JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.
Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms
Editions Esprit is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Esprit
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Balzac et l'obsession de l'infini
PAR CAMILLE BOURNIQUEL
980
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CAMILLE BOURNIQUEL
nahe comme une véritable plaque tournante. Aucune cassure.
Aucun prosélytisme. Moins encore de condamnation catégori
que de cet « usage saturnien de la pensée » dont Louis Lambert
représente la limite. Son expérience centrée sur le rêve restait
valable, qui lui avait permis de découvrir « le fond de l'âme »
et la réalité de ce mystère ambiant.
Balzac allait l'amener à faire le point. Non certes le Balzac
revendiqué par l'école naturaliste, ni celui auquel Emile
Faguet et tant d'autres ont cru pouvoir donner des coups de
règle sur les doigts pour chaque manquement au goût, à la
vraisemblance ou à la syntaxe. Et ni un mage, comme Hugo ;
ni un prophète, comme Tolstoï. Mais l'homme d'une certaine
vision : un obsédé de l'infini.
Ce que Béguin aperçoit chez Balzac, c'est moins ce que ce
dernier doit à Boehme, Saint-Martin et Swedenborg, que cette
dimension métaphysique qui apparaît dès La peau de chagrin.
Peu lui importe que cette manie de l'occulte ait ses sources
chez Maturin, ou sorte du Confessionnal des pénitents noirs
de Mrs Ann Waerd Radcliffe. Peu lui importe que Balzac ait
si mal compris son non moins cher Hoffmann, tout en dévalisant
à l'occasion ce dernier. Peu lui importe que dans Le Cousin
Pons, l'Allemagne romantique se voie pénalisée pour « ce
besoin de prêter une signifiance psychique aux riens de la
création, qui produit les œuvres inexplicables de Jean-Paul
Richter, les griseries imprimées d'Hoffmann et les garde-fous
in-folio que l'Allemagne met autour des questions les plus
simples ». Peu lui importe que les idées religieuses de Balzac,
défenseur du trône et de l'autel, soient d'une effarante impré
cision, même en regard d'une théologie basique. Peu lui
importe que l'auteur de Séraphita ait emprunté ses anges à
Thomas Moore, à Blake ou à Vigny, et son fatras théoso
phique à l'Abrégé swedenborgien de Daillant de la Touche.
Béguin ne se laisse pas démonter par tant d'impétuosité et de
contradictions. C'est un fait, Balzac s'empêtre, se leste de plomb
quand il veut voler sur les cimes, devient opaque et déses
pérément didactique quand, oubliant que sa puissance est
ailleurs, il s'emploie à convaincre et à édifier. C'est un fait aussi
que ses anges tournent un peu à la bécasse, suscitant plutôt
chez le lecteur des instincts carnassiers que les ravissements
du sublime, alors que cet angélisme apparaît chez lui tout
naturellement dans les créatures les plus terre à terre (l'admi
rable porteur d'eau de la Messe de l'athée) et surtout dans ce
monde des filles, des courtisanes et des garçons entretenus « qui
reste peut-être, parmi la platitude moderne, le seul monde
féerique ». Balzac, souvent si guindé dans les bons sentiments
982
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CAMILLE BOURNIQUEL
Bianchon, jusqu'à son dernier souffle. Et Béguin de marquer
l'envoi par cette affirmation que l'ouvrage ne fera qu'expliciter :
« Balzac possède une science de l'âme et un sens de la destinée
que je ne trouve que chez lui. »
On a toujours crédité l'oeuvre de ce jeu de forces, en partie
occultes (au sens littéral), que sont l'Argent, la Police, l'Aris
tocratie et la Pègre ... et sur quoi se fonde la société. C'est
quelque chose que Balzac en effet a bien vu et décrit ; de
même que plus tard Zola introduira la grève, les syndicats,
les grands magasins et la machine dans l'univers romanesque.
On a souvent dit qu'il avait été le meilleur historien de son
temps. C'est un jugement très partiel que de masquer ce
pouvoir de transfigurer le réel, souvent de l'inventer du tout
au tout, derrière l'intérêt documentaire, le sens du pitto
resque et de la description, l'observation sociologique ou la
psychologie.
En réalité, si ce jeu de forces cachées existe bien, il s'agit
de forces « autres qu'humaines » ... « elles se nomment aussi
Matière et Esprit, Vie et Energie, Enfer et Paradis, Dieu et
Satan. Autour de chaque être vivant ... elles forment l'im
mense conjuration de la destinée et ouvrent sa brève existence
sur les espaces illimités des origines, des profondeurs ances
trales, des prolongements dans l'avenir et les générations,
des fins dernières. »
Comédie Humaine, Divine comédie, le rapprochement se
fût imposé de toute façon. Ce qui distingue ces deux voyages
alchimiques, ces deux itinéraires vers une connaissance, c'est
que chez Dante, la mort ayant déjà frappé son arrêt, le carac
tère ascendant de la vision reste partout indiqué, alors que
chez Balzac la vie n'est ni dépassée ni jugée, et que tout se
tient, tout reste encore en suspens dans l'épaisseur temporelle,
l'intrication des existences.
Psychologie, sociologie, biologie, histoire ont certes leur
part dans ce mécanisme existentiel aux innombrables connec
tions. Avec minutie, et souvent délices, Balzac le décrit. Il ne
manque pas une occasion de tirer son chapeau à Lamarck,
Cuvier et Laplace, et également à Gall et à Lavater. Il aime
se sentir cautionné. Les sciences exactes le fascinent, et lui
servent souvent d'alibi. Celles aussi qu'il croit exactes, comme
la physiognomonie, la phrénologie (cette mode qui a pu
entraîner des carabins à voler la tête de Goya), ou encore
le rapport entre le nom d'un individu et son caractère ; doc
trines qui déjà marquent un glissement vers le signe et l'ana
logie, et font surgir de la réalité quotidienne cet étrange
univers totémique, correspondances et symboles.
984
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CAMILLE BOURNIQUEL
986
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
937
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CAMILLE BOURN1QUEL
Balzac n'applique pas une méthode consciente pour aboutir
à la révélation ou à l'envers des choses. Il ne cherche pas, nous
dit Béguin, à désorienter dès l'abord le lecteur. Même s'il
se veut voyant, et déclare, dans Louis Lambert, vouloir « arra
cher des mots au silence et des paroles à la nuit », il ne se
livre pour cela à « aucun dérèglement systématique des sensa
tions à la manière de Rimbaud. Non, c'est bien les choses qu'il
regarde, et c'est bien le sens de la vue, avec les autres sens
associés, qu'il emploie d'abord à son enquête. La réalité reste
pour lui le nécessaire cheminement de toute transcendance.
Comme il le dit dans Séraphita : « La terre est la pépinière du
ciel. Le mouvement de spiritualisation des apparences —
Béguin précise : « de transmutation magique du terrestre » —
ce mouvement ne cesse de partir du bas. « La réalité est là,
solide, concrète, inébranlablement établie dans son équilibre
de matière connue... Et pourtant, ces blocs du réel, tout sem
blables à ce qu'ils sont quand nous rêvons le moins, semblent
ici émerger d'une grande ombre, d'une immense mer d'eau
nocturne, dont les flots mouvants entourent de toutes parts
les apparences inchangées des choses. Mieux encore, cette
réalité qu'on croyait d'abord empruntée à l'observation de la
vie courante, c'est comme si elle ne demeurait pas extérieure,
comme si elle était elle-même le produit du rêve, une terre
formée par la vague et dont l'immobilité ne serait qu'illu
sion. »
Que se passe-t-il donc? A quoi reconnaîtrons-nous le chan
gement qui s'est opéré ?... Cette transgression du réel, ou cette
intégration de la réalité au rêve, peut naître aussi bien d'une
certaine monotonie du récit que de l'exagération. Laissons
de côté ces zones désertiques auxquelles il a déjà été fait
allusion. Balzac appuie, Balzac force. « Depuis le sommet
de l'aristocratie jusqu'aux bas-fonds de la plèbe, tous les
acteurs de sa comédie sont plus âpres à la vie, plus actifs et
rusés dans la lutte, plus patients dans le malheur, plus goulus
dans la jouissance, plus angéliques dans le dévouement, que la
comédie du vrai monde ne le montre » notait Baudelaire, qui
ajoutait : « Toutes les âmes [chez Balzac] sont des âmes char
gées de volonté jusqu'à la gueule. »
C'est que devant cette réalité, Balzac ne reste point passif. Il
l'absorbe avec une boulimie sans égale, mais en même temps
la recrée. Le passage fameux où il raconte au début de Facino
Cane comment est né en lui le romancier visionnaire éclaire
parfaitement le processus. « Lorsque, entre onze heures et
minuit, je rencontrais un ouvrier et sa femme revenant de
l'Ambigu Comique, je m'amusais à les suivre... En entendant
988
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
989
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CAMILLE BOURNIQUEL
Il y a donc toujours chez Balzac deux niveaux dans l'imagi
naire : l'un anecdotique, fantastique ou émotionnel, et en
principe, immédiatement accessible au lecteur; l'autre en rap
port avec une symbolique qui régit tout son système plané
taire.
Une nouvelle comme La fille aux yeux d'or permet de les
distinguer. On peut n'y voir qu'un cas d'homosexualité fémi
nine. Sarrasine de même est un cas : celui d'un Français qui
tombe éperdument amoureux à Venise d'une diva, laquelle
se révélera être un castrat entretenu par un cardinal. Nous
retrouverons à Paris le giton momifié, presque centenaire,
entouré de tendresse et de respect par une famille qui lui doit
sa fortune. Doit-on, peut-on faire un roman sur un cas physio
logique ? C'est une question qu'on se pose toujours en lisant
Armance de Stendhal.
La fille aux yeux d'or, c'est donc également un cas, et sca
breux, et qui trouve sa place dans ce que Béguin nomme « la
cosmologie sexuelle » de Balzac. Et l'on pourrait s'en tenir là.
Mais le mélodrame érotique disparaît presque derrière l'ambi
tion que Balzac a eue ici « de faire du Delacroix, et d'ap
procher le secret du symbolisme des couleurs ». C'est la pré
dominance du rouge (le sang de Paquita et les tentures) et de
l'or (la couleur des yeux de la malheureuse) qui en fait l'attrait
principal. Pour Balzac, la scène sanglante de l'épilogue, où
la marquise lacère le corps de Paquita, maculant de pourpre
le satin des meubles, devait avoir cette intensité dramatique
qu'on voit à la Desdémone de Delacroix, et le luxe tragique
d'une Venise tournée vers les rivages d'Orient. » Cette victoire
du rouge grâce au massacre de la pauvre aimée par sa mar
quise de San Réal suggère d'autres luttes entre les forces
cosmiques affrontées. Et Béguin de constater devant le moyen
utilisé pour passer du fait-divers à la mythologie : « Seuls
les esprits mystiques — Novalis, Nerval, Baudelaire — peuvent
admettre que les couleurs sont secrètement chargées, non seu
lement de traduire notre existence profonde, mais de nous
faire accéder à l'intelligence de l'univers. »
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
II
Que le Balzac visionnaire ait été écrit en 1946, six ans après
sa conversion, ne laisse pas de surprendre. N'est-on pas en droit
d'y voir comme un retour, un chapitre rajouté à L'âme roman
tique ?
Sans doute, comme le note Gaétan Picon, « la naissance de
ce petit volume est marquée de quelque contingence ». Mais
peut-on nommer hasard, quand il est question de Béguin, ce
qui répondait de façon si évidente à un choix intérieur ?
Avouons que dans le cas contraire il eût mis quelque com
plaisance à se retrouver aussi à l'aise sous le trépied delphique.
On s'étonnerait en effet que, converti, rallié à un combat
991
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CAMILLE BOURNIQUEL
plus actuel, il ait opéré cette nouvelle plongée, si précisément
celle-ci ne correspondait à un examen personnel, à une sorte
d'auto-critique indirecte, ainsi qu'à cette forme d'engagement
qu'il a lui-même définie. Le livre est né au confluent de deux
expériences — disons, poétique et mystique, pour simplifier —
et d'une vision plus humaine, plus proche de l'événement. Pages
rapidement écrites certes (un mois, paraît-il), mais non occa
sionnelles et dans lesquelles on retrouve cette part d'interroga
tion personnelle qui s'est toujours reflétée, transposée même,
dans les œuvres qu'il sondait de ce regard exigeant et profond,
au point de faire de ces œuvres les pierres angulaires de sa
propre destinée.
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
993
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CAMILLE BOURNIQUEL
La façon dont Béguin a été amené à reprendre le propos
pourrait s'inscrire dans cette suite de hasards où lui-même
voyait comme les maillons d'une chaîne. Là encore Balzac aura
joué le rôle d'un mystérieux aimant.
Entre la première édition de L'âme romantique et le Balzac
visionnaire, presque dix ans s'étaient écoulés. Aucune rupture,
mais une évolution qui a des aspects religieux, philosophi
ques, politiques et humains. Comme l'écrit dans une étude
récente Mme Dorothée-Juliane-Franck 2, « la destinée d'Albert
Béguin va de l'isolement à la communion avec autrui, de la
souffrance close sur elle-même à la souffrance intégrée dans
l'ensemble de l'humanité pour s'identifier à la souffrance du
Christ en croix ». Comment Béguin a-t-il pu passer d'Hes
perus au Dialogue clés carmélites, sans abandon, mais comme
à travers plusieurs phases d'élucidation et de retours sur soi
même ? C'est je pense dans son Balzac qu'il faut aller cher
cher la réponse.
994
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
995
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CAMILLE BOURNIQUEL
la volonté de puissance, les aberrations mystiques... « Il semble
que le même élan qui jette Novalis ou Hölderlin à la plus ris
quée des aventures spirituelles et qui fait se briser Nietzsche
sur les écueils, lance la nation allemande à la possession de la
terre. »
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
997
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CAMILLE BOURNIQUEL
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
999
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CAMILLE BOURNIQUEL
On peut voir là un pessimisme profond. Cette loi du temps
joue non seulement contre l'homme qui use ses forces et son
génie (comme Balzac a usé les siens) pour tenter de la vaincre,
mais également pour « les ambitieux en quête de puissance et
d'argent... Rubempré, Rastignac, Nucingen ». Mais le mal, lui
aussi, est une forme d'énergie. Aussi voit-on Balzac, dans son
Melmoth réconcilié, appliquant cette fatale usure à la puis
sance démoniaque, à mesure qu'elle se transmet d'une créature
à l'autre, aboutir à une prophétie que l'on pourrait nommer,
avant Hugo : la fin de Satan.
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
CAMILLE BOURNIQUEL
nuit qu'il l'interrogeait. Peu lui importait que sa démarche
eût été aussi incertaine, puisque, à partir d'aussi illusoires cer
titudes, il avait pu réaliser son grand œuvre.
Béguin discernait clairement ce qu'une telle obsession avait
pu représenter dans les siècles passés et en particulier en un
siècle qui avait consacré le triomphe de la bourgeoisie. Cette
volonté de déchiffrement avait aussi été celle de la poésie. Et
il convenait d'admettre que celle-ci avait contribué, plus
qu'aucune discipline intellectuelle, à ramener dans la cons
cience moderne le sens des interrogations métaphysiques. Ce
retour s'était fait par des voies parallèles, souvent sous le
couvert de l'hermétisme, en s'appuyant sur la « tradition » et
la pensée symbolique. Si l'on écartait les charlatans et les mys
tagogues de basse lignée, restait une aventure qui s'était repro
duite plusieurs fois au cours de l'histoire et dont il devenait
urgent de reconnaître l'authenticité et le sérieux.
Cela aura été un des grands mérites d'Albert Béguin. Pour
expliquer cet effort vers une compréhension globale, fallait-il
remonter jusqu'aux présocratiques ? admettre que l'inquiétude
du poète correspondait à un manque, à une nostalgie de
l'unité perdue, à un espoir de la restitution future de cette
harmonie ? Fallait-il admettre que la fin de la spiritualité
médiévale était à l'origine de la multiplication des sectes gnos
tiques ? qu'au xvme siècle, l'Illuminisme avait contrebalancé
l'Encyclopédie, et qu'au xixe le « romantisme intérieur » avait
été comme une réaction au scientisme ?...
Pour Béguin, la réponse n'était pas seulement d'ordre histo
rique. Il ne faisait pas de doute pour lui que Nerval et Rim
baud avaient été de véritables initiés. Mais si Les chimères
restaient inexplicables en dehors des opérations alchimiques et
des images du Tarot, ce n'était là encore qu'une voie d'accès
à leur déchiffrement. La poésie a-t-elle jamais été autre chose
qu'un effort de connaissance globale ? Ramener le poème à
ses motivations symboliques, c'est le situer en deçà d'un secret
qui est dans le poète lui-même, et échappe de toute manière
à tous les systèmes de références.
Ainsi, pour Béguin, la poésie reste-t-elle une voie privilé
giée et autonome vers le mystère de l'être. Elle n'est jamais
formule, conjuration, arcane, transe ou divagation : nous
reconnaissons un langage, une voix, c'est toujours quelqu'un
qui parle. On peut l'assimiler à la magie, l'expérience reste
toujours spéculative. Ce n'est là pour elle qu'une approche,
une ascèse. La poésie ne peut cesser d'être un chant, et encore
au bord de l'inexprimé, de l'indicible, cette très humaine
revendication de la parole. Qu'elle soit tournée « vers l'abîme
1002
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
BALZAC
Camille Bourniquel.
This content downloaded from 193.50.135.4 on Tue, 23 Jun 2020 00:37:45 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms