Vous êtes sur la page 1sur 2

11 MAI 2020

Le rôle de l'habitant demain


LYDIA B. YUBERO
Architecte

Yona Friedman, Comment habiter la terre. 1976

Nous n’avons jamais été autant confrontés à nos environnements domestiques, et de manière aussi

soudaine et inattendue. Il aura fallu une pandémie pour nous rendre compte de l’importance des

espaces de transition qui ouvrent nos intérieurs vers l’extérieur. Cette introspection subie fait appel à

un regard différent, une compréhension plus accrue des usages possibles au sein du logement et des

conditions de résilience à anticiper dès les phases de conception. Certes, mais par qui ?

Les architectes ont-ils un rôle important à jouer dans la conception de nos habitats et de nos dispositifs

domestiques ? Ou ce rôle revient-il plutôt aux promoteurs privés ? Ne serait-il pas le moment de

donner la parole aux habitants ?

La vie en confinement a déclenché plus d’activité dans les copropriétés et l’émergence d’un

imaginaire de projets au sein de l’espace privé des immeubles : jardinage, compostage collectif, cour

d’école improvisée, ... Ceci met en évidence l’investissement des usagers dans la conception. Comme

une preuve directe et non négligeable, révélant un potentiel qu’il serait dommage de ne pas en porter

vers une réflexion plus globale sur la place de l’habitant dans le processus de conception. Quels

dispositifs pour impliquer les habitants durablement dans l’évolutivité de leurs espaces ?

Allons plus loin que ces espaces extérieurs privés. Visionnaire, Yona Friedman réfléchissait déjà, en

1976, au rôle des êtres humains dans la conception des villes : « le but est d’amener le lecteur à

reconsidérer la place de l’homme-habitant dans un écosystème et de l’amener à réfléchir, dans un

contexte de pénurie ou de crise durable ou temporaire, à des solutions de survie de son espèce » [1]. 

Repositionner l’habitant au centre de la réflexion n’implique pas nécessairement la remise en question

du rôle de l’architecte, mais plutôt de revisiter la collaboration entre l’investisseur, le concepteur et

l’habitant. La concertation publique a pris sa place dans la scène de l’aménagement urbain au début

des années 2000. Ainsi les habitants peuvent participer à la réflexion sur l’avenir de leur ville. Il a été

prouvé qu’une concertation bien menée peut se montrer très bénéfique pour un projet. Néanmoins, son
association à la prise de décision dans la conception de l’habitat privé en France est encore loin d’être

un réflexe de la promotion immobilière, contrairement à certains pays voisins.

Depuis 2008, le nombre de logements collectifs en France a dépassé le nombre de logements

individuels et cette tendance se poursuit : en 2019, on comptait 19,8 millions de logements collectifs

contre 15,8 millions de maisons individuels [2]. L’habitat participatif, les coopératives ou les volumes

capables représentent un pourcentage faible dans ce décompte et ne sont toujours pas des opérations

faciles à mener [3]. Ce sont pourtant ces initiatives qui permettent d’intégrer l’habitant, même si la

plupart du temps, ces projets sont impulsés par les habitants eux-mêmes. Quels nouveaux produits

logements encourager ?

Alors si en France, la majorité des ménages habitent dans des bâtiments collectifs, ne serait-il légitime

de leur donner davantage la parole dans la conception de leurs espaces de vie ? Pourrait-on, par

exemple, consulter les habitants sur le nombre de mètres carrés d’espace collectif par habitant et sur

les usages potentiels de cet espace ? ou alors sur l’introduction de locaux à usage collectif ? Ne serait-

il pas venu le temps d’inclure les citoyens dans la conception et la distribution des espaces propres aux

logements ?

Aujourd’hui les PLU sont soumis à enquête publique, mais cela est une voie un peu détournée pour

accéder aux outils qui encadrent la conception. Quels peuvent être les outils réglementaires pour

inclure les habitants dans le processus ? De plus, certains types d’opérations d’aménagement, sont

exclus des règlements publics, nous sommes encore loin de donner accès aux citoyens à la réflexion de

l’habitat de demain.

Un nouveau positionnement politique s’impose. Une reprise du système à l’identique serait regrettable

après la démonstration de l’implication des habitants et les initiatives qui sont nées en temps de

pandémie.

Lydia Blasco Yubero, YAP Architecture, mai 2020

[1] Yona Friedman, Comment habiter la terre. 1976

[2] Source INSEE 2019 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4263935

[3] Nathalie Stey, Le monde, novembre 2019 : A Strasbourg, l’habitat participatif fait florès

Vous aimerez peut-être aussi