qui constitue sans doute la seule technique possible (le seul Handgriff,
« coup de main », dit la première Critique) pour qu’une présentation, en ce
sens philosophique strict, ait jam ais lieu. Com m ent tracerais-je quelque figure que ce soit, si je n’en anticipais l’unité ? et plus exactement sans doute, si je ne m ’anticipais moi-même, qui la présente, comme son unité ? Il y a de la pré-voyance ou de la pro-vidence au cœur de la raison. Le schème, c’est la raison qui se pré-voit ou qui se pré-figure. Il est donc de la nature du schématisme, ce coup de main artiste de la raison, d ’être « caché dans les profondeurs de l’âme » : la pré-figuration se dérobe tout en antici pant. Et c’est même au fond le caractère caché, secret, du schématisme qui le dévoile pour ce qu’il est : la technique, déjà dissimulée derrière toute figure visible, de l’anticipation figurante ou présentatrice.
Dans ce « schématisme sans concepts », dans cette « libre légalité » ou
dans cette « esquisse » de m o n d e 11 pour le libre sujet, le cosmétique est l’anticipation du cosmique. Le beau n ’est pas ici une qualité, intrinsèque ou ajoutée, subjective ou objective ; il est plus qu’une qualité, il fait le sta tut et l’être même du sujet qui se forme et qui se présente pour pouvoir ensuite se (re)présenter un m onde de phénomènes. L’esthétique est elle- même l’anticipation de la connaissance, l’art est l’anticipation de la raison technicienne et le goût est le schème de l’expérience — le schème ou le plaisir, ici, précisément, les deux se confondent. Kant n’a-t-il pas écrit qu’il fallait bien qu’un plaisir prim itif ait présidé à la toute première connais sance, « plaisir rem arquable, sans lequel l’expérience la plus commune n ’aurait pas été possible 12 » ? Du pur plaisir, et point de douleur dans la genèse philosophique de la connaissance et de la maîtrise du monde. (Point de douleur mêlée à ce plaisir : cela implique que le sublime n’a point de part ici. Je vais y venir.) Ce plaisir consiste dans la satisfaction prise à l’unité en général, à trouver ou à retrouver de l’union ou de la réu nion du divers, de l’hétérogène, sous un principe ou sous une loi. L’antici pation procède de cette jouissance de l’unité, nécessaire à la raison, ou réside en elle. Sans l’unité, le divers n ’est que chaos et menace vertigineuse. Avec l’unité, qu’il faut donc avoir anticipée pour pouvoir la retrouver et la (re)présenter, sous l’unité ainsi techniquem ent et artistem ent produite, le divers devient jouissance — c’est-à-dire plaisir et appropriation.
La jouissance, selon Kant, appartient à l’agréable, qu’il convient de dis
tinguer avec soin du beau. L’agréable est attaché à un intérêt, alors que le beau ne l’est pas. Le beau n’est pas lié à un intérêt, car dans le jugem ent esthétique je ne dépends en rien de l’existence de l’objet, et ce qui importe est seulement « ce que je découvre en moi » à l’occasion de cet o b je t 13.
Mais la jouissance de soi ne procède-t-elle pas d’un suprême et secret
intérêt de la raison ? Le désintéressem ent du jugem ent de beauté, pris dans la logique de la ratio artifex, est un intéressement profond : il y a intérêt à