraient-ils totalement émerger en
République centrafricaine, et être reconnus comme des
institutions importantes et appropriées dans l’élaboration
d’une société centrafricaine véritablement démocratique ?
Nous pensons que pour parvenir à une réalisation concrète
de la notion de société civile, l’Etat centrafricain devra
aujourd’hui permettre l’émergence et le fonctionnement
effectif d’organisations et d’activités viables, non gouver-
nementales, non personnalisées, telles que la presse privée,

100
les syndicats, et autres organisations bénévoles. Cela
aboutira à l’émergence d’une culture de tolérance et
surtout de pluralisme.
Une telle société exigerait au moins cinq règles, il y en a
certainement d’autres que nous allons énumérer ci-après.
Cette énumération ne saurait donc être exhaustive. D’abord,
nous ne prenons en ligne de compte que les règles politiques
de la « société civilisée ». Ensuite, même à l’intérieur de ces
règles, nous ne mettons peut-être pas l’accent sur celles qui
nous semblent être plus intéressantes par rapport à la
situation politique centrafricaine actuelle.
Premièrement, l’ensemble des acteurs politiques
centrafricains doivent s’accorder sur les principes selon
lesquels, la politique ne doit pas être considérée comme un
jeu sans règles et qui, a priori, exclut de la scène politique
toute référence au « bien » et à la « vérité », ou qui
interprète ces derniers uniquement en termes pragmatiques
d’efficacité et de succès.
Deuxièmement, l’ensemble de ces acteurs politiques
doivent s’accorder sur le principe qu’aucune décision ou
mesure politique ne saurait être considérée comme
légitime à moins d’être acceptée par les citoyens dans les
conditions qu’il faut, en vue d’une opinion libre et
éclairée. Il ne s’agit pas simplement d’éduquer les gens
politiquement, il faut que ceux qui sont censés dispenser
cette éducation soient eux-mêmes politiquement éduqués.
Cela n’est pas toujours le cas, même si cela semble aller
de soi. Il s’agit également de comportement concret de la
part des acteurs. Par exemple, ils doivent éviter toute
forme de clientélisme ou « idiotisation » des gens ; ils
doivent également éviter la démagogie populaire qui se
nourrit de sentiments irrationnels chez les adultes.
Troisièmement, tous ces acteurs doivent s’accorder sur
le principe que le pouvoir démocratique peut et doit
naturellement être conquis et/ou maintenu uniquement par

101
des moyens démocratiques. Entre autres : la fiabilité et la
responsabilité de la part de ceux qui gouvernent ; leur
respect strict des droits et aspirations légitimes des
citoyens, y compris ceux de l’opposition ; l’accord de tous
les participants sur le principe de l’alternance, d’où la
nécessité d’élections libres et transparentes ; le respect par
la minorité des droits légitimes de la majorité à gouverner
tant que c’est dans le cadre des règles, principes et valeurs
démocratiques.
Quatrièmement, l’ensemble des acteurs politiques
centrafricains doivent s’entendre sur le principe que la
politique est un moyen pour l’homme et non l’inverse.
Cela veut dire que toute politique qui est directement ou
indirectement dirigée contre la dignité humaine, la liberté
et la sécurité, est illégitime et immorale. Sur cette base,
toute forme de violence intellectuelle, psychologique et
physique contre la personne humaine doit être exclue des
méthodes politiques de gouvernement ou de conquête du
pouvoir.
Cinquièmement, l’ensemble des acteurs doivent
convenir du principe que pour constituer le fondement
humain de la société centrafricaine, toute politique doit
relever de la conscience de solidarité et de subsidiarités
des populations. Il ne s’agit pas là de simples préalables de
base de la vie sociale en tant que telle, mais également
d’enrichissement de soi à travers le contrat avec les autres.
D’où la nécessité de bannir l’intolérance du comportement
politique et social, à commencer par les relations entre
différentes entités culturelles au sein de la société
centrafricaine. L’ethnicité, le régionalisme, le tribalisme et
le racisme, etc., pour cette raison pourraient être
considérés comme étant incompatibles avec une
« société » politiquement « civilisée », et donc totalement
inacceptables.

102
Les principes autant que les règles d’une telle société,
rapidement brossés ci-dessus, parfois directement ou
indirectement tirés des présuppositions et du concept de
démocratie délibérative, débouchent sur une compréhension
tout à fait nouvelle de ce qu’est ou devrait être la politique
pour qu’elle soit pratiquée dans l’intérêt des personnes.
C’est pourquoi, la politique du pays doit passer du
paradigme de « l’exclusion » et du « conflit », à un nouveau
paradigme de « communication » et de « dialogue ».
Certes, la tension et l’hostilité, n’ont pas, bien entendu
complètement disparu, ni dans les relations sociales et
politiques qui existent au sein de notre société, ni au niveau
local. Toutefois, on constate désormais que chaque
centrafricain est de plus en plus disposé à regarder au-delà
des contradictions, et à saisir une tendance différente et plus
décisive qui tente de s’affirmer à travers les évènements et
circonstances de la vie politique courante. Il s’agit d’une
tendance vers une nouvelle Centrafrique « plus
communicative », laquelle va vraisemblablement déboucher
sur un environnement positif où chaque individu ou groupe
particulier pourrait vivre en sécurité, sans se sentir menacé
par la présence des autres et vice versa.
Pour autant, cela ne veut pas dire que les différences
politiques et sociales, traduisant les intérêts divergents des
individus ou groupes actifs en RCA, vont disparaître
comme par enchantement, pour céder la place à un nouvel
ordre social exempt de toutes contradictions. Ces
différences vont demeurer en tant qu’éléments constitutifs
de toute société dans sa réalité concrète et unique. Ce qui
va changer, c’est l’esprit dans lequel on va les aborder
désormais, ainsi que la méthode utilisée pour les
transcender. D’avantage, préférence devra être accordée
aux procédures consensuelles de résolution de contra-
dictions politiques et sociales, dans la mesure où elles
seront moins « onéreuses » et donc, plus rationnelles.

103
4. La construction d’un Etat-Nation cohésif en Répu-
blique centrafricaine
La République centrafricaine est un Etat qui comporte,
entre autres, plusieurs groupes ethniques. Le problème très
ardu qui consiste à bâtir une « nation » centrafricaine, une
et indivisible, résulte en partie de l’imposition à cet Etat
des frontières artificielles établies, jadis, par les Européens
dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Ces
frontières étaient telles qu’elles n’ont pas pu tenir compte
des caractéristiques des populations vivant à l’intérieur des
mêmes frontières territoriales. Résultat, certains
compatriotes mettent aujourd’hui en question la valeur
d’un pseudo « Etat-Nation » en Centrafrique, et vont
jusqu’à recommander un Etat basé sur l’Ethnie comme
étant plus adapté à leur identité qu’un Etat-Nation
multiethnique. Cette vision semble être l’un des points de
revendication de la coalition Séléka qui continue de
réclamer la balkanisation du territoire national, où les
préfectures de la Bamingui-Bangoran et du Vakaga
constitueraient un territoire islamique autonome.
Questions : Comment un Etat-Nation en Centrafrique
peut-il développer ainsi un Etat cohésif, avec une culture
et une identité nationales ?
Comment peut-il surmonter la difficulté qui consiste à
transférer les loyalismes locaux ou ethniques à l’Etat et à
son autorité politique centrale ?
Comment peut-on empêcher les conflits ethniques, et
mettre fin aux menaces constantes de sécession de tel ou
tel groupe ? Bref, comment l’Etat-Nation qui est
postcolonial, multiethnique, peut-il parvenir à l’unité ?
Action : Il y a plusieurs mesures à prendre dans la
tentative de construction d’un Etat-Nation centrafricain
cohésif et viable, avec des citoyens pluriels au plan
ethnique et culturel. Le nouvel Etat-Nation centrafricain
devra viser l’égalité culturelle afin que ses membres, bien

104
qu’étant de différents milieux ethno-culturels, se sentent
reconnus à la fois en tant que citoyens politiques et
membres culturels. La reconnaissance de la valeur morale
et de la dignité de chaque être humain sera impérative,
étant donné que ce sont là les bases de tout traitement –
social, politique, juridique – réservé au citoyen d’un Etat-
Nation.
Ainsi, la nécessité de créer une société ouverte,
démocratique, qui donnerait des chances égales à chacun
de ses membres, s’impose d’ores et déjà. Société dans
laquelle il faudrait partager le pouvoir politique de
manière satisfaisante entre les différentes communautés
ethnoculturelles et répartir équitablement les ressources
destinées au développement du pays.
De même, la nécessité de créer un Etat minimal qui
donnerait de grandes latitudes aux activités économiques
des individus, des familles, des clans et surtout des
communautés (comme autrefois) sera de toute première
urgence. Le nouvel Etat-Nation centrafricain ainsi créé,
devra imprégner ses citoyens d’un profond sentiment
d’appartenance. Une structure politique, administrative et
fiscale largement décentralisée sera fort indispensable
pour susciter un sentiment d’équité et d’appartenance.

5. Le développement du capital humain


De nombreux centrafricains – grâce à leur intellect,
leurs idées, leurs talents, leurs capacités et leurs visions –
sont des agents de développement. Ces caractéristiques ou
qualités constituent le capital humain de la République
centrafricaine. Une fois améliorées, ces capacités
humaines sont essentielles pour une production efficace du
pays. Mais, le développement de ce capital est essentiel-
lement fonction de la santé, de l’alimentation, de
l’éducation et de la formation. Même si les différents

105
gouvernements centrafricains qui se sont succédés ont fait
beaucoup d’efforts en matière d’éducation, il n’en
demeure pas moins que la République centrafricaine
semble être la lanterne rouge en Afrique centrale, pour ce
qui est de l’éducation globale des individus, en particulier
dans les domaines de l’enseignement professionnel,
technique et nutritionnel, si importants pour la production
d’une main-d’œuvre qualifiée, intermédiaire.
La formation professionnelle n’a pas joui d’un grand
succès en Centrafrique, très probablement à cause des
attitudes sociales négatives à l’égard de la formation aux
compétences et aux métiers manuels. Ce manque de
soutien a eu pour conséquence une pénurie de personnes
qualifiées pour accomplir des tâches routinières telles que
l’entretien des machines et des bâtiments, une situation qui
a laissé le pays dans un état de délabrement lamentable.
L’enseignement supérieur est, bien entendu, de la plus
haute importance dans le développement du pays. La
migration des meilleurs diplômés, en vue de suivre des
formations de troisième cycle à l’étranger, a constitué un
sérieux inconvénient pour le développement des
formations spécialisées de haut niveau en République
centrafricaine. Dans tous les cas, nombreux sont
aujourd’hui les meilleurs cerveaux centrafricains qui
contribuent aux résultats de la recherche dans des pays
étrangers comme : la France, la RDC, le Cameroun ou le
Tchad.
Cette situation est aujourd’hui aggravée par des
difficultés socio-économiques auxquelles est confrontée
l’unique université du pays (l’Université de Bangui)
depuis le début des années 1990, qui ont abouti à
l’appauvrissement des ressources des bibliothèques, et à
une fuite constante des universitaires du pays vers les
universités étrangères.

106
Questions : Comment l’Etat centrafricain peut-il
effectivement assurer des niveaux satisfaisants
d’éducation à ses populations, susciter chez les jeunes,
garçons et filles, d’un intérêt pour l’enseignement
professionnel, technique et agricole ? Comment pouvons-
nous maintenir dans nos institutions d’enseignement
supérieur des chercheurs et universitaires de haut niveau ?
Action : A cause de l’insistance des programmes
d’ajustement sur la réduction des dépenses publiques,
certains soutiennent que le gouvernement centrafricain ne
peut plus se permettre de garantir des soins de santé et une
éducation appropriés à se citoyens. Cependant, il est plus
important pour la Centrafrique de mobiliser des ressources
suffisantes pour atteindre des objectifs qui font l’objet
d’un consensus national et universel, et qui ont trait à la
santé, à la baisse de la mortalité infantile, à l’alpha-
bétisation et à l’enseignement primaire, à
l’approvisionnement en eau potable, à l’hygiène et à
l’alimentation à des coûts réduits et avec une efficacité
accrue.
Afin de faire progresser le développement basé sur la
technologie, il faut accorder la priorité absolue à la
formation aux compétences et métiers manuels. La
formation professionnelle et technique au niveau de
l’enseignement secondaire est de la plus haute importance,
et doit être intégrée dans la culture éducative générale,
autrement, la technologie moderne demeurera étrangère et
ne prendra pas racine en République centrafricaine.
La création de centres professionnels non formels dans
les zones rurales et périurbains doit être prioritaire. La
formation dispensée doit être fonction des situations des
individus et de leurs besoins environnementaux. Dans ces
zones rurales où l’agriculture est l’activité principale, la
formation doit inclure la construction d’entrepôts pour les
récoltes, l’irrigation, la protection de l’environnement, la

107
santé et la nutrition, le traitement et la conservation des
aliments, le travail des métaux, la poterie, la vannerie, le
bâtiment, la sculpture sur bois, etc. Toutes ces activités
traditionnellement exercées par les ruraux, doivent être
améliorées par l’utilisation de techniques modernes.
Par ailleurs, il faut prêter une plus grande attention à la
formation des travailleurs sanitaires et des villages. Pour
une éducation encore plus appropriée en République
centrafricaine, l’utilisation de la langue Sango est un volet
essentiel. La réforme du programme de l’éducation de
base devra inclure des rudiments de sciences de la santé,
l’alimentation et la nutrition, la science et la technologie
de base, l’écologie et l’environnement. Il faut développer
des institutions purement centrafricaines d’enseignement
supérieur, consacrés au pays. La recherche universitaire
devrait ainsi intégrer les besoins locaux et nationaux.

6. Comment gérer la fuite des cerveaux en République


centrafricaine ?
Chaque année, plusieurs cadres centrafricains quittent
le pays pour l’étranger, emportant avec eux une bonne
partie de la capacité intellectuelle de la République
centrafricaine. Bien que le taux d’expatriation ne soit pas
très élevé qu’ailleurs, le problème ici est celui du seuil
critique atteint, lequel produit un effet dommageable pour
le pays. Il est aujourd’hui question d’identifier les voies et
moyens pour juguler une telle saignée, même si certains
préfèrent parler d’exil ou de migration plutôt que de fuite.
Tout en reconnaissant que le phénomène est
incontournable, difficile à gérer, beaucoup de gens
s’accordent sur la nécessité de le limiter en améliorant les
conditions socio-économiques et politiques qui poussent
au départ.

108
La fuite des cerveaux est un débat qui masque la misère
intellectuelle des étudiants centrafricains en Occident. Des
cerveaux fuient la misère d’un système éducatif
irresponsable et défaillant devenu en Centrafrique une
rampe de lancement vers l’immigration et l’errance.
Tous les dirigeants centrafricains crient leur impuis-
sance face à ce phénomène. Chaque année, de nombreux
jeunes quittent le pays et l’Université de Bangui pour
poursuivre leurs études à l’étranger et particulièrement
dans les universités européennes (surtout françaises). La
République centrafricaine a perdu plusieurs professionnels
ces dernières décennies. L’Université de Bangui et
certaines grandes écoles, en raison de l’exode des
cerveaux vers l’occident, souffrent de plus en plus de
l’insuffisance d’enseignants et de chercheurs. Les jeunes
intellectuels quittent généralement le pays à cause de la
médiocrité des salaires, le statut précaire des chercheurs,
les problèmes politiques, etc.
La République centrafricaine accorde une attention
particulière à cette diaspora centrafricaine du savoir et
puise dans ce vivier de compétences utiles pour le pays.
Nous sommes face à une reproduction de la dynamique du
sous-développement à travers la dérobade de la matière
grise centrafricaine. La nouveauté dans les politiques de
l’immigration de certains pays développés comme la
France est de contribuer à renforcer les déséquilibres qui
existent dans le domaine des savoirs en puisant dans le
réservoir centrafricain des ressources pour son propre
développement
Des secteurs vitaux en République centrafricaine sont
désormais dépossédés de ressources humaines nécessaires
pour le développement. Mais, comment la République
centrafricaine peut-elle crier au scandale de la fuite des
cerveaux si elle ne contribue pas aux frais de formation de
sa jeunesse ? En Centrafrique, ce sont les conditions

109
difficiles et l’absence de perspectives d’avenir qui
conduisent bon nombre de jeunes centrafricains et
d’intellectuels à s’exiler. Nous sommes passés à une
époque où les intellectuels centrafricains oublient le
chemin du retour et le devoir de secourir la « mère
patrie ». Plusieurs raisons expliquent ce phénomène des
masses d’étudiants centrafricains qui partent et ne
reviennent plus. L’Etat centrafricain ne favorise pas assez
la formation de ses élites à l’étranger, aussi le voyage des
étudiants vers les grandes universités du monde est-il une
aventure individuelle.
Le devoir de retour est une histoire de choix individuel.
L’attribution de bourses d’études à l’étranger est réservée
à une catégorie d’étudiants centrafricains. L’absence d’une
politique éducative responsable conduit à des pratiques
discriminatoires dans le domaine de la formation des
intellectuels centrafricains. Ceux qui bénéficient de
subventions, s’il en existe, sont d’abord et avant tout les
fils des élites.
Le clientélisme et le clanisme politiques ambiants sont
des canaux de sélection qui excluent ceux dont les parents
sont en dehors de ces sphères. Une autre catégorie de
boursiers est constituée par des étudiants qui dérangent par
leurs luttes syndicales à l’université. Souvent récupérés
par l’appareil politique, ils sont exilés à l’étranger par la
voie des études. Beaucoup d’étudiants voient d’ailleurs
dans cet engagement syndical universitaire une stratégie
de sortie de leur pays. Cependant, le chemin du retour au
pays ne leur est pas garanti en raison des obstacles liés à la
peur de l’intellectuel revenant. En effet, ceux qui sont
demeurés sur place voient d’un mauvais œil le retour de
ces étudiants et éventuels cadres. Ils bénéficient d’une
autre mentalité de la gestion des affaires, ils concurrencent
les savoir-faire établis, ils modifient les comportements
administratifs, ils accèdent plus facilement à des fonctions

110
convoitées, ils supplantent les cadres du parti au pouvoir,
ils menacent les privilèges acquis… Autant de raisons
d’avoir peur des intellectuels expatriés et d’empêcher leur
retour rendu hypothétique.
Mais, nous ne sommes plus dans la période où les
étudiants centrafricains étaient porteurs d’idéaux, de
changement, de démocratie, porteurs des rêves pour la
majorité illettrée de leur peuple. Nos aînés avaient porté le
rêve du « panafricanisme » et se battaient pour la
réhabilitation de leur culture et pour le développement.
Aujourd’hui, beaucoup de jeunes intellectuels centra-
fricains quittent le pays dans l’espoir de trouver une vie et
des conditions meilleures par la voie des études. Ils
n’échappent pas au mirage de l’Occident qui frappe la
jeunesse africaine. Ils partent souvent pour embrasser une
réalité de l’exclusion implacable dans les sociétés
occidentales. Sans ressources ni aides pour réussir leur
séjour scolaire, ils se battent dans des conditions sordides
pour vivre et finissent par peupler les avenues, les rues et
les métros des grandes villes d’Europe.
Quelquefois ceux qui sont parvenus à leur fin avec un
doctorat ou des diplômes de haut niveau occupent
exclusivement des postes valorisants en Occident. Les
autres errent avec leurs bagages intellectuels et ne
daignent pas penser à un éventuel retour au pays. En
République centrafricaine, un très bon diplôme ne garantit
pas du travail. Pour cette raison, évoquer le retour est une
décision presque suicidaire pour certains étudiants qui, de
surcroît, ne se sentent pas redevables à leur pays d’origine,
la République centrafricaine. Les parcours souvent
personnels, sans aucune aide, sont vécus comme une non-
assistance à personne dans le besoin. Les études à
l’étranger relèvent du parcours du combattant et sont
marquées par des privations de toutes sortes quand on n’a
pas les ressources nécessaires. Dans les grandes capitales

111
des pays développés, errent de nombreux intellectuels
centrafricains, leurs diplômes en bandoulière sont souvent
bons pour les petits boulots du monde riche. Ils ont franchi
le mur du non-retour, perdus à jamais par le pays qui a tant
besoin d’eux. Pourtant, face à cette fatalité, des solutions
doivent être envisagées par les centrafricains, eux-mêmes,
à travers la mise en œuvre de stratégies devant retenir ou
récupérer les cerveaux de ce pays. Ces cerveaux sont la
matière nécessaire pour le renouvellement des élites
centrafricaines. L’héritage intellectuel de ce pays revient à
cette nouvelle génération qui est pour l’instant tiraillée
entre le patriotisme centrafricain et l’attrait de l’étranger.
Leur rétention à travers la formation est le gage d’un
nouvel élan pour le développement du pays.
Dans tous les domaines du savoir, et plus particu-
lièrement dans celui du développement, la République
centrafricaine a besoin de toutes ses filles et de tous ses
fils pour façonner son destin. Redonner une fierté et un
idéal à tous les jeunes va permettre d’endiguer la fuite des
cerveaux pour inscrire notre jeunesse dans un projet qui a
pour nom le redressement intellectuel et spirituel de la
République centrafricaine. Pour cela, il est plus qu’urgent
de développer notre enseignement supérieur et notre
système éducatif pour fournir à nos intellectuels les
conditions idéales, pour une recherche tournée vers le
développement.
Nous ne pouvons plus nous permettre de laisser se
durcir une situation qui vide la Centrafrique de ce dont elle
a le plus besoin : des cerveaux capables de réfléchir sur les
conditions de notre progrès et de trouver des solutions aux
difficultés que vivent nos populations. Cette nouvelle élite
doit être convaincue par les valeurs africanistes en faisant
sien l’héritage. Elle doit s’éveiller aux défis du monde
actuel pour apporter des réponses novatrices aux questions
du troisième millénaire.

112
Cette nouvelle élite centrafricaine devra rompre avec
les pratiques de l’élite issue de la période coloniale et faire
des Droits de l’Homme son combat pour la libération du
peuple centrafricain du joug de l’arbitraire et de
l’inconscience. Elle sera appelée à relever les défis de la
gouvernance, de la démocratie et du développement qui
sont les vecteurs d’un progrès respectueux de nos valeurs
de paix et de réconciliation. L’asservissement intellectuel
de la Centrafrique a trop duré, alors que la place
qu’occupera notre pays dans le concert des nations
rayonnera d’autant plus que le regard qui sera porté sur
elle sera couronné d’estime et de respect. Nous saurons
ainsi montrer à la face du monde que la renaissance
centrafricaine est arrivée et qu’il faudra compter avec la
République centrafricaine, sur la base d’autres considé-
rations. Le troisième millénaire sera ainsi celui de la
Centrafrique qui verra ses hommes d’affaires triompher
dans l’économie, ses hommes politiques dignes de
confiance, et son peuple regagner sa fierté.
Les mesures incitatives, dissuasives voire compen-
satoires ne sont pas sans limites. Moderniser la coopération
scientifique et créer des pôles d’excellence ne sont-ils pas
plus efficaces, au moment où s’ouvrent, à travers des
« diasporas scientifiques », de nouvelles voies susceptibles
de permettre une rentabilisation des intelligences exilées ?

7. La sécurité alimentaire
La sécurité alimentaire, c’est la disponibilité, à tout
moment, de quantités au plan nutritionnel, pour satisfaire
les besoins d’une population. Par conséquent, la sécurité
alimentaire dépend de la capacité productive d’une
population, de ses niveaux de revenus, du mode de
distribution des revenus, et bien entendu, du
fonctionnement des marchés. En République

113
centrafricaine, où la majorité de la population (75%) tire
ses moyens d’existence de l’agriculture, la sécurité
alimentaire dépend de façon cruciale d’un secteur agricole
compétitif.
A cet égard, la performance de la République
centrafricaine a été de loin largement insuffisante.
L’insécurité alimentaire, exprimée en termes à la fois de
sous-nutrition et de malnutrition, s’est au cours des quatre
dernières années, touchant maintenant ¼ de la population
totale de la République centrafricaine. D’exportateur net
de produits alimentaires au début des années 1960, le pays
est devenu importateur commercial net de produits
alimentaires, important en termes nets l’équivalent de 27%
de sa propre production alimentaire.
Question : Comment la République centrafricaine
pourrait-elle atteindre constamment un niveau suffisant de
production alimentaire, et réussir à écarter les risques de
famine ?
Action : La durabilité de la sécurité alimentaire en
République centrafricaine dépendrait en principe de
l’augmentation de la production alimentaire, ainsi que
d’un secteur agricole efficient et en plein essor, qui croît
sur une base durable, et produit des aliments bon marché
pour toute la population. Pour réaliser ces objectifs, la
République centrafricaine devra accorder une haute
priorité à la recherche agricole, améliorer les infras-
tructures, renforcer toutes les institutions qui servent
l’agriculture tant en termes de fourniture d’intrants que
d’offices de commercialisation, et faire des réformes dans
l’environnement de la politique économique pour soutenir
l’agriculture à long terme.
L’expansion agricole rapide nécessitera des
infrastructures rurales qui, pour l’essentiel, soutiennent
davantage l’économie du pays. Il faut donc améliorer la
formation du capital tant pour l’infrastructure physique

114
(i.e., pistes rurales, électricité, marchés, conservation de la
fertilité des sols) que pour l’infrastructure humaine
(i.e., amélioration des soins de santé, formation
professionnelle). En outre, il faudra tenir compte des
besoins des petits exploitants dans la répartition spatiale de
l’investissement public. Des investissements publics
soutenus en milieu rural nécessiteront la mobilisation des
recettes publiques suffisantes grâce à la réforme fiscale,
une réorientation des excédents miniers vers l’agriculture,
le développement de systèmes d’épargne et de crédit dans
les zones rurales ainsi qu’une nouvelle approche macro-
économique de la gestion de la dette et des flux de
ressources extérieures.
Par-dessus tout, il doit se développer en République
centrafricaine une réelle stabilité politique et une paix
sociale : un climat de confiance est une condition
préalable pour soutenir la croissance aussi bien dans la
production agricole que dans d’autres secteurs de
l’économie du pays.
En conclusion, notre propos dans ce chapitre est
d’articuler une nouvelle vision de la République
centrafricaine pour ce troisième millénaire, une vision
dont les éléments de définition comporteraient les traits
nobles et élégants du patrimoine culturel de la
Centrafrique, les significations ou implications des
expériences qui consistent à s’attaquer aux problèmes
déclenchés dans ce pays, ainsi que notre sentiment de ce
que devrait être l’Etat centrafricain et comment il peut
devenir ce qu’il devrait être. Cette vision a été exprimée en
termes de questions, objectifs et programmes d’action à
adopter.

115
Eu égard à tout ce qui précède nous recommandons une
autre vision de la République centrafrique :
 dont la population aura de plus en plus besoin de
prendre en main sa propre destinée, avec un senti-
ment profond de détermination et d’engagement ;
 dont la population développera des capacités
intellectuelles, culturelles et technologiques qui lui
permettront d’apporter des réponses adéquates à
l’ensemble du corps de conditions (matérielles)
d’existence dans lesquelles elle va fonctionner en
tant qu’être humain ;
 dont les dirigeants considèreront le pouvoir politique
comme une occasion de servir le peuple centrafri-
cain, et non comme un moyen de se grandir, de
grandir les membres de leurs groupes ethniques et
leurs proches associés, et du peuple centrafricain ;
 dont la population sera indépendante au plan culturel
et intellectuel – mais nullement arrogante, et res-
pectera et sera fière de ses propres créations
culturelles, s’étant débarrassés du vieil habit avilis-
sant de la mentalité coloniale d’un siècle antérieur,
et de la sorte, développera sa propre identité ;
 dont les pensées et les actes de la population seront
imprégnés de l’ethos humaniste qui est sensible aux
intérêts, au bien-être et à la dignité de chaque être
humain pris individuellement, étant conscients du
fait que non seulement, la République centrafricaine
semble être le berceau historiquement reconnu des
bantous, mais également que, aussi développé que
sera l’Etat centrafricain au sens technologique et in-
dustriel, il ne faudra jamais oublier que cela ne nous
servira à rien de conquérir le monde technologique
dans sa globalité, si nous devions perdre l’âme –
l’essence – de notre humanité.

116
Comme mécanisme d’initiation de la réalisation de notre
vision, il est recommandé de créer un nouveau mouvement
national, parallèle au mouvement d’indépendance d’il y a
deux ou trois générations, de le galvaniser et de le conduire
avec une nouvelle série d’idées et un nouveau sens de la
direction et de l’espoir, un mouvement qui suscitera un ethos
de confiance en nous-mêmes, nos capacités, nos qualités
humaines, nos valeurs et identités, alors que nous faisons
face aujourd’hui à de nouveaux défis.

IV. DÉFI DU TROISIÈME MILLÉNAIRE EN CEN-


TRAFRIQUE
Aujourd’hui, beaucoup d’observateurs plaident de tous
leurs vœux en faveur d’une nouvelle croisade vers ce que
nous pouvons appeler la « deuxième libération de la
Centrafrique ». Au début de ce troisième millénaire, le plus
grand défi auquel le peuple centrafricain doit faire face est
celui de trouver une stratégie globale et efficace pouvant le
mener à son développement social, son indépendance
économique, son renouveau culturel et spirituel, et à sa
véritable libération de la domination étrangère.

1. La restauration de la dignité et de la liberté du


peuple centrafricain
L’un des grands défis de ce XXIe siècle c’est de
restaurer définitivement la dignité et la liberté du peuple
centrafricain partout où il s’avère encore nécessaire. Ce
défi doit se traduire par le respect de soi pour tous les
centrafricains dans le monde. L’exclusion à l’état pur ou
sous des formes subtiles qui sévit en Centrafrique n’atteste
en fait que d’un manque de respect pour ce pays et pour
certains de ses dirigeants. Ainsi donc, le réarmement
moral du peuple centrafricain au début de ce millénaire

117
signifie qu’il doit renouer avec les valeurs profondes du
respect de soi, de dignité, de fierté, d’intégrité morale,
d’autonomie et surtout d’indépendance.
L’unité du peuple centrafricain constitue le ciment qui
garantit sa victoire sur les forces du mal, car il ne vaincra
pas dans la « désunion ». La priorité doit être de parvenir à
l’unité du pays, autour des valeurs fondamentales de
liberté, de dignité, d’indépendance, de démocratie et de
développement. Un nouveau pays réellement uni
politiquement, intégré économiquement, et prospère, avec
à sa tête des dirigeants dignes et intègres, fournira des
bases solides pour la désaliénation et la liberté du peuple
centrafricain.
Reconstruire une autre Centrafrique se révèle être
certainement une tâche complexe et affolante, étant donné
les énormes difficultés actuelles auxquelles notre pays et
notre peuple font cruellement face. Cependant, ce n’est
nullement « mission impossible ». Un grand penseur
révolutionnaire, leader politique et éminent homme d’Etat,
Mao Tsé Tung, disait que « tout était possible sur cette
terre, pourvu qu’on ose relever le défi, quels que soient les
difficultés et les obstacles que l’on puisse rencontrer. »
Cette attitude révolutionnaire et résolument optimiste doit
guider résolument le peuple centrafricain aujourd’hui, dans
sa volonté de venir à bout des défis nombreux et complexes
qui l’interpellent à l’orée de ce troisième millénaire.
Pouvons-nous y parvenir en acceptant le fardeau de
l’histoire, ou devons-nous fuir nos responsabilités et
continuer d’accepter ad vitam aeternam la soumission et la
dépendance ? Tel est le choix fondamental qui s’impose
aux enfants de Centrafrique : prendre notre destinée en
main ou en laisser le soin aux autres. Il n’y a pas de
troisième voie. Si nous optons pour la première qui
consiste à relever les défis qui interpellent notre pays et à
jeter les bases de la construction ou de la reconstruction

118
d’une autre Centrafrique, nous devons procéder à des
changements et à de profonds choix politiques sur
différents fronts.
Sur le front idéologique et intellectuel : la bataille
s’avère plus difficile et plus complexe à ce niveau. Une de
nos tâches premières sera de mener une lutte serrée contre
l’idéologie de « suprématie » extérieure et la tendance à
accepter « l’infériorité » de la République centrafricaine,
et à minimiser la contribution du pays à son édification. A
partir de cette perspective, nous devons systématiquement
remettre en question tous les canons, critères, valeurs et
modèles qui nous ont été imposés sans succès.
Pour parvenir à discréditer ce que nous appelons
« l’idéologie de la suprématie extérieure », il nous faudra
impérativement vulgariser des idées nouvelles que prônent
nos propres approches de développement et de nouvelles
formes de gouvernance. Cette nouvelle Centrafrique doit
avant tout apprendre à compter sur elle-même. L’aide
étrangère doit juste être considérée comme un complément
à nos efforts, et non comme la principale source de
financement de notre développement économique et
social. En outre, cette assistance ne doit pas être utilisée
comme une arme pour dicter à la République
centrafricaine ce qui est dans les intérêts de l’extérieur. En
d’autres termes, nous devons apprendre à rejeter les
conditionnalités idéologiques et politiques attachées à
« l’aide extérieure ».
Une autre tâche tout aussi importante qui attend nos
« intellectuels » est de proposer de nouvelles approches
alternatives de développement économique et social, et de
nouvelles formes de gouvernance alliant démocratie,
responsabilité, participation du peuple, créativité et
efficacité. La capacité réelle de nos intellectuels et de nos
institutions à arracher des mains de l’extérieur notre
machine de développement, déterminera nos efforts à fixer

119
nos propres approches de développement, et à créer de
nouvelles formes de gouvernance.
De même, le contrôle de nos esprits est l’arme la plus
efficace dans la stratégie globale de domination extérieure.
Il ne faut pas oublier que celui qui contrôle votre esprit,
contrôle votre vie. Tant que la Centrafrique restera
prisonnière – consciemment ou inconsciemment – des
valeurs de l’extérieur, les concepts d’indépendance et de
développement autonome n’auront aucun sens. Ils
resteront au contraire lettres mortes comme l’a démontré
l’expérience ces décennies de crises.
Depuis le début de ces crises récurrentes que connait le
pays, la liste des « experts » étrangers envoyés par leurs
gouvernements et les institutions sous leur contrôle, n’a
cessé de croître tous les jours. Cette « assistance » coûte
des milliards de dollars à la République centrafricaine
pour presque rien en retour. En fait, comme un éminent
spécialiste du développement l’a justement observé, cette
« assistance technique » a fourni à la Centrafrique plus de
mauvais conseils par « centimes dépensés ».
Il est aujourd’hui nécessaire de tracer de « nouvelles
perspectives sur la coopération bien pensée », son
contenu, ses méthodes, sa finalité, sa dénomination même
qui est apparue à bien des égards obsolète. Elles devront
être explorées et traduites en termes opérationnels. C’est le
vœu formulé par de nombreux centrafricains. Il apparait
aussi que si la coopération entre la France et la République
centrafricaine devait être privilégiée et devait le rester, elle
devait l’être sans exclusive. La réalité d’aujourd’hui
impose cette couverture sur d’autres mondes, européens,
francophones ou d’ailleurs encore...

120
2. Les leçons à tirer d’une catharsis nationale
Les hommes passent, les institutions passent, dit-on.
Les régimes politiques naissent et disparaissent, mais la
République centrafricaine est sensée demeurer. Comme
César en son temps, des grandes personnalités politiques
centrafricaines telles que Barthélémy Boganda, David
Dacko, Jean Bedel Bokassa, André Kolingba, François
Bozizé, Michel Ndjotodja, pour ne citer que celles-ci, si
illustres qu’ils furent, n’ont fait qu’emprunter la roue de
l’histoire nationale pour y jouer chacun sa partition, bonne
ou mauvaise, avec altruisme ou égoïsme, dans l’honneur
ou l’infamie, avant de passer le témoin à la postérité. Ainsi
dit, nous pensons qu’une des approches les plus indiquées
pour bien baliser l’avenir de la République centrafricaine,
consiste à bien saisir les contours de son passé.
Personnellement, il nous est donné de penser que c’est
actuellement pour les centrafricains une nécessité vitale de
bien scruter leur histoire nationale, à travers les mailles de
tous tumultueux évènements ayant jalonné ces dernières
décennies, dans une autocritique sincère pouvant favoriser
le retour à un développement durable du pays. En effet,
c’est en se fondant sur une telle remise en question, que les
élites de ce pays se rendront bien compte que c’est bien la
politique d’exclusion qui est bien la cause centrale de toutes
les grandes crises militaro-politiques qui ont endeuillé le
pays, depuis son indépendance jusqu’aujourd’hui.
A ce propos, il est symptomatique de constater que plus
de cinquante ans après l’accession du pays à la
souveraineté nationale et internationale, la vie politique
centrafricaine reste toujours rivée sur des concepts
réducteurs du genre « bokassistes », « patassistes »,
« bozézistes », « djotodjistes ».
La conséquence logique de cette situation est la
traditionnelle tendance de la classe politique centrafricaine
à se cloisonner de façon presque grégaire, en des

121
regroupements politiques dépourvus de fond idéologique
et de projets de société adaptés aux réalités existentielles
du pays. Ainsi dit, nous voudrions attirer l’attention de
l’opinion publique sur le fait que l’actuelle destruction de
la République centrafricaine et l’avilissement de son
peuple, qui en a résulté, sont des griefs opposables à tous
les citoyens de ce pays, indépendamment des bords
politiques ou ethnico-régionalistes.
A l’exception de Barthélémy Boganda, tous les leaders
politiques et autres élites centrafricaines partagent
collectivement la responsabilité de tous les malheurs de la
République centrafricaine, qui ne sont que des
conséquences logiques des turpitudes de chacun à son
niveau. En effet, une réalité quelque peu occultée est qu’à
l’instar de ce que firent leurs pairs de la Côte d’Ivoire, du
Sénégal et plus récemment encore de l’Afrique du Sud, les
pionniers de l’indépendance de la République centra-
fricaine avaient l’opportunité d’imprimer au pays un bon
élan de départ sur les sentiers du développement.
Autant il est vrai que les systèmes Dacko, Kolingba,
Patassé, Bozizé, Ndjotodja ou Catherine Samba-Panza
portent la responsabilité historique d’avoir fait des
Centrafricains, un des peuples les plus avilis du monde
vivant dans un pays doté d’une de meilleures potentialités
de développement du continent, autant il serait illogique
de penser que le fait d’avoir évolué dans ces systèmes
suffisait à certains citoyens de mériter d’être au ban de la
communauté nationale.
Un principe élémentaire de droit est que l’infraction est
individuelle. Autant certains Patassistes, Bozézistes et
N’dotodjistes s’illustrèrent dans le passé par la corruption et
le fossoyage systématique de l’économie nationale, autant il
y aura des représentants de la transition dont la prospérité
retiendra des griefs comme la propension très prononcée au
régionalisme et des notoires limitations à garantir la sécurité

122
et la souveraineté nationale. Une fois de plus, c’est la loi
naturelle des contradictions. Autant il a existé de bons et
mauvais citoyens dans les systèmes politiques passés,
autant il en sera pareil pour les systèmes futurs.
Nous avons ci-haut suffisamment décrit la manière dont
les collaborateurs de Kolingba, Patassé, Bozizé et
Ndjotodja sont parvenus, notamment par des crises
multiples à mettre en moule à la fois l’ensemble du secteur
de sécurité du pays, les assises de l’économie nationale et
l’ensemble des structures de l’Etat, vouant ainsi la
République centrafricaine au déclin et à la perte de sa
dignité dans le concert des nations.
Par contre, que penser de tous ces viols et massacres
des Centrafricains, pillages systématiques des ressources
nationales et des destructions continues des infrastructures
socio-économiques du pays au profit de certains pays
voisins de la République centrafricaine. Chaque centra-
fricain portant sa petite part de responsabilité dans toutes
les crises que tout le monde regrette, l’attitude la plus
raisonnable pour les filles et fils de ce pays serait plutôt
celle d’une intériorisation de la logique de la réconciliation
nationale devant déboucher sur un dialogue sincère inter
centrafricain. Cette approche est sensée permettre aux
anciens frères ennemis centrafricains de parvenir à un
pardon mutuel sincère, préalable indispensable à la
réconciliation nationale et à une synergie pour affronter
ensemble un avenir dont les perspectives paraissent plus
que sombres.
Aujourd’hui, tout le monde souhaite voir le prochain
pouvoir de Bangui, issu des élections à venir, œuvrer
davantage dans le sens de la réconciliation nationale, de la
justice et de la vérité. Nous pensons que ces mots de la rue
ne procèdent pas d’anodines agitations politiques, et qu’ils
sont bien pesés par rapport à l’avenir sombre du pays. Ces
paroles tiennent d’un véritable cri de détresse émanant du

123
fond du cœur des citoyens, conscients d’une menace réelle
sur l’existence de la République centrafricaine. Peu
importe qu’on soit pour ou contre le pouvoir en place, ce
cri d’alarme de la rue est sensé attirer l’attention de chacun
de nous sur cette évidente réalité qu’une République
centrafricaine qui démarre sur des bases d’un vieux
clivage géopolitique, d’une justice qui ne rassure pas tous
les citoyens ou d’une démocratie naissant sur des
suspicions de corruption et de mensonge est un parfait
château des cartes.
Au regard du tableau sombre que présente actuellement
la Centrafrique, en termes d’évanouissement des structures
de l’Etat, de déliquescence du secteur de sécurité,
d’occupation du territoire national par des groupes armés
incontrôlés, du pillage systématique des ressources
nationales, de la détérioration très avancée du tissu
socioéconomique du pays et de hauts risques de sa
balkanisation ; il y a effectivement lieu de craindre pour
l’avenir.
En effet, que reste-t-il encore aujourd’hui à la
République centrafricaine de dignité et d’indépendance,
dès lors que ses gouvernants sont en réalité « dépossédés »
de tout imperium au profit des organisations interna-
tionales et « pays amis » ? Quel attribut de souveraineté
nationale reste-t-il encore de nos jours aux Centrafricains,
lorsque leur armée nationale (les FACA) n’est plus
aujourd’hui qu’un appendice des forces de la communauté
internationale ?
Que reste-t-il encore du patrimoine national
centrafricain, dès lors que son sol, son sous-sol et ses
biodiversités ne sont plus qu’une copropriété partagée
avec des prédateurs de tout genre ? Pourrait-on dès lors
dire que nous, les élites de ce pays, nous dressons nos
fronts longtemps courbés ? Ce n’est aucunement ici une

124
question de chauvinisme ou de nationalisme à essence
extrémiste.
Face à une menace réelle de perte de l’âme et du
fondement de toute une nation, les Centrafricains ont tout
intérêt à se ressaisir, à transcender des clivages
géopolitiques et à mettre fin à un suicide collectif. A notre
entendement, c’est ici que le mot d’ordre « …fini la
récréation… » du Président Ange Félix Patassé trouverait
bien toute sa quintessence.
Les exigences de la refondation de la nation
centrafricaine impliquent que les élites du pays, tous bords
géopolitiques confondus, ouvrent un débat de fond portant
sur un diagnostic sans complaisance de l’Etat actuel de la
Nation, et sur des actions correctrices à mener avec
diligence. Nantis des conclusions de cette réflexion sur le
chemin déjà parcouru et sur un avenir dont la voie est
jonchée de nombreux enjeux et défis d’ordre sécuritaire,
sociopolitique et économique ; les élites Centrafricaines
pourront affronter avec sérénité les vagues qui
s’annoncent très houleuses sur la route du prochain navire
centrafricain.
Des questions fondamentales et pertinentes se posent à
tous les Centrafricains, indépendamment des clivages
politiques ou géopolitiques : comment passer du simple
vœu pieux à une action salvatrice ? Comment les
prochains gouvernements centrafricains entendent-ils
assumer leurs obligations constitutionnelles de rejoindre
les préoccupations de la population en matière de sécurité
et de requalification de son vécu quotidien ? Quelles
seraient les approches indiquées pour que la République
centrafricaine retrouve les pistes de la paix, de la stabilité
et de la prospérité ?
Nous disons qu’autant des personnages comme Dacko,
Kolingba, Patassé, Bozizé, Ndjotodja, Samba-Panza, si
illustres qu’ils ont été, n’ont pu apporter une réponse

125
exhaustive à tous ces questionnements, autant les élites qui
sont censées détenir actuellement les rennes de la destinée
de la Centrafrique, qu’elles soient de l’administration
publique, de la classe politique ou de la société civile, ont
l’obligation morale et citoyenne de vaincre la dictature de
l’égoïsme matériel, de l’ethnocentrisme et du clientélisme
politique pour donner des chances de survie à la Nation
centrafricaine, face à tous ces soubresauts de tout genre
qui l’assaillent.
Pour ce faire, les garants actuels de l’imperium
centrafricain et leurs partenaires extérieurs devraient
commencer par se départir de leur sempiternel mode de
management des questions de défense et de sécurité qui,
ne se fondant pas sur une évaluation à la fois objective et
globale de l’équation sécuritaire, ignorant superbement
moult réalités sociologiques nationales, et empruntant
constamment les raccourcis de l’exclusion et de l’iniquité,
ont systématiquement été à la base de tous les rendez-vous
manqués avec le développement de ce pays.
En effet, sans DDR harmonieux, il ne pourrait-être
possible, ni de créer une armée centrafricaine réellement
républicaine, gage de la sécurisation de tous les acteurs
politiques et des communautés ethniques, ni d’accomplir
l’ensemble de la réforme du secteur de sécurité indispensable
à la consolidation de la paix et au retour des investisseurs et à
la reconstruction nationale. Or, cette lacune constitue aussi
l’amorce d’un fatidique cercle vicieux, allant de la culture de
l’exclusion à la persistance de la pauvreté, en passant par des
crises politiques et des mouvances insurrectionnelles
génératrices de la violence de sang.
C’est pourquoi, nous disons que la résolution de
l’actuelle équation sécuritaire centrafricaine exige des
approches qui vont au-delà de seuls conciliabules
diplomatiques et accords militaires pour intégrer une
dimension spirituelle comme soubassement à la promotion

126
de toute une culture de paix et d’une campagne
d’assainissement des mœurs politiques.
Percevant le mal centrafricain plus moral et spirituel
que politique et sécuritaire, nous pensons que les
approches de solution indiquées devraient être articulées
sur deux paliers. Il faut d’abord aborder cette crise dans
son essence immatérielle, pour se pencher ensuite sur sa
composante sociale qui n’est qu’une simple conséquence.
La double racine du mal ayant ainsi été en évidence, il
deviendrait alors plus aisé d’y appliquer une approche
dialectique orientée également sur deux vecteurs en
fonction de la structure binaire de la problématique décrite
précédemment.
En ciblant les approches des solutions sur l’essence
spirituelle de la crise, les élites de ce pays pourraient
parvenir à une requalification de la superstructure de
l’Etat, en se débarrassant des vices comme la manie du
détournement des biens publics, l’ethnocentrisme, la
corruption, le despotisme, etc., qui rongent la société
centrafricaine depuis plusieurs décennies. La supers-
tructure de la société centrafricaine ayant ainsi découvert
la lumière qui émane des préceptes divins d’amour du
prochain et du pardon, de tolérance et de concorde ;
interviendra alors une radicale reconversion des mentalités
et la fin de l’actuelle culture de mauvaise gouvernance.
Par la force des choses, les élites centrafricaines se
referaient ainsi une légitimité qu’ils ont perdue depuis
belle lurette auprès de la population.
Donc, nous disons que la multiplication des arran-
gements politiques, n’est pas en soi une mauvaise chose,
mais elle devrait être couplée à des approches plus
structurelles ; celles qui procèdent essentiellement d’une
mobilisation par la diffusion des idéaux d’équité dans
l’exercice de l’imperium, d’égalité entre les citoyens et la
droiture morale.

127
Ce perfectionnement intérieur du citoyen centrafricain
nous parait constituer l’antidote la plus indiquée contre
tous ces fléaux qui rongent actuellement la République
centrafricaine, entravant ainsi toute perspective de retour
vers la stabilité et de prospérité au pays et dans toute la
sous-région d’Afrique centrale.
S’agissant du deuxième volet de notre approche
dialectique, nous disons que celui-ci devrait procéder d’un
dédouanement de la classe politique centrafricaine et des
pesanteurs liées à l’absence notoire de l’éthique politique.
Manquant généralement de philosophie politique,
l’opérateur politique centrafricain travaille généralement
sas projet de société crédible, ce qui entrave l’élaboration
des stratégies sensées guider son action politique et
garantir ainsi la communion entre lui et la population. Il y
a lieu de noter que depuis l’indépendance du pays jusqu’à
ce jour, le gros des politiciens centrafricains est plus un
produit des décrets présidentiels et autres modes de
cooptation que d’un choix délibéré du souverain primaire.
Il faudrait dorénavant changer cet état des choses par la
promotion d’une véritable démocratie, où le politicien
devrait se sentir plus mandataire de la population qu’un
parfait suppôt de l’imperium. Il devrait lui être loisible de
se rapprocher de sa base, pas seulement lors des
campagnes électorales, pour y propager aussi bien son
message politique que la culture de paix.
Notre profonde conviction est que la diffusion des
idéaux d’amour du prochain, d’acceptation de la
différence, de fraternité universelle des enfants de Dieu,
est un excellent moyen de lutter contre l’actuelle pratique
politique assujettie au seul prisme réducteur de
l’ethnocentrisme, lequel fait que celui qui n’est pas de son
milieu d’origine est vite l’objet de méfiance et de
stigmatisation. Une fois de plus, nous voulons souligner
ici la nécessité d’une didactique socioculturelle de

128
proximité qui amènerait aussi bien les élites que les
masses populaires du pays à intérioriser les idéaux de
chrétienté et de solidarité citoyenne.
Cette promotion de la culture de paix est sensée à la
fois favoriser la réconciliation nationale et combattre la
très nocive propension de l’homme politique centrafricain
à emprunter le raccourci de l’exclusion pour palier à ses
limitations à assumer la dynamique contradictionnelle de
la pratique démocratique. A ce propos, il est curieux de
constater que partout des multiples sommets de Libreville,
Brazzaville et Ndjamena, en passant par les négociations
de Nairobi ou de Bangui ; autant toutes ces assises
destinées à la recherche d’une solution durable à la crise
centrafricaine ont toujours mis un accent particulier sur la
nécessité de la réconciliation nationale comme préalable à
la consolidation de la paix, autant les choses sont toujours
restées au stade de simples discours destinés à la
consommation extérieure.
Or, c’est justement cette réconciliation nationale qui est
censée permettre le véritable rétablissement de la
confiance mutuelle entre les anciens belligérants,
notamment en dissipant la méfiance mutuelle, et faciliter
ainsi les opérations de désarmement, dans le cadre du
processus DDR qui se trouve être le point de départ de
tout processus de paix intervenant après un conflit armé.
En effet, en tant que pierre angulaire de toute dépollution
sécuritaire post-conflit, le DDR constitue le passage obligé
vers la création d’une armée nationale sensée mettre en
confiance, sécuriser toutes les sensibilités géopolitiques
nationales, et favoriser ainsi le retour des investisseurs
dans le cadre de la reconstruction nationale.
Pour terminer, nous disons que la conjugaison du
déficit de leadership et de la culture d’exclusion
constituant les deux racines profondes du mal
centrafricain, toute solution structurelle à la crise que

129
traverse le pays, nécessite une solution bidimensionnelle :
celle qui procède à la fois de la diffusion de la vraie
lumière et de la requalification de la pratique politique.
Nous voudrions préciser que par le concept de vraie
lumière, nous n’entendons pas un réveil spirituel où Jésus-
Christ serait réduit au rôle humain de pourvoyeur des
visas, des mariages, des emplois, etc.
Pour nous, la « vraie lumière » signifie la faculté d’une
réelle observance des préceptes divins d’amour du
prochain et de droiture morale que nous avons préconisée
comme une antidote contre la culture de l’exclusion,
l’ethnocentrisme, les détournements des biens publics,
l’intolérance, la violence, etc. ; dont le seul mérite est
d’inhiber toute perspective de concorde nationale et de
justice redistributive, deux facteurs de retour de la paix
sociale et de la prospérité dans le pays. Les « garants » du
processus de cohésion sociale en République
centrafricaine n’ont pas de choix que d’œuvrer pour
l’application des nouvelles approches décrites ci-dessus,
dans le cas où ils tiennent à la restauration de la cohésion
nationale indispensable à la consolidation de la paix, à la
mise en œuvre effective des chantiers de retour à la
stabilité, de la reconstruction et de la prospérité du pays.
C’est une question d’amour du prochain et de la patrie, de
volonté politique, de droiture morale, de confiance au
génie créateur du peuple centrafricain et de foi à la
vocation africaine de la République centrafricaine.

3. Le rêve biaisé d’une Centrafrique véritablement uni-


fiée
Le rêve d’une Centrafrique unifiée tarde à devenir une
réalité, malgré la prise de conscience des difficultés liées à
la faiblesse de l’Etat. La division historique de l’espace,
des groupements socioculturels, le néocolonialisme et la

130
mondialisation constituent des phénomènes majeurs
devant lesquels les Centrafricains, comme tant
d’Africains, demeurent désarmés. S’il en est ainsi, c’est
que la volonté politique nécessaire pour la République
centrafricaine, comme pour les Etats africains ne cesse
d’abdiquer devant les conflits d’intérêts et l’omniprésence
de la main étrangère. Au lieu d’opposer un projet de
société différent, la République centrafricaine continue de
dépendre d’un système international qui lui est
défavorable.
Cette infériorisation de la République centrafricaine
dans les rapports qui caractérisent le monde moderne,
puise ses sources dans la lointaine histoire au cours de
laquelle il n’a jamais été question de prendre en compte
les intérêts des citoyens centrafricains. L’exploitation des
richesses du pays au détriment de toute considération pour
le peuple centrafricain a plongé la Centrafrique dans la
pire des postures : celle d’une main tendue pour
quémander les moyens de sa survie. Placés ainsi à la face
du monde, les centrafricains ont aujourd’hui renoncé à
tout rêve devant un monde toujours plus déséquilibré et
injuste.
Devant les défis colossaux et nombreux liés au
développement, la Centrafrique continue de survivre grâce
à la miséricorde et au bon vouloir des autres pays.
Devenus les grands mendiants du siècle, les
gouvernements centrafricains, qui se sont succédés au
pouvoir, ont fait rentrer le peuple centrafricain dans le
nouveau millénaire dans l’incertitude totale. L’absence
d’alternatives et l’impasse faite sur la question des Droits
de l’Homme, de la Démocratie et de la Paix n’augurent
rien de bon dans les prochaines années, alors que le monde
attend beaucoup de ce pays.
La République centrafricaine qui s’éveille lentement,
mais peut-être sûrement, se heurte toujours à cette

131
anesthésie qui se débat encore avec ses propres démons.
Devant le vide symbolique et les contraintes politiques et
économiques, il existe une Centrafrique pour qui tout est
possible et qui n’accepte pas de subir continuellement son
destin. Cette Centrafrique-là n’a pas accepté l’idée de son
infériorité et, partant, son impuissance à renverser le cours
de l’histoire.
Mais, le problème de ce pays dépasse les raisons d’être
optimiste sans une réelle prise de conscience des
problèmes qui s’accumulent avec le temps. La complexité
de la situation de sous-développement dans laquelle se
trouve la République centrafricaine exige une approche
multidimensionnelle et s’oppose à une vision simpliste ou
uniforme. Affirmer que le retard de la Centrafrique est
culturel relève d’une certaine ignorance du passé fastueux
des civilisations qui ont existé et prospéré sur le sol
« centrafricain ». De nombreux travaux ont montré le
caractère progressif des populations centrafricaines
attestant du coup leur capacité à surmonter les obstacles.
L’absence de prise en compte de cette histoire et la
substitution de notre vision du monde par d’autres visions
a fait que les Centrafricains ont perdu leurs repères et se
sont fiés au mirage d’une modernité sans projet.
Dès lors, la question qui se pose est celle du modèle de
développement qu’on construit sur la base de ce que l’on
est. Le modèle que l’on met en face des défis qui assaillent
l’évolution humaine est relatif à la vision que l’on peut
avoir de la vie et de l’humain. Il est courant d’entendre de
la bouche de pseudo analystes que le problème
centrafricain est lié aux mentalités de son peuple. Dans la
réalité, une telle analyse n’a aucun fondement scientifique.
Il n’existe aucune contrée au monde où les mentalités
seraient à ce point uniforme et tout ouvertes à l’idée de
progrès. Il n’est pas vrai qu’en Centrafrique, les habitudes,
les façons de penser le monde soient des obstacles au

132
progrès. Que l’on ne nous fasse pas accepter l’idée selon
laquelle, le retard économique de ce d’Afrique centrale est
lié principalement à son système culturel.

133
CONCLUSION GÉNÉRALE

Construire une autre Centrafrique peut paraître


utopique, vue la situation maussade du pays : son
économie à la dérive, ses infrastructures sociales
entièrement délabrées et un bilan de la gouvernance
négatif. Le tableau s’assombrit encore plus avec les crises
militaro-politiques à répétition et le fléau du SIDA et des
autres maladies qui menacent de décimer des régions
entières du pays.
De surcroît, l’application incontrôlée de sa politique
néolibérale comme solution à la situation effroyable du
pays est un appel au désastre qui affaiblit d’avantage
l’intervention de l’Etat, et accentue. A l’heure actuelle, il
se développe de plus en plus au niveau d’une large partie
de l’opinion publique, mais aussi chez les leaders,
décideurs politiques, penseurs et activistes sociaux
centrafricains, l’idée selon laquelle le redressement et le
développement de la République centrafricaine se trouvent
dans l’invention d’une nouvelle approche de
développement économique et social.
La nouvelle approche de la République centrafricaine
doit donner une large priorité à la créativité et à
l’inventivité, placer la dignité humaine au centre des
préoccupations et subordonner tous les autres objectifs à
cette fin. Par conséquent, le modèle centrafricain doit être
fondé sur le renouveau spirituel du peuple centrafricain,
c'est-à-dire une philosophie qui selon Campbell (1996 :
97) est : « ...une force qui ne peut être ni assimilée, ni
éliminée. Dans les ménages, la vie politique et sociale doit
être l’instrument de mesure de la vertu et non du vice, de
la justice et non de l’injustice, de la liberté et non de
l’oppression, de la pureté et non de la perversion, de la
richesse et non de la pauvreté, et d’ un avenir fait d’amour
universel et non de la haine. »
Durant la dernière décennie, la République
centrafricaine et ses enfants ont subi de nombreuses crises
militaro politiques et d’autres indignités qui leur ont été
infligées. Nous pouvons dire que les mots liberté et dignité
acquerront leurs lettres de noblesse si et seulement si le
peuple centrafricain est réhabilité dans sa dignité et sa
liberté entière, et que l’humiliation à son encontre sera
totalement éradiquée.
Quant au bilan de la gouvernance du pays, il est
largement négatif, en partie, parce que sa gestion est
chaotique et cahin cahan, parce que le recours aux diktats
népotistes est devenu la règle. C’est pourquoi, tout le
monde appelle aujourd’hui à une bonne gouvernance afin
d’accroître la légitimité de ce pays si riche ; car la
persistance des crises militaro-politiques risque de porter
un coup fatal à la démocratisation en cours.
Aussi inacceptable qu’elle soit, la démotivation est
devenue finalement l’option pour de nombreux
centrafricains frustrés et marginalisés. D’ailleurs, cette
démotivation comporte aujourd’hui de nombreuses
dimensions négatives, parmi lesquelles, l’exode de plus en
plus massif de compatriotes les mieux formés vers
l’occident ou vers des organisations internationales, la
montée de la grande corruption et des trafics d’influences.
De même, cette démotivation engendrée en partie par le
comportement irresponsable des gouvernants, finit par

136
rendre la promotion de l’émulation plus atomisée,
complexe et difficile.
C’est pourquoi, très affaibli par de multiples scandales
politico-financiers et sociaux, le gouvernement actuel de la
transition est continuellement dénoncé et critiqué pour sa
faible performance opérationnelle, sa politisation à
outrance, son ethnicisation béante et ses excuses
méthodiques qui n’arrivent souvent pas à éradiquer
plusieurs maux : arrogance, provocations, mépris des
autres, règlements de compte, népotisme, politisation des
postes de responsabilité, corruption, mauvaise
gouvernance, etc.
A cet égard, on sait finalement que la Présidence de la
République et la Primature sont devenus, au vu et au su de
tous, des grands espaces marchands dans lesquels tout se
monnaye, où de nombreuses prestations se négocient au
plus offrant. Une telle ambiance fait peu de place à
l’éthique et à la déontologie et encore moins à l’intérêt du
pays. La situation de la République centrafricaine ainsi
brossée à grands traits, donne une image désolante où l’on
est rapidement passé rapidement au néo népotisme, avec
aggravation de la politisation.
D’ailleurs, certains acteurs politiques encouragés par le
gouvernement en place n’ont plus honte de proclamer leur
haine contre certains compatriotes qu’ils ont juré de
marginaliser et de combattre jusqu’au bout, s’activant
ainsi à peindre l’image d’un pays qu’ils veulent rendre
bipolaire, c'est-à-dire là où le distinguo devra désormais
être fait entre d’un côté, les citoyens soumis, assidus,
renonçant à toute revendication identitaire, et de l’autre,
ceux qui s’affirment et qui de fait sont des « opposants »
de routine.
La lumière ne viendra assurément pas du Nord,
pourvoyeur de grandes leçons et surtout d’humanisme.
L’instrument humanitaire en cours d’utilisation en

137
République centrafricaine, qui correspond désormais à une
nouvelle mission civilisatrice, n’a d’effet que de
corrompre encore nos humanités et d’asservir nos
consciences. La seule vérité est mue par des intérêts
éloignés de l’aspiration du peuple centrafricain dont la
souffrance sert les projets inhumains les plus
machiavéliques. Aussi difficile que cela puisse paraître,
rien n’est figé et il y a toujours possibilité de changer, d’où
la nécessité d’une réflexion permanente, autonome et
soucieuse de la défense des intérêts du peuple
centrafricain. Notre élan vers le progrès exige une prise de
conscience des problèmes de notre pays, la Centrafrique,
et un engagement sans faille pour leurs résolutions afin de
garantir une autonomie au peuple centrafricain et la
maîtrise de son destin.

138
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1. AKE, CLAUDE, 1991 : L’Afrique vers la démocratie, Africa Fo-


rum, vol.1, N° 2

2. AMINE, S., 1973 : Le développement inégal : essai sur les forma-


tions sociales du capitalisme périphérique, Paris, Minuit

3. BADIAN, S., 1964 : Les dirigeants africains face à leur peuple.


Paris, Maspero

4. BANOCK, M., 1993, Le processus de démocratisation en Afrique.


Le cas Camerounais, Paris, l’Harmattan.

5. BAYART, J. F., 1998, L’Etat en Afrique : la politique du ventre,


Paris, Fayard.

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tières coloniales et espace étatiques en Afrique, Paris, LGDJ

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8. COURTEIX, R.-A., 2006 : L’humanitarisme, une hypocrisie de la


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9. DUMONT, R., 1962 : L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil.

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démocratique entre la citoyenneté et l’expertise, Politique africaine,
N° 51, pp. 37-47

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15. MAZRUI, A. A, 1993 : Nouvelles frontières africaines, Courrier


international (traduction depuis The Economist), 16 sept 1993, N° 150,
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16. MEDARD, J.F, 1990 : L’Etat patrimonialisé, Politique Africaine,


N° 39

17. NKRUMAH, K., 1963 : L’Afrique doit s’unir (Etudes et Docu-


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18. SALVADOR, J., 2001 : La société inhumaine : mal-vivre dans le


bien-être,

19. TEVEODJRE, A., 1958 : L’Afrique révoltée, Paris, Présence afri-


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20. THOMAS, L.-V. 1965 : Les idéologies négro-africaines


d’aujourd’hui. (Philosophie, sciences sociales). Dakar (Fac des Lettres
et Sc Humaines).

21. WADE Abdoulaye, 1989 : Un destin pour l’Afrique, Karthala


Paris.

140
ANNEXES

ANNEXE 1. Accord de Nairobi sur le cessez-le feu et la


cessation des hostilités entre les Ex-Séléka et les Anti-
Balaka de la République centrafricaine
Nous, les représentants des Ex-Séléka et des Anti-Balaka
ci-après désignés comme les Partis, ayant participé aux
négociations tenues à Nairobi, sous la facilitation du
Président de la République du Kenya, Son Excellence M.
Uhuru Kenyatta, à la demande du Médiateur International de
la crise en République centrafricaine, Son Excellence M.
Denis Sassou N’guesso, Président de la République du
Congo, et sous la médiation de l’Honorable Kenneth Otiato
Marende.
Suite à une analyse approfondie des causes historiques du
conflit en R.C.A. durant les périodes précoloniale, coloniale
et postcoloniale, et conclu que les origines et les causes
profondes des conflits politiques et armés sévissant en RCA,
émanent des injustices historiques non contestées liées à la
mauvaise gouvernance, à la répartition inéquitable du
développement et à la manipulation des dirigeants et des
populations de la République centrafricaine par des acteurs
étatiques et non-étatiques externes en quête de leurs propres
intérêts ;
Déterminés à mettre de côté nos différences et promou-
voir les facteurs qui nous sont communs et qui nous
unissent, afin de relever les défis auxquels nous faisons
face en tant que Nation, et prenant l’engagement de régler
immédiatement tous nos différends passés, présents et fu-
turs par des moyens pacifiques et légaux, et nous abstenir
de la menace et de l’usage de la violence.
Conscients du fait qu’à moins qu’il n’ait immédiatement
un cessez-le-feu et la cessation des hostilités entre les
combattants armés des Ex-Séléka et des Anti-Balaka, l’Etat
de la République centrafricaine court le risques imminent,
désintégration et de causer à ses population le préjudice
irréparable conséquent et de les exposer au danger de devenir
apatrides.
Nous rappelant du fait que sans notre engagement aux
principes cardinaux de bonne gouvernance, de tolérance et
coexistence pacifique, le peuple de la République centra-
fricaine ne peut réaliser une croissance globale, ni des
progrès politiques, sociaux, économiques et technolo-
giques pour les générations actuelles et futures ;
Rappelant les initiatives précédentes prises par la com-
munauté internationale, en vue d’instaurer un règlement
négocié du conflit en République centrafricaine, et notant
que l’accord précédent de cessation des hostilités en Ré-
publique centrafricaine, signé le 23 juillet 2014 à Brazzaville,
n’a pas été mis en œuvre de façon concluante ; et regrettant
les violations persistantes des accords précédents de cessez-
le feu et de cessations des hostilités, ainsi que la violence et
la destruction continuelles causées par ces violations et les
pertes inévitables de vies et de biens engendrés par ce
conflit ;
Prenant conscience du fait que la responsabilité de dé-
terminer le destin de notre pays nous incombe selon les
réalités de notre pays et sur la base des valeurs de justice,
de démocratie, de bonne gouvernance, du respect des
droits et libertés fondamentaux des personnes, d’unité, de
solidarité, d’entente mutuelle et de coopération parmi les
différentes communautés ethniques, races et groupes reli-
gieux libres de toute forces négatives ;

142
Nous nous engageons par les présentes à être liés par
les dispositions de l’Accord de Nairobi sur le cessez-le feu
et la Cessation des hostilités en R.C.A, ci-après désigné
l’Accord ;
En présence de : a) b) c) d)

Article 1 :
Dans les 72 heures qui suivent la signature du présent
accord, les parties sont tenues de publier conjointement
une ordonnance inconditionnelle de cessez-le feu et de
cessation des hostilités contre le personnel armé de l’une
et de l’autre partie et contre tous les civils, à travers tout le
territoire de la République centrafricaine.

Article 2 :
Dans les 48 heures qui suivent la publication conjointe
des ordres inconditionnels de cessez-le feu et de cessation
des hostilités, l’usage des armes, ainsi que les actes offen-
sifs, tels que la délivrance de nouvelles armes et
munitions, le recrutement de nouveaux combattants, le
regroupement des troupes, le recrutement et l’utilisation
des enfants soldats, l’appel aux renforcements de
l’intérieur ou de l’extérieur de la République centrafri-
caine, le lancement de nouvelles attaques contre les civils
et le fait de commettre tout acte pouvant constituer ou fa-
ciliter une violation du cessez-le feu prévu dans le présent
accord, doivent cesser de suite.

Article 3 :
Dans les 30 jours suivant l’entrée en vigueur du présent
Accord, les parties s’embarquent notamment sur une opé-
ration détaillée de mappage et d’échange d’informations
transparentes entre elles, sous la supervision des institu-

143
tions tierces, neutres et indépendantes, stipulées à l’article
8, et définiront :
 a) Les zones démilitarisées devant servir de zones
tampons entre les deux combattants armés respec-
tifs ;
 b) Les lignes de désengagement ;
 c) Les lignes à partir desquelles ou vers lesquelles
les forces doivent se retirer ;
 d) Les points de rassemblement dans chaque com-
mune, sous-préfecture et préfecture dans lesquelles
les forces doivent être cantonnés ;
 e) Les endroits où les observateurs doivent se
stationner dans chaque zone.

Article 4 :
Les parties sous la supervision des institutions tiers
neutres et indépendantes énumérées à l’article 8, définis-
sent des conditions pour les activités initiales pour le plan
DDRR global tel que stipulé dans le présent accord, com-
prenant, mais ne se limitant pas à ce qui suit :
 La sécurité du personnel et des experts techniques
impliqués dans la mise en œuvre et le suivi du
présent accord ;
 L’assemblage et le stockage des équipements de
guerre et autres armes offensives, et le mouvement,
le rassemblement et le cantonnement, sans danger,
des combattants désarmés.

Article 5 :
En outre, et dans les trente (30) jours suivant la date
d’entrée en vigueur de l’accord, et dès la déclaration d’un
cessez-le-feu inconditionnel, les hauts commandements
politiques respectifs des parties, prennent individuellement

144
et collectivement, des mesures conjointes spécifiques pour
sensibiliser leurs partisans respectifs, et les populations en
général de la R.C.A. pour qu’ils cessent des actes hostiles
les uns contre les autres sur la base d’ethnicité, de religion
et de genre, et de toutes autres motivation, y compris
l’intimidation, les prises d’otages, l’extorsion ou le vol,
l’usage de propagandes hostiles et l’incitation pour porter
atteinte à la vie et aux biens des autres.

Article 6 :
Aux fins des objectifs de protection et de promotion de la
paix parmi les civils, les deux parties doivent indivi-
duellement et collectivement prendre des mesures conjointes
dans les quatorze (14) jours qui suivent la signature du
présent accord, afin de créer des corridors sécurisés pour la
libre circulation des personnes civiles, le libre accès pour
l’aide humanitaire, la libération et l’échange des prisonniers
civils, etc., dont les détails seront définis par les parties en
collaboration avec les agences nationales et internationales
d’aide humanitaire, et sous l’égide des institutions
pertinentes de l’UA et de l’ONU.

Article 7 :
Dans la perspective de faciliter le soutien populaire et la
mise en œuvre participative, le suivi et l’évaluation du
présent accord, les parties s’engagent à accorder un soutien
inébranlable et coopératif, à tous les partenariats nécessaires
pour assurer le lancement immédiat du processus de
consolidation de la paix en République centrafricaine, et
parmi les populations de la R.C.A. en général.

145
Article 8 :
Afin de réaliser pleinement et efficacement la mise en
œuvre, le suivi et l’évaluation des termes du présent ac-
cord, les parties s’engagent en outre à collaborer et à
travailler avec les commissions et agences pertinentes de
la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Cen-
trale (CEEAC), du Groupe de Contact International pour
la République centrafricaine (GCIRC), de l’Union Afri-
caine (UA), de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et
toutes autres parties étatiques et non-étatiques de bonne
volonté, en vue de mettre en place dans les trente (30)
jours qui suivent la signature du présent accord, des cadres
institutionnels de facilitation pour sa mise en œuvre et son
suivi, à savoir :
 a) Un Comité Conjoint de Suivi (CCS) composé des
représentants des deux parties signataires du présent
accord, ceux de la CEEAC, du Gouvernement natio-
nal de transition de la République centrafricaine, de
l’U.A. et des Nations Unies ; et dont la responsabi-
lité principale est de vérifier, d’évaluer, de
superviser et d’assurer le suivi de la mise en œuvre
du présent accord de cessez-le-feu et de cessation
des hostilités. Le CCV doit vérifier les informations
fournies par chacune des parties signataires du pré-
sent accord, quant à leurs effectifs, leurs
équipements militaires, ainsi qu’aux emplacements
et positions géographiques de leurs combattants res-
pectifs, etc.
 b) Une Commission Nationale de Désarmement, de
Démobilisation, de Réhabilitation et de Réinsertion
(CNDDRR) disciplinaire et indépendante, appelée
coordonner les activités du DDRR. La CNDDRR
sera composée des représentants du Gouvernement
national de transition de la République centrafri-
caine, des parties au présent accord, de la

146
MINUSCA et du CCS. La fonction principale de
cette commission est de superviser et de coordonner
le désarmement, la réhabilitation et la réinsertion des
combattants, en collaboration avec le CCS, la
MINUSCA et de toutes autres agences nationales et
internationales pertinentes, tout en s’assurant en
outre que le Programme du DDRR élaboré soit inté-
gré et harmonisé avec le processus DDR
actuellement en cours.

Article 9 :
Bien que les parties reconnaissent et apprécient la pré-
sence de la MINUSCA en République centrafricaine, ces
mêmes parties en appellent au Conseil de Sécurité des
Nations Unies pour qu’il place toutes les autres forces
étrangères sous l’unique structure de commandement et de
contrôle de la MINUSCA ; Par ailleurs, les parties lancent
un appel aux Nations Unies pour qu’elles reconstituent la
MINUSCA avec des troupes dont les pays contributeurs
doivent être approuvés par une Assemblée législative
constituante intérimaire qui sera mise en place, confor-
mément aux dispositions de la Charte de Transition de la
République centrafricaine.

Article 10 :
La violation du cessez-le-feu et de la cessation des hos-
tilités, aux termes du présent accord, comprend, entre
autres :
 a) Toutes attaques par l’une des parties contre les
combattants et positions de l’autre ;
 b) Actes de sabotage et saisie de tout matériel mili-
taire ou non militaire, d’une partie par l’autre ;
 c) Harcèlement, attaque, prises d’otages et arresta-
tion des combattants d’une partie par l’autre ;

147
 d) Harcèlement, attaque, tuerie, viol, incendie des
villages, prises d’otages et arrestation illégale ou
toute autre forme de violence contre les civils et le
personnel des agences humanitaires, par une partie ;
 e) Extraction minière illégale, braconnage et toute
autre activité non autorisée, non réglementaire et
non justifiée entrainant la destruction des autres res-
sources naturelles.
 f) Actes de sabotage ciblant les biens de l’Etat et des
civils, ainsi que la saisie des propriétés des civils et
du personnel des agences humanitaires, par une par-
tie.
 g) Tentatives réussies ou non de recruter de nou-
veaux combattants, d’occuper de nouveaux
territoires et positions, et le déplacement des forces
militaires et biens stratégiques d’un point à l’autre,
sans l’accord préalable avec Comité Conjoint de
Suivi (CCS) ;
 h) Importation de tous approvisionnements militaires
ou stratégiques, y compris des munitions, armes de
guerre et actifs stratégiques ;
 i) Toute obstruction ou interdiction des activités
légitimes du Comité Conjoint de Suivi, de la
MINUSCA et des agences humanitaires accréditées ;
 j) Toutes propagandes et provocations hostiles par
une partie contre l’autre, ou contre les populations
en général, sur la base de leur appartenance eth-
nique, religieuse, genre ou toutes autres motivations,
soit à l’intérieur, soit à l’extérieur de la République
centrafricaine.

Article 11 :
Le désengagement des forces et des combattants des
parties au présent accord, conformément aux principes du

148
présent accord de cessez-le-feu, commence dans les 72
heures qui suivent la date d’entrée en vigueur du présent
accord, étant entendu que l’expression « désengagement
des forces et des combattants », signifie la rupture immé-
diate de contact tactique entre les groupes militaires
belligérants des parties aux endroits où ils sont en contact
direct.

Article 12 :
Lorsque le désengagement immédiat n’est pas possible,
un cadre et un calendrier de désengagement doivent être
convenus par toutes les parties au cessez-le-feu, par
l’entremise du Comité Conjoint de Suivi (CCS) dans les
30 jours qui suivent l’entrée en vigueur du présent accord.

Article 13 :
Au cas où le désengagement par mouvement est impos-
sible ou n’est pas pratique, des solutions alternatives
requérant la sécurisation des armes seront conçues par la
MINUSCA, conjointement avec les parties, le Comité
Conjoint de Suivi et la Commission Nationale de Désar-
mement, Démobilisation, Réhabilitation et Réinsertion
(CNDDRR).

Article 14 :
Les parties s’engagent à assurer la mise en œuvre im-
médiate et efficiente d’un processus national de
cantonnement, de désarmement, de démobilisation, de ré-
habilitation, de réintégration et de réinstallation de leurs
forces et combattants respectifs, et conjointement de toutes
leurs forces et combattants.

149
Article 15 :
Aux fins d’assurer la clarté de l’obligation de rendre
compte des procédures de mise en œuvre envisagées pour
le processus DDRR, les responsabilités des divers acteurs
sont définies comme suit :
 a) La MINUSCA, conjointement avec le Comité
Conjoint de Suivi (CCS) est responsable du désar-
mement de tous les combattants et forces des parties,
y compris les groupes civils armés qui leur sont al-
liés au sein et hors de leurs zones géographiques
respectives de contrôle, le cas échéant, et subsé-
quemment les armes, munitions et équipements
stratégiques seront tous placés sous la garde sécuri-
sée de la MINUSCA ;
 b) Le Comité Conjoint de Suivi (CCS) vérifie les
données et informations fournies par les parties,
relatives à leurs forces ou combattants.
 c) Il sera demandé à la MINUSCA de consigner
toutes les forces et tous les combattants aux en-
droits/positions déclarés et enregistré, où ils doivent
rester jusqu’à ce qu’ils participent aux programmes
de réintégration et de recyclage en vue de leur entrée
dans les nouvelles Forces Armées Centrafricaines,
ou leur réinsertion dans la vie civile et, à cette fin, la
MINUSCA peut se déployer dans toutes les zones de
désarmement et de démobilisation, dans la perspec-
tive de faciliter la mise en œuvre et le suivi du
programme DDRR.
 d) Tous les mouvements des forces et combattants
des parties durant la période du programme DDRR
jusqu’à sa conclusion et finalisation définitives, con-
formément aux principes du présent accord, doivent
être autorisés exclusivement par la MINUSCA tra-
vaillant conjointement avec le CCS.

150
Article 16 :
Il est prévu la réhabilitation et la restructuration des
nouvelles forces de sécurité nationale de la République
centrafricaine, dotées d’une nouvelle structure de com-
mandement et de contrôle, et composées d’effectifs
équitables des ex combattants éligibles des parties au pré-
sent accord, des membres de l’actuelle armée
centrafricaine, ainsi que de nouvelles recrues qualifiées à
partir des populations civiles de la République centrafri-
caine ayant l’aptitude et les qualifications requises.

Article 17 :
Aux fins de la réhabilitation et de la reconstitution des
nouvelles forces de sécurité de la République centrafri-
caine, les parties lancent un appel et sollicitent auprès de
l’Union Africaine (UA), des Nations Unies et du Groupe
de Contact International pour la République centrafricaine,
la mise à disposition d’experts consultatifs, équipements,
logistiques, et formateurs expérimentés nécessaires pour la
réforme globale du secteur de la sécurité de la RCA, ainsi
que leur assistance pour mobiliser les ressources requises
pour assurer la mise en œuvre du programme de recons-
truction.

Article 18 :
Immédiatement après la signature du présent accord par
les parties, des négociations en vue de la révision de la
Charte de Transition doivent être lancées.
Les négociations doivent réunir des tendances très va-
riées représentant les parties, tous les autres partis
politiques de la République centrafricaine, ainsi que les
leaders religieux et les principales parties prenantes de la
République centrafricaine. Les négociations porteront sur
la reconstruction du Gouvernement National de la Transi-

151
tion de la République centrafricaine, conformément à
l’article 99 et à toutes les autres dispositions pertinentes de
la Charte de Transition de la RCA.

Article 19 :
Immédiatement après la date d’entrée en vigueur de
l’accord, et au plus tard à la date de lancement du proces-
sus de désengagement et de désarmement des forces et
combattants des parties, il doit être demandé au Conseil de
Sécurité des Nations-Unies d’autoriser la MINUSCA à
prendre le contrôle des opérations militaires de la RCA, et
que tous les éléments restants de l’actuelle armée centra-
fricaine soient consignés à leurs casernes, et leurs armes
placées sous la garde sécurisée des dépôts d’armes du
gouvernement, jusqu’à la mise en service officielle des
Forces Armées Centrafricaines (FACA) nouvellement ré-
habilitées et reconstituées.

Article 20 :
Le Gouvernement national de transition de la Répu-
blique centrafricaine, conformément aux critères des
Nations-Unies pour l’octroi d’amnistie, aura l’obligation
d’envisager l’octroi d’une amnistie générale à toutes les
personnes et parties engagées ou impliquées dans les com-
bats durant le conflit en RCA.

Article 21 :
Les parties au présent accord, s’engagent à respecter et
à mettre en exécution les dispositions du présent accord,
afin d’assurer avec succès l’instauration et la consolidation
d’une paix durable en République centrafricaine. Les par-
ties doivent s’efforcer d’assurer que les termes du présent
accord et les ordonnances écrites exigeant la conformité au

152
dit accord, soient immédiatement communiqués à toutes
leurs forces, combattantes et partisanes. Les termes de
l’accord doivent être simultanément communiqués à la
population civile par radio, télévision, presse écrite et
électronique ainsi que par d’autres moyens de communi-
cation.
En foi de quoi, les représentants dûment mandatés des
parties ont signé l’accord à NAIROBI, AU KENYA,
le………janvier 2015 en 10 originaux en Anglais et en
Français.
Signé par les Parties :

153
ANNEXE 2. Accord de Brazzaville sur la cessation des
hostilités en République centrafricaine
Préambule
Considérant les dispositions pertinentes de la Charte des
Nations-Unies, les Résolutions du Conseil de Sécurité des
Nations-Unies, notamment les résolutions 2121 (2013) ;
2127(2014) ; 2134(2014) et 2149(2014), l’Acte constitutif de
l’Union Africaine et les décisions pertinentes du Conseil de
Paix et de Sécurité de l’Afrique centrale (COPAX) ;
Considérant la Convention de l’Union Africaine sur la
protection et l’assistance des personnes déplacées en
Afrique, signée à Kampala, le 23 octobre 2009 ;
Considérant les résolutions régionales relatives au rè-
glement du conflit en République centrafricaine, notamment,
l’Accord de Paix Global de Libreville de 2008 et de 20013,
ainsi que les déclarations de Ndjamena 2013 et 2014 ;
Considérant les initiatives nationales relatives au rè-
glement des conflits, notamment, les Recommandations du
Dialogue Politique Inclusif du 20 décembre 2008, la
Charte constitutionnelle de Transition de 2013 et la Feuille
de Route de la Transition qui en découlait ;
Conscient de la nécessité du dialogue pour
l’instauration d’une paix durable et de la sécurité sur
l’ensemble du territoire national, condition essentielle à la
reconstruction du pays et à l’édification de la démocratie ;
Considérant la volonté constante de Son Excellence
Madame Catherine SAMBA-PANZA, Chef de l’Etat de
Transition, réitérée dans ses différentes déclarations
(Bruxelles, Paris, Oslo, Malabo) et la dernière adresse à la
nation, le 04 juillet 2014, de promouvoir le dialogue poli-
tique et la réconciliation nationale de tous les fils et de
toutes les filles de Centrafrique ;
Considérant la dynamique nationale, notamment celle
des institutions de la Transition, des Forces vives de la

154
Nation, y compris la plateforme des autorités religieuses,
la société civile et les partis politiques, à construire une
société de paix et de concorde nationale, en apportant leur
soutien au cadre de l’actuelle Transition ;
Réaffirmant leur volonté de contribuer au retour défini-
tif de la paix, de prendre part au Forum de Brazzaville et
de signer un accord de cessation des hostilités ;
Réaffirmant leur détermination inébranlable à mettre un
terme aux causes profondes de l’état continu de violence,
d’insécurité, d’instabilité politique.
Son Excellence, Dénis SASSOU NGUESSO, Président
de la République du Congo, Médiateur de la crise centra-
fricaine, appuyé par Monsieur BOUBEYE MAÏGA,
Représentant de la Présidente de la Commission de
l’Union Africaine et Monsieur Abdoulaye BATHILY, Re-
présentant Spécial du Secrétaire Général des Nations-
Unies pour l’Afrique centrale, mise en place lors de la
Concertation des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la
Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale
(CEEAC), en marge du 23ème Sommet Ordinaire de
l’Union Africaine, tenu à Malabo, en Guinée Equatoriale,
le 27 juin 2014, sur la situation en République centrafri-
caine ;
Les ex-combattants et éléments armés centrafricains
conviennent de ce qui suit :

Article 1èr :
 Le présent Accord de Cessation des Hostilités est
établi entre les belligérants pour prendre effet sur
l’ensemble du territoire de la République centrafri-
caine ;
 Les belligérants acceptent d’observer la cessation
des hostilités dès la signature de l’accord ;

155
Article 2 :
La cessation des hostilités implique :
 L’arrêt immédiat des hostilités et l’abstention de tout
acte militaire en toute autre forme de violence ;
 La cessation de tous les actes de violences contre les
populations civiles et militaires, le respect et la pro-
tection des droits humains. Ces actes de violences
incluent les exécutions sommaires, la torture, le har-
cèlement, les incendies volontaires de villages, des
biens publics et privés, les destructions des édifices
religieux, le pillage, la détention et l’exécution arbi-
traires des civils et militaires, ainsi que le
recrutement et l’utilisation d’enfants soldats, la vio-
lence sexuelle et l’armement des civils ;
 La dénonciation de tous les actes de violences et des
violations des droits de l’homme et droit humanitaire
international ;
 L’arrêt et l’abstention de toutes actions et incita-
tions, de nature à nuire aux efforts visant à faire
valoir l’esprit de fraternité et de concorde nationale ;
 L’engagement des parties à communiquer publique-
ment et dans un délai de 24 heures, à compter de la
date de signature du présent accord, la cessation des
hostilités par leurs chaines de commandement res-
pectives ainsi qu’à la population civile.

Article 3 :
Dès l’entrée en vigueur du présent accord :
 a) Les parties s’obligent à cesser toute entrave à
l’exercice de l’autorité de l’Etat dans les zones où
elles se trouvent notamment : les barrières illégales
et les administrations parallèles.
 b) Les parties s’engagent entièrement à s’impliquer
dans le processus global de réconciliation nationale

156
qui se poursuivra en RCA, à s’abstenir immédiate-
ment d’entraver la libre circulation des personnes et
des biens sur l’ensemble du territoire, ainsi que le
travail des Forces nationales et internationales dans
l’exécution de leurs mandats donnés par les diffé-
rentes résolutions des Nations-Unies.
 c) Les parties s’engagent systématiquement à extir-
per de leurs rangs et à rapatrier tous les mercenaires,
afin qu’ils regagnent leurs pays respectifs, avec
l’appui de la communauté internationale.
 d) Les parties s’engagent à renoncer à tout projet de
partition de la R.C.A.

Article 4 :
Tous les ex-combattants et éléments armés signataires du
présent accord doivent être regroupés dans un délai
raisonnable, sous réserve de mobilisation des ressources
nécessaires sur les sites à convenir d’un commun accord,
avec le Gouvernement de Transition et la Communauté
Internationale.

Article 5 :
Les parties s’engagent également à :
 a) Respecter et faire respecter les droits humains ;
 b) Interdire et condamner toute violence contre les
populations civiles et militaires, y compris les
violences sexuelles ;
 c) Mettre en place au sein de leurs mouvements res-
pectifs, un mécanisme de suivi des engagements, en
portant connaissance de ces violations aux autorités
compétentes, afin de lutter contre l’impunité ;
 d) Mettre fin et prévenir toutes violations commises
à l’égard des enfants, notamment, les actes de

157
meurtre, de mutilations, d’exploitation des enfants,
ainsi que les viols et autres violences ;
 e) Ne pas recruter des enfants comme combattants,
en conformité avec la Charte Africaine des Droits et
du Bien-être des enfants, la Convention sur les droits
de l’enfant et le Protocole Facultatif à la Convention
relative aux droits.

Article 6 :
Les parties s’engagent enfin à :
 a) Respecter la libre circulation, en général, des con-
vois humanitaires en particulier, les enclaves
humanitaires, et à créer des conditions favorables
pour l’assistance aux réfugiés et aux déplacés.
 b) Promouvoir un environnement socio-sécuritaire
favorable, en vue de permettre le retour des réfugiés
et des placés dans leurs communautés.

Article 7 :
Un programme prioritaire doit être mis en place en ur-
gence dans le but de :
 a) Créer les conditions de retour, de réinstallation et
de réinsertion des personnes déplacées en raison du
conflit ;
 b) Lutter contre la criminalité, particulièrement celle
prévue à l’article 2 ;
 c) Réhabiliter les zones affectées par le conflit.

Article 8 :
Les parties signataires mettent en place une commis-
sion de suivi de l’application du présent accord composé
comme suit : 01 représentant par groupe politico-mili-
taire ; G8-RCA ; 06 représentants des institutions de la
Transition (Présidence, CNT, Gouvernement).

158
Cette commission devra établir des sous-commissions
régionales et locales, chaque fois que le besoin se fera
sentir. En cas de nécessité, la commission de suivi de
l’application du présent accord peut faire appel à toute
personne qualifiée.

Article 9 :
En cas de différend ou de difficulté sur l’application du
présent accord, l’une ou l’autre partie peut avoir recours à
la commission de suivi. En cas de non satisfaction, elle
pourra faire recours à la Médiation Internationale.

Article 10 :
Le présent accord entre en vigueur dès sa signature.
Fait à Brazzaville, le 23 juillet 2014

Ont signé :
1. LES EX-COMBATTANTS ET ÉLÉMENTS
ARMÉS :
Pour le Front Populaire pour la Renaissance de la Cen-
trafrique (FPRC),
 Général Mohamed Moussa DHAFANE (Ex coali-
tion Séléka)
Pour les Anti-Balaka,
 Monsieur Patrick Edouard NGAISSONA
Pour le Front Démocratique du Peuple Centrafricain
 Monsieur André-le-Gaillard RINGUI
Pour « Révolution et Justice » (R.J.)
 Monsieur Armel SAYO
Pour le Mouvement de Libération Centrafricaine pour
la Justice (MLCJ),
 Monsieur Abakar SABONE

159
Pour l’Union des Forces Républicaines (U.F.R.)
 Monsieur Florian N’DJADDER BEDAY
Pour l’Union des Forces Républicaines Fondamentales
(UFRF),
 Monsieur Dieu-Bénit GBEYAKIKOBET

2. EN PRÉSENCE DE :
Conseil National de Transition :
 Honorable Alexandre Ferdinand N’GUENDET
Alternative Citoyenne pour la Démocratie et la Paix
(ACDP)
 Monsieur Enoch DERANT LAKOUE
Ancienne Majorité Présidentielle
 Monsieur Laurent NGON-BABA
Groupement des Partis Politiques/Républicains, Tra-
vaillistes, Légalistes (GPP/RTL)
 Monsieur Bertin BEA
Union des Partis Politiques pour la Reconstruction Na-
tionale (UPPRN)
 Pierre Abraham MBOKANI
Rassemblement des autres Partis Politiques
 Monsieur Auguste BOUKANGA
Partis Politiques sans Plateforme
 Monsieur Henri GOUANDIA

3. PERSONNALITÉS INDÉPENDANTES :
 Madame Alphonsine BOGANDA-YANGONGO
 Monsieur Jean Félix Wulfrand RIVA
 Monsieur Abdel-Aziz AROUFAÏ

4. ORGANISATION DES FEMMES CENTRAFRI-


CAINES (OFCA) :
 Madame Marie-Annick SERVICE

160
5. COMITÉ CONSULTATIF DES FEMMES
LEADERS :
 Dr. SOKAMBI DIBERT BEKOY

6. HAUT CONSEIL DE LA COMMUNICATION :


 Monsieur José Richard POUAMBI

7. SYNDICAT DES TRAVAILLEURS :


 Monsieur Michel LOUDEGUE

8. CONFÉDÉRATION NATIONALE DES AGRI-


CULTEURS ET ÉLEVEURS :
 Madame Brigitte ANDARA

9. CONFESSIONS RELIGIEUSES :
 Monseigneur Dieudonné NZAPALAINGA

10. GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL


CENTRAFRICAIN :
 Monsieur Giles POTOLO NGBANGANDIMBO

11. LA DIASPORA :
 Monsieur Maurice OUAMBO

12. DÉPLACÉS INTERNES :


 Monsieur Jean Claude MALABI

13. COMMUNAUTÉS À RISQUES :


 Monsieur Atahirou BALLA DODO
 Madame Adja Asta MOUSSA

161
14. LA MÉDIATION INTERNATIONALE :
Pour les Nations-Unies :
Le Représentant Spécial du Secrétaire Général de
l’ONU en Afrique centrale,
 Monsieur Abdoulaye BATHILY
Le Vice-Médiateur,
 Monsieur Soumailou BOUBEY MAIGA
Pour la CEEAC
Le Rapporteur, le Secrétaire Général de la CEEAC
 Ambassadeur Ahmad ALLAM-MI
Le Médiateur international
Le Président de la République du Congo,
 Son Excellence Monsieur Dénis SASSOU
N’GUESSOU

162
TABLE DES MATIÈRES

DU MÊME AUTEUR ................................................................ 7


REMERCIEMENTS ................................................................ 11
PRÉFACE ................................................................................ 13
INTRODUCTION ................................................................... 17

CHAPITRE I
La difficile voie de la souveraineté
et de l’indépendance de la Centrafrique .............................. 23

I. EUPHORIE ET ESPOIR APRÈS L’INDÉPENDANCE


DU PAYS................................................................................. 23
II. CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE
DU PAYS................................................................................. 24
1. Le développement humain et la situation sociale de la RCA ....32
2. La situation du pays au plan politique et économique ..............33
3. L’absence de vrais leaderships politiques en RCA ...................44
III. OÙ SONT PARTIS LES INTELLECTUELS
CENTRAFRICAINS ? ............................................................. 46
IV. L’IDENTITÉ DU PAYS ET LE RESPECT
DE SES CITOYENS ................................................................ 50
V. ÊTRE PAUVRE EN RÉPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE ............................................................... 51
1. Les hypothèses de la pauvreté en République centrafricaine ....52
2. Les visages de la pauvreté en République centrafricaine ..........54
3. La définition de la pauvreté selon le rapport mondial
sur D.H. 1997 ................................................................................57
4. Les quelques exemples d’activités de lutte
contre la pauvreté en R.C.A. .........................................................58

CHAPITRE II
Le pays à la recherche de la cohésion sociale ...................... 65

I. ÉTAT DES LIEUX DU PROCESSUS DE


DÉMOCRATISATION ........................................................... 66
1. Le patrimoine centrafricain .......................................................68
2. Les contours cachés de la transition
en République Centrafricaine .......................................................70
3. L’élection mitigée de Madame Samba-Panza à la tête
de la transition...............................................................................74
4. Le déficit de consensus autour du forum de Brazzaville,
au Congo .......................................................................................76
II. BONNE GOUVERNANCE ET CITOYENNETE
EN RCA ................................................................................... 80
1. La bonne gouvernance ..............................................................80
2. La citoyenneté ...........................................................................81
3. Les droits et les devoirs du citoyen centrafricain ......................82
III. COMMENT CONCILIER DEMOCRATIE
ET TRIBALISME ? ................................................................. 84

CHAPITRE III
Vers une nouvelle vision du développement de la RCA ..... 93

I. QU’EST-CE QU’UNE VISION DE DÉVELOPPEMENT


DE LA RCA ? .......................................................................... 94
II. PROCESSUS D’ARTICULATION D’UNE VISION
DE DÉVELOPPEMENT EN RÉPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE ............................................................... 96
III. NOUVELLE VISION DE LA RCA : QUESTIONS
CRITIQUES ET PROGRAMMES D’ACTION ...................... 97
1. Le leadership .............................................................................97
2. Les institutions politiques .........................................................98

164
3. La construction d’une nouvelle société civile .........................100
4. La construction d’un Etat-Nation cohésif
en République centrafricaine ......................................................104
5. Le développement du capital humain .....................................105
6. Comment gérer la fuite des cerveaux
en République centrafricaine ?....................................................108
7. La sécurité alimentaire ............................................................113
IV. DÉFI DU TROISIÈME MILLÉNAIRE
EN CENTRAFRIQUE ........................................................... 117
1. La restauration de la dignité et de la liberté
du peuple centrafricain................................................................117
2. Les leçons à tirer d’une catharsis nationale.............................121
3. Le rêve biaisé d’une Centrafrique véritablement unifiée ........130

CONCLUSION GÉNÉRALE ................................................ 135


RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ............................... 139
ANNEXES ............................................................................. 141
ANNEXE 1. Accord de Nairobi sur le cessez-le feu
et la cessation des hostilités entre les Ex-Séléka
et les Anti-Balaka de la République centrafricaine .....................141
ANNEXE 2. Accord de Brazzaville sur la cessation
des hostilités en République centrafricaine .................................154

165
La Centrafrique
aux éditions L’Harmattan

Dernières parutions

dialogue (Le) islamo-chrétien en Centrafrique


Ndéma Justin
Pour éviter toutes sortes de manipulations du religieux par le politique, et surtout
pour prévenir les risques d’un conflit interreligieux en République centrafricaine,
cet ouvrage propose une médiation de l’humanité du Christ comme chemin du
dialogue islamo-chrétien. Qu’est-ce que nous disons du Christ qui nous permette
d’entrer en dialogue avec les autres croyants ?
(Coll. Croire et savoir en Afrique, 17.00 euros, 166 p.)
ISBN : 978-2-343-04304-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-36095-9

Église (L’) et la démocratie en Centrafrique


Appora-Ngalanibé Richard
Cet ouvrage se propose d’étudier les Lettres pastorales publiées lors de la
Conférence Épiscopale Centrafricaine pour dire la position de l’Église et
accompagner le processus démocratique en Centrafrique, régulièrement mis
à mal par d’interminables rebellions et coups d’État ces dernières décennies.
Ces lettres constituent un témoignage éloquent de la participation de l’Église
centrafricaine à l’éveil d’une conscience lucide et responsable de la population.
(Coll. Croire et savoir en Afrique, 12.00 euros, 104 p.)
ISBN : 978-2-343-04305-0, ISBN EBOOK : 978-2-336-36104-8

Où en est l’urbanisation en Centrafrique ?


Mossoa Lambert
C’est ce phénomène prodigieux d’un monde nouveau en gestation dans les villes
centrafricaines que l’auteur a essayé d’observer et de comprendre, et c’est dans
une perspective géographique qu’il a tenté d’en aborder l’étude. L’objectif est de
fournir une première réponse toute provisoire et imparfaite qu’elle soit, à cette
seule question : où en est l’urbanisation en Centrafrique ?
(12.50 euros, 118 p.)
ISBN : 978-2-343-03864-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-35737-9

Centrafrique
La dérive singulière
De Sassara Honki
L’histoire de la Centrafrique est une suite de drames humains qui se déroulent
loin des regards et dont on parle à peine. En 1905, le pays est intégré à l’AEF
comme colonie française et va connaître le système colonial le plus féroce. En
1959, à la veille de l’Indépendance, l’équipe politique est décimée par un attentat
et les médiocres ne cesseront ensuite de se coopter entre eux à la tête du pays,
jusqu’à aujourd’hui.
(18.50 euros, 190 p.)
ISBN : 978-2-343-03193-4, ISBN EBOOK : 978-2-336-35381-4

Repenser la sécurité en République centrafricaine


Doui-Wawaye Augustin Jérémie
En République centrafricaine, la lutte obsessionnelle pour le pouvoir et la guerre
civile ont provoqué massacres, tensions intercommunautaires et haines viscérales.
Mais comment sortir de cette fatalité ? Le défi à relever serait d’amorcer une
réconciliation entre les couches sociales fracturées, rétablir la confiance entre les
Centrafricains et leurs leaders et restaurer l’autorité des institutions étatiques. Il
faudrait aussi redéfinir le mot : sécurité.
(Coll. Études africaines, 12.00 euros, 104 p.)
ISBN : 978-2-343-04140-7, ISBN EBOOK : 978-2-336-35696-9

Répertoire de l’administration territoriale


de la République centrafricaine
Serre Jacques, Fandos-Rius Juan
Le présent travail trace l’évolution du commandement des différentes unités
administratives, aujourd’hui préfectures et sous-préfectures, de la République
Centrafricaine depuis leur création jusqu’à nos jours. Le répertoire est accompagné
des notes historiques dans l’optique des découpages des unités administratives.
Au présent la République Centrafricaine veut s’engager dans une politique de la
décentralisation et de la régionalisation en faveur de la démocratie locale et d’une
administration plus proche des administrés.
(19.50 euros, 294 p.)
ISBN : 978-2-343-01298-8, ISBN EBOOK : 978-2-336-35580-1

De l’Oubangui-Chari à la République centrafricaine


indépendante
Simiti Bernard
La République centrafricaine, ex Oubangui-Chari, a célébré le 13 août 2010 le
cinquantenaire de son accession à la souveraineté internationale. Cette marche
vers l’indépendance s’inscrit dans le contexte global de revendications de
l’autonomie politique par les anciennes colonies françaises d’Afrique. Cet ouvrage
est une justice faite à Barthélemy Boganda, leader de la lutte pour l’indépendance
et fondateur de la République centrafricaine.
(Coll. Études africaines, 10.50 euros, 66 p.)
ISBN : 978-2-336-29347-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-53187-1

troupe (La) de Bemba était tombée sur nos têtes


Bepou-Bangue Johanes Arnaud
Pays peu peuplé, la République de Centrafrique a été secouée par une énième
tentative de putsch en octobre 2002. Pour renforcer l’armée loyaliste affaiblie,
les autorités en place ont fait appel à une rébellion étrangère en renfort : Le
Mouvement de la Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba Gombo.
Les hommes de la troupe ont commis viols, pillages et autres exactions. L’auteur
se remémore des souvenirs pénibles et révèle sa version des faits.
(10.00 euros, 68 p.)
ISBN : 978-2-296-99552-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-51702-8
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Où va la Centrafrique ?
La République centrafricaine est aujourd’hui en « déliquescence ».
Tel est le constat unanime dressé par la plupart des monographies
dédiées à l’énumération des causes et conséquences du « sous-
développement ». Pour les centrafricains, tout semble perdu et il est
même vain de vouloir faire montre d’optimisme et d’espoir. La misère
matérielle est effectivement le lot quotidien d’une bonne partie de la
population centrafricaine.
Cependant, les conditions matérielles difficiles ne doivent pas exempter les
Centrafricains de réfléchir sur leur devenir. Certes, ils ne changeront pas
le monde, mais ils devront y trouver leur place. La nouvelle configuration
géopolitique du monde impose des ruptures qu’une nouvelle génération
d’élites africaines, surtout centrafricaines, devra assumer pour façonner un
autre destin pour ces populations.
C’est parce qu’elle a besoin d’être considérée, plutôt qu’assistée, que la
Centrafrique, forte économiquement et certainement politiquement, pourra
rompre avec l’humanitarisme ambiant qui sape l’avènement d’un autre
possible pays.
Non, la Centrafrique n’est pas en « déliquescence », elle n’est pas pauvre
et sous-développée. Ce pays n’est pas « mal parti », et n’a jamais refusé le
développement. Seule une prise de conscience historique peut permettre
aux Centrafricains de se prévaloir d’atouts garants d’un autre modèle de
développement.

Lambert MOSSOA, né en Centrafrique, est diplômé


des universités françaises d’Aix-Marseille-II, III et de
Bordeaux-III. Titulaire d’un doctorat puis d’un diplôme
d’habilitation à diriger des recherches (H.D.R.) en
géographie et aménagement, il est professeur titulaire
et dirige depuis quelques années l’École doctorale de
l’université de Bangui.

Photographie de couverture (CC) tirée des Plumes de RCA


Où va la Centrafrique, quel avenir pour le pays ? 30 juillet 2014.

ISBN : 978-2-343-078083
18.50 €

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