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Here and there | Tome I

des mots et
merveilles
Jacqueline Camisa
Cet ouvrage relate des conversations entre
Shri P.Rajagopalachari et des abhyasis en groupes
restreints à Madras et au domaine des Courmettes
durant les mois de février à août 1988
→ sommaire
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Table des matières

Avant propos....................................................................................5
Préambule........................................................................................... 6
Madras
(février 1988).......................................................................................15
Visite au lion dans la jungle.................................................15
Catch the catcher....................................................................18
Notre devoir sacré...................................................................29
La porte du cœur.......................................................................31
Vivre sans peur ni culpabilité................................................35
La Réalite par l’expérience.....................................................45
Que savons-nous de la mort ?................................................50
Domaine des Courmettes
(mai à août 1988).................................................................................53
Le début est la fin.....................................................................53
Premiers pas.................................................................................. 56
Un ashram, pourquoi faire ?..................................................57
Prière et prières ........................................................................61
Un “plus” dans le temps............................................................67
Voir avant de voir.....................................................................76
Innocence et connaissance...................................................81
Ashram ou comment les bonnes choses
nous enseignent avant leur venue.....................................87
Le sens de l’accomplissement et la joie..............................99
La Nature coopère...................................................................100
Donnez une fois pour toutes votre cœur......................103
Le temps d’un instant.............................................................105
Soyons ce que nous sommes.................................................109
Se méfier des apparences.......................................................111
Se souvenir pour oublier......................................................113

Suite du sommaire →
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Les semences et les sutras....................................................123


Deux pas de plus......................................................................... 127
Communiquer par l’essence..................................................129
Vers l’Ultime.............................................................................133
Aimez-Le, Lui qui aime tout...................................................141
Tout ce qui brille n’est pas or.............................................147
Confiance et obéissance.......................................................152
Encore dix minutes !...............................................................155
Leçons de choses.....................................................................160
Interview de FR3.......................................................................163
Invertendo................................................................................165
Le chemin, la lumière et la vérité.....................................169
Semons un maître et récoltons l’Ultime.........................177
De l’amitié..................................................................................186
Coopération..............................................................................193
Rencontre avec les enfants ...............................................197
La juste place...........................................................................199
Devenez ce que vous êtes......................................................217
Amour et discipline................................................................221
Attachement, liberté et amour..........................................224
Vers le silence..........................................................................226
Ashram, pas encore ................................................................227
Soixante et une bougies........................................................228
L’amour élève............................................................................229
Attention !................................................................................232
Faire du Divin son ordinaire................................................233
appendice........................................................................................ 243
Le Sahaj Marg............................................................................. 243
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Avant propos

Ce livre est né de la suggestion du Maître, en octobre 1991


à Montpellier. Nous étions quelques abhyasis réunis autour de
lui et je m’apprêtais à prendre note de ses paroles, lorsqu’il me
lança  : «  Vous devriez écrire un livre, les archives ne servent
à rien.  » «  Comment dois-je m’y prendre  ?  », demandais-je.
« Comme vous voulez. » fut la réponse.
La graine était semée, l’opportunité d’entreprendre un
travail m’était offerte. Plusieurs mois me furent nécessaires
avant d’épuiser les spéculations sur l’inévitable imperfection
d’une telle rédaction. Un soir de janvier 1993, alors que nous
dînions avec le Maître chez lui, à Madras, quelqu’un lui fit
remarquer après quelques minutes d’un profond silence  :
« Vous travaillez tout de suite, sans perdre de temps ! » et le
Maître répliqua en souriant  : «  Il faut achever le travail en
cours, le travail à faire. C’est pourquoi je dis toujours : “Prenez
un travail, n’attendez pas le travail idéal  ; mais cela n’est
pas compris.” » Je mis à profit cette observation et me mis à
l’ouvrage dès mon retour en France.
Ce livre est ma transcription d’entretiens, de conversations,
de causeries, entendus et enregistrés au cours de l’année 1988, à
Madras en Inde et pour la plupart en France durant le séminaire
des Courmettes où le Maître séjourna trois mois.
La présentation de ces textes est une tentative d’expression
de l’enseignement et de l’ouverture que j’en ai retirés, afin que
chacun puisse reconnaître certaines facettes du travail du Maître,
se réjouir et en tirer avantage pour son propre chemin spirituel.
« Le sage sait recueillir le nectar même dans une fleur séchée. »
(P. Rajagopalachari.)
L’auteur
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Préambule

La rencontre avec le Maître s’est faite pour la première fois en


juillet 1985, dans un beau jardin toulonnais, lors d’une journée
porte ouverte à laquelle j’étais conviée. Le Maître était installé
sur une balancelle en compagnie de son épouse, Sulochana. Trois
orateurs se succédèrent pour offrir aux invités un aperçu du
Sahaj Marg. Le Maître resta silencieux et conduisit ensuite une
méditation qui je l’avoue, ne me laissa pas le moindre souvenir.
Plus tard, je passai la soirée chez Patrick et Alberta Fleury
qui hébergeaient leur Maître. Patrick m’avait assuré avec
enthousiasme, que ses enseignements, la veille, avaient été
fantastiques et que j’allais certainement entendre des paroles
mémorables. Assise près du Maître, j’écoutais les anecdotes que
nous racontait son épouse à propos de leur Maître Babuji. Je
comprenais mal, peu familiarisée avec l’anglais et encore moins
lorsqu’il est teinté d’accent tamoul ! L’atmosphère était joyeuse ;
toutes les personnes présentes riaient avec beaucoup de plaisir,
le Maître souriait et n’ouvrit la bouche que pour faire remarquer
qu’il est impossible d’arrêter une femme qui a décidé de parler,
puis ensuite pour nous souhaiter courtoisement le bonsoir.
Comme je n’attendais rien de particulier, je ne fus pas déçue.
Un dortoir improvisé avait été installé dans une pièce du rez-
de-chaussée, afin que le maximum de personnes puissent passer
la nuit sur place. Peu encline à la fréquentation de groupes,
j’appréciais d’ordinaire la solitude. Je décidai donc de me
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coucher, un peu agacée, à l’écart des autres qui me semblaient


exagérément excités et qui prolongèrent tard dans la soirée leur
bavardage.
Enervée, irritée par tout et rien, je me sentais en colère sans
raison. Je passais, contrairement à mon habitude, une nuit
agitée sans trop dormir, que j’attribuais au manque de confort,
puis n’y pensai plus.
Patrick m’avoua quelques années plus tard, avoir reproché à
son Maître son silence ce soir-là. « Mais j’ai fait mon travail, tu
verras les résultats. » lui répliqua-t-il et il ajouta : « Puisque ton
amie médite déjà sur le cœur, pourquoi ne nous rejoint-elle pas
pour méditer selon notre méthode ? »
Un an passa sans que je songe davantage à cet épisode et au
Sahaj Marg dont mes amis, d’ailleurs, ne me parlèrent plus.
Je les voyais régulièrement en fin de semaine, chez eux, où
chaque dimanche à dix heures, ils recevaient les abhyasis pour
une méditation. Un jour, alors qu’ils méditaient tous, je sus de
l’intérieur, comme une évidence, que j’allais commencer à méditer
selon leur méthode. Mais pour affirmer une indépendance que
personne ne me contestait d’ailleurs, je demandai l’introduction
à un autre précepteur, à leur insu, en toute naïveté !
Deux mois plus tard, au cours d’un séminaire international à
Marseille auquel j’assistai, le Maître me demanda si je voulais
bien devenir précepteur de la Shri Ram Chandra Mission. Une
fois cette “permission provisoire” acceptée et entérinée, le Maître
enregistra l’événement sur son journal en y inscrivant mon nom
et mon adresse. Puis il m’interrogea : « Depuis quand méditez-
vous ? » « Depuis le mois de mai. » lui répondis-je. Il leva la tête,
me lança un rapide coup d’œil et rectifia : « Depuis 1985 ! » Sur
le moment, je fus déconcertée et pensai qu’il ne devait pas bien
me situer, il avait tant à faire ! Et je n’y accordai pas davantage
attention.
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En août 1994, au cours d’une conversation qui semblait


anodine, le Maître évoqua la soirée de 1985 à Sanary. A ma
grande surprise, il en rappela parfaitement tous les détails et
me dit d’un ton taquin : « Oui, oui, vous faisiez celle qui n’était
pas du tout intéressée  !  » Etonnée, je ne me souvenais que de
mon agacement envers le groupe et pas du tout de mon attitude
extérieure par rapport au Maître.
Il me fallut un certain temps pour comprendre la trame
invisible du déroulement de ces événements. Quelque chose en
moi avait répondu à un appel secret, mais quand ? Le Maître
avait sans doute commencé son travail bien avant notre
entrevue formelle ; je compris alors qu’il avait choisi de m’aider
directement dès que mes propres efforts, même maladroits
et inconscients, s’étaient mis en œuvre, notamment pour le
rencontrer.
Je compris également que j’avais expérimenté dès cette fameuse
nuit, les effets et l’inconfort du nettoyage, cette particularité
unique au système Sahaj Marg et je pris conscience, comble du
comble, que j’étais de toute évidence déjà abhyasi avant même
de penser l’être.
Cet épisode de mes débuts, me parait exemplaire du
fonctionnement de ce système. Respect de la différence,
tolérance, patience, subtilité, efficacité et résultat inéluctable
d’un travail mystérieux qui procède de la sollicitation de ce qui
est à l’intérieur de nous-mêmes, si nous y sommes disposés et
ouverts.
C’est un travail tout à fait hors des schémas habituels de notre
prétendue logique rationnelle et même des modèles spirituels
reconnus par le passé. Il procède par un renversement pourrait-
on dire, ce que Shri Ram Chandra de Shahjahanpur a appelé
“l’invertendo”. Grâce à la transmission de l’énergie du Centre
que le Maître peut canaliser par son mental, le potentiel endormi
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au cœur de nous-mêmes s’éveille tandis que les opacités créées


par le fonctionnement ordinaire de notre mental sont éliminées.
Un des aspects du travail du Maître m’apparut alors, tout
dans l’art du jardinier qui apprête le sol, désherbe, ensemence
et arrose pour en faire jaillir les jeunes plants. Travail humble
et magnifique à la fois !

Un Maître, pourquoi ?
La nécessité de recourir à un maître apparaît lorsqu’on désire
dépasser les bornes de son propre horizon mental, aller au delà
et découvrir l’art d’exister.
En Occident, la peur de la dépendance envers un maître, est
une attitude très commune que je partageais. Depuis trois ans,
j’essayais de méditer seule, sur le cœur, parallèlement à l’exemple
de Ramana Maharishi de Tiruvannamalai. Cet homme ne se
considérait pas comme un maître et avait quitté ce monde en
1953. Ces deux points je l’avoue, me soulageaient d’une réticence
secrète mais tenace à m’engager dans une voie spirituelle sous
la conduite d’un guide. Mais les résultats de cette pratique de
méditation ne m’apparurent pas flagrants.
Après deux ans d’observation de mes amis, leur comportement
qui me paraissait raisonnable et tolérant réussit à ne pas me
donner un préjugé défavorable de leur Maître et m’engagea à
accepter de le rencontrer.
Cette fois, l’obstacle était rehaussé d’un cran  : le guide
était vivant. Shri Parthasarathi Rajagopalachari enseignait
la méthode d’un maître, son Maître, Shri Ram Chandra de
Shahjahanpur. Pourtant, dès que je décidai de commencer
à méditer, aucun doute ne précéda cette décision, aucune
argumentation n’entra en ligne de compte. Cela se passa
très simplement et bien qu’un peu abasourdie mais joyeuse,
j’expérimentai d’emblée une totale certitude. Quelque chose en
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moi savait qu’il était mon Maître.


Je le suivis dans ses différents voyages, lors de ses visites aux
centres de la Mission en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique
du Sud, à Madagascar et bien sûr en Inde. Partout le message
porté était celui de son Maître Babuji, partout son travail était
celui d’un homme attentif aux différentes mentalités, s’adaptant
au mieux des circonstances proposées, soucieux d’apporter le
remède approprié et préoccupé de l’étape suivante.

Son travail ... et mon travail


Avant tout, son travail est silencieux, secret, dans l’invisible.
C’est un grand mystère. Nous pouvons admettre le mystère si
nous le reconnaissons, après une mutation progressive, à ses
effets, à notre transformation, ou à celle des autres.
Chacun de ses associés a pu se sentir reconnu, traité en
invité de marque à un moment ou à un autre. Son attention
sollicite ce qui est noble, ce qui est sacré, ce qui est élevé en
nous. Parfois, nous pouvons douloureusement nous percevoir
petits, insignifiants, misérables, mais il nous propose toujours
de nous situer par rapport à notre dimension de profondeur,
la vraie, celle qui est immuablement belle. C’est cette condition
qu’il éveille continuellement, infatigablement, avec gentillesse,
patience, mais aussi avec fermeté, opiniâtreté et exigence.
Cela se fait par ses discours, ses conversations, au cours d’une
promenade ou d’un repas, à tout moment et par tout moyen qui
lui parait propice.
C’est le premier aspect de son travail, tel que le lui a légué son
Maître, Babuji Maharaj.
D’autre part, sa connaissance de la psyché humaine et sa
totale implication dans le travail et le développement de la
Mission de son Maître, ont fait de lui un homme de terrain,
dirait-on aujourd’hui.
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Sa fréquentation nous le montre accueillant, attentif,


chaleureux, affectueux bien que réservé. Sa conversation est
empreinte de gaieté, de vivacité et d’humour, son propos précis,
clair et authentique. Sa pensée peut comme une flèche se ficher
en vibrant dans la cible, comme elle peut éluder la joute déplacée
avec tact et mansuétude. L’utilisation toujours bienveillante de
situations imprévues, voire même dérangeantes, lui permet
de susciter en nous une prise de conscience et met à notre
portée la saisie sur le vif de nos processus psychologiques  :
conflits, émotions de toutes sortes, schémas répétitifs, attentes
fragmentaires. Quelquefois même, il n’hésite pas à empoigner
sur le moment les difficultés et les problématiques d’un abhyasi
en détresse, bien qu’il se défende de vouloir intervenir ailleurs
que sur le terrain spirituel. Mais la plupart du temps, comme
le dirait le Lao Zi : « Il rectifie sans contraindre, il éclaire sans
éblouir. »
Comme il l’exprima un jour de février en 1988 à Madras,
d’un ton mi-sérieux, mi-plaisant, mais en toute humilité : « Mon
Maître était un maître ès-spiritualité, moi je suis un maître ès-
humanité ! »
Par son exemple qui est un enseignement direct, ou plus
rarement, par ses explications patientes, il nous permet
d’envisager tout le travail qu’un abhyasi sincère doit effectuer
personnellement sur lui-même.
Quand nous appréhendons les mécanismes de notre moi
ordinaire, il devient de notre responsabilité d’y faire face et d’y
remédier. Le Maître est un impitoyable miroir que nous devons
interroger, non pas à la manière de la marâtre de Blanche-
Neige, mais sur le mode de la constatation pure et simple. Il faut
accepter avec courage et humour ce qui s’y reflète et travailler
aux changements à y apporter.
La spiritualité est une science de l’évolution qui exige à la
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fois, un maître compétent et un élève prêt à se prendre en main


pour évoluer. Nul besoin de séminaires alléchants dont sont
friands les Occidentaux, pour transformer notre caractère.
Les événements de la vie quotidienne y pourvoient largement,
si nous leur prêtons attention, en voulant bien les utiliser selon
l’enseignement du Maître. La vie en famille, la vie en société
et leurs péripéties fournissent en abondance les matériaux de
travail !
Les livres, les conférences, les causeries, les séminaires, les
entretiens en petit groupe ou en privé, les ashrams, tous ces
moyens sont à notre disposition. Le mental doit les utiliser pour
soutenir sa réflexion, reconnaître ses conditionnements, ses a
priori, affronter ses insuffisances, ses faiblesses, ses distorsions
et y pallier par un acte continu de volonté, de coopération active.
La volonté de construire notre caractère en reconnaissant
les valeurs fondamentales de l’existence, la coopération par une
ouverture du cœur avec le travail du Maître, doivent devenir
nos alliées. Sans elles, la vie est mal vécue, gâchée ou au mieux
inutile.
L’homme d’aujourd’hui doit réapprendre à vivre en sachant
ce que représentent les valeurs familiales, éthiques, morales,
sans lesquelles il ne peut s’épanouir. Ces valeurs ne dépendent
pas d’une discipline, d’une rigueur ou d’une compréhension
purement intellectuelles imposées de l’extérieur ; elles émanent
de son cœur même.
Le Maître nous aide ainsi sur tous les plans et c’est là notre
grande chance. Car si nous voulons ce qu’il nous propose, il ne
s’agit pas moins que d’accepter une radicale et révolutionnaire
transformation et devenir, d’un être humain aux tendances
animales, un être humain véritable.
« Utilisez-moi ! » nous dit-il. Mais l’utilisons-nous ? Cela n’est
pas sans nous rappeler Alice au pays des merveilles qui, selon
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le côté du champignon qu’elle croquait, voyait sa taille devenir


gigantesque ou minuscule !
Apprenons à l’utiliser en découvrant le vaste champ de travail
auquel il nous fait la grâce de participer ; utilisons le sans merci,
comme il nous le demande. Pourrons-nous assez l’en remercier
et lui en être reconnaissant ?
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« Le bonheur n’est nulle part à l’extérieur. Il réside


dans le fait de fixer notre attention, dans la stabilité de la
disposition et le retrait du mental. Ceux qui connaissent
ce secret n’ont pas besoin de rechercher le bonheur à
l’extérieur. »

Lalaji,
(“Truth Eternal”)
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Madras
(février 1988)

Mercredi 10 février 1988

Visite au lion dans la jungle


En février 1988, je me rends en Inde pour rencontrer le Maître.
Outre le désir de le voir, il me paraissait important d’aller lui
rendre visite chez lui, dans son pays. Ce voyage est pour moi
un pas de plus. Je l’avais entendu dire à quelqu’un, en Europe :
« Venez donc rendre visite au lion dans la jungle ! Ici, je suis en
cage ! » En fait, je n’y verrai rien de différent de ce que j’avais
pu observer ailleurs, seul le contexte extérieur était autre. Nous
sommes une demi-douzaine à nous retrouver pour le même
voyage. A notre arrivée à Madras, je téléphone au Maître à son
domicile à Gayathri, où nous nous rendons à son invitation.
Il nous accueille à sa porte, avec son épouse Sulochana qui
nous sert aussitôt de délicieux rafraîchissements citronnés et des
gâteaux. L’hospitalité indienne, simple, naturelle, est dépourvue
de tout artifice. Leur fils Krishna et James, un abhyasi allemand,
s’exercent sur un ordinateur flambant neuf. Le Maître me fait
visiter sa maison. Etrangement émue, au bord des larmes, je lui
exprime la joie et le soulagement d’être enfin là ; le Maître fait
cette remarque : « Moi aussi, je me sens mieux quand vous êtes
là ! », puis il donne des instructions pour notre logement en ville
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et nous prenons congé.


A plusieurs reprises, durant ce séjour, je remarque que le
Maître se préoccupe des déplacements des abhyasis qui viennent
lui rendre visite.
« Quand Un tel arrive-t-il ? Tiens, Une telle est en route, elle
sera là demain. » Il semble accompagner les visiteurs dans leur
voyage et n’avoir de repos que lorsqu’ils sont arrivés auprès de
lui.
Nous avons notre premier satsangh le soir même de notre
arrivée, dans un appartement loué par la Mission à Madras, où le
Maître conduit deux fois par jour les méditations. Une vingtaine
d’abhyasis y participent, en majorité européens. Après chaque
méditation du matin, le Maître règle les affaires en cours avec
le secrétaire de Madras, bavarde avec nous quelques instants
ou répond à quelques questions. Puis chacun occupe sa journée
à son gré, attendant avec impatience le moment de retrouver
le Maître qui ne peut plus, en raison du nombre croissant de
visiteurs, nous recevoir chez lui, comme par le passé.

Jeudi 11 février 1988

Le premier matin de notre séjour, le Maître commence par


nous rappeler qu’il est important de maintenir la condition
développée au cours des méditations, pour glisser dans l’étape
du souvenir constant, et enfin développer l’amour pour le Maître.
P. Rajagopalachari (P. R.) : Les abhyasis avancent de trois pas
et puis reculent de deux pas. Comment maintenir sa condition ?
Par le souvenir constant, c’est notre devoir. Comment ? On doit
le découvrir par soi-même. Tout d’abord il ne faut pas laisser
pénétrer la grossièreté. Si on apporte un poisson dans une
chambre où règne un parfum subtil, tout ce parfum disparaîtra.
C’est pourquoi on doit s’abstenir de tout inconvenance dans la
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parole, l’attitude, etc. Si on lit un ouvrage de philosophie, la condition


sera bonne ; si on lit des romans stupides, le mental sera pollué.
On doit éviter cette grossièreté.
Il en est ainsi de la santé, comment la conserver si on boit de
l’alcool par exemple ? Il nous faut vivre sainement, boire de l’eau
pure, faire des exercices. Si on avale deux kilos de steak, on peut
se sentir bien, mais pas pour longtemps !
Babuji disait : « Soyez simples et en harmonie avec la Nature. »
Ne permettez pas à l’obscurité de s’introduire à l’intérieur. Les
Chinois conseillent de ne pas voir, de ne pas entendre et de ne
pas écouter, mais ce n’est pas possible. Ne laissez pas le mal
entrer. C’est le mental qui accepte toute cette obscurité, mais si
le souvenir constant l’occupe, rien ne peut entrer. C’est le moyen
le plus sûr et cela développe l’amour pour le Maître. On fait
d’une pierre deux coups, l’amour pour le Maître se développe et
on élimine tout ce qui est négatif. Sans développer le souvenir
constant il est presque impossible de progresser.
Abhyasi (A.) : Quand le souvenir constant est développé, il ne
devient plus nécessaire et l’amour alors maintient la condition ?
P. R. : Oui, c’est encore mieux.
A. : Babuji a dit qu’il s’était abandonné une seul fois à Lalaji.
P. R.  : Oui. Il y a des personnes qui s’abandonnent chaque
jour !
A. : A propos de la volonté, est-ce que la volonté ne peut pas
gêner la méditation ?
P R : Il serait stupide de penser que le couteau dont je ne me
sers pas peut couper des pommes de terre ! Si la pensée s’éloigne
on utilise la volonté pour la ramener sur la méditation, pour la
corriger, mais on ne s’en sert pas pour méditer. Il faut s’en servir
activement pour le cleaning. Mais la méditation est une action
passive, où l’on est réceptif.
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Samedi 13 février 1988

Catch the catcher1


Le surlendemain de notre arrivée, après le satsangh matinal,
le Maître nous entretient une quarantaine de minutes. Il précise
aux abhyasis présents, en majorité européens, les rôles respectifs
de l’homme et de la femme, la place de l’amour dans le couple,
dans la société, dans la vie professionnelle, dans notre évolution
vers la perfection, puis enfin dans l’éducation des enfants. Ce
thème majeur sera repris fréquemment lorsque le Maître
séjournera en Europe, quelques mois plus tard.
P. R. : La femme a une capacité à aimer qui lui est naturelle,
mais en général, elle la gâche en l’investissant sur un sot
quelconque et en oublie le “Bon Dieu” 2 ! Elle est soit comme une
locomotive qui va droit vers l’accident, soit comme un engin qui
roule à faible allure et n’arrive nulle part.Elle s’affaire autour des
enfants, du mari, des problèmes domestiques et utilise mal sa
capacité à aimer. L’homme, lui, n’a pas de capacité à aimer, c’est
dans l’ordre de la Nature. Aussi doit-il créer cette aptitude, puis
l’orienter vers le Divin ; alors il peut aller vers l’infini. L’homme
doit créer l’amour en lui et la femme doit créer la
dépendance envers le Divin. C’est à la fois facile et difficile.
Mais ce qui n’est pas facile n’est pas forcément difficile !
A. : C’est la société qui a créé ces problèmes.
P. R.  : Non, c’est faux. Qu’est-ce que la société  ? Si on veut
devenir ingénieur, médecin, épouser un Turc, on peut le faire en
Europe. Il n’y a pas de “société”. C’est nous qui faisons la société.

1 NDT : L’expression anglaise a été conservée, car elle recèle un mou-


vement que n’autorise pas la traduction française : attraper “l’attrapeur”
2 NDT : En français.
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Il y a trente ans, une femme ne pouvait pas avoir de petit ami ;


aujourd’hui tout le monde peut le faire, alors qu’est-ce que la
société ? De nos jours cela ne veut rien dire.
A. : Mais les femmes ont leurs enfants etc.
P. R. : Vous devez décider si vous voulez satisfaire la société
ou votre cœur. On n’aborde pas un problème en disant : « Je vais
changer la société. » Mais on change, une par une, les personnes
qui font la société, tout comme les briques, une à une font un
mur.
En ce qui concerne le rôle du mari et de l’épouse dans leur
vie de couple  : «  Vivez l’absence de l’autre  !  » leur conseille le
Maître. Que signifie “vivre l’absence de l’autre”  ? Eh bien  !
c’est l’exhortation à vivre une dimension de soi supérieure,
même dans le mariage. C’est l’incitation à vivre la présence
réelle de l’autre et non pas seulement une présence physique,
émotionnelle, une présence faite uniquement de samskaras. Sans
cet épanouissement d’une dimension subtile de soi-même, la vie
du couple végète et finit par dépérir. Vivre l’absence de l’autre,
c’est déplacer sa perception habituelle sensorielle vers un espace
libre, un espace créateur.
P. R. : Quand l’amour est là, on le sait ; on ne peut décevoir,
ni tromper. C’est là ou ce n’est pas là. Demandez à votre cœur et
vous le saurez. C’est pourquoi je dis souvent qu’on n’a pas besoin
de se dire : « Je t’aime, je t’aime. » ou de se demander : « Dis-moi
que tu m’aimes. » L’homme qui n’a pas d’argent demande aussi
de l’argent !
A. : (Inaudible.)
P. R. : Je ne suis plus disponible car mon Maître m’a attrapé !
Si vous voulez du poisson, vous allez chez un pêcheur et vous
ramenez un poisson. Mais moi, je suis déjà pris ! Imaginez que
vous ayez un sac avec de l’argent ; pour prendre cet argent je ne
vais pas ouvrir le sac, je vais prendre le sac ! Si vous me voulez,
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prenez-moi avec le Maître !


A. : Mais n’est-ce pas à travers vous ...
P. R. : A travers, ou comme vous voulez ! Emmenez le pêcheur
avec vous, c’est pareil. Si une femme épouse le pêcheur, le
problème est résolu ...
Vous ne pouvez pas vraiment m’attraper, retenez cela. Je
n’existe pas indépendamment de mon Maître. C’est en cela que
l’amour est chose difficile, car ce que vous devez vraiment aimer,
est la personne à l’intérieur. Par exemple, vous aimez Un tel  ;
si Un tel meurt, vous n’irez plus vers son corps ; vous pleurerez
deux minutes et c’est tout. L’amour, lui, est pour la personne à
l’intérieur. Mais vous associez l’amour au corps, et si le transfert
s’est fait de l’être intérieur vers l’être extérieur, au moment de la
mort, c’est désolant. En revanche, si vous développez l’amour de
l’extérieur vers l’intérieur, la mort n’a plus d’importance.
Supposez même que vous deveniez amoureux du corps de
quelqu’un, vous devez aller de plus en plus vers l’intérieur et cet
amour deviendra sublime. Mais si on commence par l’intérieur
pour aller vers l’extérieur, cela deviendra de plus en plus grossier.
Il n’y a donc rien de mal dans le corps, il faut seulement aller
en profondeur. C’est comme dans la noix de coco, l’eau est en
profondeur. Qu’est-ce qu’un corps sans la personne à l’intérieur ?
Aussi pour m’attraper, il faut attraper le Maître à l’intérieur.
Tout comme dans le cœur de Babuji il y a Lalaji  ; si vous en
attrapez un, vous les attrapez tous ! Quand on attrape un poisson,
on obtient la totalité du poisson avec les arêtes et la chair. Si on
aime un poisson, on le met dans un aquarium ; mais si on veut le
manger, c’est un acte destructeur. En attrapant Lalaji, on attrape
Dieu, la grâce infinie. Il n’est besoin que d’un seul programme
pour que cela marche. Comprenons bien que tous les programmes
sont dans un seul et c’est fini !
Pourquoi disséquer de plus en plus profond, aller dans les
Retour →sommaire des mots et merveilles 21

molécules, puis les particules ... Einstein s’est arrêté à la matière


et à l’énergie, il avait là tout ce dont il avait besoin. Le problème
c’est que vous ne pouvez ni vous arrêter en superficie ni aller trop
en profondeur. C’est comme un tunnel sans fin, comme ces puits
de cauchemar d’“Alice au pays des merveilles” où l’on comprend
de moins en moins ce qui va de plus en plus loin.
Attrapez “l’attrapeur” ! Cela dépend de votre habileté.
Le silence est quelque chose de très important. Prenons l’espace
par exemple et traçons un cercle. L’intérieur et l’extérieur sont
identiques. On a limité l’intérieur, mais aussi l’extérieur, c’est une
surface plane. A présent, prenons une maison. Quand les murs
sont montés, l’espace apparaît. Les portes en permettent l’accès
et la sortie ; elles sont des espaces nécessaires pour pénétrer cet
espace. Qu’est-ce qu’une maison  ? Ni plus ni moins un espace
intérieur dont l’architecte a créé les limites. Toute l’ingéniosité
humaine consiste à créer des limitations. La Nature, elle,
fait le nécessaire pour que vous ayez accès à l’espace. Une maison
sans portes, on doit la casser.
La beauté du cœur, c’est qu’on n’a pas besoin de le casser pour
y entrer. On le brise quand on s’en va, mais pas quand on y entre.
C’est comme ça un cœur humain. Quand peut-on briser un cœur ?
Quand on le quitte ? Non, mais quand le cœur devient une prison
pour vous. Aussi vous ne devez pas aimer de telle façon que le
Bien-Aimé soit emprisonné. Il ou elle doit être libre d’entrer et de
sortir ; ce n’est pas comme dans une prison.
On doit donc créer un amour qui ne ligote pas, donner au Bien-
Aimé sa liberté. Je n’entends pas liberté au sens occidental du
terme, sinon le cœur serait brisé plusieurs fois en petits morceaux
comme une antiquité qu’on ne peut plus recoller, avant plusieurs
années. L’amour doit libérer et non pas contraindre.
La même problématique surgit en spiritualité. Si nous
essayons d’emprisonner le Divin, d’en rester à l’aspect extérieur
Retour →sommaire des mots et merveilles 22

du Maître, aux apparences, gare aux déceptions ! Le Maître le


précise.
P. R. : Là est la difficulté, même pour l’amour spirituel. Vous
voulez aimer le Maître, mais à votre manière. Il doit vous donner
un sitting à votre convenance, alors que vous allez acheter des
saris, que vous assistez à des spectacles de danse. Où est la liberté
du Maître  ? La possibilité d’aimer c’est comme d’habiter une
maison où tout peut entrer et sortir, les oiseaux, les écureuils.
C’est ainsi qu’on attrape, en laissant la liberté. Donc pour attraper,
n’attrapez pas ! Invitez !
Si vous essayez de l’attraper, il essaiera toujours de fuir. C’est
pareil pour les amoureux. C’est de la psychologie de base. Un petit
bout de femme de rien du tout vous fait faire sept fois le tour du
monde ! Plus vous voulez l’attraper, plus elle fuit.Le Maître, lui, reste
assis où il est et comme il ne court après personne, tout le monde
vient. C’est la manière du Maître. Le silence et l’immobilité
attirent tout. La manière de l’homme est de courir après toute
chose et d’échouer en tout. Même quand vous cherchez Dieu,
vous cherchez simplement quelque chose que vous avez perdu.
Il en est de même pour la mémoire ; relaxez-vous et cela vient.
Si on peut parler de psychologie en spiritualité, disons : relaxez-
vous et taisez-vous !
N’utilisons pas nos filets comme des gladiateurs. Ici, il n’y a ni
capture, ni prison. L’amour ne peut évoluer que dans la liberté,
qu’il soit pour un être humain ou qu’il soit pour un animal. Un
chien attaché ne pense qu’à s’enfuir ; en liberté, il vient vous lécher.
Quand vous donnez cette liberté à seule fin d’obtenir l’amour des
gens, vous devenez comme un esclavagiste, vous vous détruisez
vous-même. Don Juan et Spartacus en sont des exemples.
Babuji disait : « Laissez-moi libre et vous verrez ce que je peux
faire pour vous. » Lui dire : « J’ai mal à la tête. » c’est le limiter,
« Mon travail est inintéressant. », c’est encore le limiter. Existez
Retour →sommaire des mots et merveilles 23

simplement, et lui fera ce qu’il pense être nécessaire.


Cet enseignement de Babuji a permis au Maître de réaliser
l’importance du lâcher prise, de l’abandon, afin d’être façonné
en instrument parfait. On confond souvent l’abandon avec
l’incitation à l’irresponsabilité. Ici, l’idée de l’abandon n’est ni
un laisser-aller ni un laisser-faire stupides, mais une simple
prise de conscience de notre incapacité à saisir la réalité des
faits. Cette prise de conscience nous permet d’abandonner notre
amour-propre conditionné et limité pour le remplacer par l’amour
inconditionné et illimité.
P. R. : J’ai honte de le dire, mais je n’ai pas appris cela pendant
la vie de Babuji, je le savais mais je ne l’ai pas pratiqué. C’est
seulement à sa mort, avec tous les problèmes, que j’ai dû le
réaliser, afin que les problèmes deviennent les siens. Si j’essaie
de les résoudre moi-même, ça ne va pas. Il vaut mieux lâcher
prise  : c’est votre Mission, vos problèmes, j’existe pour vous,
vous savez m’utiliser, vous pourrez travailler à travers moi ou
pas, mais j’existe. Je crois que c’est le véritable état d’abandon.
Nous ne devrions même pas demander que cela s’opère à travers
nous.
Le dentiste a une panoplie d’instruments, il choisit celui qui est
à sa convenance. En devenant instrument, on ne devrait même
pas prendre conscience que l’on est quoi que ce soit. Et petit à
petit le miracle se produit. Au début, un peintre veut composer
avec une centaine de couleurs différentes. Puis, petit à petit il
en sélectionne une cinquantaine pour finir par travailler avec
trois couleurs seulement. En les mélangeant il obtiendra tout ce
qu’il veut. La maîtrise signifie réduire les instruments, obtenir le
maximum avec le minimum. C’est la voie de la conservation des
énergies. En spiritualité, on produit l’univers à partir de l’énergie
au point zéro, la science ne peut donc pas s’appliquer à nous, car
elle a besoin de partir d’un petit quelque chose. La spiritualité est
Retour →sommaire des mots et merveilles 24

au delà de la science. Et quand le Maître pense à un successeur, il


commence avec plusieurs instruments.
Peu à peu il sélectionne, jusqu’à ce qu’il obtienne un instrument
à tout faire. Cet instrument n’a rien d’extraordinaire, car il peut
devenir n’importe quoi. Chaque personne possède des talents,
mais il veut quelqu’un qui ait tous les talents, ou quelqu’un en
qui il puisse mettre tous les talents et cela devient lui-même à
nouveau. Comment y mettre le talent  ? Il trouve l’instrument,
le talent, c’est lui-même, il se met à l’intérieur. Un instrument
ne peut avoir plus de capacités que la main qui le manipule ; il
dépend donc de celui qui le tient. Si on gribouille avec un stylo
Mont-Blanc à six cents marks, ou si c’est un idiot qui le manipule
... Mais l’instrument le plus insignifiant entre les mains d’un
maître ...
Dans un instrument les qualités n’ont pas de pouvoirs, les gens
disent : « Pourquoi lui et pas moi ? Pourquoi Babuji l’a-t-il choisi
et pas moi ? » Quelle importance ? Michel-Ange a réalisé la Pietad
à partir d’un bloc de marbre dont personne ne voulait. Qui est un
maître ? Celui qui est capable de tirer le meilleur parti du pire.
La technologie, la science s’approprient à tort la notion de
perfection. C’est l’homme qui donne de la valeur à ce qu’il réalise.
On apprécie d’autant plus un objet qu’il est artisanal et c’est le
travail effectué dans l’attitude juste qui permet d’atteindre la
perfection.
P. R. :Il y a ceux qui ont des capacités et qui œuvrent à partir
de bons matériaux  ; s’ils aboutissent à ce qu’il y a de mieux, il
n’y a rien d’extraordinaire à cela. Mais si vous faites des saints à
partir de lépreux, ou si vous obtenez ce qu’il a de mieux à partir
d’ordures ... Les usines d’Europe utilisent les meilleurs produits
de base pour produire les meilleures machines. Il n’y a pas de
quoi être épaté. C’est de la technologie. En Orient on produit
les meilleures choses à partir de papier jeté : c’est une maîtrise.
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Même la maîtrise du monde matériel est ici où l’on dort par terre,
sans même un tapis. C’est la maîtrise de soi.
C’est en ce sens que la définition de “maître” est  : «  Celui
qui se maîtrise lui-même. » Ce ne sont pas des gens comme
Napoléon ou Hitler. Celui qui se conquiert lui-même est un
maître. Babuji disait : « Je veux du bois, pas des chaises. » Avec
une voiture, que faire d’autre si ce n’est la conduire ? Au moins
avec une charrette, il est possible de la modifier ou même de la
brûler pour se chauffer  ! Mais avec un produit fini, on ne peut
rien en faire d’autre ; on ne peut pas le réparer, alors on le jette. A
mon avis, c’est symbolique de l’instinct d’autodestruction. C’est
une tendance suicidaire.
Si vous voulez donner de la valeur à ce que vous produisez,
aimez ! Alors, dans tout ce qui est produit l’amour est présent,
car il fait partie de vous-mêmes. C’est comme avec nos enfants ;
nous apprenons à aimer ce que nous produisons car ils font
partie de nous-mêmes. Si vous écrivez un poème, ce ne sera pas
du Shakespeare, mais il viendra de vous. Cela me rappelle une
anecdote. A la télévision, je regardais une émission qui s’intitulait :
«  Oui, Monsieur le premier ministre.  » Cet homme n’avait pas
réellement d’instruction, et à chaque fois qu’il citait Platon, son
assistant lui disait : « Mais non, c’est Shakespeare ! » Et quand
il citait Shakespeare, son assistant lui disait : « Mais non, c’est
Platon ! » Pour en finir, il se cita lui-même !
En Occident votre idée de la perfection se situe dans l’objet
produit, mais en Orient l’idée de perfection est plutôt dans
l’attitude dans laquelle on travaille. Si l’attitude est parfaite,
oubliez le résultat. A quoi cela sert-il de produire des Mercédès
si tous les ouvriers en quittant leur travail vont se soûler ? Il vaut
mieux que l’homme se perfectionne par le travail en produisant
quelques objets en bois ! Quoique vous fassiez, vous devez devenir
parfaits. Travaillez, non pas pour obtenir un produit et de l’argent,
Retour →sommaire des mots et merveilles 26

mais pour vous perfectionner. A l’ouest, on est frustré, car on fait


des choses parfaites pour l’extérieur, et les tensions conduisent à
l’alcool, à la drogue. Comment peut-on décider qu’une chose est
belle ou médiocre ? On dit qu’il faut admirer des tableaux de loin,
mais moi je ne peux pas apprécier Renoir en regardant de loin.
Chez nous, on pense que ce qui est bon de loin doit l’être de près.
L’idée occidentale de la perfection est à l’extérieur ; en Orient et
spécialement en Inde, elle est à l’intérieur de nous. Et l’homme
parfait n’a pas à produire ; cependant il est parfait.
Est-ce à dire que l’homme parfait est passif et ne fait rien ?
Non. La perfection dont il est question ici, est de l’ordre du Divin
et non pas de l’ordre humain. Le Maître suggère que cet état de
perfection est un état d’être qui s’exprime par l’action spontanée,
l’acte efficace et juste par excellence.
P. R. : Aussi que devrions-nous produire ? rien. Celui qui peut
travailler et ne rien produire est un maître. Cela peut paraître
paradoxal, mais la réalité, c’est qu’il faut travailler et permettre
aux choses de grandir. Le jardinier ne crée pas le manguier, mais
il l’arrose. C’est l’amour qui le fait croître. Vous devez l’aider à
exprimer tout son potentiel. Mais si vous décidez de ne pas le
laisser grandir de ce côté-ci, tout en essayant de l’orienter par ici
ou par là ...

Le Maître ne crée pas. Il permet avec amour et liberté


la parfaite manifestation de qui est là.
La beauté de cet enseignement nous interpèle avec force dans
la vie de tous les jours. Quel programme éducatif, aussi alléchant
qu’il soit, pourra-t-il jamais rivaliser avec la simplicité
de la méthode et l’efficacité de l’amour ainsi développé  ? A
l’interrogation d’un abhyasi qui demande si on peut appliquer
cet enseignement à l’éducation des enfants, le Maître répond :
P. R. : Oui. Il est important d’introduire cette notion à l’éducation.
Retour →sommaire des mots et merveilles 27

Il est préférable d’enseigner un enfant avec amour plutôt qu’avec


une baguette ! Dans les rues ici, on protège les arbres et les plantes
des vaches, en les entourant de fils de fer. L’amour doit amener la
discipline. On devrait pouvoir dire : « Mon Maître m’aime tellement
que je ne peux rien faire de travers. » L’amour nous rend discipliné. A
l’opposé de celle des militaires, la vraie discipline vient de l’intérieur.
Et la discipline de l’intérieur est l’amour. En donnant de l’amour,
vous pouvez obtenir de l’amour et en le recevant vous devenez de
plus en plus discipliné. Les enfants élevés ainsi ne peuvent pas aller
de travers : ils ont tout à la maison et n’iront pas dans les bars.
Aussi, si vous voulez corriger la société, amenez de l’amour.
Plutôt que d’amener une plante chez vous, laissez-la où elle se
trouve et allez la voir, cela vous donnera l’occasion d’une petite
promenade. Chez vous, elle perdra sa beauté. C’est cela la
spiritualité.
Comment attraper “l’attrapeur”  ? Laissez-le aller
librement, comme le chien. Nous avions des perroquets chez
nous, et la nuit on les mettait en cage à cause des chats. Mais le
jour, la cage était ouverte, on sifflait et ils arrivaient ! C’était là
une protection et non un emprisonnement. De la même façon, la
discipline recommande de ne pas fumer du haschich pour nous
protéger de la maladie et de la mort. C’est pourquoi j’en veux à
Voltaire et à Rousseau. Ils ont pollué la France avec ces idées de
liberté. Je ne sais pas si les Français pourront jamais se délivrer
de cette fausse idée de liberté qui va les détruire. C’est comme si
on donnait une bombe atomique à un enfant, qu’il soit exposé à
une irradiation et qu’il en meure, ou qu’un médecin administre
de l’arsenic. Est-ce de l’amour ?
L’amour, c’est aussi ne pas donner ce qui est néfaste. Un père
peut être amené à ne pas autoriser son fils à sortir pour cette
raison. Quand l’arbre est grand, on peut retirer les protections
en fil de fer contre les vaches et les chèvres. Si vous frustrez un
Retour →sommaire des mots et merveilles 28

enfant, il va vouloir se sauver. Mais l’amour nous fait agir de


façon correcte.
A. : Que dire de ces mères trop possessives ?
P. R. : On ne peut pas dire que c’est de l’amour. Au départ, c’est
réellement de l’amour, ensuite la mère a peur que l’enfant s’en
aille, se marie, etc. C’est pourquoi les mères doivent œuvrer très
intelligemment. Je connais une dame en Yougoslavie qui a appris
à sa fille qui voulait fumer, à le faire chez elle. Elle lui a montré
comment prendre la cigarette pour que la nicotine ne lui tâche
pas les doigts, elle lui a appris ce que les garçons attendaient
d’elle, ce qu’elle devait faire et ne pas faire. Cette enfant a grandi
de façon splendide. Sa mère m’a dit : « La nature humaine est la
nature humaine. Je préfère lui apprendre moi-même et ensuite
elle fera ce qu’elle doit faire et ne pas faire. »
Le fils du pêcheur qui n’a pas appris à pêcher est bien à plaindre
lorsque son père meurt ! C’est ça la vie, l’océan de la vie. On doit
apprendre à nager, à éviter les requins, les baleines, les écueils.
On doit apprendre qui est quoi. Ce serpent est dangereux, mais
n’ayons pas peur des autres serpents, sinon on a peur de tout et
on fait une crise cardiaque à la vue du premier reptile rencontré !
C’est là que la connaissance est utile. Elle amène aussi la
douleur. Celui qui a expérimenté les champignons vénéneux évite
aux autres d’en manger. Et dans une autre vie, le même homme
refusera de manger des champignons, à cause des ces samskaras.
C’est la façon dont le savoir peut produire des samskaras.
A. : Il est difficile de se rendre compte si l’on s’y prend mal avec
les enfants.
P. R.  : Il n’y a que l’amour qui est la bonne façon de s’y
prendre. On aime ou on n’aime pas. Il n’y a pas d’amour correct,
il y a seulement l’amour. L’infirmière qui n’est pas aimante, est
simplement là pour passer son temps et ne fait rien de bon. Même
un médecin doit aimer ses patients  ; alors la réelle créativité
Retour →sommaire des mots et merveilles 29

survient, sinon il est un robot, programmé. Quelle honte ! C’est


une machine à gagner de l’argent. Ici, même un très mauvais
médecin peut gagner dix mille roupies – le salaire moyen est de
huit cents roupies –. Il prend sa commission sur les spécialistes
et le patient est maintenu bien malade car il n’y a pas d’amour, mais
l’amour du gain. Je connais une histoire magnifique à propos d’un
chrétien. Il ne gagnait jamais d’argent, il recevait des carottes,
du céleri pour faire sa soupe  ! Un médecin doit être une noble
personne, au-delà d’elle-même, car elle a affaire à des êtres
humains. C’est comme un professeur. Même un policier devrait
être capable d’avoir de l’amour, d’être intéressé par les gens.
Il devrait arrêter celui qui conduit mal pour empêcher que les
autres ne soient tués.
Si vous trouvez quelqu’un de ce genre qui s’intéresse à vous,
vous ne l’oublierez plus. C’est comme une abeille qui butine les
fleurs, elle n’oublie jamais. Même les enfants se souviennent de
ceux qui leur donnent des friandises.
Après cet échange, le Maître s’entretient avec le secrétaire des
dispositions à prendre pour l’inauguration du premier centre de
méditation à Madras, le dimanche suivant 14 février.

Dimanche 14 février 1988 (hall de méditation de


Rangan Street)

Notre devoir sacré


P. R. : En cette occasion particulièrement heureuse et propice,
on m’a demandé de prononcer quelques mots. Grâce à la générosité
de Monsieur Varadan, je peux dire avec confiance que notre
centre de Madras a trouvé là un chez-soi. Il est également très
heureux et de très bon augure qu’un couple ait été marié ici par la
grâce de Babuji, sous sa bénédiction selon le système Sahaj Marg.
Tout comme un mariage signifie l’union de deux cœurs, j’espère
Retour →sommaire des mots et merveilles 30

que cet ashram qui est le nôtre amènera de nombreux cœurs en


une vaste fraternité que notre Maître souhaitait que l’on crée. Ce
noyau de départ qu’il nous a légué en tant qu’héritage spirituel,
il est de notre devoir, de notre devoir saint et solennel de le faire
croître, et nous en récolterons tous les bienfaits individuellement
dans notre propre évolution spirituelle.
Aujourd’hui donc, nous pouvons voir culminer un arbre dont
trois branches pointent  : un héritage spirituel sous forme de
noyau, un devoir spirituel qui consiste à faire croître cet héritage
et le fruit en sera notre propre évolution spirituelle portée aux
plus hauts niveaux d’ouverture jamais offerts à l’humanité.
Je me permets de le répéter deux fois car la plupart des
gens croient que le Sahaj Marg est un endroit où l’on reçoit la
spiritualité gratuitement et où l’on n’a qu’à tendre la main pour
que le Maître nous bénisse de sa grâce. C’est vrai, bien sûr  ;
Babuji Maharaj disait souvent qu’en Inde, notre culture et notre
tradition font que même un mendiant ne repart pas sans qu’il
lui soit donné quelque chose. Et mon Maître était un éternel
donneur. Il ne refusait jamais rien à quiconque et même si nous
venons en mendiants, nous repartirons avec quelque chose. Mais
ce n’est pas ce qu’il voulait de nous.
Alors, souvenons-nous que si nous devons atteindre ce qu’il y a
de plus élevé, comme il l’a promis, nous l’atteindrons seulement
en nourrissant ce bébé spirituel qu’il nous a laissé sous la forme
du Sahaj Marg et en accomplissant notre devoir envers l’un et
envers l’autre. Par cela même nous grandissons, reconnaissant
qu’il est le Maître, que nous sommes ses dévots et ses travailleurs,
aussi humble, aussi insignifiant que puisse apparaître ce devoir.
Chacun de nous doit donner son cœur, non pas comme il est
à la mode de le faire, c’est à dire très facilement en apparence,
mais comme un présent de notre amour. Le don du cœur doit
solidement être étayé par notre participation dans le travail
Retour →sommaire des mots et merveilles 31

qu’il nous donne en tant que devoir. C’est tout à fait comme un
mariage, quand l’épouse donne son cœur à son mari, elle se donne
en même temps. Elle travaille pour lui, du moins dans la tradition
indienne  ; elle lui lave ses vêtements, prépare sa nourriture,
s’occupe de lui. Puis comme l’assure l’ancienne bénédiction au
moment du mariage, elle doit être la mère de ses enfants et, quand
il sera vieux, elle doit le traiter comme son propre enfant. Quand
les hommes vieillissent ils deviennent des enfants et les épouses
deviennent leurs mères. Tel est l’héritage ancien de l’Inde. C’est
une vérité spirituelle et c’est aussi une vérité humaine. Une
femme est toujours une mère, un homme est toujours
un fils. Entre temps, ils jouent au mari et à l’épouse.
De la même façon, nous avons ce bébé Sahaj Marg que nous
devons faire croître, porter jusqu’aux coins les plus reculés, non
seulement de ce monde, mais partout où l’opportunité se fera
jour. C’est dans le développement du Sahaj Marg que reposent
notre propre croissance, notre propre bénédiction et leurs fruits
seront visibles par notre propre évolution spirituelle.
C’est ce que nous a légué notre Maître, ce dont il nous a chargé
et c’est ce qu’il nous a promis. Je prie pour que ses bénédictions
puissent à jamais être avec nous, nous aider, et nous permettre
de nous renforcer dans l’accomplissement de ce devoir.

Mercredi 17 février 1988 (Rangan Street)

La porte du cœur
Trois jours plus tard, le Maître semble d’humeur
particulièrement joyeuse. Il questionne : « Comment avez-vous
trouvé le sitting hier soir ? » Chacun lui donne sa réponse, ayant
pu expérimenter la profondeur de l’absorption en méditation
grâce au vacarme des marteaux en action sur le chantier
voisin. Il est prévu de construire une pièce attenante au hall,
Retour →sommaire des mots et merveilles 32

mais pour l’instant, seule une porte condamnée donnant sur le


vide annonce le projet. En manière de plaisanterie, je désigne
la porte au Maître et lui demande : « Est-ce que le Maître est
une porte qui nous donne accès à d’autres espaces ? Il répond
obligeamment :
P. R. : Le Maître est la porte, mais pas seulement. Il est aussi
la pièce, car la porte ne peut exister sans la maison. Elle n’est
pas seulement un espace qui vous permet d’entrer, elle fait aussi
partie de la maison. Combien y a-t-il de portes dans une maison ?
S’il n’y en avait pas, la maison n’aurait aucune utilité. Le cœur est
ainsi la porte de la personne. Si elle est fermée, la transmission
ne passe pas. C’est pourquoi Babuji disait  : «  Ouvrez votre
cœur. » Prenez le symbole de la fleur de lotus, ; elle pointe vers
le bas, mais par la méditation elle se tourne vers le haut et la
goutte de nectar vient y tomber. Si on ne l’ouvre pas ce n’est pas
possible. On doit donc l’ouvrir, et cette porte mène au Soi. Quand
le Maître est là elle doit être ouverte pour qu’il ait la liberté
d’entrer ou de sortir.
C’est comme un mari, si vous l’enfermez vous ne le garderez pas
longtemps ! A la première occasion d’ouverture il se précipitera
dehors. Laissez-le libre et il viendra. Si vous laissez partir un
chien, il revient. Il doit être libre d’aller et venir ici (montrant le
cœur), à sa guise, parce que c’est sa maison. Où est sa maison ?
Cela n’a pas d’importance que ce soit ici ou ailleurs, de toute
façon il doit revenir, tout comme vous rentrez chez vous après le
travail.
A. : Comment ouvrir le cœur ?
P. R.  : C’est une attitude mentale de se poser la question.
« Oh ! mon cœur n’est pas ouvert ... » Ici, dans ce hall, la porte est
ouverte, il y a un courant d’air ; quand elle est fermée, cela sent
mauvais. Supposez que vous fermiez ici portes et fenêtres et que
vous prétendiez que c’est votre air, que vous devez vous protéger,
Retour →sommaire des mots et merveilles 33

que se passerait-il ? Vous mourrez. Il est donc nécessaire d’ouvrir.


A. : Oui, mais comment ?
P. R. : Quand vous êtes capable d’aimer. La capacité à aimer
est nécessaire, “et pour le moment, il n’ y a pas de capacité” 3.
Vous “pensez” que vous aimez, mais c’est de l’ordre du mental.
“Je pense” n’est pas suffisant. Quand vous aimez, vous ne savez
pas du tout ce que vous aimez, mais quand vous “pensez” que
vous aimez, il n’y a pas d’amour.
Par la pensée il n’y a pas de Réalité. Quand je mange, je
ne pense pas que je mange et si je pense à la nourriture que je
vais ingurgiter, eh bien ! je ne suis pas en train de manger. Vous
comprenez ? Alors si vous dites : « Oh ! je pense que je l’aime ! »,
alors ce n’est pas l’amour. Quand on commence à aimer, on ouvre
la porte.
Supposez que vous soyez dans une maison et que vous
mainteniez la porte fermée ; cela signifie que vous n’aimez pas les
autres et que vous êtes méfiant. Si vous êtes heureux avec tout le
monde, vous laissez votre porte ouverte, quiconque peut entrer.
Nous avons des meetings en France, avec des journées portes
ouvertes. Pourquoi seulement un jour ? « Je voudrais que chaque
jour, que chaque moment soit une porte ouverte 4.  » Pourquoi
un jour, pourquoi une année ? Il est clair que le reste du temps
c’est fermé ! C’est artificiel. Quand une porte est ouverte, tout le
monde peut venir, c’est libre. Mais quand vous fermez : « Venez
François, mais pas Michel ! », ce n’est pas ouvert. De la même
manière, si vous avez peur, vous ne pouvez pas ouvrir, ce n’est
pas possible. Aussi le Christ a dit que l’homme parfait enlève la
peur, mais je préfère dire que là où la peur n’est pas, l’amour est.

3 NDT : En français.
4 NDT : En français.
Retour →sommaire des mots et merveilles 34

Le Maître rejette toute peur au loin. Il en est ainsi d’un lion,


même s’il rugit vous devez l’aimer et vous lui dites : « Lion, viens
ici mon ami ! » « Roââr ! »Et tout doucement il vient, vous lui
grattez le cou et c’est fini. Mais si vous avez peur, vous êtes mort !
Là où il y a de l’amour, la peur n’existe pas. Alors comment savoir
s’il y a de l’amour ? Quand il n’y a pas de peur ! C’est clair ? C’est
comme cela qu’on apprend à reconnaître si le cœur est ouvert :
quand il y a absence de peur.
Supposez que je dorme la nuit toutes portes ouvertes ; je n’ai
pas peur, pourquoi  ? Parce que je n’ai rien à perdre. Pourquoi
n’ai-je rien à perdre ? Parce que ce n’est pas à moi. Le meilleur
moyen est donc de penser que rien ne m’appartient. Si quelqu’un
s’ empare de ce baladeur, je m’en moque. Mais si j’affirme qu’il
est à moi, si je le tiens serré contre moi toute la nuit, en fermant
la porte ...
L’idée que je possède, que c’est à moi, engendre la peur. Aussi,
en disant : c’est mon cœur, on a peur ! Mais si le cœur est parti,
ce n’est plus votre cœur désormais, et l’on dit : « J ‘ai donné mon
cœur. » Alors, là où il n’y a plus de cœur, où est la peur d’ouvrir
et de perdre ?
A. : Un précepteur m’a dit qu’il serait bien de considérer que
nous sommes déjà là. Ainsi nous n’avons plus rien à perdre et
nous pouvons nous abandonner plus facilement.
P. R. : Oui, c’est la même chose, mais “ici” et “là” ne devraient
pas exister non plus. Si je pense que je suis là, je suis encore ici ! Si
je suis à Paris, je ne pense pas que je suis à Paris ! On est toujours
en train de penser à ce que l’on n’est pas  : c’est un pauvre qui
pense être riche, un pauvre qui pense être un philosophe ...

Jeudi 18 février 1988

P. R. : Comment était le sitting ?


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A. : C’était comme un appel !


P. R. : Dans le christianisme il y a beaucoup d’appelés et peu
d’élus. Ici tout le monde est appelé, mais peu viennent. C’est
un fait. Master dit que chacun est invité, la porte est toujours
ouverte, mais s’il y en a cent qui rentrent, il n’y en a qu’un qui
reste. Ce n’est pas comme dans le christianisme où l’on est élu.
Qui choisit ? Ce n’est pas vous. Ici, chacun est appelé, mais vous
devez choisir.

Dimanche 21 février 1988

Vivre sans peur ni culpabilité


Après le satsangh du matin, le Maître convie tous les abhyasis
overseas au mariage d’une abhyasi indienne qui se marie selon
la tradition de Bangalore. Nous assistons à une partie de la
cérémonie, puis nous déjeunons avec le Maître qui nous donne
ensuite rendez-vous chez lui, à Gayathri, à 16 h. A l’heure dite ...
et même avant, nous nous installons sous la véranda. Le Maître,
assis sur sa balancelle, s’occupe de chacun tout en bavardant
d’un ton jovial.
P. R. : Comment va L. aujourd’hui ? Tout va bien ? Il ne s’est
rien passé de mal, n’est-ce pas ? En fait, vous essayez de rejeter
quelque chose à l’extérieur, alors qu’il n’y a rien de tel à l’intérieur.
Ce n’est qu’imagination, idées fantasques  ! Je ne sais pas
pourquoi les Allemands ont beaucoup de peurs qui se rapportent
à la magie noire, à la sorcellerie. On ne trouve pas l’équivalent
au même degré dans les autres pays d’Europe. N’ayez aucune
crainte, Hitler est mort depuis quarante ans ! Vous n’étiez pas née
lorsqu’il est mort et depuis, beaucoup de choses positives se sont
produites, pourquoi ne pas en parler ? Même des gens instruits,
des médecins, des professeurs ont peur des forces négatives, des
cultes, de l’occultisme. Je peux comprendre que la police et le
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gouvernement s’en inquiètent, mais pourquoi des enseignants,


des docteurs, des psychologues ?
A. : A cause des samskaras ?
P. R.  : Non, non. Tout est samskara  ; le bon, le mauvais
également. D’une certaine manière, cela indique une attirance
envers ces choses.
Le Maître propose un sitting. Quand il est terminé, il interroge un
jeune abhyasi auquel il avait demandé d’être attentif pendant les
méditations.
P. R. : Alors R., que penses-tu de cette méditation ?
A. : Vous avez fait un bon travail !
Tout le monde rit de la réplique ainsi que le Maître qui ironise
gentiment : « Je suis heureux de l’entendre ! » Puis une abhyasi
pose une question. (Inaudible.)
P. R. : Vous voulez être malade, de façon à ce que ... Hier, c’était
pareil ; c’est l’expression d’une culpabilité très particulière, dans
la grande tradition chrétienne : « Mea culpa ! »
Vous devez comprendre qu’on sait, ici (montrant le cœur),
si c’est juste ou si c’est faux. Si on va à l’encontre de ce qui est
correct, on se sent coupable. Et si on se sent coupable, le mieux
est de ne pas recommencer à faire ce qui nous fait sentir coupable.
Mais si on augmente le poids du sentiment de culpabilité ...
Prenons l’exemple des enfants. Ils aiment à se faire punir pour
une bêtise  ; s’ils ne sont pas punis, ils continueront à en faire.
En fin de compte, ils en pâtiront ; ils auront des cauchemars, des
rêves étranges. Pour finir, le suicide peut être l’ultime punition
que l’on s’inflige, lorsque le sentiment de culpabilité devient
insupportable. Alors, quand on sait ce qu’on a fait, laissons sortir
cette chose ; pourquoi recommencer ?
D’un autre côté, on essaie de faire pire afin d’être puni plus
rapidement  : le mental rend ainsi sa propre justice. Et nous,
nous sommes toujours en train de discourir sur l’injustice et les
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coupables  ! La religion ne peut pas faire que vous vous sentiez


coupable, à moins que vous n’ayez accompli quelque chose qui
vous donne un sentiment de culpabilité. Vous êtes d’accord ?
A la base, tout être humain a les mêmes désirs, les mêmes
peurs, la même stupidité, la même culpabilité. C’est un processus
universel qui se retrouve partout. On dit qu’au Sahaj Marg, on
ne fait pas de différence de castes, de races ; mais Babuji n’a pas
découvert là quelque chose qui n’existait pas déjà ! Ce n’est pas
la couleur de votre peau qui vous fera marcher plus vite ; votre
Mercédès-Benz, oui, mais pas vos jambes.
Babuji Maharaj a défini l’acte de repentance comme la
détermination à ne pas recommencer la même faute  ; c’est
tout. Ce samskara partira, il n’a pas le choix. Ce qui est
fait est fait, mais au moins à l’avenir, on ne sèmera plus
davantage de graines sur le chemin. Prenez cette décision et
le sentiment de culpabilité disparaîtra, car désormais vous
êtes dans un processus positif. Quand vous culpabilisez,
vous ne faites que pleurer sur vous-même et vous lamenter  :
«  Père, pardonne-moi  !  » A-t-il à pardonner  ? En revanche,
lorsque vous agissez, le fardeau s’allège ; nous nous confessons
à nous-mêmes et nous nous pardonnons. Alors plus rien ne
subsiste qui puisse me rendre coupable et je vais de l’avant de
façon constructive.
Le Maître s’interrompt un instant pour donner rendez-vous au
groupe suisse le lendemain matin à huit heures, puis il reprend :
Lorsqu’il n’y a pas de culpabilité, la crainte n’existe pas. Mais
la détermination à se repentir doit réellement provenir du cœur.
Ainsi, une totale absence de culpabilité indique une absence totale
de peur. Si un voleur aperçoit un policier, il s’esquivera dans une
autre rue. Vous, vous n’avez rien à craindre, mais si êtes un voleur,
vous essaierez de vous sauver, ce qui alertera immédiatement le
policier. « Pourquoi cet homme m’évite-t-il ? Hep ! Vous là-bas,
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venez ici ! » Et vous êtes pris, car vous transmettez de la peur.


Il m’est arrivé une seule fois d’avoir un sentiment de culpabilité
envers mon Maître. Je lui ai écrit pour lui expliquer que je ne
savais comment faire pour venir le voir, car j’avais peur. Il me
répondit en retour : « Retirez ce sentiment de culpabilité et de
peur de votre cœur, car cela arrêtera votre expansion spirituelle. »
Mentalement, j’ai juste balayé ! Fini. Il m’avait dit de l’enlever, je
l’enlevai.
Lorsqu’il dit de l’ôter, il vous donne le pouvoir de le faire. Mais
nous devons le faire ! Supposez que je reste assis à me lamenter :
« Oh ! comment l’ôter, je n’ai pas de pouvoir ... » Le Maître ne
donne jamais de travail sans le pouvoir qui l’accompagne. Si je
vous demande de faire des courses pour moi, je vous donnerai
de l’argent. Ne donnerait-il pas la capacité pour le faire  ? Il
serait stupide de penser que le Maître ne le ferait pas. Lorsque le
Maître nous donne quelque tâche, disons-nous : « Ah ! le pouvoir
est déjà là ! » Mais c’est trop simple ... Alors nous essayons de
faire compliqué en vertu de notre intelligence qui a besoin de
complexités.
Soudain le Maître se lève pour faire une promenade. Nous
voilà tous sur ses talons, dans les rues de Madras, tandis
qu’un abhyasi se décide à lui poser une question en aparté.
Le Maître commence par lui asséner une grande claque sur
l’omoplate avant de lui répondre. Nous sommes nombreux à
avoir expérimenté ce genre d’attention vigoureuse de la part du
Maître, histoire de nous remettre d’aplomb sans doute !
P. R.  : Vous voulez être puni, en fonction de votre passé, de
vos parents et vous finissez par penser que vous êtes puni par des
esprits, de mauvais esprits ; mais ils n’existent pas ! Je voudrais
savoir exactement ce que vous avez pratiqué avant de venir au
Sahaj Marg.
A. : Je vous le dirai une autre fois.
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P. R. : C’est inutile. Il n’est pas nécessaire de le savoir, je peux en


voir les résultats. Les gens s’imaginent pouvoir dissimuler, mais
les résultats sont tellement évidents, même pour vous. Lorsque
nous parlons d’abandon et de confession, nous le savons déjà ;
alors pourquoi se confesser ? Laissez sortir votre fardeau caché.
Si vous tentez de le dissimuler, vous vous sentirez coupable, alors
laissez sortir tout ça  ! C’est très facile, c’est pourquoi au Sahaj
Marg, on souligne tant l’aspect naturel du chemin. Dès lors, il n’y
a aucun rôle à jouer. C’est en cela que la méditation est une aide,
car vous vous situez de plus en plus dans votre soi et le contact
avec lui devient de plus en plus fort. Le problème de la vie est
ainsi réglé.
Si vous agissez et que votre cœur ne vous dit pas que c’est
bien, quoiqu’en puisse penser autrui, vous ne vous sentirez pas
heureux. De même, si vous agissez mal et que votre cœur ne
le reconnaît pas, la confession auprès d’un prêtre ne vous sera
d’aucune utilité. Ce sera une simple formalité, un rituel, sans
mouvement à partir du cœur. Observez un enfant qui vous tient
par la main. Tant qu’il pense que vous êtes sa mère, il est heureux.
Au moment où il se rend compte que vous n’êtes pas sa mère : il
se met à hurler. L’enfant fonctionne par le cœur.
Le Maître mène un train rapide, tant en conversation qu’en
vitesse de marche. Un certain rythme est sans doute nécessaire
à l’activation de nos neurones pour la leçon du jour ! Quelqu’un
d’autre lui parle du Maître à l’intérieur de nous-mêmes et de la
nécessité pour nous de garder le contact avec lui en permanence.
Le Maître approuve.
P. R. : Il doit tout le temps être là. Lorsque vous faites de la plongée
sous-marine, vous devez tout le temps garder vos lunettes ; vous ne
vous amusez pas à les enlever pour les remettre plus tard. De la même
façon, sa protection doit toujours être là. Mais lorsque nous pensons
être en sûreté, nous le supprimons, mentalement, et alors survient un
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incident. Imaginez qu’un bateau soit en train de couler. On colmate


la brèche. Si quelqu’un s’avise de dire : « Retirons le colmatage, il
n’est plus nécessaire. » Ce serait stupide car l’eau entrera à nouveau,
non ?
Vous devriez penser sans cesse à cette protection et pas
seulement lorsque vous êtes en danger : « Maître, aide-moi ! »
Pourquoi avons-nous cette attitude vis-à-vis du Maître  ? On le
prend, on le jette comme un vêtement  ! Pourquoi  ? Parce que
nous voulons être libres, de temps à autre, de faire ce qu’il nous
plaît. Nous voulons être seul, sans lui. Nous pensons qu’il est peu
de chose lorsque nous n’avons pas besoin de sa protection. De
toute manière, nous préférons l’ignorer et éloigner le vieil homme.
Plus tard, on se demande tout compte fait si la peccadille était
aussi insignifiante qu’on le supposait ! On croit saisir un serpent
inoffensif et soudain on se rend compte qu’il est venimeux ; que
faire alors ?
En Occident, une attitude déplorable consiste à penser que
toute expérience est bonne à faire. C’est stupide ! Pourquoi est-ce
nécessaire lorsque vous savez que c’est néfaste ? En Europe, la
circulation routière se fait à droite. Allez-vous essayer de rouler à
gauche ? Vous mourrez. Qu’aurez-vous gagné ? Il vous faut être
vivant pour apprendre. Les Anglais utilisent l’expression “strong
head”, une tête dure. Quelqu’un qui n’écoute rien ni personne, ni
même son Soi, est une tête de mule, expression appropriée car
elle montre que vous n’écoutez pas votre cœur, mais seulement
votre tête.
Un peu plus tard, le Maître tend une sucrerie à une abhyasi
qui se tient un peu à l’écart, sur la défensive. Elle lui demande :
A. : « Pourquoi me donnez-vous cela ? »
P. R.  : Je vous donne ce que j’aime. J’aime ce chocolat et je
vous le donne ! Pensez à un chien ; lorsqu’il vous aime beaucoup,
il va déterrer un os, sale, dégoûtant et puant, et le dépose à vos
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pieds en remuant la queue. Si vous sifflotez en ayant l’air de ne


pas le remarquer, il va le pousser un plus près de vous. Si vous
continuez à l’ignorer délibérément, il s’approche encore, aboie et
finit par le mettre sur vos genoux ! En Inde, lorsqu’on vous sert à
manger, on ne vous demande pas votre avis ; on vous apporte de
la nourriture encore et encore et vous mangez.
A. : En Occident, on vous demande sans cesse : « Voulez-vous
ceci, voulez-vous cela ? »
P. R.  : Et si quelqu’un dit oui, vous êtes ennuyé  ! Cela vous
rend hypocrite, car vous offrez quelque chose que vous ne voulez
pas donner. Vous avez aussi cette possibilité : six personnes sont
autour d’un repas, elles sont toutes servies et il reste un peu de
nourriture. Personne n’y touchera, ce sera plutôt jeté ! A moins
qu’un mal élevé de mon genre n’arrive et dise : « Personne n’en
veut, je le finis, nous ne devons pas gâcher ! »
A. : C’est devenu une question de politesse.
P. R. : La politesse doit également venir du cœur et non pas de
la tête. Si vous tombez et que je vous dise : « Paméla, puis-je vous
relever, me le permettez-vous ? » Vous direz à juste titre : « Il est
fou ! Je suis par terre et ce moins que rien me demande s’il peut
me relever ! » Vous ne demandez pas à la personne qui se noie la
permission de la sauver ! La politesse s’occupe de bêtises et non
pas de choses importantes.
Lorsqu’on travaille à partir du cœur, nous n’avons besoin ni
de coutumes, ni d’habitudes. Rien n’est nécessaire. On regarde
seulement les yeux, puis le cœur, puis les yeux ; qu’a-t-on à faire
de la politesse ?
Si j’arrive chez vous fatigué, affamé et que vous me demandiez :
« Chariji, voulez-vous un verre d’eau ? », c’est absurde ; si je suis
également insensé je vais répondre : « Non, plus tard peut-être. »
J’aurai de plus en plus faim et soif ! En Inde, on vous aurait déjà
servi au moins six verres d’eau !
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Soyez naturel, agissez avec le cœur. Quand le Christ dit


au paralytique : « Lève-toi et marche. », il ne lui demande pas sa
permission. Quand il dit à Paul et Pierre qui pêchent : « Laissez
cela et suivez-moi.  » Il ne leur demande pas leur permission.
“ Venez ! » leur a-t-il dit, ils sont venus et ne l’ont pas regretté.
C’est que le cœur, lorsqu’il est vivant, a ses propres lois. C’est
naturel, c’est humain. La politesse est bonne pour les sociétés
stupides. Lorsque les enfants jouent entre eux, il n’y a pas place
pour de telles bêtises. Ils sont naturels, heureux. Il n’y a rien
d’artificiel dans l’enfance, c’est pourquoi nous éprouvons une
telle nostalgie plus tard.
Dans le christianisme il est dit  : «  Soyez comme des petits
enfants. » C’est ce que nous devrions être ; tout adulte voudrait être
comme un enfant. Qu’est-ce qu’un enfant ? Un état d’innocence.
Il s’avance et vous dit  : «  Regarde-moi et admire-moi  !  » Mais
vous, vous craignez qu’autrui ne pense : « Quel imbécile ! » Soyez
naturel. Si vous aimez une pierre, regardez-la. Si on vous dit :
« Oh, pourquoi regardez-vous cette pierre ? », vous répondrez :
« Pour vous, c’est une pierre, mais pour moi c’est quelque chose
de fabuleux. » Nous voulons être des enfants, mais l’éducation,
la société, la culture font que nous pensons au regard des autres.
Pourquoi vous préoccuper de leur opinion ? Vous pouvez dire de
moi que je suis stupide, indien, et alors ? C’est pourquoi je suis
parfaitement naturel et que je me moque complètement de ce
que l’on pense de moi.
Il y a quarante ans, on m’avait appris qu’il ne fallait jamais rire
en public. Un jour, dans un restaurant, un très beau restaurant, où
l’on parlait à voix basse et où les serveurs marchaient à pas feutrés,
j’ai éclaté tout à coup d’un rire énorme. Tout le monde me regardait,
vous connaissez les Anglais. Habituellement, ils essaient de ne rien
laisser paraître et transportent des journaux pour se cacher derrière !
Qu’est-ce que je pouvais faire ? C’était comme un ballon qui aurait
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éclaté !
A. : Dans les églises, on n’est pas censé y rire non plus !
P. R.  : Le Christ voulait que les hommes soient heureux et
souriants. Lorsque nous agissons sans innocence, nous devenons
des robots. On regarde les singes car ils sont naturels  ; ils ne
s’occupent pas de vous. Si vous avez envie de vous gratter, vous
vous réfrénez car cela ne se fait pas en société. C’est ce qui nous
fascine chez les singes, ils se grattent alors que vous ne pouvez
pas le faire. Ils sont naturels !
C’est pour cette raison que je n’apprécie pas l’industrie
cosmétique. Une crème de protection, je veux bien ; mais quand
une femme de soixante-six ans se maquille et veut en paraître
vingt-quatre ! Dans un grand restaurant à la lueur des chandelles
et en bout de table, cela peut aller  ; mais plus près ... Brr  ! Je
préfère voir une horrible vieille femme qu’une femme fardée qui
a sans cesse son maquillage en tête, le mascara qui dégouline sur
le nez ! Cela me fait penser aux masques japonais. J’ai soixante
ans et je suis sûr qu’à soixante-dix ans, je serai toujours aussi
heureux et sans doute encore plus qu’à présent.
Cela dénote un manque du sens des valeurs. En tout on accorde
de la valeur à ce qui est ancien, aux céramiques, aux poteries
antiques, aux timbres, aux timbres rares, aux vins vieux. Nous
voulons de l’antique pour toutes choses, sauf pour l’être humain
que l’on veut toujours jeune ! C’est fou ! De temps à autre, j’aime
à porter un costume, mais je me sens aussi bien si je n’en mets
pas. C’est un plaisir simple, sans que la culpabilité s’en mêle.
Je ne porte pas de bijoux, sauf la bague de mon Maître. Je n’en
avais jamais porté avant l’an dernier et l’on m’a fait remarquer :
« Vous essayez de devenir jeune tout à coup ? » J’ai répondu :
« Lorsqu’on est jeune, il n’est pas nécessaire de le devenir ; seuls
les vieux peuvent devenir jeunes ! » Et les gens se sont tus, ne
sachant plus quoi dire ! Acceptez et les arguments tombent ! Les
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Anglais appellent cela : aller dans le sens du vent.


A. : C’est pour cela que Babuji n’encourageait pas l’argumentation ?
P. R. : Oui, car les arguments n’en finissent jamais, en même
temps que votre ego et votre orgueil tendent à entrer en jeu. Pour
finir, ce n’est plus tellement de l’argumentation. Vous en venez
à vouloir vaincre, vous vous mettez en colère et vous perdez un
ami. Vous ne perdez pas l’argumentation, vous perdez un ami !
Il vaut mieux capituler et garder l’ami. Les Anglais disent qu’il
vaut mieux perdre une bataille et gagner la guerre. Vous devez
être stratège. Des hommes tels que Napoléon et Hitler ont été
trop loin ; ils ont tout perdu. Trop arrogants et orgueilleux, ils ont
commencé à se prendre pour Dieu.
Soudain, nous nous retrouvons devant la porte du Gayathri
et le Maître nous congédie gentiment :
P. R. : Ce fut une bonne marche ! Une heure ! Merci de m’avoir
accompagné.
Mais nous avons du mal à nous en aller et le Maître accepte
que nous restions encore un moment auprès de lui. Un abhyasi
qui semble avoir des idées précises quant à l’attitude appropriée
d’un chercheur de vérité et de ses observances, interroge le
Maître.
A. : Pourquoi votre femme regarde-t-elle la télévision ?
P. R.  : Pourquoi pas  ? Voilà un autre type de problème  !
Certaines personnes ont des idées figées, sans souplesse. J’aime
lire, ma femme aime la télévision, mon fils Krishna aime aller
se promener, qu’y faire  ? Vous, vous avez bien une barbe et je
n’aime pas les barbes ! Touché !
A. : Mais ma barbe est naturelle.
P. R. : Alors pourquoi ne la laissez-vous pas pousser davantage,
comme nos rishis  ? Si c’est naturel, vous devriez la laisser se
développer. Certains de nos soi-disant sannyasis ont des cheveux
de six mètres de long enroulés sur leur tête et vous pouvez les
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voir se rendre ainsi à Katmandou, à Bénarès ou ailleurs. Il y a


aussi les Chinois ; les mandarins revêtaient leurs ongles de longs
étuis d’or ...
Puis le Maître est sollicité pour donner son programme des
mois à venir. Tout en répondant, il se préoccupe de son courrier
pour les Européens et de la venue proche d’une préceptrice
allemande.
P. R. : G. s’en va demain ? J’ai quelques lettres à vous confier.
Merci d’avance. Quand L. arrive-t-elle ? J’ai décidé de beaucoup
voyager cette année. Je partirai pour la France en mai et ne
rentrerai chez moi qu’en novembre ou la première semaine de
décembre. Je me rendrai en Europe, aux USA et à Madagascar.
Je crois qu’il est nécessaire que j’aille à Madagascar.
Puis après une discussion à propos des dates de sa venue
en Europe, nous prenons congé. Une magnifique journée se
terminait, d’autres se préparaient.

Mercredi 24 février 1988

La Réalite par l’expérience


Un matin, en arrivant au hall de méditation, nous nous
asseyons quelques instants avant le satsangh autour du Maître.
Je lui dis que la veille, nous étions quelques abhyasis à avoir dîné
au restaurant avec notre frère Kanan de Madras et que celui-ci
nous avait régalé d’anecdotes à propos de son Maître Babuji et
de lui-même. Il me répond : « Je ne suis pas né pour jouir de la
vie.  » Rappel à l’ordre courtois de notre devoir, ou poignante
vérité derrière laquelle toute la souffrance d’un maître se laisse
entrevoir, ou les deux, quoi qu’il en soit je n’oublierai jamais
cette réponse. Après le satsangh de 9 heures, le Maître parle de
la Réalité.
P. R.  : Ce n’est que par l’expérience que l’on peut connaître
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la Réalité. En science, Einstein a procédé de la même manière.


La connaissance ne peut pas nous donner la Réalité. Les
Allemands sont rationnels, ils veulent apprendre d’abord, savoir
intellectuellement, même quand il s’agit de musique. Les Slaves
sont davantage sur le cœur.
A.  : Quand j’ai commencé à méditer, c’était dans la tête  ; à
présent c’est le cœur, mais ça fait un peu mal.
P. R.  : Oui, c’est ça le véritable amour, un peu de douleur
doit être ressenti dans le cœur  ; cela doit venir. D’abord il y a
l’intelligence, ensuite il y a la compréhension correcte (montrant
le cœur), après cela devient de l’amour et quand l’amour vient,
il y a quelques manifestations au niveau du cœur. Puis il y a
l’abandon et la fusion avec le Bien-Aimé, ce qu’on appelle laya
avec le Maître.
Alors vous voyez, vous en êtes à la toute première étape.
Lorsqu’un homme gravit une échelle, il ne peut pas passer
directement du premier au dernier barreau. Il lui faut grimper
les barreaux intermédiaires. Pour les Allemands c’est toujours
difficile. Ils ont deux difficultés, l’intellect et la discipline. Nous
avons besoin de discipline, mais pas à la manière germanique. La
discipline doit être intérieure et avoir lieu seulement quand elle
est nécessaire. Elle n’est pas souhaitable en tout.
Pour une préparation homéopathique, le dosage doit être
exact, 2 mg de ceci, 2 mg de cela, mais pour cuire des pommes
de terre il n’est pas indispensable. Si on prend un livre de cuisine
en suivant la recette, on a des chances de manger des pommes
de terre crues  ! Il faut mieux goûter  : «  Oui, c’est cuit  !  » Les
Allemands doivent comprendre que la discipline doit découler
de l’amour et que l’amour doit inclure la discipline. Je pense que
dans le Sahaj Marg nous avons cette fusion réelle. Les abhyasis
doivent avoir de la discipline et le Maître de l’amour. (Geste
des deux mains qui se rapprochent l’une de l’autre selon une
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verticale.) Alors, par la discipline on commence à aimer le Maître


et avec cet amour il commence à discipliner les abhyasis. Il y a
un équilibre parfait entre l’amour et la discipline  ; on ne peut
pas avoir l’un sans l’autre, il n’y a pas d’alternative. La difficulté
de ce tempérament discipliné qui est le vôtre – les Allemands –
c’est que vous en devenez fiers. Par exemple, lorsque je vais en
Allemagne, il y a de jolies rues, mais quand je suis assis dans une
voiture toutes vitres fermées et que je regarde les champs, cela me
fait penser à une photo dans un livre ; quelque part ce n’est pas
réel, c’est trop exact. Toute l’herbe est coupée au même niveau,
même les oiseaux ont l’air d’avoir été posés là artificiellement !
En Inde, nous avons aussi beaucoup de difficultés avec notre
soi-disant amour envers Dieu. Les Indiens pensent qu’ils n’ont
qu’à s’asseoir, se relaxer et penser que Dieu fera tout. C’est fou !
La vie est la synthèse de nos efforts et de la grâce de Dieu. Sans
l’un ou l’autre, cela ne marche pas. Une machine parfaite a
besoin d’électricité, aussi nous devons devenir parfaits et la grâce
viendra. Si vous ne faites que rester assis, rien ne se fera. En Inde,
cela n’a pas été compris correctement, c’est pour cela qu’il y a le
karma-yoga, le jnana-yoga et le bhakti-yoga en philosophie, de
façon séparée.
Au Sahaj Marg, nous méditons, nous faisons quelque chose, et
puis la grâce survient quelque peu. Les trois yogas y sont réunis
et c’est pour cela qu’il a tant de succès. Il vous fait agir pour votre
bien, il vous fait réaliser que votre croissance n’est pas suffisante
et donne la bonne direction à votre intellect. En même temps il
vous avertit de vous méfier de votre intellect, clame qu’il y a Dieu
mais que même Dieu ne peut vous prodiguer sans votre action
et votre coopération. L’alliance du devoir, de la connaissance
(knowledge) et de l’amour, n’existe qu’au Sahaj Marg.
Prenez l’exemple des sannyasis. Quand ils deviennent
sannyasis, un peu d’amour les quitte, car Lalaji a soutenu que
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sans l’existence familiale on ne peut apprendre l’amour. C’est


pourquoi le Sahaj Marg est parfait et garantit les résultats.
Mais il y a des abhyasis qui pratiquent depuis vingt ans, très
régulièrement, et qui ne progressent pas. Pourquoi ? Parce que
je pratique, je progresse, je médite ; l’amour pour le Maître ne
se développe pas et l’égoïsme associé à une pratique spirituelle
donne les souffrances chrétiennes, surtout dans les églises, où
l’on essaie de détruire l’ego. Mais l’ego croît ; au moment où vous
pensez que l’ego s’en va, il reste là. Donc les gens parfaits dans
leurs abhyas ne progressent pas vraiment.
Prenez l’exemple d’Arjuna. C’est un guerrier, il n’est ni
intellectuel, ni cultivé, mais il réalise l’alliance du guerrier
accompli et du dévot. Homme ordinaire, parfaitement
équilibré, il a ce que ne possèdent même pas les plus grands des
rishis : l’amour pour Krishna. Il a voyagé, s’est marié partout où
il est passé, mais avec l’amour de Krishna il est devenu comme
une pêche fondante. Tel est le secret ; nous devons être comme
Arjuna, travailler, comprendre suffisamment, complètement
dévoué au travail et à Dieu.
Le problème dans ce monde, c’est que l’on n’est parfait que
dans une seule voie : ou on fait de l’argent, ou ne pense qu’à Dieu.
On doit équilibrer sa vie, accomplir ce que l’on a à accomplir.
Babuji disait : « Les gens veulent faire ce qu’ils aiment, mais le
sage aime ce qu’il a à faire. » A mon sens, la satisfaction consiste
à être content de ce que l’on a et à faire ce que l’on doit faire.
Même en ce qui concerne la nourriture, si vous aimez ce que vous
mangez, c’est mieux que de manger ce que vous aimez. Si vous
prétendez n’aimer que les gâteaux au chocolat et qu’il n’y en ait
pas, vous serez malheureux  ! Mais si j’aime ce qui est préparé
devant moi ou toute situation qui se présente ... Nous devons
aimer et apprécier notre existence.
En Inde, nous devons changer. Nos trains, nos bus doivent
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s’améliorer. Toute cette idée de karma nous rend faibles et


impotents. En Occident, la conquête de l’Everest, du Mont-
Blanc, de Jupiter, de Saturne, de la lune et de je ne sais quoi
encore, montre que nous n’avons pas besoin de Dieu. D’un côté il
y a seulement Dieu et pas l’homme, et de l’autre il y a seulement
l’homme et pas Dieu. Ce n’est pas une question de nationalité,
d’Allemands ou de Belges, etc. Je crois que c’est pour cela que le
Maître a fait de ce système un système universel, car nous avons
besoin de tous les génies, de toutes les races, en mettant de côté
toutes les stupidités et les folies pour faire un homme parfaitement
équilibré qui ne sera ni un Teuton, ni un Indien, mais un être
humain. Un être humain qui n’est pas un intellectuel, mais qui
comprend suffisamment, qui a un cœur capable d’amour et un
ego capable de se rendre à lui-même.
Je pense que c’est le but du Sahaj Marg, produire une nouvelle
race, des êtres humains, ni indiens, ni allemands, qui par leur
amour, leur capacité à travailler deviendront de plus en plus
parfaits.
C’est un aspect majeur de l’enseignement du Sahaj Marg : la
pratique de la méthode nous conduit à l’expérimentation, puis
par conséquent, à la connaissance. L’affirmation intellectuelle
sans l’expérience intérieure qui s’y rattache n’est qu’une
attitude mentale, elle n’a pas de réalité vécue, elle n’est pas une
«  réalisation.  » Des générations de chercheurs en spiritualité
ont “pensé” être Dieu, en affirmant : « Je suis Brahman. » Ce
n’est qu’une attitude intellectuelle.
C’est pourquoi le Maître nous demande souvent  : «  Comment
était la méditation ? » Par cette simple question, il sollicite notre
sensibilité ou “sensitivité”, c’est à dire la perception intérieure à
laquelle se soumet le mental qui ne sert alors qu’à la faire connaître.
D’une pierre nous faisons deux coups : nous exprimons l’expérience
vécue au cours de la méditation, quelle qu’elle soit, et nous
Retour →sommaire des mots et merveilles 50

apprenons à reconnaître le travail du Maître.


Toute méditation est miraculeuse nous dit-il, en ce sens qu’elle
nous transforme, nous renforce et efface de nombreuses traces
du passé. Nous pouvons ensuite devenir de bons outils de travail
à notre tour.
Après cet entretien, un abhyasi des USA apporte les cartes et
les plans du terrain pour le futur ashram aux environs d’Atlanta,
en Géorgie, aux Etats-Unis d’Amérique. Le Maître est très
heureux, il examine les documents avec beaucoup de soin, puis
nous dit : « This ashram will be for ever ! » « Cet ashram sera
à jamais.  » Ensuite il s’enquiert en détails des inscriptions au
futur séminaire de trois mois en France, aux Courmettes, prés
de Vence et nous avertit : « Chaque jour j’aimerais apprendre
le français une heure, ainsi que l’allemand et travailler deux
heures sur un ordinateur, et je ne parlerai pas plus qu’ici ! »

Jeudi 25 février 1988

Que savons-nous de la mort ?


Le matin suivant, jour de notre départ, un infirmier demande
au Maître quelle devrait être le comportement juste du personnel
soignant vis-à-vis des malades en fin de vie.
A. : Que faire pour les mourants ?
P. R.  : Vous voulez aider les personnes à mourir, mais il
n’existe pas de chose telle que la mort ! Quelqu’un peut sembler
mort selon les critères médicaux, mais ne pas l’être. De même, le
corps peut sembler vivant alors que l’âme est déjà partie ! L’âme
souhaite toujours retourner à sa maison originelle. Supposez que
votre mari parte au travail et qu’en fin de journée, lorsqu’il veut
rentrer chez lui, vous lui disiez : « Non, non, reste à ton travail ! »
Cela n’aurait pas de sens !
Redonnez aux personnes une vie naturelle et leur mort sera
Retour →sommaire des mots et merveilles 51

naturelle. Si on aime la vie, on ne craint pas la mort. En Occident,


s’il fait frais dehors, vous mettez un pull ; lorsque vous rentrez,
vous l’ôtez. Lorsque vous mourez, c’est du même ordre  : vous
conservez le corps un jour ou deux, puis vous l’enterrez. Ce qu’il
faut aimer, c’est la personne à l’intérieur.
Certains aspects de la psychologie et de la psychanalyse à
l’occidentale sont fortement remis en question par le Maître
qui n’hésite pas à dire, par exemple, que « Freud a enfanté un
monstre ... »
P. R.  : Je n’ai jamais pu comprendre comment un patient
pouvait se remettre entre les mains de quelqu’un qui se fait lui-
même soigner !
Cela me rappelle l’histoire d’Akbar le grand et du saint. Celui-
ci vient un jour demander audience à l’empereur. On lui fait
savoir qu’Akbar est très occupé et qu’il doit attendre. Après un
long moment, il se faufile dans le palais et aperçoit l’empereur
en prières, mendiant toujours plus de pouvoirs, toujours plus de
richesses. Il tourne les talons lorsque l’empereur lui demande :
« Attend ! que voulais-tu ? » Le saint se retourne et lui dit : « Je
pensais venir te demander un secours pour les pauvres, mais
comme je vois que tu pries pour toi-même, alors je m’adresserai
directement à celui que tu pries ! »
Les médecins ont un rôle important et doivent parler de
méditation et de spiritualité à leurs patients. Que savons-nous de
la souffrance d’un malade ? Vous ne savez pas ce qu’éprouve un
mouton que l’on égorge et vous ne le saurez pas davantage si on
vous coupe la tête ! Que savons-nous de la peur de mourir ? L’âme
est toujours heureuse de retourner chez elle. C’est le moment de
rentrer chez soi, c’est tout. Quand on se marie, c’est comme boire
une bouteille de vin : on se préoccupe de qu’il y a à l’intérieur, pas
de l’aspect de la bouteille.
A.  : Comment faire lorsque les pensées tourbillonnent dans la
Retour →sommaire des mots et merveilles 52

tête ?
P. R. : (Le Maître trace un cercle imaginaire en l’air.) Coupez-
les, où vous voulez !
A. : Mais comment ?
P. R. : En pensant, en ramenant votre pensée sur le Maître, à
chaque fois. En fait vous avez une attirance envers ces pensées,
de l’attachement ...
Le moment du départ arrive. Le Maître s’occupe de nous
procurer un rickshaw pour nous conduire à l’aéroport et nous
accompagne jusqu’à la porte. Une abhyasi s’étonne de l’absence
de toute émotion de ma part et me taquine : « Quoi ! pas même
une petite larme ? » Le Maître lui répond : « Cela ne doit pas
être. » Je me sens heureuse, et c’est dans la joie que s’effectue le
retour, du moins cette fois-là ! A présent les semences pouvaient
croître. Il nous appartenait d’entretenir le jardin dans la
vigilance, dans le souvenir du Maître-jardinier et dans l’attente
du prochain élagage pour la mise à fruit. Le séminaire des
Courmettes en France durera trois mois, l’éclosion de l’avenir
spirituel de l’Occident s’y dessinera.
Retour →sommaire des mots et merveilles 53

Domaine des Courmettes


(mai à août 1988)

Samedi 28 mai 1988

Le début est la fin


Dès son arrivée à l’aéroport de Nice à 10 h 25 en provenance
de Paris, le Maître se rend aux Courmettes avec les deux abhyasis
indiens qui l’accompagnent et les abhyasis venus l’accueillir. Il
conduit un premier satsangh à 18 h 30 à la suite duquel il nous
invite à prendre soin de nos journaux personnels et d’y noter nos
problèmes spirituels, les changements intervenus. Il demande
aux précepteurs un compte rendu de leur travail et des difficultés
spirituelles des abhyasis, déclare qu’il est disponible à tout
moment et ne souhaite pas être confiné dans son appartement
au premier étage. Il ajoute qu’il prendrait volontiers des cours de
français et d’allemand. Je propose mes services pour le français
et le Maître me donne rendez-vous dès le lendemain matin 9
heures pour le premier cours. Le tempo est donné dès le départ !
Après le dîner, Patrick l’entretient des affaires de la Mission
en France, puis il se promène un court moment autour des
bâtiments avant de s’installer sur sa terrasse, tous les abhyasis
autour de lui.
Le recueillement et l’intensité du moment s’expriment à
Retour →sommaire des mots et merveilles 54

travers une remarque de Fausto qui évoque la douceur qu’il


conviendrait d’avoir dans notre attitude. Le Maître lui répond :
P. R. : Oui ! Notre attitude doit être celle de l’eau qui s’écoule
toujours plus bas, mais qui peut venir à bout de rochers. Il est
difficile pour nous d’être ainsi. La rivière s’écoule finalement dans
l’océan, alors que la tendance égoïste humaine est d’aller vers
le haut. Tout notre travail consiste à arriver au Maître,
ensuite c’est lui qui s’occupe du reste.
Lorsque vous êtes en bateau, vous pensez au bateau, alors que
c’est le fleuve qui vous fait naviguer. Notre corps est le bateau,
l’âme est ce qui le conduit et le Maître est le fleuve. Même si on
tombe à l’eau, ce n’est pas grave ! La coopération, c’est laisser
faire le Maître.
Dans le domaine matériel, on peut tout planifier, mais dans
le domaine spirituel on ne le peut pas. Les machines sont sans
amour, alors que c’est l’amour qui amène la coopération, ce qui
est impossible dans le cas de machines. Un enfant acceptera de
sa mère les bonbons ou les réprimandes, alors faisons de même
avec le Maître.
La volonté vient toujours du cœur, c’est le cœur qui donne
la force, tout comme une loupe focalise la puissance du rayon
lumineux. Seul l’amour de l’abhyasi peut lier le Maître ; le mental,
lui, sert à reconnaître que le cœur donne la puissance.
On doit focaliser tous nos sens, parler du Maître, regarder le
Maître, de façon à ne pas se disperser. Les quatre pattes d’une
vache ou les six wagons qui composent un train ne peuvent pas
aller chacun dans une direction différente  ! En Inde on peut
observer cette situation dramatique : un voyageur n’a pas de billet,
le contrôleur arrive et veut le faire sortir, mais il s’accroche, crie
et réussit parfois à ne pas descendre du train avant la destination.
Ici, en Occident, le voyageur a son billet mais il quitte le train !
Ce qui veut dire que même sans mérite, si on s’agrippe au Maître,
Retour →sommaire des mots et merveilles 55

on peut aboutir. L’indignité peut être transcendée par


l’amour.
C’est l’histoire de cet amoureux dont la bien-aimée est partie
quelques jours loin de lui. Il se languit d’elle et n’y tenant plus, il
brave la tempête qui fait rage et part la rejoindre. Au bord d’une
rivière en crue, il voit un tronc d’arbre qu’il chevauche pour
traverser la rivière. Arrivé à la maison de sa bien-aimée, il voit une
corde pendre à sa fenêtre, y grimpe et la rejoint. Etonnée de le voir,
elle lui demande comment il a fait pour venir si vite. Il lui répond :
« Le tronc d’arbre au bord de la rivière m’a amené à l’autre rive et
la corde que tu as laissé pendre à ta fenêtre m’a permis de grimper
jusqu’à toi ! » L’aimée lui répond : « Mais non, je n’ai rien laissé ! »
Ils vont voir de près le bord de la rivière et la corde et elle lui dit :
« Ce que tu as pris pour un tronc d’arbre est un cadavre qui flotte,
et la corde est un serpent. Si tu avais autant d’amour pour Dieu
que pour moi, ce qui t’a fait prendre un cadavre pour un arbre
mort et un serpent pour une corde, que ne réaliserais-tu ! » On
dit alors que les yeux de l’amoureux se dessillèrent et s’ouvrirent
à la vérité.
Dès ce premier entretien, le Maître introduit la pensée-
semence de l’enseignement de son Maître : l’amour et l’abandon
pour le Maître sont les clés de la transformation et de la réussite
spirituelle. Il nous révèle ainsi que le début est aussi la fin et
que le premier enseignement est l’accomplissement de son
enseignement.
Retour →sommaire des mots et merveilles 56

Premiers pas

Au Sahaj Marg, tout se passe d’une façon inverse de celle à


laquelle nous sommes habitués dans la vie de tous les jours. Par
exemple, nous pensons accueillir le Maître quand il vient nous
voir, alors qu’il est toujours l’hôte et que nous sommes toujours
ses invités  ; nous pensons travailler pour lui, alors qu’il nous
permet de nous rendre disponibles, donc disposés et réceptifs
à son aide directe. Qu’il s’agisse d’organiser, de répartir les
tâches du séminaire, de tout autre occupation ou bien de faire
simplement et sincèrement sa pratique spirituelle, chacun est
en action et permet au Maître de faire son travail et de faire
avancer la Mission en Europe, à travers ses abhyasis et ses
structures.
C’est ainsi que les leçons de français s’avérèrent d’excellentes
leçons ... pour moi ! Chaque jour je composais la leçon du lendemain
à l’aide d’un professeur de français, mais à chaque cours j’avais
la pénible impression que le Maître comprenait plus vite que ce
que je pouvais lui apprendre et qu’il me dévoilait le manque de
réflexion et la préparation insuffisante de mon travail. L’exquise
courtoisie dont il faisait preuve, sa bienveillance amusée et le
désir que j’avais d’être près de lui m’aidèrent à surmonter ce
sentiment d’incompétence et d’inconfort.
Le discours du jour précédent sur la coopération s’incarnait
dans ma vie, bien que j’en sois totalement inconsciente alors. Je
mis du temps à réaliser que c’est lui qui nous apporte tout, pourvu
que nous y soyons ouvert et que nous saisissions l’opportunité
Retour →sommaire des mots et merveilles 57

qu’il nous offre.


Durant le mois de juin, le Maître restera aux Courmettes
sans sortir une seule fois. Outre les deux ou trois méditations
journalières qu’il conduit, il est à notre disposition continuelle.
Il reçoit les abhyasis en privé, ou en groupes, donne des sittings
individuels, prépare des précepteurs et parle très souvent.
Pendant la deuxième partie de son séjour, outre ces activités,
le Maître rend visite aux différents centres de la Mission dans le
sud de la France, tient des conférences dans ses principales villes,
toutes ouvertes au public, à Toulon, Nice, Cannes, Montpellier,
Turin en Italie, Hyères, Aix en Provence, pour terminer par
deux discours aux Courmettes.
Il invite les précepteurs à participer à un séminaire
international de huit jours en juillet qui sera un moment
fort de ce séjour. Il forme de nouveaux précepteurs pour
différents pays  ; la Mission d’Afrique du Sud en particulier
bénéficie d’un nouveau démarrage et de la nomination
de plusieurs précepteurs.

Samedi 28 mai 1988 (soir)

Un ashram, pourquoi faire ?


Dès le tout début du séminaire, le futur ashram d’Augerans
est le sujet brûlant. En 1986, la possibilité d’avoir un ashram
en France, s’était présentée. Malgré l’encouragement personnel
du Maître lors du séminaire de Lebanon, dans le New Jersey
et le soutien de quelques abhyasis, les mentalités n’étaient pas
prêtes et cette opportunité fut perdue. Depuis, les cœurs avaient
mûris et un comité pour la recherche d’un ashram en Europe
s’était constitué, dont les membres travaillaient en liaison avec
les abhyasis. Ce comité avait proposé au Maître la visite du
château d’Augerans, dans le Jura, dès son arrivée en France.
Retour →sommaire des mots et merveilles 58

Le Maître s’y était rendu et avait déclaré : « Yes, yes, yes ! C’est
un endroit où je vois beaucoup d’âmes se libérer. A cet endroit,
c’est la réalisation sans la mort, car il n’y aura aucun arbre à
couper. Babuji avait refusé de couper un arbre avant la récolte
à Shahjahanpur ! »
Depuis, aux Courmettes, les responsables du comité pèsent
une décision, essayant de concilier les arguments matériels
avec les principes d’ouverture spirituelle, ce qui ne va pas sans
difficulté !
Le Maître répond alors à quelques interrogations et tente de
nous éclairer à partir du point de vue de son Maître.
P. R.  : Je voudrais parler du travail spirituel tel que mon
Maître l’a exprimé. Au niveau matériel, on traite le travail comme
quelque chose qui peut être achevé, mais en spiritualité que le
travail soit achevé ou non, ce n’est pas important, cependant
il doit aller vers une croissance. Ici, en Occident on attend une
finalité dans chaque travail, mais en spiritualité il y a des étapes
dans l’évolution. Le dernier repas est avant la mort, mais tant
que nous sommes vivants chaque repas nous aide à grandir. Ici,
ce point de vue spirituel est mal compris, il est vu comme quelque
chose d’inefficace. J’avais ce même problème avec Babuji, il disait
oui à presque toute proposition et j’en étais choqué. Babuji disait :
« Je leur permets de travailler, car c’est seulement en travaillant
qu’ils avancent. »
Tel est l’esprit d’évolution dans le domaine spirituel  : un
ashram n’est pas tant un lieu de confort ou d’inconfort qu’un lieu
d’apprentissage pour les personnes qui l’occupent. En Occident
on dit oui ou non, mais en spiritualité c’est différent, on travaille
avec des chocs qui font partie de l’évolution et non pas avec des
prestations fixes. Il en est de même pour la musique. En Europe
on s’applique aux gammes, en Inde on improvise.
Comment choisir  ? On ne saura jamais si c’est le meilleur
Retour →sommaire des mots et merveilles 59

ashram. Le meilleur est un idéal 5. Même avec le meilleur


instrument on ne peut faire un cercle parfait. Le monde occidental
veut concrétiser, ici et maintenant, mais il est difficile de
comprendre qu’il faut réconcilier deux choses irréconciliables  :
la décision spirituelle et la non-décision matérielle ! Aujourd’hui
on peut seulement dire : « Oui. » Les vêtements d’un enfant de
six mois ne lui iront pas à l’âge de deux ans. C’est un problème
difficile, je crois que c’est pour cela que le serpent change de peau
en grandissant, c’est seulement de la croissance. Il est difficile de
prendre une solution permanente pour aujourd’hui  ; ce qui va
pour aujourd’hui peut ne pas aller demain.
Cela m’est arrivé à Shahjahanpur, où l’ashram avait l’air
si grand, six cents mètres carrés  ! On y a dépensé beaucoup
d’argent. J’ai demandé à Babuji  : «  Pourquoi  ?  » Mais le jour
de l’inauguration, c’était plein à craquer, on ne pouvait bouger
un petit doigt et les gens ont demandé pourquoi ne pas avoir
construit plus grand ! Et je me suis fait taper sur les doigts. Rien
ne peut réussir dans ce sens. Comment planifier par rapport à
ce genre d’évolution  ? En 1972 il y avait trente membres de la
Shri Ram Chandra Mission en France, en 1982 il y en avait deux
cents et maintenant le nombre croît très vite ! Il est possible qu’il
double d’ici qu’on aille à Augerans. C’est comme Heisenberg et
son principe d’incertitude.
Seulement, aujourd’hui, on parle en terme de prix : c’est trop
cher. Faisons un compromis. C’est cela qu’on doit comprendre,
faire un compromis entre l’esthétique et le pratique, entre le
coût et l’utilisation. Si cette Mission ne grandit pas, on peut alors
chercher l’ashram parfait pour dans deux ans. C’est pourquoi

5 NDT : Voir Platon.


Retour →sommaire des mots et merveilles 60

entre l’âge de trois ans et l’âge de dix-neuf ans, on achète tant


de vêtements différents. Après quarante ans, on change peu de
vêtements. On peut en conclure, selon la philosophie du Sahaj
Marg, qu’à chaque fois que vous n’avez pas à changer de décision,
vous pouvez être sûrs que votre évolution s’est arrêtée  ! A un
niveau où vous ne changez plus, on arrive à un arrêt. Alors, que
voulez-vous ? Fixer une décision ou évoluer ? »
Patrick Fleury lui demande alors si on peut associer les deux
niveaux, le niveau matériel et le niveau spirituel.
P. R.  : On doit les associer  ! Un jour que Babuji m’a donné
un sitting, je me suis dilaté en une forme cosmique et juste en
dessous, il y avait un petit objet, c’était mon corps, comme un
cheveu à côté de mon véritable moi. C’est pareil ici  ; au début
on est suffisamment grand pour être dans l’ashram, et quand
nous évoluerons l’ashram deviendra une partie de nous-mêmes.
C’est pour cela qu’une organisation est nécessaire. J’ai besoin de
mon intelligence jusqu’à ce que je n’en aie plus besoin. De même
pour le corps, qui est une organisation. Toutes ces choses seront
dépassées par la philosophie, mais quand on arrivera à un certain
point d’évolution.
Les idées évoluent et deviennent des actions. Ainsi, il ne
peut pas y avoir de changement matériel avant qu’il n’y ait
eu de changement spirituel. Tout ce qui arrive ici, passe
d’abord par le brahmanda-mandal. De même pas mal de
choses se sont passées là-bas qui ne se passeront pas ici, car les
circonstances ont changé. Sinon, en fixant les choses on arrive à
une pétrification.
Babuji était très préoccupé lorsqu’il avait à prendre des
décisions matérielles, car il devait attraper quelque chose de fixe,
tout en ayant la vitesse de l’infini ! C’est difficile, et c’est pour cela
qu’une personne spirituelle doit laisser les choses matérielles à
quelqu’un de matériel. »
Retour →sommaire des mots et merveilles 61

A. : « On a besoin de votre vision, et on attrapera ! »


P. R. : Babuji disait : « Décidez, et je m’arrangerai pour
que cette décision soit juste ! »

Mardi 31 mai 1988

Prière et prières
Presque chaque jour, le Maître fait une promenade dans
la campagne environnante ou s’assoit sous un des grands
marronniers du parc. Les abhyasis viennent alors autour
de lui et c’est l’occasion de bénéficier de sa présence et de son
enseignement.
Ce dernier jour de mai, sur la pelouse, la question d’une
abhyasi rejoint la réflexion que Swami-Vivekananda avait eue à
propos des Occidentaux presqu’un siècle auparavant. Lorsqu’il
vint aux Etats-Unis d’Amérique et en Europe, le swami avait
remarqué la préoccupation constante des gens de l’Occident
pour le bien de l’humanité en multipliant les œuvres de charité,
notamment pour les malades et les mourants. En revanche,
l’oriental considère qu’il est de son premier devoir de s’occuper
de son élévation spirituelle. C’est par une question de ce type que
débute l’entretien de ce jour.
A. : Je fais partie d’un groupe de prière pour les malades, dois-
je continuer ?
P. R. : La prière du soir est une prière universelle. Nous devrions
prier, mais pas seulement pour les malades. Pourquoi cette distinction
entre malades et bien-portants ? Avoir une bonne santé ou être riche
peut nous donner des occasions d’agir de travers ! Reportez-vous aux
dix maximes. La prière de 9 h est une prière générale afin que tous les
humains du monde bénéficient de la grâce spirituelle et deviennent
des frères. S’il y a maladie, cela tient aux samskaras individuels et
il y a du bon quand les gens sont malades, car cela les enseigne. Les
Retour →sommaire des mots et merveilles 62

médecins sont là pour les aider, pourquoi devriez-vous prier pour


eux ?
Il vaut mieux progresser soi-même d’abord  ; ensuite vous
pourrez réellement aider les autres. J’ai une théorie, cela m’est
personnel, ce n’est pas du Sahaj Marg  : nous prions pour les
autres lorsque nous nous sentons coupables par rapport à nous-
mêmes. Bien sûr, cela ne s’applique pas au Maître, à Dieu, ou à
des saints, car ils prient avec un cœur ouvert, par compassion,
mais les humains prient car ils ont besoin de la prière des autres
pour eux. C’est mon impression, mon observation. Je ne veux pas
dire que nous ne devrions pas prier, mais ...
Voyez-vous, mon Maître priait parfois et sa prière
était entendue. Mais nous, qu’avons-nous dans notre cœur qui
fasse que notre prière puisse être d’une telle qualité qu’elle soit
également entendue ? Les êtres humains ordinaires n’ont rien de
tel. C’est difficile à accepter, car notre ego est blessé, mais très
peu de gens peuvent vraiment prier de façon telle que la prière
ait une réponse. Sinon, imaginez tous les prêtres, les temples,
les églises, les bouddhistes, les musulmans, tout le monde prie !
Quel en est l’effet ? Je préfère que nos abhyasis se développent
spirituellement de façon à aider directement les autres êtres
humains. Ils pourront alors prier et leur prière pourra être
exaucée.
J’ai souvent raconté l’histoire suivante : en 1972, quand Babuji
vint en Europe pour la première fois, il avait demandé à tous les
abhyasis de prier pour son travail, pour sa santé, pour la Mission.
Lorsque nous y sommes revenus en 1976, quelques personnes
lui ont dit : « Oh, nous prions pour vous. » Babuji a sourit, puis
en privé il m’a dit  : «  Beaucoup de gens disent qu’ils prient,
mais jusqu’à présent je n’ai encore reçu la prière de personne. »
Pourtant il avait donné le devoir spécifique de prier pour lui à
deux personnes élevées de la Mission. Quelle sorte de prière est-
Retour →sommaire des mots et merveilles 63

ce là ?
Alors soyons humbles. Après tout, nous disons que Dieu est
amour, miséricorde et compassion. Ne sait-il pas ce qu’il a à
faire pour nous ? Pourquoi devrions-nous le prier ? J’ai toujours
pensé qu’il est arrogant et déplacé de prier, car nous essayons
de rappeler à Dieu ce qu’il sait déjà  ! Mais quand il y a un tel
flot d’amour dans le cœur qu’il s’écoule spontanément en prière,
alors prier devient un devoir. Toutes ces prières organisées ... la
main dans la main avec des alléluia, c’est une perte de temps, et
juste bon pour ramasser de l’argent !
Même pour prier, un certain développement est
nécessaire. Vous connaissez le vieux poème que j’ai lu au sujet
de la prière. Un homme est agenouillé dans une église et prie.
Tout à coup une pensée lui vient : « Mes mots s’envolent mais ma
pensée reste en bas, et les mots sans pensée au ciel n’iront pas. »
C’est ainsi que nous pensons toujours à nous, même en priant :
« Oh ! Master s’il vous plaît aidez Sylvie afin que mon cœur ne
lâche pas demain, parce que je l’aide, ou faites que Jacqueline
se rappelle aussi que j’ai faim. » On prie pour les autres afin de
recevoir de l’aide pour nous.
A. : Pourtant je n’ai jamais eu ce sentiment.
P. R. : Non, non, vous pouvez ne pas l’avoir eu consciemment,
cependant ... Je parle d’une manière générale, cela n’est pas du
Sahaj Marg et c’est mon opinion personnelle, peut-être erronée,
mais je préfère travailler. Supposez que je tombe, que je me casse
une jambe et que vous soyiez assis là en priant : « Jésus-Christ,
s’il vous plaît, aidez Chariji qui est tombé dans ce fossé ! » A quoi
cela sert-il ? Je descends dans le fossé et si je meurs, eh bien ! je
meurs aussi !
Il y a trop de prières et trop peu d’aide humaine directe. La
prière, c’est facile. On peut s’asseoir chez soi, dans son lit, dans
une belle chaise avec un verre à la main et que sais-je d’autre
Retour →sommaire des mots et merveilles 64

encore, de l’encens et des bougies. Mais si je dois extirper une


vache ou un homme d’un fossé, je peux me salir, risquer ma vie.
Alors la société s’est arrangée pour posséder des pompiers de
service, des sentinelles, des équipes de surveillance pour le feu
et on n’a rien à faire  ! C’est un monde fou  : «  Quelqu’un doit
travailler, moi je vais prier ! » On devrait tous travailler d’abord,
et ensuite prier.
La prière devrait intervenir lorsqu’on ne peut rien
faire d’autre. Il est très important de s’en souvenir. Mais
tous les millionnaires ne donnent même pas cinq roupies à un
mendiant et s’assoient en priant  : «  Oh  ! Seigneur, délivre les
pauvres de leurs souffrances. » Quelle est cette absurdité ? Si leur
prière est sincère, Dieu devrait leur prendre leurs millions et les
distribuer ! Alors les gens riches ne prient pas ! La prière peut
être dangereuse !
C’est pourquoi, en temps de malheur, de désastre, nous
devenons des êtres humains. Supposons qu’il y ait soudain un
bombardement sur Nice ou ici, nous serons tous à nouveau
des êtres humains, partageant pain et vêtements. En temps de
souffrance l’homme redevient humain ; en temps d’abondance, il
est un animal. Je me souviens d’un homme qui priait Dieu ainsi :
« S’il vous plaît, rendez-moi si riche que je puisse nourrir tous
les pauvres du monde. » Et Dieu a répondu : « Dans tes mains, il
y a déjà de quoi nourrir deux personnes, as-tu partagé avec une
autre personne ? »
Dans la vie moderne, ceux qui peuvent donner mais qui n’ont pas
l’intention de donner ont au moins l’intention de prier ! Je vous avais
avertie que vous n’alliez pas aimer ce que je vous dis ! C’est difficile à
accepter, mais consultez votre cœur et obtenez-en la réponse.
Supposons que je sois assis chez moi et que je prie seulement
mon Maître : « S’il vous plaît, aidez tous ces abhyasis ! », c’est
facile ! Plus de voyages, plus de difficultés, pas de changements de
Retour →sommaire des mots et merveilles 65

climats, pas de montagnes ! Babuji me donnerait un coup de pied


et me dirait : « Qu’est-ce que ce travail ! » Il faut que je travaille
et non pas que je prie. Quand je ne sais pas quoi faire ni comment
le faire et que je ne peux pas travailler, alors je demande à mon
Maître, mais pas avant. La prière intervient lorsque ma capacité
échoue, sinon c’est une combinaison de paresse et de faiblesse.
A. : Quelle devrait être la manière juste de prier ?
P. R. : C’est dans nos livres. La prière ne devrait pas être
une pensée, mais une attitude. Vous devriez prier comme si
vous mendiez pour sa grâce sans même savoir que vous mendiez,
que vos mains sont tendues et que quelque chose y est déposé.
La prière est la chose la plus difficile du monde. Je parle de la
prière juste et non pas des prières dans les temples et les églises,
qui sont des prières communautaires où les gens se disent  :
« Magnifique ! j’ai prié pendant une demi-heure et j’ai rempli mes
devoirs envers la société et le monde. » Babuji a demandé une
fois  : «  Pendant la seconde guerre mondiale, chaque personne
priait partout dans le monde, les Allemands priaient dans leurs
églises pour la victoire, les Anglais priaient dans leurs églises,
les Français priaient dans leurs églises, et le Pape bien sûr priait
aussi comme un fou en Italie. Là il y avait un Mussolini, là-bas
un Chamberlain, à quelle prière Dieu répondra-t-il  ?  » Pour
Dieu, nous sommes tous ses enfants. Alors lorsque des enfants se
chamaillent, Dieu leur dit : « Débrouillez-vous, tenez-vous bien ! »
C’est là la manière de Dieu.
Pour Dieu, il est extrêmement difficile d’exaucer une prière.
Pour nous il est difficile de prier, pour lui il est difficile de
répondre. Supposons que je sois malade et que cette maladie
me soit bénéfique, c’est un cleaning. Alors cette personne qui
m’aime beaucoup prie Babuji : « Oh ! Babuji, pourquoi Chari est-
il malade, s’il vous plaît rendez-le bien-portant. » Et, Babuji répond :
« Que puis-je faire ? Elle prie avec sincérité, mais il a besoin de
Retour →sommaire des mots et merveilles 66

cette maladie. » Vous comprenez ?


A. : Mais on peut prier sans demander quelque chose ?
P. R. : C’est ce que je viens de répondre à Jean-François, c’est
une attitude, sans idée, et ensuite vous abandonnez la prière à
Dieu ou à votre Maître ou qui que ce soit d’autre et ce qui doit être
le mieux adviendra.
Ne dites pas : « Il est malade, donnez-lui de l’argent, elle n’a pas
de billet pour aller à Atlanta, faites en sorte qu’elle en ait un ! »
Ce n’est pas ainsi qu’il faut faire ! La prière n’a pas davantage de
sens non plus, car si vous offrez votre prière à Dieu, vous devriez
dire : « Dieu, que ce soit au mieux pour les êtres humains. » Et
si l’instant d’après une guerre atomique a lieu, ce qui est peut-
être ce qu’il y a de mieux pour eux, vous priez : « Pourquoi ai-je
prié, c’est une catastrophe ! » Or, que désirez-vous pour les êtres
humains, le bien physique, le bien mental, le bien moral, le bien
spirituel ? Priez pour le bienfait le plus élevé : « Qu’ils croissent
spirituellement, cela ne fait rien s’ils souffrent physiquement. »
C’est ce que vous faites lorsque vous éduquez vos enfants.
Quand ils ne veulent pas aller à l’école, vous les y envoyez, vous
les disciplinez de façon à ce que leur futur soit meilleur que leur
présent. Vous envoyez votre mari au travail, pourtant le pauvre
homme aimerait bien aussi rester à la maison  ! Mais vous lui
dites qu’il n’est pas sain de rester à ne rien faire. Il est difficile de
savoir ce qui est bien pour quelqu’un, nous ne savons même pas
ce qui est bon pour nous-mêmes, sinon il n’y aurait ni ivrognes,
ni violeurs. Et lorsque nous ne savons pas ce qui est bon pour
nous, comment pourrait-on savoir ce qui est bon pour les autres ?
Quelque soit l’angle considéré, cela n’a pas de sens.
Aussi, aidez-vous vous-même en premier lieu ; ce n’est
pas égoïste, car ensuite vous aiderez mieux à votre tour. C’est pour
cette raison que l’on dit : « Charité bien ordonnée commence par
soi-même.  » Sauvez-vous d’abord. Si vous êtes médecin, vous
Retour →sommaire des mots et merveilles 67

pourrez aider quantité de gens malades ; si vous gagnez de l’argent,


vous ferez en sorte que l’argent aille aux autres. Qu’est-ce qu’une
rivière si ce n’est la confluence de plusieurs cours d’eau où l’on
peut puiser de l’eau pour boire ? Mais si c’est un petit courant, il
ne restera rien ! Aussi nous avons besoin des gens riches, mais ils
doivent être également moraux de façon à permettre à la rivière
de couler. C’est comme un barrage qui retient toutes les eaux et
qui le distribue ensuite  ; nous devons y penser. Je vous le dis
encore, pour aider au niveau le plus haut vous devez vous élever
à ce niveau et vous devez commencer par vous-même. Aspirez
un développement supérieur.

Mardi 31 mai 1988 (soir)

Un “plus” dans le temps


Plus tard dans la soirée, dans son salon, le Maître nous interroge
à son tour.
P. R.  : Pourquoi le temps passe-t-il lentement en début de
semaine et pourquoi s’accélère-t-il en fin de la semaine ? Quand
j’allais à Shahjahanpur et pourtant j’y suis allé cent fois, il en était
ainsi ! Quand je me rendais en Angleterre en bateau, le voyage
durait quatre-vingt-dix jours. Les premiers jours semblent longs,
puis soudain, on se retrouve devant la douane. J’ai découvert
cela dans le journal de mon père, plus il vieillissait et moins il
avait de temps pour faire quelque chose. Ici, ce sera pareil ; on se
rendra compte en partant que l’on a oublié de se dire au revoir. A
Montpellier, la première heure a été longue, ensuite cela a parut
court. C’est vrai pour chaque séquence de la vie et pour moi aussi.
Pourquoi ?
Chacun tente une réponse, mais aucune n’est complète. Une
personne observe qu’elle a médité une heure sans se rendre
compte du temps  : «  Est-ce que le temps passe plus vite en
Retour →sommaire des mots et merveilles 68

méditant  ?  » «  Il s’arrête.  », dit le Maître. «  Est-ce parce que


nous sommes au centre et qu’il n’y a plus de temps. », demande
une autre abhyasi ?
P. R.  : Selon la physique et Einstein, le temps n’existe pas
lorsque vous vous déplacez à la vitesse du temps, et seulement
dans ce cas. Ici, nous sommes au-delà du temps quand nous
méditons. Souvent nos abhyasis méditent pendant cinq minutes
alors que cela leur semble durer une heure. C’est courant, car ils
ne sont pas habitués à méditer. Ensuite, lorsqu’ils sont capables
de méditer correctement, une heure de méditation leur semble
avoir duré cinq minutes. C’est alors que le temps commence à
aller vite. Vous pensez avoir médité cinq minutes et une heure est
passée. Voilà que je vous donne la réponse sans faire attention !
Lorsque vous mettez un “plus” dans le temps, le temps va vite.
Je vais vous donner un petit exemple. Imaginez qu’en allant d’un
endroit à un autre distants de six kilomètres, il n’y ait aucune
maison, rien sur la route  ; cela apparaîtra comme une grande
distance. Puis, petit à petit des maisons sont construites et la
distance parcourue semblera rétrécir. L’espace est si bien rempli
qu’il ne semble plus exister. De même lorsque vous remplissez le
temps, le temps semble ne plus exister et alors on n’a plus assez
de temps. Voilà le secret !
Au fait, ce que l’on dit de l’enfance n’est pas juste. Pour l’enfant
le temps passe très vite, car chaque moment est rempli d’activité.
Par contre, quand on devient vieux, le temps semble s’éterniser.
Les vieillards ne font plus rien, ils restent assis dans un fauteuil,
et le temps semble alors s’éterniser. La seule façon de faire que
le temps aille vite, c’est de le remplir d’événements, mais c’est
difficile.
Ici, nous avons la manière de le faire en méditant : asseyez-vous
en méditation et le temps passera vite. Si vous êtes capable d’aller
profondément en méditation, une année peut passer comme une
Retour →sommaire des mots et merveilles 69

minute. Alors il y a deux avantages  : le temps a passé et, dans


votre conscience, quelques minutes seulement se sont écoulées.
Donc, à l’intérieur au moins, on ne vieillit pas ! On reste toujours
jeune. Le secret de la jeunesse, ce n’est pas l’élixir de longévité !
La réelle jeunesse n’est pas dans le corps, elle est à l’intérieur.
La jeunesse physique est stupide, juste bonne pour escalader des
montagnes et se casser une jambe. La réelle jeunesse est dans
le cœur, là où l’homme a encore le courage d’aimer l’univers et
de prendre des risques, car pour lui le temps n’est pas. Et là où
il n’y a pas de temps, il n’y a pas de mort. On va donc au delà du
temps ; c’est l’éternité.
A. : Est-ce dans ce sens que l’on dit qu’une journée de Brahman
vaut des milliers de nos années ?
P. R.  : Lorsque vous êtes éternellement en méditation, vous
ouvrez les yeux, des siècles ont passés, mais pour vous c’est
simplement le fait d’ouvrir et de fermer les yeux une fois, c’est
tout. Lorsque vous avez dormi et que vous vous réveillez, il semble
que le temps ne se soit pas écoulé. Vous connaissez l’histoire de
Rip Van Ripple qui a dormi pendant vingt ans en montagne  ;
pour lui cela lui a semblé durer une nuit.
Le temps est comme une rivière qui, lorsqu’elle est pleine d’eau
coule et en même temps est toujours là. Alors, coule-t-elle ou ne
coule-t-elle pas ? Elle coule mais elle est toujours là puisqu’elle
n’est jamais vide ! C’est la fameuse question : « Quand on souffle
une bougie, où va la lumière  ?  » C’est comme la rivière, des
milliers de tonnes d’eau se déversent sans cesse, tandis qu’elle
est toujours là. Alors quand vous pouvez vivre de telle manière
que chaque micro-seconde de votre vie est pleine d’activité, cette
vie ne peut jamais se terminer, elle est éternelle.
Il y a deux types d’éternité. La rivière a d’une part une longueur
déterminée mais d’autre part elle est toujours là  ; éternel ne
signifie pas quelque chose qui s’étend en longueur sur des millions
Retour →sommaire des mots et merveilles 70

de kilomètres. L’eau coule, et la rivière est toujours pleine. De


même ma vie s’écoule, et pourtant je suis toujours plein, alors
comment pourrais-je être vide, comment pourrais-je être perdu,
comment ma vie se terminerait-elle ? Le secret pour faire que la
vie soit éternelle, c’est de la remplir d’activité. Pas au sens où les
Occidentaux l’entendent, c’est à dire en allant skier et plonger,
mais dans le sens d’une activité qui peut être éternellement
soutenue, méditer !
Souvent vous vous asseyez pour méditer et plusieurs heures
peuvent s’écouler avant de vous réveiller. Lorsque vous lisez un livre
avec une grande absorption, vous commencez à onze heures du
matin et soudain il est quatre heures de l’après-midi ; vous ne pouvez
y croire ! Que s’est-il passé au niveau du temps ? Il a perdu son sens.
Le temps perd sa signification lorsqu’il y a absorption ; quand il n’y a
pas absorption, le temps commence à devenir votre maître.
Le temps n’est pas important pour celui qui a maîtrisé le
temps, mais pour celui qui y est encore assujetti ... Comment
dire ? Voyez cette belle contradiction : les Occidentaux ont une
conscience excessive du temps, surtout les Allemands, toujours
en train de regarder leur montre, et de mesurer le temps seconde
après seconde. Sont-ils des maîtres du temps ou des serviteurs du
temps ? Bizarrement, ils pensent maîtriser le temps, alors qu’ils
en sont esclaves. C’est là qu’intervient une légère différence : est-
ce que vous mettez quelque chose dans le temps ou est-ce que
vous retirez quelque chose du temps  ? Les Allemands essaient
de tirer quelque chose du temps, n’est-ce pas ? Le temps est celui
qui donne et quand le temps vous donne quelque chose vous êtes
lié par le temps, le temps devient votre maître.
En Orient nous mettons quelque chose dans le temps ; nous
donnons quelque chose au temps et nous maîtrisons le temps.
Pensez-y très sérieusement.
A. : C’est peut-être que la manière de vivre en Occident ...
Retour →sommaire des mots et merveilles 71

P. R.  : Non, non, ne me dépeignez pas la manière de vivre


en Occident, j’y vis également. Il y a une différence très subtile.
N’argumentez pas, pensez à la vitesse. Ne pensez pas à la vitesse
du tgv et à tous ces jeux d’enfants. Qu’est-ce qu’un tgv ? Oui, pour
celui qui est impressionné par les prouesses mécaniques c’est
divertissant, moi aussi je m’amuse beaucoup, j’aime y monter et
comme un enfant faire semblant de jouer. Je m’amuse à penser
que je mange du fromage à quatre cents kilomètres à l’heure  !
Mais que je mange du fromage à quatre cents kilomètres-heure
ou à zéro kilomètre-heure, le fromage reste le même fromage !
Tout ça, ce sont des jeux que nous nous jouons à nous-mêmes.
Imaginez que je vole à huit cents kilomètres-heure en avion,
c’est beaucoup plus rapide que le tgv. Si l’avion explose au moment
où j’ai du pain dans la main, je suis encore en train de manger !
Lorsque je mange à cette vitesse, je suis dans un avion qui vole,
mais je suis fixe par rapport à l’avion. Je suis dans une position
fixe et c’est l’avion qui se déplace. Alors qu’importe ce que j’y
fais ! Voilà le genre d’idées bizarres que l’on peut avoir : manger
du fromage à huit cents kilomètres-heure  ! Non, vous mangez
à zéro kilomètre-heure ! Sinon, en prenant un verre d’eau pour le
boire vous n’y arriverez jamais, l’eau ira quelque part ailleurs !
On doit toujours se souvenir qu’on peut rester au même
endroit, même par rapport à quelque chose d’autre qui a une
vitesse. La terre se meut à une vitesse fantastique ; supposez à
présent que je saute en l’air comme les enfants le font à l’école,
je devrais atterrir à Munich  ! Pourquoi est-ce que je retombe
toujours au même endroit ? Il n’y a que les philosophes pour penser
à de telles sottises ! Les enfants disent : je saute en l’air et avant que
je ne retombe, la terre se sera déplacée de vingt mètres ! Si c’était
vrai, nous n’avons plus besoin d’avions ni de trains, je continue
à sauter jusqu’à ce que le nombre de kilomètres soit effectué. Un
saut, vingt kilomètres !
Retour →sommaire des mots et merveilles 72

Vous savez en Inde on voyage beaucoup. Dans nos trains on


peut s’asseoir sur les marchepieds, on ne ferme pas les portières
et les gens s’amusent à jeter des objets dehors ... qui tombent
toujours verticalement et jamais en biais ! Ce sont des jeux qui
nous occupent. Lorsque je ne veux pas méditer, je pense à des
choses de ce genre !
Un abhyasi demande au Maître ce qui se passe dans la
conscience d’Arjuna lorsqu’il atteint de sa flèche l’œil du poisson.
P. R. : Vous pouvez dire que le yoga signifie unir le monde lié par
le temps et l’espace, au cosmos sans temps ni espace. La capacité
à relier les deux, c’est le yoga réel. Vous êtes alors capable
de vivre dans deux mondes à la fois, dans deux dimensions. Hier
je vous ai dit que lorsque vous voyagez en voiture, disons sur cent
kilomètres, vous ne pouvez tenir un poteau à l’extérieur car il est
statique par rapport à la voiture. Mais si vous pouvez développer
une technique qui vous fasse voyager et en même temps tenir le
poteau – c’est possible d’une certaine manière – lorsque vous
tournez en rond ! Mais alors ce n’est plus un voyage ! Alors, la
capacité à voyager tout droit tout en tenant un objet fixe, n’est
possible qu’en spiritualité. Pourquoi ? Parce que méditer est un
processus dynamique. Il y a un mouvement vers le but, cependant
je suis où je suis. Il y a un moi fixe et un moi qui se déplace, tous
les deux au même endroit tout le temps. C’est fascinant !
A. : Asimov serait content !
P. R. : Asimov, oui ... mais il y a beaucoup de choses dont Asimov
n’a pas encore entendu parler ! Vous voyez le problème. Et que
se passe-t-il  ? Quand nous commençons à faire cela, les gens
prennent peur. Dans “Alice au Pays des Merveilles”, cette petite
fille dit que dans le monde du dessous, dans le monde des lapins,
on doit continuer à courir tout le temps pour rester au même
endroit ! C’est une situation similaire, et pendant longtemps je
ne l’ai pas compris, jusqu’à ce qu’une fois à Londres, dans un
Retour →sommaire des mots et merveilles 73

escalator du métro, je voie un jeune garçon qui se déplaçait sur


l’escalator dans la direction opposée. Il marchait sans cesse, mais
il restait à la même place. Bien sûr, c’est un exemple physique,
mais dans le monde spirituel, vous vous déplacez vers votre but
à une vitesse fantastique et en même temps vous devez aussi
exister ici dans le monde physique avec toutes ses limitations.
Pouvez vous imaginer l’énorme tension à laquelle vous êtes
soumis ? C’est pourquoi tant de gens fuient la spiritualité. C’est
un cas réel de Docteur Jekyll et Mister Hyde. L’un, interne, essaie
de devenir divin, de réaliser ce qui ressort du super cosmique,
du super temps, et l’autre personnalité doit vivre ici, exister ici,
manger de la baguette et du fromage  ! La différence entre les
deux est le réel problème.
A. : Pourquoi les gens ont-ils peur ?
P. R. : Pourquoi ? Eh bien ! c’est comme un homme qui court le
long d’un bus qui prend de la vitesse tout en essayant d’y monter.
Il a peur de le lâcher car il va tomber, et s’il ne lâche pas, il risque
d’être traîné par le bus ! Que va-t-il faire ? C’est une situation que
vous ne connaissez pas en Europe car les portes sont fermées,
mais en Inde c’est très habituel, les portes restent ouvertes. Il
m’est arrivé de le faire, de tomber et de me fracturer le poignet.
Vous savez, vous devez sauter dans un bus où s’entassent des
centaines de gens qui s’accrochent et vous courez, la vitesse est
si grande que si vous lâchez vous vous cassez la figure  ! Alors
vous avez peur de lâcher, mais si vous ne lâchez pas le bus vous
traîne ! Et au moment où vous décidez de lâcher, vous tombez !
C’est ce qui arrive aussi en spiritualité. Vous vous déplacez
à une certaine vitesse, c’est là qu’il est dangereux de quitter
la spiritualité, on peut s’écraser  ! Alors si on veut lâcher la
spiritualité, il vaut mieux le faire au début.
A. : Mais nous avons le Maître de toute façon !
P. R. : Beaucoup d’entre nous sont dans le bus, alors cela n’a
Retour →sommaire des mots et merveilles 74

pas d’importance ! Mais pour les autres ... C’est pourquoi je dis
aux abhyasis qui viennent pour la première fois, réfléchissez
bien ! Réfléchissez dix fois avant de prendre votre premier sitting,
car une fois que vous êtes entré, vous êtes pris ! J’ai été attrapé
comme ça !
A. : C’est un piège !
P. R. : Mais vous l’appréciez ! Alors comment cela peut-il être
un piège ? C’est une belle autoroute, à sens unique, où l’on peut
aller dans un sens mais pas dans l’autre.
A. : Lorsque vous parlez du temps et de la causalité et que l’on
arrive à cette super conscience, en ce qui concerne le Sahaj Marg,
quand arrivons-nous à être conscients de cette super conscience ?
P. R.  : Le problème c’est que vous ne comprenez pas une
chose. Chaque fois que vous êtes incapable de réconcilier votre
vie spirituelle avec votre vie matérielle, vous êtes réellement
conscient de cela. Vous ne pouvez pas relier votre expérience à
la différence qu’il y a entre les deux niveaux d’existence, mais
cet état d’agitation (restlessness) apparaît à cause de cela. Tous
ici, nous avons l’expérience que nous vivons une vie spirituelle et
une vie matérielle et très souvent nous ne pouvons pas amener
les deux ensemble. Cela montre la différence dans les niveaux de
conscience. Mais si vous pouvez arriver à l’étape suivante et vivre
dans l’une, vous verrez que les autres n’ont plus de sens pour
vous.
C’est comme s’asseoir dans un train, un tgv, le paysage se
déploie, et vous devenez l’observateur de l’intérieur du train.
Ainsi, la seule solution est d’être de plus en plus profondément
dans la spiritualité. Il s’agit de vous permettre d’être enveloppé
par un niveau de conscience et ne pas essayer d’équilibrer les deux.
Sinon, vous faites comme ces garçons qui montent à bicyclette et
qui mettent leur pied par terre pour freiner. Ils abîment leurs
chaussures, ou pire, il brûlent leurs semelles ! Nous brûlons aussi
Retour →sommaire des mots et merveilles 75

nos âmes 6, en spiritualité ! Il y aura toujours ce problème, tant


que nous essaierons d’être dans les deux mondes.
A. : Cela ne peut-il être équilibré ?
P. R.  : Non, non, ce n’est pas une question d’équilibre.
L’équilibre, c’est vivre dans un plan et s’occuper de
l’autre. Mais on aimerait vivre dans les deux. Si vous êtes capable
de vivre dans l’un et de vous occuper de l’autre, vous êtes en
quelque sorte déjà un maître, quelque soit votre niveau spirituel.
Supposez que vous soyez dans une voiture, vous pouvez la freiner
de l’intérieur. Mais si vous voulez stopper votre bmw lancée à deux
cents kilomètres-heure en ouvrant la porte et en sautant dehors
pour l’arrêter  ! C’est ce que nous essayons de faire dans notre
vie. Mais il est possible de tout faire dans notre vie matérielle
de l’intérieur de la vie spirituelle. Mais nous n’essayons pas.
On s’imagine qu’il faut sortir et alors les difficultés surgissent.
Comment cela est-il possible  ? Ce n’est pas du tout une chose
consciente. Mais quand on travaille à partir du champ spirituel,
totalement, tout devient possible.
C’est l’exemple d’Arjuna, dans le plan cosmique, là où il n’y a
pas de résistance, aucune résistance de l’air, rien. Le secret est de
glisser vers le haut. C’est ce que l’on fait tout le temps ; par exemple
en voyageant en train, fenêtres ouvertes, on ne peut se parler
à cause du vent. On ferme la fenêtre et le problème est résolu.
Ce sont des choses simples. En toutes choses on réussit en
isolant simplement une dimension d’une autre.
Aujourd’hui, vous avez pu découvrir que la seule clé de
la réussite est de vivre dans une dimension à la fois, tout en
contrôlant cependant une autre dimension, de l’intérieur. Dans

6 NDT : Jeu de mots entre “soles” (semelles) et “souls” (âmes)


Retour →sommaire des mots et merveilles 76

les générateurs atomiques, vous devez faire bouger les choses


de l’intérieur de la pile atomique. Ils ont des sortes de gants
qu’ils mettent pour manipuler et tout bouge à l’intérieur avec cet
énorme équipement. Même en technologie, on développe de plus
en plus cette capacité qui consiste à isoler une vie pour contrôler
une autre vie. On doit arriver à la même chose dans le spirituel
et le matériel.
Qu’est-ce que le Maître ? Un instrument, bien sûr, mais il est
quelque chose de plus. Il a une importante fonction, celle de rendre
possible le voyage à toute vitesse tout en vous isolant des effets
de cette vitesse. Quand vous voyagez à une vitesse supersonique,
vous êtes au repos par rapport à l’avion, il n’y a aucun risque, c’est
l’avion qui prend tous les risques et vous pouvez voyager sans
souci vers la destination. En spiritualité, c’est le rôle du Maître.
A. : Il est un tgv !
P. R. : Il est un super, super tgv ! Mais vous devez être dedans.
Si vous vous accrochez à lui, cela ne sert à rien. Alors celui qui
peut aller en spiritualité tranquille et en paix, c’est celui qui est à
l’intérieur du Maître. Bonne nuit !

Mercredi 1er juin 1988

Voir avant de voir


Le Maître nous entraîne à être attentifs, notamment pendant
les méditations, en observant le développement de la condition.
Parfois il nous fait remarquer le changement survenu dans le
rayonnement d’un abhyasi après un sitting par exemple. Petit
à petit, il nous habitue à découvrir le travail du Maître par la
compréhension du cœur. La veille, il avait remarqué : « Il y a de
la nostalgie (spleen) dans l’air, je voudrais que vous me disiez
pourquoi. » Personne n’avait répondu. Ce jour-là, il revient à la
charge.
Retour →sommaire des mots et merveilles 77

P. R.  : Notre éducation favorise les expériences extérieures


et nous avons ainsi perdu la faculté de ressentir l’expérience
intérieure ; c’est pourquoi il nous faut déployer notre sensibilité.
Aujourd’hui, j’ai donné trois sittings, avez-vous observé une
différence entre les trois ? Oui ? Laquelle ?
Cette question nous incite à suivre les développements
possibles, nés, non seulement d’une méditation, mais d’une série
de méditations. Quelqu’un remarque que la perception des trois
sittings lui avait paru différente. Le Maître répond :
La perception vient de nous  ; elle n’a rien à voir avec la
différence qui est dans le sitting. Alors ? Eh bien ! elles étaient
toutes inscrites dans une série. En grimpant un escalier, toutes
les marches se ressemblent  ; pourtant chacune d’elles est
différente et vous conduit un peu plus haut. C’est une des beautés
du Sahaj Marg  : chaque méditation vous élève. C’est pourquoi
il est important d’assister à tous les sittings. C’est le travail du
Maître qui s’ajuste automatiquement. Mais si vous manquez
deux sittings, vous êtes toujours sur l’escalier, en mouvement,
mais deux marches en dessous !
A. : Mais lorsque ma femme surveille les enfants ?
P. R. : Dans ce cas, c’est différent ; c’est un devoir. En 1970,
après ma désignation au poste de secrétaire de la Mission, j’ai
toujours été occupé à travailler durant les célébrations comme
Basant, et je n’ai pu assister à aucune méditation avec Babuji.
Mais je n’ai rien perdu car Babuji disait : « Ceux qui travaillent
pour la Mission ne perdront rien et par la grâce de Lalaji, ils
recevront davantage.  » Un volontaire a demandé à Babuji
comment il pourrait obtenir le bénéfice des sittings, car en Inde,
durant les célébrations, il y a des milliers de personnes et de deux
cents à trois cents volontaires. Babuji lui a dit : « Je travaille pour
la Nature et ceux qui travaillent pour moi, travaillent également
pour la Nature ; la Nature les récompensera. »
Retour →sommaire des mots et merveilles 78

Il vaut donc mieux travailler pour la Nature ... en travaillant


pour le Maître. Vous pouvez alors oublier toutes ces méditations,
ces nettoyages, le journal à tenir ; c’est beaucoup plus facile !
A. : Tout le monde va vouloir s’occuper des enfants !
P. R. : Cela doit être un devoir, à l’exemple de cette dame qui
s’occupe de la cafétéria. C’est le secret du travail.
Après un long silence, quelqu’un interroge : « Maître, comment
développer sa sensibilité ? »
P. R. : En étant attentif. Mais ce n’est pas vraiment nécessaire.
Supposez que vous voyagiez en train et que vous dormiez. Aussi
longtemps que vous resterez dans le train, vous atteindrez votre
destination. En revanche, pour ceux qui veulent voir le paysage,
il leur faut être éveillés. C’est l’attention. Et pour ceux qui
travailleront pour la Mission, il leur faut être très vigilants.
Si un médecin ne peut sentir le pouls de son patient, comment
l’aidera-t-il  ? Il doit être très sensitif. En fait, un bon médecin
peut juger l’état de son patient sans lui adresser la parole. Un
très bon médecin, ami de mon père, était capable, en vous voyant
entrer dans son cabinet, en regardant votre visage, d’en savoir
plus long sur vous que vous-même, avant même que vous soyez
assis ! De nos jours, nous dépendons davantage des instruments.
Les instruments peuvent être plus exacts, mais ils ne pourront
pas tout vous révéler. Quelle machine pourra vous rendre compte
de mon état émotionnel ? Le pouls et la pression artérielle, oui,
mais pas plus. Nous avons perdu la sensibilité du vieux médecin
capable de tout savoir sans aucun instrument.
C’est la tragédie de la science et de la technologie. Plus nous
dépendons d’instruments et de machines, moins la sensibilité
s’exprime. Nous devons utiliser les machines, mais ne pas en
dépendre.
A. : Mais pour sentir le pouls il faut de la sensibilité !
P. R. : Oui, vous devez être sensitif. Même par le regard vous
Retour →sommaire des mots et merveilles 79

devez être sensitif. Par exemple, je dois savoir que vous allez
pleurer avant que vous ne vous mettiez à pleurer. Je dois le
savoir. C’est très facile  ! Oui, vraiment  ! C’est ça la sensibilité.
D’ordinaire, nous attendons que la personne soit en pleurs pour
la consoler et la prendre dans nos bras. Est-ce utile ? Vous devez
voir ce qui se passe avant que ce soit visible.
C’est ainsi que nous devons être capables de vous voir
avant que vous ne soyez là. Comme Babuji l’a écrit dans son
“Autobiographie”, la condition qui surgit se révèle avant qu’elle
ne soit là. Cela n’a rien d’extraordinaire. Si vous êtes dans un
train pour Lyon, vous apercevez les immeubles des faubourgs de
Lyon bien avant d’y arriver et vous vous exclamez : « Tiens, nous
arrivons à Lyon ! » Lyon se révèle avant que vous n’y soyez. En
hiver, alors que tout est enneigé, un matin, une petite pousse verte
vous annonce le printemps tout proche. La nature est toujours en
train de se montrer avant son apparition, mais les êtres humains
ont perdu cette capacité de voir.
Lorsque l’homme a découvert le microscope et le télescope, ce
fut une bonne chose dans la mesure où cela l’a aidé à accroître
ses capacités. Mais lorsqu’il ne peut plus voir sans leur aide,
cela n’est d’aucune utilité. L’instrument devient alors le Maître
et ce n’est pas bon. Vous pouvez développer tout instrument, à
condition d’en rester le maître ; alors la science et la technologie
seront de bonnes choses. Comme le disait Babuji : « La science
est une bonne servante, mais une mauvaise maîtresse ! »
Dans le Mahabharata, une très belle histoire nous est contée
à propos de la sensibilité. Un concours d’archers a lieu autour
d’un bassin. Au milieu du bassin, un pilier supporte une roue
qui tourne et sur laquelle est fiché un poisson. Il faut regarder
le reflet dans l’eau, tirer à travers la roue et atteindre l’œil du
poisson. Telle est l’épreuve. Un à un, les archers se présentent
et le Maître leur demande à tour de rôle : « Que voyez-vous ? »
Retour →sommaire des mots et merveilles 80

L’un voit le bassin, son reflet et la roue, le suivant voit la roue, le


poisson et l’œil du poisson. Puis arrive Arjuna : « Je vois l’œil du
poisson. » Le Maître lui dit : « Tire ! » et il atteint, bien sûr, l’œil
du poisson.
Pourquoi vous dis-je cela  ? Parce que ça, c’est de la
concentration. Il n’y avait rien d’autre à voir ! Or que se passe-t-il
lorsque vous essayez d’étudier votre condition ? Vous voyez votre
mental, vous voyez vos pensées, etc. Que pouvez-vous voir d’autre
si vous voyez toutes ces choses ? C’est pourquoi la sensibilité,
c’est aussi exclure tout le reste. Vous devez développer cette
capacité qui ne peut venir que si vous ne prenez intérêt qu’à une
seule chose.
Pendant la première guerre mondiale, on a équipé les avions
d’armes pour tirer à travers les hélices. L’arme devait tirer à travers
l’hélice, sans la détruire, sinon c’était l’écrasement au sol. Dans le
Mahabharata, le tir s’effectue à la main, à travers une roue qui tourne,
avec un arc et une flèche. Alors qu’est-ce que la technologie moderne
a de si merveilleux ? Elle a rendu possible par une machine ce que
nous sommes capables de faire à la main ! Voilà tout ! Il y a encore
des gens capables d’effectuer des opérations mathématiques plus
rapidement qu’un ordinateur. Heureusement  ! C’est difficile à
croire, mais je pouvais additionner trois colonnes de chiffres à la
fois. Mon patron était en admiration car chacun m’apportait ses
problèmes de comptabilité. Plus tard, j’ai utilisé une calculette
que l’on m’avait offerte et toute ma capacité s’est envolée  ! Je
vérifiais même la calculette car pendant longtemps, je n’ai pas pu
me résoudre à lui faire confiance ... Cela doublait mon travail ! De
même, longtemps je n’ai pas porté de montre et je pouvais donner
l’heure à cinq minutes près. Puis en voyageant avec Babuji, j’ai
dû en porter une ...
Lorsque Babuji affirme : « Soyez simple et en harmonie avec
la Nature. », cela signifie que plus vous vous débarrassez de ces
Retour →sommaire des mots et merveilles 81

choses, plus vous devenez sensitifs. La simplicité donne la


sensibilité, c’est pourquoi elle est nécessaire.

Jeudi 2 juin 1988

Innocence et connaissance
Le Maître parle du confort et de ses effets indésirables,
notamment de la fragilisation physique qu’il entraîne. Cette
fragilisation nous pousse à vivre de moins en moins facilement
au grand air et finira par nous faire réfugier de plus en plus
dans un habitat sophistiqué. C’est ainsi que nous en arriverons
à vivre en sous-sol par exemple. De la même manière, notre
mental se fragilise, se densifie, devient de plus en plus grossier
et nous conduit à vivre davantage dans les complexités du
subconscient.
L’analogie est hardie, mais juste. Autrefois il n’était pas
nécessaire de parler de subconscient et en conséquence, la
psychologie n’existait pas. La pénétration de la densité dans
notre mental va jusqu’au plan physique et nous pouvons observer
comment ce qui débute dans l’esprit, se manifeste ensuite dans
le physique. Comment alors sortir des sous-sols de notre esprit ?
Par le raja-yoga, car les effets sur le physique ont leurs racines
dans le mental.
Le Maître fait ensuite remarquer qu’heureusement, les
civilisations ne se laissent pas anéantir si aisément. Bien des
hommes, tel Gengis khan, s’y sont essayés. Cortez, en détruisant
une civilisation innocente a montré que celui qui est victorieux
devient un héros. Il est un héros, seulement parce qu’il a gagné ;
la puissance devient juste alors que ce qui est juste devrait
devenir puissant.
Puis il ajoute qu’en spiritualité, il n’y a pas de groupe à
proprement parler. La relation avec le Maître est personnelle.
Retour →sommaire des mots et merveilles 82

Chaque abhyasi devrait avoir sa relation avec le Maître, sans


qu’il y ait d’interférence. Si un précepteur prend une position de
chef et si le Maître ne peut approcher l’abhyasi, alors la relation
est détruite. Babuji avait félicité Chariji  : «  Vous êtes la seule
personne au Sahaj Marg qui n’ayez pas de groupe. » Il y a un
problème lorsque les abhyasis viennent au Maître avec leur
précepteur.
Quelques instants plus tard, quelqu’un demande : « Comment
s’établit la relation entre le Maître et le disciple ? »
P. R. : Comment ? Comment pensez-vous qu’elle doit l’être ?
A. : Je crois qu’il y a une intervention supérieure qui fait que
les choses s’harmonisent si elles doivent s’harmoniser.
P. R. : Oui, cette relation est là de tout temps. Le fruit pousse à
partir de l’arbre, mais c’est le fruit qui tombe, pas l’arbre. Le fruit
effectue sa croissance en partant de l’arbre, puis le fruit songe à
la séparation et commence à penser que l’arbre existe à cause de
lui ! En fait, c’est l’arbre qui existe ; le fruit est mangé et disparaît.
Je prends cet exemple car nous ne devrions jamais penser
que nous sommes séparés. Habituellement, lorsqu’on parle
d’association, elle ne peut être que physique. Dans de nombreux
systèmes l’association n’est que physique. Le guru vous initie en
touchant votre tête, ou en prenant votre main. En Inde il existe
trois types de gurus, celui de la poule, celui du poisson et celui
de la tortue. De même, il y a trois sortes de disciples, ceux qui
pensent seulement au Maître lorsqu’ils sont avec lui, ceux qui
pensent à lui quand ils peuvent le voir, et ceux très rares qui sont
en souvenir constant, que le Maître soit vivant ou mort, car pour
eux il est vivant.
Au Sahaj Marg, il y a cette réalité d’où nous venons, notre foyer
originel comme l’appelait Babuji, toujours présent ici, mais nous
pensons que nous sommes là. A qui la faute  ? C’est ainsi que
pratiquement à chaque sitting on peut voir quelqu’un en pleurs
Retour →sommaire des mots et merveilles 83

et c’est merveilleux. On peut être décontenancé, mais c’est un


magnifique signe de progrès, car la personne se souvient alors
de son foyer originel et se languit d’y retourner. Si vous méditez
correctement, cela doit croître à chaque méditation jusqu’à ce
qu’il soit impossible d’exister davantage ici. Si nous existons ici,
c’est par devoir, parce que le Maître le demande.
Voilà le genre de relation que nous devons bâtir. Sa relation
avec nous a toujours été, elle n’a rien de nouveau. Il attend
comme la mère attend que son enfant revienne à la maison.
C’est au disciple de recréer la mémoire de l’association
originelle.
A.  : Les petits enfants tiennent la main de leur mère jusqu’à la
maison.
P. R. : C’est vrai. C’est ce qu’on appelle l’innocence. Mais nous
avons échangé l’innocence pour la connaissance et nous l’avons
perdue. Nous pouvons avoir des Mercédès et des avions, mais
en tant qu’êtres humains, nous avons perdu une très grande
richesse.
J’ai lu une histoire de science-fiction à propos de terriens qui, en
raison de la surpopulation, voulaient aller coloniser de nouvelles
planètes dans l’univers. Leur superbe fusée arrive sur un nouveau
monde, très beau et pastoral. Les habitants sont simples, sans
même un bâton entre leurs mains, c’est tout à fait comme le jardin
d’Eden originel. Là, ils sont très bien reçus. Après un ou deux
mois de séjour, l’idée leur vient qu’ils peuvent tuer facilement
leurs hôtes avec un seul fusil – c’est ce qu’on fait les blancs qui
ont colonisé les gens de couleur, le fusil d’une main, la bouteille
d’alcool de l’autre ; c’est là leur victoire –. Cette pensée leur vient
donc à l’esprit. Pendant ce séjour, ils ont fait des relevés de leurs
explorations et toute la carte de ce monde et de ses ressources
est entre leurs mains. Ils décident de partir et de revenir avec
une flotte importante pour coloniser ce pays. Or, les habitants
Retour →sommaire des mots et merveilles 84

de ce paradis, ont pour chef un vieux sage, comme Babuji. Il


est frêle, très fragile, faible et impotent. Le jour du départ, un
jeune homme va voir le chef : « Maître, vous leur permettez de
partir ! Ils vont revenir avec une flotte de vingt navires et nous
détruire  ! Avez-vous vu leur technologie, leur armement, il ne
leur faudra que deux secondes pour nous anéantir. Pourquoi les
laissez-vous repartir ? Alors le vieil homme dit : « Mon fils, ne
t’inquiète pas ; regarde ! » Et dans le creux de sa main, il tient
leur avion. Il esquisse simplement un geste et que se passe-t-il ?
Les instruments de bord se dérèglent et l’avion tout entier est
projeté dans un autre univers. Le jeune homme dit alors : « Allez-
vous les détruire ? », car il voit le poing du vieillard refermé sur
l’avion. « Non, mon fils. Notre Seigneur ne nous permet pas de
détruire, même nos ennemis. Je les ai envoyés dans un autre
univers où ils peuvent chercher un autre monde ! »
Tel est le pouvoir d’un homme spirituel. Babuji a dit d’une
personne telle que lui, qu’elle peut neutraliser toutes les armes
du monde en une seconde. Rien ne fonctionnera ; et l’Occident
est très fier de ses armes !
On rapporte que durant la deuxième guerre mondiale, un
certain jour précis, Aurobindo, alors qu’il était assis à Pondichéry
en train de lire, s’exclama soudain : « C’est fini ! » On dit qu’à ce
moment précis, Hitler est mort.
La vérité, c’est que les saints de ce monde nous contrôlent
d’une façon différente. J’ai demandé à Babuji comment cela se
faisait et il m’a dit : « Imaginez que vous êtes assis n’importe où
et que ce monde ait besoin d’une destruction par le nettoyage. Le
saint, assis chez lui, envoie des vagues de pensées de destruction.
Il n’a pas besoin de faire autre chose. Et partout dans le monde,
les gens qui portent ces samskaras de destruction dans leur
cœur, les reçoivent et se mettent en action. La destruction est
à l’œuvre. Quand il pense que la destruction est suffisante, il se
Retour →sommaire des mots et merveilles 85

met à transmettre des vagues de paix, et dès lors, la paix refait


surface.
Il est donc complètement stupide de penser que les politiciens
détiennent les choses en main. Ce sont les saints qui font les
politiciens, depuis l’Himalaya ou de quelque endroit où ils se
trouvent. Quand nous méditons et que nos cœurs deviennent
purs, la nécessité de la destruction disparaît. Si tout est propre,
quel besoin y a-t-il à détruire pour nettoyer ? C’est comme cela
que nous changeons ; c’est comme cela que nous changeons la
destinée du monde !
Je suis entré dans la Mission en 1964 et je me souviens
que Babuji m’a dit en 1966, je crois, que la prochaine guerre
mondiale serait pour 1978. Or, cette guerre n’a pas eu lieu et je
lui en ai demandé la raison. Il répondit : « La Nature donne une
chance, puis une seconde chance, puis une troisième chance ;
elle ne désire pas la destruction. Elle voudrait que le monde
change mais n’utilise la destruction que lorsque le changement
est impossible autrement. »
Ces saints ne sont pas des destructeurs tel Gengis Khan.
Pour eux, la destruction est l’ultime recours. Quand il y a des
moustiques, on commence par ouvrir les fenêtres pour les
faire sortir  ; d’emblée, on ne les tue pas. C’est la façon dont
procèdent les saints ; le monde entier est entre leurs mains. Des
meetings ont lieu aux sommets, à Moscou, à Genève, mais ce
sont des jeux et les politiciens ne le savent pas. Ils s’imaginent
être puissants, détenir le monde de Washington ou de Moscou,
et pouvoir tout faire. Mais comme par hasard, ces deux ou trois
dernières années, les discussions de paix sont plus nombreuses,
le désarmement s’amorce. Comment cela vient-il ? J’ai vu un
dessin animé de science-fiction où une fusée gigantesque, type
Saturne, est sur le point de décoller. Tous les scientifiques et
tous les techniciens l’entourent. Soudain, une ombre s’interpose
Retour →sommaire des mots et merveilles 86

et tous lèvent le nez pensant qu’un nuage interfère. En fait, un


énorme géant est assis près de là et de sa chaussure, il s’apprête
à écraser la fusée ! Voyez à quel point nous avons perdu la faculté
de regarder en l’air et de voir ce qui s’y passe ; on s’imagine que
tout est en bas !
J’ai lu quelque chose de très joli : « Sachez qu’au plus profond
de l’obscurité se trouve l’ombre de la main de Dieu qui s’étend
pour vous protéger. » Mais quand on est dans le noir, on se plaint
qu’il fasse sombre et on oublie Dieu. On a tellement besoin de sa
protection. Quelle est la vraie prière ? Une fois je l’ai demandé
à mon Maître et il m’a répondu  : «  Vous venez de manger des
pommes de terre, du persil, du riz, des légumes, vous avez bu du
lait ; devez-vous remercier les pommes de terre, le persil, le riz, le
lait, la vache et l’herbe ? Ce n’est pas possible, alors remerciez le
Créateur. » Telle est la vraie prière. Mais on ne fait que demander
à Dieu davantage de ceci ou de cela, d’amener cette femme dans
ma vie ... Qu’est-ce que cette sorte de prière ? La prière est un
acte pour exprimer notre gratitude.
Une fois, Babuji m’a dit que le plus grand des péchés n’est ni le
meurtre, ni le crime, ni la fornication, mais l’ingratitude envers
le Maître. Nous recevons tant de lui et nous demandons toujours
plus. Supposez que votre fils ait un bonbon dans chaque main et
qu’il en demande un troisième, que faites-vous ? Et s’il persiste
à crier, à réclamer en pleurant  ? C’est cela que le Maître doit
ressentir vis-à-vis de nous : « J’ai déjà tellement donné et ils ne
sont pas contents. Ils sont pires que des enfants ! »
C’est pourquoi il est écrit dans la Bible  : «  Soyez comme de
petits enfants. » Les enfants demandent avec innocence et non
avec avidité pour le pouvoir, la position ou le bonheur. C’est là,
donc ils demandent  ! Si vous leur faites penser à autre chose,
ils oublient. Nous devons redevenir innocents. Cette vache paît
dans ce pré et n’exige pas un autre champ et encore un autre ; elle
Retour →sommaire des mots et merveilles 87

se satisfait de cette herbe. Même en ce qui concerne les sittings,


Babuji disait qu’il fallait de l’aspiration et non pas de l’avidité.
En spiritualité, il faut demeurer attentif à rester au niveau le plus
élevé et non pas au plus bas. Merci.

Jeudi 2 juin 1988 (soir)

Ashram ou comment les bonnes choses


nous enseignent avant leur venue
Quelques responsables s’entretiennent avec le Maître. Le
sujet d’actualité, l’ashram européen, continue de provoquer ses
effets. le Maître, très patiemment mais avec fermeté, continue à
nous éclairer. L’un d’eux fait remarquer qu’il n’est pas facile de
maintenir la condition spirituelle quand on est pris dans le feu
des discussions. Le Maître lui répond :
Cela montre bien que l’on doit garder la condition spirituelle,
même en parlant de problèmes matériels.
A.  : Comment faire avec toutes ces situations  : les gens
argumentent, ne sont pas d’accord ...
P. R.  : A Paris, je vous ai dit que si vous cherchez l’endroit
idéal, vous ne le trouverez pas. Je ne pense pas que cela existe.
Il faut trouver l’endroit qui convienne. On peut toujours trouver
mieux, mais alors on n’en finit plus !
Même en spiritualité, les gens cherchent le meilleur système.
Je ne sais pas si le Sahaj Marg est le meilleur système, mais il est le
plus efficace. Dans le mariage, vous ne trouverez pas la meilleure
épouse ; d’ailleurs en Inde, on résout le problème en permettant
aux parents de choisir et les couples sont plus heureux qu’en
Occident !
Après un long silence, le Maître fait remarquer : « Il y avait
du spleen dans l’air aujourd’hui, vous devez trouver pourquoi. »
Personne ne fait de remarque à ce propos. Puis la conversation
Retour →sommaire des mots et merveilles 88

reprend sur l’ashram et les préoccupations matérielles qu’il


soulève.
A. : Les lois sont très complexes en France ...
P. R. : On ne devrait pas avoir peur des lois ; nous ne cherchons
pas à détruire la loi. Faisons ce que nous avons à faire avec elle
et c’est tout. Les lois peuvent changer. A Shahjahanpur, l’ashram
est à nous, pourtant j’ai été jeté dehors, alors que j’ai tous les
droits ! Alors quelle est l’utilité de la loi ? Ne vous faites pas de
soucis.
A. : Mais si nous faisons des erreurs ...
P. R. : Si vous savez que c’est une erreur, ne la faites pas !
A. : Mais si on réalise que c’est une erreur après coup ?
P. R.  : Corrigez-la  ! Ce sera une bonne expérience. Après le
maha-samadhi de Babuji, j’avais trop de problèmes et j’ai
même eu des doutes sur la transmission ! Je ne peux donc pas
en vouloir aux autres. Depuis, je fais mon travail, c’est tout. Les
résultats, Lui les connaît. En Inde, selon le karma-yoga, Krishna
dit à Arjuna : « Vous avez droit au travail, pas à ses fruits. » Cela
parait injuste, mais ces trois dernières années, j’ai réalisé tout
le bon sens d’une telle affirmation. Toutes nos peurs, toutes
nos incapacités viennent du problème du résultat. Oublions les
résultats et devenons des lions !
Tous les grands commentateurs se sont trompés à ce sujet.
En fait, voici ce que nous dit Krishna : « Ne vous souciez pas
du résultat, quand votre travail est fait.  » On doit avoir
foi dans le travail, être sans inquiétude, alors le résultat sera
inévitable, même Dieu ne peut l’empêcher. Mais en Inde, il y a
eu une mauvaise interprétation du karma-yoga. Toute peur que
nous avons est une peur du résultat.
Simplifiez les objectifs. Demandez-vous si cet endroit convient,
s’il est bon, ensuite si vous avez l’argent. Mais si demandez l’avis
des gens, chacun aura une opinion différente.
Retour →sommaire des mots et merveilles 89

Vous devez vous souvenir de ce que disait Babuji : le confort


doit être minimum, sans plus. C’est une question d’individus.
Certaines personnes peuvent dormir sur le sol, comme moi par
exemple. Mais les Européens ne le peuvent pas. Choisissez donc
ce qui vous permettra de bien dormir ... mais pas trop longtemps !
Ici, j’ai un lit trop court, mes pieds dépassent et je me réveille à
quatre heures. Le jour de mon arrivée, je n’ai pas trouvé l’eau
chaude, j’ai pris une douche froide et je suis toujours en vie !
On doit s’entraîner, chercher ce qu’il y a de mieux, mais se contenter
du pire et alors on ne sera pas malheureux. C’est pour notre bien.
Tous les gens qui venaient à Shahjahanpur trouvait l’ashram peu
confortable, mais pour Babuji, c’était un palais. Il disait : « Celui
qui est heureux en toutes circonstances est vraiment
heureux. »
Alors tout ça, c’est de l’entraînement. A l’armée, le minimum
est procuré de façon à rester en vie et à combattre. Le confort
et le luxe nous affaiblissent. C’est un ashram, pour vivre une
vie spirituelle et non pas un hôtel. C’est un entraînement pour
revenir à la Réalité.
A. : Y a-t-il un bénéfice à se retirer dans une cellule privée ?
P. R.  : Non. Il n’y a rien d’individuel et le sens du privé est
lié au sens de la honte. Vous devez créer la tranquillité
et non pas la rechercher. C’est toute la question de la
spiritualité !
A. : Et si les gens ronflent ?
P. R. : Je vais vous raconter une anecdote. Une vieille dame
haïssait son mari car il ronflait. Elle voulait même divorcer. Mais
son mari mourut et ce qui lui manque le plus, c’est le son des
ronflements de son mari ! La tranquillité n’est pas l’absence de
bruit ; c’est quand la roue tourne et que son centre ne bouge pas.
Le monde tourne, mais nous sommes en paix. Après une bonne
méditation, on n’entend plus rien. Le secret, c’est d’être toujours
Retour →sommaire des mots et merveilles 90

absorbé ; le monde devrait être comme ça.


Pourtant, les gens tentent des choses difficiles comme l’escalade
des montagnes par exemple. Mais en spiritualité, ils ne veulent
pas essayer. Eh bien  ! qu’ils pensent que c’est du ski  ! Dans la
plupart des maisons indiennes, quinze personnes dorment dans
une seule pièce ... Le calcul rapide a été découvert en camp de
concentration par un homme qui utilisait de minuscules bouts de
papier et Gandhi a écrit ses livres en prison !
On doit se servir des opportunités qui nous sont offertes.
Dans un ashram, vous aurez ce dont vous avez besoin, pas ce que
vous souhaitez. Notez bien la différence entre les besoins et les
souhaits. On répondra aux besoins ; c’est le rôle de la Nature de
remplir les besoins.
C’est à vous de décider si vous avez besoin de cet ashram, si
vous avez les ressources nécessaires et si vous le voulez. Si vous le
voulez, achetez-le. C’est pourquoi j’ai dit au comité de recherche
pour l’ashram que mon opinion n’entrait pas en ligne de compte,
en aucune façon. Si vous m’amenez sur place, je vois seulement
s’il convient spirituellement. Mais que je le veuille ou non, la
décision vous revient entièrement. Je ne suis pas impliqué.
Vous ne me donnerez pas un ashram, pas plus que vous ne me
prendrez quelque chose car il n’y a rien à me donner et il n’y a
rien à me prendre. S’il y a un ashram, je m’y rendrai. Je ne ferai
pas comme Hanuman, vous emmener en Inde !
C’est votre ashram, votre décision, votre argent et la manière
dont vous le gérerez sera totalement votre affaire.
Le Maître précise que l’on ne demande pas d’argent dans le
Sahaj Marg, mais qu’il faut savoir si nous voulons un ashram
ou pas.
P. R.  : L’argent est nécessaire si nous devons payer quelque
chose, mais cela ne signifie pas que nous demandons de l’argent.
Il y a une boite pour recevoir l’argent, mais cela ne veut pas
Retour →sommaire des mots et merveilles 91

dire que nous regardons qui met de l’argent dedans. Nous ne


demandons pas des donations individuelles, vous avez tout à
fait le droit de ne rien donner. Et lorsque nous disons au public
que nous ne demandons pas d’argent, cela veut dire que nous ne
demandons pas d’honoraires. Nous ne demandons pas d’argent
pour chaque méditation, dix mille francs pour tout un séminaire,
ou cent mille francs pour être placé dans la région cosmique, ou
deux cents mille pour la libération ! Ça, ce serait demander de
l’argent.
Mais lorsqu’on fait appel à des donations, il n’y a aucune
obligation et ce n’est toujours pas une demande d’argent. Cela
doit être clairement compris : une donation est un don volontaire
de votre part, de la part d’un abhyasi. Rien n’est exigé. Quelqu’un
peut donner mille francs et un autre deux francs. Si je fais une
note en demandant mille francs en échange de la libération, tous
les gens riches de la Côte d’Azur vont accourir ici ! C’est la seule
façon pour eux d’obtenir la libération, c’est facile  ! C’est ainsi
que de nombreux soi-disant grands saints ont des centaines de
milliers de disciples.
Surtout en Occident, les gens pensent qu’à moins de payer,
les choses sont sans valeur. Si le Sahaj Marg était payant, ils y
croiraient. Et plus le prix serait élevé, plus ils y croiraient car on
pense communément que ce qui est cher est bon. C’est pourquoi
nous avons peu de gens riches dans notre Mission et qu’il est de
la responsabilité de chaque abhyasi de donner volontairement,
pour son utilisation.
Qu’est-ce que la Mission ? C’est vous la Mission ! La Mission
n’existe pas sans les abhyasis. Les abhyasis sont la Mission.
Quand ils en ressentent le besoin, ils s’assoient, parlent ensemble
et méditent. Un ashram remplira le même but.
Chaque année, nous dépensons beaucoup d’argent en
séminaires, des centaines de milliers de francs. Si vous
Retour →sommaire des mots et merveilles 92

multipliez cette somme par dix ou quinze, vous pouvez acheter


un ashram pour toujours. C’est la logique. Mais si vous pensez  :
«  Au diable l’ashram  !  », cela ne me fait ni chaud ni froid. J’ai
tenu les mêmes propos en Inde, car chaque ashram est pour moi
une responsabilité. C’est facile pour vous de le construire ou de
l’acheter, mais je suis le seul membre permanent de la Mission.
En fait, je me qualifie de “prisonnier permanent de la Mission” !
La liberté, l’égalité et la fraternité ne sont pas pour moi ! Chacun
de vous peut repartir et dire : « Bye,bye. » Mais moi je n’ai pas
le choix. C’est un fardeau  ; chaque ashram est un poids que
j’assume. Moi, j’aimerais bien ma liberté ...
Un ashram en France représente pour moi une responsabilité
supplémentaire. Et vous allez dire : « Oh ! On a bâtit cet ashram
uniquement pour que vous veniez et vous n’y venez plus ! » Des
gens viennent de dire : « Une fois que l’ashram sera là, Chariji
viendra plus souvent. » Il n’en est pas ainsi. C’est pourquoi nous
devons mettre toutes ces choses par écrit et rendre notre position
claire. La Mission n’est intéressée par aucune propriété. En fait,
moins j’ai affaire à de l’argent, mieux c’est, car inévitablement il y
a davantage de problèmes et cela détourne l’esprit vers eux. Mais
si vous pensez qu’on a besoin d’un endroit parce qu’on dépense
beaucoup d’argent, alors c’est à vous de décider. Pour moi, ce
sera une autre maison.
Quelqu’un fait remarquer que certaines personnes se sentent
obligées de contribuer.
P. R. : Ce n’est pas de notre faute ! N’embrouillez pas tout. Je ne
peux pas permettre que les gens se sentent obligés de contribuer,
il n’y a aucune contrainte ici. Nous imprimons des livres, mais il
n’y a aucune obligation à les acheter. S’il n’y avait aucun livre, les
gens se plaindraient de ne pas en avoir pour expliquer le système
et diraient : « Oh, vous venez deux jours, vous parlez et vous vous
en allez, j’aimerais bien avoir un livre  !  », n’est-ce-pas  ? Il y a
Retour →sommaire des mots et merveilles 93

toujours le revers de la médaille.


Puis le Maître insiste encore une fois pour exprimer qu’il n’est
en rien impliqué par cet ashram, ni davantage par ce monde et
sa matérialité. Il n’appartient qu’à son Maître.
P. R.  : Je veux que cela soit parfaitement bien entendu. Je
plaisante beaucoup sur les crèmes glacées et les chocolats, mais
je n’ai besoin d’aucune chose d’aucun d’entre vous. Je reçois tout
de mon Maître, rien de vous. En fait, lors d’une réunion, j’ai dit
au comité européen que j’avais décidé, il y a deux ans, de ne plus
revenir en Europe. J’avais entendu une conversation : « Chariji
est venu avec Sulochana et nous avons dû acheter deux billets
d’avion et c’est très cher. » J’avais donc décidé de ne venir que
si je pouvais me permettre de payer le voyage moi-même. Alors,
n’ayez pas l’idée saugrenue que vous faites quelque chose pour
moi  ! Je peux faire sans la France, sans le Danemark et même
sans l’Inde. Ma place est ailleurs, et il est certain qu’elle est à
moi !
C’est avec cette assurance que j’affirme ne pas avoir besoin
d’un ashram. Qu’en ferais-je  ? J’y viendrai dix à quinze jours,
pas plus. Cette année, c’est une expérience  ; mais je ne peux
pas me permettre de rester loin si longtemps, non pas de ma
maison, mais de l’Inde. J’ai beaucoup de choses à y faire. Je ne
suis pas venu ici pour bavarder et manger des chocolats, ni pour
prendre des bains sur la Côte d’Azur, ni pour avoir des petites
amies ! Pour moi, la France n’a aucun attrait. Je dirais même que
cela m’ennuie plutôt d’avoir à venir en Europe. A chaque fois,
j’y rencontre la discrimination raciale ; dans les avions on nous
donne les places sales et nous sommes traités à la douane comme
des criminels ! Il n’y a aucun plaisir pour moi à venir en Europe.
Vous pouvez penser que l’Europe est un grand et merveilleux
continent au niveau de vie élevé, mais pour moi, c’est l’enfer sur
terre. Vous savez tous ce que je pense de l’Europe, j’en parle sans
Retour →sommaire des mots et merveilles 94

ambages.
Ce n’est donc pas pour le plaisir ni pour l’amusement que je
viens en Europe. C’est pour servir mon Maître et pour obéir à ses
instructions. Quelqu’un a soulevé le problème des deux billets
d’avion, mais demain quelqu’un critiquera les trois mois de séjour
aux Courmettes et leur coût. Et bien sûr, ce sont les personnes qui
se sentiront obligées de donner de l’argent qui tiendront ces propos !
C’est certain.
Je vous dis cela car je me suis engagé pour votre bien-être
spirituel et rien d’autre. Quant au reste, c’est à vous de faire
tout ce qui est nécessaire. C’est à vous de veiller à vos besoins.
Si vous pensez qu’un endroit permanent est indispensable à vos
rencontres, semaine après semaine, mois après mois, où par la
grâce de mon Maître une atmosphère spirituelle peut-être établie
et auquel nous pouvons penser comme étant notre demeure,
alors il n’y a aucun doute quant à ce que nous devons faire.
Mais si vous pensez que c’est la propriété de quelqu’un
d’autre, pour laquelle vous avez à donner de l’argent, alors c’est
négatif. Je sais que même dans les familles, les fils contribuaient
à la construction de la maison, en donnant ce qu’ils pouvaient.
Les riches donnaient plus, les pauvres donnaient moins, mais
c’était la maison familiale. Mais de nos jours, chacun veut son
indépendance, son propre appartement. C’est de l’égoïsme : ma
maison, ma propriété, ma voiture, ma femme, mes enfants. Les
maisons de famille n’existent plus aujourd’hui.
Un ashram est une grande maison de famille, car
nous sommes tous les enfants du Maître. Le Maître, lui
n’a rien. Si vous voulez une maison, c’est à vous de la construire.
Qui donc la construirait ? C’est une formule simple, il n’y a rien
d’obligatoire. On n’attendra rien de celui qui ne peut donner et
ceux qui peuvent donner, donneront ce qu’ils veulent. Il n’y a
aucune ambiguïté.
Retour →sommaire des mots et merveilles 95

Un abhyasi approuve les commentaires du Maître en disant :


« C’était très bien, merci. »
P. R. : La question n’est pas là. Ce sont des faits. Cette affaire
de billets d’avion est une des raisons pour laquelle je n’ai pas
emmené ma femme. Mais je suis un vieil homme qui vieillira
davantage et quelqu’un devra m’accompagner. Il est inévitable
que quelqu’un m’accompagne, mais si c’est ma femme, les gens
jasent. Si c’est Jacky ou Patrick, personne ne dit rien, bien que la
somme déboursée soit la même !
Heureusement pour vous, je ne suis pas comme certains de
ces grands sages qui ne voyagent qu’en première classe et qui
ne séjournent que dans les hôtels de luxe  ! Ils ne résident pas
dans les ashrams, eux, même s’ils en ont. Ils occupent des suites
à l’hôtel à des milliers de francs par jour. Si vous aviez un tel
guru ... Et je sais que leurs disciples sont très contents de payer
si cher, car psychologiquement, lorsqu’on paye pour quelque
chose, on pense obtenir quelque chose en retour. C’est une drôle
de psychologie : quand on reçoit à bon marché, on ne veut rien
payer ; mais quand on doit payer cher, on est prêt à tout payer !
Le commentaire du Maître sur les apparences et leurs pièges
n’épargnent pas nos paradoxes en matière d’éducation qui, nous
fait-il observer, nous font oublier la dimension du cœur, clé de
la réelle communication.
P. R. : Hier, à Nice, je parlais d’éducation. Nous travaillons tous
et nous pensons que nous travaillons grâce à notre éducation.
C’est le concept le plus stupide qui soit. Bien sûr, il nous faut
connaître certaines tâches, mais le reste vient du cœur. Pour jouer
du piano, il vous faut naturellement connaître le mécanisme du
solfège, mais la musique ne s’apprend pas et si elle ne vient pas
du cœur, le piano ne jouera que des airs sans valeur. C’est pareil
pour les ordinateurs. N’importe quel idiot pense être un expert
en ordinateur, mais celui qui l’a créé l’a fait à partir de son génie.
Retour →sommaire des mots et merveilles 96

Nous avons donc toutes ces idées reçues : un homme doit avoir
de l’instruction pour faire un bon travail, une femme doit être belle
pour faire une bonne épouse ... Certaines de nos abhyasis dépensent
des sommes folles chez le coiffeur ! Tous ces tee-shirts au crocodile
coûtent des centaines de francs, mais lorsqu’il est question d’ashram,
vous prétendez être dans une Mission où l’on ne demande pas
d’argent.
Je voudrais que vous tous, les abhyasis, compreniez bien ceci :
chacun d’entre vous doit être comme un arbre. Le Maître plante
la graine et l’arbre pousse. Mais l’arbre doit donner des graines à
son tour. Vous ne devez pas demander au Maître de venir planter
une autre graine ici, puis une autre graine là ! Vous devriez être
des outils de communication. Ce que vous entendez ici, pourquoi
ne le diffusez-vous pas  ? «  Oui, j’ai entendu Chariji le dire lui-
même et voilà ce qu’il a dit ! »
Dans la nature tout se transmet. Une graine donne un arbre qui
donne des millions de graines. Pourquoi hésitez-vous à parler,
pourquoi faudrait-il écrire des lettres explicatives  ? Pourquoi
faudrait-il faire des appels  ? Est-ce que chacun de vous ne se
considère pas que la Mission est sienne  ? Avez-vous peur, êtes
vous inhibé que vous ne puissiez pas parler au monde ? Parfois,
j’ai honte en découvrant que même des précepteurs n’osent pas
parler du Sahaj Marg à l’extérieur. Pourquoi ne pas en parler, il
n’y a rien dont nous ayons à avoir honte. Que nous manque-t-
il ? Pourquoi dois-je venir et en parler à chaque fois ? En ce qui
concerne la transmission, effectivement il n’y a pas le choix, mais
pour ce qui est du système, de la méthode, de l’enseignement du
Maître, chacun pourrait être un comme un haut-parleur à partir
d’un système central. Mais nos abhyasis répugnent à parler  :
« Oh, les gens vont penser que c’est une secte ! » Eh bien ! qu’ils
le pensent ! Vous leur expliquerez que ça n’en est pas une.
Je suis assez mécontent de nos frères et sœurs : ils reçoivent
Retour →sommaire des mots et merveilles 97

et ça s’arrête là. Ils ne permettent pas que cela aille plus loin. Je
ne pense pas que vous puissiez réellement progresser jusqu’aux
niveaux les plus élevés tant que vous ne deviendrez pas un
moyen à travers lequel cela s’écoule. Je l’affirme en m’appuyant
sur l’autorité de mon Maître qui disait que même le meilleur des
précepteurs retient vingt pour cent de ce qu’il reçoit du Maître.
Il disait aussi : « Quel commerce fournira jamais vingt pour cent
de commission ? »
Lorsque nous donnons, nous retenons toujours quelque
chose. Plus nous donnons, plus nous gardons ! C’est le secret du
travail. Si vous commencez à faire ce travail à l’extérieur pour le
Maître, vous n’avez même plus besoin de méditer. Les gens
me demandent : « Quand méditez-vous ? » Je ne médite pas du
tout  ! Pourquoi le devrais-je  ? Dès lors, vous devenez heureux
de devenir des instruments du Maître au lieu de recevoir votre
nourriture comme des chiens ou des chats.
Excusez-moi, c’est un mauvais exemple ; mais je voudrais
que nos abhyasi deviennent vrais, comme des lumières
dans ce monde d’obscurité.
Partout où ils vont, il doit y avoir une petite clarté, sinon ils
ne remplissent pas leur travail réel intérieur. C’est là, la réelle
Mission que nous devons construire  ; oublions la Mission de
briques et de pierres. En fait je serais heureux si vous disiez tous :
« S’il vous plaît, ne venez plus en Europe car nous pouvons nous
en occuper nous-mêmes. » C’est le bonheur que doit ressentir un
père le jour où son fils lui dit : « Père, je n’ai plus besoin de ton
argent, je travaille à présent. »
A. : On peut commencer à donner de l’argent pour l’ashram ?
J’ai entendu dire que ce n’était pas sûr, ni signé ...
P. R.  : Ne donnez pas de manière impulsive, simplement
parce que vous venez d’écouter ce que j’ai dit. Réfléchissez-y.
Vous devez attendre jusqu’à ce que votre cœur vous dise  :
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« Maintenant. » Autrement, c’est artificiel. Je suis atterré quand


je lis ces romans anglais où une femme demande à son mari  :
« Aime-moi, embrasse-moi ! » En Inde, ce serait le signe d’une
totale indignité qu’une femme soit obligée de quémander l’amour
de son mari. Que sommes-nous devenus ? C’est fou ! Personne ne
devrait demander de l’amour, n’êtes-vous pas d’accord ? On peut
comprendre qu’un homme puisse faire ce genre de démarche –
les hommes sont stupides – mais qu’une femme le fasse ... Une
fleur demande-t-elle : « Donnez moi du parfum ? » Les femmes
doivent donner de l’amour et elles ne doivent pas le donner à une
personne en particulier, elles doivent irradier l’amour.
C’est pour cette raison que la mère, en philosophie orientale a
une position si élevée. Vous connaissez cette française qui était
à Pondichéry. On l’a appelée la Mère, car elle était la mère de
chacun et ça, c’est l’amour réel. Ces histoires d’enlacement et de
baisers sont faites pour avoir des enfants ; mais c’est mal utilisé
et nous en souffrons en retour. Nous avons tous les droits d’aimer
et d’être aimé, mais les étreintes et les baisers, c’est comme les
abeilles et le miel, ce n’est pas nécessaire, sauf si vous désirez un
enfant !
Toutes les femmes doivent devenir des mères, pas des épouses,
pas des petites amies. Quand une mère veut redevenir une petite
amie, c’est le signe d’une totale dégradation.
Je suis sûr qu’à la suite de ces paroles, vous ne me donnerez
rien à manger aujourd’hui ! (Rires.)
L’ashram est un excellent sujet. Même avant sa venue, nous
avons tant appris grâce à lui ! Voilà le signe d’une bonne chose :
vous en tirez enseignement, même en son absence  ! C’est le
cas d’une femme enceinte qui apprend à tricoter, à faire des
vêtements pour le bébé, bien avant qu’il ne soit là. Donc les
bonnes choses nous enseignent avant qu’elles soient là.
Les mauvaises choses nous enseignent après qu’elles sont parties
Retour →sommaire des mots et merveilles 99

... le sida, la syphilis, les grands enseignants de l’humanité ...


Même à présent, nous n’avons pas encore appris leurs leçons !
Asseyez-vous, s’il vous plaît, nous allons méditer.

Vendredi 3 juin 1988 (après-midi)

Le sens de l’accomplissement et la joie


P. R.  : Ce séminaire est une expérience. Il nous montre
comment serait notre vie dans un ashram, par petits groupes,
en vivant d’une manière naturelle. On espère l’an prochain
pouvoir vous accueillir dans l’ashram de la Mission. Une maison
peut être inconfortable, c’est fréquent en Inde, mais on y est
heureux. En Occident, les hôtes sont installés confortablement
mais ils sont malheureux. J’espère qu’on pourra vous donner
un peu d’inconfort, du bonheur, de la spiritualité et que vous
le fréquenterez souvent  ! Il sera ouvert toute l’année  ; des
précepteurs pourront y résider et ceux qui viendront pourront
vivre une vie loin de la clameur de la vie matérielle occidentale.
Soyez prêts pour certains chocs, certaines surprises !
Les donations seront bonnes car elles viendront du cœur. Pour
l’ashram de Shahjahanpur, une personne a donné à Babuji moins
d’un franc, c’était là tout ce qu’elle possédait. D’autres personnes ont
donné des milliers de francs, mais Babuji a accordé une grande valeur
à ce don, car il représentait toutes les économies de cette personne.
Nous n’avons donc pas besoin de millions de francs, mais si
vous me permettez de le dire, nous avons besoin de tout ce que
vous avez ! C’est votre maison, elle sera à vous ; nous espérons
y vivre, y croître, y atteindre la libération de cette vie mortelle.
C’est un endroit très important qui mérite tout ce que
nous avons.
Dans un ashram, ce n’est pas comme dans une maison : il n’y
est pas question de bonheur ou de malheur. On y commence une
Retour →sommaire des mots et merveilles 100

nouvelle vie, avec une porte pour l’éternité. Bien qu’il ne soit pas
obligatoire, cependant un léger inconfort est nécessaire pour
nous le faire apprécier. Au Basant 1978, on pataugeait dans vingt
centimètres d’eau sous ma tente. On avait empilé les bagages sur
un petit monticule près d’un pilier. Les femmes et les enfants ont
occupé le hall et nous, nous avons tous dormi au milieu de l’eau.
Je ne pense pas avoir jamais aussi bien dormi !
Au lieu de courir faire du ski en montagne, pourquoi ne pas
partir à la conquête de nos équipements ménagers, c’est un
entraînement comme un autre : un matelas de moins par-ci, un
oreiller en moins par-là ... Les maux de dos proviennent d’une vie
trop douce, les médecins vous prescrivent des planches à mettre
sous le matelas  ! Nous ne sommes pas fait pour une vie douce
et c’est pourquoi on va à la montagne escalader les sommets.
Dans ce sens, en spiritualité, vous pouvez faire de chaque jour
des vacances !
Cet hiver, au Basant à Shahjahanpur, nous n’avons pas pu occuper
l’ashram, alors nous avons créé l’atmosphère. On a commencé
par s’asseoir sous un arbre, j’avais une chaise, tout le monde s’est
assis autour de moi et nous avons médité. On a monté une tente
et pour finir une grande tente de méditation pour trois mille
personnes. On a creusé pour avoir de l’eau, installé une pompe et
un réservoir d’un mètre cube dans lequel on pouvait s’asperger.
Chacun y prenait plaisir et s’amusait comme des enfants. Puis on
a eu un petit générateur, puis un plus grand, c’était vraiment très
bien.
Pour créer n’importe quoi, la joie doit être là, elle donne un
sens d’accomplissement, de réalisation.

Vendredi 3 juin 1988 (soir)

La Nature coopère
Retour →sommaire des mots et merveilles 101

Chaque vendredi soir, de nouveaux abhyasis arrivent de pays


différents, pour une semaine ou plus. Chaque vendredi après-
midi, dans cette région ensoleillée du midi de la France, le
temps se couvre inexplicablement et la pluie ne cesse de tomber
jusqu’au dimanche soir. Cela devient un jeu d’observer le ciel
et de noter le changement de temps à l’approche du week-end.
Puis, chaque lundi, le soleil se remet à briller. Pendant tout le
séminaire, ce rythme instauré par la Nature se déroulera sans
défaut, à l’exception de la semaine prévue pour les précepteurs
à la mi-juillet !
Le Maître s’amuse beaucoup de notre perplexité qui fait
suite à une incrédulité première. Un soir, sur sa terrasse, il
fait remarquer la montée du brouillard de la vallée vers les
montagnes.
P. R. : Un moment j’ai eu peur que le soleil ne brille à nouveau !
Mais le temps va recommencer à coopérer enfin  ! Pourquoi  ?
Parce que vous êtes tous réunis ici. Quand il y a du soleil, les
gens vont ici et là  ; ils se dispersent. Mais moi, j’apprécie que
vous soyez tous là, tout le temps, ne pensant qu’au Maître, à la
Mission, méditant sans pouvoir aller vous dorer au soleil  ! Ce
temps est donc parfait pour nous ; il a grandement contribué au
succès des trois premières semaines du séminaire !
A. : Mais ce n’était pas très bon pour les enfants !
P. R. : Mais si, et pour vous aussi ! C’est un bon entraînement
d’être avec les enfants, même par mauvais temps. Ok, je dois
aller travailler !
Et le Maître rentre dans sa chambre.

Samedi 4 juin 1988

Toujours à propos de la sensibilité à développer, le


Maître nous rapporte une anecdote.
Retour →sommaire des mots et merveilles 102

P. R. : Il m’est plus facile de faire de la lecture de condition lorsque


je suis relaxé. Lorsqu’on a les yeux ouverts, il ne faut pas se laisser
distraire par l’extérieur. Une fois, pendant un sitting que je donnais,
Babuji est venu s’asseoir à côté de moi et m’a mis la main sur l’épaule.
Sashi, cette dame très dévouée à Babuji est venue me dire ensuite
qu’elle avait vu Babuji. Ma femme, Sulochana a ajouté que Babuji
avait mis sa main sur mon épaule ! Il y a donc eu une confirmation.
Une autre fois, je donnais un sitting à un abhyasi et j’ai eu
l’impression que quelqu’un était là. J’ouvre les yeux et je vois
Babuji, physiquement. Je l’ai salué et stupidement j’ai continué
mon sitting  ! J’ai perdu là une occasion de l’interroger sur le
sitting et d’aider l’abhyasi.
Puis le Maître nous raconte son premier voyage en France
en 1972 avec son Maître. Il nous dépeint l’attitude quasi-
générale d’incompréhension de l’enseignement de Babuji par les
abhyasis. Une personne responsable du groupe en France était
allée jusqu’à tenter de faire pression sur Babuji pour amputer
la méthode de la prière et de faire supprimer dans “La Réalité
à l’Aube”, tout ce qui avait trait à la Mission, sous prétexte que
cela évoquait l’enseignement religieux chrétien.
P. R. : Pourtant Babuji donnait à deux mains, mais le goût du
pouvoir a été le plus fort.
Le pouvoir renforce l’arrogance et l’égoïsme. Quand les rishis
sont tentés, ce sont par les femmes ; s’ils cèdent, alors ils perdent
leurs pouvoirs spirituels. Il était très difficile autrefois de s’élever
spirituellement ; les rishis méditaient continuellement pendant
des années et des années.
Il faut comprendre ceci dans sa totalité. Freud par exemple,
n’a compris qu’une toute petite partie d’un tout. Tout est pouvoir.
Mais on gagne en se soumettant. Prenez l’exemple de ceux
qui perdent une guerre : on fait tout pour les vaincus par la suite,
comme cela s’est produit après la deuxième guerre mondiale.
Retour →sommaire des mots et merveilles 103

Si le Maître le permettait, ce monde pourrait être pris comme


une ballon de football et jeté, sans pouvoir  ! Tout passe par le
Maître, mais notre arrogance et notre fierté s’opposent au
développement de la dévotion. J’étais moi-même quelqu’un
d’arrogant. Parfois je pensais que Babuji était fou, mais je suis
toujours resté avec lui et c’est ce qui importe. Vous pouvez tout
faire à votre Maître, le traiter d’imbécile, de fou, mais ne le quittez
pas !

Mercredi 8 juin 1988

Donnez une fois pour toutes votre cœur


P. R. : ... Donnez une fois pour toutes votre petit cœur 7 ! Il est
difficile de l’acquérir car l’être humain est un expert dans l’art de
le donner sans le donner. Aujourd’hui on peut faire établir des
statistiques sur le nombre de fois qu’une personne a donné son
cœur, comme un yoyo, qui va et vient !
A. : On ne le donne pas parce qu’on a peur d’être déçu !
P. R.  : Au Sahaj Marg, je crois que si vous l’aviez donné
complètement, vous n’auriez pas été déçu !
Mais laissons de côté les gurus. Si vous dites par exemple : « J’ai
donné mon cœur à mon époux. » L’avez vous vraiment donné ?
Quand vous avez remis votre cœur, oubliez-le et vous n’aurez plus
de problèmes ! Supposons que vous ayez offert un très joli vase
en verre de Venise à un ami et que vous lui téléphoniez chaque
jour : « Oh ! As-tu toujours mon vase ? » L’avez-vous vraiment
offert ? Il finira par vous dire de le reprendre !
Tel est le secret du cœur, une fois qu’il est donné il ne vous

7 NDT : En français.
Retour →sommaire des mots et merveilles 104

appartient plus. Il peut le briser en mille morceaux, le manger


ou le jeter aux chiens ... ou aux lions  ! Cela ne vous concerne
plus ! Le lion le mangera rapidement ! (Rires.)
A.  : Babuji disait qu’il était le plus grand des voleurs de
Shahjahanpur !
P. R. : C’était également le nom qu’on donnait au Seigneur Krishna.
Une chanson très célèbre de Mira qualifie Krishna de voleur.
Mais Babuji n’était pas un voleur, il attendait qu’on lui fasse don
de son cœur. Dans le Sahaj Marg, nous préférons attendre, car
lorsque vous volez quelque chose, vous vous sentez coupable.
(S’adressant à quelqu’un en particulier.) « Ce que je vous ai dit
a l’air de vous perturber ! (Rires.) En ce qui concerne les lions,
ils sont plutôt froussards ! Ils rugissent mais à l’intérieur ils sont
tendres. Je suis un lion typique ! (Rires.) C’est bon, parce qu’en
spiritualité, il doit en être ainsi.
A. : Pourquoi ?
P. R. : En spiritualité, votre extérieur doit avoir une apparence
très brave, mais votre intérieur doit être très doux. Oubliez ce
que je viens de vous dire, je n’ai pas envie que vous l’utilisiez
contre moi ! Je viens de vous révéler mes secrets !
A un autre moment.
P. R. : Il y a peu de gens ici, il y a donc peu d’âmes déterminées !
A. : C’est sans doute le froid qui les a retenus !
P. R. : En plein hiver, Babuji était allé rendre visite à Lalaji à
Fatehgarh. Arrivé chez son Maître et comme la bienséance veut
qu’on ne dérange pas un maître le soir, il s’est allongé sur la pierre
du seuil et y a passé toute la nuit, sans la moindre couverture, ni
le moindre vêtement chaud. Ceci montre bien que rien ne nous
arrête, lorsqu’on veut obtenir quelque chose.

Samedi 11 juin 1988


Retour →sommaire des mots et merveilles 105

Le temps d’un instant


P. R. : Quelle est la place et quel est le temps qu’occupe une
pensée  ? Elle est au delà de l’espace et du temps. Vous pouvez
avoir une idée de génie, mais pour l’actualiser dans le monde
physique cela prendra des années ! C’est pourquoi, dans le monde
du mental, vous n’avez pour ainsi dire presque jamais besoin de
temps. Quant au monde spirituel, il n’y a ni temps ni espace. Il est
même ridicule de dire que la spiritualité est au delà de l’espace et
du temps, car tout est dans l’instant, là où le temps et l’espace ne
s’appliquent pas.
Aussi quel est le temps d’une méditation ? Eh bien ! ici aussi
il y a un temps de préparation. Ces trente ou quarante minutes
servent à cet instant de plongée dans la profondeur de l’être,
pour ensuite en sortir. C’est comme pour plonger  : vous vous
déshabillez au vestiaire, vous sortez en maillot, vous appliquez
votre crème solaire, vous grimpez jusqu’en haut de l’échelle, vous
prenez position sur le bord, mais le plongeon, lui, dure le temps
d’une éclaboussure !
Nous avons besoin de toute cette préparation, mais si vous
êtes capable de vous entraîner au sommet de la perfection, vous
fermez vos yeux et vous êtes perdu, vous ouvrez les yeux, et vous
êtes ici ! Il ne faut pas plus de temps que cela, idéalement bien
sûr. Et tout ce que nous faisons ici, c’est uniquement pour ce
propos. Manger, boire, se promener, parler ensemble, envoyer
des cartes postales, tout est dans cette intention.
Et que fait l’entraîneur ? En Inde, nous avons cette publicité
télévisée pour des vitamines, où le maître-nageur, sifflet à la
bouche, montre les mouvements que doivent faire les enfants
pour apprendre à plonger. Mais lui, il reste en dehors de la
piscine, sur la terre ferme. Son plongeon étant parfait, il n’est pas
nécessaire qu’il plonge dans la piscine !
C’est ainsi qu’à un moment donné, la nécessité de la méditation
Retour →sommaire des mots et merveilles 106

doit disparaître. Vous comprenez  ? De fait, tout apprentissage


doit nous faire atteindre ce que l’on cherche et ensuite disparaître.
Dans ce sens on peut dire que la maîtrise, c’est ne pas faire ; c’est
réussir, sans faire. Un parfait conducteur de voiture ne pense plus à
sa conduite ; l’écrivain ne pense pas à l’orthographe. Mais moi, qui
apprend le français, je dois penser à la prononciation, aux accents
graves et aigus !
A. : Mais en spiritualité on ne voit pas où est le but ...
P. R. : Cela n’a pas d’importance. Quelquefois en signant des
papiers, lorsque je n’y pense pas du tout, la signature se fait
toute seule  ; c’est la main qui se met à signer sans connaître
l’orthographe et pourtant mon nom est particulièrement long !
A. : Vous voulez dire que plus on avance sur le chemin ...
P. R. : On peut dire que de plus en plus, on en fait de moins en
moins ! Même dans le processus de la pensée : au début, la pensée
est consciente, on apprend aux enfants à compter deux plus deux
égal quatre, etc., puis cela devient automatique. L’astuce ou l’habileté
consiste à faire en sorte que même la pensée devienne automatique.
Vous êtes donc passé d’un niveau physique à un niveau
mental ; le fait de penser est automatique. Par exemple, lorsque
vous travaillez dans un laboratoire et que vous avez un problème
à résoudre, vous ne pensez pas à ce que vous allez devoir penser.
Vous ne vous dites pas : « Je vais penser de telle et telle manière. »
C’est une des raisons pour lesquelles je n’aime pas le personnage
d’Astérix : il prétend qu’il va découvrir la Normandie et il dit :
«  J’ai découvert la Normandie ! » Comment peut-on découvrir
quelque chose que l’on sait découvrir ? C’est bon pour les enfants !
C’est comme si Madame Curie avait prétendu qu’elle allait
découvrir le radium et qu’elle le découvre ensuite. Par définition,
une découverte est quelque chose d’inconnu à découvrir !
A présent, transférez cette même capacité au processus
spirituel. Vous vous entraînez à le faire lorsque vous vous asseyez
Retour →sommaire des mots et merveilles 107

en méditation. Lorsque le sitting était particulièrement bon,


que vous avez perdu conscience et que vous dites  : «  C’était
si profond que je ne sais plus où je suis.  » Que se passe-t-il
en réalité ? Il y a un glissement de cette conscience-ci, à cette
conscience-là.
Prenez le cas d’un forgeron qui travaille dans sa forge par
exemple. Il est tellement absorbé dans son travail qu’il ne
voit pas passer le temps. Il en est de même pour la lecture  ;
vous commencez par apprendre à lire, puis quand vous vous
absorbez dans votre livre, vous ne vous apercevez pas du
temps. Pendant la méditation, là encore, vous passez du niveau
physique au niveau mental et vous ne vous rendez pas compte
du temps passé. Supposez à présent que le forgeron vienne pour
apprendre la méditation et qu’il vous dise : « Vous savez lorsque
je forge, je ne vois pas le temps passer, mais comment est-il
possible qu’en fermant simplement les yeux et en méditant je
ne sente pas le temps passer ? » C’est parce que nous limitons
nos occupations aux occupations physiques, mais la méditation
est également une occupation. Vous voyez le lien ?
Dans le monde physique, il n’est pas possible de sentir que
vous travaillez sans travailler, parce que le corps doit coopérer
dans la pensée ou dans le senti. Mais si vous vous occupez
mentalement, il est possible d’accomplir la même chose. Or si
vous voulez vous arrêter de penser pendant la méditation, il se
passe également que vous ne percevez pas les étapes du temps.
Et pour un saint d’envergure en méditation, qui médite ? Qu’il
médite ou qu’il ne médite pas, il n’y a pas d’écoulement du
temps. C’est pourquoi l’on parle de l’éternel présent, il n’y a
ni passé ni futur. Toute la question est d’élever votre état d’être
d’un niveau à l’autre.
A. : Mais je me sens désorienté ...
P. R.  : Nous pouvons nous sentir dérangés, si nous nous
Retour →sommaire des mots et merveilles 108

trouvons dans un état nouveau. Par exemple, la première fois


que nous plongeons profondément en méditation, il peut se faire
qu’on ouvre les yeux parce que cela nous fait un peu peur. Mais
cette peur doit disparaître rapidement.
A. : Mais si à chaque étape on s’aperçoit qu’on ne comprend pas ...
P. R. : Cela veut dire qu’il y a aussi du progrès ! Ce qui était vrai
pour vous à ce moment de l’existence, n’est pas faux à présent.
C’était vrai à ce moment précis. Lorsque vous conduisez sur une
route, il y a les panneaux de signalisation qui correspondent au
trafic routier. Mais lorsque vous volez en avion vous ne cherchez
pas les feux verts pour continuer votre route !
C’est pourquoi dans la spiritualité la plus élevée, comme celle
du Sahaj Marg, il n’est pas question de ce qui est vrai ou de ce qui
est faux, car tout peut-être vrai ou faux à un niveau particulier
d’existence.
A. : Alors qu’est-ce qu’il y a au dessus du vrai et du faux ?
P. R.  : Vous le saurez lorsque vous arriverez, lorsque vous y
serez. La perspective change au fur et à mesure que vous escaladez
une tour, bien que le paysage reste le même.
Plus tard.
P. R. : Le proverbe anglais dit : « Les eaux calmes coulent en
profondeur.  » Nous devons creuser notre approche spirituelle,
aller plus profondément en elle. Babuji disait : « Si vous voulez
des perles, vous devez plonger ! » A la surface de l’océan, vous ne
trouverez rien si ce n’est des détritus. Un homme peut aisément
traverser la Manche à la nage, mais peut-il plonger des kilomètres
en profondeur ? La pression rend tout un équipement nécessaire
avec de l’oxygène. Ce qu’il nous faut faire, c’est plonger, mais cela
nous effraie car en profondeur il n’y a rien. Nous préférons nager
en surface, c’est plus plaisant !
En spiritualité il n’y a ni bien ni mal. Souvent les gens me
demandent : « Comment le Sahaj Marg peut-il être mieux que X.
Retour →sommaire des mots et merveilles 109

ou Y. ? » Je leur réponds qu’il n’est nullement question de bon ou


de mauvais, mais de ce qui est plus efficace. C’est certainement le
système le plus efficace. Comment peut-on dire cela ? Expérimentez-
le et voyez ! C’est un défi à l’expérimentation et non pas à l’intellect,
à la logique, à la croyance ni même à la foi. Faites et constatez.
Si vous me demandez si cette nourriture est bonne ou mauvaise,
je vous répondrai : « Goûtez-la et voyez vous-même. » Cela sera
une preuve directe pour vous. Pourquoi argumenter, discuter ?
La meilleure chose à faire est de persuader les gens de pratiquer.
Dès qu’ils ont pratiqué, ils savent.
Le Maître s’informe du nombre de participants et d’enfants
pour les semaines à venir. Une trentaine d’enfants est là
ce week-end mais d’autres sont attendus avec la venue des
abhyasis danois. Le Maître propose une exposition des travaux
d’enfants avec récompense pour les meilleurs. Il déplore, ce
faisant, l’esprit qui règne dans le monde de la compétition en
Occident, en particulier dans les milieux sportifs. Les gens se
battent là où la bonne humeur devrait prévaloir. On paie des
millions de dollars pour un match sportif là où autrefois on se
satisfaisait d’une couronne de lauriers  ! C’est une compétition
qui devient destructrice. Les prix ne sont pas faits pour nous
faire développer l’avidité, mais pour nous donner envie de faire
mieux et susciter l’enthousiasme.

Samedi 11 juin 1988

Soyons ce que nous sommes


P. R. : Je suis un nomade. Vous connaissez l’histoire du Cyclope
et d’Ulysse : « Mon nom est Personne ! » De la même façon, si
“sans-maison” est ma maison, ma maison est partout ! Il m’est
venu une idée amusante  : vous voulez être à la maison  ; mais
pourquoi vous sentez-vous chez vous ? Parce que c’est la vôtre ! Or,
Retour →sommaire des mots et merveilles 110

puisque vous êtes ici, pourquoi ne sentez-vous pas que c’est chez
vous ? Si quelqu’un me demande où est ma maison, je répondrais
que c’est là où je suis ! Quand vous allez de Nice à Carros, vous
dites j’ai quitté Carros pour Nice, c’est chez moi. Pourquoi est-ce chez
vous ? Parce que vous vous êtes déplacé. Si vous ne vous déplacez
pas, est-ce que cela ne serait plus chez vous ? Alors pourquoi ne pas
être chez soi ici ? Vous avez la nostalgie de chez vous où c’est si doux,
mais si ce n’est pas doux de vivre ici, cela ne le sera pas davantage
là-bas. C’est comme si je disais : « Cette bougie n’éclairera qu’ici
et si je l’emmène dans la pièce à côté elle s’éteindra  !  » Est-ce
possible ? Elle doit brûler là où elle est.
Nous devons donc être ce que nous sommes, là où
nous sommes. Mais nous prétendons n’être qu’heureux que
chez nous, pourquoi  ? Si j‘ai la capacité d‘être heureux, je dois
l’être n’importe où. Celui qui peut être heureux quelque part, peut
l’être partout. L’homme est devenu tellement habile au niveau
technique, qu’il a transféré toute ses compétences à l’extérieur
de lui-même, aux machines, aux calculettes, aux ordinateurs. De
la même façon, nous avons transféré notre bonheur à l’extérieur
de nous-mêmes : je suis seulement heureux si je suis avec mon
ami, ou si mon chien est là, ou s’il y a du feu dans la cheminée !
A qui la faute si je ne suis pas heureux ? Nous avons mis tout à
l’extérieur. La capacité qui a créé toute cette technologie, nous
devons la maintenir, alors nous pourrons l’utiliser correctement.
Supposez qu’avec cette bougie allumée vous en allumiez une
autre. La première bougie ne s’éteindra pas pour autant. Aussi,
nous devons également créer le bonheur sans perdre le bonheur,
créer la santé tout en la conservant, créer des machines tout en
maintenant notre créativité. Mais nous nous conduisons comme
si, à partir de nous, nous avions crée quelque chose à l’extérieur et
qu’ensuite il ne nous reste plus rien. C’est stupide ! Maintenant,
je pense que vous avez faim, ou que vous êtes en colère  ! Cela
Retour →sommaire des mots et merveilles 111

dépend de la façon dont les Français vont le prononcer, avec “h”


ou sans “h” ! 8

Lundi 13 juin 1988

Se méfier des apparences


Nos convictions, nos opinions, nos engagements, nous
mènent sur un sentier pernicieux. Seul celui qui est allé au-
delà des apparences peut nous aider à prendre conscience
du jugement perpétuel que nous avons de nous-mêmes et des
autres. Un commentaire de Babuji sur la condition spirituelle
de l’atmosphère dans différents endroits appuie le propos du
Maître.
P. R. : Lorsque Babuji vint en Europe, il passa par Paris pour
se rendre ensuite à Londres. Là, il fit remarquer qu’il avait dû
procéder au nettoyage de l’atmosphère, pour exister. Vera Davies
en fut très affectée : « Comment donc Babuji, vous venez de Paris
qui est un lieu tellement immoral et vous devez nettoyer ici ! »
« Je vous le dis, à Paris cela allait, mais à Londres j’ai dû nettoyer
cinq pour cent de l’atmosphère. » Contrairement aux apparences
de moralité en Angleterre, l’atmosphère était spirituellement
meilleure à Paris qu’à Londres. Nous ne devrions pas juger sur
l’apparence superficielle.
Comment juger  ? En allant plus profondément. Une belle
histoire illustre ce propos. Un saint soufi habite le désert près
du Caire et chaque mois se rend auprès de ses disciples au Caire.
L’une de ses disciples est la courtisane la plus en vue de la ville,
la plus onéreuse, la plus belle. A chaque visite il la morigène  :

8 NDT : Jeu de mots entre “hungry” : faim et “angry” : colère.


Retour →sommaire des mots et merveilles 112

«  Pourquoi faites-vous cela, vous devriez penser à Dieu.  » Et de


retour dans le désert, il prie : « Seigneur, montrez-lui le chemin,
faites qu’elle ne se vende plus.  » Un jour, tous deux meurent et
comparaissent devant Dieu pour être jugés. Le saint est condamné à
l’enfer et la courtisane conduite au paradis. Le saint proteste : « Dieu,
comment pouvez-vous me faire ça ? Je suis un saint, j’ai loué votre
nom toute mon existence et cette femme, ma disciple qui se vendait
vingt fois par jour, vous l’envoyez au paradis ! Je ne comprends pas. »
Dieu lui dit : « Mon fils, tu es un saint et tu ne comprends pas une
chose aussi simple ? A chaque instant de sa vie, quand elle vendait
son corps, elle pensait à moi et m’invoquait. Mais toi, quand tu étais
censé prier, tu ne pensais qu’à elle ! »
C’est une très belle histoire. Voilà le danger de prier, même
pour les autres. C’est pour cela qu’on prône le souvenir constant.
Le souvenir constant de quoi ? Je dois penser à mon Maître et
non pas à quelqu’un qui se trouve dans le désert ou ailleurs. En
faisant du bien à quelqu’un on peut se faire du mal à soi-même.
Alors laissez la compassion au Christ, au Bouddha et occupez-
vous de votre propre avenir. Mais les gens ne peuvent pas le
comprendre : « Oui, mais je l’aime tant ! » Eh bien ! soit. Continuez
à l’aimer, mais souvenez-vous du Maître  ! Alors de l’aide sera
possible pour celui que vous aimez. C’est très important.
Supposez que mon frère soit malade ; je le conduis chez un médecin
et c’est le médecin qui s’en chargera et qui le soignera. De même,
remettez le cas de la personne en question au Maître et oubliez-la.
Nous avons eu souvent de ces discussions au Danemark  : «  C’est
une enfant tellement adorable Chariji, pourquoi ne faites-vous pas
quelque chose  ?  » Nous devons toujours nous souvenir que nous
pouvons mieux secourir quelqu’un en nous aidant nous-mêmes.
Babuji pouvait aider en tant que Maître, mais pas en tant que
Babuji. Et si vous aimez quelqu’un, n’oubliez pas que le Maître qui
est amour, ne peut pas moins aimer cette personne que vous ! C’est
Retour →sommaire des mots et merveilles 113

votre arrogance qui vous fait penser aimer cette personne et que le
Maître ne s’en occupe pas. Pis encore, nous avons un sentiment
de culpabilité tel qu’il est décrit par Marc-Antoine dans son célèbre
discours.
La compassion réelle devrait consister à mener une personne
dans le besoin à la personne adéquate, sinon on fait comme ce
saint soufi du désert  ! Cette histoire montre l’importance du
souvenir. C’est très subtil et très difficile. Parfois j’étais moi-
même fâché contre mon Maître, car superficiellement il ne
semblait jamais affecté par quoi que ce soit. Vous lui ameniez
quelqu’un qui allait mourir du cancer, il chaussait ses lunettes, la
scrutait et s’en retournait fumer son hookah ! Un jour je lui dis :
« N’avez-vous pas de cœur, Babuji ? » A mon propre Maître ... Il
eut cette réponse admirable : « Après l’avoir donné à mon
Maître, je n’y ai plus jamais pensé. »
Quand vous conduisez quelqu’un pour prendre un avion, vous
le laissez à l’aéroport, vous n’allez pas trouver le commandant de
bord pour le lui confier, lui recommander de ne pas s’écraser, etc.
Lorsque vous offrez un cadeau à un ami, vous n’allez pas tous les
jours lui demander ce qu’il en a fait, s’il l’a soigneusement rangé
à l’abri des chocs. Si cet ami est sensé, le mieux est qu’il vous le
rende pour que vous en preniez soin vous-même ! Mais, c’est ce
que nous faisons habituellement avec les gens.

Lundi 13 juin 1988

Se souvenir pour oublier


Un peu plus tard, Le Maître poursuit en soulignant encore
l’importance du souvenir constant ... afin de parvenir à l’oubli.
P. R. : Mon Maître Babuji disait que tout chose retourne à sa
demeure, les vaches, les ânes, mais pas les êtres humains !
Notre demeure est là où se trouve le Maître. Pour la vache,
Retour →sommaire des mots et merveilles 114

c’est l’étable de son maître. Pour le chien, c’est la maison de son


maître. Si le maître change de domicile, le chien le suit et ne
retourne plus à l’ancienne maison. Mais nous, nous avons notre
maison et le Maître, c’est à dire deux centres. Lorsque sa maison
et ma maison deviennent une, alors c’est la fusion.
A. : Lorsque la fusion s’est produite, le sait-on, le sent-on ?
P. R. : Oui. Mais si vous pensez à votre maison, c’est que vous
n’y êtes pas. Vous ne pouvez pas penser à votre maison et être
dans votre maison  ! Le souvenir constant montre encore une
séparation entre votre Maître et vous-même. C’est pourquoi
Babuji disait qu’un état doit venir où le souvenir doit disparaître.
Lorsque vous êtes devenu un avec Lui, comment pouvez-vous
vous souvenir de Lui ? Quand vous l’avez oublié, c’est une façon
de le savoir ! C’est plutôt amusant de savoir quand on a oublié !
Les Européens vont dire que je suis fou !
C’est pourquoi Babuji disait : « Oubliez. » Dans le Sahaj Marg,
la connaissance n’a pas de valeur. Plus nous oublions, mieux c’est.
Prenez l’exemple de l’oignon. Quand vous lui retirez ses couches
une à une et que vous ôtez la dernière, que reste-t-il ? Rien, mais
c’était aussi l’oignon. L’oignon était l’enveloppe qui recouvrait ce
rien. Quand il ne reste aucune enveloppe, il n’y a rien et ça c’est
l’essence. Nous procédons donc de quelque chose à rien, ce qui
ne peut se faire que par un processus de rejet. Babuji définissait
Dieu ainsi  : «  Otez toutes les qualifications les unes après les
autres, et quand tout est parti, ce qui reste est Dieu ! » C’est une
jolie manière et une manière réelle d’en parler.
A. : N’y a-t-il pas un raccourci pour y parvenir ?
P. R.  : Mais oui  ! Le raccourci consiste à ne pas retirer les
couches les unes après les autres mais à jeter l’oignon entier ! C’est
comme le prasad. Si vous deviez donner du prasad à un millier
d’abhyasis les uns après les autres, cela prendrait beaucoup de
temps. On donne le sachet de prasad pour qu’il soit distribué.
Retour →sommaire des mots et merveilles 115

En Occident, donner est très difficile, mais recevoir est encore


plus difficile. Les gens veulent de l’amour mais ne sont pas
capables de le recevoir. Ils sont pleins de doutes, ils ne veulent
pas s’engager car recevoir c’est s’engager. En donnant, il n’y a
pas d’engagement. Par contre en recevant, on s’engage. C’est ce
qu’on appelle une obligation et de cela nous ne voulons pas. Alors
comment obtenir l’amour ?
C’est ainsi que les Occidentaux préfèrent vivre sans amour ; alors
ils découvrent qu’ils ne vivent pas du tout. C’est l’engagement
qui donne le bonheur, l’engagement envers quelque chose ou
envers quelqu’un.
A. : Qu’en est-il de l’engagement envers le But ?
P. R. : Le But n’a pas besoin de nous, mais nous ne pouvons
rien faire sans le But. Dans la Nature, l’air n’a pas besoin de moi,
mais j’ai besoin d’air pour respirer. L’eau n’a pas besoin de moi,
mais j’ai besoin d’eau. Dieu n’a pas besoin de moi, mais j’ai besoin
de lui. Quand on pense à tout cela en termes simples, c’est facile
et nous comprenons qu’il faille simplement s’engager. Or nous
aimerions donner notre cœur par bribes, comme le prasad. Le
prasad peut être morcelé, mais nous ne pouvons pas briser nos
cœurs en miettes. Pourtant, c’est ce qui se passe lorsque nous
l’éparpillons par fragments, partout, sans nous engager. Puis les
gens viennent vous voir : « Mon cœur est brisé ! »
La seule manière de garder son cœur intact est de le donner en
entier, sinon nous le détruisons. Personne le détruit, c’est vous
qui le détruisez. Un cœur se donne une fois pour toutes et l’on n’y
pense plus. Alors se pose la question : à qui le confier ? Donnez-
le à quelqu’un qui va l’apprécier, le considérer comme un trésor
et le garder. Un dicton tamoul dit : « On ne donne pas de fleurs
à un âne.  » L’âne les réduirait en bouillie et les jetterait. Vous
devez chercher quelqu’un qui traitera votre cœur comme un bien
précieux.
Retour →sommaire des mots et merveilles 116

Pour arriver au cœur, tant de couches doivent être enlevées !


C’est ce que fait le Maître lorsqu’il commence à faire le nettoyage.
Que se passe-t-il ? La dureté en est retirée, le cœur devient de plus
en plus doux, et cela fait peur. Pourtant si vous voulez que votre
cœur ne soit pas blessé, la seule chose à faire est de le laisser au
Maître. Car si vous prenez ce cœur devenu tendre pour l’amener
à l’extérieur, c’est voué à l’échec. Soit vous le gardez avec ses
enveloppes, ses carapaces, à l’abri, mais sans vie, soit vous le
donnez au Maître quand il est doux, tendre, afin qu’il le garde. Il
n’y a pas d’autres solutions. L’abandon n’est pas nécessaire, il est
impératif ! Vous pouvez garder votre cœur pour vous-même tant
qu’il est dur, mais dès qu’il est tendre il doit être avec Lui. C’est
la vie spirituelle.
Dans le Sahaj Marg, nous donnons notre cœur au lion, afin
qu’il devienne le cœur du lion. Les Massais débusquent un lion, le
tuent et mangent son cœur, mais il est plus simple de donner votre
cœur et tout est fait ! N’ayez pas peur, un vieux dicton affirme :
« Perdez votre vie et trouvez-la ! » Celui qui veut toujours garder
sa vie, n’a jamais de vie.
Dans un de mes livres, j’ai narré l’expérience que j’ai vécue
alors que Babuji me donnait un sitting. J’entre dans un tunnel
avec rapidité. Un éclat de lumière est devant, un éclat de lumière
est derrière et je me dirige vers la lumière à l’avant. En sortant du
tunnel, une grande boule de cristal est au loin. En m’approchant,
j’y découvre le visage de Lalaji ; en m’approchant davantage, je
me rends compte que le visage est celui de Babuji. Enfin, j’atteins la
boule et je vois mon propre visage. Babuji disait : « Cherchez-Le
et vous vous trouverez vous-même, mais si vous vous cherchez
vous-même, vous ne trouverez rien. »
La connaissance de soi-même est donc folie. Le vieil oracle de Delphes :
« Connais-toi, toi même. », est une sottise typiquement occidentale.
A. : Mais ne parlait-on pas de Soi à connaître ?
Retour →sommaire des mots et merveilles 117

P. R.  : Oui, mais en ne cherchant pas le Soi. Babuji disait  :


«  Oubliez-vous vous-même.  » La manière de trouver le Soi
consiste à oublier le Soi. Si vous pensez à votre demeure, vous ne
pouvez pas vous souvenir du lieu où vous êtes. Si une mère pense
à son enfant, elle ne pensera pas à elle-même. C’est en pensant à
son enfant, c’est en aimant son enfant qu’elle trouvera son propre
accomplissement. C’est un principe naturel. Je pense que c’est
pour cela que la maternité est importante pour les femmes. Elles
sont capables de s’oublier et de se souvenir de quelqu’un d’autre.
C’est la preuve qu’on peut trouver le bonheur en s’oubliant soi-
même. De même, lorsque vous êtes capable de vous oublier, le
temps passe vite, alors que vous êtes esclave du temps si vous
vous souvenez de vous sans cesse. Pour une telle personne la
mort arrive vite.
Quand on essaie de se souvenir du nom de quelqu’un, tous
les noms se présentent sauf le bon ! Ne cherchez pas à vous en
souvenir et le nom revient. C’est un secret !
Dans la tradition brahmine, Ramanuja était un grand homme
parmi les grands enseignants. Il y a eu Shankara, Ramanuja et
Madhwa. On dit que son guru lui révéla le mantra divin qui lui
accordait la libération, à condition qu’il ne le révèle à personne et
le garde secret. Quand Ramanuja reçut le mantra de son Maître,
il grimpa immédiatement au sommet de la tour du temple, sonna
les cloches pour rassembler les fidèles et proclama le mantra.
Son guru se mit en colère ou fit mine de l’être et le menaça de
l’enfer pour lui avoir désobéi. Alors Ramanuja lui lança cette
célèbre réplique : « Maître, qu’est-ce que cela peut bien faire que
j’aille en enfer, alors que tant de personnes peuvent désormais
aller au paradis grâce à votre mantra ! » Voilà le genre de cœur que
nous recherchons !
Mais de nos jours, dans beaucoup de systèmes il y a des secrets.
On vous donne des mantras à ne révéler à personne et dont vous
Retour →sommaire des mots et merveilles 118

ne devez pas discuter. Babuji me disait : « Si un guru vous dit


quelque chose en secret, fuyez vite ! » En effet, la Nature n’a
pas de secret ; c’est nous qui sommes aveugles.
A. : Mais c’est vous qui ouvrez nos yeux !
P. R. : Non, non. C’est vous qui ouvrez vos yeux. Quand on sculpte
des statues en Inde, la dernière étape consiste à ouvrir les yeux. Quand
une personne meurt, le dernier acte à accomplir est de lui fermer
les yeux. Voyez à quel point tout cela est beau. Il suffit d’observer
la Nature pour tout apprendre. Lorsque nous méditons les yeux
fermés, c’est comme mourir à nous-mêmes. Nous ne mourons
pas ; nous mourons à notre soi et exposons notre Soi intérieur.
Bien des gens demandent pourquoi nous ne pouvons pas méditer
les yeux ouverts. Cela n’est pas possible, pouvons-nous manger
la bouche fermée  ? A toute activité, correspond une manière
correcte d’agir.
A. : Quelquefois dans la journée, on a l’impression d’être dans
le souvenir constant. Puis il y a comme un appel à la méditation
et je me mets à méditer. Mais j’ai l’impression que cela fait plus
une rupture qu’une fusion.
P. R. : Là où il y a souvenir, la méditation n’est pas nécessaire.
Mais, que se passe-t-il  ? En méditation il y a des conditions
agréables et la plupart des gens ne méditent pas pour progresser
mais pour savourer la condition. Voilà le problème  ! Et ils
prétendent que la méditation était bonne aujourd’hui ou qu’elle
n’était pas bonne ...
Mais la méditation est toujours bonne. A chaque étape, elle vous
approche du But. Vous pouvez apprécier ou ne pas apprécier la
condition, mais vous devez l’accepter. Ainsi lorsqu’on se souvient
et qu’il y a un appel à méditer, c’est l’association à une condition
plaisante qui intervient. Babuji disait que certains abhyasis
méditent depuis vingt ans ou plus, tombent en samadhi, mais ne
progressent pas car ils sont attachés à la condition et pas au But.
Retour →sommaire des mots et merveilles 119

A. : Qu’est-ce que le samadhi ?


P. R. : Samadhi, c’est être absorbé dans la condition. Pas le réel
samadhi, mais le samadhi de type inférieur. L’enfant totalement
absorbé dans la dégustation d’une crème glacée, est dans une
sorte de samadhi, d’un niveau très bas. C’est l’absorption.Lorsque
vous lisez un livre et que vous êtes plongé dans sa lecture, c’est une
absorption sans réel bienfait, sans croissance. Si la lecture d’un
livre éducatif vous paraît difficile, vous le refermez. En général,
les choses qui nous permettent de croître sont difficiles et les
livres du Sahaj Marg vous endorment ! Les gens commencent à
lire un livre de Babuji, s’assoupissent au premier paragraphe et
affirment ensuite : « Vous savez, j’ai reçu une forte transmission
de sa part ! » Cela m’amuse toujours beaucoup ! C’est possible,
mais pas toujours. Si vous pensez au Maître en lisant un livre
et que votre absorption soit en lui et non pas dans le livre, alors
vous recevrez la transmission.
A. : Peut-être ce besoin de méditer est identique au désir de
l’enfant qui veut apprendre à marcher et qui se réveille la nuit
pour vérifier qu’il sait marcher ?
P. R. : Non, non. Si l’enfant se réveille, c’est qu’il veut vérifier la
présence de sa mère  ! Nous cherchons toujours la personne qui
devrait être là, et pour l’enfant c’est sa mère. Un bon abhyasi
devrait chercher le Maître lorsqu’il se réveille : c’est le souvenir
constant. Vous vous réveillez et vous pensez au Maître. C’est le
but de la prière du soir, pour garder la continuité du contact avec le
Maître durant le sommeil. L’enfant a cette conscience. Supposez
que l’enfant se réveille et dise : « Qui est ma mère, pouvez-vous
me dire qui est ma mère  ?  » L’enfant le sait, mais nous, nous
ignorons le Maître.
A. : Etre avec soi-même et alors on n’a plus de problèmes ?
P. R. : A quelle étape ? Il y a trois sortes de réponses. La première
est sous forme de plaisanterie, lorsqu’un jeune garçon américain
Retour →sommaire des mots et merveilles 120

a dit à Babuji : « Je pratique fréquemment le souvenir constant. »


Cela n’est pas possible. Souvenir constant signifie constant. La
seconde, c’est que nous ne pouvons pas toujours être avec notre
soi, mais ce qui arrive à l’étape finale ... Je vais vous rappeler la
réponse qu’a faite Babuji lors d’une interview au Danemark en
1972. Un journaliste lui dit  : «  On vous appelle Maître.  » et
Babuji lui a répondu : « Certains m’appellent Babuji, d’autres Ram
Chandra, d’autres encore Maître, la manière dont ils m’appellent
dépend d’eux. » Il ajouta quelque chose de très important : « Quand
je fais quelque chose, je ne sais pas si c’est moi qui agit, si c’est
Dieu qui agis ou si c’est encore quelqu’un d’autre. »
Nous procédons d’un état constant de souvenir de nous-
mêmes, à un état de souvenir fréquent puis de souvenir constant.
Ensuite, c’est l’oubli total, complet, là où il n’y a plus ni le Maître
ni vous-même. Qui est quoi ? C’est l’étape ultime. Entre les deux,
il y a énormément d’étapes.
Une fois, j’ai dit à Babuji que j’avais trouvé une formule pour le
souvenir constant : à la première étape, on oublie de se souvenir.
Ensuite on se souvient de se souvenir, tout comme lorsqu’on
s’exclame : « Oh ! j’ai oublié Babuji ! » C’est se souvenir de Babuji
en l’ayant oublié. La troisième étape consiste à se souvenir
pour oublier. Oublier de se souvenir, se souvenir de se
souvenir, se souvenir pour oublier !
Quelquefois, les gens me demandent : « Qu’allez-vous faire en
rentrant chez vous  ?  » Sotte question  ! A quoi s’attendre, si ce
n’est etre chez soi ! C’est un état d’être. A l’extérieur, vous êtes
actif. Chez vous, vous êtes, c’est tout. Toute cette activité doit me
conduire à un état d’être dans lequel il n’y a plus d’activité. On ne
peut dire de Dieu qu’il agisse, ou du Maître qu’il travaille : cela
se fait.
A. : Au stade final, il n’y a plus de Maître ?
P. R. : Oui, mais en parlant avec Babuji de l’amour, il disait :
Retour →sommaire des mots et merveilles 121

« Vous êtes ici et votre Bien-Aimé est ici, mais aussi parfait que
cet amour puisse être, cependant ils sont deux. Quand les deux
deviennent un, désormais qui est l’amoureux et qui est le Bien-
Aimé ? Et qu’est devenu l’amour ? »
A. : Que reste-t-il ?
P. R. : Rien ! Ne vous souciez pas de cela, car c’est l’activité du
mental qui veut savoir qui, quoi, quand et pourquoi  ? Lorsque
vous oubliez qui, quoi, où, quand et pourquoi, alors c’est la
Réalité.
Lorsqu’il y a souvenir, il n’est plus nécessaire de méditer. La
méditation est une étape. Babuji disait que la méditation est faite
pour se souvenir de la maison originelle qui est le Maître. Ensuite
le souvenir sert à créer l’amour pour le Maître et lorsque l’amour
pour le Maître est créé, le souvenir aussi doit s’en aller. C’est
plutôt étrange ! Lorsque cet amour s’épanouit en union avec le
Bien-Aimé, la conscience de moi-même et celle de mon Bien-
Aimé doivent aussi s’en aller. Dès lors, qui est qui ? Qui est où ?
En 1972, aux Etats-Unis, Babuji m’a dit  : «  Il n’est plus
nécessaire que vous méditiez, mais à une seule condition  : ce
temps de méditation, vous devez me l’accorder pour faire mon
travail. » Quand vous travaillez pour le Maître et que ce travail
prend tout votre temps, il serait stupide de la part du Maître de
vous demander de méditer. Et mon Maître n’était pas quelqu’un
de stupide ! Mais je dois travailler, sinon je dois méditer.
On polémique toujours sur le capitalisme et le communisme
en termes de travail et de récompense. Pourquoi êtes-vous
récompensé ? Parce que vous travaillez pour autrui et non pas pour
vous-même ! Le Maître vous donne le travail et la récompense ;
il doit vous récompenser pour le travail effectué. Alors pour que
mon Maître s’occupe parfaitement de vous, soyez un travailleur
parfait. Rien de plus simple !
Travaillez pour le Maître et tout vous sera donné, travaillez
Retour →sommaire des mots et merveilles 122

pour vous et peut-être n’aurez-vous rien. Quel est le secret du


succès ? Travaillez pour lui qui peut veiller sur vous. Parfois je
me demande pourquoi il y a tant de générosité dans le Maître,
une générosité sans limites. Nous ne faisons pratiquement rien
et nous obtenons tout. Quelquefois nous nous demandons même
pourquoi nous devons faire ce minimum ! J’ai posé, moi aussi, cette
question à Babuji : « Pourquoi ce minimum est-il nécessaire ? »
Il m’a répondu : « C’est votre paresse qui pose cette question ! »
Mais il est vrai qu’en faisant ce minimum, vous montrez votre
intérêt. Quand un enfant vous apporte une petite fleur en présent,
un grand bouquet n’est pas nécessaire. Un minimum représente
le signe du lien entre le Maître et le disciple. Il ne peut vous
donner moins sous prétexte que vous n’apportez qu’une seule
fleur, il ne peut vous donner plus si vous apportez un bouquet. Il
donne ce qu’il a à donner. C’est pour cela qu’il est si plaisant
de travailler pour le Maître, c’est comme des grandes vacances !
A. : Mais Dieu n’a pas besoin de nous !
P. R. : Dieu n’a pas besoin de nous au sens où l’on a besoin de
manger. Dans l’amour aussi, il n’est pas question de “besoin”.
Si vous dites  : «  J’ai besoin de ma femme.  » Elle va froncer
les sourcils, mais si vous dites : « J’aime ma femme. » Elle est
heureuse de venir vers vous. Il y a une différence entre “avoir
besoin de” et “aimer”. Le Maître aussi nous aime, mais il n’a pas
besoin de nous.
A.  : Les précepteurs travaillent pour le Maître, comment les
abhyasis peuvent-ils travailler pour le Maître ?
P. R. : En devenant ce qu’il veut que nous devenions. La mère
dit à son enfant  : «  Chéri, deviens aussi fort que ton père  !  »
Là, réside sa joie. Pourquoi souffrez-vous lorsqu’un enfant
ne grandit pas normalement  ? Parce que vous trouvez votre
accomplissement dans sa croissance. Il est difficile d’être parents
car vous mettez votre propre réalisation en quelqu’un d’autre.
Retour →sommaire des mots et merveilles 123

J’entends beaucoup de filles dire à leur mère  : «  Je ne désire


pas être mère. Même si je manque cette joie, du moins j’éviterai la
souffrance. » Mais à quarante ans, alors qu’elles ne peuvent plus
concevoir, elles veulent un enfant car elles découvrent que sans
souffrance, il n’y a pas non plus de joie ; elles vivent comme des
machines.
C’est un des plus vieux secrets : le plaisir et la souffrance vont
de pair. Vous ne pouvez avoir l’un sans l’autre et plus vous essayez
d’avoir l’un sans l’autre, plus vous obtenez l’autre ! La souffrance
est chose naturelle.

Lundi 13 juin 1988 (soir)

Les semences et les sutras


P. R. : Le mental a une capacité quasiment infinie d’assimiler la
connaissance. Pouvez-vous me dire pourquoi ? Si l’on considère
le cerveau, celui-ci doit bien avoir une capacité définie, n’est-ce
pas ? Selon les experts, nous n’avons pas accès à dix pour cent
de notre cerveau, les génies à peine plus. Cependant, même si on
multiplie cette capacité par dix, une limite doit exister !
Personne ne hasarde de réponse. Le Maître reprend.
P. R. : Eh bien ! la beauté du mental humain, c’est qu’il réduit
toute chose à son essence. C’est ce qui se passe lors de l’assimilation
d’informations. En assimilant des faits, on les transforme en
principe de connaissance. En conséquence, même s’il y a une
limite à cette capacité, elle est annulée en quelque sorte par le
mental qui crée pour lui-même un processus de semence. De
même, l’arbre assure sa reproduction par une graine qui contient
toutes les informations
C’est ainsi que les saints enseignent par ce qu’on appelle
le sutra en sanscrit, tel “om tat sat”  : cela est la vérité et tu es
aussi cela. Cela donne au destinataire de cette graine de savoir la
Retour →sommaire des mots et merveilles 124

confiance qu’il peut atteindre cet état, la réalisation de Dieu. Il le


peut, car le Guru dit que c’est possible. Croire en cette possibilité
et fait faire alors le premier pas sur le chemin de la pratique ou
sadhana. Lorsque vous accomplissez cet état, vous dites : « Oui,
j’ai toujours été Cela. » Alors vous le realisez.
Ainsi, il n’y a ni croissance, ni accumulation, il n’y a que realisation.
Le cercle est bouclé ! Voyez à quel point le sujet est fascinant !
A. : Mais dans une semence il y a tant d’informations, où sont-
elles ?
P. R.  : Il n’est pas important de savoir où cela se trouve,
demande-t-on où est l’amour  ? Supposez que je vous dise  :
« Soyez prête, nous avons besoin d’au moins un millier de chênes
pour le futur. Allez-vous stocker un millier de chênes  ? Aurez-
vous l’espace suffisant ? Mais si vous prenez leurs graines, vous
pourrez en apporter des milliers ou des dizaines de milliers car elles
ne tiendront que peu de place.
C’est bien là l’ingéniosité humaine, qui singe ou imite
l’ingéniosité ou la sagesse de la Nature elle-même. En réduisant
– c’est ce qui est fait par le procédé des puces, de la micro
miniaturisation technologique – on obtient qu’un énorme
ordinateur soit ramené à une dimension permettant de l’emmener
chez vous.
A. : Nous pouvons avoir accès au réservoir général ...
P. R. : Oui, Babuji a dit qu’il est sous forme de richas, dans la
réserve cosmique. Mais la réserve cosmique, c’est précisément
comme d’essayer de lire le “Yi King”. Vous obtenez un symbole :
ce symbole peut être interprété de façons multiples. Plus vous en
saisissez le sens, plus vous pouvez en extraire de significations. Et
l’homme sage, c’est celui qui, à l’origine, a mis toute cette sagesse
ou la richesse de cette sagesse dans ce seul symbole. Nous, nous
ne faisons qu’interpréter sa sagesse.
L’homme qui a conçu l’ordinateur, c’est un génie, c’est lui le
Retour →sommaire des mots et merveilles 125

créateur. Nous, nous ne faisons que manipuler les clés qui ouvrent
l’intérieur, nous ne sommes que des usagers. La société valorise
le créateur, que ce soit d’un objet d’art, d‘une forme d’art, d‘un
savoir, d‘un système d’enseignement, d‘un système de culture.
D’où également l’importance du père et la mère.
C’est pourquoi il faut un saint pour interpréter ces
hexagrammes. Babuji le pouvait car il avait la vision. C’est la
vision qui importe et non pas le savoir. Aussi, en Orient,
la réelle sagesse est dans le fait de voir, alors que la sagesse
occidentale réside dans le savoir.
J’ajouterai quelque chose de très important : quand un interprète
devient-il un maître ? Lorsqu’il arrive à extirper du symbole tout ce
que le Maître a pu y déposer. Le Maître présente sa vision sous une
forme que nous appelons un symbole, tel le fameux “Om” en sanscrit.
En fait, en un sens je ne crois pas du tout à ce qu’on appelle
la création. Est-ce qu’un arbre créé une semence ? Il ne fait que
s’exprimer dans la semence, dans la fleur. Le vrai créateur ne fait
que s’exprimer lui-même et se reproduire lui-même. Donc un
maître doit au moins produire un maître, sinon il n’est pas un
maître. Il n’a nul besoin d’en faire deux, ce serait une répétition.
Un artiste exceptionnel pourrait n’avoir exécuté qu’un seul tableau
dans sa vie, le reste de son œuvre n’est qu’un surplus. Un chef
d’œuvre est toujours unique et ce que l’on appelle création n’est
qu’une expression de soi-même. Je ne crois pas en la création.
Lorsque vous engendrez un enfant, pensez-vous à l’enfant  ?
Vous ne faites qu’exprimer votre amour, pourtant, le bébé arrive.
En êtes-vous le créateur ? Non, car très souvent l’enfant n’est pas
désiré, cependant il est une expression de votre amour. Savez-
vous s’il est un garçon ou une fille  ? Non. Lorsqu’il y a amour,
de façon naturelle cet amour s’écoule et prend la forme d’un bébé.
Donc là où il y a quelque chose, cette chose doit s’exprimer et en ce
sens nous sommes tous des créateurs. La seule différence réside en
Retour →sommaire des mots et merveilles 126

ce que nous créons. Une poule crée un œuf, un maître crée un


maître, un démon crée un démon. Il n’y a ni louange, ni blâme,
ni matière à critique. Ce qui est limité ne peut créer que quelque
chose de limité parce que c’est une expression de sa limitation,
c’est tout. Celui qui est limité ne peut pas créer ce qui est illimité.
On a donc besoin d’un maître pour créer un maître, car il n’a pas
de limitations.
Alors comment était la méditation d’aujourd’hui ?
En dépit des nombreuses sollicitations du Maître pour que
nous exprimions notre vécu de la méditation, les réponses se font
encore rares. Cent fois sur notre métier remettons notre ouvrage
... Les questions semblent vouloir tenir la scène, mais le Maître,
après une dernière réponse, y met un terme courtoisement.
A. : Est-ce qu’il y a une différence entre un abhyasi qui a atteint
le but et le Maître ?
P. R. : Oui ... Supposons que vous soyez le roi d’Allemagne et
que je sois votre frère. Bien que je ne sois pas le roi, tout ce que
vous avez, je l’ai ! Pourtant vous êtes le roi et je ne le suis pas.
C’est pourquoi il est dit que le procédé de divinisation consiste
à devenir divin en toute chose, presque divin. On peut devenir
comme Dieu, mais on ne peut être Dieu. Et je préfère être le frère
du roi que le roi lui-même !
Les questions sont terminées ! Cela fait une heure et demie que
je parle. J’aime parler, mais pas tout le temps ; parfois lorsque
c’est intéressant et utile, je veux bien.
Retour →sommaire des mots et merveilles 127

Deux pas de plus

La capacité d’accueil au séminaire étant limitée, le Maître


suggère aux Français d’éviter de venir toute une semaine
pour laisser place aux abhyasis danois qui lui rendent visite.
La semaine écoulée, je retourne m’occuper du Maître pour ses
repas. Le dimanche matin, alors que je me rends dans la cuisine,
à ma surprise, le Maître est aux fourneaux !
«  Dépêchez-vous, venez déjeuner  !  » me lance-t-il tout en
s’affairant à la préparation d’un plat à base de pain rassis et
d’huile, agrémenté de noix de cajou, de graines de moutarde
et de piments verts. «  En Inde, nous ne perdons rien et nous
utilisons tout ce qu’il nous reste. » Ensuite, le Maître dresse une
nappe par terre au milieu de sa chambre, dispose les couverts,
nous fait asseoir avec Jacky et refuse toute aide. Il nous sert et
nous demande si c’est à notre goût. « Vous n’allez peut-être
pas aimer  ?  » «  C’est délicieux.  » Et c’était vrai. Quand nous
avons fini  : «  Voulez-vous un dessert  ?  » demande-t-il. Nous
acquiesçons et il va nous chercher des yaourts pour terminer le
repas, nous interdisant toujours de nous lever. « Restez assis ! »
Nous étions tout à la fois étonnés, confus et ravis.
Que dire  ? Ce moment précieux nous fut donné. Ce fut
l’exemple de la spontanéité, de la simplicité, du respect de la
nourriture, du savoir-faire, de l’hospitalité, du service dans
toutes ses dimensions et sans doute de beaucoup d’autres choses
que je n’ai pas saisies, mais dont l’impact et l’effet ont encore
une résonance aujourd’hui en moi.
Retour →sommaire des mots et merveilles 128

Son enseignement, il le prodigue sans cesse  ; sa vie est


enseignement à chaque seconde. Mais très souvent il nous
échappe, car le merveilleux ne nous saute pas aux yeux dans ce
que nous avons l’habitude de prendre pour l’ordinaire. Pourtant
le Maître est naturellement extraordinaire, aucun artifice
de sa part n’intervient. C’est quelque chose qu’il convient de
souligner, car les effets de son enseignement peuvent être pris,
a posteriori, comme résultant d’une préméditation délibérée, ce
qui ne saurait être. On lui prête des intentions, mais le Maître
ne manipule pas, il utilise de manière tout à fait spontanée les
éléments qui s’offrent à lui, ce que nous lui présentons de nous-
mêmes par exemple. Aucune contrainte n’est exercée, c’est à
nous d’accepter, d’en tirer compréhension et gratitude.
Une autre fois, je pus observer comment il accorde à
l’interlocuteur du moment, une pleine attention, puis, comment
il passe avec aisance et rapidité à une autre occupation, avec
une aussi totale attention. J’eus l’occasion de saisir cet aspect
de son travail, un matin sur sa terrasse. Quelques personnes
faisant partie de ses proches associés dans le travail de la
Mission bavardaient avec lui et lui posaient des questions
qui me semblaient fort savantes et fort sérieuses. J’étais très
impressionnée par ce qui me paraissait une conversation de
grande portée. Soudain, quelqu’un apparut sur la terrasse, se
dirigea vers le Maître et interrompit l’entretien en lui posant
une question plutôt banale et sans rapport avec le sujet de
discussion. A mon étonnement, le Maître se leva, accueillit cette
personne qui semblait importune avec beaucoup de plaisir et
se mit à lui répondre d’une manière très simple et adaptée. A
cet instant, je fus frappée par le glissement total et immédiat
de l’attention du Maître vers le nouveau venu. Les précédents
interlocuteurs semblaient ne plus exister !
Ce jour-là, mon sens de l’important de l’anodin fut quelque
Retour →sommaire des mots et merveilles 129

peu remis en question et je compris que c’est la personne qui est


le centre d’intérêt, bien au delà de la teneur de ses propos.
Il n’est pas non plus toujours aisé, dès le départ, de prendre
conscience de l’importance des paroles du Maître. Les
conversations peuvent sembler anodines, plaisantes ou purement
techniques. Pourtant la réponse, qu’elle soit sans rapport avec
la question ou même l’interlocuteur, qu’elle paraisse dépourvue
d’aménité, ou même inacceptable, doit être considérée comme
précieuse. La compréhension réelle intervient parfois des mois
ou des années plus tard.
L’allusion ou la suggestion peuvent être tellement discrètes
qu’on ne les perçoit même pas. En Occident, notre personnalité
avide de conclusions hâtives, se perd dans les apparences et
manque l’effet de l’enseignement, par manque d’éducation et
de patience. Si nous reconnaissons et acceptons les ouvertures
du Maître, ainsi que tout ce qui nous arrive dans notre vie
comme élément favorable d’évolution, le sentiment de gratitude
s’installe et l’émerveillement prend place.

Samedi 18 juin 1988

Communiquer par l’essence


Le Maître reprend l’analogie de la roue qu’il a utilisée quelques
jours avant pour décrire le yatra ou chemin spirituel.
P. R. : Le point supérieur de la roue se déplace vers l’avant et
le point inférieur se déplace vers l’arrière, mais toute la roue se
déplace vers l’avant.
A. : Alors que voit celui qui regarde ?
P r : Celui qui regarde ne voit rien ! Car il dit : « Qu’est-ce que
cette maya ? »
A. : Mais alors de quelle façon l’avenir peut être prédit ?
P. R. : Comment ? C’est très simple. Supposez que vous soyez
Retour →sommaire des mots et merveilles 130

dans un hélicoptère, à Milan par exemple, au grand carrefour en


face du Duomo, là où la circulation est intense. Vous vous rendez
compte d’en haut que cette voiture-ci et cette voiture-là vont
entrer en collision. Alors vous prenez votre radio téléphone  :
« Luigi, tu vas heurter une voiture venant sur ta droite ! » Luigi
se demandera comment vous pouvez savoir qu’un accident va
survenir avant qu’il n’ait eu lieu  ! C’est que vous voyez d’une
dimension qui est au-dessus et dans laquelle deux voitures sont
dans le présent, au-delà de notre dimension. Où est le mystère ?
Il n’y en a pas !
De même, lorsque vous êtes au bord d’une rivière, vous ne
pouvez voir que ce qui s’y trouve. Mais si vous êtes au sommet
de cette montagne, vous pouvez voir toute la côte et la direction
que prennent les gens. Dans un sens, vous êtes en train de voir le
passé, le présent et le futur, n’est-ce pas ? Au niveau de la rivière,
c’est soit dans le passé, soit dans le futur, mais pour vous, d’ici,
tout est dans le présent. Pourquoi  ? Parce que vous vous êtes
élevé d’une dimension supplémentaire.
Supposez que je m’élève dans une dimension encore plus
haute ; finalement, je vais atteindre la dimension de l’Ultime, où
tout est dans le présent. Pour une telle personne, il n’y a plus
que le présent, rien d’autre ; c’est très simple, si on veut bien y
appliquer son mental. Pour le réaliser, cela peut être difficile, car
on est barré par ses propres limites, telle votre affirmation, tout à
l’heure : « Je ne verrai jamais. » Je vous ai averti de ne jamais avoir
cette pensée, car vous créez votre limite. « Oui, je verrai. », telle doit
être notre attitude.
Supposez que je dise : « Cette langue française est redoutable,
seul un fou de Français peut parler une telle langue. » Ce serait
une attitude encore plus folle ! Que signifie le mot “encourager” ?
Non pas le courage, mais mettre du cœur. Que signifie
“enthousiasmer”  ? C’est mettre Dieu dans la personne. Il me
Retour →sommaire des mots et merveilles 131

donne la transmission ; aussi à chaque fois que vous transmettez


à une personne, vous la rendez “enthousiaste”. Le mot “courage”
a une signification plus élevée que le simple courage, il veut dire
avoir un cœur. Richard-Cœur-de-Lion était qualifié par son cœur
et non pas par sa tête. Quand vous dites : « Courage, mon ami ! »
Cela veut dire : « Prends cœur mon ami, réfère-toi à ton cœur. »
“Adieu” signifie : « Va avec Dieu, prends-le pour compagnon. » De
nos jours, nous avons perdu le sens de tous ces mots magnifiques.
De même, sans le cœur, que serait la musique ? Si un ordinateur
faisait la cuisine, quel en serait le goût ? Quelle est la différence
entre une soupe à l’oignon faite par deux personnes différentes ?
C’est la qualité de vos mains et de votre cœur qui fera la différence
et le côté unique d’une soupe à l’oignon provient de vous.
Cette qualité unique est une qualité humaine. Bien qu’il y ait
des milliers d’êtres humains, chacun d’entre eux est unique. La
Nature ne produit qu’une seule chose de chaque modèle, mais
nous, nous produisons une chose et nous la multiplions. Il en
est ainsi des voitures par exemple. La Nature produit deux
chevaux mais ils ne seront jamais semblables, pas plus que deux
êtres humains ou deux cochons. Vous voyez l’énorme capacité
de la Nature qui engendre depuis des millions d’années et qui
cependant ne se répète pas.
A. : Nous devrions être comme cela.
P. R. : On devrait être comme cela. En spiritualité, on accepte
tout, car tout est dans la création. On devrait ôter toutes ces
qualifications, oublier qui elle est, qui il est et seulement
transmettre l’essence ; alors vous êtes un maître.
Sans le son, comment peut-il y avoir de la musique  ? C’est
le silence qui travaille pour rendre le son efficace et non pas
l’inverse. En musique, on pense habituellement que c’est le son
qui nous affecte. Mais un réel musicien, un maître en musique
sait que c’est le silence qui donne l’efficacité au son. Un musicien
Retour →sommaire des mots et merveilles 132

est réellement un maître en silence ! C’est un fait, réfléchissez-y.


C’est pourquoi l’on dit que le silence est le langage de Dieu.
Prenez une maison. Qu’est-ce qu’une maison ? C’est de l’espace
avec des murs. La porte est un espace pour y entrer. S’il n’y a
que des murs, comment y entrerez-vous ? Donc, la capacité pour
vous emmener d’un espace à un autre espace est créée par ce qu’il
est convenu d’appeler une porte. Sans la porte, vous n’entrez
pas. Quelle est la différence entre l’espace extérieur et l’espace
intérieur  ? Nous, nous ressentons la différence. Lorsque nous
sortons à l’extérieur, nous avons peur que les insectes entrent.
A l’extérieur, il y a un sentiment de solitude et à l’intérieur un
sentiment de bonheur, de complétude. Le saint, lui, dira : « Quelle
est la différence entre cet espace-ci et cet espace-là ? Vous prenez
ceci pour l’extérieur et cela pour l’intérieur mais pour moi je
pense que ceci est à l’intérieur et cela à l’extérieur. »
Vous connaissez ce dessin animé où deux singes en cage se
disent : « Regarde tous ces gens en cage ! » Qui est en réalité à
l’intérieur et qui est à l’extérieur  ? C’est une question de point
de vue. Mon Maître disait  : «  Tous les gens qui travaillent en
prison, sont en prison qu’il s’agisse du directeur, du gardien ou
du détenu. » L’un pense être libre, l’autre pense ne pas l’être ; on
a le choix.
Mais que se passe-t-il ? Avec votre mentalité européenne moderne
qui ne supporte pas les groupes ... Vous me dites : « Chariji, je
ne peux pas venir méditer en groupe. » De quoi avez-vous donc
peur ? C’est comme vous enfermer par peur pour dormir : vous
oubliez qu’en empêchant quelqu’un d’entrer, vous vous empêchez
du même coup de sortir  ! Et vous devenez prisonnier de vous-
même, c’est fou ! Ce n’est pas le fait de posséder la clé qui me rend
libre ; j’ai la clé, mais pas la liberté. Le saint vous dira : « Pourquoi
avoir peur, ouvrez votre porte. » En restant à l’intérieur du corps,
on exclut tout amour, toute relation, tout compagnonnage  : je
Retour →sommaire des mots et merveilles 133

reste prisonnier de moi-même et je deviens de plus en plus fou


jusqu’à devenir obsédé par une seule chose : moi-même. Ouvrez
et vous êtes libre. La liberté dépend de l’ouverture. En Inde, tout
est toujours ouvert, les portes, les pièces ne sont jamais fermées,
tout le monde s’assoit partout. Ici, les gens entrent et ferment les
portes ; à chaque instant on entend : « Fermez la porte, svp ! »

Samedi 18 juin 1988

Vers l’Ultime
P. R.  : Le changement doit intervenir de l’intérieur vers
l’extérieur. Si vous voulez gonfler un ballon, vous insufflez de l’air
à l’intérieur, vous n’intervenez pas par l’extérieur. Si vous voulez
obtenir de la musique d’un cor, vous soufflez de l’air dans le cor.
Vous agissez toujours de l’intérieur vers l’extérieur. C’est pour
cela que vous devez avoir la capacité et la patience de travailler à
l’intérieur avant tout.
Vous pouvez vous rendre dans un institut de beauté et vous
faire maquiller, un peu de bleu par ci, un peu de rouge par là.
Vous sortirez vingt minutes plus tard en ayant payé mille francs
et en pensant que vous êtes belle. Les Indiens en font autant
avec leurs peintures de guerre, seule la technique et les couleurs
diffèrent, mais sans plus. Et cela coûtait moins cher !
Mais ce qui est réel, vient de l’intérieur, même pour la beauté.
Aujourd’hui, on veut changer son nez, ses oreilles par la chirurgie
plastique. En Afrique, des femmes s’élargissent les lèvres, c’est
leur idéal de beauté. Les Anglais disent que la beauté est dans
les yeux de celui qui regarde et non pas dans l’objet. Sinon,
chacun devrait tomber amoureux de la même jolie fille  ! Mais
cela n’arrive jamais, car ce qui est beau pour vous, selon moi est
laid. Pourquoi voyez-vous la beauté ? A cause des samskaras. Un
homme change d’amie, mais d’une certaine manière elle ressemble
Retour →sommaire des mots et merveilles 134

à la précédente. L’homme qui aime les pizzas en mange à Tokyo, à


Singapour, car ses samskaras le réclament.
Pour en revenir à la beauté, pour une personne spirituelle et
évoluée, il ne peut y avoir ni beauté, ni laideur, car elle n’a pas
de samskaras. C’est ce qui est. Pour elle il n’y a ni splendeur, ni
horreur, ni grandeur, ni insignifiance, ni richesse, ni pauvreté,
rien. Par conséquent, elle n’a ni amis, ni ennemis. Elle n’a pas
de choix.
En Inde, nous avons un Véda, le Samavéda, qui comporte cinq
notes seulement, il en sort une musique qui ressemble à celle
d’un harmonium. Prenons à présent l’exemple des couleurs. Si
vous allez dans un magasin de peintures, on vous présentera un
catalogue de cent cinquante couleurs. Il existe vingt-sept gris,
cinquante bleus, parce qu’on perçoit de plus de plus de relations
subtiles. Au fur et à mesure que notre perception se raffine, entre
les deux do d’un octave, on perçoit en Inde vingt-deux notes au
lieu de sept ! Un jour votre perception sera si aiguisée, que vous
percevrez le plus léger des changements. Pour certains mots
subtils, il n’existe pas d’équivalent dans d’autres langues, ni
d’autres mots.
A. : Le mot “atma” par exemple ?
P. R. : Atma est un mot sanscrit. On le traduit par “esprit” (“spirit”)
et “âme” (“soul”), mais ce n’est pas exact. Comment dire lorsqu’il
n’y a pas de mot ?
A. : Mais dans les livres, Babuji l’a décrit en tant que pranahuti ?
P. R. : Non, non. Atma n’est pas pranahuti. Pranahuti vient
d’atma. Vous dites par exemple : « Un cœur aimant. » Mais ce
n’est pas de ce cœur-ci (montrant la poitrine) que cela vient. On
utilise des expressions comme “cœur de pierre”, “doux-cœur”,
“cœur tendre”, mais il ne s’agit pas du cœur physique ; alors où
est le cœur ?
A. : Ce n’est pas où ...
Retour →sommaire des mots et merveilles 135

P. R. : Ce n’est pas davantage quand, ni comment, ni pourquoi !


A. : Alors quoi ?
P. R. : Même “quoi” doit s’en aller !
A. : C’est fou !
P. R. : D’un côté cela semble fou, d’un autre c’est ... Pourquoi
parle-t-on du cœur ? Pourquoi ne dit-on pas un “estomac froid” ou un
“estomac chaud”, un “doux estomac” ? D’une façon ou d’une autre,
on arrive à l’essence du mot et c’est cette essence qui détermine le
mot. De la même manière, un langage a une essence ; quelle est
l’essence du langage ? Certaines langues sont très riches, d’autres
moins. En anglais, par exemple, certains mots sont nuancés, très
nuancés comme “sad” (triste), “melancolic” (mélancolique),
“morose” (morose) vous ne les trouvez dans aucune autre langue.
On peut mesurer le talent d’un peuple à percevoir ce qui est subtil.
C’est comme un spectre de couleurs, comme un octave de
musique après l’autre. Combien peut-il y avoir d’octaves à la
suite  ? Ils peuvent être infinis, mais finalement une seule note
peut réduire l’univers en miettes ! C’est le Om, l’Ultime. Dans la
Bible, un fait analogue est évoqué par l’écroulement des murs de
Jéricho. Maria Callas pouvait briser des verres avec un contre-ut.
C’est ainsi qu’au-delà des vibrations soniques, il y a les vibrations
supersoniques des avions qui franchissent le mur du son et
produisent le double bang et qu’au-delà de la lumière, le rayon
laser peut tout faire.
Lorsque nous allons vers l’Ultime, en toutes choses, la
puissance devient telle qu’on ne peut en parler, qu’il s’agisse du
son enfermé dans un supersonique ou de la lumière amplifiée
dans un rayon laser. Pourquoi la bienveillance ne pourrait-elle être
comme cela ? L’amour, comme un laser, en un rayon concentré,
devient la transmission, pranahuti. Il peut alors pénétrer votre
cœur, y créer un bouleversement et vous faire pleurer ! Pourquoi
pas ? Il faut centrer toute chose. Si vous prenez une loupe pour
Retour →sommaire des mots et merveilles 136

focaliser le soleil sur un morceau de papier, celui-ci s’enflammera.


Si vous concentrez l’énergie du corps en un point pour chanter de
toute votre âme, par ce seul chant vous pouvez changer le monde.
A. : Et dans le langage ?
P. R. : Si vous êtes capable de mettre du sentiment dans le langage,
les paroles n’ont nullement besoin de signification. Comment vous
faire comprendre ... Supposez que vous ayez soif, que vous ayez
oublié de prendre de l’eau et que cette dame vous dise quelque
chose. Vous ne comprenez pas ce qu’elle vous dit, mais cependant
vous saisissez le sens et vous répondez : « Oui, merci ! » Elle avait
compris votre besoin. C’est une communication fondamentale. Tout
le reste ne sert qu’à multiplier les communications.
A. : Alors ceux qui ont trouvé un moyen pour exprimer le mot
“atma” ?
P. R.  : C’est de la communication. Dès lors, il y a deux sens
au mot communication. Lorsque vous dites : « Je communique
avec elle. », cela veut dire que vous communiquez quelque chose
de vous-même vers elle, que ce soit une compréhension, un
sens, une émotion.Et communiquer, c’est transmettre votre
essence aux autres.
Vous pouvez dire que pranahuti est une manière de communiquer,
par la musique, par les langues, par le sentiment, les émotions.
Toute chose en provient et selon la capacité à réagir de celui qui
reçoit, il peut répondre avec émotion, par un sentiment ou avec
amour. C’est une autre belle facette de la résonance.
Ainsi, toutes les voies de communication sont rassemblées
si, comme le Maître, vous réagissez de la seule manière dont
il veut que vous réagissiez. Mais si vous êtes empêtré dans vos
émotions, vos sentiments et tout le reste, vous ne réagissez que
dans une seule petite voie. Vous devenez alors soit mécontent, soit
satisfait, vous riez vaguement, vous répondez un peu par votre
cœur. « Oh, cette transmission m’a fait rire toute la journée ! »
Retour →sommaire des mots et merveilles 137

C’est faire résonner la note do par un piano, par un violon et une


guitare  : ces instruments réagiront de manière différente, bien
que le do soit le même.
Supposons qu’un Indien, un Français et un Allemand soient
ensemble, tous heureux, exprimant la même joie. Si une
personne se met à chanter dans sa propre langue un air triste
qu’ils ne comprennent pas, ils se sentiront tristes car la note
émotionnelle est la tristesse. Quand cela est-il transmis ? Quand
la personne chante avec son cœur. C’est le cœur qui est important
pour communiquer en musique. Mais on est toujours prêt à
communiquer avec les yeux, les oreilles, le nez, tant de choses !
Quand on fait un clin d’œil, c’est de la transmission  ! C’est une
transmission grossière et la réaction à ce niveau-ci peut être une gifle !
Vous recevez ce que vous avez donné. Si vous vous élevez à un niveau
supérieur, la réaction sera à ce même niveau. Si vous descendez au
niveau le plus bas, vous n’obtiendrez qu’une réaction au plus bas
niveau. C’est une résonance.
Toute communication doit se situer essentiellement
au niveau le plus élevé possible de l’individu. Alors il s’élève
par lui-même. Quand du bois flotte sur une rivière, il s’élève au
fur et à mesure que le niveau de l’eau monte. En devenant de
plus en plus léger, nous ne faisons que flotter vers le haut. Par
conséquent, nous n’avons pas à nous élever : ce qui s’élève, nous
élève. Vous suivez ? Ici, si vous dépendez du Maître, vous vous
élevez avec lui, à mesure qu’il s’élève.
L’âme universelle est appelée paratma et l’âme individuelle
jivatma. Lalaji les décrit ainsi  : «  L’une croît et bouge, l’autre
pense et croît.  » On se développe en bougeant, c’est pourquoi on
parle de non-repos (restlessness).
C’est déjà divin ! Partons de la proposition suivante : lorsque
nous plantons une graine, elle est déjà ce qu’elle deviendra. De
même, ce qui est en nous est déjà ce que nous devons devenir. Le
Retour →sommaire des mots et merveilles 138

potentiel ne fait que s’actualiser. Prenons l’exemple de la goutte


d’eau et de l’océan. En essence, ils ne diffèrent pas, mais ceci est
une goutte d’eau et Cela est l’océan.
A. : C’est donc déjà comme ça.
P. R. : Cela doit être ainsi. Ce qui n’est pas dans la graine, ne
peut être dans l’arbre, ce qui n’est pas dans le cœur ne peut pas
en sortir, ce qui n’est pas dans l’émotion ne peut s’exprimer en
musique. C’est une loi. C’est pour cette raison que la grossièreté
doit être enlevée. La lumière d’une lampe recouverte de suie
ne brille pas à l’extérieur, mais à l’intérieur. Otez-en la suie et la
lumière devient de plus en plus éclatante. La lumière devient-elle
plus brillante ? Non. La lumière a toujours été là, mais quelque
chose l’obstruait. D’où le cleaning.
A. : Mais comment prendre le chemin pour ...
P. R.  : Le chemin  ? Voilà que vous pensez d’une manière
occidentale ! Le chemin serait-il quelque chose qui va d’ici à là ?
A. : Pourtant il en est ainsi !
P. R. : Non, pas du tout. Le chemin est là où il est, bien qu’il
puisse paraître se déplacer.
A. : Alors de quoi parlons-nous lorsque vous dites que c’est un
mouvement d’ici à là ?
P. R.  : C’est un symbole  ! Lorsque vous tracez un cercle, où
est le cercle ? Existe-t-il ? Quand vous dessinez des latitudes et
des longitudes sur une carte, où sont-elles  ? Elles sont fictives.
Elles servent à la navigation. Le do d’une gamme peut être le mi
d’une autre gamme. Existe-t-il un do fixe  ? Bien sûr que non  !
Nous partons d’un point et nous nous développons. L’enfant qui
croît dans le ventre de sa mère pourrait demander plus tard  :
«  Où est l’espace dans lequel j’ai grandi  ? Et quand je suis né,
qu’est-il advenu de cet espace ? » C’était un espace et ce n’était
pas un espace à la fois. On pourrait se demander encore où va la
lumière quand on souffle une bougie ! Ce sont des questions qui
Retour →sommaire des mots et merveilles 139

proviennent de l’éducation que l’on a reçue. On nous a appris


qu’un mouvement est quelque chose qui se déplace d’un endroit
à l’autre. Mais en musique, qu’est-ce que le mouvement musical ?
Ce n’est pas un mouvement dans l’espace. Lorsque quelque chose
se meut dans le temps, c’est aussi un mouvement. Il ne peut être
ni dans le temps, ni dans une quelconque dimension, cependant
il est train de se déplacer.
A. : Mais lorsque vous dites qu’il faut nettoyer le point 3, ou
passer à travers le point 5, cela correspond bien à un endroit ?
P. R.  : Oui ... Vous consultez bien une carte si vous décidez
d’aller de Paris à Vienne via Zurich, mais c’est une carte ! Si cette
jeune fille veut se rendre demain dans les Pyrénées, vous lui
montrerez une carte  : «  Prenez cette route, la route Napoléon,
passez par Grenoble, puis tournez à gauche. » Où est cet endroit ?
Il est encore quelque part dans le futur, non seulement dans un
lieu, mais aussi dans le temps. Grenoble existe-t-il  ? Dans son
présent, à ce moment, il doit exister un Grenoble ! C’est plutôt
déroutant, n’est-ce pas ? Or en arrivant à Grenoble, nous trouvons
que c’est différent. Pourquoi ? Parce que nous ne l’avons jamais
vu avant. C’est une fiction, un fantasme que vous avez créé.
Vous devez oublier qu’il existe un temps et un espace, en toute
chose. Même pour aller à Grenoble, si je meurs avant, pour moi
il n‘y a pas de Grenoble. Einstein a fait cette grande découverte
que le temps et l’espace sont interdépendants. Il a pu affirmer
que même le temps est mesuré par l’espace. Le mouvement
d’horlogerie d’une montre en est un exemple, ainsi que le
mouvement d’une planète qui se mesure en degrés et en arcs.
Le temps est toujours mesuré en fonction de l’espace. S’il n’y a
pas d’espace, il n’y a pas de temps. C’est pourquoi, en philosophie
indienne, nous ne parlons que du présent. Le passé, le présent et le
futur sont des créations occidentales.
On fait cette erreur lorsqu’on parle des voyages dans le temps.
Retour →sommaire des mots et merveilles 140

Supposons qu’on envoie Babette dans une fusée qui se déplace à


la vitesse de la lumière. Elle voyage pendant vingt ans, tandis que
sur terre deux cents ans s’écoulent. De retour sur terre, elle veut
revoir sa mère et voudrait bien une soupe à l’oignon. Pour elle,
vingt ans seulement ont passé, mais sur terre, deux cents ans se
sont écoulés et il n’y a plus ni France, ni monde, ni civilisation,
plus rien. Une bombe atomique a tout fait exploser deux jours
après son départ dans l’espace. Ou alors, elle revient et trouve les
tombes de soixante-dix générations. A la vitesse de la lumière, il
n’y a pas de temps.
A. : Il y a “quelque” temps ?
P. R. : Non, le temps est éternel, c’est tout. En philosophie, on
dit : « Où est le futur ? » Vous êtes en train de créer le futur ; si
vous ne le créez pas, il n’existe pas. Y a-t-il donc un futur absolu ?
La philosophie le nie. Si vous arrêtez de créer, il n’existe pas.
A. : Le futur dépend de ce qui se passe dans le présent ?
P. R. : Non, le futur est toujours dans le présent, c’est une
autre façon de le voir. Hier, je vous ai cité l’exemple du cinéma. Le
film se déroule, le rayon de lumière est projeté, que voyez-vous ?
Vous voyez des choses qui bougent et vous essayez d’en retenir
un moment. De même, le présent est le panorama de la situation
du monde présent vers le passé, mais existe-t-il vraiment ?
Quelques jours plus tard, au cours d’une promenade, ce
sujet fascinant du temps et de l’espace sera à nouveau évoqué.
Le Maître confirme l’expérience que j’avais eue lors d’une
méditation : je m’étais sentie en deux endroits simultanément. Il
explique que notre corps subtil peut-être ailleurs qu’à l’endroit
où l’on se trouve et transmettre à un abhyasi. A ce propos, il nous
rappelle l’anecdote que lui conta Babuji : son Maître, Lalaji fut
appelé mentalement par un de ses disciples malade. Lalaji alla
chercher un médecin, le prit par la main et lui fit couvrir les
quelques quarante kilomètres de distance pour se rendre au
Retour →sommaire des mots et merveilles 141

chevet du disciple en une demi-heure !

Dimanche 19 juin 1988

Aimez-Le, Lui qui aime tout


A. : Lorsque nous avons eu une méditation comme celle de ce
soir, je me demande, au moment de faire mon cleaning, comment
il est possible de faire mieux que le Maître ?
P. R. : Qui veut répondre ?
Quelqu’un fait remarquer qu’il ne s’agit pas de comparer.
Quand on fait son cleaning, il n’est pas question d’essayer de
faire mieux que le Maître ; le Maître fait son travail et l’abhyasi
fait le sien.
P. R. : Est-ce que vous avez un doute à ce propos ?
A. : Pas du tout !
P. R. : Quel est le problème alors ?
A.  : Ici, en présence du Maître, avec le travail qui se fait, je
ne sens pas la nécessité de m’éloigner et d’aller dans la salle de
méditation faire mon cleaning ... Il me semblerait logique d’aller
me coucher, de faire ma prière et de m’endormir.
P. R. : On fait le nettoyage parce que notre Maître le demande,
n’est-ce pas ? Babuji disait : « Il y a trois choses que nous devons
faire chaque jour, la méditation le matin, le nettoyage le soir, la
prière-méditation avant de dormir. » C’est inévitable. La question
de ce que l’on en pense ne se pose pas, le système est ainsi.
En Europe, il y a cette idée que vous déterminez ce que vous
devez faire et quand vous devez le faire. Mais en spiritualité, il
y a seulement l’obéissance et rien d’autre. Ok  ? Alors qu’un
abhyasi me parlait d’un autre guru et d’un autre système, une
autre abhyasi a été très contrariée de ma réponse, car elle était
attachée à ce guru. Plus tard, elle a compris pourquoi j’avais dit
cela et que c’était correct. Alors elle est venue à moi et m’a dit :
Retour →sommaire des mots et merveilles 142

« Il avait eu un élan pour la spiritualité, aussi il a travaillé ; mais


vous-même, n’êtes-vous pas motivé pour aider l’humanité  ?  »
Je lui ai répondu : « Excusez-moi, je n’ai aucun élan pour aider
l’humanité, j’obéis à mon Maître. »
Qu’est-ce que j’ai à voir avec l’humanité  ? Je travaille par
obéissance envers mon Maître et non pas parce que j’ai un intérêt,
ou de la compassion ou de l’amour envers vous tous ! Si demain,
mon Maître me dit de rentrer à Madras, je pars ! Non seulement
le travail devient plus facile, mais notre existence devient plus
facile. Les précepteurs doivent être ainsi. Je voudrais que chacun
d’entre eux travaille dans cet esprit. Quand nous devenons attachés
aux abhyasis, c’est un grand danger, car nous pouvons développer
l’ego : « J’aide l’humanité ! » Il y a trois choses dont vous devez
vous souvenir, et vous les précepteurs, tout particulièrement : nous
travaillons pour le Maître, nous travaillons avec le pouvoir donné
par le Maître, et nous travaillons en obéissant au Maître. Il n’y a
rien d’autre.
Si nous nous souvenons de cela et que nous travaillons de
cette façon, le travail est parfait. Pourquoi ? Parce qu’il décide à
qui je dois transmettre, ce que je dois transmettre, comment et
quand je dois transmettre. Cette directive de Babuji a été faite à
Munich, tout particulièrement aux précepteurs  : «  Aimez Le,
Lui qui aime tout. » Sinon c’est l’inversion : nous aimons tout, ce
qui l’aime lui, et c’est un grand danger. Il est très important que les
précepteurs se souviennent de cela. Plus de questions ?
Encore quelque chose d’important à propos de ce travail  :
lorsque nous obéissons au Maître et que nous travaillons, notre
responsabilité est terminée. Il dit de le faire et je le fais. Mais
supposez que vous utilisiez votre propre jugement, alors vous
devenez responsable. Pourquoi devrions-nous être responsables
de tout cela ? Bien sûr, l’avantage le plus important est que nous
évitons de créer tout attachement, sinon nous nous impliquons :
Retour →sommaire des mots et merveilles 143

«  Mais c’est une personne charmante, qui souffre beaucoup, il


faut faire quelque chose ! » Dans le Sahaj Marg, il y a un principe
fondamental que vous n’aimerez peut-être pas entendre énoncer,
mais c’est le principe du mérite. Lui, le Maître peut éprouver de la
compassion, mais nous ne le pouvons pas. Nous, nous travaillons,
sous ses ordres. C’est encore de l’obéissance !
A. : Maître, et les abhyasis qui ne sont pas précepteurs ?
P. R. : Ils travaillent sur eux-mêmes ! La question posée était la
suivante : quand on reçoit autant, pourquoi de nouveau effectuer
le cleaning  ? La réponse était l’obéissance. L’obéissance est
pour les précepteurs, pour les abhyasis, pour tout le monde. Les
abhyasis devraient L’aimer aussi, Lui qui aime tout  ! Babuji a
dit à Munich  : «  Attachez votre cœur au Maître et votre
mental au précepteur. »
La spiritualité dans le Sahaj Marg est tout en finesse, c’est
comme marcher sur le fil d’une lame. L’idée doit toujours être
orientée vers le but, vers le Maître. On ne peut se permettre
d’écart. Si vous avez un intérêt particulier pour une personne ou
pour quelque chose, alors c’est un écart. En outre, il est arrogant
de penser qu’on peut éprouver davantage de compassion ou
d’amour que le Maître. Aussi, laissons-lui ces aspects et faisons
le travail qu’il nous demande de faire. »
A. : Est-ce qu’on peut aider le travail du Maître au cours d’un
séminaire ?
P. R. : « Oui, tout ce que vous faites est une aide. La meilleure
façon d’aider est d’être discipliné, d’avoir de l’ordre et tout
fonctionne comme une horloge. Si chacun est discipliné et
fait ce qu’il doit faire correctement au bon moment et au
bon endroit, il n’y a aucun problème. C’est très important.
Mais supposez qu’un abhyasi décide de s’asseoir pour méditer
sur cet arbre en prétendant savoir y grimper en toute sécurité
... Alors le Maître s’inquiète jusqu’à ce qu’il redescende  ! C’est
Retour →sommaire des mots et merveilles 144

pourquoi je demande aux gens de ne pas faire de bêtises comme


d’escalader les montagnes, d’aller voir s’il y a des requins, du
moins lorsqu’ils sont avec le Maître.
Shahjahanpur est un endroit réputé pour ses voleurs et ses
malfrats et Babuji recommandait aux femmes de venir sans
leurs bijoux et de les laisser chez elles. Mais les femmes sont plus
attachées à leurs bijoux qu’au Maître et elles les emportaient
malgré tout avec elles. Et Babuji disait  : «  Regarde, je dois les
surveiller jusqu’à ce qu’elles arrivent chez moi ! » C’était beaucoup
de souci pour lui.
Nous devrions réfléchir à chaque chose que nous faisons pour
savoir si cela va être une préoccupation pour le Maître. Et alors il
n’y aurait plus de problèmes, ni pour vous, ni pour lui. Il y a dix
jours, deux abhyasis sont allés dans la montagne à cette heure-ci,
sans même une lampe-torche. Quand ils sont revenus, je leur ai
demandé pourquoi ils étaient partis et l’un m’a répondu : « J’avais
trop mangé et j’ai dû faire une promenade. » Ils auraient pu tout
aussi bien marcher ici en rond ! Que de tracas ils ont crée !
A Shahjahanpur, pendant les célébrations de Basant, cette
année, une jeune fille s’est mise en colère et s’est sauvée dans
la nuit. On a dû envoyer partout des personnes à sa recherche
et finalement à 10 h du soir, on l’a trouvée endormie dans un
sac de couchage, dans un champ. Et elle a protesté : « Oh ! J’ai
l’habitude ! » Mais qui en est responsable ? C’est la Mission qui est
responsable lorsqu’elle est là dans l’ashram et que quelque chose
lui arrive. Aussi on devrait se souvenir que toutes ces activités
dont on a l’habitude, on ne devrait les faire que lorsque nous
sommes ailleurs  ; en séminaire on devrait s’attacher au travail
spirituel. C’est le meilleur moyen de vous aider vous-même et de
ne pas donner d’embarras au Maître.
Quant à l’aider, cela intervient bien après, cessons d’abord
de lui créer des difficultés !
Retour →sommaire des mots et merveilles 145

L’obéissance est tout à fait essentielle. C’était en 1948, je me


souviens d’un abhyasi auquel Babuji avait recommandé d’éviter
tout trajet sur l’eau, que ce soit par bateau ou autrement. Cet
homme, alors qu’il était en Assam, a pris pour s’amuser une barque
pour traverser la rivière. La barque s’est renversée et comme il ne
savait pas nager, il a coulé. Soudain, il a vu deux mains sortant de
l’eau le pousser vers l’embarcation à laquelle il a pu s’accrocher.
Puis il a réussi à remettre le bateau à flots et à regagner la rive. Dix
jours plus tard, il est revenu à Shahjahanpur et dès qu’il est entré
chez Babuji, celui-ci l’a regardé en disant : « Je t’avais dit de ne
pas monter sur un bateau, pourquoi l’as-tu fait ? » Il semblerait
que ce jour là, le jour de l’accident, quelqu’un ait vu Babuji aller à
sa pompe à eau, et soudain s’arrêter et maintenir un moment ses
mains, paumes vers le haut, dans un geste de soutien.
Lorsque nous désobéissons, nous créons donc des problèmes.
A. : L’an dernier, vous nous avez dit qu’on pouvait acquérir en
une semaine le souvenir constant.
P. R. : Non, non, je n’ai pas dit cela. J’ai dit : « Si vous pratiquez
le souvenir constant pendant une semaine, vous ne pouvez
plus l’arrêter ensuite.  »Le souvenir constant doit être pratiqué
maintenant, pas plus tard. Tout est dans le fait de faire ;
nous ne devenons capables de faire, qu’en faisant. A une personne
qui ne peut marcher, le médecin recommande de marcher un peu
chaque jour. Elle doit le faire, alors elle s’aperçoit qu’elle peut
marcher un peu plus chaque jour.
D’abord nous devons comprendre ce qu’est le souvenir
constant. Sinon nous faisons comme ce jeune américain qui me
disait : « Je pratique souvent le souvenir constant ! »
A. : Alors qu’est le souvenir constant ?
P. R. : C’est le souvenir constant ! Cela ne peut être pratiqué
une fois par heure ... Pas d’autres questions ?
A.  : Un jour que j’étais très en colère, une abhyasi m’a dit
Retour →sommaire des mots et merveilles 146

que les deux attributs du divin étaient l’amour et la colère. Je ne


comprends pas bien le rapport entre ma colère et celle du divin.
P. R. : Vous auriez dû demander l’explication à cette personne !
C’est faux. Babuji a dit que l’amour et la colère n’étaient pas des
attributs du Divin, mais des attributs que le Divin nous a donnés.
En revanche, la luxure et l’avarice sont des créations de l’humain,
que nous devrions éliminer de nos vies. Il reste l’amour et la
colère, en nous, pas en Dieu ; l’amour pour Dieu, la colère contre
le mal. Sinon, sans amour comment aimer Dieu et aller vers le
but ? C’est nécessaire. A l’avenir, ne posez pas de questions aux
abhyasis, lisez les livres ! Tout y est écrit.
A.  : Mais comment être charitable avec soi-même, tolérant
avec soi-même lorsqu’on est en colère ?
P. R.  : En faisant ce qui est juste, en pensant de manière
correcte. Vous êtes en colère envers vous parce que vous faites
quelque chose que vous ne devriez pas faire !
A.  : Et lorsqu’on est en colère contre quelqu’un, c’est aussi
contre soi-même ?
P. R.  : C’est possible  ; presque toujours. C’est pourquoi la
spiritualité dit qu’il faut vous corriger si vous voulez corriger le
monde. Alors il ne reste qu’une colère pure, et c’est à cette colère
que se réfère Babuji, lorsqu’il dit que c’est un attribut du Divin.
A. : Qu’est-ce qu’une colère pure ?
P. R.  : Lorsque ce n’est plus un reflet de la colère envers
vous-même ! C’est un fait. Une femme veut trouver une raison
pour se mettre en colère contre son mari quand elle n’est pas
en colère contre elle-même  ! C’est fréquent. Réfléchissez-y  !
Ce n’est pas difficile. C’est une des raisons pour lesquelles les
saints ne se mettent jamais en colère, parce qu’ils n’ont pas de
colère envers eux-mêmes. Même quand ils sont persécutés, ils
le supportent comme un cadeau de Dieu, ils l’accueillent même
avec reconnaissance. Une des dix maximes l‘affirme.
Retour →sommaire des mots et merveilles 147

Lundi 20 juin 1988 (matin)

Tout ce qui brille n’est pas or


A.  : Hier, pendant que vous étiez à Toulon, une réunion
d’abhyasis a eu lieu ici. Je n’y ai pas assisté, mais un petit groupe
d’abhyasis a été choqué par les propos qui y ont été tenus. Il
aurait été dit, à propos de la souffrance, que certaines personnes
aiment souffrir et que c’est leur problème. Cela m’a choqué et
j’aimerais entendre votre parole, Maître, à ce sujet. Quand vous
dites que la compassion n’est pas de notre ressort, est-ce que vos
paroles ont été mal comprises ?
P. R. : J’ai dit qu’il n’est pas suffisant d’avoir de la compassion,
et qu’il faut être à même d’aider. Si un âne tombe dans un fossé,
quelqu’un doit descendre et l’en sortir. Quelle serait l’utilité d’une
cinquantaine de personnes qui se tiendraient autour du trou,
éprouvant de la compassion pour l’âne ? Si c’est tout ce que nous
pouvons faire, il est préférable d’appeler quelqu’un qui pourra
aider. Il faut donc prier le Maître.
A.  : Que pensez-vous de ce qui a été dit  : «  Les personnes
aiment souffrir, c’est leur problème. »
P. R. : Je ne sais pas. Certaines personnes aiment vraiment souffrir.
En psychologie, il est bien connu que certaines personnes ne peuvent
pas vivre sans souffrir et quand elles n’ont pas de réelle souffrance,
elles la créent : ce sont les maladies psychosomatiques ; cela existe.
A. : Est-ce que nous pouvons en juger ?
P. R.  : Chacun le sait pour lui-même ou pour elle-même.
En général, c’est pour attirer l’attention et la sympathie. C’est
pourquoi l’on dit qu’il y a la souffrance réelle et une autre
souffrance que l’on s’inflige. Bien sûr, il y a une sorte de souffrance
très élevée que l’on s’impose, c’est celle des martyrs, des saints,
mais nous ne parlons pas de celle-ci.
Cela ne signifie pas que nous ne devrions pas avoir de
Retour →sommaire des mots et merveilles 148

compassion pour ceux qui souffrent, nous le devrions, mais nous


devrions avoir quelque chose de plus que la simple compassion.
Nous devrions développer la capacité d’aider. Souvent,
j’ai remarqué que la compassion est une excuse pour ne pas
aider  : «  Oh  ! Je suis terriblement désolé  !  » Mon Maître n’a
jamais exprimé de compassion, cependant il aidait tout le monde.
Il aimait et il aidait. Satisfaite ?
J’ai découvert qu’en Occident, beaucoup de personnes veulent
non seulement de l’aide, mais veulent aussi de la compassion. Je
connais des gens qui vont consulter un bon médecin, mais parce
qu’il ne fait pas de discours et qu’il n’exprime pas de sympathie,
ils vont en consulter un autre qui les embrasse et leur dit : « Ma
chérie, quel est ton problème ... » Et il se peut qu’il ne soit même
pas un bon médecin !
Nous devrions comprendre ce qui est bon pour nous. Nous
devrions toujours nous adresser à quelqu’un qui puisse nous
changer. Quand on est malade, le bon médecin doit enlever la
maladie et restaurer la santé. Quand on est ignorant, le bon
enseignant doit éliminer l’ignorance et enseigner. Quand on est
malade spirituellement, le bon enseignant en spiritualité doit
retirer nos opacités et nous donner la transmission. Toutes ces
parlottes, ces histoires de compassion et de sympathie ne sont
d’aucune utilité.
Bien entendu, il n’y a aucun mal à ce qu’un homme soit à
la fois bon et plein de sympathie. Mais la capacité à aider doit
être là en premier lieu. Si je meurs de soif dans le désert et que
vous sympathisiez en paroles, cela ne me servira à rien du tout.
J’aimerais mieux avoir un peu d’eau  ! N’est-ce pas  ? Voilà les
maladies modernes : nous ne voulons pas de bonne nourriture,
nous voulons de la nourriture qui ait un bel aspect, qui sente bon,
qui ait bon goût, même si cela nous fait mal à l’estomac. Nous ne
voulons pas davantage de bons amis qui nous disent la vérité sur
Retour →sommaire des mots et merveilles 149

nous-mêmes, nous préférons les flatteurs qui prendront notre


argent et s’enfuiront. Dans n’importe quelle sorte de relation, il
est temps pour nous de rechercher la qualité.
La spiritualité essaie donc d’ôter tout ce qui est superficiel et de
vous mener à la réalité de chaque situation. Ça, c’est la Réalité,
c’est tout.
A. : Pour les personnes qui sont venues au monde avec leurs maladies
chroniques et qui n’ont donc pas de maladies psychosomatiques ?
P. R. : « Je ne parle pas des maladies. Je parle seulement de nous
et de ce que nous devrions faire. La sympathie, c’est ce que vous
attendez des autres, n’est-ce pas ? Mais si vous êtes réellement
malade, il vous faut voir un médecin, en trouver un bon, qui vous
secouera si cela est nécessaire, mais qui vous fera aller mieux.
Il est préférable au médecin séduisant qui vous fera séjourner
dans une jolie clinique avec de beaux lits, l’air conditionné, des
lampes : « Ça va madame ? Mille francs s’il vous plaît ! » C’est
pourquoi les gens riches s’y rendent et ne vont jamais mieux, car
ils veulent de l’attention et non pas être guéris. De nos jours, c’est
très difficile.
En Amérique on trouve des oranges, des grosses oranges à dix
dollars la livre. Les petites oranges valent quatre dollars la livre.
Mais tout le monde veut les grosses oranges ! Pourquoi ? Le goût
est le même. Nous sommes devenus habitués à tout ce qui luit et
à tout ce qui brille. A présent, il nous faut créer la capacité de voir
ce qu’il y a l’intérieur, dans le cœur. C’est ce que nous enseignons
ici en spiritualité. Nous essayons d’éviter tout ce qui inutile et
clinquant à l’extérieur, l’hypocrisie.
Quelque temps s’écoule, puis la question suivante change le
sujet. Selon le Maître, l’amour est quelque chose de facile et de
naturel ; seuls l’égoïsme et la peur nous en éloignent.
A. : Il y a toujours dans chaque endroit un site qui ressemble à
un autre, peut-être pour montrer que chaque homme est partout
Retour →sommaire des mots et merveilles 150

chez lui ?
P. R. : Bien sûr, c’est partout et toujours. C’est l’esprit humain
qui crée les différences. Dieu n’a pas créé la France ou la Gaule,
il a créé le monde et c’est nous qui avons créé la France ! Nous
avons créé les frontières, les douanes ...
A. : Heureusement que l’humour est le langage universel !
P. R.  : Oui, j’ai lu quelque part, qu’un sourire n’a pas de
langage ! C’est pourquoi il est facile d’aimer les étrangers, mais
difficile de les haïr, car l’amour est exprimé par les yeux et par le
sourire. Pour exprimer la haine, on a besoin du langage, sinon
comment la manifester ? L’amour est donc facilement exprimé,
heureusement  ! Tous ici, nous sommes tellement différents,
venant de pays différents. Je pense que c’est pour cela que Dieu
fait que l’amour est facile et que la haine est difficile, de façon à
garder pour lui-même, comme étant son langage, le silence.
A. : Vous pensez que l’amour est facile, d’une certaine manière ?
P. R. : C’est très facile. C’est la chose la plus facile et la
plus naturelle. Pourquoi est-ce devenu si difficile ? A cause de
l’égoïsme et de la peur. L’égoïsme est forcément accompagné de
la peur, car si je suis égoïste et que je veux quelque chose, j’ai peur
de ne pas l’obtenir ou bien de le perdre, ou encore qu’il soit volé.
Celui dont l’égoïsme est chronique préfère ne pas aimer et par
conséquent, pour toute personne qui préfère ne pas aimer, il doit
y avoir une autre personne qui doit rester non-aimée ! Et toute
personne qui sera en relation avec une telle personne, apportera
cette atmosphère de non-amour.
Une pierre, jetée dans une mare, tombe à un endroit, mais
ses effets s’étendent en cercle tout autour. C’est la manière de
la Nature. Si vous apportez une lampe, elle va tout illuminer. Si
vous amenez un poisson dans une pièce, tout va puer ! Si vous
amenez un homme qui est bon, la bonté va irradier. Si vous
amenez un saint, la sainteté va irradier. C’est pourquoi j’ai dit à
Retour →sommaire des mots et merveilles 151

cette dame de ne rien attendre d’artificiel, car cela crée encore


plus de gens artificiels. Même un bon docteur devient mauvais,
car il voit les escrocs obtenir plus d’argent que lui n’en reçoit et il
se dit : « Laissons tomber cette médecine, je vais avoir une bonne
clinique, avec un beau costume, une belle réceptionniste et je
pourrai alors demander dix fois plus !
A. : S’il y a de la haine dans un regard, c’est peut-être simplement
que cette personne est malheureuse ?
P. R. : Oui, mais pourquoi ? Vous ne pouvez être heureux que
lorsque vous êtes dans une atmosphère de bonheur. Or, vous
devez créer ce bonheur. Comment ? En faisant sortir le bonheur
de vous-même  ! Mais, nous voulons du bonheur à partir de
l’extérieur. La spiritualité dit  : «  Soyez ce que vous devez
être et donnez à tout le monde ! » Alors, l’atmosphère est
heureuse, c’est comme une pièce illuminée, toute personne qui
y pénètre a ce reflet de lumière sur son visage, car la lumière se
réfléchit sur le visage.
Si vous voulez du bonheur autour de vous, il faut que vous
soyez heureux d’abord et ensuite le bonheur sera partout. Sinon,
vous faites comme ces fleurs qui voudraient avoir du parfum
mais ne pas l’exhaler. Dans la Nature, tout est offrande ; seuls les
humains prennent. C’est pourquoi nous violons ce monde, nous
le détruisons, car nous voulons, nous voulons, nous voulons  !
Nous détruisons les êtres humains, les amis, les amoureux, les
maris détruisent les femmes, les femmes détruisent les maris,
nous détruisons nos enfants, nous détruisons nos arbres, nos
rivières, que ne détruisons-nous pas ? La société occidentale est
la plus égoïste qui soit et donc la plus misérable. Les gens ne sont
pas heureux car ils sont égoïstes. Qu’ils apprennent à donner
et ils deviendront heureux.
C’est pourquoi en spiritualité, nous essayons d’apprendre à
donner. Ne pensez pas toujours à recevoir et recevoir et recevoir
Retour →sommaire des mots et merveilles 152

... Lorsque vous donnez, vous recevez également. Voyez cet


enfant, qui fait semblant de ne pas vouloir ce que je lui donne.
Je dois l’obliger à le prendre ! C’est ça les enfants européens, ils
hésitent à prendre ce qu’ils désirent le plus fort !
A. : J’ai une question à propos du cleaning et de la méditation.
Très souvent, j’ai l’impression qu’il est nécessaire que je fasse du
cleaning avant de commencer ma méditation le matin.
P. R. : Il est bien de faire un peu de cleaning.
A. : Il y a beaucoup de changements dans le monde de nos jours ...
P. R. : Le monde est sans cesse en train de changer, mais est-
ce que nous changeons avec lui  ? Quand il y a un désastre ou
un cataclysme, ce n’est rien d’autre qu’un changement auquel
nous ne participons pas. Prenons un exemple simple. Quelqu’un
se rend à Nice et vous désirez une place dans sa voiture. Mais
vous êtes en retard et la voiture est partie  : vous ne faites pas
partie de ce changement, donc vous êtes toujours ici ! C’est un
petit exemple, mais il en est ainsi du jour et de la nuit. Si vous
travaillez le jour, acceptez la nuit lorsqu’elle vient pour dormir,
vous resterez en bonne santé. Mais si vous essayez de transformer
la nuit en jour, vous et votre environnement terrestre, vous n’êtes
plus en harmonie. Vous ne pouvez pas changer cela et plus vous
persisterez à être en discordance avec la Nature, plus vous souffrirez.
Babuji disait donc : « Soyez simple et en harmonie avec la Nature. »
C’est une prescription très simple.
C’est pourquoi je dis souvent que nous désirons le changement
tout en voulant changer tels que nous sommes ! C’est impossible.
Je pense que vous devriez tous aller manger. Bon appétit !

Lundi 20 juin 1988

Confiance et obéissance
Un abhyasi raconte au Maître son rêve, qu’il décrit comme un
Retour →sommaire des mots et merveilles 153

cauchemar : Lalaji, Babuji et le Maître étaient venus travailler


sur lui. Cela avait duré trois heures et il avait eu peur de se
rendormir de nouveau.
P. R. : En Inde, on reconnaît que la plupart du travail du Maître
se fait la nuit, parce que nous résistons dans la journée, ce qui ne
se produit pas la nuit où le travail est le plus important.
Tout ce qui se fait ici, en général, est davantage pour la
satisfaction des abhyasis. Sinon ils ne seraient pas contents, ils
protesteraient qu’ils viennent ici et qu’il ne se passe rien ! Bien
sûr, un certain travail est fait, mais le travail réel s’effectue lorsque
vous êtes endormis. Et vous ne pouvez jamais voir le Maître dans
un rêve à moins qu’il ne vienne  ; vous ne pouvez pas l’amener
vous-même. Tout le reste, vous pouvez le suggérer, le projeter,
l’imaginer. Certaines personnes ont même du mal à amener le
visage du Maître dans leur conscience éveillée. Seule la dévotion
peut le faire. Babuji, Lalaji, que voulez-vous de plus ?
Je me demande souvent pourquoi nous avons peur de l’obscurité.
Si quelque chose a le pouvoir de vous détruire la nuit, cette même
chose a certainement le pouvoir de vous détruire le jour ! Pourquoi
avons-nous donc peur  ? C’est encore l’égotisme. Lorsque nous
sommes éveillés, nous pensons avoir la capacité de nous défendre
nous-mêmes  ; nous pouvons voir, nous pouvons entendre, mais
c’est de l’imagination. Lorsque nous sommes endormis la nuit, nous
pensons que nous n’avons pas de protection. Il est fou et stupide de
penser qu’Il veille sur nous seulement lorsque nous ne pouvons pas
le faire, quand nous sommes endormis ou malades par exemple.
Certaines personnes ont confiance en Lalaji, d’autres en ont
peur, moi aussi d’ailleurs  ! La première fois que je suis allé à
Shahjahanpur, dans une pièce que l’on m’avait attribuée pour
dormir, il y avait une grande photo de Lalaji juste au-dessus de
mon lit, à côté de celui de Babuji. A chaque fois que je levais les
yeux, le vieil homme me regardait ! Je n’ai pas pu fermer l’œil de
Retour →sommaire des mots et merveilles 154

la nuit ! J’essayais bien de détourner la tête, mais son regard me


suivait. Et comme vous, je me suis endormi à 5 heures du matin,
épuisé. A 7 heures, je me suis levé, j’ai pris une douche et assis face
à Master, je n’arrêtais pas de bâiller les yeux larmoyants. Il me
demanda : « N’as-tu pas dormi ? » Alors je lui dis que cette photo
avait gâché tout mon sommeil. « Comment cela est-il possible,
mon Maître, une personne si généreuse, si gentille, comment
se fait-il que vous ayez peur de lui ? » Il ajouta : « Pourquoi ne
m’avez-vous pas réveillé, je serais venu dormir près de vous ! »
La plupart des gens ont peur de Lalaji, au contraire de Babuji
qu’ils aimaient beaucoup. Mais si on entre vraiment dans leur
intérieur ... J’ai découvert que Lalaji, sous une apparence un peu
dure, était très doux. Babuji avait un extérieur très doux, mais
il pouvait être comme un javelot, comme un chirurgien lorsque
c’était nécessaire. Une fois, je me suis même querellé avec lui
et lui ai dit  : «  Vous n’avez pas le droit de punir quelqu’un de
cette façon. » Et pendant plusieurs jours je ne lui ai pas adressé
la parole. Il me regardait, mais moi je pensais  : «  Passe ton
chemin  !  » J’étais vraiment en colère. Et puis j’ai réalisé que
ce vieil homme d’apparence douce, lorsque c’était nécessaire,
pouvait être dur à l’intérieur.
On est donc toujours trompé par l’extérieur. Mais un maître,
quelle que soit son apparence, quel que soit ce qui est à l’intérieur,
œuvre toujours pour notre bien. Nous ne devrions jamais essayer
de juger le Maître. Il ne vient que pour nous aider, nous élever,
pour nous libérer. Même s’il a un bâton entre les mains, nous ne
devrions pas avoir peur ! Et la seule manière de ne pas fuir, est de
faire ce qu’il veut que nous fassions. C’est ce dont je parlais hier,
l’obéissance. Alors il n’y a plus du tout de problème.
L’obéissance est pour notre bien  ; nous ne lui obéissons pas
pour lui, nous lui obéissons pour nous.
Retour →sommaire des mots et merveilles 155

Lundi 20 juin 1988 (soir)

Encore dix minutes !


Les abhyasis ont du mal à laisser le Maître se retirer. Indulgent,
il nous accorde encore quelque temps. « Dix minutes de plus ! »
A. : D’où vient Lalaji ?
P. R. : Lalaji est venu de là où nous devons aller !
L’abhyasi reste sur sa faim et le Maître taquine :
P. R.  : Ce n’est pas une question qui nécessite une longue
réponse, n’est-ce pas ?
A. : On dit que Lalaji n’a jamais été incarné sur terre.
P. R. : Lui, n’a jamais été incarné, alors que nous l’avons déjà
été et que nous devons retourner là d’où il vient.
A. : Je n’ai jamais eu peur de Lalaji, puisque je me dis qu’il est
venu pour nous.
P. R. : Oui, mais cependant nous en avons peur ! La plupart des
gens en ont peur. Je pense que c’est à cause de ses yeux. En 1971,
Babuji m’a dit qu’il avait eu une conversation avec Lalaji à propos
de son successeur et Lalaji a dit à Babuji : « Tu es très doux, très
gentil et chacun peut te persuader de faire n’importe quoi  ; tu
es trop simple et en conséquence il n’y a pas de discipline. Cela
peut représenter un danger pour la Mission. Une simplicité telle
que la tienne ne se voit pas une fois tous les dix mille ans ! C’est
pourquoi je ne veux pas la changer. Mais – ce qui est important
– la personne qui viendra après toi, devra exiger une discipline
stricte comme je l’exige moi-même. Donc à vous de décider ! A
Châtenay Malabry, Babuji m’a dit qu’il ne pouvait plus davantage
travailler, qu’il n’avait plus d’intérêt, plus de forces, et que je
devais tout faire. « Apporte de la discipline dans la Mission. »,
ajouta-t-il. «  C’est un travail très important. Si tu le fais, la
Mission resplendira dans le monde.  » Ce sont les instructions
que j’ai reçues. Qu’y puis-je ?
Retour →sommaire des mots et merveilles 156

A.  : Babuji a dit que nous avons perdu l’Océan infini en


transformant la Mission et la méthode.
P. R. : Oui, que faire ? Les gens viennent pour la spiritualité,
puis ils se laissent détourner ailleurs et perdent le chemin. Je
suis tellement navré de voir qu’un certain nombre de nos frères
et sœurs ne sont pas ici. Ce soir-même, tout en me promenant,
je parlais d’eux. Je me souviens d’eux, mais se souviennent-ils
de moi  ? Je ne sais pas. J’espère encore qu’ils viendront à un
moment ou à un autre, parce que je sais ce qu’ils ont perdu.
Supposez que vous ayez un enfant, un enfant jeune et que
vous lui donniez un diamant de grand prix. L’enfant joue avec
le diamant et le jette ! L’enfant ne sait pas ce qu’il a perdu, mais
vous, vous le savez. Et vous ne pouvez même pas gronder l’enfant,
car d’une certaine façon, c’est votre stupidité qui lui a procuré
quelque chose qu’il n’était pas en état de reconnaître. Babuji
lui-même me l’a confié : il a donné beaucoup à de nombreuses
personnes avant même qu’elles ne soient prêtes à le recevoir et
elles n’ont pas été capables de le garder.
C’est pourquoi il est nécessaire de s’entraîner et de ne donner
que ce que nous pouvons garder. Quelquefois, les gens se
plaignent de la lenteur de leurs progrès, mais cela est préférable
à des progrès rapides suivis à nouveau d’une chute. C’est comme
l’escalade en montagne, procédons à pas lents, mais à pas sûrs.
Celui qui marche rapidement n’ira pas loin. Lors de l’escalade
de l’Everest, dans les Himalayas, il faut parfois toute une journée
pour terminer les derniers mètres. Comment imaginer, en étant
assis ici, que vingt mètres puissent être aussi importants ? Nous
devons donc toujours être vigilants, attentifs, nous devons nous
entraîner et plus essentiel encore, nous devons être obéissants. Si
le chef de cordée nous ordonne de nous arrêter avant les derniers
trente mètres, nous devons le faire. Trois mètres au sommet de
l’Everest sont plus difficiles à parcourir que trois cents kilomètres
Retour →sommaire des mots et merveilles 157

ici.
A. : Babuji a dû prendre des risques quand il a voulu répandre
la Mission.
P. R. : Non, il m’a dit qu’il ne prenait pas de risque, il savait ce qu’il
faisait. Je lui a posé la question : « Comment, vous faites de ces gens
des précepteurs ? », et il m’a dit : « Pour commencer, j’avais besoin
de gens pour travailler et j’ai pris tous ceux qui se proposaient. »
Lorsque vous construisez une maison, vous utilisez des
échafaudages, des étais que l’on retire ensuite. Que faire ? Vous
pouvez rester temporairement mais vous pouvez aussi rester
de manière permanente, cela dépend de vous  ! Je peux venir
dans votre maison en tant qu’invité, mais je peux y rester pour
toujours  ! N’ayez pas peur, c’est peu vraisemblable  ! Un jour,
quelqu’un écrivit une lettre à Babuji : « S’il vous plaît faites-moi
la grâce de me rendre visite pour deux ou trois jours. » Babuji m’a
dit : « Regarde cet homme, il écrit à son Maître et lui demande
de venir deux ou trois jours  ! Est-ce que je vais aller chez lui
et y rester des années  ? Mais il a peur que j’y reste et il limite
son invitation à deux ou trois jours ! » Il avait sa manière bien
particulière, bien à lui de voir les choses.
Donc une invitation devrait venir du cœur : « Je vous en prie,
venez, et ne partez plus  !  » Sinon, c’est comme ces invitations
mondaines à déjeuner, sans plus, qui dévoilent la disposition du
cœur. Personne ne va rester chez vous pour toujours, chacun a
son travail.
Si vous voulez que je reste éveillé, vous devez me poser des
questions !
A. : Mercredi dernier, j’ai rêvé du Maître, le jour où il est venu
à Toulon. Je n’avais pas du tout l’intention d’aller à la réunion,
mais plutôt d’aller au cinéma. La nuit j’ai rêvé que je me trouvais
dans une assemblée, séparé du Maître par un mur. Je me suis
senti soulevé de terre et aspiré tout près du Maître et ensuite j’ai
reçu son regard, très intense et me suis senti tout petit. Quel en
Retour →sommaire des mots et merveilles 158

est le sens ?
P. R. : Cela montre que vous ne devriez pas avoir peur de moi !
Avoir peur n’a pas de sens. Cela ne sert à rien.
A. : J’ai peur de mes erreurs.
P. R. : On ne voit les erreurs que lorsqu’on regarde en
arrière. Lorsque l’on regarde devant soi, on ne voit que
les opportunités. Alors pourquoi regarder en arrière ? A quoi
cela sert-il ?
Supposez que je sois venu de Nice à pied. Je connais tous les
virages et toutes les routes qui m’ont amené ici. A quoi cela me
servirait-il de repartir en arrière ? Donc pour une personne qui va
parcourir cette route seulement une fois, regarder en arrière est
inutile. Si nous sommes des conducteurs d’autobus sur le même
trajet, cela peut servir. Mais nous devons voyager une seule
fois ! Pour moi, qui suis comme un conducteur de bus, il m’est
nécessaire de connaître chaque virage, car je vous emmène. Mon
destin est donc malheureux !
A.  : Etes-vous comme un conducteur indien qui klaxonne
inlassablement ?
P. R. : Je suis un conducteur avec un cœur indien !
Après quelques considérations sur les accidents de la
circulation en Inde et en Europe, la conversation se poursuit.
A. : Dès le premier jour où je me suis trouvée en Inde, je me
suis sentie chez moi.
P. R. : Je m’y sens aussi chez moi ! Mais je me sens aussi chez
moi ici. Lorsque vous pensez que la maison est à vous ou que ceci
est votre maison, alors vous ne pouvez pas vous sentir chez vous
dans d’autres endroits. Où que je sois, je me sens chez moi,
je suis chez moi. Nous devrions faire en sorte que tout endroit
soit chez nous. Ne vivez pas dans une maison, mais emmenez
votre maison avec vous. Cette idée est dans mon dernier message,
celui de Basant je crois. J’ai donné l’exemple de la tortue qui se
Retour →sommaire des mots et merveilles 159

déplace avec sa maison.


Qu’est-ce qu’une maison ? Un bâtiment avec des murs et un
toit. Mais c’est l’espace à l’intérieur qui est la demeure et si vous
abattez les murs, tout l’espace est le même.
On me dit  : «  Oh, en Europe vous n’allez pas trouver de riz,
de dosas, de sambar, d’idlis 9. » Mais cela m’indiffère. Ça aussi,
c’est une question d’entraînement du mental. Cela me rappelle
une histoire. Un Chinois s’était fait convertir au christianisme
par un prêtre catholique. Son nom était Ling Chou et par le
baptême, il était devenu John-le-Chinois. On lui avait conseillé
de ne pas manger de viande le vendredi et pendant vingt ans il
avait respecté cette prescription. Un jour, un vendredi, tandis
qu’il se promenait dans les rues de New York, il voit dans une
vitrine de restaurant, du poulet, du jambon, et il ne peut résister
à la tentation. Il entre, commande, commence à manger lorsque
le prêtre survient et le voit, horrifié. «  John, que fais-tu là  ?  »
« Père, John est en train de manger. » « Oui, mais que manges-
tu  ?  » «  Rien que des légumes.  » «  Comment cela  ? Quel jour
sommes-nous, rappelle-toi  !  » «  Oui, père, aujourd’hui c’est
vendredi et je mange des légumes ! » « John tu commets là deux
péchés : d’abord tu manges de la viande un vendredi et ensuite
tu commets un mensonge ! » « Père, John ne mens pas ; je vais
vous expliquer. Il y a vingt ans, j’étais Ling Chou, vous m’avez
aspergé d’un peu d’eau et appelé John-le-Chinois. Aujourd’hui je
prends un peu d’eau, j’asperge le repas et la viande devient des
légumes ! »
Cette histoire montre la vanité de la conversion. C’est pourquoi
la spiritualité est supérieure à la religion. Un Chinois reste chinois,

9 NDT : Plats typiques du Sud de l’Inde.


Retour →sommaire des mots et merveilles 160

un Français reste français. Un chrétien reste un chrétien, un


hindou reste hindou, cela n’a pas d’importance. Mais l’essence,
cette essence est changée.
Si vous voulez mettre du vin dans une bouteille de lait, vous
lavez tout simplement la bouteille et vous la remplissez de vin.
C’est simple ! Mais le chrétien veut changer la bouteille, et pas le
vin !

Mercredi 22 juin 1988

Leçons de choses
Le Maître se préoccupe du séminaire des précepteurs qui
doit avoir lieu à la mi-juillet. Sa courtoisie sans faille et son
sens inné du respect des convenances lui font demander s’il lui
serait possible de parler en anglais sans être interrompu par
une traduction simultanée en français.
P. R.  : J’aimerais aborder les thèmes de la pratique des
abhyasis, du travail des précepteurs, tout. C’est pour le futur
que nous faisons cela et non pas pour le présent. Ce séminaire
dépend de deux choses : d’une part il y a ce que désire le Maître et
d’autre part mon souhait de faire en sorte qu’il soit parfaitement
bien compris. Si cela se passe bien, on pourra le publier peut-être
en deux parties : la partie théorique que tout le monde pourra lire
et la partie pour les précepteurs, réservée à leur usage. Toutes les
idées sont là, voyons à présent ce qui va en sortir !
Une abhyasi interrompt  : «  Pourrait-on sélectionner des
enregistrements pour de futurs abhyasis, afin de leur présenter
le Sahaj Marg ? »
P. R.  : Vous pouvez sélectionner un enregistrement. Par
exemple, vous pouvez le faire à partir de la série de discours
publié dans le livre “Le rôle du Maître dans l’évolution humaine”.
Cette traduction simultanée en français risque de poser
Retour →sommaire des mots et merveilles 161

problème pendant la semaine des précepteurs. Est-il possible que


je parle en anglais et que l’on en fasse plus tard une traduction
dans l’après-midi ? Qu’en pensez-vous ?
A. : Pour vous cela sera mieux.
P. R.  : Je parlerai très lentement. Les transcriptions et les
traductions se feront ensuite sur les ordinateurs. Nous n’aurons
que cinq jours, car le premier jour, le samedi, les gens vont se
rencontrer, se serrer la main, les Français s’embrasser et il n’y
aura rien de fait ! Cela prend du temps.
A. : Prenons l’habitude indienne de nous saluer d’un namaste !
P. R.  : Oui, cela permet de garder une relative distance
également ! Savez-vous que cette pratique du namaste permettait
d’éviter le contact physique.
A. : Pourquoi ?
P. R.  : Pour éviter les maladies  ; dans les pays tropicaux,
on transpire beaucoup. Ensuite, il y avait cette affaire des
intouchables et des brahmines. C’était un grand problème, on ne
devait pas toucher les brahmines. Il y a trois manières de saluer.
Lorsque vous joignez vos mains au dessus de la tête c’est pour
saluer Dieu et le Guru. Lorsque vos mains sont au niveau du front
c’est pour saluer ceux qui sont socialement vos égaux. Lorsque
les mains sont au niveau du cœur, c’est pour tout le monde. Mais
lorsque nous avons un rassemblement, il est habituel de saluer à
partir du front.
A.  : Certaines personnes disent que les guerres contribuent
en quelque sorte à l’hygiène du monde. Peut-on concevoir un
monde harmonieux, en paix, aimant ? Une régulation du nombre
croissant d’individus sur terre se fera-t-elle ?
P. R. : Oh, je n’en sais rien ! Cela se régulera par soi-même,
je suppose. Un jour, à un examen, une question a été posée : il
y a des milliers d’années, la population de la terre était faible ;
actuellement, elle est très importante, elle dépassera quatre
Retour →sommaire des mots et merveilles 162

milliards dans vingt ans. Donc le poids de la terre va augmenter.


Comment cela affectera-t-il sa rotation et son orbite autour du
soleil ? Quelle est la réponse ?
A. : Je ne comprends pas la question !
P. R. : Le poids ne peut pas augmenter, car les corps sont faits
des matériaux qui sont ici ! La vie vient d’ailleurs, mais les corps
sont composés d’éléments qui sont déjà ici !
A. : On dit que l’âme a également un poids ?
P. R. : On n’a pas encore trouvé son poids !
Une personne pose une question à propos des boddhisatvas.
P. R. : Bouddha a dit qu’il ne désirait pas aller dans le monde
plus lumineux tant que le dernier être humain ne serait pas libéré.
Quand quelqu’un a rapporté cela à Babuji, il a dit que c‘était bien,
mais insuffisant ! Cela montre un attachement indu à ce monde.
Quand votre travail est fini, vous partez  ! Il y a un Dieu pour
veiller sur tous les gens qui sont là  ! C’est de l’arrogance, très
subtile, cependant ... Supposez que vous soyez prisonnier dans
une geôle et que l’on vous permette d’aider vos compagnons de
prison. Un jour, votre temps d’incarcération est terminé et vous
êtes libéré. Allez-vous rester en prison vous occuper des autres
détenus ?
A. : Il y a des gens qui l’ont fait !
P. R. : Seulement sur instructions spécifiques. Ou alors si vous
devez sauver votre fille d’une maison en feu, vous y retournerez.
Mais le feriez vous pour la fille de votre voisin  ? Pourtant,
idéalement vous devriez le faire !
A. : Nous faisons tout ce que nous pouvons pour nos enfants et
puis parce qu’on serait libéré on ne s’intéresserait plus à ceux qui
viennent derrière nous ?
P. R. : Tout le propos de la libération est : une fois que votre
travail est fini, vous êtes en vacances  ! Ayant atteint ce niveau
de conscience, vous ne seriez même plus concerné par les autres
Retour →sommaire des mots et merveilles 163

et ce qui se passe ici. Comme vous êtes un être humain, vous


êtes concernée par les autres êtres humains ; les mouches sont
certainement concernées par les mouches, mais vous, êtes-vous
concernée par les mouches  ? Pour les mouches, vous êtes un
Dieu, mais tout ce que vous faites, c’est de les tuer ! Et si Bouddha
se soucie de vous, ne devriez-vous pas vous soucier des mouches
et des moustiques ? Mais vous ne l’êtes pas !
Puis le Maître raconte une histoire drôle à propos de cafards
et d’un mode d’emploi du produit pour les exterminer qui fait
rire tout le monde à gorge déployée. Cependant le propos sérieux
est en filigrane : notre prétention à nous préoccuper des autres
n’est qu’un tour que nous nous jouons à nous-mêmes. Le Maître,
tout en plaisantant, nous le rappelle en douceur.

Mercredi 22 juin (matin)

Interview de FR3
La presse d’Antibes nous rend visite et demande l’autorisation
de nous filmer en méditation en plein air, sur la pelouse pour
nous présenter aux informations locales. Le Maître acquiesce
et nous dit en souriant  : «  Laissons les filmer, nous, nous
méditerons. » Le lendemain, le Maître est invité à l’antenne de
la chaîne locale de télévision pour une courte interview qui sera
diffusée quelques jours plus tard, entre les nouvelles de la météo
et une recette de cuisine ... Le journaliste, après avoir présenté
“Monsieur Rajagopalachari”, questionne : « Je voudrais savoir
ce que représente le yoga dans la civilisation indienne et quelle
est son importance. »
P. R.  : Le yoga a toujours eu la plus haute importance, car
nous pensons que la vie intérieure régule la vie extérieure. En
Occident, il y a ce qu’on appelle “un esprit sain dans un corps
sain”, mais cela s’arrête au niveau du mental. Nous, nous allons
Retour →sommaire des mots et merveilles 164

profondément dans l’âme.


Q.  : Est-ce que tout le monde, petits ou grands, personnes
agées ou très jeunes, peuvent pratiquer le yoga ?
P. R. : Nous commençons à dix-huit ans.
Q. : J’ai envie de dire que le yoga est très à la mode en France et
que certains en font un argument commercial. Est-ce qu’il serait
possible de différencier les bons professeurs des mauvais, ceux
qui veulent en faire commerce et ceux qui n’en font pas ?
P. R. : Il y a deux moyens. Cherchez ceux qui ne demandent
aucun argent. Ensuite, pratiquez et voyez ce que cela apporte.
Q.  : Donc, tous les bons professeurs de yoga ne devraient
pas demander d’argent ! Ce soir, vous donnez une conférence à
l’espace Magnan, allez-vous essayer de convaincre les gens qui
ne pratiquent pas et quel serait votre premier argument ?
P. R. : La façon actuelle de vivre ne donne ni paix, ni bonheur
malgré toutes les richesses matérielles que vous possédez et en
dépit de votre prospérité et de votre société technologiquement
avancée. Alors, essayez notre manière de procéder et voyez si vous
pouvez réussir à obtenir la paix, le contentement et le bonheur.
Q.  : On dit d’une manière générale que nous sommes très
stressés, comme dans les milieux de la télévision par exemple ;
est-ce qu’il y a un conseil que vous pourriez donner sur une
position à pratiquer tout de suite ?
P. R. : Aucune position ne pourra vous aider à moins que le
mental ne soit calmé.
Q.  : Sur l’écran, nous pouvons vous voir méditer sur une
pelouse, sous les ombrages, assis calmement. Il faut donc un
contexte ?
P. R.  : Relaxez le corps, ensuite relaxez le mental, puis allez
plus profondément dan l’âme et méditez.
Le journaliste remercie le Maître et conclut en rappelant
l’heure de la conférence. Nous sommes assez perplexes quant à
Retour →sommaire des mots et merveilles 165

l’impact de l’interview, mais le Maître fait remarquer : « Quelque


chose est passé. »

Mercredi 22 juin (soir)

Invertendo
P. R.  : C’est un mot inventé par Babuji  ; il devait avoir ses
raisons. Ce n’est pas l’inversion. C’est un principe qui inverse
les choses ; c’est un mouvement dynamique comme le balancier
d’une horloge dont le mouvement revient dans la direction
opposée. Par exemple, lorsqu’en progressant nous atteignons
un point particulier, nous ressentons un certain arrêt, parfois
même un recul. En étudiant le mouvement de la roue, j’ai trouvé
l’explication  : lorsque la roue tourne, le centre est statique, le
point supérieur de la roue va vers l’avant tandis que son point
inférieur va vers l’arrière, bien que le mouvement d’ensemble
nous amène vers l’avant. Malgré tout, l’impression est d’aller en
arrière.
A. : Tout comme le mouvement de la svastika.
P. R. : Oui ; mais ce qui est surprenant, c’est la façon dont on
a pu comprendre cela, dans l’antiquité, avant l’invention de la
roue !
Babuji disait  : «  Alors que vous devez aspirer intensément
au progrès, n’essayez pas d’évaluer vos progrès vous-mêmes,
mais écrivez votre journal.  » Au bout d’un an, en le lisant,
nous découvrons les révolutions du progrès. Nous devons nous
accorder le temps d’évaluer ; mais la plupart des gens font une
appréciation de sitting en sitting  : «  Hier, ce sitting était bon,
celui-là est mauvais. »
A. : Je trouve ce mouvement pendulaire très intéressant, ainsi
que l’impression de régression.
P. R. : C’est la raison pour laquelle vous avez besoin d’un maître.
Retour →sommaire des mots et merveilles 166

Il se fait que le mouvement rotatif se poursuit et à tendance à


faire le tour d’un point. A ce stade, le Maître n’a plus qu’à exercer
une petite poussée pour que cela reparte sur l’autre point. Le
mouvement se poursuit alors vers le point suivant à nouveau.
Sinon, vous pouvez errer dans le même point indéfiniment. Voilà
pourquoi vous avez besoin d’un maître ! On pourrait se demander :
«  Oh  ! ne puis-je pas progresser tout seul  ?  » Impossible,
absolument impossible ! Le passage d’un point à un autre,
est le travail du Maître. Il le fait lorsqu’il estime bon de
le faire ; votre travail à vous est de méditer.
A. : Au début du Sahaj Marg en France, vers 1972, nous ne posions
pas de questions, nous ne lisions aucun livre, nous méditions
librement. Je crois que c’était plus simple, ne pensez-vous pas ?
P. R.  : Je ne le pense pas  ; pas nécessairement. Un état
d’ignorance n’est pas forcément un état de simplicité. Méditiez-
vous correctement ? Je ne crois pas. La plupart des gens ne savaient
pas ce qu’ils faisaient. C’est l’histoire de l’homme endormi qui ne
peut pas faire d’erreur ! Dès que vous vous éveillez, vous prenez
conscience et vous commencez à agir correctement ou de travers.
La possibilité est double en état d’éveil, l’action est juste ou
fausse. Lorsque je marche, je peux marcher ou tomber ; mais si je
reste assis sur une chaise, je ne tomberai jamais ! La simplicité ne
réside pas dans l’absence de questions. Si des questions s’élèvent
du fait de la pratique, alors ce sont de réelles questions. Mais
si vous restez assis tout en vous demandant si Dieu existe, c’est
stupide !
A.  : Quand Babuji est venu en 1976, chacun lui posait des
question auxquelles il répondait jusqu’à ce qu’il fasse remarquer :
« Vous êtes comme des gens sur le bord de la plage qui font des
mouvements pour apprendre à nager, mais personne ne va dans
l’eau ! »
P. R. : Seule change la nature des questions.
Retour →sommaire des mots et merveilles 167

A. : N’avons-nous pas perdu notre temps de 1972 à 1976 ?


P. R. : Il n’est nullement question de perte de temps. Le Maître
n’est pas un sot, se tenant à Shahjahanpur, à vous faire perdre
votre temps ! Les progrès dépendent bien sûr de votre méditation,
du nettoyage auprès des précepteurs, mais en dernier ressort,
c’est lui qui décide. Aucun précepteur ne peut vous donner
quelque chose si le Maître dit : « Stop ! » Cela ne pourra se faire,
tout simplement. Et si le Maître veut continuer quelque chose, le
précepteur ne pourra pas davantage l’arrêter. Les clés sont entre
ses mains. Le moment du passage d’un point à l’autre est à sa
discrétion.
Il veut que nous ayons une expérience suffisante de chaque
région avant d’être en mouvement vers le point suivant. Il sait
qu’il est nécessaire pour nous de passer davantage de temps
au point 1 qu’au point 2. Ce n’est pas que le point 2 soit plus
élevé et qu’il soit nécessaire d’avoir plus d’expérience, ni que le
point 3 qui est supérieur, fasse qu’il soit utile pour vous d’avoir
plus d’expérience, sinon le voyage ne se terminerait jamais ! En
fait, c’est au niveau des points inférieurs de la région du cœur
qu’il est nécessaire de passer plus de temps. C’est à nouveau la
loi de l’invertendo. Il faut rester plus de temps dans les points
inférieurs que dans les points supérieurs. Lorsque vous escaladez
une montagne, chaque mètre vos demande plus d’efforts ; mais
ici, lorsque vous vous élevez spirituellement, cela devient de plus
en plus facile. C’est un aspect de l’invertendo.
A. : Quand on gravit une montagne, on ne reste pas longtemps
au sommet, on redescend assez vite.
P. R. : Oui, on redescend à nouveau parce qu’on ne peut pas
aller plus haut !
A.  : C’est un mouvement circulaire, c’est le propre du
mouvement du chemin ...
P. R.  : Non, non, on ne doit pas confondre ceci avec le
Retour →sommaire des mots et merveilles 168

mouvement circulaire, qui est de l’ordre du physique. C’est une


montagne, vous en faites l’ascension, c’est une limite.
A. : Physiquement cela devient de plus en plus difficile, mais
en spiritualité cela devient de plus en plus facile, mais l’aide du
Maître est bien là ?
P. R.  : L’aide du Maître vous est acquise, bien sûr  ! Même
au niveau des régions inférieures vous progressez seulement
avec l’aide du Maître ; elle est constante. Son aide est toujours
nécessaire. Pourquoi dit-on que plus on s’élève, plus on est
dépendant du Maître ? Eh bien ! là, c’est comme un homme qui
escaladerait une montagne pour essayer ensuite de gravir le ciel !
Il ne peut y parvenir. Mais si le Maître est capable de voler et de
vous attraper, vous pouvez encore vous élever ! Vous avez donc
de plus en plus besoin des conseils du Maître et à la fin, c’est une
dépendance totale.
A. : Est-il possible de savoir quand on obtient la libération ?
P. R. : Non, vous ne devriez pas.
A.  : Vous avez dit qu’on ne peut pas se développer sur cette
roue, mais comment font les gens qui se sont développés avant
de trouver un maître ?
P. R. : C’est à cause de l’existence précédente. Vous pensez que
vous commencez maintenant, mais nous sommes venus avec un
capital en quelque sorte. Comme je vous l’ai dit il y a deux jours,
la vie est une chose continue. Nous travaillons jour après jour, le
travail de la veille nous amène au travail d’aujourd’hui ; ici, c’est
pareil.
A. : Tout le monde peut se préparer ?
P. R. : Bien sûr ! La Nature ne peut dénier quoi que ce soit à
quiconque.
A. : Peut-être n’est-ce pas la première fois que nous avons un
maître ?
P. R. : Peut-être pas !
Retour →sommaire des mots et merveilles 169

A. : C’était peut-être le même ?


P. R. : C’était peut-être le même ! C’est comme dans les vieilles
pièces du théâtre shakespearien ; dans l’une vous apparaissez en
Macbeth, dans une autre en roi Lear et dans une troisième vous jouez
Othello. Mais l’homme est le même. Disons que la forme change,
mais que l’intérieur est le même. Or le Maître était le même,
vous êtes le même ; à présent le Maître est différent et vous êtes
différent. A la fin du voyage, le Maître et vous, vous êtes là, mais
dans une condition sans forme.
Je crois vous l’avoir dit, j’ai déjà eu mon Maître deux fois avant
cette existence, en tant que Maître, et qui sait, peut-être même de
nombreuses autres fois !

Jeudi 23 juin 1988

Le chemin, la lumière et la vérité


P. R.  : C’est une loi de la Nature. Par exemple, les écureuils
accumulent des réserves de noisettes et les oublient. C’est
quelqu’un d’autre qui les mangera. Les abeilles font le miel et
c’est quelqu’un d’autre qui le consommera ; les ours en général
ou les oiseaux à miel. De la même façon, l’argent de la personne
qui est riche ... Babuji disait  : «  Accumulez ce qui ne peut être
volé ! » Qu’est-ce donc ? C’est la richesse spirituelle.
A. : Jésus-Christ disait la même chose.
P. R. : Quand il s’agit de la Vérité, tout le monde doit dire la
même chose. Seuls les mensonges peuvent être différents.
Un abhyasi remarque qu’au début de sa pratique il était
préoccupé par l’idée qu’il se faisait du Christ et ne savait qu’en
faire. En méditant, il avait senti son cœur s’élargir et inclure
différents maîtres. Une autre abhyasi a le même souci et demande
ce qu’elle doit faire de sa propre conception du Christ dans le
Sahaj Marg.
Retour →sommaire des mots et merveilles 170

P. R. : La réponse est ici. (Montrant le cœur.) C’est comme la


vérité, c’est un principe, n’est-ce-pas ? Ici, le principe est associé
à une personne. Lorsque le Christ a dit qu’il est le chemin, la
lumière et la vérité, il voulait dire trois choses. La lumière est le
but, le chemin est la personne, et le guru la vérité. Les trois en
un, vous les trouvez dans le Maître, sinon la vérité est d’un côté,
le chemin autre part, la lumière ailleurs et il n’y a pas de guru.
Vous pouvez trouver la vérité en Un tel ou Une telle, le chemin chez
quelqu’un d’autre ; ce n’est que lorsque les trois se réunissent en
un, qu’il y a le Maître.
Il n’est pas nécessaire que cette personne soit éternellement
le seul chemin, la seule vérité et la seule lumière. Quand elle s’en
va, les trois doivent bien se rassembler ailleurs. Peut-être en
Mauritanie, à Alexandrie, à Tombouctou ou autre part !
Lorsque vous Le trouvez, acceptez-Le à nouveau. Il est le
nouveau Christ. Comme l’a dit le Christ : « Je reviendrai. » Mais
même le Christ ne peut pas revenir encore en tant que Christ.
Il revient en tant que chemin, lumière et vérité, unis ensemble.
Sinon vous commettez l’erreur de l’enfant qui veut manger la
même mangue ou la même crème glacée qu’hier. Est-ce possible ?
Il peut avoir une autre mangue, exactement comme la précédente.
Ils sont donc identiques, seule l’époque diffère. Nous ne
devrions pas nous préoccuper de toutes ces histoires à propos
du Christ et de Krishna. Qui, aujourd’hui, est la personne qui est
à la fois le chemin, la lumière et la vérité. Acceptez-la ! Elle peut
dire la même chose : « Je suis le chemin, la lumière et la vérité
et personne n’atteindra le père si ce n’est à travers moi. » C’est
encore la vérité, cela ne change pas. Mais si vous dites  : «  Oh,
mais Christ a dit la même chose, je retourne à l’Eglise ! », c’est
stupide. Dites plutôt : « D’accord, vous dites la même chose que
mon Christ, je vous suis ! », c’est la sagesse.
A. : A l’église, on parle beaucoup, mais on n’aide pas beaucoup.
Retour →sommaire des mots et merveilles 171

P. R. : Parce que c’est seulement une église. Dieu n’est pas là,
alors on construit des églises  ; Dieu est partout n’est-ce pas  ?
Est-ce qu’ici en ce moment ce n’est pas une église ? Est-ce que nous
n’adorons pas  ? Quelle est la différence  ? Pourquoi devrait-il y
avoir un bâtiment, un chemin de croix, une nef  ; ce sont des
rituels. Là où il y a des rituels, il n’y a plus de vie.
Supposez qu’un homme parte en voyage et que quelqu’un lui
demande où est sa femme. Il sortira son portefeuille et dépliera
toutes les photos de sa femme, lorsqu’elle était enfant, en train
de se baigner en maillot de bain, le jour de son mariage. Cela
représente sa femme, mais ce n’est pas sa femme. Ce n’est pas
vivant. C’est pourquoi nous disons un guru vivant. Qu’est-ce qui
est adéquat pour aujourd’hui ? Le fameux “aujourd’hui”. C’est le
même enseignement et le même but 10 il n’y a pas de différence,
sauf le nom et la forme.
Vous savez, il faut beaucoup de sagesse. Les gens me
demandent souvent : « Mais comment avez-vous pu abandonner
votre religion ? » Je n’ai rien abandonné ; je me suis développé !
Lorsque vous semez une graine dans le sol, et qu’elle devient un
arbre, pouvez-vous reprocher à l’arbre : « Oh, mais tu as abandonné
le sol ? » Il rirait et vous dirait : « Homme stupide, regarde en bas,
ce sont mes fondations, mais pas moi ! Je suis ceci et cela aussi. »
C’est pourquoi dans l’hindouisme tout spécialement, le Divin
doit aller dans les sept niveaux supérieurs, mais aussi dans les
sept niveaux inférieurs, les sept enfers. Car Dieu ne peut pas être
autre chose que celui qui gouverne également les enfers. Est-ce
qu’il peut donner les enfers à contrôler à quelqu’un d’autre que
lui et dire que cela n’est pas à lui  ? Dieu peut-il avoir peur de

10 NDT : En français.
Retour →sommaire des mots et merveilles 172

l’enfer, est-ce possible ? S’il y a un enfer ...


L’être humain essaie avec beaucoup d’ardeur d’éviter cette
idée de mal, d’endroits répugnants  ; l’exemple le plus flagrant
en est la manière dont les toilettes occidentales sont belles,
parfumées, avec de jolis tapis, et même parfois des rebords de
cuvettes confortables  ! C’est comme si on prétendait que ce ne
sont pas des toilettes, mais un autre endroit qui sent bon  ! On
veut transformer l’enfer en paradis  ! La sagesse dit  : «  Quittez
l’enfer, allez au paradis et laissez Dieu s’occuper de l’enfer, car
c’est aussi son domaine. »
On ne devrait donc pas dire  : «  Non, non, cela n’existe pas  !  »
Dans l’hindouisme, on trouve cette sagesse de ramener les deux
opposés toujours ensemble : Kali la mère et Kali la destructrice,
Dieu le protecteur, Dieu le créateur et Dieu le destructeur. Si vous
y pensez bien, qui peut vous détruire si ce n’est Dieu ? Si vous
me permettez de dire quelque chose à propos du christianisme,
c’est la polarisation de Dieu et du diable qui a créé beaucoup
de dilemmes. Il ne peut pas y avoir de diable différent de Dieu.
C’est ma conviction. On ne devrait donc pas permettre cette
polarisation.
A. : Savez-vous si le Christ a vécu en Inde ?
P. R. : Bien sûr ! Il a tout appris en Inde, pendant toutes ces
années dont il ne reste pas de traces. Cette idée moniste, d’un seul
Dieu, il l’a ramenée de notre pays. C’est une raison supplémentaire
pour que vous acceptiez un guru indien ! (Rires.) Ce que le Christ
a appris, il l’a appris en Inde, je ne plaisante pas, c’est la vérité. Sa
tombe est au Cachemire, où il a été enterré. On dit que lorsqu’il
a été crucifié, il a adopté une technique yogique, il est parti dans
une sorte de samadhi, une sorte de catalepsie. On a cru qu’il était
mort et on l’a mis au tombeau. Il est sorti ensuite de samadhi
et il est reparti pour le Cachemire. C’est la véritable histoire de
sa résurrection. Ensuite lorsqu’il est mort, il a été enterré au
Retour →sommaire des mots et merveilles 173

Cachemire.
A. : Il est mort beaucoup plus tard.
P. R.  : Oui, il n’est pas mort de la crucifixion. Les caves du
Vatican en recèlent les preuves, mais la publication n’en est pas
autorisée. L’enseignement du Christ a été changé, et à présent ce
n’est plus le Christ qui est important, mais l’Eglise !
A. : J’ai assisté à des funérailles récemment dans une église. Au
moment de la communion, je vous ai vu comme si vous donniez
du prasad.
P. R. : Prasad veut dire quelque chose qui a été sanctifié par le
toucher de la Divinité. C’est dans le prasad. Quand vous donnez
une fleur, vous ne prenez pas une bouteille de parfum pour la
parfumer avant de l’offrir  ! La fleur est déjà parfumée; dans le
prasad, c’est pareil. La Divinité est là, naturellement. Sinon, il
faut les orgues, et tout le reste.
Offrir le prasad se fait en une ou deux minutes, car le Divin doit
venir et accepter. Et l’acte d’acceptation est suffisant. La forme
peut changer. N’importe qui ne peut pas offrir le prasad ; vous
devez posséder le contact. Par exemple, pouvez-vous téléphonez
à Mitterand comme ça  ! Vous aurez probablement à faire au
secrétaire du secrétaire du secrétaire, etc.
A. : Nous vivons très loin de vous ...
P. R. : C’est à vous de conserver le contact. Selon un diction
anglais, même un chat peut regarder un roi  ! C’est à vous de
garder le contact. Supposez qu’un garçon aime beaucoup une
fille, et qu’à chaque fois qu’il veut la rencontrer, il téléphone à une
amie : « Veux-tu demander à Edith de me retrouver ce soir, s’il
te plaît ? » Est-ce qu’Edith se rendra à son invitation ? Pour finir,
il risque de se retrouver avec l‘amie  ! En amour, le contact
doit être direct. Quand il s’agit d’autorité, on suit le canal de
l’autorité. Les deux ne vont jamais ensemble.
A. : Dans les textes chrétiens, on décrit le diable comme une
Retour →sommaire des mots et merveilles 174

créature de Dieu chargée de garder le jardin d’Eden, mais qui a


voulu le pouvoir ...
P. R. : Je vais vous raconter une petite histoire. Je vais vous
voir chez vous et votre chien, un gros dogue se tient à la porte. J’ai
peur d’entrer et vous de votre balcon, vous m’invitez : « Venez,
venez, c’est un bon chien, il ne mord pas ! » Alors je vous pose la
question : « Vous savez qu’il ne mord pas, je le sais aussi, mais
est-ce que le chien le sait ? » (Rires.) Donc Dieu sait qu’il a créé le
diable, je le sais aussi, mais est-ce que le diable le sait ! C’est une
bonne plaisanterie, mais qui recèle cependant quelque vérité.
Pourquoi avons-nous peur du diable ? Car il ne se souvient pas
qu’il est aussi une créature de Dieu. Alors nous allons voir Dieu,
sinon nous pourrions aussi bien aller trouver le diable  : « Eh !
diable, emmène-moi rapidement jusqu’à Dieu !
On dit également qu’on peut atteindre Dieu très vite, si on
choisit la voie négative. Mais le problème, c’est que nous n’avons pas
de courage, même lorsqu’il s’agit de prendre la voie négative ! Un
homme boit un verre de whisky et a peur du second ... Un guru a dit :
« Si tu veux pêcher, fais-le si bien que Dieu doit venir te prendre ! »
Mais même dans nos péchés nous faisons comme une chèvre
qui broute de-ci de-là. Donc il y a une voie  ! C’est comme
lorsqu’on plonge pour trouver des perles, il faut laisser tomber
toutes les peurs et plonger. Alors vous découvrez que la perle
est là, tout au fond. Dans le système hindou, nous avons cette
tradition : lorsqu’un homme hait Dieu totalement, il atteint Dieu
très vite. Il y a trois paires de caractères très célèbres en Inde et je
me demandais comment cela était possible ; alors j’ai découvert
que lorsque vous haïssez, vous êtes en souvenir constant ! Mais
lorsque vous aimez, il n’y a pas le souvenir constant !
Le secret, que ce soit de l’amour ou que ce soit de la haine, c’est
que cela doit être total ; alors il n’y a pas de différence. Mais si
c’est couci-couçà, comme la mouette qui hésite entre la terre et la
Retour →sommaire des mots et merveilles 175

mer, qui mange des détritus, cela n’est pas bon. Et presque tous
les êtres humains sont ainsi. Ni capables d’amour, ni capables de
haine, ils luttent entre les deux, comme deux fils électriques qui
ne sont pas en contact, mais pas non plus totalement séparés et
à une distance telle que les étincelles détruisent le fil lui-même.
Donc notre amour nous détruit et notre haine nous détruit aussi,
car aucun des deux n’est total. Et qu’est-ce qui est total ? Haïssez
avec le cœur ou aimez avec le cœur !
A présent, il faudrait que je travaille, à moins que vous n’ayez
d’autres questions ?
A. : L’autre matin, vous m’avez dit que je devais me souvenir
de trois qualités par rapport au Maître. Vous me l’avez répété
deux fois, mais j’ai oublié !
P. R. : Moi aussi 11   ! Un jour Babuji m’a écrit que tel jour à
telle heure il m’avait amené à un certain état spirituel et il m’a
dit : « Ecris-le dans ton journal de façon à ce que tu puisses me
répondre lorsque je te le demanderai  !  » Alors je me suis dit  :
c’est lui le Maître, c’est lui qui m’a placé à cet endroit et il m’écrit
pour que je m’en souvienne et que je le lui redise un jour ! A notre
rencontre suivante je lui ai demandé : « Babuji, qu’est-ce que cela
signifie ? » Il m’a répondu : « Je te le dis seulement afin que tu
puisses t’en souvenir lorsque j’oublie ! » C’est la même situation.
A. : Je ne me souviens que de la musique mais pas des paroles !
P. R. : Cela suffit. Après tout, les mots sont faits pour faire de
la musique ! J’ai vraiment du mal à m’en souvenir, car je ne parle
pas à partir du mental. Je vous ai déjà dit que lorsque j’ai fait un
discours, je dois ensuite écouter l’enregistrement car je ne sais
plus ce que j’ai dit. Les gens pensent que je plaisante, mais ce

11 NDT : En français.
Retour →sommaire des mots et merveilles 176

n’est pas une plaisanterie.


A. : Mais le problème c’est que je n’écoute pas non plus avec
mon mental, alors ...
P. R.  : Alors c’est là où ce doit être. Cela reviendra lorsque
ce sera nécessaire. Je vous ai dit souvent que lorsque je parle,
je dis des choses que je ne sais pas moi-même ; d’où viennent-
elles ? C’est comme des tuyaux : lorsque vous ouvrez le robinet,
l’eau arrive. L’eau ne vient pas du tuyau ; elle passe par le tuyau,
mais elle ne provient pas du tuyau. Et petit à petit vous devenez
comme cela, si vous êtes sincère et que vous êtes connecté au
Maître. Alors il se passe qu’il parle et ne sait pas ce qu’il dit. Qu’y
pouvons-nous ?
Au Danemark, Babuji avait un certain doute à propos de
parishad et mahaparishad. Je lui ai apporté “La Réalité à l’Aube”
et lui ai fait lire le passage correspondant. Il a dit : « C’est très
bien écrit, qui a écrit ce livre  ?  » Il a été surpris lorsque je lui
ai montré son nom ! Il a sourit en disant : « Quelquefois j’écris
vraiment de bonnes choses  !  » Parfois, qu’il me pardonne, je
pensais qu’il jouait la comédie, mais ce n’était pas juste. Il était
dans une condition telle, qu’il ne savait pas ce qu’il disait, ce qu’il
faisait, ce qu’il allait faire. Il parlait, sans parler et c’est pourquoi, avec
si peu d’instruction, avec si peu de contact avec le public, il pouvait
répondre à n’importe quelle question. Quelquefois je me demandais
comment il allait répondre, mais il le faisait d’une telle manière
que personne d’autre que lui n’aurait pu le faire. J’étais vraiment
étonné. C’est cela la maîtrise.
Après tout, être maître, c’est un peu comme le Christ  ; si
votre maison regorge de nourriture et que vous nourrissez
vingt personnes, cela n’a rien de surprenant. Mais si vous avez
deux miches de pain et cinq poissons dans un panier et que
vous nourrissez dix mille personnes, d’où vient la nourriture  ?
C’est une connexion avec quelque chose qui vous la donne.
Retour →sommaire des mots et merveilles 177

Cependant, vous devez vous souvenir d’une chose importante :


deux miches et cinq poissons ont tout de même été nécessaires.
De même Krishna a recueilli le grain de riz dans ce qu’on appelle
le récipient indestructible (patra). Vous pouvez en retirer autant
que vous en voulez. C’est ce que font les magiciens lorsqu’ils tirent
de leur chapeau, des oiseaux, des mètres et des mètres de ruban !
C’est extraordinaire de voir comme tant de choses sortent de ce
simple chapeau.
Cette idée que quelque chose puisse provenir de rien, est une
idée tout à fait fascinante. Pourquoi pas  ? Mais d’après l’esprit
humain, c’est impossible ; de même, lorsqu’on dit Dieu n’a rien et
cependant il donne, nous trouvons difficile de l’admettre.
Le Christ ou Krishna, partaient de deux miches, de cinq
poissons ou d’un grain de riz  ; c’est la preuve qu’ils étaient
des personnes divines, mais pas Dieu. Ils avaient besoin de
commencer par quelque chose pour créer, alors que Lui crée à
partir d’absolument rien.

Samedi 25 juin 1988 (soir)

Semons un maître et récoltons l’Ultime


P. R.  : Semons une pensée et nous récolterons un acte.
Semons un acte et nous récolterons une habitude. Semons une
habitude et nous récolterons un caractère. Semons un caractère
et nous récolterons un destin. Semons un destin – et ceci est
très important pour se lever à 5 heures du matin – et nous
récolterons un maître. Le destin tout seul n’est pas suffisant, il y
a plus important encore : semons un maître et nous récolterons
l’Ultime.
Vous vous souvenez de cette chanson, “J’ai perdu mon cœur
à Heidelberg”. Eh bien ! nous avons oublié notre destin dans le
cœur. C’est pourquoi nous méditons sur la lumière divine dans le
Retour →sommaire des mots et merveilles 178

cœur. Il est très important de méditer sur le cœur car le destin s’y
trouve. Pourtant nous le recherchons à l’extérieur. Comprenons
bien pourquoi nous méditons à l’intérieur du cœur, autrement
nous aurons tout le temps les mêmes questions : sur le Ciel, Dieu,
etc. La vérité spirituelle est le destin, qui ne peut se trouver à
l’extérieur de nous. Cherchez-le donc à l’intérieur. C’est logique
et c’est valable en tout, car le destin s’applique à toute chose : à la
tristesse, au bonheur, à la santé, à tout, à la vie elle-même.
A. : Quelle est la limite entre l’extérieur et l’intérieur ?
P. R. : Il n’y a pas de limites.
A. : A l’intérieur et à l’extérieur il n’y a pas de limites et pourtant
entre l’interne et l’externe il y a une limite.
P. R. : Faites-vous référence à la notion de frontière ? C’est à
dire à notre pensée  : je pense quelque chose à l’extérieur et je
pense quelque chose à l’intérieur ?
A. : Donc c’est la pensée qui fait le lien entre l’intérieur et l’extérieur.
P. R. : Il n’y a pas de différence. La frontière est la pensée elle-
même.
A. : Oui, ceci n’a rien à voir avec la forme physique.
P. R. : Non, ce n’est pas vrai. Si vous pensez que quelque chose
se trouve à l’extérieur, cette chose se trouve à l’extérieur et donc
vous pensez à l’extérieur. Si vous pensez que ceci se passe à
l’extérieur, ceci se passe à l’extérieur parce que notre cœur aussi
est extérieur  ; mais ce n’est pas vrai, si vous pensez au cœur
physique.
A.  : C’est la pensée qui fait la différence entre l’intérieur et
l’extérieur ?
P. R. : C’est l’idée que quelque chose se trouve à l’extérieur ou
à l’intérieur.
A. : Est-ce qu’il s’agit de la pensée elle-même qui rend la chose
intérieure ou extérieure ?
P. R.  : Oui, certainement. Si vous êtes heureux, dans votre
Retour →sommaire des mots et merveilles 179

cœur (en le montrant), vous êtes heureux partout. Mais si vous


dites que vous n’êtes pas heureux, la porte de votre cœur restera
fermée.
A.  : Vous parlez d’une frontière et tout d’un coup vous y
établissez une porte ...
P. R. : Oui, c’est vrai mais c’est parce que chaque frontière a
une porte. Il n’existe pas de frontière sans porte.
A. : Donc la frontière est l’infini ! Les portes sont-elles infinies ?
P. R.  : Nous étendons notre frontière vers l’infini. Or, notre
frontière est à l’intérieur et si nous la repoussons petit à petit,
elle finit par se retrouver au bout de l’univers. Donc ce que nous
faisons en réalité, c’est d’avoir l’idée que chaque chose se trouve à
l’intérieur et puis nous élargissons l’intérieur afin que tout ce qui
s’y trouve, aille vers l’extérieur. Et après nous sommes à l’intérieur de
notre intérieur, ce qui est la chose ultime. Nous arrivons à l’intérieur
de notre être.
C’est une idée très subtile. Dans la conscience humaine
habituelle, nous pensons à l’intérieur de nous, à tout ce qui est
l’extérieur de nous. Cependant la spiritualité nous invite à nous
diriger vers l’intérieur pour que nous cherchions tout à l’intérieur.
Et si nous réussissons dans cette démarche, progressivement
un miracle se produit. Le miracle est que l’intérieur commence à
s’étendre et à ce moment-là, l’intérieur va vers l’extérieur et il
commence à inclure progressivement tous les phénomènes du
monde extérieur, du cosmos et de l’univers.
A. : Est-ce que ceci n’a pas de fin ?
P. R. : C’est vrai, cela ne s’arrête jamais.
A.  : Peut-on dire que l’esprit est parfait parce qu’il est
perfectible ?
P. R. : Non, non. L’esprit est toujours parfait, mais dans notre
conscience nous avons l’idée de perfection et d’imperfection.
A. : Mais est-ce que l’esprit est parfait parce qu’il est perfectible ?
Retour →sommaire des mots et merveilles 180

P. R. : Nous ne sommes pas capables de nous apercevoir que


l’esprit est parfait, pourquoi ? En raison de la densité (grossness).
Par le processus du nettoyage, vous ôtez l’opacité ; cependant, ce
qui est parfait est toujours parfait. Il est important de nettoyer,
mais lorsque vous réalisez que ce qui est parfait et pur a toujours
été là, c’est une réalisation d’un statut de l’infini. C’est pour cela
que j’ai dit que tout se trouve à l’intérieur de notre pensée.
A. : A quel point ce renversement vers l’extérieur a-t-il lieu ?
P. R. : Il s’agit d’un point que vous pouvez réaliser à l’intérieur
de votre méditation. Actuellement vous luttez pour intérioriser
vos facultés de perception qui, pour le moment, se dirigent vers
l’extérieur. Les yeux sont tournés vers l’extérieur ainsi que tous
les sens. Nous essayons de renverser ce processus pour tourner
les sens, la perception vers l’intérieur. Supposez que vous ayez
une lampe capable de s’allumer elle-même. Comment cela
pourrait-il se faire ? Cette lampe est pointée vers l’extérieur, elle
illumine tout ce qui est à l’extérieur, sauf elle-même. Supposez à
présent, que vous soyez capable de tourner la lampe vers vous de
telle manière qu’elle illumine tout ce qui se trouve à l’intérieur.
Il n’y aurait plus de lumière à l’extérieur et il s’agirait d’une
illumination à l’intérieur. Dès lors, tout le processus commence
car à partir du moment où vous tournez cette lampe, cette
lumière vers l’intérieur, vous vous rendez compte qu’à l’intérieur
se trouve un vaste univers. Dans les textes sacrés de l’Inde on
dit même qu’il s’agit d’univers multiples ! Il n’y a pas qu’un seul
univers à l’intérieur, il y a des univers au-delà des univers qui
sont eux-mêmes des univers au-delà des univers !
C’est pour cela qu’en Inde, nous avons le concept d’une
multiplicité du monde. Il y a sept mondes à l’extérieur et sept
mondes à l’intérieur, soit quatorze mondes. Les mondes à
l’intérieur sont beaucoup plus vastes que les mondes de l’extérieur.
Donc lorsque nous tournons notre attention vers l’intérieur,
Retour →sommaire des mots et merveilles 181

lorsque nous voyons tout ceci, la question de savoir si nous


bougeons vers l’extérieur ou de l’intérieur est hors de propos, car
tout ce qui est à l’intérieur est aussi à l’extérieur et tout ce qui se
trouve à l’extérieur est aussi à l’intérieur.
Vous ne pouvez pas dire qu’il s’agit d’un renversement, pas plus
que vous ne pouvez dire qu’il ne s’agit pas d’un renversement.
Il s’agit à la fois d’un renversement et d’un non-renversement.
Parce que vous êtes seul à pouvoir vous rendre compte que tout
ce qui se trouve à l’extérieur se trouve aussi à l’intérieur. Il y a
une petite histoire très connue en Inde sur le Seigneur Krishna.
Lorsqu’il était enfant, il mangeait de la boue comme tous les
enfants le font. Sa mère a voulu le punir, mais il lui a répondu :
« Non, maman je n’ai pas mangé de la boue ! » Alors sa mère lui
a fait ouvrir la bouche pour vérifier et là, dans sa bouche, elle
a découvert tout l’univers. Si vous fonctionnez d’une manière
logique, ceci est une absurdité car Krishna est là et le monde
extérieur est là et pourtant vous voyez le monde à l’intérieur de
lui, Dieu ! Donc dans un tel personnage, le monde de l’extérieur
se trouve à l’intérieur. Et les deux mondes forment une unité.
C’est pour cette raison que la philosophie orientale parle de Dieu
comme une entité qui est à la fois plus vaste que la chose la plus
vaste et qui est en même temps plus petite que la plus petite
chose. Dieu n’est pas quelque chose qui devient petit quand il le
souhaite et Dieu n’est pas non plus quelque chose de grand quand
il souhaite devenir grand, il est grand et petit simultanément.
Nous, êtres humains, nous participons de cette essence divine.
Donc il s’ensuit que nous sommes à la fois plus grand et plus
petit que toute chose. Quand vous vous regardez et que vous
vous voyez petit, vous vous sentez humble et modeste, vous vous
sentez misérable et malheureux. Quand vous pensez à votre
divinité, vous devenez ce que vous pensez, exactement comme
Shakespeare l’a mentionné dans Hamlet. «  Rien n’est bon ni
Retour →sommaire des mots et merveilles 182

mauvais, seule la pensée fait que c’est bon ou mauvais. » Pensez


que vous êtes divin et vous l’êtes.
J’ai illustré ceci dans le livre “Mon Maître” par la citation très
connue  : «  Adorez une pierre et vous deviendrez une pierre  ;
adorez Dieu et vous vous rendrez compte que vous êtes Dieu. »
Dans la philosophie islamique on dit que l’homme ne peut pas
être Dieu ; le Prophète a mis là une frontière et les êtres humains
ont commencé à suivre cette limitation. Mais pourquoi l’homme
ne pourrait-il pas être Dieu ou du moins comme Dieu ? Je ne
peux pas être Otto, mais je pourrais être comme Otto. Mais seul
Otto peut être Otto. D’où le concept de la ressemblance, de la
similarité.
Lorsque deux choses sont exactement ressemblantes ou
similaires, vous dites que ces deux choses sont identiques, mais ce
n’est pas vrai car elles ne sont pas une. Dans la science, le clone est
une reproduction précise, mais il ne s’agit pas de la chose identique.
Donc il peut y avoir identité sans ressemblance, ressemblance
sans identité, et il peut y avoir ressemblance et identité mais il ne
s’agit pas encore d’unité.
En spiritualité, vous pouvez avoir l’unité qui a pour source
l’identité, mais pas l’unité de l’essence. Si on franchit une étape
plus loin, il n’est question que d’aller vers l’intérieur. Quel est
le véhicule possible pour que vous alliez à l’intérieur : c’est votre
pouvoir d’attention. Tournez vos sens vers l’intérieur et vous
accomplirez ce miracle que votre univers intérieur n’est pas
moins grand que l’univers extérieur. Et s’il y a Dieu à l’intérieur,
il est aussi à l’extérieur.
Pourquoi devrais-je chercher Dieu à l’extérieur dans l’univers
physique, dans l’immensité, et où pourrais-je le trouver ? Par contre,
même si l’univers à l’intérieur est beaucoup plus vaste que l’univers
à l’extérieur, cet univers est toujours en moi. C’est comme si on
cherchait dans sa veste et ses dix sept poches de la monnaie et des
Retour →sommaire des mots et merveilles 183

clés ! Si ces objets se trouvent à l’extérieur vous ne savez pas où les


chercher.
C’est votre devoir de tourner votre attention vers l’intérieur.
Le processus est simple et efficace. Dans l’univers extérieur, le
temps et la distance sont là, tandis que dans l’univers intérieur
ils n’existent pas parce que moi-même je représente cet univers.
Et à l’intérieur de moi, est-ce que se pose la question du temps et
de l’espace ?
Tout ceci est très fascinant. Les gens ont l’habitude d’aborder ce
problème d’une manière très limitée. Les scientifiques ne pensent
jamais vraiment ; ils croient que la science n’existe qu’à l’extérieur
et que tout ce qui s’y trouve concerne la botanique, la zoologie ou la
physiologie.
Il y a quelque chose de subtil à comprendre. C’est que l’univers
externe, tel que vous le connaissez, est une entité infinie mais qui
a des limites, car il se trouve dans un état d’expansion à partir du
big-bang dans une certaine direction. Donc cet univers connaît
une limite, bien que cette limite soit mobile.Cependant, vous
accordez à l’univers extérieur une valeur infinie alors qu’il est
limité. Vous le qualifiez d’infini parce que vous n’arrivez pas à le
limiter et pourtant c’est quelque chose qui est dans un processus
d’expansion et par conséquent qui doit connaître une limite.
En ce qui concerne l’univers à l’extérieur, il s’agit de l’infini
fini tandis que lorsqu’on parle de l’univers à l’intérieur, c’est de
quelque chose fini mais avec une dimension infinie. Et puisque
cet univers intérieur a des limites, même si ces limitations se
trouvent dans l’infini, il est beaucoup plus facile de le trouver !
A partir du moment où je commence à me regarder, je deviens
capable de le trouver.
En science vous employez des instruments, des radars, des
télescopes et tous ces équipements modernes. Ce sont des
instruments dont vous vous servez pour regarder vers l’extérieur.
Retour →sommaire des mots et merveilles 184

En ce qui concerne l’univers à l’intérieur, vous utilisez votre


attention. Vous n’avez pas besoin d’utiliser vos yeux, votre nez,
vos sens pour toucher, sentir, voir. Seule votre attention est
requise, il s’agit du mental. Et puisqu’il s’agit du mental, on
l’appelle le raja-yoga. Le mental est le contrôleur du système,
c’est le roi. En utilisant votre attention tournée vers l’intérieur,
c’est comme si vous regardiez au travers d’un microscope ou d’un
télescope  ; sans cet instrument vous n’arriverez pas vraiment
à découvrir quelque chose. C’est votre attention qui est
votre instrument pour que l’objet s’approche d’elle. Quand
vous regardez à l’aide d’un télescope vous dites qu’il s’agit d’un
processus d’élargissement, mais élargir quelque chose n’est rien
d’autre que rapprocher l’objet vers l’instrument, où l’objet, grâce
à votre instrument devient visible.
En ce qui concerne le processus à l’intérieur, vous n’avez
besoin ni d’un processus d’élargissement ni d’un processus de
réduction. Vous vous tournez à l’intérieur et vous trouvez !
Quels sont les obstacles, quelles sont les difficultés qui
nous empêchent de réussir  ? Pourquoi n’arrivons-nous pas
à reconnaître notre univers dès la première méditation  ? La
réponse est simple : la densité. Les objets sont recouverts par des
couches ; dans la mesure où le processus de nettoyage se poursuit,
les objets deviennent de plus en plus visibles. C’est comme si les
brouillards de la vallée se dissipaient. On commence à apercevoir
les arbres, puis les feuilles, les branches et même les insectes sur
les feuilles !
A partir du moment où toute l’opacité est éliminée, je suis
capable de tout voir. Les nuages disparaissent et le soleil donne
l’impression d’être plus resplendissant, bien qu’il ait toujours été
là.
Il ne s’agit pas d’un processus où nous créons Dieu ou de la
divinité. Il est faux de dire que nous devenons quelque chose,
Retour →sommaire des mots et merveilles 185

c’est pourquoi nous utilisons le mot “réalisation”. Je réalise


que ma Divinité a toujours été là dès que ma densité est éliminée,
à partir du moment où j’ai commencé à regarder vers l’intérieur.
En regardant vers l’intérieur, je trouve ce que je cherche.
A.  : Pourquoi le processus du nettoyage prend-il tellement de
temps ?
P. R. : En partie parce que personne ne le fait vraiment ! Je
reçois beaucoup de courrier et vous seriez étonné d’apprendre
que quatre-vingt-dix pour cent des personnes ne font pas
exactement le nettoyage. Alors je vous le demande, comment le
processus peut-il être efficace ? Ce n’est pas sans raison que je
vous ai demandé de m’écrire ; je voulais que ce soit vous qui vous
exprimiez. Si je vous avais dit  : «  Vous  ! vous ne faites pas le
nettoyage ! », vous vous seriez rebellé ! « Babuji était si gentil et
n’a jamais rien dit de tel ! », auriez-vous protesté ?
A. : Est-ce que c’est la seule raison ?
P. R.  : C’est une des raisons. Si vous jouez du piano, vous
pouvez appuyer sur une touche mais vous ne pourrez pas jouer
de la musique avec une seule touche.
A. : Est-ce qu’il y a un effort nécessaire derrière le nettoyage ?
P. R.  : Non, non. Quand on ne fait pas le nettoyage, il n’est
pas nécessaire de l’analyser  ! Quand vous dites  : «  Je chauffe
de l’eau. », quelle est l’implication de l’eau dans le processus du
chauffage et quelle est l’implication du feu dans le processus du
chauffage ? Sans implication comment pourriez-vous pensez que
vous chauffez quelque chose  ? Continuez à m’écrire, ne cessez
pas. c’est dans votre intérêt. La plupart des gens qui m’écrivent
me disent : « Je suis dans la Mission depuis 1976, 1983 et je n’ai
commencé à méditer que récemment. » Alors dites-moi comment
tout ce système peut être efficace si personne ne l’applique
vraiment ? La preuve de son efficacité réside précisément dans
son application. Babuji disait : « Essayez-le, pour quelques mois.
Retour →sommaire des mots et merveilles 186

Si vous ne le trouvez pas bon, alors abandonnez-le et nous nous


séparerons comme des amis. » Mais si on reste on reste ensemble
parce que nous sommes amis, on ne fait et on ne trouvera rien.

Samedi 25 juin 1988 (soir)

De l’amitié
L’amitié est un problème ; un ami peut me dire quelque chose
qui me rende furieux alors qu’une autre personne qui me dira la
même chose ne me fera pas réagir. Quand je suis très bien nourri
et que mon épouse me traite mal, cela ne me fait rien ; mais si elle
me traite mal quand je suis furieux, je réagis violemment. Toutes
ces amitiés sont très terre à terre et sans réel propos. Quand une
amitié s’arrête, comme elle n’est pas réelle, il n’y a pas non plus
de réelle raison à ce qu’elle se termine !
C’est comme les divorces modernes ; vous divorcez après vingt-
trois ans de mariage et je vous en demande la raison. Vous me
répondez : « Oui, je me suis marié pour obtenir sa nationalité. »
Ou : « Autrefois je l’aimais. » Ou : « Ce n’est plus harmonieux. »
En fait la vérité se manifeste plus tard : « C’est que j’ai rencontré
une autre femme ... » Cette qualité du mariage était très fragile
car il n’y avait aucune connexion à l’intérieur, aucun lien à
l’intérieur. Cet état de fragilité est dû au fait que tout le monde
regarde vers l’extérieur. Et tant que vous regarderez à l’extérieur,
vous trouverez toujours des choses qui seront supérieures à ce
que vous avez. Si vous êtes un philosophe, vous attendrez que la
recherche ultime soit achevée ; si vous êtes un célibataire, vous
resterez un célibataire éternellement, car vous attendrez toujours
mieux que ce que vous aurez connu.
En même temps, il y a aussi cette recherche du plaisir qui
demande autre chose. Mais si nous en restons aux rapports
humains d’amitié cela reste fragile, cela se termine par la tragédie
Retour →sommaire des mots et merveilles 187

et la misanthropie.
Par contre, si vous cherchez à l’intérieur, tous les rapports humains
vont s’améliorer. Pourquoi ? Parce que lorsque vous orientez votre
attention vers l’interne, c’est comme si vous attachiez un bateau de
cent vingt mille tonnes à un pilier, c’est comme si vous le mettiez à
l’ancre. Lorsque je tourne mon attention dedans, le bateau de mon
existence est alors ancré dans mon cœur et cette existence ne peut pas
bouger. La mer ne peut pas m’arracher à ce monde et son immensité
ne peut rien contre moi. C’est pour cela que tous les malheurs que
notre destin, parfois, nous envoie ne peuvent pas m’atteindre.
Comprenez-vous ? Je suis ancré en moi-même.
Si vous jetez l’ancre vers l’extérieur sous forme d’une
dépendance quelconque, envers votre épouse, votre enfant,
votre travail, votre profession, votre culture, votre pouvoir, votre
position sociale, vous êtes alors vulnérable. Il est plus productif
de chercher à s’ancrer à l‘intérieur. C’est la seule possibilité qui
existe, mais peut-être êtes-vous comme ces Anglais traditionnels
dont un œil regarde dans une direction et l’autre ailleurs ! Vous
regardez votre épouse d’un œil et de l’autre les jolies filles dans la
rue ! Votre attention est divisée et donc vous n’obtenez rien.
Qu’est-ce que ça veut dire d’être attentif, d’avoir de l’attention ?
Cela signifie que l’attention ne doit pas être divisée. La totalité
de votre attention conduit à la concentration et pour finir, la
concentration est un instrument de la révélation. Cela veut
dire  : une vision, un objet, une direction. Dans le Sahaj Marg
nous illustrons cette pensée par  : un Maître, une Mission, une
Méthode. Quel est le but  ? La réalisation de nous-mêmes  : je
suis la Mission, je suis le Maître, je suis la Méthode, je suis tout.
Tout ce qu’est le Maître, je le suis aussi ; pourquoi ? parce que
je le trouve à l’intérieur de moi. Quand je me cherche, je Le
trouve, Lui.
Est-ce que vous voyez la logique de cette méditation  ? Vous
Retour →sommaire des mots et merveilles 188

ne pourrez pas vaincre cette logique, ce travail  ! Si vous vous


acharnez à renverser la rationalité ou la logique de ce système,
vous n’y parviendrez pas ! C’est pour cela que je peux me trouver
en Europe, parler sévèrement aux Occidentaux, cela ne me
fait rien. Je peux écouter votre musique, je peux manger votre
baguette, et en même temps être exigeant avec vous. Pourquoi ?
Parce que je suis parfaitement ancré à l’intérieur de moi-même.
Aucune tempête n’est capable de me secouer de cet état
d’ancrage, pas plus qu’aucun cataclysme de la nature, aucun
tremblement de terre, ni même un autre big-bang  ! Car la cause
de ce big-bang est aussi à l’extérieur. S’il était à l’intérieur, il ne
m’affecterait pas davantage, car je suis à l’intérieur de l’œil du
cyclone. Quand un bateau se trouve à l’intérieur d’une tempête, il
est au calme et ne s’en trouve pas affecté car tous les phénomènes
sortent à partir du centre. C’est un fait bien connu des experts
en affaires maritimes ; lorsque vous êtes situé au centre, même
la tempête est votre création. Comment pourriez-vous être
influencé par quelque chose que vous créez  ? C’est un peu le
même phénomène avec le centre d’une explosion ; le centre ne
peut pas être touché par une explosion.
L’univers peut exploser à partir de ce point, mais ce point ne peut
être touché par l’explosion. C’est ce que nous appelons le Centre
en spiritualité, dans le système du Sahaj Marg en particulier.
Ce Centre est immuable, il ne bouge pas. C’est un centre très
tranquille qui nécessairement n’est pas affecté, même par une
explosion. Quand nous explosons comme être humain, quand
nous sommes dans un état de rage, nous sommes profondément
touchés. Pourquoi ? Parce que nous ne nous trouvons pas proche
du Centre, mais à la périphérie de notre être.
C’est comme s’il s’agissait d’un ballon qui se trouve au centre
avec de l’air à l’extérieur. Notre terre est entourée de vide, dans
l’espace et normalement un vide absorbe tous les phénomènes
Retour →sommaire des mots et merveilles 189

matériels. Alors pourquoi notre enveloppe d’air n’est-elle pas


absorbée par l’espace qui l’entoure ? C‘est étrange. En raison de
la gravité. Or lorsque je me trouve à l’intérieur de moi-même,
quelle est la force qui retient tout  ? Quelle force permet que je
ne sois plus touché par quoi que ce soit ? C’est ma gravité. Mais,
habituellement, ma gravité se trouve à l’extérieur de moi-même ;
il y a un centre de gravité dans mon travail, un centre de gravité
dans le respect que j’ai pour moi-même, une centre de gravité
pour le niveau de mes revenus, les amis, le foyer et si jamais il y a
un trou dans le toit de ma maison, je meurs !
Mettez ensemble tous ces centres hétérogènes qui se trouvent
à l’extérieur, mélangez les tous à l’intérieur et à présent, même si
tout à l’extérieur est un vide, je ne peux pas être absorbé par ce
monde.
Donc vous avez deux sphères, deux niveaux, auxquels la
science, à mon avis, n’a pas accordé suffisamment d’attention. Le
premier phénomène, c’est celui du trou noir qui absorbe tout ce
qui est à sa proximité et le second est celui de l’immense gravité
qui n’est même pas un point dans l’espace, mais qui contient
toute la matière de l’univers et que la science appelle singularité.
Ce point, lorsqu’il explose, crée le big-bang, l’univers dans un
processus d’expansion. Quelle est la force à l’origine de cette
explosion ?
Actuellement, la force de gravité est en train de s’affaiblir. Si
nous tenons un oiseau dans notre main et que nous ouvrons la
main, l’oiseau est lâché. Cette force de gravité est progressivement
absorbée ou affaiblie par elle-même jusqu’à ce qu’un mouvement
opposé prenne naissance. L’univers se met à se contracter et plus
tard il retournera là où le processus d’expansion a pris naissance.
Et s’il y a un mouvement ou du temps entre cette singularité-ci et
cette singularité-là, entre le début et la fin vus par nos yeux, entre
l’expansion et la contraction ultérieure de l’univers, qui pourra le
Retour →sommaire des mots et merveilles 190

dire ?
Personne ne peut le dire. Telle est la beauté de la science
enrichie par le mysticisme. Il y a un trou noir dans l’espace ; il y a
aussi de la gravité qui provient de la singularité et si vous arrivez
à la conclusion que ces deux choses, le trou noir et la singularité
sont la même chose, vous ne vous trompez pas. C’est l’énorme
gravité d’un trou noir qui rend possible que ce trou noir absorbe
le temps et même la lumière. En fin de compte il s’agit de la même
chose. Une chose est visible et l’autre est invisible. Une chose est
visible parce que vous pensez qu’elle l’est, en dépit du fait que
vous ne la voyez pas ! L’autre chose est invisible parce que vous
pensez qu’elle est invisible.
Là, vous avez un autre exemple du principe de l’invertendo, à
propos du visible et de l’invisible. Lorsque vous pensez qu’une
chose est visible, elle est visible  ; lorsque vous pensez qu’une
chose est invisible, elle est invisible. Lorsque vous pensez que
Dieu peut être vu, Dieu est vu sans aucun doute. Lorsque vous
dites : « Mais comment vais-je pouvoir faire pour voir Dieu, Dieu
n’existe pas Chariji ! », dans ce cas Dieu ne sera jamais visible,
car c’est une négation. C’est la même chose que l’homme malade
qui refuse de reconnaître sa maladie. Même mourant, il proteste :
« Non, ce n’est pas le mal qui me tue, c’est ma femme ! »
Il nous faut donc d’abord accepter, puis il nous faut reconnaître
et enfin il nous faut accepter pour devenir quelque chose. Ce
processus du devenir est appelé un processus de transformation.
J’ai quitté ma chambre il y a une heure, comme vous le savez ;
c’est un peu comme dans “Alice au pays des merveilles”, tout ce
qu’il y a à faire c’est de courir, de courir pour pouvoir rester là où
vous êtes ! Et moi, j’ai quitté ma chambre il y a une heure ; j’ai
voyagé et en même temps je suis resté sur place !
Nous avons le plus grand besoin d’un mental qui
refuse de reconnaître les frontières. Pas de frontières
Retour →sommaire des mots et merveilles 191

pour la connaissance, pas de frontières pour la discipline, rien du


tout. On parle du besoin de l’homme parce que c’est l’homme qui
a créé la science ; je ne pense pas que Dieu ait créé la physique ou
la chimie. L’homme a fait des études qui touchent certains aspects
des phénomènes du monde manifesté et qu’il appelle physique.
Et lorsqu’on situe quelque chose dans une autre perspective, on
appelle cela de la chimie. Voilà ce que vous faites lorsque vous
mettez toutes les sciences ensemble, vous réussissez à voir l’unité.
Vous ne pouvez pas étudier la physique sans faire des études de
chimie ; l’une et l’autre peuvent être étudiées sans référence aux
mathématiques. L’astronomie actuelle n’est plus celle de Galilée,
elle est beaucoup plus en rapport avec les mathématiques.
On pénètre la cosmogonie de l’univers de plus en plus par les
mathématiques. Et qu’est-ce que les mathématiques de l’univers ?
On pourrait dire que c’est mettre deux plus deux ou de déduire
deux de deux et de trouver que cela fait zéro. Qu’est-ce qu’un
zéro ? Un zéro n’a pas de valeur ; c’est quelque chose qui n’a pas
de valeur tout en étant isolé ; mais lorsque vous ajoutez un zéro à
quelque chose, cette chose acquiert une valeur. Comme Babuji
le disait : « Mettez un zéro après un et cela devient dix ! »
A. : J’ai eu une pensée très bizarre à l’égard du trou noir. Est-ce
que cela pourrait signifier qu’une nouvelle étoile est née ?
P. R. : Mais oui ! Tout est possible. Lorsque vous ne connaissez
pas les choses, lorsque vous êtes ignorant, dans cet état-là tout est
possible ! Par contre, quand nous connaissons quelque chose, il y a
seulement cette chose. C’est la théorie de la connaissance. Quand
je sais quelque chose sur quelque chose, il s’agit seulement d’une
seule chose. Quand j’ignore quelque chose, tout est possible  !
Prenez la peur par exemple  ; quand j’ai peur de l’obscurité, je
vois une ombre qui prend la forme d’un lion, d’une chèvre ou
d’un cheval ou d’une troisième personne ! C’est mon imagination
qui crée cette possibilité et me dit  : «  Voilà ! ceci pourrait être
Retour →sommaire des mots et merveilles 192

un lion, une chèvre, etc. » Mais par contre, si vous utilisez une
lampe, une lumière pour éclairer, vous regardez et il n’y a rien.
Donc la Réalité c’est rien !
Ici aussi, nous disons que la Réalité n’est rien d’autre que le
Rien ou la qualité du Rien.
Cet après-midi, je parlais des trous noirs à quelqu’un. On dit
que les trous noirs prennent de la matière d’ici pour l’aspirer et
l’envoyer dans un autre univers. Ils ont une énorme puissance ;
ils prennent de la matière d’un endroit pour créer ailleurs. Dieu
par contre, a créé de rien.
A. : Certains pensent que cet autre univers pourrait être le Ciel.
P. R.  : Oui, il pourrait s’agir du Ciel ... ou de l’Enfer, peu
importe ! S’il y a le Ciel, il y aura aussi l’Enfer, c’est logique !
A. : C’est plutôt comme l’anti-matière.
P. R. : Je pense qu’un maître spirituel tel que Babuji est un trou
noir humain. Il enlève toute densité à chacun et à toute chose
dans le monde, sans qu’il en soit affecté. Il y a des trous noirs de
matière ; ici, il s’agit d’un trou noir humain et vivant, que nous
ne pouvons jamais voir. Le trou noir ne se voit pas non plus, car
il conserve la lumière en lui en raison de l’énorme pouvoir de
gravitation situé à l’intérieur. Le Maître est toujours dedans, et
il attire tout en lui. Nous ne pouvons pas échapper à une telle
personne quand nous sommes auprès d’elle ! Vous savez, lorsque
les gens voulaient aller à Shahjahanpur pour la première fois je
les avertissais : « Si vous n’êtes pas sérieux, n’y allez pas ! » Parce
qu’une fois arrivé aux pieds de ce vieil homme, c’en était fait de
vous ! Vous pouvez vous rebeller, envoyer tout promener, vous
en aller, mais vous reviendrez. Tel est le problème. Il est toujours
lui-même, il n’a pas besoin d’être autre chose. Il est.

Samedi 25 juin 1988 (soir)


Retour →sommaire des mots et merveilles 193

Un peu plus tard.


Coopération
P. R. : C’est un miracle tout ce cleaning ; je vous ai souvent dit :
«  Continuez le nettoyage, ne l’arrêtez pas.  » Car réellement, le
nettoyage c’est Lui qui le fait. Et nous que faisons-nous ? En fait,
il ne cesse d’entraîner notre volonté en nous la faisant appliquer
et renforcer par une utilisation progressive. Mais c’est Lui qui
fait le cleaning ! Chemin faisant, nous prenons confiance : c’est
nous qui le faisons. L‘enfant qui s’exerce avec un crayon et à qui
l’on tient la main est heureux. Il s’exclame : « Regarde maman,
j’ai fait un “a” ! » Mais mine de rien, vous l’entraînez et un jour il
pourra écrire.
Il travaille et nous coopérons. Il fait apparaître les choses
comme si c’est nous qui travaillons ; ce faisant, il affermit notre
volonté et finit par nous rendre capables de faire ce qu’il souhaite
qu’on fasse dès le départ. Si on ne coopère pas, on ne se développe
jamais.
A.  : Pourquoi les gens veulent obtenir quelque chose sans
coopérer ?
P. R. : Qu’est-ce qu’on peut y faire ? Pourquoi ? Je n’en sais
rien. Pourquoi la nature nous envoie-t-elle ce mauvais temps ?
S’il faisait beau, les uns seraient sans doute en train d’escalader
les collines, les autres seraient à Nice, d’autres encore seraient
étendus sur la pelouse ! Or, vous êtes tous ici et je prie pour qu’il
pleuve, surtout les week-end ! Pour un bon propos, le temps doit
coopérer, car la Nature n’a ni mental, ni volonté. Si vous prenez
un stylo pour écrire, le stylo ne peut pas dire : « Je n’ai pas envie
d’écrire  !  » Par contre, si je vous dis  : «  Méditez  !  », vous me
répondez : « Oui, Chari, mais ... », ce “mais” fait que le progrès
s’arrête.
A. : La Nature ne coopère pas seulement pour le bien ?
P. R.  : Cela dépend de qui l’utilise. Prenez un crayon, vous
Retour →sommaire des mots et merveilles 194

pouvez l’utiliser pour écrire des vers divins, à la gloire de Dieu ou


vous pouvez écrire des bêtises, pourtant c’est le même crayon. La
Nature ne peut rien faire par elle-même ! C’est pourquoi
les saints sont indispensables.
Si vous achetez aux enchères la plume de Shakespeare, vous ne
serez pas pour autant capable d’écrire ses sonnets ! Pourtant on
a l’idée saugrenue qu’un roi possédant une couronne est un roi
et que son fils qui est peut-être un imbécile, deviendra un roi et
portera la couronne ! Mais si le roi avait eu l’humilité d’envoyer
son fils à l’école pour le former avant de le faire roi, il aurait
formé un véritable roi et pas un roi stupide. La parenté n’a pas
forcément d’utilité, il vaut mieux être sage ; les philosophes ont
refusé des trônes. Jules César qui était arrogant, s’est vu offrir
le trône par le Sénat et la tentation a été trop grande pour lui. Il
a fini par être assassiné aux Ides de mars par Brutus, son ami !
Voilà où conduit la tentation du pouvoir et de la position.
De quoi parlons-nous ici si ce n’est de la possibilité, en un instant,
d’être l’éternité ? Et quelle est la grâce du Tout-Puissant ? C’est de
balayer tout un univers de souffrance en une seconde, quand le
Maître est avec nous ; il peut le faire pendant nos rêves. Une fois,
j’ai fait un horrible cauchemar dont j’ai demandé la signification
à Babuji. Il m’a dit : « C’est par la grâce du Maître que vous avez
eu ce cauchemar. Cela faisait partie de vos samskaras, et par sa
grâce, le bhoga a été consumé dans le rêve ! » Cela montre que
les rêves font aussi partie de la Réalité, bien que dans un ordre
différent d’existence. Si le rêve est difficile à supporter, vous
pouvez peut-être vous lever en hurlant, il n’empêche que c’est
terminé ! Alors que cette même séquence aurait pu vous prendre
toute votre vie si vous aviez dû la subir dans votre vie physique,
ce qui n’est pas grand chose dans l’optique d’une condensation
du temps, ou d’un étirement du temps. Si vous avez un sitting
plein de félicité, vous méditez deux heures, vous pensez en vous
Retour →sommaire des mots et merveilles 195

réveillant que cela a duré deux minutes, alors qu’en fait cela a
duré deux heures.
Donc tout est lié. C’est pourquoi le Seigneur Krishna, dans la
Gita, dit : « Je suis le temps. » Le Maître est le maître du temps,
que peut-il être d’autre  ? Il maîtrise le temps en se maîtrisant
lui-même. Nous songeons à prolonger la vie en terme de durée
calendaire, mais Il maîtrise la vie en devenant éternel. Il ne
s’agit pas d’une prolongation du temps, mais en devenant maître
du temps, tout phénomène qui dépend du temps commence à
dépendre du Maître.
Babuji a dit à Don je crois, qu’il y avait une transmission que
lui, Babuji, n’avait jamais faite et que probablement il ne ferait
jamais. C’est de transmettre d’au-delà du temps. Quand Babuji a
dit cela, l’idée m’est venue qu’il est le maître du temps. Comment
transmettre d’au-delà du temps à moins que vous ne soyez vous-
même au-delà du temps  ? C’est la première indication que j’ai
reçue concernant sa maîtrise du temps.
A. : Le temps et l’espace représentent des limitations et tout est
unité ?
P. R.  : Rien n’existe  ! Disons que vous avez une maison. Si
votre chambre fait deux mètres sur un mètre cinquante, vous
aurez l’impression d’être enfermé. Si vous la construisez de
quatre mètres sur cinq, vous vous sentirez un peu plus à l’aise. Si
vous l’élargissez à huit sur six, vous vous sentirez parfaitement
heureux. Mais si vous en bâtissez une de six cents mètres sur trois
cents mètres, vous vous sentirez seul  ! Et si vous en faites une
mesurant l’infini par l’infini, vous n’êtes plus dans une chambre,
vous êtes dans l’espace, perdu, et vous ne savez que faire.
C’est cette incapacité à me dilater qui me maintient en
esclavage, prisonnier de moi-même. Quand puis-je me dilater ?
Lorsque je n’ai pas peur de me dilater, lorsque je sais que tout
l’univers n’est rien d’autre qu’une chambre, dont les murs ont
Retour →sommaire des mots et merveilles 196

des limites ultimes sous forme d’espace et de temps.Alors c’est


ma maison et dans un sens, tout est mien. Une telle personne
peut dire  : «  Tout est à moi. Je ne possède rien, mais tout est
mien. » « Pourquoi ? » « Parce que tout est chez moi. » « Où est
votre chambre ? » « C’est mon cœur. » Pouvez-vous dire qu’il est
encore ici ? « Il est ici, et là bas également. »
C’est ainsi qu’on en arrive à cette proposition que Dieu est
simultanément le plus grand parmi les plus grands et le plus petit
parmi les plus petits. Dieu est une chambre, mais même moi je
ne peux voir ses murs ! Une telle chambre vous ferait peur, car
l’univers y est contenu, avec les lions, les tigres, les psychopathes,
les prisons, tout !
Pourquoi voulez-vous bâtir une maison avec des pièces de
neuf mètres sur quatre ? Pour exclure ce que vous n’y voulez pas,
ce dont vous avez peur. Quand serez-vous capable de dilater ces
murs pour les rendre infinis ? Lorsque vous n’aurez plus aucune
peur. C’est donc l’état sans peur qui est nécessaire.
Ce sont les peurs qui nous freinent. Vous souhaitez de
l’avancement dans votre travail et vous l’obtenez. Pendant
quelques jours vous aurez peur, puis vous maîtriserez le niveau
de votre promotion et vous vous direz qu’il était stupide d’avoir
eu peur. Puis le désir et l’ambition de franchir la prochaine étape
vous contracteront à nouveau. La capacité de faire ce saut est là,
mais la capacité de rester ici doit être également là. Grimper n’est
pas difficile, mais se maintenir à un niveau est difficile et alors on
recommence à se contracter !
Dans le Ramayana, quelqu’un demande au Seigneur Rama : « Quel
est le plus grand cadeau dont vous puissiez faire don ? » Rama
répond  : «  L’état sans peur.  » Il n’y a rien de mieux à donner.
Ne pas avoir peur des Dieux, c’est bien ; mais ne pas craindre le
Soi est encore mieux, car ce n’est pas tant de Dieu ou du démon
que nous avons réellement peur, que de nous-mêmes. Si Dieu est
Retour →sommaire des mots et merveilles 197

en moi, le démon l’est également et lorsqu’on a peur, on a peur


des deux. Si nous pratiquons un acte de générosité et que l’on
ne veuille pas trop donner, c’est qu’on a peur de Dieu en nous.
Dans l’acte de donner, on se contracte : « Je n’ai pas besoin de
tant donner, je vais en garder un peu pour moi ! » Dans le geste
du don, il y toujours un élément de contraction. Si je ne veux
pas faire face à telle ou telle situation, rencontrer des gens, aller
à certains endroits, c’est que j’ai peur de moi-même, j’ai peur
du démon en moi. C’est la preuve que les deux sont en moi, et
si j’ai à exorciser ce compartiment intérieur que j’appelle mon
cœur, Dieu et le diable doivent s’en aller ! En conséquence, les
religions, les superstitions, les idolâtries, tout doit s’en aller. Que
trouvez-vous alors ? Ni Dieu ni diable, mais ce qui est au-delà de
la polarité du bien et du mal : l’Ultime.
Plus de questions, s’il vous plaît, j’ai dépassé mon temps d’une
heure et cinq minutes ! Bonne nuit !

Lundi 27 juin 1988

Rencontre avec les enfants


A leur demande, le Maître a rencontré les enfants. Il nous
relate ensuite leur entretien, avec humour et tendresse.
P. R. : Ils m’ont demandé : « Pourrons-nous méditer ? » « Oui,
si vous êtes de bons enfants. » « Et si nous sommes des enfants
de précepteurs ? » – la plupart en était – « Vous devez également
être bons, il ne suffit pas d’être enfants de précepteurs ! Disons
que vous pourrez commencer à l’âge de seize ans. » « Seize ans !
Même si nous sommes de très bons enfants ? » (Rires.) Je leur
ai dit  : «  Oui  ; si vous êtes de très bons enfants de très bons
précepteurs, alors on pourra reconsidérer la question ! » Ils ont
été contents et à présent ils essaient de venir ici, en catimini !
Ils voulaient savoir à quel point j’aimais le Danemark.
Retour →sommaire des mots et merveilles 198

«  Beaucoup  !  », leur ai-je dit. «  Alors pourquoi ne venez-vous


pas au Danemark, nous avons de la place dans le bus  ! Tout
de suite ! » Puis : « Vous étudiez le français, quand allez-vous
apprendre le danois ? » « Tout de suite après le français ! » Et
ils ont commencé à m’apprendre à compter. Ensuite ils m’ont
demandé comment méditer, sur quoi l’on méditait, ce qu’était
le prasad, son effet, comment et par qui il doit être offert. Puis,
ils m’ont interrogé sur Lalaji et Babuji, sur ce qui se passait
durant la méditation d’offrande du prasad. Je leur ai dit : « La
grâce vient du Maître. » Et ils sont tous partis en éclats de rire.
« Pourquoi riez-vous ? » « Non, tout vient de Chari, le Maître ! »
Je leur ai dit : « Non, non, cela vient du Maître. » Et ils se sont
regardés les uns les autres en riant d’un air entendu. Ils m’ont dit
ensuite : « On aimerait passer plus de temps avec vous. » « Vous
pouvez venir quand vous voulez, il n’y a aucune restriction pour
les enfants. » Vous savez ce qu’a dit le Christ : “ ! Soyez comme
des petits enfants et vous entrerez au royaume.  » Les enfants
sont des enfants, mais lorsque nous pouvons être comme des
enfants, il n’y a pas non plus de restriction pour nous. C’est très
difficile !
Ensuite ils m’ont demandé  : «  Est-ce que l’on vous gêne  ?  »
«  Pourquoi  ?  » «  Des gens se sont plaints que nous faisions du
bruit. » Je leur ai assuré que non, bien qu’ils puissent déranger
parfois pendant les méditations, s’ils rient et parlent trop fort.
«  Pourquoi cela vous dérange-t-il  ?  » «  Supposez que je fasse
beaucoup de bruit pendant que vous étudiez, ne serez-vous pas
dérangés ? » « Ja, ja. » (Rires.) « Eh bien ! lorsque vous faites
du bruit, vous dérangez. » Une fille a demandé : « Est-ce que c’est
bien que les parents viennent ici et nous laissent à la maison ? »
« Non, vous devez venir, voir ce qui se passe, apprendre à bien
vous conduire tandis que nous méditons. Nous, nous devons
apprendre à bien nous conduire quand vous jouez ; nous avons à
Retour →sommaire des mots et merveilles 199

apprendre les uns des autres. » Ils étaient très contents. Demain
ils veulent voir le lever de soleil, je les emmènerai et je serai peut-
être un peu en retard pour la méditation.
A. : Les enfants s’intéressent ...
P. R. : Les enfants et ceux qui sont des enfants par le cœur ! Ils
ont pris beaucoup d’intérêt à leurs questions. La seule question
qu’ils ne m’aient pas posée aujourd’hui c’est comment devenir un
précepteur. Demain, ils vont sûrement y penser !
L’an dernier, au Canada, nous étions chez Christine. En
ouvrant la porte, on vit la petite fille de Christine, âgée de cinq
ans, face à un petit bonhomme de trois ans.Elle lui disait : « Je
suis Parthasarathi. » Et le petit lui répondait : « C’est toujours toi
qui veux être Parthasarathi, cette fois c’est moi ! » (Rires.) Il y a
donc de l’espoir !
A. : Il y a une autre question qu’ils ont posée : « Avez-vous déjà
choisi le nouveau Maître – le successeur – ? »
P. R. : Je ne l’ai pas entendue, elle a dû être formulée en Danois !
On parlait en trois langues à la fois, le fils de Victoria parlait moitié
norvégien, moitié français, son français était traduit en anglais et
l’anglais en danois. Toutes ces langues simultanément !

Lundi 27 juin 1988 (soir)

La juste place
A. : Vous dites que l’amour appartient principalement au domaine
humain et qu’il n’existe pas vraiment dans le règne animal. J’ai
pourtant vu dans un film récent à la télévision, un animal, un
hippopotame intervenir pour sauver une gazelle de la mâchoire
d’un crocodile. Il a chassé le crocodile, traîné la gazelle sur la
berge et l’a léchée d’une manière telle qu’on aurait pu y voir une
sorte d’amour. Qu’en pensez-vous ?
P. R. : Il y a beaucoup d’histoires de cette sorte. En Inde, nous
Retour →sommaire des mots et merveilles 200

savons qu’il y a des enfants qui ont été adoptés par des loups,
et même récemment il y a une vingtaine d’années, un enfant de
dix ans est sorti de la jungle. Il ne pouvait qu’hurler comme les
loups et on a fait la relation avec un bébé d’un autre village qui
avait disparu. Kipling a écrit cette histoire célèbre, “Le livre de
la jungle”. Mais si un loup peut aimer, peut-on en déduire que
tous les loups sont aimants  ? Il est possible, chez les animaux
supérieurement développés, que quelque chose y ressemble, mais
dans le règne humain, l’amour est sensé être une caractéristique
de ce règne. Si un dauphin aide un marin à regagner le rivage, cela
ne signifie pas que tous les dauphins aiment les humains. Cela ne
prouve rien du tout ; a-t-on vu des mariages entre dauphins et
humains ? Cela peut prouver seulement la possibilité d’une telle
chose lorsqu’un animal se développe de façon supérieure. Mais je
n’accepte pas ces comportements comme des preuves de l’amour
dans le règne animal.
A. : N’est-ce pas peut-être aussi une preuve d’évolution ...
P. R.  : Lorsque je dis que l’amour est une caractéristique de
l’être humain, je n’ai pas dit que cela n’avait rien avoir avec
l’évolution  ; vous comprenez de travers. C’est comme un être
humain hautement évolué, il a quelque chose de la Divinité, mais
vous ne pouvez pas dire que tout être humain est divin !
Même si vous mettez deux métaux ensemble, à la surface de
leur interaction des atomes migrent de l’un vers l’autre. Allez-
vous dire que l’or aime le fer  ? C’est un phénomène purement
physique. En science, on sait bien qu’il y a un passage de molécules
gazeuses au travers d’une membrane ; c’est l’osmose. Lorsqu’on
stimule une corde, il y a un phénomène de résonance. Pouvez-
vous dire que cette ampoule aime cette lampe et donc qu’elles
vibrent à l’unisson ?
A. : Est-ce que les animaux peuvent éprouver de l’attachement,
de la douleur, des sensations, et si oui, comment peuvent-ils ne
Retour →sommaire des mots et merveilles 201

pas éprouver de l’amour ?


P. R. : Même les organismes microscopiques réagissent à des
chocs électriques ; les amibes, par exemple. Mais je serais étonné
que les amibes tombent amoureux de nous !
A. : Lorsqu’il y a des samskaras, est-ce que dans tous les cas
la mémoire reste ou est ce qu’elle s’en va avec le samskara ? Est-
ce que l’impression et la mémoire de cette impression s’en vont
ensemble ?
P. R. : Une mémoire n’est pas un samskara. Ce sont deux choses
différentes. Vous pouvez avoir de la mémoire sans samskaras
et de la mémoire venant des samskaras. Les samskaras sont
enlevés, mais la mémoire peut persister. Sinon, un saint ne
devrait plus savoir qui est son père et sa mère par exemple, il
devrait tout oublier ! Mais il n’y a pas d’amnésie.
A.  : Ici, beaucoup de femmes travaillent à la cuisine, peu
d’hommes le font. Savez-vous s’il est possible de changer
spirituellement sans pour ainsi dire faire de pratique ?
P. R. : Oui, car il y a une limite bien déterminée quand vous
parlez de “changement pour ainsi dire sans pratique”. Je ne pense
pas que la cuisine soit le summum bonum pour le développement
spirituel. On peut aider ailleurs, à la nursery, dans la forêt. Ce que
vous attendez, c’est un changement d’ordre général, mais vous
devez rechercher le changement individuel, en chaque individu.
Et je ne m’aventurerai pas à dire que les femmes se développent
davantage spirituellement parce qu’elles font la cuisine. Ce serait
une affirmation hasardeuse !
Vous ne devriez pas juger les progrès spirituels au travers de la
pratique spirituelle. L’attitude peut changer ; un homme devient
plus coopérant, mais de quelle façon coopère-t-il ? Vous pouvez
également mettre un peu d’argent dans la boite des donations,
c’est aussi une aide. Un précepteur donne des sittings et aide
les autres. La loi du service dit : « Essayez d’aider au plus haut
Retour →sommaire des mots et merveilles 202

niveau de vos possibilités.  » Ceux qui ne peuvent qu’aider à la


cuisine sont les bienvenus à la cuisine. Ceux qui peuvent aider à
un niveau supérieur n’ont pas nécessairement besoin d’y aller.
Je veux dire, un homme qui est médecin et soigne les gens, peut,
bien entendu, aussi aller en cuisine  ! Mais c’est une loi, il faut
aider au plus haut niveau possible. Si vous pouvez enseigner,
vous devez enseigner. Il n’y aucun mérite particulier à aller tailler
des arbres. Celui qui ne peut pas enseigner est encouragé à le
faire, mais si vous enseignez vous offrez un service plus élevé,
n’est-ce pas ? Vous élevez un être humain à un niveau supérieur.
Sinon tous les gurus seraient en train de cuisiner et de faire la
vaisselle ! (Rires.) Ils peuvent le faire pour s’amuser, de temps à
autre, mais ce n’est pas le travail qu’on attend d’eux. On doit faire
le travail pour lequel on est le plus apte, chacun à son niveau.
A. : J’ai toujours pensé qu’on devrait faire le travail qui nous
rend le plus possible humain.
P. R. : Voulez-vous dire que le développement spirituel ne vous
rend pas plus humaine ? Attendez et vous verrez ! (Rires.)
A. : (Inaudible.)
P. R. : Nous ne devrions pas nous préoccuper de ces choses.
C’était simplement pour élargir votre façon de voir le monde. Par
exemple, aujourd’hui j’ai distribué des glaces aux enfants, cela
n’a pas de valeur spirituelle !
A. : (Inaudible.)
P. R. : En philosophie orientale, on ne fait pas de distinction
entre l’ombre et la lumière. Ce sont deux facettes, lorsqu’une
existe, l’autre doit exister également. La voie de la transcendance
consiste à dépasser les deux aspects.
L’attitude doit changer ; mais de quelle manière devrions-nous
évaluer une attitude ? Par exemple, nous ne devrions pas nous
en tenir aux stéréotypes, penser qu’une personne aide davantage
qu’une autre. Je peux avoir l’air d’aider sans aider personne ; ou
Retour →sommaire des mots et merveilles 203

bien je peux aider de telle sorte que les autres ne le perçoivent


pas. Dans la tradition chrétienne, vous avez cette phrase : « Que
votre main droite ignore ce que fait la main gauche. » Les gens qui
aident réellement ne veulent pas que cela se sache. Si vous avez
une attitude d’aide associée à l’humilité, vous ne savez jamais qui
fait quoi. C’est pourquoi le jugement est trop superficiel.
A.  : Pour en revenir à la question précédente, quelle est la
modification dans la conscience de l’homme qui lui permet de
connaître l’amour par rapport aux animaux
P. R. : “Selflessness”, ce n’est pas exactement l’altruisme, mais
plutôt l’oubli de soi. C’est ce qui empêche “selfishness”, le sens
de l’ego. Les grands saints apprennent, comme dans le Sahaj
Marg par exemple, à s’oublier. On vous recommande de vous
oublier et non pas de vous souvenir de vous. Lorsque vous vous
rappelez de vous-même, vous vous concentrez sur votre soi, sur
son bien-être, en évitant de l’exposer aux dangers. Mais quand
vous vous oubliez vous-même vous pouvez agir bravement, sans
égoïsme et tout devient possible.
Dimanche 10 juillet au dimanche 17 juillet 1988
Semaine des précepteurs
Babuji Maharaj désignait les précepteurs comme les artères
de la Mission et le Maître leur consacre une semaine, au cœur du
séminaire des Courmettes. C’est là un rassemblement important
des précepteurs venus de tous les pays du monde. Le premier
jour, le 10 juillet, après le satsangh, le Maître prononce un
discours initial dont je garde un souvenir très particulier : dès
les premiers mots, j’ai la sensation étrange que ses paroles sont
si délicates et si légères qu’elles ne pourront pas s’imprimer sur
le ruban magnétique !
A ce discours du lundi suucèdent deux autres discours le
mardi et le mercredi suivants. Des exercices pratiques de
lecture de condition spirituelle côtoient la théorie et le Maître
Retour →sommaire des mots et merveilles 204

semble satisfait de l’ensemble. Dès le jeudi soir, c’est à dire dès


le quatrième jour, il déclare : « Le séminaire est terminé, nous
avons reçu le travail de deux ans ! »
Ce séminaire a également permis au Maître de mieux cerner
le fonctionnement du mental européen, grâce aux questions
posées et aux incompréhensions qu’elles révèlent.
A. : Babuji m’a dit un jour : « J’ai donné un tout petit peu, mais
cela durera longtemps. »
P. R. : Oui. C’est la semence.
A. : Et sommes-nous capables de ... je veux dire de la recevoir
dans toute sa mesure ?
P. R.  : Oui. C’est comme un gaz dans un cylindre qu’on
comprime et qu’on conserve. Vous savez, trois mille mètres cube
de gaz comprimé sous pression dans un cylindre, que vous pouvez
libérer comme vous voulez. Rien de surprenant. Toute la difficulté
réside dans la tendance du mental occidental à compartimenter.
Ce qu’il peut faire dans un certain domaine, il ne veut pas essayer
de le faire dans un autre. Par exemple, celui de la condition. Si
une voiture roule devant vous et que l’échappement de gaz est
coloré, vous dites que le moteur n’est pas bien réglé, à cause des
bougies ou du carburateur ... vous êtes immédiatement en mesure
de faire le diagnostic, n’est-ce-pas ? C’est cela la condition. Or,
qu’il s’agisse d’un moteur de 50 cm3 ou de 500 cm3 là n‘est pas
la question. C’est la puissance du moteur. Où se trouve-t-il ? Le
moteur peut être à l’arrière ou à l’avant, c’est sans importance.
Pourquoi n’utilisez-vous pas cette connaissance dans le domaine
de la spiritualité? Dans ce domaine vous mélangez condition,
position, aura. Et je ne sais quoi d’autre encore. C’est parce
que – je l’ai découvert pendant ce séminaire – vous avez tous
confondu condition et niveau d’avancement (approach) ; lorsque
la condition est bonne, vous pensez que le niveau d’avancement
est élevé. Ils sont sans rapport entre eux.
Retour →sommaire des mots et merveilles 205

A. : Pour avoir vécu pendant quelques années dans des pays
différents, j’ai acquis l’expérience d’un usage différent de ces
mots.
P. R.  : Non, non. Dans le Sahaj Marg, nous n’avons qu’une
seule série de mots. La condition est toujours la condition. Ainsi,
un malade peut mourir alors que sa condition semble bonne
subjectivement. Un autre malade peut éprouver de grandes
souffrances, alors que sa maladie est relativement bénigne. Vous
pouvez être un malade psychosomatique et éprouver des douleurs
qui n’existent pas ; la condition est là. Mais l’état intérieur diffère
dans chaque cas.
A. : C’est notre façon linéaire de penser qui nous fait ...
P. R. : Oui, c’est juste.
A. : Est-ce le sentiment de cette unité de ...
P. R. : Maintenant ? Vous l’éprouvez tous. Oui.
A. : Oui ?
P. R. : Oui. Si vous portez votre attention vers l’intérieur, vous
sentirez.
A. : C’est une réflexion de ...
P. R. : Vous n’y pouvez rien, vous savez. Vous avez tous reçu la
même nourriture, et vous êtes tous heureux, un peu somnolents,
les yeux clos. A l’exception d’un homme nommé X. qui allume
un cigare et pollue instantanément l’atmosphère. (Il rit.) (Rires.)
Vous voyez  ? Nous partageons cette condition à ce moment
précis. Je veux dire que vous n’y pouvez rien. Et cela nous amène
à comprendre qu’en fait vous ne partagez pas. Vous comprenez,
le partage implique que j’ai quelque chose que je puisse diviser
en parts pour chacun. «  Partagez ce pain entre vous.  » Alors
nous le coupons et le répartissons. Mais lorsque vous partagez
une condition, c’est une condition commune à tous. Il n’y a pas
à donner ni à prendre. Ainsi, le mot partage est utilisé avec un
sens différent. « Nous partageons un appartement. » Allez-vous
Retour →sommaire des mots et merveilles 206

le couper en tranches  ? Nous devons donc comprendre que ce


partage est rendu possible parce que le Maître donne la même
condition à tous. Mais le partage direct des richesses matérielles
consiste à fractionner et répartir. Les richesses matérielles sont
toujours divisées en parts que l’on distribue, et ainsi, plus vous
partagez, plus les parts sont réduites. Ici celui qui donne, donne
la condition à n’importe quel niveau, nous n’avons pas à perdre,
nous sommes toujours bénéficiaires. Dans notre cas, le partage
nous fait bénéficier d’un plus. Dans l’autre cas, dans le monde
matériel en partageant, nous sommes perdants. Si vous parlez
de partage, dans le domaine de la spiritualité, et que vous le
mettez sur le même plan que le domaine matériel, vous aurez
peur. « Oh ! comment puis-je partager mon bonheur ? Ne vais-je
pas perdre quelque chose ? » Ici, par le partage, nous ne pouvons
que gagner. Vous sentez les différences fascinantes qui existent ?
Et nous ne pouvons comprendre vraiment que par l’expérience.
A.  : En Europe, il existe aussi une confusion au sujet de
l’expérience, c’est pourquoi nous ignorons comment utiliser ces
mots.
P. R. : Non, non, non.
A. : Lorsque nous parlons de cerveau, d’âme ou d’esprit, nous
ne faisons pas de différence.
P. R.  : Non, mais cela est sans importance. Mais au moins
lorsqu’il est question de la condition vous devriez savoir.
Du point de vue de la sémantique, il existe beaucoup de
différences  ; nous ne devons pas nous en préoccuper. Mais il
y a quelque chose dont nous faisons tous l’expérience, tous. Et
nous ne le comprenons pas parce que nous n’appliquons pas un
ensemble de lois dans une structure donnée, à la même chose,
dans une structure différente. Toutes les lois universelles sont
universelles, car elles s’appliquent aussi à tout, que ce soit dans le
domaine spirituel ou dans le domaine matériel ou ailleurs. Elles
Retour →sommaire des mots et merveilles 207

le doivent, sinon ce ne seraient pas des lois universelles.


Vous savez, il existe une différence dans la façon d’appréhender
la connaissance. En Orient, nous apprenons en apprenant
une seule chose. L’esprit occidental, lui, veut apprendre par
comparaison et c’est pourquoi vous apprenez toujours davantage.
« Bouddha a dit ceci... » « Non, non, mais Moon a dit ceci et le
Dalaï-Lama, ceci ...  ” Pourquoi se soucier du Dalaï-Lama et de
Moon ? Tenez-vous en à ce que vous devez apprendre. Lorsque
vous faites des études de chimie, dites-vous : « Oh! la physique dit
ceci et la géologie cela? » Vous ne le faites pas n’est-ce pas? Vous
étudiez la chimie, ou alors le professeur vous tire les oreilles.
Donc, là aussi nous ne devons étudier qu’une seule matière.
Lorsque vous la connaissez bien, si c’est nécessaire pour vos
progrès, il vous faudra étudier d’autres matières. Mais ce
n’est jamais indispensable. Si je monte dans un ascenseur,
par exemple, je n’ai pas besoin de savoir comment fonctionne
l’ascenseur voisin. Je ne me soucie que de savoir si cet ascenseur
est à même de me mener au dernier étage du bâtiment. Babuji a
dit, je pense, au sujet de Dieu, de la connaissance de Dieu : « Il
ne peut être connu par comparaison, parce que personne ne peut
Lui être comparé. » A qui voulez-vous Le comparer, pour dire :
«  Dieu est comme ceci.  » Donc la comparaison n’est d’aucune
utilité ; la connaissance est absolue. Apprenez ce que vous
devez apprendre. Ne faites aucune comparaison dans un autre
domaine ou avec un autre système.
A.  : Je croyais que l‘un des privilèges de l’être humain était
sa capacité à apprendre par la pensée abstraite, par l’expérience,
par comparaison, plutôt que seulement grâce à l’expérience.
P. R. : C’est une formulation occidentale de la connaissance.
C’est ce que j’avais commencé à vous dire. C’est comme votre
logique, qui va du particulier au général et du général au
particulier. En Orient, nous croyons que la logique est la loi qui
Retour →sommaire des mots et merveilles 208

gouverne l’existence de quelque chose. Elle n’a pas besoin de


comparaison, de contraste, ni d’aller du particulier au général ou
du général au particulier.
A. : Dans vos discours on peut découvrir également que vous
appliquez le principe de la pensée que vous voulez évoquer puis
vous mettez en lumière un autre aspect de cette même pensée,
selon un processus circulaire. Et nous nous trouvons déconcertés
oubliant souvent ce principe, car nous allons de A à B et à C,
beaucoup plus rationnellement.
P. R. : Oui, mais vous devez vous souvenir de ce qu’affirmait
Babuji  : il peut y avoir des causes sans effets et des effets sans
causes.
A. : Oui. Et c’est pourquoi, ce que vous venez de nous expliquer
est beaucoup plus ...
P. R. : Simple. Oui. Je vous dis ... Vous savez, toute parole je la
ramène à l’origine. Il n’y a rien là d’extraordinaire. Asimov a écrit
une série de livres intitulés “Fondation”, “Fondation et Empire”,
“Seconde Fondation”. Puis il a écrit “Terre et Fondation”  ;
ensuite “A la veille de la Fondation”.Son dernier livre “Prélude
à la Fondation” nous ramène avant le départ de la Fondation et
le cercle est fermé. S’il le fait, c’est bien, c’est un Occidental, un
vendeur de livres multimillionnaire. Chaque livre a été vendu à
trois millions d’exemplaires. C’est son droit. Mais si un Oriental
déclare ... “  Oui, mais ... aber, ce ne peut pas être comme ceci.
12
  » Pourquoi pas  ? Je n’ai jamais vu quiconque élever une
protestation au sujet du “Prélude à la Fondation” d’Asimov.
Comment le commencement peut-il venir à la fin ?
A.  : Je pense que le processus oriental de pensée est plus

12 NDT : En allemand : “ Gibt es nicht so.”


Retour →sommaire des mots et merveilles 209

philosophique ou bien un processus essentiel de pensée, alors


que le processus occidental est davantage un produit dirigé ...
(Inaudible.)
P. R.  : Non, non, non ce n’est pas comme cela. Pour l’esprit
occidental, ce que fait l’esprit occidental est bien. Par exemple,
si vous étudiez tous les systèmes philosophiques, les livres de
philosophie écrits en Occident – la religion comparée –. Vous
ne vous occupez pas du tout de l’Orient.Seul, Max Mueller a
révélé quelques enseignements védiques. Puis il y a eu quelques
concessions au bouddhisme parce qu’il convient à votre idée du
nihilisme. Vous acceptez ce qui correspond à votre tempérament
et non parce que c’est bon. C’est là une approche sélective, même
de la connaissance  : je veux apprendre uniquement ce qui me
convient. Mais la connaissance est absolue. Il faut apprendre
ce qui est bien et non ce qui vous convient, à vous. Pensez à un
homme en colère qui dirait : « Je veux chercher ce qui favorise la
colère en moi. »
C’est comme cette façon de voir du catholicisme  : à moins
d’être capables d’expliquer les textes, nous passons à côté de la
vérité. La vérité ne peut être ce que vous dites ou ce que je dis
être la vérité. La vérité est la vérité, que nous l’acceptions ou pas,
que nous disions que c’est la vérité ou non. Elle est immuable,
absolue, intraduisible en dépit de toute description que vous
pouvez en donner. Mais, quand vous la dépeignez dans vos
livres vous citez toujours Schopenhauer, Kant et tous les autres.
Pourquoi ? Pourquoi n’est-il pas fait mention de personnes telles
que Yagnyavalkya, par exemple  ? Avez-vous jamais entendu
prononcer son nom en Occident ? C’était probablement le plus
grand dialecticien qui ait jamais existé.
A. : Répétez-nous son nom ?
P. R. : Yagnyavalkya. Ou bien encore Nachiketas dont je vous
ai raconté l’histoire. Qui donc le connaît en Occident  ? Vous
Retour →sommaire des mots et merveilles 210

voyez, vous vous enfermez tous dans une prison intellectuelle


simplement du fait de votre réussite sur le plan matériel de
l’existence. Et votre succès se manifeste dans votre niveau de vie,
dans votre morgue, votre fierté, dans votre façon de vous habiller,
dans vos produits de beauté et dans votre talent à aider les pays
sous-développés en leur distribuant les profits que vous avez mal
acquis – toutes ces richesses exploitées –. Alors vous pensez que
votre philosophie est supérieure, que votre connaissance de Dieu
l’est aussi, que votre Dieu est le plus grand. Où est la véritable
approche de la connaissance  ? C’est pourquoi nous sommes
ficelés, bloqués.
A.  : Mais nous sommes récompensés si nous pensons à
l’européenne et punis si nous pensons ...
P. R. : Non, non, ce n’est pas une punition. C’est nous qui nous
châtions nous-mêmes.
A. : Oui, oui. (Inaudible.) ... l’école et partout ...
P. R. : Après votre sortie de l’école vous pouvez vous développer.
Vous savez, à l’école j’étais aussi bête que vous. Non que je ne le
sois pas encore, mais j’ai du moins l’esprit ouvert  ! J’ai eu des
difficultés à accepter beaucoup de choses de la part de mon Maître,
précisément parce que je me suis exposé au monde occidental. (Il
rit.)
A. : Exposé ?
P. R. : Oui, brûlé par le soleil ! Mais vous avez le potentiel, tant de
potentialité ; vous avez la capacité, vous avez la facilité, l’aptitude,
et plus encore vous avez les ressources. Vous gaspillez d’énormes
sommes d’argent pour l’éducation, pour l’éducation dans le mauvais
sens. Si vous pouviez la tourner dans la bonne direction ... Tout ce
que vous avez à faire est d’ouvrir les portes de l’esprit. Non ?
A. : Dans l’Himalaya, de jeunes abhyasis nous ont dit : « Ici
il y a des gens qui pensent que tout ce qui existe en Occident est
meilleur. »
Retour →sommaire des mots et merveilles 211

P. R. : Oui.
A.  : La difficulté c’est, qu’en Occident tout est établi en se
référant à la philosophie grecque. C’était la chose importante.
P. R.  : Oui, oui. Je vous en ai parlé au cours de ces trois
dernières années. Vous pouvez lire dans un discours que le fléau
de la civilisation européenne provient de son origine grecque. Les
Grecs vous ont corrompus il y a des milliers d’années, et vous ne
vous êtes pas encore dégagés de cette influence. La conscience
du corps, la plastique corporelle sont deux conceptions très
préjudiciables à votre moralité, à vos philosophies et qui vous
viennent de la Grèce.
A. : Babuji disait aussi cela à propos des Grecs. Ce n’est même
pas que ce qui est grec se révèle bon ou mauvais, mais on en parle
toujours comme s’il s’agissait de la source.
P. R.  : C’est la panacée vous voyez, pas seulement le
commencement et la fin.
A. : Que pensez-vous de Socrate ?
P. R. : C’était aussi un Grec.
A. : (Inaudible.)
P. R. : Non, non. Le problème n’est pas de croire ceci ou cela,
mais de constater les effets produits sur vous. Le vin c’est bon,
mais son effet sur vous est l’ivresse. N’est-ce pas ? Donc ne buvez
pas de vin. Qu’y a-t-il de mauvais dans le vin  ? Il a une jolie
couleur, un beau rouge, rouge sombre ou rosé, quelle qu‘en soit
la teinte, conservez-le dans la bouteille et admirez le. (Rires.)
C’est la même chose avec la connaissance, toute connaissance
qui vous mène à la corruption, n’est pas bonne – par exemple la
connaissance de la criminalité, comment percer un coffre-fort –.
C’est une connaissance qui a sa technologie propre, sa précision.
Interrogez un perceur de coffre, il vous dira la beauté de son
“art”. Certains d’entre eux sont des génies dans leur travail. Vous
savez, même la police parfois, lorsqu’elle est incapable de faire
Retour →sommaire des mots et merveilles 212

fonctionner ses serrures à chiffre, pour la simple raison que le


chiffre n’est pas disposé comme il faudrait, la police va chercher
un de ces gangsters du métro londonien et lui dit : « Un mot de ceci
et demain vous êtes mort. » Et il répond : « Oui, quand vous avez
besoin de moi, vous faites appel à moi et sinon vous me mettez
en prison. » Et ils le font. Couramment. Donc cette connaissance
se révèle nécessaire, mais si vous en faites un mauvais usage ...
A l’aéroport d’Orly nous attendions notre avion, près d’un bar
brillant de mille feux avec un comptoir en bel acier inoxydable,
des chromes, du verre et Babuji a dit : « Qu’y a-t-il dans toutes
ces bouteilles ? » « Des boissons alcoolisées. », lui ai-je répondu.
« Du vin ? », questionna-t-il. Parce qu’il ne connaissait que le vin.
Pour lui, vin voulait dire alcool. « Oui ! » répondis-je. Alors il dit :
« Regardez, je vous dis que nous devons nous comporter comme
cette bouteille. Elle contient tout le vin, mais elle n’est pas ivre. »
Ainsi, nous devons avoir le monde en nous mais nous ne
devons pas nous laisser griser par lui. Nous devons acquérir la
connaissance mais elle ne doit pas nous tourner la tête  : c‘est
un enivrement par une connaissance, et cette connaissance
n’est pas productive. Prenez la philosophie occidentale, à mon
sens c’est une stupidité de l’appeler philosophie. La philosophie
doit être une manière de vivre, pas seulement quelque chose
d’abstrait. Nous avons toutes ces différences essentielles dans
notre conception. Alors qu’arrive-t-il  ? Cela affecte sans aucun
doute votre pratique, parce que vous pensez en Occidental, vous
pratiquez le yoga et chaque fois que je dis quelque chose il y a
cette situation, non pas d‘incompréhension, mais d’inaptitude à
comprendre, parce que vous persévérez à penser ...
Supposez que je fasse fonctionner un appareil, il faut suivre le mode
d’emploi. Comment fonctionne-t-il  ? Quelles sont ses différentes
pièces ? « Non, non, non, mais je me souviens d’avoir fait marcher
quelque chose en Pologne. » « Qu’avez-vous fait marcher ? » « Un
Retour →sommaire des mots et merveilles 213

tracteur.  » «  Mais cet appareil n’est pas un tracteur, c’est une


machine-outil.  » Le fait que c’est une machine n’implique pas
qu’elle soit semblable à une autre machine. Ce sont toutes des
machines. Vous savez cela ressemble au système de la théorie
des ... – comment l’appelez-vous en mathématiques  ? – les
ensembles, la théorie des ensembles. Donc vous devez être très
spécifique.
L’esprit humain doit développer deux aptitudes – en premier
lieu découvrir les similitudes –. Qu’y a-t-il de semblable dans
toutes les choses ? Et ce qui est dissemblable, ce que nous devons
éviter. Autrement, cela ressemble à l’attitude du monsieur qui
va dans un parking et dit : « Ma voiture était verte.”Mais toutes
les voitures sont vertes, alors il ne sait pas quelle voiture est la
sienne.
A. : Il y a tant de choses à désapprendre.
P. R. : Oui, tant de choses à désapprendre. C’est cela précisément.
C’est pourquoi Babuji disait de la spiritualité : ce n’est pas devenir,
mais “dé devenir”, défaire, enlever la grossièreté, les voiles qui
nous entourent, se dépouiller dans cette condition spirituelle.
A. : C’est tout à fait ce dont j’ai fait l’expérience cette semaine,
en dehors de toute expérience personnelle. Je pense que cela
a été un bon départ pour l’établissement d’une connaissance
commune. Un apprentissage commun.
P. R. : Oui, c’est ce que je vous dis. Vous savez, cette semaine a été
... pour moi, d’une importance primordiale. J’ignore comment
vous le sentez tous. En ce qui me concerne, j’ai l’esprit ouvert,
j’observe, j’écoute les critiques, et je sais ce qui se passe dans
votre esprit. Je suis capable de vous connaître tous mieux que
je ne vous connaissais auparavant. Vos compréhensions et
vos incompréhensions, vos préjugés, toutes ces choses se sont
révélées pendant cette semaine. Et c’est bien. Cela va nous aider
à ne conserver que ce qui est nécessaire et à nous défaire de ce
Retour →sommaire des mots et merveilles 214

qui ne l’est pas. Ainsi, plus que personne d’autre cela m’a aidé
et j’espère être capable de mieux vous aider, pour cette raison
même. Je ne voulais pas vous le dire, mais ... (Rires.)
A. : Vous avez “laissé le chat sortir du sac”.
P. R. : Pas exactement. J’ai encore plus d’un “chat” dans mon
sac, dont vous ignorez tout ! Ou peut-être seulement des petits
chatons !
C’est la base même de l’éducation, le professeur apprend en
même temps qu’il enseigne. Les étudiants s’instruisent pendant
qu’on leur enseigne, autrement il n’y aurait pas de progrès. Nos
écoles, particulièrement en Inde, regorgent d’enseignants qui
n’apprennent plus dès qu’ils sont devenus professeurs. Alors ils
enseignent encore et toujours la même chose, classe après classe
et les sujets traités ont vingt ans de retard. Le pauvre étudiant
quitte l’école avec vingt ans de retard sur l’état actuel de la
connaissance. Que faire ?
A. : Dans tout véritable enseignement chacun doit apprendre,
je suppose.
P. R. : Non, non, il ne s’agit pas d’enseignement véritable ou
non, il s’agit de l’enseignement en soi. Certains d’entre vous se
rappelleront mes propos de l’an dernier sur l’adoration des enfants
pour leurs parents. Vous savez, les parents sont des espèces de
dieux. Mais lorsque l’enfant atteint l’âge de onze, douze ou treize
ans, c’est la chute du dieu. Pourquoi  ? Précisément parce que
l’enfant s’est élevé jusqu’à votre propre niveau de compréhension
ou d’instruction.
(Rupture dans l’enregistrement.)
Nous devrions abandonner toutes les structures conceptuelles.
C’est cela, la liberté. Tout comme la liberté physique nécessite
la démolition de toutes les barrières, la liberté de pensée exige
que nous détruisions toutes nos limitations conceptuelles  ;
séparations dues aux appellations, aux nationalités, aux systèmes
Retour →sommaire des mots et merveilles 215

... Tout doit être abandonné. Alors nous connaîtrons cet état de
liberté dans lequel, de façon intuitive, nous pourrons juger ou
percevoir la vérité même, plutôt que de l’apprécier par réflexion
et intellectualisation. On appelle cela la perception directe. Et
pour l’obtenir il faut avoir l’esprit ouvert, faute de quoi vous
direz : « Oh ! cela ne peut pas être vrai. »
(Rupture dans l’enregistrement.)
La difficulté réside dans notre sentiment de sécurité à l’intérieur
d’une structure. Je vous parlais ce matin d’un prisonnier condamné
à perpétuité. Supposons qu’il soit libéré. Il a perdu tous contacts,
il n’a plus de relations, plus rien, il préfère alors retourner en
prison. Il s’y sent en sécurité. Au moins il a un endroit où dormir.
Lorsque vous avez été privé de liberté pendant un temps trop long,
il arrive un moment où celle-ci devient effrayante, redoutable et
inacceptable. C’est ainsi que nous sommes devenus, que nous
avons, en quelque sorte, enfermé notre esprit dans un si grand
nombre de cadres, de structures figées dans notre existence, dans
nos conceptions, et que nous sommes effrayés d’avoir à les briser
pour nous en échapper. C’est comme une personne qui ne veut
pas ouvrir sa porte, la nuit pour sortir. Elle dit : « Où aller dans
le noir ? » Au même endroit où vous allez lorsqu’il fait jour, le
paysage n’a pas changé. Le pays n’a pas changé ! C’est parce que
vous ne pouvez pas l’apercevoir que vous éprouvez de la peur. Le
jour vous pensez pouvoir le voir c’est pourquoi vous n’avez pas
peur. Les choses sont toujours les mêmes. Il s’agit de ma façon
de voir selon laquelle l’obscurité dissimule et la clarté permet de
voir, c’est aussi un système conceptuel.
A. : Je pensais tout à l’heure lorsque vous avez fait état de cette
structure et que le sitting avait duré beaucoup plus longtemps
que le temps ... (Inaudible.) ... imparti. C’est une structure.
P. R.  : Oui, c’est une structure – que des choses doivent se
dérouler pendant le sitting –. Mais qu’est-ce qu’un sitting ? Pour
Retour →sommaire des mots et merveilles 216

nous, c’est un sitting lorsque quelque chose se produit. Si cela


dure toute la journée, le sitting dure toute la journée. Si c’est
permanent, le sitting est permanent. Enfin, nous avançons après
tout. Non, c’est très difficile. La difficulté, c’est la peur. Et nous
connaissons en anglais, nombre de proverbes stupides que j’avais
l’habitude d’admirer. “ Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. »
Cela tue l’entreprise, l’esprit d’initiative. Il y a bien des proverbes
de ce genre.
A. : Souvent, je ne suis pas très fier de ce dont j’ai hérité.
P. R. : Même cela est mauvais. Ne soyez ni fier ni pas fier. Il
existe deux motifs à revendiquer les héritages. L’un provient de
la fierté : « Je suis un Stuart. » ou bien un Tudor, pourvu qu’il soit
grand. Ou bien, lorsque nous sommes issus d’une famille qui n’a
de racines nulle part, inconnue, et que nous devenons célèbres,
nous créons un père et un grand-père pour accéder à la grandeur.
On fait peindre des portraits qu’on suspend aux murs : « Oh ! mon
père. », car nous aimons en tirer de la grandeur. C‘est l‘homme
riche qui achète toutes les éditions reliées des grandes œuvres,
les grands livres de Harvard, “L’Encyclopaedia Britannica”. Pour
lui, la connaissance maintenant est un appui. Il ne désire pas
seulement l’argent et le pouvoir, il lui faut aussi la réputation
d‘homme savant.
A. : Il n’a pas besoin de les lire, seulement de les posséder.
P. R. : Non, il n’a pas besoin de les lire. Il fut un temps où ils se
contentaient des reliures, sans rien à l’intérieur. (Rires.) Du cuir
travaillé à la main. C’est une énorme plaisanterie.
A. : Une triste plaisanterie.
P. R. : Ainsi nous essayons toujours ... D’une certaine façon,
si vous regardez bien, il s’agit d’une tendance utile. Elle veut
simplement dire que vous recherchez la perfection. Non pas, dans
un sens artificiel qui nous abuse, mais dans un sens véritable,
où tout est rassemblé, dans une unique entreprise, une unique
Retour →sommaire des mots et merveilles 217

réussite qui comprend tout. Mais nous cherchons à y arriver


réunissant des parcelles et en essayant de les assembler pour en
faire une unité. Cela ne marche pas. Cela ressemble aux trucages
utilisés dans le cinéma du monde entier. On vous montre le
visage d’une actrice, sa voix est celle d’une autre personne, et s’il
y a une de ces scènes excitantes avec les jambes dans l’eau, ce
sont les jambes d’une autre fille. Vous rassemblez ces éléments
composites et vous escomptez voir une telle femme. Elle n’existe
pas.

Vendredi 15 juillet 1988

Devenez ce que vous êtes


L’entretien suivant met en lumière nos idées erronées sur la
façon de trouver le chemin spirituel. On pense, communément,
que nous avons vécu des expériences, bonnes ou mauvaises, et
que c’est grâce à ces expériences que nous pouvons enfin trouver
le chemin. Le Maître le nie. Il souligne, au contraire, que nous
avons beaucoup de chance, ayant vécu toutes sortes d’expériences
non souhaitables, de ne pas manquer enfin le chemin ! En fait il
n’y a pas d’étapes préparatoires, ni de séquences obligées, seul
notre aveuglement et nos samskaras nous en détournent plus ou
moins longtemps.
Un professeur de yoga, venu rendre visite au Maître, se voit
expliquer le processus réel.
P. R. : Le yoga ne dit qu’une seule chose : à quelque endroit
que vous soyez, vous pouvez commencer et arriver à la fin.
A. : A condition de travailler et d’avoir la personne adéquate.
P. R.  : La personne qui est nécessaire en premier lieu, c’est
vous !
A. : J’ai rencontré un précepteur il y a quelques mois et en parlant
avec lui de mes problèmes, il a compris ce que je recherchais.C’est
Retour →sommaire des mots et merveilles 218

ainsi qu’il m’a conseillé de venir à cette conférence et ensuite ici.


Mais si je ne lui avais pas parlé il n’aurait pas pu savoir ce que je
cherchais.
P. R. : Sans connaître vos problèmes, s’il vous avait dit d’aller
là-bas, cela aurait marché ou cela n’aurait pas marché ! Si j’ai à
vous indiquer comment vous rendre d’ici en Suisse, il n’est pas
nécessaire que je sois allé en Suisse ; je peux connaître la route.
C’est la façon de procéder de ce précepteur, parce que c’est la
façon dont il est venu ; il vous a indiqué le chemin qu’il connaît, il
n’y a pas de mal à cela, mais je suis venu par ce chemin-ci et c’est
également juste ! »
A. : Oui, mais en fait je cherchais un chemin depuis plusieurs
années et je ne savais pas quand j’allais le trouver. Inconsciemment,
je crois que cela correspond à ce que je recherche.
P. R.  : Alors que j’étais à l’université, il y a de nombreuses
années, le plus jeune frère de mon père, qui était quelqu’un de
très important en Inde, avait épousé une princesse. Par son
intermédiaire, j’ai été invité par le plus grand maharaja de l’Inde.
J’avais une vieille valise, des vêtements sales en débarquant du
train où l‘on devait venir me chercher. J’ai attendu quarante-cinq
minutes en vain. De l’autre côté de la rue, il y avait une énorme et
antique Rolls Royce avec un chauffeur en livrée resplendissante.
Je ne savais pas qu’il était là pour moi  ! Au bout d’une heure,
j’ai téléphoné et j’ai appris qu’on m’attendait. J’ai demandé quel
était le numéro de la voiture ; on m’a répondu que les voitures du
palais n’ont pas de numéro et qu’il me fallait chercher une grosse
voiture avec un chauffeur de un mètre quatre-vingt ! Et il était là,
de l’autre côté de la rue ! J’ai été le trouver ; tout d’abord il a été
très méfiant, ma valise était si sale !
Alors la route est là, le chemin est disponible, mais je ne le
savais pas. Et qu’une route soit là ne veut pas dire que vous le
sachiez.
Retour →sommaire des mots et merveilles 219

Ensuite s’est produit le second incident amusant. J’ai été


conduit au palais ; un palais est un lieu fourmillant de serviteurs,
de rajas, de princesses, mais comme vous êtes un invité, personne
ne vous demande qui vous êtes. J’étais assis dans une grande
pièce, m’attendant à être reçu, mais personne ne venait. Deux
heures plus tard, le maharaja a fait son apparition. C’était un
homme énorme car il avait un problème de thyroïde. Il est arrivé,
m’a observé, a regardé à droite et à gauche et il a fait un geste.
Deux serviteurs se sont précipités. Il leur a dit : « Voici un invité
qui attend, pourquoi ne vous occupez-vous pas de lui ? » Il s’est
dirigé vers moi, m’a tendu la main et s’est présenté : « Je suis le
maharaja de Mysore, puis-je savoir qui vous êtes ? » Je lui ai dit que
j’étais le neveu de Monsieur Badhran et que je ne savais vraiment
pas quoi faire. C’était un vrai gentleman, il n’a rien dit, m’a conduit
à ma chambre qui était aussi grande que tout cet appartement.
Je m’apprêtais à prendre un bon bain. Les récipients en cuivre
étaient presque aussi grands que moi, mais la salle de bain n’avait
pas de porte. Or je suis très timide, j’attendais et le maharaja est
venu pour me dire : « Qu’est-ce que vous attendez ? » Je lui ai
fait remarquer qu’il n’y avait pas de porte et il m’a rétorqué qu’il
n’y en avait pas précisément car personne ne pouvait venir de ce
côté-là ! Et il a ajouté : « Vous pouvez aller n’importe où dans ce
palais, parce que vous trouverez les portes fermées là où vous ne
devez pas aller. »
Il en est ainsi en yoga. Savez-vous quel est le chemin juste ?
Alors pourquoi vous inquiéter et dire que vous n’avez pas trouvé
le chemin, que vous cherchez le chemin. Vous êtes comme moi
dans le palais du maharaja !
Il y a trente ans, vous auriez indiqué l’est pour aller à Cannes,
ou l’ouest pour vous rendre à Nice. De nos jours, vous ne pouvez
plus le dire, car les routes vont apparemment vers l’est mais
vous effectuez un tour de trois cent soixante degrés, puis revenez
Retour →sommaire des mots et merveilles 220

par une déviation, pour vous diriger dans une autre direction.
Aujourd’hui vous ne pouvez trouver une route sur la simple
indication de la direction, vous devez suivre les instructions.
Voyez comment le développement moderne nous force à plus
d’obéissance. Quand vous volez en avion, tout mouvement est
contrôlé. L’astronaute ne peut pas choisir la direction en fonction
de la lune, car la position de celle-ci changera sans cesse.
S’il y a une chose que la science et la technologie occidentale
nous ont enseignée, c’est que la logique n’a aucune place. Le
processus séquentiel de l’étape par étape est un signe de l’esprit
primitif. Le développement signifie enlever les séquences,
les étapes. Le développement final, c’est de penser que vous êtes
là, et vous êtes là, de penser que vous êtes Cela et vous êtes Cela.
Lorsque vous pensez, vous devez être à ce moment même ici ! Ce
ne sont pas des fantasmes, on trouve cela dans le livre “Jonathan
le Goéland”. Et alors ici, intervient la plus grande vérité du yoga :
à quelque possibilité que je puisse penser, cela doit être possible
pour moi. Sinon, je ne pourrai même pas l’envisager !
Je vous invite donc à l’essayer ! C’est votre privilège, votre vie,
votre but. Je cite Blake qui disait : « Tu es ce que tu penses être. »
Si vous pensez être un imbécile, vous êtes un imbécile, si vous
pensez avoir peur, vous avez peur, si vous pensez être Dieu ...
A. : Saint-Augustin disait aussi quelque chose comme cela.
P. R. : Oui, Saint-Augustin. Mais il disait autre chose, que je
n’ose pas dire, sinon vous allez me lapider ! Il parlait du culte. « Si
vous rendez un culte à une pierre, vous deviendrez une pierre, si
vous adorez l’homme, vous deviendrez un homme, si vous adorez
Dieu ...  » Je n’en dirai pas plus, autrement vous allez me jeter
des pierres  ! Logiquement, vous devriez poser une question  :
« Serais-je encore comme je suis ? A quoi ça sert de penser que je
suis Dieu ? » Ça, c’est le blocage : vous pensez être toujours celui
que vous êtes ; ce n’est pas un blocage par maladie, un blocage
Retour →sommaire des mots et merveilles 221

psychique, mais c’est vous qui vous bloquez tout seul.


Le Maître s’adresse au professeur de yoga.
P. R. : Les Britanniques ont un dicton : « Commencez par le
commencement. » En Occident, il est logique de penser qu’on part
d’ici pour aller là bas ; mais le début est là où je choisis qu’il soit.
Nous avons été entraîné de façon rigide à commencer un repas
par un potage, puis du poisson, pour en venir au plat principal,
puis à la salade et terminer par le dessert. Nous devons utiliser
tel couvert à tel moment. Mais juste histoire de s’amuser, on peut
commencer par la salade de fruit et terminer par la soupe, cela ne
fera pas une grande différence ! Pourquoi pas ? Et si on peut le
faire pour un dîner, pourquoi pas avec le yoga ?
Dans le yoga lui-même, on le dit. Il y a un célèbre sloka
de la Gita dans lequel on évoque ce principe d’inversion ou
d’invertendo, à propos de l’arbre divin dont les racines sont au
ciel et les branches en bas. Dans la tradition, on dit que l’on doit
commencer avec le samadhi et que tout devient parfait dans le
corps. Si le plus haut est parfait, tout le reste est parfait. C’est ce
que les Grecs entendent par un esprit sain dans un corps sain.
Nous commençons donc par le mental et non par le corps. Je
vous en parle par expérience, car j’ai pratiqué le hatha-yoga
pendant de nombreuses années. J’ai perdu tant d’années !
A.  : Si on trouve le raja-yoga sur son chemin, il y a une
solution ?
P. R. : Il y a une théorie selon laquelle on ne voit rien ou l’on ne
rencontre personne sans qu’il y ait une certaine raison. Mais nous
devons avoir la sagesse de reconnaître cette raison. Cherchez et
trouvez !

Vendredi 15 juillet 1988 (soir)

Amour et discipline
Retour →sommaire des mots et merveilles 222

P. R. : ... Oui, c’est exact ; tout ce qui est libre vous laisse libre et
tout ce que vous agrippez vous agrippe également. Je connais un
couple qui possède deux chats. Ils ne parviennent pas à méditer ;
pourquoi ? A cause des chats ! Ils ne peuvent pas se déplacer à
cause des chats, ils ne peuvent méditer à neuf heures à cause des
chats ... Eh bien ! qu’ils abandonnent la méditation ... ou les chats !
Quelquefois les gens sont tellement attachés à leurs chats, qu’ils
préfèrent délaisser la méditation. Le Docteur Varadachari disait :
« Sans doute seront-ils des chats dans une prochaine vie ! » C’est
de l’attachement et nous ne devrions pas en avoir. A quoi cela
sert-il ? Si vous voulez volez, il vous faudra bien vider les cailloux
de vos poches avant de monter dans l’avion. Au décollage, tout
doit rester au sol ; vous ne pourrez pas les larguer un à un pour
vous élever. De même, lorsque vous êtes attaché à Cela, tout le
reste s’en va. Mais les gens ont des idées curieuses : « J’aime mes
chats ! »
A. : Les chats aimeraient bien être seuls, eux aussi !
P. R. : Là n’est pas la question ; les chats peuvent être seuls ou
ne pas l’être, ce sont des animaux après tout. La question c’est
de savoir quel est votre but dans la vie. Avec les enfants, c’est
pareil  ; les mères doivent essayer de laisser leurs bébés et leur
apprendre à être seuls quand vient l’heure de la méditation. Je
constate qu’elles ne sont pas au satsangh et si elles y sont, elles
ne sont pas attentives. Au moindre cri de leur enfant, les voilà
dehors ! Elles méditent ici, mais leur attention est là-bas. Si elles
méditaient vraiment, rien n’arriverait et elles n’entendraient pas
pleurer leurs enfants.
Les mères indiennes méditent ou restent avec leurs enfants.
S’ils pleurent dix minutes, nous disons que cela leur fait les
poumons  ! Quand vous voulez aller à l’opéra ou ailleurs, vous
faites bien appel à une baby-sitter ; alors, où est le cœur de cette
mère à ce moment-là ?
Retour →sommaire des mots et merveilles 223

A. : Nous devrions demander aux enfants ce qu’ils en pensent.


P. R.  : Inutile  ! Quand ils seront grands ils sauront quoi en
penser. Si vous devez entreprendre une tournée de chant et
voyager dans quinze villes différentes, allez-vous demander à
votre enfant si vous pouvez partir ?
A. : Non, je me disais que nous devrions demander d’une manière
générale aux enfants ce qu’ils pensent du baby-sitting.
P. R. : Cela les met en colère. Ils veulent être reconnus et aimés
et non trompés. Il y a des choses qu’il faut leur demander et
d’autres pas. Quand vous méditez, vous vous améliorez et vous
devenez une meilleure mère.
C’est étrange, mais les personne âgées doivent être disciplinées
avec autorité  ! C’est la seule chose qu’elles comprennent. Par
contre, les jeunes doivent être disciplinés avec amour. Si vous
imposez à cette enfant de ne pas faire une chose, elle va se
précipiter pour la faire. Mais si vous vous y prenez avec amour,
vous divertissez son esprit d’une manière différente et elle
l’acceptera très facilement.
A. : Nous voilà éduqués !
P. R. : C’est sérieux ! Vous ne connaissez que la discipline par
l’autorité, c’est pourquoi la discipline est si difficile avec ses lois,
ses règles, ses châtiments. La tendance humaine est de se révolter
contre tout cela et c’est malheureux, car il faut bien des règles
quand il y a un nombre de deux ou trois milliards d’individus !
Supposez que vous rouliez sur l’autoroute pour aller à Marseille
et que toutes les files soient occupées ; sans discipline, ce serait le
chaos total ! Les règles sont créées avec bienveillance par l’Etat,
mais la discipline doit provenir de l’intérieur si nous comprenons
que les règles sont établies dans notre intérêt. En Inde, où la
population n’est pas instruite à quatre-vingt-dix pour cent,
nous avons des policiers tous les cents mètres pour dire ce qu’il
faut faire et quand le faire. Mais ici, en France où les gens sont
Retour →sommaire des mots et merveilles 224

instruits, il serait incongru de se voir dire quoi faire à tout instant.


J’aimerais voir moins de policiers, de fusils et d’uniformes dans
le futur. Il y a le risque que les pays dictatoriaux craignent la
désobéissance et qu’ils conservent ces signaux de dissuasion.
Cependant ce n’est pas bon, c’est comme un père qui élèverait
ses enfants au fouet  ! Les enfants doivent obéir car ils aiment
leurs parents et non pas parce qu’ils en sont effrayés. J’aurais
honte que mes enfants me craignent ! Notre attitude envers Dieu
devrait être identique, sans se préoccuper de la peur de l’enfer
et de toutes ces bêtises. Quelquefois, juste pour punir Dieu, je
me sens prêt à aller en enfer, rien que pour l’obliger à venir m’y
chercher  ! Comme si Dieu avait créé un enfer pour nous punir
et qu’il passait son temps à venir nous en sortir ! C’est pourquoi
je n’accepte pas du tout ce point de vue. C’est un aspect de la
religion, le bâton à la main ! Et quand les enfants grandissent, le
père autoritaire craint que son fils ne saisisse le fouet à son tour
... L’autorité n’est jamais bonne, car vous obéissez jusqu’à ce que
qu’un jour vous soyez grand et que vous n’ayez plus peur.
C’est ainsi que la spiritualité chemine avec l’amour et
nous obéissons par amour et non par peur. Et c’est avec amour
que nous vous souhaitons une bonne nuit !

Samedi 16 juillet 1988

Attachement, liberté et amour


P. R.  : Les gens doivent comprendre que vous les aimez et
pourquoi vous les aimez. Vous ne les aimez pas pour obtenir
quelque chose d’eux, sinon dès qu’ils s’en aperçoivent, ils s’en
vont. L’amour ne doit rien exiger, il doit être impersonnel : « Quoi
que tu fasses, je t’aime toujours. » Vous aimez vos enfants tels
qu’ils sont, gentils ou méchants, bien portants ou malades, riches
ou pauvres. C’est ainsi que cela doit être, l’amour pour l’amour et
Retour →sommaire des mots et merveilles 225

non pas pour obtenir un retour. Et là, ça marche ! C’est pourquoi


l’on dit : « Aimez, même si l’on vous hait ! »
Plus le niveau est subtil, plus nous en dépendons, plus il
nous est indispensable. L’air est vital, la nourriture nécessaire ;
le bonheur, oui et non. Si vous placez le bonheur en première
ligne et que vous le faites suivre du nécessaire et du vital, vous
intervertissez tout le processus de l’existence et en conséquence,
vous en souffrez.
Souvenez-vous que nous vivons à l’envers en mettant
le bonheur et le plaisir avant toute autre chose.
A. : Comment aimer sans attachement ?
P. R. : D’ordinaire, il n’y a pas d’amour, il n’y a qu’attachement.
Lorsque l’amour vient, l’attachement s’en va. Je pense que
normalement les deux ne peuvent demeurer ensemble.
A. : Comment une mère peut-elle aimer ses enfants sans attachement ?
P. R. : Si l’attachement est là, il n’y a pas d’amour ! Nous pensons
que c’est de l’amour, mais c’est plutôt un sens de possession  :
« Mon, moi, mien. » Il est difficile de répondre à une telle question.
En général l’attachement montre qu’il n’y a pas d’amour. Suivons
ce précepte : l’amour doit libérer, donner la liberté. L’attachement
limite la liberté.
A. : Qu’est-ce que la liberté ?
Ce que donne l’amour ! Babuji disait que l’on devait prendre
soin des enfants comme des biens confiés. Ils vous sont confiés ;
ils ne sont pas à vous. Vous devez vous en occuper comme s’ils
appartenaient à d’autres, seule leur responsabilité vous incombe.
Ici, aux Courmettes, tous les vendredis on vous prie de bien vouloir
nettoyer vos chambres. Ce sont vos chambres car vous vous en
occupez pendant votre séjour, mais elles ne sont pas réellement
à vous, tout comme les enfants. Quand il y a attachement, cela
signifie que vous essayez de les faire vôtres et c’est comme si vous
voliez quelqu’un de ses biens. Mais vous pouvez aimer sans voler
Retour →sommaire des mots et merveilles 226

quoi que ce soit.


Nous pouvons aimer ce monde, mais si nous y sommes attachés
nous aurons peur de mourir  : «  Oh  ! Comment quitter toutes
ces belles choses ! » La peur d’envoyer les enfants à l’école, qu’il
leur arrive un accident ou autre chose témoigne de cette peur de
perdre qui est celle du mien et du moi.

Samedi 16 juillet 1988 (soir)

Vers le silence
A plusieurs reprises, le Maître nous confie qu’il parlera de
moins en moins à l’avenir. Pour l’instant, nous avons de la peine
à l’imaginer.Cependant son avertissement se vérifiera quelques
années plus tard. Ce jour-là, le Maître parle du silence.
P. R.  : Babuji disait que le silence est le langage de Dieu. Ne
parlons pas plus qu’il n’est nécessaire. Lorsque nous bavardons,
nous faisons intervenir l’intellect ce qui renforce cette maladie
occidentale ! J’aimerais parler de moins en moins.
A.  : Que voulait dire Babuji en énonçant  : «  Vous devez me
forcer à devenir un. » ?
P. R.  : Essayez  ! Il ne disait pas forcer, mais obliger. Nous
pouvons obliger quelqu’un par la raison, par l’amour. Forcer,
c’est différent. (Cette interruption dans le propos du Maître,
n’empêche pas celui-ci de suivre le fil de sa pensée.)
Souvent, la réponse est donnée en méditation et cela nous
convainc. Lorsque la réponse est donnée de l’extérieur, un doute
subsiste toujours. Nous devons donc chercher la réponse à
l’intérieur, c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Le plus souvent, je
parle pour ceux qui ne sont pas encore des abhyasis, pour leur
expliquer le système. Pour les abhyasis, parlons en silence !
Quand vous méditez, c’est là que le Maître vous parle. C’est
toujours le Maître qui vous parle, mais de l’intérieur.
Retour →sommaire des mots et merveilles 227

Samedi 16 juillet 1988 (soir)

Plus tard.
Ashram, pas encore ...
P. R.  : Je voudrais dire encore un mot. Il n’est pas question
d’ashram européen ou d’ashram indien. C’est notre ashram. Si
vous pensez à l’Europe et à l’Inde séparément, ces idées peuvent
surgir. Mais notre Mission n’a rien à voir avec la géographie,
l’histoire, la politique ou la religion. C’est une Mission globale ;
pensez plutôt que c’est le dix neuvième ashram, localisé à ce qu’on
appelle l’Europe. Si l’Inde a dix-huit ashrams, c’est que c’est
nécessaire. Certains d’entre eux sont de simples appartements
ou de petits lieux, où une centaine de personnes peuvent méditer.
Comme je l’ai dit, un ashram est un lieu d’activité spirituelle.
On en a besoin, et voilà  ! L’argent tout comme l’amour est
indispensable. Je pense que l’argent est de l’amour sous forme
tangible  ; sinon comment montrer son amour  ? Dans la Gita, le
Seigneur Krishna dit : «  Quoi que vous donniez, donnez-le avec
cœur ! » Il y a toujours quelque chose à donner, comme l’enfant
qui a apporté cette fleur. Ne faites pas de séparation entre
l’amour, l’argent et le service. L’un donne avec son cœur,
l’autre avec son porte-monnaie, l’autre avec sa force intellectuelle,
physique, chacun selon ses capacités, sans plus.
Je profite de l’occasion pour remercier chacun d’entre vous de
sa contribution ; tandis que les questions sortent du mental, les
donations ne peuvent provenir que du cœur. Je ne suis donc pas
seulement heureux, mais reconnaissant. J’aimerais également
ajouter à la manière indienne, qu’après tout, vous ne faites que
contribuer à bâtir votre propre maison où vous m’inviterez à
venir  ! Construire un ashram est une chose, mais l’entretenir
année après année, est aussi une responsabilité. Heureusement
l’amour est quelque chose qui coule sans cesse et ces problèmes
Retour →sommaire des mots et merveilles 228

seront pris en charge. Bon voyage !

Dimanche 24 juillet 1988

Soixante et une bougies


Le 24 juillet est le jour anniversaire du Maître. Je repasse
quelques vêtements dans la lingerie, lorsque le Maître qui passait
par là, me voit, fait demi-tour, rentre et me serre la main : « Bon
anniversaire ! », me dit-il !
Après la méditation, le prasad est distribué d’abord aux
enfants, puis aux adultes. Chacun offre au Maître une rose ; un
gros bouquet trouve ainsi sa place dans son salon où, tout en
écoutant le Requiem de Verdi, le Maître bavarde joyeusement.
P. R. : Ce sitting était très spécial, la grâce de Babuji était là.
Le Maître a tout le temps et n’a pas de temps à la fois. Par sa
dévotion et son aspiration, l’abhyasi doit faire en sorte que son
temps concorde avec celui du Maître. 13
« Savez-vous ce qui a été donné ? » demande quelqu’un. Le Maître
répond :
P. R. : Oui. Je fais le travail, mais aux niveaux élevés, je ne sais
pas ce qui se produit. »
Ensuite il montre à cette personne des lettres que lui a écrites
Babuji à propos d’un travail qu’il avait fait à Ceylan.
P.R.: « Aujourd’hui, vous pouvez voir le résultat de ce travail
en Iran, au Pakistan, où cela va mieux. On ne verra pas tout de
suite les résultats car il se peut qu’ils mettent vingt ou trente ans
pour apparaître ! On ne doit donc pas se préoccuper des résultats,

13 NDT : “ Master has all time and no time. Only the abhyasi has by
devotion and craving to put his time with Master’s time. ”
Retour →sommaire des mots et merveilles 229

mais simplement agir.


Avant de passer à table, le Maître nous raconte une histoire
à propos d’un cuisinier célèbre, puis précise quelques points
techniques avec quelques précepteurs.
Le repas d’anniversaire, préparé avec soin selon la tradition
indienne par nos frères Rangachari et Pragji Chauhan, se
termine par un magnifique gâteau. Le Maître souffle les
soixante et une bougies disposées en forme de cœur, d’un seul
souffle de lion ! Après une pause café chez un abhyasi qui l’invite
dans sa caravane, le Maître rentre chez lui et donne des sittings
tout l’après-midi. Une courte promenade en fin de journée, et
le satsangh habituel du soir clôturent cette journée particulière,
teintée à la fois de joie et de mélancolie.

Lundi 15 août 1988

L’amour élève
P. R. : La souffrance est nécessaire dans la vie. Beaucoup de gens
pensent qu’ils sont nés en France, qu’ils ont beaucoup d’argent
et qu’ils jouissent de la vie. Puis un jour ils reçoivent des chocs :
l’un meurt, l’autre a un cancer, et alors ils comprennent la réalité
de la vie. Ça, c’est la manière dure de la vie et la plupart des gens
viennent à la spiritualité par la souffrance. Ils ne comprennent
pas qu’il y a une manière plus douce qui est celle du cœur. Seuls
les gens avisés, sages, viennent par la joie et le bonheur.
C’est pourquoi Kabir disait  : «  N’ayez pas de mauvaises
fréquentations.  » Au minimum, ces mauvaises fréquentations
se traduiront par des remous qui vous perturberont. Mais elles
pourraient aussi vous attirer dans un groupe  : «  Oh, qu’est ce
que cette spiritualité, viens donc avec moi, tu verras ! » et si à ce
moment vous êtes tenté, vous êtes perdu. Il vaut mieux ne pas
aller en vacances. Ces histoires de vacances sont la plupart du
Retour →sommaire des mots et merveilles 230

temps des facteurs de troubles, de tentation et plus souvent, de


péchés !
J’ai connu une jeune fille qui avait été à Katmandou  ; elle
s’était droguée. Deux mois plus tard, elle est venue à Madras.
En lui ouvrant la porte, j’ai vu son visage qui était tout noir. Pas
noir en réalité, mais qui apparaissait noir, ce que Babuji appelait
l’aura. D’un ton très ferme, je lui ai dit : « Votre visage est noir,
qu’avez-vous fait  ?  » Et elle s’est mise à pleurer. Elle s’était
complètement abîmée. Pourquoi les gens vont-ils à Katmandou,
je me le demande. Qu’y a-t-il à Katmandou qu’il n’y ait à Bénarès,
à Shahjahanpur ou à Madras ?
En amour ce n’est pas mieux, au lieu de s’élever on est toujours
attiré vers le bas. On a besoin de fusées pour se propulser vers le
haut ; si l’engin s’arrête en route, on tombe. Et quel est ce pouvoir
qui nous permet justement de nous élever  ? L’amour pour le
Maître. Ni la méditation ni tout le reste, car beaucoup de gens
qui pratiquent, chutent. C’est l’amour qui nous permet de
nous élever.
La gravité, c’est toujours un désastre  ! Quand vous vous
propulsez vers le haut vous avez besoin de davantage de puissance
pour pallier la gravité. Quand vous redescendez, vous avez besoin
de ne pas aller trop vite. Les gens pensent que seul le mouvement
vers le haut est problématique, mais descendre aussi est un
problème, car si vos freins lâchent, vous vous écrasez.
Ici on peut dire que la gravité, c’est l’attirance vers l’ancienne vie,
la vie matérielle. C’est pour cette raison que Babuji recommandait
la vigilance.
Un abhyasi demande des précisions sur l’éventualité de la
chute spirituelle.
P. R. : Babuji a très clairement écrit dans son “Autobiographie”,
que la seule position d’où l’on ne chute pas est celle de
mahaparishad. Alors ... mais on ne devrait pas y penser.
Retour →sommaire des mots et merveilles 231

Lorsqu’on fait de l’escalade et qu’on regarde en bas, on a le


vertige et on tombe. Il faut continuer à regarder le but et grimper.
Un montagnard ne doit pas regarder en bas pour évaluer son
ascension, il doit porter son regard vers le haut pour voir tout le
chemin qu’il a encore à parcourir. « C’est tout ! » 14
A. : Le seul problème, c’est qu’au fur et à mesure qu’on monte,
on voit les grimpeurs !
P. R. : Plus on monte et plus la montagne elle-même semble
s’enfoncer vers le bas. Tout va vers le bas. Le même soleil que
l’on qualifie de soleil levant le matin est qualifié le soir de soleil
couchant. Cependant la terre va toujours dans la même direction,
de la même manière. Quelle est alors la différence  ? Elle est
seulement apparente. Que le soleil se lève ou qu’il se couche, cela
montre que vous vous déplacez. Donc lorsqu’on voit les autres
tomber, cela indique que vous au moins vous ne tombez pas ! Et
s’ils tombent, devez-vous également chuter ?
A. : Cela ne se produit pas nécessairement ?
P. R. : Pourquoi dites vous cela ? L’an dernier à Vorauf, il y avait
des abhyasis très perturbés, presque devenus fous. Ils avaient
fait de l’escalade en montagne plusieurs années auparavant. La
pente était très raide et quatre ou cinq d’entre eux grimpaient
sur des cordes en parallèle. Le temps s’est couvert soudain, ils
auraient dû redescendre mais ils ont stupidement continué
à monter. Tout à coup un éclair a touché la corde sur laquelle
grimpait l’une des jeunes filles qui a brûlé comme un morceau de
bois. Chacun avait une corde individuelle et personne n’a rien pu
faire pour elle. Vous pouvez imaginer ce qu’ils ont pu ressentir.
Leur fille avait dix-huit ou vingt ans et ils ne se sont pas remis

14 NDT : En français.
Retour →sommaire des mots et merveilles 232

d’un tel choc.


Voilà la folie de vouloir surmonter la nature, de grimper, etc.
Je répète toujours la même chose, pourtant ils continuent. Passez
de bonnes vacances dans votre maison, méditez davantage, lisez
la philosophie du Sahaj Marg. Ce seront des vacances, au lieu
d’aller en Grèce, à Tombouctou et de vous rompre le cou. Un pays
qui permet cela est un pays stupide. C’est pourquoi un bon niveau
de vie est une malédiction.
A. : Et si c’est pour le travail ?
P. R. : Si c’est pour le travail, qu’y pouvez-vous ? Vous pouvez
toujours trouver un autre travail. La montagne gagne toujours
alors changez de métier ! Méditez, priez si vous ne pouvez rien
faire d’autre.

Samedi 20 août 1988

Attention !
P. R. : La lumière divine dans le cœur sert de point de départ
pour la méditation. J’ai dit avant-hier qu’on ne pouvait expliquer
la chose ; c’est pourquoi mon Maître disait qu’on pouvait donner
l’expérience mais qu’on ne pouvait pas expliquer l’expérience.
Je pense que le premier signe de progrès est lorsqu’on dépasse
ce besoin d’attention et lorsqu’on recherche cette assistance
intérieure.
A. : Que voulez-vous dire par assistance ?
P. R.  : Dans votre croissance  ! L’attention ne fait que vous
calmer ou vous stimuler  ; un vrai chercheur ne devrait pas
s’inquiéter même s’il est bousculé, tant qu’il obtient ce pourquoi
il travaille. L’attention est un piège !
Le Maître illustrera ce propos pendant le séminaire, en
acceptant et en interdisant alternativement les visites des
adultes sur sa terrasse.Les enfants sont toujours les bienvenus,
Retour →sommaire des mots et merveilles 233

ainsi que ceux dont le cœur est comme un enfant ...Une fillette de
huit ans ne quitte pas le Maître ou presque ; elle va le chercher, le
tire de sa table de travail pour l’emmener promener ou s’asseoit
sagement à côté de lui pendant des heures sans bouger et sans
rien dire. Chacun admire son aisance et son naturel et rêve
d“‘être comme un petit enfant”, comme elle, auprès du Maître.

Samedi 20 août 1988

Faire du Divin son ordinaire


Plus tard, le Maître affirme qu’il n’a pas trouvé difficile de
mener de front savie spirituelle et savie matérielle.
P. R. : J’ai appris de mon Maître que l’exclusion ou l’inclusion
de toute chose est un phénomène mental. Par exemple, on
parle de largeur d’esprit, que telle ou telle personne n’a pas de
complexe de couleur. C’est comme la théorie des ensembles
en mathématiques  ; les êtres humains font un ensemble et on
peut étendre cela à tous les bipèdes par exemple. Tout ce qui
a deux jambes forme un ensemble. Quelquefois il est possible
d’arriver à cette compréhension philosophique de la vie par
les mathématiques, par la science. J’ai trouvé ça très utile, en
particulier la science-fiction.
Pour moi, la distinction entre une vie spirituelle et une vie
matérielle n’existe pas. C’est comme la vapeur d’eau, l’eau et la
glace. L‘eau a un aspect gazeux, un aspect solide ou un aspect
liquide. Lorsque nous vivons à un niveau grossier, cela semble être
toujours la même vie, mais il y a une extrémité du bâton et l’autre
extrémité du bâton. Parfois j’ai vu des enfants qui regardent à
travers des jumelles par le mauvais bout et ils voient les choses
très petites alors que par l’autre bout les choses apparaissent très
proches. Mais c’est ce que c’est et c’est là où c’est. Tout dépend de
la façon dont on regarde les choses.
Retour →sommaire des mots et merveilles 234

C’est mon expérience. Je ne dis pas que ce qui s’applique ici


ne peut pas s’appliquer là, ce n’est pas juste. Comme je l’ai déjà
dit, je ne recherche pas la croissance, mais l’évolution. Lorsque vous
pensez croissance, vous la qualifiez, mais lorsque vous pensez en
terme d’évolution, vous donnez une qualité à l’évolution. C’est
pourquoi j’ai sans doute bien réussi en affaires !
A. : Cette capacité à faire la différence entre la vie matérielle et
la vie spirituelle a-t-elle permis à Arjuna de pouvoir tuer même
des membres de sa propre famille ?
P. R.  : Oui, mais il avait l’enseignement de Krishna. Il y a
plusieurs enseignements dans la Gita. Tout d’abord, vous ne
pouvez pas réellement tuer quelque chose qui n’a pas d’existence
dans le temps. C’est ce que lui a appris Krishna : « C’est moi qui
décide. » Ensuite l’âme est éternelle, immuable et indestructible.
Arjuna ne pouvait détruire que le corps. Puis, l’idée la plus
fondamentale de la Gita se fait jour  : celle du devoir. Quand il
s’agit du devoir, il n’est plus question de mari et femme, de frère
et sœur, de père et mère, ni de rien d’autre. Et ce devoir, c’est
votre devoir de naissance. Arjuna était un guerrier. Mon Maître
disait : « Nous devons être comme les Spartiates à la guerre : soit
vous revenez avec le bouclier, soit sur le bouclier ! »
L’idée, c’est de rétablir le dharma, la base de l’existence dans
laquelle rien n’est autorisé à interférer. Dans la Gita, on vous dit
que si à ce moment précis votre devoir est de tuer, vous devez
tuer. Mon Maître disait : « Supposez que votre enfant soit attaqué
par un cobra, ne le tuerez-vous pas ? » La loi est que les formes
supérieures de vie doivent être protégées.Il est justifié que vous
preniez des médicaments lorsque vous êtes malade. Dites-vous  :
« Oh ! les pauvres bactéries sont tuées ! » ? Le supérieur doit
exister, car c’est au travers du supérieur que l’inférieur
existe.
A. : Arjuna peut discerner son devoir par Krishna et c’est déjà
Retour →sommaire des mots et merveilles 235

un homme fort. Mais un homme ordinaire ...


P. R. : Je crois que vous avez mal compris la Gita. Arjuna était
un homme ordinaire. Il y est dit de manière très précise que
même des personnes comme Bhisma, l’un des hommes les plus
sages, n’ont pas eu de révélation de la vision ultime du Seigneur.
Pourtant Bhisma avait contrôle sur sa mort et pouvait décider
de l’heure de son départ de ce monde. Le temps lui-même devait
l’attendre. De même Dharmaputra, le frère aîné d’Arjuna, censé
être le dharma en personne, n’a pas obtenu non plus la vision
cosmique. Arjuna était une personne très commune, un guerrier.
Il était turbulent, il avait gagné des guerres, s’était marié un peu
partout. Il était le prototype de l’être humain moyen et le secret
de la Gita révélé par le Seigneur Krishna au chapitre onze, est la
vision cosmique qu’il offre à Arjuna. «  C’est ce que je te révèle
aujourd’hui, car tu m’es cher. Tu es mon ami, celui qui m’aime,
et le bien-aimé. » Là intervient l’idée de bhakti, de dévotion. Ce
n’est pas le mérite, ni la qualité, ni la quantité, rien de tout cela.
Si vous aimez le Seigneur, il est votre Bien-Aimé.
C’est la Gita qui donne confiance à des gens comme vous et
moi en disant que nous pouvons aussi le faire. Autrement le yoga
insiste sur la nécessité d’innombrables qualités, de maîtrise du
corps, du souffle, du mental, du célibat et beaucoup d’autres
choses encore. Arjuna ne répondait à aucun de ces critères.
C’est la promesse qu’un être ordinaire peut atteindre
néanmoins ce qui est le plus élevé.
Dans le Ramayana, il y a une histoire similaire. Lorsque Rama
est revenu d‘exil, il devait traverser une rivière. Une dame du nom
de Shaderi, l’attendait depuis longtemps. Elle était d’une caste
inférieure, et comme elle voulait lui offrir des fruits, pour être
sûre qu’ils soient bons, elle les goûtait les uns après les autres
en gardant les meilleurs pour lui. De l’autre côté de la rivière,
tous les grands rishis qui avaient médité des milliers d’années et
Retour →sommaire des mots et merveilles 236

accompli Brahma-vidya, le savoir ultime, préparaient un festin


sacré en l’honneur de Rama, avatar du Seigneur avant Krishna.
Mais Rama se rendit dans la hutte de la femme de caste inférieure
et se mit à manger les fruits dans lesquels elle avait mordu. Les
rishis se posèrent des questions. Quoi ? De grands yogis comme
eux, des mystiques, délaissés au profit d’une intouchable qui avait
goûté les fruits, que se passait-il donc ? C’est à nouveau l’amour
qui est la clé de l‘énigme.
Puis Rama demanda au passeur quel était le prix demandé
pour l’avoir fait traverser la rivière. C’est là un très bel épisode du
Ramayana. L’homme lui répondit : « Que voulez-vous me payer ? Je
ne veux rien. Vous m’avez rendu le service que je vous ai rendu. Vous
êtes également un batelier, tout comme moi. » Rama lui demanda
pourquoi et le batelier lui dit : « Je vous ai fait traverser cette rivière,
tout comme vous nous faites traverser le fleuve de l’existence même. »
Les médecins ne font pas payer les médecins par exemple, mais
dans le Ramayana ce principe est déjà énoncé : « Un barbier ne
doit pas se faire payer par un autre barbier pour se faire couper
la barbe. Une lavandière ne doit pas se faire payer par une autre
lavandière si elle lui lave son linge. Je ne te prendrai donc pas
d’argent ! Mais si tu veux, comme je t’ai fait traverser cette rivière,
fais-moi traverser l’autre fleuve. »
La mauvaise traduction des textes orientaux a engendré de
nombreux malentendus. Ne sachant lire ni le sanscrit, ni le
tamoul, j’ai dû étudier par le biais de traducteurs et j’ai découvert
des erreurs tragiques. Ainsi, l’une des erreurs les plus flagrantes
a été faite par un grand érudit, Max Muller. La phrase célèbre des
Védas  : “Quel Dieu pourrais-je remercier” qui montre l’extase,
a été commentée par Max Muller : « Ils ont tellement de Dieux
qu’ils ne savent qui remercier ! » Alors qu’il s’agit de l’extase de
la glorification qui vient du cœur : « Qui dois-je remercier. », ce
Dieu qui est moi, qui est le contrôleur de moi-même, c’est lui
Retour →sommaire des mots et merveilles 237

que je dois remercier. La traduction introduit une distorsion car


l’esprit n’est plus là.
A. : La Bible a toujours été mal traduite. Par exemple dans les
dix commandements, il est dit : « Si tu m’aimes, tu ne dois pas
faire ceci, cela, etc. »
P. R.  : Oui. Dans l’idée du devoir ultime envers soi-même.
Lorsque vous faites quelque chose qui vous blesse, vous allez
contre l’évolution. C’est pourquoi le suicide est condamné si
sévèrement, plus moralement que légalement. La loi vous laisse
pratiquement tous les droits, sauf celui de vous tuer vous-même,
car vous n’avez aucun droit de détruire, même si cela est vôtre. Le
droit envers les autres doit nous enseigner le droit envers nous-
mêmes. C’est la réponse aux gens qui critiquent et disent que nous
ne méditons que pour nous-mêmes. Ils oublient qu’à moins de se
développer, on ne peut aider quelqu’un d’autre à se développer !
La loi ne vous dit pas : « Ne faites pas ceci pour vous-même. »
Mais : « Ne gardez pas ceci pour vous-même. » C’est pourquoi le
raja-yoga ne vous dénie pas le droit de devenir multimillionnaire
si vous en êtes capable, mais ne gardez pas plus qu’il ne vous en
faut. C’est comme une rivière, cela doit continuer à couler.
En Orient, on a fait cette erreur tragique de rester assis en attendant
qu’un dieu hypothétique vienne nous mettre le pain dans la bouche.
De fait, notre système Sahaj Marg associe tous les autres
systèmes, le karma-yoga, le bhakti-yoga, le jnana-yoga. Nous
devons travailler pour vivre, nous devons nous marier, vivre une
vie de famille, comprendre nos devoirs et nos responsabilités, puis
à travers eux développer l’amour pour la famille et transcender
cet amour pour la famille.
Donc par le karma, par la dévotion, par la connaissance, nous
évoluons finalement dans une synthèse de tous les yogas, où vous
êtes à la fois, un karma-yogi, un bhakti-yogi et un jnana-yogi.
Vous faites quelque chose, vous accomplissez quelque chose,
Retour →sommaire des mots et merveilles 238

et vous êtes un amoureux du Seigneur. C’est pour cela que le


Seigneur Krishna répond à Arjuna qui l‘interroge sur la meilleure
voie, la plus facile parmi les nombreuses voies : « C’est le raja-
yoga. » Et quand il lui demande qui est celui qui lui est le plus
cher, Krishna lui répond : « C’est celui qui m’adore qui m’est le
plus cher. Celui qui a la connaissance m’est cher bien sûr, mais
le sage viendra à moi après plusieurs vies, tandis que celui qui
m’aime, je m’en charge. Il n’est pas nécessaire qu’il vienne à moi,
je vais vers lui. »
Malheureusement, même en Inde, peu de gens comprennent
la Gita correctement.
A.  : Mais ne pensez-vous pas qu’un bhakta est un jnani et
qu’un jnani est un bhakta ?
P. R. : La tradition les distingue formellement. C’est comme de
dire qu’un être humain est aussi un animal ! Mais vous êtes aussi
quelque chose de divin. En théosophie on dit que nous sommes
le point faible du macrocosme.
A. : Le jnani reconnaît que tout le savoir est sottise.
P. R.  : Oui, mais il existe des jnanis pour des enseignants.
Vous ne pouvez nier leur existence et vous ne pouvez nier la
vérité proférée par Krishna dans la Gita. (Citation en sanscrit.)
« Ce n’est qu’après de nombreuses et de nombreuses vies, qu’un
jnani vient à moi.  » En un sens la voie de la connaissance est
... (Inaudible.) Quand vous allez à l’intérieur, vous n’avez aucun
savoir de vous-même  : vous voyez l’expérience intérieure de la
Réalité. C’est pourquoi l’une est la voie de la connaissance et
l’autre la voie de l’expérience.
Avant-hier, il n’était pas facile de vous convaincre lorsque
vous m’avez interrogé à propos de la Réalité. Je vous ai dit qu’on
ne pouvait pas ... (Inaudible.) Bien qu’aujourd’hui vous l’ayez dit
vous-même  ! N’est-ce pas  ? Alors cet aujourd’hui vous montre
ce que vous pouvez accomplir et que cela ne peut être traduit
Retour →sommaire des mots et merveilles 239

en mots, bien que l’expérience puisse en être communiquée à


quelqu’un d’autre. En fait tout le “Yi King” est comme cela.
Quelquefois nous sommes tentés d’isoler le savoir comme une
chose uniquement intellectuelle. Et lorsqu’on fait cette erreur,
alors il y a ce savoir ultime, la connaissance du Soi. «  Je suis
le connaissant de mon Soi. » C’est le savoir du Soi. (Citation en
sanscrit.) L’œil peut tout voir mais ne peut se voir lui-même  ;
de même le savoir du Soi sait tout, mais ne peut se voir. C’est
pourquoi mon Maître n’appréciait pas trop cet phrase de l’oracle
de Delphes : « Connais-toi toi-même. » Connaissez-Le Lui, cela
suffit ; aimez-Le, c’est suffisant.
A. : Qu’est-ce que le kriya-yoga ?
P. R. : Je n’en sais rien ; je ne l’ai pas pratiqué.
A. : Il y a tant de yogas !
P. R. : Oui, mais à la base il n’y en a que trois : karma, bhakti,
jnana. Beaucoup de choses peuvent être conceptualisées. Prenez
ce principe scientifique selon lequel notre univers est infini. Mais
il est également fini car il se dilate ; comme il est en expansion il
ne peut pas être infini ! Et nous pouvons nous poser la question de
savoir s’il existe un espace dans lequel il se dilate.Les scientifiques
apportent une réponse en disant qu’il crée cet espace dans lequel
il va exister ! Certaines de ces choses on ne peut les comprendre
avec la tête, parce que nous avons des limitations conceptuelles !
Une de ces limitations est de supposer que nous avons besoin
d’espace pour se dilater.
Nous avons cette difficulté lorsque les étudiants passent de la
géométrie plane à la géométrie dans l’espace, où les théorèmes
de Pythagore ne sont plus opérants. Et si vous allez dans la
dimension des mathématiques, tout va n’importe comment  !
Alors vous finissez par comprendre qu’il n’y a rien de juste ni
rien de faux, sauf dans un contexte particulier. Changez le cadre
de la référence, et tout devient possible. C’est pour cela que je dis
Retour →sommaire des mots et merveilles 240

que l’entraînement du mental est là pour dépasser ses propres


limitations, car qui crée les limitations conceptuelles  ? Nous-
mêmes.
Nous avons été conditionnés à travailler avec nos limitations.
Par exemple, il y a des barrières mobiles aux péages qui peuvent
dévier la circulation d’un côté ou de l’autre selon l’intensité du trafic,
ce qui veut dire simplement que les cadres de référence sont essentiels
pour mettre le doigt sur certaines zones du savoir. Néanmoins, notre
mental doit avoir la capacité de dilater ces barrières ou de s’en passer.
C’est la même histoire avec cette expansion verticale et
horizontale. Comme mon Maître le disait  : «  Vous pouvez
nager éternellement à la surface de l’océan et ne jamais
ramasser de perles. Mais si vous plongez ...  » Cette
expansion à l’horizontale peut se poursuivre à l’infini.
A. : Comment expliquez-vous que la tradition se soit perdue,
malgré les rishis et les grands acharyas ?
P. R. : Qu’y a-t-il à expliquer ? Le fils n’est pas nécessairement
plus élevé que le père. En science il y a ce concept de l’évolution selon
une flèche, mais cela ne semble pas marcher. Dans une rivière il
y a des tourbillons sur les bords alors que le courant principal se
poursuit. Cela dépend essentiellement de vos tendances humaines
individuelles. Combien de personnes veulent entendre parler de
ces choses ? La tradition se perd tout simplement comme cela.
Plus tard.
A. : Je ne suis pas un Arjuna pour mériter la visite de Krishna,
comment faire ?
P. R. : Au contraire, Krishna dit : « Je suis là en vous. Je n’ai pas
à venir ni à m’en aller. Réfère-toi ici – le cœur – et non pas là – la
tête –. » Le message de la Gita est très clair  : «  Je suis dans le
cœur de chaque chose créée.  » Mon Maître disait  : «  S’il y a
doute, référez-vous au cœur. » La tête donne des décisions
... (Inaudible.) et le cœur donne des décisions morales, c’est
Retour →sommaire des mots et merveilles 241

pourquoi nous préférons consulter la tête plutôt que le cœur.


La tête rationalise  : ceci est bien, car qui ne le fait pas  ? Tout
le monde le fait, alors ... Cela peut être vrai, cela peut être faux,
alors on rationalise. On sait ce qui est correct et ce qui est
erroné. J’ai la conviction absolue que nous n’avons pas besoin
d’éducation morale. Nous sommes totalement éduqués, mais
nous choisissons de l’ignorer, et nous préférons nous référer à
cet ordinateur stupide que nous appelons le cerveau : « Mais oui !
Pourquoi pas ? Pour vendre, donne donc un pot de vin, pourquoi
pas, tout le monde le fait, pourquoi pas toi ? »
Donc cette idée que l’on a besoin d’un Krishna pour savoir ce
qui est juste et ce qui ne l’est pas, est fondamentalement erronée.
On peut voir sur le visage d’un enfant ce qui se passe, il sait qu’il
fait mal. Comment le sait-il  ? Il n’a pas l’enseignement d’un
Krishna. C’était sage et subtil ce que disait mon Maître et tant
qu’on n’a pas appris à écouter cette voix du cœur et à l’activer,
cela reste presque inaudible. C’est comme la veilleuse d’un
chaudière qui brûle sans interruption. Si vous ouvrez le robinet,
tout s’enflamme. Ici, si nous écoutons le cœur tout reprend vie,
mais nous choisissons de l’ignorer car nous sommes obnubilés
par la prospérité matérielle, la richesse, la réussite. Vous pouvez
dire : « J’ai vingt-deux ans, je passe six semaines ici, vous, vous
êtes vieux, vous pouvez vous permettre maintenant que vous
êtes arrivé à la retraite au sommet de votre carrière de parler de
moralité ! »
Même un chien, s’il a fait une bêtise, rase les murs ! Le sens
moral, c’est quelque chose de l‘ordre de la boussole. Il pointe
toujours vers la même direction. Il fait parti de nous, peut-être
pour cette seule raison que nous en avons besoin dans notre
voyage évolutif. Pour tout le reste, le cerveau suffit. Il ne s’agit
pas d’un voyage infini sur l’océan et en cercle  ; l’évolution est
verticale. C’est pourquoi une simple plongée dans l’évolution
Retour →sommaire des mots et merveilles 242

nous emmène dans des dimensions au-delà de notre niveau


d’existence.
Et c’est la véritable solitude.C‘est la solitude du chef d’entreprise
par exemple, dont on dit  : il est seul au sommet. La véritable
solitude est celle du Maître qui est obligé de partager la vie des
gens, de vivre avec eux, de faire semblant d’être comme eux, alors
qu’il y a un espace énorme entre lui et les autres. Cela est exprimé
de façon magnifique dans le mythe de la création du Seigneur
Brahma. Brahma n’a pas été crée, il est né de lui-même, et il se
sent seul. Et pour surmonter sa solitude, il crée. Vous trouverez
que la plupart de la création humaine est ainsi : elle sert également
à surmonter la solitude. Mais alors le sens moral doit intervenir :
« Est-ce juste ? »
Il y a toujours ce dialogue, ce conflit.
Retour →sommaire des mots et merveilles 243

appendice

Le Sahaj Marg

Le Sahaj Marg ou la Voie Naturelle, est une nouvelle méthode


d’entraînement spirituel, spécialement conçue pour répondre
aux besoins de l’homme d’aujourd’hui. Elle lui permet de réaliser
l’union avec la source divine en lui, dans le cadre d’une vie
familiale et professionnelle.
Le Sahaj Marg découle de l’essence du raja-yoga  : le yoga
royal de l’Inde antique.
Dépourvue de tout rituel et cérémonie, la pratique, très simple
est tout entière centrée sur le cœur de l’aspirant. Elle lui apporte
la seule nourriture dont il a besoin : la force de vie originelle qui
est à la source de toute chose.
Par la méditation et la purification du cœur, toutes les activités
mentales de l’aspirant se trouvent progressivement régulées et
réorientées vers sa source divine. Alors s’installe un état de calme
et de paix intérieure, première étape du développement spirituel.
La transmission d’énergie divine (pranahuti) est une révolution
dans l’histoire de la spiritualité. Elle éveille l’âme du pratiquant,
transforme tout son être et l’amène à la divinisation.
La méthode du Sahaj Marg est enseignée et pratiquée dans le
cadre de la Shri Ram Chandra Mission, fondée le 31 mars 1945
par Shri Ram Chandra.
Retour →sommaire des mots et merveilles 244

Par son exemple, ce dernier montra qu’un être humain pouvait


en une seule vie, atteindre les plus hauts niveaux de perfection
spirituelle, tout en continuant d’assumer ses responsabilités
familiales et professionnelles.
Organisation à but non lucratif, la Shri Ram Chandra Mission
a pour objet de faire connaître le message du Sahaj Marg et
de permettre à tous les chercheurs en quête de l’Ultime de
se développer spirituellement jusqu’aux plus hauts niveaux
accessibles à l’être humain.
La Shri Ram Chandra Mission est guidée par un Maître
spirituel, Parthasarathi Rajagopalachari, désigné par Shri Ram
Chandra comme son représentant spirituel et successeur.
Il est assisté dans son œuvre par des précepteurs qui sont
des personnes spécialement préparées par lui, pour assurer
l’entraînement spirituel dispensé dans les divers centres de
méditation que la Mission compte à travers le monde.
Les services spirituels de cette Mission, dont le siège mondial
est en Inde, sont gratuits et ouverts à toute personne d’au moins
dix-huit ans, sans discrimination de race, de sexe ou de classe
sociale.
Retour →sommaire des mots et merveilles 245

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