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Traduit du suédois par Marie Valera

À l’école, il y a un trou
derrière le gymnase.
On l’appelle le Trou.
Il y a très longtemps, quelqu’un a enlevé un énorme tas de gravier et a laissé
un trou. Depuis, un taillis et des racines ont poussé et tout le monde peut jouer
dans le Trou. Il y a des montées et des descentes, des branches et des pierres
et, dans un coin, il y a de la terre jaune qui ne disparaît jamais ! Un jour, Adèle
a creusé pendant toute la récré, mais elle n’a jamais réussi à enlever la terre jaune !
La Grande Racine est l’endroit que je préfère dans le Trou.
À la Grande Racine, on peut jouer à tout ce qu’on veut :
un, deux, trois, soleil !, la cabane, cache-cache,
la marchande… tout ! L’une des petites racines
est devenue toute douce tellement
on a grimpé dessus. Elle est lisse comme
une poignée de porte !
Les adultes détestent le Trou.
Ils ne veulent pas qu’on joue
dedans, car on risquerait
de mourir.
– Vous pourriez tomber et
vous faire mal, s’affole Éva.
– Ça m’est arrivé un jour, dis-je.
Mais ce n’était pas dans le Trou, c’était
sur le parcours de gymnastique, quand
Hanne a sauté de l’espalier et a atterri
sur moi au lieu du matelas.
Éva ne répond pas. Elle fait juste
une petite moue et tourne la tête.
– Le Trou est quand même dangereux,
dit-elle en grommelant.
À la récré, tout le monde se précipite dans le Trou. On n’est même pas
obligés de jouer tous ensemble, car chacun a son petit coin. Certains font
un concours de sauts, d’autres des roulés-boulés, et nous, on joue
aux chevreuils. Les adultes font la tête au bord du Trou.
– Pourquoi vous ne jouez pas au foot ou à la balançoire ? crient-ils.
Paul attrape un ballon et fait quelques tours sans intérêt.
– Parce qu’on n’a pas envie ! hurle-t-on.
C’est aussi simple que ça. On aime le Trou
et rien d’autre.
Un jour, on décide de construire un parcours.
On prépare les obstacles à enjamber, à traverser
ou à escalader. Ensuite, il faut tenir en équilibre
sur un rondin, puis gravir une montée. Grimper,
c’est trop facile ! Ce parcours est vraiment chouette.
Trois, deux, un, partez ! Ça va vite et les visages rougissent.
– Oh non ! s’écrie Éva. Je sens que quelque chose
va arriver ! Quelqu’un va se casser les dents !
Mais il ne se passe rien du tout.
Et personne n’a les dents cassées.
Douze jours passent et personne ne se fait mal sur le parcours.
Mais en y retournant, après le goûter, Adèle trébuche sur
ses lacets. Elle n’a pas le temps de poser ses mains par terre
et tombe directement sur son nez. Le sang coule et le visage
d’Adèle est couvert d’écorchures pleines de saleté.
– Qu’est-ce que je vous avais dit ? lance Éva après avoir
mis des pansements à Adèle.
Éva ne veut plus qu’on aille dans le Trou.
– POURQUOIII ? hurle-t-on complètement affolés.
Mais Éva répond seulement PARCE QUE.
– À partir d’aujourd’hui, vous jouerez à la balançoire
et à la marelle pendant la récréation, annonce-t-elle.
Toute la classe fait une petite moue et tourne la tête.
– Le Trou, c’est plus rigolo, dit-on en bougonnant.
Les balançoires grincent toute la semaine. Mais il est interdit
de se balancer debout, de sauter en prenant son élan, de faire
la toupie avec la balançoire, et d’aller trop haut.
Plus personne n’a envie de jouer à la marelle et les ballons sont
à moitié dégonflés.
– Ça vous dérange qu’ils soient un peu raplapla ? demande Paul.
Oui !
Au bout de quelques jours, on retourne au Trou.
Mais tout le monde reste au bord. On creuse,
on se tient en équilibre, on joue avec les feuilles,
ou on balance seulement les jambes dans le vide.
Évidemment, les adultes ne sont pas très contents.
– Mais on n’a rien fait !
On n’est même pas dans le Trou.
Le Bord est vraiment chouette. On trouve tout le temps
des nouvelles choses à faire. Karim propose même de refaire
un parcours. Le Bord devient vite tout lisse. L’herbe est remplacée
par de la terre. On peut passer par-dessus toutes les pierres, et on
connaît chaque petite racine. On peut aussi jouer aux pompiers.
Parfois, on imagine qu’il y a du feu. Et si on prend une corde
à sauter, on peut savoir qui la lance le plus loin.
Vendredi, j’ai une envie pressante pendant qu’on joue au Bord.
En passant devant la salle des maîtres, j’entends les adultes parler à l’intérieur.
– Ça ne peut pas continuer ! s’exclame la voix d’Éva. Quelqu’un va finir par tomber !
– Il faudrait reboucher le trou ! dit Paul.
Je ne reste pas, car je dois vraiment aller faire caca. Puis vient le week-end,
et, de toute façon, personne ne va à l’école le week-end.
Quand on retourne à l’école lundi, le Trou a disparu.
Et le Bord aussi. Le sol est tout plat et tout dur !
Il n’y a nulle part où faire des roulés-boulés.
Nulle part où se suspendre. Nulle part où ramper
à genoux, créer un parcours, ou jouer à l’incendie.
Tout ce qu’on peut faire, c’est marcher droit devant soi !
Mais soudain, on aperçoit quelque chose.
Un gigantesque Tas est apparu dans la cour, avec du gravier,
du sable, des pierres, et aussi un taillis, des souches et des
buissons. On dirait une montagne avec un peu tout et
n’importe quoi dessus. Tout le monde s’élance vers le Tas.
On grimpe et on s’accroche, on creuse et on fouille. On joue
jusqu’à l’arrivée des parents à quatre heures. C’est génial !
Le Tas est encore mieux que le Trou et le Bord.
Demain, c’est sûr, on reviendra tous au Tas.
LE REPAIRE
d’Emma Adbåge
a été achevé d’imprimer en décembre 2018
sur les presses de l’imprimerie Jelgavas Tipografija.

Éditions Cambourakis
62, rue du Faubourg-Saint-Antoine
75012 Paris
www.cambourakis.com

Dépôt légal : janvier 2019.


ISBN : 978-2-36624-386-4
Imprimé en Lettonie.

Titre original :
Gropen

© Emma Adbåge.

First published by Rabén & Sjögren, Sweden, in 2018.


Published by agreement with Rabén & Sjögren Agency.

Cette traduction a été publiée avec le soutien du Swedish Arts Council.

© Éditions Cambourakis, 2019 pour la traduction française.

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