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La faune des profondeurs du lac Léman

Anonyme

Imp. Simon Raçon et comp., La Nature - Revue des sciences, Paris, 1873

Exporté de Wikisource le 14/08/2020

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LA FAUNE
DES PROFONDEURS DU LAC
LÉMAN.

La Société helvétique des sciences naturelles a tenu cette


année sa cinquante-sixième session annuelle. La réunion de
la Société a eu lieu à Schaffhouse. Parmi les nombreux et
intéressants travaux présentés, nous avons remarqué la
communication de M. le docteur F. A. Forel, sur la faune
des profondeurs du lac Léman. Elle nous a paru offrir un
grand intérêt, au moment où les investigations des fonds
aquatiques sont à l’ordre du jour.
En même temps que les naturalistes Scandinaves, anglais
et américains prouvaient la possibilité de la vie sous de
hautes pressions dans les grandes profondeurs de l’Océan,
M. Forel a suivi depuis 1869 des études parallèles dans les
lacs suisses et est arrivé à des résultats analogues. Le limon
du lac Léman, au delà de 30 mètres de fond, est partout
d’une finesse extrême, argilo-calcaire, assez plastique pour
pouvoir être modelé et cuit au four ; si la drague en fait une
coupe convenable, on y remarque à peu près constamment
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la superposition suivante : a. Une couche de 3 à 4
centimètres d’épaisseur, légère, jaunâtre, formée de limon
minéral, de débris d’animaux morts et d’animaux vivants ;
c’est la couche animale. — b. Une couche noirâtre de 1
centimètre environ d’épaisseur. — c. Une couche bleuâtre,
argileuse, très-plastique et relativement très-dense, qui
paraît se continuer dans la profondeur.
C’est dans la couche supérieure que l’on trouve la faune
profonde. M. Forel l’étudie au moyen de deux méthodes
distinctes. La première consiste à laisser reposer le limon
dans une terrine plate pleine d’eau. Les animaux vivants
sortent de la vase l’un après l’autre et viennent nager ou
ramper dans l’eau ; au bout de quelques jours, on laisse
sécher le limon et alors les pisidiums, les cypris et les
cyclops viennent à la surface du limon tracer les méandres
de leurs passages ; enfin, en raclant le limon sur la lame
d’un couteau, l’on obtient les chétopodes et les nématoïdes.
Par ce procédé l’on constate que le limon du fond du Léman
est très-riche en animaux vivants, et l’on peut évaluer leur
nombre à une centaine environ par litre de limon.
La deuxième méthode consiste à tamiser l’eau sale,
obtenue par le lavage à très-grande eau du limon jaunâtre de
la couche animale. Avec des tamis de plus en plus fins l’on
obtient ainsi, d’une part, des animaux vivants assez intacts
pour qu’on puisse les bien observer ; d’une autre part, les
débris d’animaux morts, spécialement les coquilles de
mollusques, les carapaces de crustacés, les polypiers de
bryozoaires, les œufs et les excréments des diverses

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espèces. Le nombre de ces débris est énorme et M. Forel
évalue de 5 à 10 mille les fragments de carapaces
d’entomostracés, qu’il a ainsi tamisés dans un litre de
limon.
Cette abondance de débris organiques peut expliquer la
richesse en produits azotés et phosphatés de certaines
marnes et argiles employées en agriculture comme
amendements.
La faune qui vit dans les profondeurs des lacs est
soumise aux conditions de milieu suivantes :
1° Les animaux sont dans l’impossibilité de venir respirer
à la surface de l’air en nature ; 2° L’eau est rarement pure,
le plus souvent troublée par les eaux glaciaires en été,
torrentielles pendant le reste de l’année ; ces eaux, gagnant
le niveau correspondant à leur densité, forment des couches
horizontales troubles, dont le limon se dépose lentement
dans les plus grandes profondeurs ; 3° Température très-
basse de 5, 6, 7 ou 8° suivant les lacs et suivant les années ;
4° Température constante sans variations diurnes ou
annuelles ; 5° Lumière nulle ou très-faible. À l’aide de
procédés photographiques M. Forel a prouvé qu’en été, à
Morges, la lumière n’influence plus le chlorure d’argent à la
profondeur de 50 mètres ; 6° Repos presque absolu. Les
vagues ne remuent plus, le fond et les courants du lac sont
très-faibles. Le plus fort courant mesuré par M. Forel
marchait à raison de 12 mètres par minute ; 7° Pression
considérable à raison d’une atmosphère par 10 mètres
d’eau ; 8° Flore presque annulée. Au delà de 25 mètres il

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n’y a plus traces de plantes vertes. Encore quelques algues
violettes et un très-grand nombre de belles diatomées.
Dans ces conditions vivent les animaux appartenant à
tous les types et presque à toutes les classes, depuis les
vertébrés représentés par les poissons, jusqu’aux
protozoaires représentés par les infusoires.
M. Forel a étudié aussi la faune des lacs de Neuchâtel,
Zurich, Constance (Bodeusee et Untersee). Quelques
sondages dans chacun de ces lacs lui ont permis de
constater, sinon l’ensemble des espèces, du moins un assez
grand nombre d’animaux analogues pour qu’il puisse
avancer que dans les autres lacs suisses la même faune
profonde se retrouve à peu près dans les mêmes conditions.
Voici les conclusions que formule M. Forel :
1° Il y a dans les lacs trois faunes distinctes : La Faune
littorale ou faune des rivages, allant jusqu’à 15 ou 20
mètres de fond. La faune profonde, allant de 20 à 25 mètres
jusqu’à 300 mètres et plus. La Faune pélagique ;
2° Toutes les formes de la faune littorale ne se retrouvent
pas dans la faune profonde ;
3° Toutes les formes de la faune profonde ont leurs
similaires ou leurs analogues dans la faune littorale. Les
modifications qu’on trouve dans les types des profondeurs
semblent une adaptation au milieu ;
4° Il n’y a pas dans la faune profonde de différences
horizontales. Au même niveau, la faune est la même à
Villeneuves et à Morges ;

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5° En fait de différences verticales en suivant la
profondeur, l’on peut remarquer que quelques (deux ou
trois) espèces, que l’on connaît entre 30 et 100 mètres n’ont
pas été retrouvées à 300 mètres, mais que tous les types de
300 mètres se retrouvent entre 30 et 100 mètres ;
6° Différences locales assez fortes. En certaines places
sont des bancs de coquilles d’œufs, de carapaces de
crustacés ;
7° Différences suivant les saisons assez importantes pour
quelques groupes (larves d’insectes) ;
8° La faune profonde étant la mieux déterminée entre 30
et 60 mètres, c’est à cette profondeur qu’il convient de
l’étudier ;
9° En comparant la faune des différents lacs, l’on
reconnaît que les caractères généraux des faunes profondes
sont les mêmes ;
10° Que les caractères spéciaux varient pour quelques
types dans les différents lacs.
En terminant, M. Forel insiste sur l’intérêt que présentera
l’étude des modifications spécifiques dans les différents
lacs qui ont dû servir de centre de formation particulière
depuis l’époque glaciaire, et dans lesquels les espèces ont
dû se modifier isolément pour s’adapter au milieu depuis un
temps relativement assez court [1].

6
1. ↑ Archives des sciences physiques et naturelles. — Genève, 1873.

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