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F. GROGNET
terre réagit en saisissant les vaisseaux de
ses adversaires dans ses ports et en leur
lançant un ultimatum demandant l’ou-
verture de leurs ports à ses vaisseaux.
Sans attendre l’Angleterre décide d’atta-
quer le pays de la Ligue le plus proche
et facile à attaquer : le Danemark.
Contrairement à toutes les règles inter-
nationales, sans déclaration de guerre,
une flotte britannique commandée par
Sir Hyde Parker et un certain Horatio
Nelson viendra pilonner Copenhague,
détruisant 2 navires et tuant près de
800 personnes, le 2 avril 1801. Entre-
temps le tsar Paul Ier, instigateur de cette
Ligue du Nord contre l’Angleterre, vient
L
d’être assassiné et son fils, Alexandre,
La bataille de Copenhague (1801) e Danemark a jusqu’en 1800 veillé plus favorable à l’Angleterre, s’en retire
Nicholas Pocock. à rester neutre au beau milieu des obligeant la Prusse et la Suède à céder
guerres déferlant sur le continent également aux demandes britanniques.
à cette période. Mais cette neutralité La convention de Saint-Pétersbourg n’a
prendra fin tout comme pour la Suède vécu guère que 6 mois !
dans une volonté de suivre la France
dans une lutte contre l’Angleterre. Il faut Du côté de la Suède, Gustave III, qui
dire que Londres n’a jamais reconnu ni règne sur le pays depuis 1771, est fran-
accepté le droit des pays à rester neutres cophile, adepte de la philosophie des
sans quoi il lui aurait été impossible de Lumières et franc-maçon. Quand il est
régner sur le commerce maritime. Les assassiné en 1792, son fils, Gustave IV,
agressions de la marine britannique lui succède. A l’inverse de son père, il
étaient légion à cette époque ce qui est proche du tsar Alexandre et en par-
poussa la Russie, la Suède, le Danemark tage les idées au niveau de l’alliance
et la Prusse à créer la Ligue du Nord1 avec l’Angleterre. L’exécution du duc
lors de la convention de Saint-Péters- d’Enghien et l’avènement de l’empereur
bourg de décembre 1800 et à armer des Napoléon Ier ne font qu’exacerber la
vaisseaux pour la combattre. L’Angle- haine du monarque suédois envers les
Français. Napoléon critiqua ouverte-
1 Cette ligue du Nord du tsar Paul Ier fut inspirée de la Ligue ment Gustave IV lui reprochant d’avoir
de neutralité armée initiée par la Russie en 1780 qui visait abandonné les Danois lors du bombar-
à permettre à ses pays membres de commercer librement
avec toutes nations en guerre avec la Grande-Bretagne sans
dement de Copenhague. C’est donc tout
Gustave IV de Suède (1778-1837) que celle-ci ne vienne, comme à son habitude, interférer en naturellement qu’il s’allie avec la Russie
Per Krafft le Jeune. arraisonnant les navires en mer Baltique
statu quo ante bellum6. Dans la fou- tement accusé d’avoir tué Charles-Au-
lée, Napoléon signe le 6 janvier 1810 guste, il est lynché par la foule le jour
avec Charles XIII, le traité de Paris qui même de ses obsèques le 20 juin 1810,
met fin à cinq années de guerre entre permettant par la même occasion à
l’Empire de Napoléon et le royaume de Charles XIII de se débarrasser aisément
Suède, commencées le 30 octobre 1805 de l’un des leaders gustaviens. Se pose
quand le roi Gustave IV fit adhérer la maintenant la question de la succession
Suède à la Troisième Coalition. Le traité au trône de Suède et les candidats tout
exige l’adhésion de la Suède au Blocus naturellement désignés sont le frère du
continental contre le Royaume-Uni tout prince Charles-Auguste, le roi de Dane-
en lui restituant en retour la Poméranie mark lui-même et le duc d’Oldenbourg.
suédoise avec l’île de Rügen, qui étaient
occupées par les troupes françaises de-
puis 1807.
L’avènement de Charles XIII se traduit
également par la promulgation d’une
nouvelle constitution plus libérale, tout
en conservant les droits féodaux de la
noblesse sur ses terres, privilège des
aristocrates ayant fait la révolution.
Mais l’âge avancé du nouveau mo-
narque et son absence de descendance
le forcent à adopter le gouverneur de
Norvège, Charles-Auguste d’Augusten-
bourg, prince et général danois, comme
successeur. Ce choix se justifiait par son
alliance à la famille royale de Suède par
sa naissance et à celle du Danemark par
son mariage. Hélas, à peine un mois
plus tard, cet héritier meurt accidentel- Prince Charles-Auguste de Suède (1768-1810)
Per Krafft le Jeune.
lement.
Le 28 mai 1810, Charles-Auguste trouve Mais les nobles suédois proposent la
subitement la mort, lors d’un entraîne- candidature du prince de Ponte-Cor-
ment militaire à Kvidinge en tombant vo, Jean-Baptiste Bernadotte, maréchal
de cheval. Bien que son autopsie conclût d’Empire. Son comportement lors de la
à un accident vasculaire cérébral, des guerre contre Gustave IV en 1806 lors-
rumeurs prétendent qu’il aurait été em- qu’il arrêta les hostilités à la chute du
poisonné par des Gustaviens7 et plus monarque et traita avec beaucoup de gé-
précisément un certain comte Axel von nérosité les troupes suédoises joue en sa
Fersen, connu pour avoir été l’ami très faveur. De plus, le choix d’un capitaine
proche de Marie-Antoinette. Ouver- de l’empereur Napoléon augurait de len-
demains heureux à la nation suédoise
6 L’expression signifie littéralement « comme les choses de l’époque. Bernadotte devient alors
étaient avant la guerre ». Elle était employée dans les prince royal de Suède8 le 21 août 1810.
traités pour se référer à un retrait des troupes ennemies
et à la restauration de la souveraineté qui prévalait avant Adopté par le roi Charles XIII, il prend
le début du conflit. En résumé, aucune des parties n’a eu le nom de Charles-Jean. Contrairement
de gains ou de pertes de territoires ou de droits politiques
ou économiques. L’expression opposée est Uti possidetis
juris, où chaque partie conserve les gains de territoire ou 8 Fils d’un avocat palois, Bernadotte embrasse les idées
d’autres propriétés qu’elle détient à la fin de la guerre. révolutionnaires après s’être engagé dans l’armée. On
L’expression s’est vulgarisée sous la forme raccourcie de prétend qu’il se serait fait alors tatouer sur la poitrine
statu quo. « Mort au roi ! », ce qui est assez paradoxal pour quelqu’un
7 Partisans du roi Gustave III de Suède. qui finalement le deviendra…
l'inobservation par la Suède, du système hommes, ses bagages et toute son artil-
continental, auquel elle a adhéré par les lerie. Bernadotte écrit alors à Ney pour
traités. ». Charles-Jean se retourne alors proposer à Napoléon une paix hono-
définitivement vers la Russie et l’Angle- rable : « Depuis longtemps nous rava-
terre avec lesquels il signe les traités d’al- geons la terre et nous n’avons encore
liance de Petersbourg (24 mars 1812) et rien fait pour l’humanité. La confiance
de Örebro (27 avril 1812). La campagne dont vous jouissez à si juste titre auprès
de Russie de 1812 va voir l’ancien maré- de l’empereur Napoléon pourrait, ce
chal « trahir » la France en prodiguant me semble, être de quelque poids pour
des conseils stratégiques au tsar et en si- déterminer ce souverain à accepter en-
gnant à Abo en Finlande, un traité avec fin la paix honorable et générale qu’on
les Russes qui lui mettent à disposition lui a offerte et qu’il a repoussée. Cette Saxons, la fortune d’un soldat
une armée de 35 000 hommes pour at- gloire, prince, est digne d’un guerrier consiste à remplir ses devoirs ;
taquer Napoléon dans le nord de l’Al- tel que vous, et le peuple français ran- vous avez dignement fait le vôtre.
lemagne et au Danemark afin de l’em- gerait cet éminent service au nombre de
pêcher d’atteindre Saint- Pétersbourg ; ceux que nous lui rendions, il y a vingt
moyennant à terme l’annexion de la ans, sous les murs de Saint-Quentin, en
Norvège. La campagne d’Allemagne de combattant pour sa liberté et pour son
1813 fait suite à la désastreuse campagne indépendance. ». Sa requête reste lettre
de Russie et la Suède se joint à la Sixième morte.
Coalition contre la France qui réunit
également le Royaume-Uni, l’Empire Lors de cette bataille de Dennewitz,
russe, le royaume de Prusse, l’Empire Bernadotte constata que les régiments
d’Autriche et plusieurs États allemands. saxons avaient montré peu d’allant lors
Même si Napoléon remporte en début de l’affrontement, ce qui laissait augurer
de campagne les victoires de Bautzen d’une possible défection prochaine de
et Lützen en mai 1813 et de Dresde cette troupe. Il faut dire que ces Saxons
en août 1813, ses troupes sont défaites appréciaient particulièrement le prince
par Bernadotte, qui a pris le comman- royal suédois qui, lors de la bataille de
dement de l’armée alliée du Nord de Wagram quatre ans plus tôt, alors qu’il
l’Allemagne, à Gross-Beeren contre Ou- commandait le IXe corps composé es-
dinot (23 août 1813) et à Dennewitz (6 sentiellement de troupes saxonnes, Le prince Charles-Jean à la bataille
septembre 1813) contre Ney qu’il met n’avait pas hésité à vanter leur courage de Denewitz (6 septembre 1813)
lors d’une célèbre proclamation qui Détail du tableau d'Alexander
en déroute lui faisant perdre 12 000 Wetterling, Nationalmuseum.
avait rendu fou de rage l’Empereur, le vers le Holstein11 faisant craindre aux
relevant de son commandement et dis- Coalisés que la Suède ne se détache de
solvant le IXe corps10. Voici la fameuse la coalition victorieuse. Grâce à une
proclamation : « Saxons, dans la journée campagne rapide et glorieuse, il met
du 5 juillet, 7 à 8,000 d’entre vous ont en déroute les Danois à Bornofd et
percé le centre de l’armée ennemie, et bloque dans Rendsbourg l’armée com-
se sont portés à Deutsch-Wagram, mal- mandée par le prince de Hesse. Il les
gré les efforts de 40,000 hommes, sou- force alors à signer le traité de Kiel, le
tenus par 50 bouches à feu. Vous avez 14 janvier 1814, qui cède la Norvège à
combattu jusqu’à minuit, et bivaqué au la Suède en échange de la Poméranie
milieu des lignes autrichiennes. Le 6, suédoise et de l’île de Rügen12. Il re-
dès la pointe du jour, vous avez recom- vient ensuite sur ses pas pour établir
mencé le combat avec la même persévé- son quartier-général à Liège en vue
rance, et au milieu des ravages de l’ar- de l’invasion finale de la France. Mais
tillerie ennemie, vos colonnes vivantes il rechigne à envahir son pays natal et
sont restées immobiles comme l’airain. s’en justifie auprès d’Alexandre Ier en ces
Le grand Napoléon a vu votre dévoue- termes : « Franchir les frontières de la
ment ; il vous compte parmi ses braves. France, c’est imiter Napoléon lui-même
Saxons, la fortune d’un soldat consiste et justifier sa conduite précédente en-
à remplir ses devoirs ; vous avez digne- vers nous ; c’est encourir nous-mêmes
ment fait le vôtre. ». Après Dennewitz, les justes reproches que nous lui avons
Charles-Jean récidive et adresse à nou- adressés ; c’est méconnaître et fausser
Garde du corps saxon 1813 veau aux Saxons une proclamation les les principes d’éternelle justice que nous
Dessin de Steven Palatka.
appelant à le rejoindre. invoquons contre lui, les seuls qui nous
autorisaient à repousser la force par la
Un mois plus tard à Leipzig du 16 au 19 force. ».
octobre 1813, les troupes françaises sont
définitivement défaites et contraintes à Il refuse que les troupes suédoises par-
la retraite vers la France lors de la gi- ticipent à l’invasion et se rend seul à Pa-
gantesque bataille des Nations qui voit ris avec son état-major pour faire part
s’affronter 180 000 Français et 300 000 au tsar Alexandre de ses craintes quant
Coalisés (Russes, Autrichiens, Prus- au sort de la France. Il affirme qu’une
siens et Suédois). Durant la bataille, guerre en France est contraire à l’inté-
les fameux Saxons, alliés des Français, rêt de l’Europe, et particulièrement aux
trahissent comme espéré Napoléon intérêts de la Suède : « Une guerre qui a
en passant à l’ennemi sur le champ de pour but de rétablir une ancienne dy-
bataille même. Au lieu de poursuivre nastie est une guerre injuste dans son
l’armée française en retraite, comme principe, et par les malheurs qu’elle en-
le font les autres coalisés, Charles-Jean traînerait. La Suède n’a aucun motif, au-
fait obliquer son armée en descendant cune raison de continuer cette querelle ;
l’Elbe pour remonter vers le Dane- le sang de ses enfants est trop précieux
mark, s’emparer de Lübeck et se diriger pour être versé au profit d’une cause qui
amènerait en Europe un asservissement
10 On a prétendu que le corps saxon de Bernadotte à mille fois plus insupportable que celui
Wagram s’était carrément enfui devant l’ennemi et que de Napoléon. ».
malgré cela, le maréchal avait impudemment tenté de lui
attribuer, et de s’attribuer, le mérite de la victoire par une
proclamation grandiloquente et ridicule ce qui lui attira
Mais le futur roi de Suède doit penser
les foudres de Napoléon. Mais les Saxons se sont d’abord
bien comportés, emportant une position importante. Pour 11 Schleswig-Holstein est situé entre la mer du Nord et la
leur malheur, ils parlaient la même langue que l’ennemi mer Baltique, il est délimité au nord par le Danemark et au
autrichien, et les Italiens de McDonald leur ont tiré dessus sud par l’Elbe. Il est composé de deux entités historiques,
par méprise, d’où la panique. La proclamation qui s’en les anciens duchés de Schleswig et de Holstein, séparés à la
suivit était normalement purement à usage interne et hauteur du canal de Kiel, qui relie les deux mers.
destinée à leur remonter le moral, mais la presse saxonne 12 À l’exception du Groenland, de l’Islande et des îles
l’a fièrement reproduite et Napoléon en a pris ombrage. Féroé.