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Lyon Caen Histoire de La Lecture PDF
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JUDITH LYON-CAEN*
dence, politique) qui atteignent plus de mille titres, les ouvrages d’éducation (plus de 700 titres),
et les romans qui ne donnent que 210 titres, soit moins que la poésie (273), le théâtre (299) ou
les « sciences historiques » (« Mouvement de la presse française en 1835 », par A. C. T [André
Cochut], Revue des Deux Mondes, avril 1836, p. 67-115). Sur la longue durée, dans le seul
domaine de la production littéraire (roman, poésie et théâtre), le nombre de titres moyens par
année et par genre semble montrer que la suprématie du roman ne devient manifeste qu’après
1840 (Christophe Charle, « Le champ de la production littéraire », Histoire de l’édition française,
op. cit., p. 139). La perception chronologiquement décalée de Werdet peut être le fait d’une
reconstruction mais suggère également combien la librairie a pu être surprise par l’intensification
de la demande de lecture des romans, avant d’y adapter l’offre.
4. Martin Lyons, op. cit., p. 423-425. Dumas parviendrait à des tirages cumulés avoisinant les
30 ou 40 000 exemplaires pour Le Comte de Monte-Cristo, ou Les Trois mousquetaires ; Sue
aurait atteint respectivement 60 et 80 000 exemplaires avec Les Mystères de Paris et Le Juif
errant. Ces estimations reposent sur la prise en compte de toutes les formes d’édition, y compris
la publication en feuilletons. Ces tirages globaux élevés s’expliquent par le cumul d’éditions de
toutes sortes, feuilleton dans la presse quotidienne, première édition in-8° à 7 fr. 50, puis publi-
cations en livraisons à 30 ou 50 centimes, versions illustrées de luxe, et petits formats in-12 ou
in-18 à 3 fr. 50, sur le modèle mis au point par Charpentier en 1838. Le succès d’un roman cor-
respond donc davantage à la multiplication d’éditions aux prix et aux formats variés, visant des
publics différenciés, qu’à une importante demande pour un même objet.
5. Voir notamment Gustave Planche, « Histoire et philosophie de l’art. VI. Moralité de la poé-
sie », Revue des Deux Mondes, 1er février 1835.
6. Marie-Ève Thérenty associe cet intérêt pour l’actuel à l’essor du journal, par lequel passent
tous les écrivains en quête de subsistance et de notoriété (Mosaïques. Être écrivain entre presse
et roman, 1829-1836, thèse de l’Université Paris 7 - Denis Diderot, 2000, 2 vol.).
7. Sur la définition des ces démarches, voir Roger Chartier, « Le monde comme représenta-
tion », Annales ESC, novembre-décembre 1989, p. 1505-1520 et Alain Corbin, « “Le vertige des
foisonnements”. Esquisse panoramique d’une histoire sans nom », Revue d’histoire moderne et
contemporaine, janvier-mars 1992, p. 103-126.
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11. Sur ce point, voir Alain Vaillant et Marie-Ève Thérenty, 1836, l’an I de l’ère médiatique,
Paris, Nouveau monde éditions, 2001, p. 236-239 et 272-274 et la thèse de Marie-Ève Thérenty,
Mosaïques…, op. cit.
12. Ce qui conduit le lecteur d’aujourd’hui à voir dans ce roman le paradigme du « roman
populaire » du XIXe siècle, tout en étant découragé par les longues digressions philanthropiques
dont la pertinence lui échappe.
13. Pour une anthologie des réactions à l’invention du roman-feuilleton, voir Lise Dumasy, La
Querelle du roman-feuilleton. Littérature, presse et politique : un débat précurseur (1836-1848),
Grenoble, ELLUG, 1999, 280 p.
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14. Voir par exemple Claude Pichois, Philarète Chasles et la vie littéraire au temps du
Romantisme, Paris, Éditions José Corti, 1967, 2 vol. ; Joseph-Marc Bailbé, Jules Janin, une sen-
sibilité littéraire et artistique, Paris, Minard, 1974, 126 p. ; Michel Balzamo, Sainte-Beuve.
Anthologie critique, Éditions universitaires, 1990, 178 p. ; Wolf Lepenies, Sainte-Beuve au seuil
de la modernité, traduit de l’allemand par Jeanne Etoré et Bernard Lortholary, Paris, Éditions
Gallimard, 2002, 518 p.
15. Christiane Mounoud-Anglès, Balzac et ses lectrices. L’affaire du courrier des lectrices de
Balzac. Auteur/lecteur : l’invention réciproque, Paris, Indigo et Coté-Femmes éditions, 1994,
202 p.
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19. Paulin Limayrac, « Simples essais d’histoire littéraire. IV. Le roman philanthropique et
moraliste, Les Mystères de Paris de M. Eugène Sue », Revue des Deux mondes, janvier 1844.
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20. Eugène Buret, De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France, Bruxelles,
Paulin, 1840, 2 vol. ; Honoré-Antoine Frégier, Des classes dangereuses de la population des
grandes villes et des moyens de les rendre meilleures, J.-B. Baillère, 1840, 2 vol. ; Louis-René
Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers des manufactures de coton, de laine et
de soie, Paris, Renouard, 1840, 2 vol.
21. Pour une première approche des enquêtes sociales, voir Gérard Leclerc, L’Observation de
l’homme. Une histoire des enquêtes sociales, Paris, Éditions du Seuil, 1979, 367 p. ; Bernard
Lécuyer, « Médecins et observateurs sociaux : les Annales d’hygiène publique et de médecine
légale (1820-1850) », dans Pour une histoire de la statistique, Paris, Economica/INSEE, 2e édition,
1987, p. 445-475 ; Michelle Perrot, « Premières mesures des faits sociaux : les débuts de la sta-
tistique criminelle en France », idem, p. 125-137 ; la thèse de Sophie-Anne Leterrier éclaire sur
le contexte institutionnel de la production de ces enquêtes (L’Institution des Sciences Morales,
1795-1850, Paris, L’Harmattan, 1995, 431 p.).
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Face aux brouillages du monde social, les frontières entre la fiction roma-
nesque, la littérature descriptive et l’écriture « sérieuse » des administra-
teurs semblent poreuses : Balzac, « historien des mœurs » ou Émile
Souvestre, architecte des « romans de la vie réelle », proclament le
sérieux de leurs intentions. La littérature panoramique ne cesse de sug-
gérer l’équivalence de tous les discours : la dernière des grandes séries
panoramiques de l’époque, Le Diable à Paris, refuse explicitement de
privilégier un mode d’écriture sur un autre, au nom de la diversité même
de l’objet du livre, Paris. « Il y a autant de manières de considérer les
innombrables comédies qui s’y jouent qu’il y a de places dans son
immense enceinte », lit-on dans le propos liminaire. « Que chacun de
nous le voie donc comme il pourra, celui-ci du parterre, celui-là des
loges, tel autre de l’amphithéâtre : il faudra bien que la vérité se trouve
au milieu des jugements divers »22. Enfin, certains observateurs
sociaux, comme Buret, se prennent à rêver de la puissance descriptive de
« l’art » littéraire :
Nous avons étudié l’aspect et l’état des habitations de la misère ; il nous reste-
rait maintenant à mettre en scène, sur ce théâtre bien digne de lui, le paupérisme
des grandes villes, à le montrer en action, tel qu’il apparaît aux rares visiteurs qui
le surprennent dans son véritable domicile. Loin de nous la prétention de vouloir
égaler par des descriptions la pittoresque vérité de l’extrême misère ; il faudrait
une autre plume que la nôtre pour décrire fidèlement la population qui en subit
les dures lois, son mobilier, ses vêtements, son entourage. Les écrivains à qui le
ciel a donné le talent de dire, et qui souvent ne savent pas trop que faire de cette
faculté, devraient bien entreprendre un voyage pittoresque dans les basses régions
de nos sociétés, ils en rapporteraient des tableaux de la plus belle horreur, et, tout
en exerçant leur talent, ils rendraient un signalé service aux nations civilisées, en
appelant leur attention sur le vaste camp de Barbarie qui se forme, à leur insu, au
milieu d’elles23.