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Jean-Paul SARTRE (1905-1980)

Le théâtre français du XXe siècle frappe par son aspect hétéroclite, tradition et
expériences diverses se partagent la scène. Dans le cadre de toute cette diversité, trois
directions plus importantes s'imposent à l'observation: le théâtre de tradition, le théâtre
existentialiste et le théâtre de l'absurde.

Célèbre fondateur et représentant de l'existentialisme athée français, promoteur d'une


pensée et d'une action souvent contradictoires et contestables, Sartre a été l'une des
personnalités proéminentes de la culture européenne au XXe siècle. Philosophe, romancier,
dramaturge, critique littéraire, journaliste et militant politique, il a influencé profondément la
spiritualité contemporaine et a marqué aussi un moment d'exception dans l'histoire de la
littérature française. De son œuvre dramatique, on peut citer: Les Mouches; Huis -clos; Morts
sans sépulture; La Putain respectueuse; Les Mains sales; Le Diable et le Bon Dieu; Kean.

Le théâtre de Jean-Paul Sartre est un théâtre d’idées par excellences, mettant en scène
des personnages qui incarnent les principes fondamentaux de sa philosophie. Le thème central
y est celui de la liberté (on l’appelle d’ailleurs un « théâtre de la liberté »), mais comme il n’y
a de liberté qu’en situation, ce théâtre est surtout un « théâtre de situation », comme
l’appelle l’auteur lui-même.

Constitué, en partie, comme une réaction à l'idéalisme rationaliste de souche


cartésienne ou néo-kantienne, l'existentialisme athée de Sartre est une théorie de l'Être. L'Être
est par excellence l'indéfinissable; étant le concept le plus général, il n'a pas de genre prochain
ni de différence. De plus, toute définition doit obligatoirement employer la copule est. Il est
l’être-en-soi la seule énonciation possible qu'il tolère c'est qu'il est. Ainsi, l'Être n'est pas voué
à l'intellection. Il n'est accessible qu'à une compréhension intuitive de la conscience.

Sartre développe une phénoménologie de la conscience, qui est une liberté qui institue
le sens dans le monde. Elle n'est pas identique à elle-même; de par sa nature engagée dans un
devenir perpétuel, elle existe. La conscience à l’ avenir devant soi et se projette en avant; en
tant que projet elle est l’être-pour-soi (ou le pour-soi). Elle existe tout d'abord et ensuite, du
fait de sa liberté, se donne une série de déterminations (par des choix successifs) en acquérant
son essence. La proposition „l’existence précède l'essence” (inversion évidente de la
philosophie platonicienne) est le postulat suprême de la pensée de Sartre. C'est pourquoi
„l'homme est l'avenir de l'homme”, il „est ce qu'il se fait" parce qu'il est „condamné à être
libre". Poussée continuellement devant un nouveau choix, la conscience n'éprouve sa liberté
qu'à travers cette tonalité affective qu'est l'angoisse.

Avec sa première pièce de théâtre, Les Mouches (1943), Sartre procède à une
réinterprétation existentialiste du mythe grec des Atrides. Le véritable thème du drame c'est
l'histoire d'une conversion à la liberté. Après un exil de quinze ans, le jeune Oreste, fils
d'Agamemnon et de Clytemnestre, revient dans sa ville natale qu'il ne connaît point. Égisthe
et Clytemnestre, assassins de son père, règnent tranquillement sur un peuple auquel ils ont
infligé le remords perpétuel de leur crime. Le trajet que parcourt Oreste mène d'une liberté
inconsistante, caractérisée par une disponibilité vide et insensible à rengagement, vers une
liberté-en-situation avec son corollaire, la responsabilité totale à l'égard de l'option assumée.
Si, au début, Oreste se sent étranger il arrive finalement, par suite d'une révélation fon-
damentale, à l'évidence de sa liberté-pour-quelque-chose qui anéantit toute immixtion
éventuelle du pouvoir divin. En s'identifiant à cette nouvelle liberté, Oreste transgresse l'ordre
moral fondé sur le sens conventionnel du Bien et du Mal et invente une issue plus qu'il ne la
choisit (car le choix se définit et reste toujours dans le cadre d'un état antérieur). Il commet
donc le double meurtre et assume consciemment son acte justicier en tant qu'acte bon; par
contre, le peuple d'Argos exècre ce crime perpétré au nom de la morale commune tout comme
Electre s'en repent pétrifiée d'horreur. La parabole qui achève la pièce suggère la dimension
prométhéenne de l'acte accompli par Oreste; par la punition des coupables la ville a été
délivrée des remords (symbolisés par les mouches), mais le sauveur doit s'exiler pour toujours
afin d'éviter le retour à la situation initiale. Sa tragédie consiste dans cette solitude de la
conscience qui le sépare à jamais de ses semblables. Dans Les Mouches c'est l'aspect
irréductible du pour-soi qui est mis en évidence ; le héros partira seul, incompris, avec son
acte bon et injustifiable.

Huis-clos (1944) aborde, sous un certain jour, le thème : la relation réciproque des
consciences. L’auteur pos le problème du rapport avec les autres. Structure essentielle de la
subjectivité (c'est-à-dire du pour-soi), l'être-pour-autrui devient une source intarissable de
conflits dès que l'homme tente de contourner sa plus intime possibilité existentielle - la liberté
responsable.

À la place du reflet rassurant qui le dispenserait de vivre constamment dans l'angoisse du


choix, il s'expose souvent à ne plus recevoir en retour qu'un regard tortionnaire jugeant
impitoyablement de ses actes.

La mauvaise conscience des trois personnages - Garcin, Estelle, Inès - réunis après la mort (et
ne subsistant que par la convention dramatique) dans une chambre infernale aux apparences
plutôt familières, s'avérera vulnérable à la présence maligne d'autrui-inquisiteur. Aucune issue
n'est octroyée à ces êtres pris dans un engrenage diabolique qui les rend à la fois victimes et
bourreaux ; leur vie s'est irrévocablement fermée derrière eux et, faute de pouvoir accéder à
un nouvel acte qui en modifierait le sens, chacun sera livré au jugement éternel des autres.

La conclusion accablante de la pièce : „L'enfer c'est les autres" ne vise pas à être une sen-
tence universelle, car, sur la terre, une individualité vivante a toujours la possibilité de
rectifier la signification de son existence à condition d'assumer librement la responsabilité de
ses actes passés et futurs.

Avec la pièce Morts sans sépulture (1946) le théâtre sartrien insère la conscience dans
l'histoire réelle. Sartre revient au thème du condamné à mort qui avait fait l’objet de la
nouvelle Le Mur. Le conflit n'a plus lieu dans l'atmosphère pure et raréfiée des entités ab-
straites; l'impact de la réalité immédiate (un épisode de la Résistance), accompagné d'un
nouveau thème, celui de la torture corporelle, introduit une tension dramatique particulière.
Dans ce drame, la conscience d'une condition commune qui engendre la solidarité surmonte la
doctrine plutôt „individualiste” de l'existentialisme sartrien. Morts sans sépulture annonce
déjà la réorientation idéologique de l'auteur qui marquera de façon décisive sa pensée
ultérieure.

Avec Les Mains sales, un tournant radical se produit dans la pensée philosophique et
littéraire de Sartre, car il dépasse le subjectivisme qui caractérisait ses réflexions sur l’homme
et le monde, vers une conception plus réaliste et concrète dans tous les sens. Dans cette pièce
l’auteur utilise la technique cinématographique du flash-back, ou du retour en arrière. Cette
technique permet à l’auteur de mieux marquer les antinomies tragiques du personnage et de
révéler la signification profonde de la pièce, qui témoigne d’une tentative pour briser les murs
de la conscience malheureuse afin d’accéder aux sources de l’existence authentique.

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