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Les États scandinaves durant les guerres napoléoniennes

Les États scandinaves durant les


guerres napoléoniennes
L’évocation des guerres napoléoniennes sur le continent font souvent uniquement penser aux grandes
nations belligérantes comme la Russie, la Prusse ou l’Autriche, mais qu’en est-il des pays scandinaves :
le Danemark, la Suède, la Finlande et la Norvège durant cette période ?

F. GROGNET
terre réagit en saisissant les vaisseaux de
ses adversaires dans ses ports et en leur
lançant un ultimatum demandant l’ou-
verture de leurs ports à ses vaisseaux.
Sans attendre l’Angleterre décide d’atta-
quer le pays de la Ligue le plus proche
et facile à attaquer  : le Danemark.
Contrairement à toutes les règles inter-
nationales, sans déclaration de guerre,
une flotte britannique commandée par
Sir Hyde Parker et un certain Horatio
Nelson viendra pilonner Copenhague,
détruisant 2 navires et tuant près de
800 personnes, le 2 avril 1801. Entre-
temps le tsar Paul Ier, instigateur de cette
Ligue du Nord contre l’Angleterre, vient

L
d’être assassiné et son fils, Alexandre,
La bataille de Copenhague (1801) e Danemark a jusqu’en 1800 veillé plus favorable à l’Angleterre, s’en retire
Nicholas Pocock. à rester neutre au beau milieu des obligeant la Prusse et la Suède à céder
guerres déferlant sur le continent également aux demandes britanniques.
à cette période. Mais cette neutralité La convention de Saint-Pétersbourg n’a
prendra fin tout comme pour la Suède vécu guère que 6 mois !
dans une volonté de suivre la France
dans une lutte contre l’Angleterre. Il faut Du côté de la Suède, Gustave III, qui
dire que Londres n’a jamais reconnu ni règne sur le pays depuis 1771, est fran-
accepté le droit des pays à rester neutres cophile, adepte de la philosophie des
sans quoi il lui aurait été impossible de Lumières et franc-maçon. Quand il est
régner sur le commerce maritime. Les assassiné en 1792, son fils, Gustave IV,
agressions de la marine britannique lui succède. A l’inverse de son père, il
étaient légion à cette époque ce qui est proche du tsar Alexandre et en par-
poussa la Russie, la Suède, le Danemark tage les idées au niveau de l’alliance
et la Prusse à créer la Ligue du Nord1 avec l’Angleterre. L’exécution du duc
lors de la convention de Saint-Péters- d’Enghien et l’avènement de l’empereur
bourg de décembre 1800 et à armer des Napoléon Ier ne font qu’exacerber la
vaisseaux pour la combattre. L’Angle- haine du monarque suédois envers les
Français. Napoléon critiqua ouverte-
1  Cette ligue du Nord du tsar Paul Ier fut inspirée de la Ligue ment Gustave IV lui reprochant d’avoir
de neutralité armée initiée par la Russie en 1780 qui visait abandonné les Danois lors du bombar-
à permettre à ses pays membres de commercer librement
avec toutes nations en guerre avec la Grande-Bretagne sans
dement de Copenhague. C’est donc tout
Gustave IV de Suède (1778-1837) que celle-ci ne vienne, comme à son habitude, interférer en naturellement qu’il s’allie avec la Russie
Per Krafft le Jeune. arraisonnant les navires en mer Baltique

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et l’Autriche dans la Troisième Coalition


contre la France en 1805. C’est la pre-
mière fois dans l’Histoire que la Suède
s’attaque à la France. Les victoires fran-
çaises de Ulm et d’Austerlitz sonnent le
glas de la coalition qui se termine par
le traité de Presbourg avec l’Autriche.
La Prusse, qui n’était pas entrée dans la
Troisième coalition, se réveille en 1806
et rejoint Russes et Suédois au sein de la
Quatrième. Elle attaque Napoléon mais
Iéna et Auerstaedt auront raison d’elle.
Restent la Russie et la Suède qui en 1807
sont seules à encore se dresser contre
l’envahisseur français. Une nouvelle
fois les victoires françaises de Eylau et
de Friedland vont faire rendre gorge au
tsar qui signe la paix de Tilsit le 9 juil-
let 1807 entre la France, la Russie et la
Prusse. Gustave IV reste donc isolé face
à Napoléon qui lui fait plusieurs propo-
sitions de paix, toutes repoussées par
le téméraire monarque suédois. Murat
affronte alors en Poméranie les troupes
suédoises qui doivent finalement aban-
donner la place laissant la région et ses
places fortes aux mains des Français.
Alors que la Russie avec Alexandre se
rapproche du Royaume-Uni et affronte
la France impériale lors de la Quatrième France contre l’Angleterre. Le pays déci- Frédéric VI de Danemark
(1768-1839)
Coalition, le Danemark en devient l’al- dera également de reconstituer sa flotte F.C. Gröger (1808),
lié ce qui a comme conséquence qu’une mais au travers de plus petites unités Château Rosenborg.
nouvelle fois le Royaume-Uni va vou- navales, les canonnières, pour affron-
loir s’emparer de la flotte danoise pour ter les bâtiments de la Royal Navy. Ce
qu’elle ne tombe pas dans les mains de conflit appelé guerre des canonnières
Napoléon. Ce sera la seconde bataille durera de 1807 à 1814.
de Copenhague2. Une escadre anglaise
À contrario, Gustave IV de Suède
vient attaquer et bombarder la capitale
s’obstine à renforcer son alliance avec
danoise pendant trois jours (2-5 sep-
l’Angleterre qui finance son armée et
tembre 1807) s’emparant de 18 vais-
sa flotte. Se sentant alors invulnérable,
seaux de ligne, 17 frégates et 43 autres
il défie le Blocus continental et insulte
bâtiments. L’arsenal de la ville est réduit
sa voisine russe pour sa faiblesse envers
en cendres ainsi que les chantiers na-
l’ogre français. La réaction du tsar est
vals et tout le matériel. L‘indignation
cinglante, la Finlande est envahie par
européenne est totale amenant la Rus-
les troupes russes en surnombre par
sie, l’Autriche et la Prusse à cesser toute
rapport au contingent suédois sur place.
relation avec la perfide Albion. Le Da-
Le roi de Suède doit diviser ses forces
nemark renforce son alliance avec la
pour en même temps lutter contre le
Danemark et envahir la Norvège3.
2  Pour l’anecdote, la flottille a à son bord un certain
colonel d’artillerie Congrève qui va bientôt pouvoir tester
ses fameuses fusées pour la première fois. 3  Territoire danois à l’époque, bien que développant des

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La guerre dano-suédoise qui fait rage se heurtent à une résistance farouche


affaiblit terriblement les deux nations dirigée par le prince Christian-Auguste
belligérantes. Les Danois, partisans des d’Augustenborg. Après plusieurs mois
Français, veulent envahir le sud de la de combats indécis, le prince entame
Suède alors que cette dernière, alliée des négociations avec les Suédois et un
des Anglais, a l’intention d’envahir la armistice est signée le 7 décembre 1808.
Norvège. Singulièrement, c’est le ma- La Suède est également embourbée
réchal Bernadotte, futur roi de Suède, dans la guerre désastreuse avec la Rus-
qui avec 33  000 soldats français, hol- sie en Finlande. Mais le Gustave IV s’en-
landais et espagnols se prépare à enva- tête, exige toujours plus de son peuple
hir le sud de la Suède (Scanie). Mais à par des levées en masse et accepte en-
l’annonce le 6 juin 1808 par Napoléon core et toujours l’argent britannique.
de la proclamation de son frère Joseph La colère gronde, on n’accepte plus
comme roi d’Espagne, les 14  000 Es- l’attitude intransigeante du roi, on dé-
pagnols du marquis de la Romana, fu- plore les échecs militaires et la perte des
rieux contre les Français, s’embarquent provinces fertiles du royaume : la Fin-
sur des vaisseaux anglais pour regagner lande et la Poméranie. La goutte d’eau
leur pays, laissant impuissant le reste qui fera déborder le vase c’est la déci-
du contingent du maréchal français qui sion prise au congrès d’Erfurt (octobre
Charles XIII de Suède finira par se retirer. De leur côté, les 1808) entre Alexandre et Napoléon de
en grand-amiral de Suède Suédois envahissent la Norvège, mais partager la Suède : le nord et l’est pour
(1748-1818)
Lampi (1799). velléités d’indépendance
la Russie et le sud pour le Danemark. La
coupe est pleine et un coup d’état dé-
pose le roi de Suède qui doit s’exiler, son
fils étant également déchu de son titre
d’héritier. Ce coup d’état sans violence
sauvera la nation suédoise et portera
sur le trône le duc de Sudermanie4 sous
le nom de Charles XIII le 6 juin 1809.
Mais le grand voisin russe n’a cure des
luttes intestines au sein de la Suède et
profite de l’occasion pour encore une
fois prétendre à la Finlande, proche de
son territoire. Un affrontement s’ensuit
et malgré l’héroïque résistance de l’ar-
mée suédoise, la Russie est victorieuse
et prend possession de la Finlande, de
la Botnie5 et de l’archipel d’Aland situé
dans le golfe de Botnie séparant les deux
pays, conquêtes ratifiées par le traité de
Frédériksham du 17 septembre 1809.
Quelques mois plus tard, le traité de
Jönköping du 10 décembre 1809 met
fin à la guerre dano-suédoise avec un

4  Le Södermanland, ou la Sudermanie en français, est une


province historique de Suède située sur la côte est, au sud
de Stockholm. Le nom de la province est souvent abrégé
en Sörmland en Suède.
5  La Botnie est une région historique qui était située entre
le golfe de Botnie (auquel elle a donné son nom) au sud
et la Laponie au nord, de part et d’autre du fleuve Torne.

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statu quo ante bellum6. Dans la fou- tement accusé d’avoir tué Charles-Au-
lée, Napoléon signe le 6 janvier 1810 guste, il est lynché par la foule le jour
avec Charles XIII, le traité de Paris qui même de ses obsèques le 20 juin 1810,
met fin à cinq années de guerre entre permettant par la même occasion à
l’Empire de Napoléon et le royaume de Charles XIII de se débarrasser aisément
Suède, commencées le 30 octobre 1805 de l’un des leaders gustaviens. Se pose
quand le roi Gustave IV fit adhérer la maintenant la question de la succession
Suède à la Troisième Coalition. Le traité au trône de Suède et les candidats tout
exige l’adhésion de la Suède au Blocus naturellement désignés sont le frère du
continental contre le Royaume-Uni tout prince Charles-Auguste, le roi de Dane-
en lui restituant en retour la Poméranie mark lui-même et le duc d’Oldenbourg.
suédoise avec l’île de Rügen, qui étaient
occupées par les troupes françaises de-
puis 1807.
L’avènement de Charles XIII se traduit
également par la promulgation d’une
nouvelle constitution plus libérale, tout
en conservant les droits féodaux de la
noblesse sur ses terres, privilège des
aristocrates ayant fait la révolution.
Mais l’âge avancé du nouveau mo-
narque et son absence de descendance
le forcent à adopter le gouverneur de
Norvège, Charles-Auguste d’Augusten-
bourg, prince et général danois, comme
successeur. Ce choix se justifiait par son
alliance à la famille royale de Suède par
sa naissance et à celle du Danemark par
son mariage. Hélas, à peine un mois
plus tard, cet héritier meurt accidentel- Prince Charles-Auguste de Suède (1768-1810)
Per Krafft le Jeune.
lement.
Le 28 mai 1810, Charles-Auguste trouve Mais les nobles suédois proposent la
subitement la mort, lors d’un entraîne- candidature du prince de Ponte-Cor-
ment militaire à Kvidinge en tombant vo, Jean-Baptiste Bernadotte, maréchal
de cheval. Bien que son autopsie conclût d’Empire. Son comportement lors de la
à un accident vasculaire cérébral, des guerre contre Gustave IV en 1806 lors-
rumeurs prétendent qu’il aurait été em- qu’il arrêta les hostilités à la chute du
poisonné par des Gustaviens7 et plus monarque et traita avec beaucoup de gé-
précisément un certain comte Axel von nérosité les troupes suédoises joue en sa
Fersen, connu pour avoir été l’ami très faveur. De plus, le choix d’un capitaine
proche de Marie-Antoinette. Ouver- de l’empereur Napoléon augurait de len-
demains heureux à la nation suédoise
6  L’expression signifie littéralement « comme les choses de l’époque. Bernadotte devient alors
étaient avant la guerre ». Elle était employée dans les prince royal de Suède8 le 21 août 1810.
traités pour se référer à un retrait des troupes ennemies
et à la restauration de la souveraineté qui prévalait avant Adopté par le roi Charles XIII, il prend
le début du conflit. En résumé, aucune des parties n’a eu le nom de Charles-Jean. Contrairement
de gains ou de pertes de territoires ou de droits politiques
ou économiques. L’expression opposée est Uti possidetis
juris, où chaque partie conserve les gains de territoire ou 8  Fils d’un avocat palois, Bernadotte embrasse les idées
d’autres propriétés qu’elle détient à la fin de la guerre. révolutionnaires après s’être engagé dans l’armée. On
L’expression s’est vulgarisée sous la forme raccourcie de prétend qu’il se serait fait alors tatouer sur la poitrine
statu quo. « Mort au roi ! », ce qui est assez paradoxal pour quelqu’un
7  Partisans du roi Gustave III de Suède. qui finalement le deviendra…

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en évitant d’entreprendre la moindre


action concrète. Soucieux de préser-
ver la paix avec la Russie, il renonce à
la Finlande, mais espère néanmoins,
avec l’accord de l’Empereur, récupérer
la Norvège, danoise depuis trois siècles.
Les rapports entre la France et la Suède
se tendent peu à peu à la suite de heurts
avec des corsaires français et la rup-
ture va être totale lorsque le 26 janvier
1812, Napoléon donne l’ordre à Davout
d’envahir la Poméranie suédoise. Ber-
nadotte proteste auprès de son ancien
empereur dans une lettre bien connue :
«  Cet outrage fait gratuitement à la
Suède est vivement senti par le royal
peuple et doublement par moi, Sire, qui
suis chargé de l’honneur de la défendre.
Si j’ai contribué à rendre la France
triomphante, si j’ai constamment sou-
haité de la voir respectée et heureuse,
il n’a jamais pu entrer dans ma pensée
de lui sacrifier les intérêts, l’honneur et
l’indépendance du pays qui m’a adopté.
Peu jaloux de la gloire et de la puissance
qui vous environnent, Sire, je le suis
beaucoup de ne pas être regardé comme
vassal. Votre Majesté commande à la
majeure partie de l’Europe, mais sa do-
mination ne s’étend pas jusqu’au pays où
j’ai été appelé. Mon ambition se borne
à le défendre, et je le regarde comme
le lot que la Providence m’a départi.
L’effet que l’invasion dont je me plains
a produit sur ce peuple peut avoir des
conséquences incalculables ; et quoique
je ne sois point Coriolan9, quoique je ne
Charles-Jean, prince de Suède à certaines croyances, Napoléon n’était commande pas à des Volsques, j’ai assez
(1763-1844)
pas derrière cette proposition. Berna- bonne opinion des Suédois pour vous
François Gérard.
dotte avait depuis plusieurs années dé- assurer, Sire, qu’ils sont capables de tout
plut à l’Empereur par son attitude et ses oser et de tout entreprendre pour ven-
décisions dans plusieurs situations et ger des affronts qu’ils n’ont point provo-
il était en état de quasi disgrâce quand qués, et pour conserver des droits aux-
on lui offrit sur un plateau le royaume quels ils tiennent peut-être autant qu’ils
de Suède. Mis devant cette situation, tiennent à leur existence.  ». Napoléon
Napoléon accepte cette nomination en lui répond sans détour  : «  L'invasion
espérant ainsi obtenir un allié solide au de la Poméranie a été motivée sur
nord de l’Europe. Comme à son habi-
tude, Bernadotte feint dans un premier 9  Caius Marcius Coriolanus est une figure semi-légendaire
temps d’aider la politique de l’Empereur de la République romaine archaïque qui reçut le surnom de
en participant au Blocus continental et Coriolan pour avoir pris la cité volsque de Corioles en 493
av. J.-C. Les Volsques sont un ancien peuple installé dans le
en déclarant la guerre à l’Angleterre, tout sud du Latium.

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l'inobservation par la Suède, du système hommes, ses bagages et toute son artil-
continental, auquel elle a adhéré par les lerie. Bernadotte écrit alors à Ney pour
traités. ». Charles-Jean se retourne alors proposer à Napoléon une paix hono-
définitivement vers la Russie et l’Angle- rable  : «  Depuis longtemps nous rava-
terre avec lesquels il signe les traités d’al- geons la terre et nous n’avons encore
liance de Petersbourg (24 mars 1812) et rien fait pour l’humanité. La confiance
de Örebro (27 avril 1812). La campagne dont vous jouissez à si juste titre auprès
de Russie de 1812 va voir l’ancien maré- de l’empereur Napoléon pourrait, ce
chal « trahir » la France en prodiguant me semble, être de quelque poids pour
des conseils stratégiques au tsar et en si- déterminer ce souverain à accepter en-
gnant à Abo en Finlande, un traité avec fin la paix honorable et générale qu’on 
les Russes qui lui mettent à disposition lui a offerte et qu’il a repoussée. Cette Saxons, la fortune d’un soldat
une armée de 35 000 hommes pour at- gloire, prince, est digne d’un guerrier consiste à remplir ses devoirs ;
taquer Napoléon dans le nord de l’Al- tel que vous, et le peuple français ran- vous avez dignement fait le vôtre.
lemagne et au Danemark afin de l’em- gerait cet éminent service au nombre de
pêcher d’atteindre Saint-  Pétersbourg  ; ceux que nous lui rendions, il y a vingt 
moyennant à terme l’annexion de la ans, sous les murs de Saint-Quentin, en
Norvège. La campagne d’Allemagne de combattant pour sa liberté et pour son
1813 fait suite à la désastreuse campagne indépendance. ». Sa requête reste lettre
de Russie et la Suède se joint à la Sixième morte.
Coalition contre la France qui réunit
également le Royaume-Uni, l’Empire Lors de cette bataille de Dennewitz,
russe, le royaume de Prusse, l’Empire Bernadotte constata que les régiments
d’Autriche et plusieurs États allemands. saxons avaient montré peu d’allant lors
Même si Napoléon remporte en début de l’affrontement, ce qui laissait augurer
de campagne les victoires de Bautzen d’une possible défection prochaine de
et Lützen en mai 1813 et de Dresde cette troupe. Il faut dire que ces Saxons
en août 1813, ses troupes sont défaites appréciaient particulièrement le prince
par Bernadotte, qui a pris le comman- royal suédois qui, lors de la bataille de
dement de l’armée alliée du Nord de Wagram quatre ans plus tôt, alors qu’il
l’Allemagne, à Gross-Beeren contre Ou- commandait le IXe corps composé es-
dinot (23 août 1813) et à Dennewitz (6 sentiellement de troupes saxonnes, Le prince Charles-Jean à la bataille
septembre 1813) contre Ney qu’il met n’avait pas hésité à vanter leur courage de Denewitz (6 septembre 1813)
lors d’une célèbre proclamation qui Détail du tableau d'Alexander
en déroute lui faisant perdre 12  000 Wetterling, Nationalmuseum.

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avait rendu fou de rage l’Empereur, le vers le Holstein11 faisant craindre aux
relevant de son commandement et dis- Coalisés que la Suède ne se détache de
solvant le IXe corps10. Voici la fameuse la coalition victorieuse. Grâce à une
proclamation : « Saxons, dans la journée campagne rapide et glorieuse, il met
du 5 juillet, 7 à 8,000 d’entre vous ont en déroute les Danois à Bornofd et
percé le centre de l’armée ennemie, et bloque dans Rendsbourg l’armée com-
se sont portés à Deutsch-Wagram, mal- mandée par le prince de Hesse. Il les
gré les efforts de 40,000 hommes, sou- force alors à signer le traité de Kiel, le
tenus par 50 bouches à feu. Vous avez 14 janvier 1814, qui cède la Norvège à
combattu jusqu’à minuit, et bivaqué au la Suède en échange de la Poméranie
milieu des lignes autrichiennes. Le 6, suédoise et de l’île de Rügen12. Il re-
dès la pointe du jour, vous avez recom- vient ensuite sur ses pas pour établir
mencé le combat avec la même persévé- son quartier-général à Liège en vue
rance, et au milieu des ravages de l’ar- de l’invasion finale de la France. Mais
tillerie ennemie, vos colonnes vivantes il rechigne à envahir son pays natal et
sont restées immobiles comme l’airain. s’en justifie auprès d’Alexandre Ier en ces
Le grand Napoléon a vu votre dévoue- termes  : «  Franchir les frontières de la
ment ; il vous compte parmi ses braves. France, c’est imiter Napoléon lui-même
Saxons, la fortune d’un soldat consiste et justifier sa conduite précédente en-
à remplir ses devoirs ; vous avez digne- vers nous  ; c’est encourir nous-mêmes
ment fait le vôtre. ». Après Dennewitz, les justes reproches que nous lui avons
Charles-Jean récidive et adresse à nou- adressés  ; c’est méconnaître et fausser
Garde du corps saxon 1813 veau aux Saxons une proclamation les les principes d’éternelle justice que nous
Dessin de Steven Palatka.
appelant à le rejoindre. invoquons contre lui, les seuls qui nous
autorisaient à repousser la force par la
Un mois plus tard à Leipzig du 16 au 19 force. ».
octobre 1813, les troupes françaises sont
définitivement défaites et contraintes à Il refuse que les troupes suédoises par-
la retraite vers la France lors de la gi- ticipent à l’invasion et se rend seul à Pa-
gantesque bataille des Nations qui voit ris avec son état-major pour faire part
s’affronter 180 000 Français et 300 000 au tsar Alexandre de ses craintes quant
Coalisés (Russes, Autrichiens, Prus- au sort de la France. Il affirme qu’une
siens et Suédois). Durant la bataille, guerre en France est contraire à l’inté-
les fameux Saxons, alliés des Français, rêt de l’Europe, et particulièrement aux
trahissent comme espéré Napoléon intérêts de la Suède : « Une guerre qui a
en passant à l’ennemi sur le champ de pour but de rétablir une ancienne dy-
bataille même. Au lieu de poursuivre nastie est une guerre injuste dans son
l’armée française en retraite, comme principe, et par les malheurs qu’elle en-
le font les autres coalisés, Charles-Jean traînerait. La Suède n’a aucun motif, au-
fait obliquer son armée en descendant cune raison de continuer cette querelle ;
l’Elbe pour remonter vers le Dane- le sang de ses enfants est trop précieux
mark, s’emparer de Lübeck et se diriger pour être versé au profit d’une cause qui
amènerait en Europe un asservissement
10  On a prétendu que le corps saxon de Bernadotte à mille fois plus insupportable que celui
Wagram s’était carrément enfui devant l’ennemi et que de Napoléon. ».
malgré cela, le maréchal avait impudemment tenté de lui
attribuer, et de s’attribuer, le mérite de la victoire par une
proclamation grandiloquente et ridicule ce qui lui attira
Mais le futur roi de Suède doit penser
les foudres de Napoléon. Mais les Saxons se sont d’abord
bien comportés, emportant une position importante. Pour 11  Schleswig-Holstein est situé entre la mer du Nord et la
leur malheur, ils parlaient la même langue que l’ennemi mer Baltique, il est délimité au nord par le Danemark et au
autrichien, et les Italiens de McDonald leur ont tiré dessus sud par l’Elbe. Il est composé de deux entités historiques,
par méprise, d’où la panique. La proclamation qui s’en les anciens duchés de Schleswig et de Holstein, séparés à la
suivit était normalement purement à usage interne et hauteur du canal de Kiel, qui relie les deux mers.
destinée à leur remonter le moral, mais la presse saxonne 12  À l’exception du Groenland, de l’Islande et des îles
l’a fièrement reproduite et Napoléon en a pris ombrage. Féroé.

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à ses intérêts nationaux avant tout et Napoléon débarque à Golfe-Juan, le


plus particulièrement à l’application des prince Charles-Jean et le roi Charles
conditions du traité de Kiel. Il réussit à XIII décident de garder la plus stricte
obtenir d’Alexandre et des autres puis- neutralité dans ce nouveau conflit et
sances européennes la reconnaissance demandent au représentant de la Suède
et la garantie du traité. Il quitte Paris et au Congrès de Vienne d’en informer les
rentre triomphalement en Suède, mais autres puissances étrangères. La priori-
il lui faut vite marcher sur la Norvège té de la Suède est maintenant de réduire
pour la soumettre car Christian-Fré- sa dette publique abyssale. Pour ce faire,
déric, prince héréditaire du Danemark l’Angleterre paie un million de livres
et gouverneur de la Norvège, refuse les sterling pour la perte des dotations par-
conditions du traité malgré l’ordre de ticulières du prince et, la Poméranie,
son roi, Frédéric VI de Danemark. Il qui aurait dû être cédée au Danemark
convoque à Eidsvold une diète, appe- en vertu du traité de Kiel, est conservée
lée Storthing, qui établit une nouvelle en compensation des dépenses qu’avait
constitution (encore en vigueur au- engendré la guerre de Norvège. Pour fi-
jourd’hui) et le fait élire en mai 1814 roi nir, cette province ainsi que l’île de Rü-
de Norvège. Les puissances coalisées ne gen sont vendues à la Prusse le 7 mars
reconnaissent pas le nouveau monarque 1815 pour la somme de 5 millions. Mal- Christian-Frédéric de Danemark,
alors gouverneur de Norvège, 1813
et demandent l’application incondition- heureusement la famine et la faillite des Johan Ludvig Lund.
nelle des conditions du traité de Kiel.
Devant le refus de Christian-Frédéric,
une expédition militaire est envoyée
pour lui faire rendre gorge. Le prince
royal Charles-Jean commande les opé-
rations terrestres alors que son père
adoptif, Charles XIII, vieux et infirme,
veut absolument prendre la tête d’une
flottille pour appuyer son fils. La for-
teresse de Frédérikstadt, verrou au sud
de Christiana13, est rapidement prise
permettant aux troupes de Charles-
Jean d’envahir le centre de la Norvège
forçant le peu téméraire roi norvégien
fraîchement élu à rapidement signer
l’armistice généreusement proposé par
le prince royal suédois. Le Storthing,
ayant préalablement reçu le désistement
de Christian, proclame le 4 novembre
1814 Charles XIII et sa descendance,
les nouveaux souverains de la Norvège.
Charles-Jean entre alors triomphale-
ment dans la capitale norvégienne où
il est reçu par une population en liesse
après une campagne d’à peine deux se-
maines qui ne fit point répandre de sang
inutilement.
Mais la Suède est exsangue et elle doit
se reconstruire et rétablir sa prospéri-
té intérieure. Quand le 1er mars 1815
13  Oslo s’est faite appelée Christiania de 1624 à 1924.

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banques privées viendront retarder le Bibliographie


succès de ce redressement. Le prince
Geffroy, A. (1851). Histoire des États
Charles-Jean deviendra roi de Suède et
scandinaves (Suède, Norvège, Danemark),
de Norvège sous le nom de Charles XIV Hachette.
à la mort de son père adoptif, le 5 février
1818. Ses descendants règnent toujours Wheaton, H. (1841). Histoire des progrès
sur la Suède et la Norvège a obtenu son du droit des gens en Europe, depuis la paix
indépendance en 1905.  de Westphalie jusqu'au Congrès de Vienne.
F.A. Brockhaus.
Vicomte Beaumont-Vassy (1842). Les
Suédois depuis Charles XII. Tome second,
N.-J. Gregoir et V. Wouters.
Meline (1817). Galerie des Contemporains
illustres, par un homme de rien Louis de
Loménie. Tome 1, Cans et Cie.
Capefigue M. (1842). L'Europe pendant le
consulat et l'empire de Napoléon. Volume
9, Wouters, Raspoet et cie.
Fondation Napoléon (2017).
Correspondance générale  : Leipzig, juin
1813-décembre 1813. Volume 14, Fayard.
Desdoit A., Olivier JM. (2014). Les armées
européennes de Jean-Baptiste Bernadotte
(1805-1814) HAL archives ouvertes.

Carte de la Baltique Dr P. Brock (1879), Musée chronologique


des rois de Danemark au château de
Rosenborg.

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