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2° Café de l'architecture

Contribution : Hamid Ould Hocine

Thème : L’habitat en Algérie, une histoire à rappeler

Rétrospective de la production du logement « en masse » en Algérie :

 Avant 1962.
 De 1962 à 1980.
 De 1980 à 2000.
 De 2000 à aujourd’hui.

(Pour chaque période, quelle politique du logement ? quels moyens mis en œuvre ? Quel
produit ? pour mettre en évidence l’abandon par l’Etat des préoccupations de qualité,
notamment à partir des années 1980, au profit du nombre par l’élimination d’un certain
nombre de structures d’études au profit de moyens de productions )

Le constat :

S’il y a bien eu un changement d’orientation dans beaucoup de domaines au tournant des années 80,
la rupture dans la politique de l’habitat est à situer plutôt dans les années 90, bien que les germes en
apparaissaient déjà dans ces orientations.

C’est en effet à ce moment - celui des retombées de la crise économique de 86, de la crise sociale de
88 (qui s’est notamment traduite par la crise politique qui s’en est suivie en 91-92) – que le pays a
amorcé véritablement le virage des réformes libérales, accentué ensuite par le Programme
d’Ajustement Structurel à partir de 1994.

Quel rapport direz-vous avec l’habitat.

Il est de 2 ordres :

- Le premier est le ciblage des programmes d’habitat par catégories de population/revenus,


qui s’est traduit par la diversification, pas tant des typologies mais surtout des modes de
financements du Logement : à côté du logement social locatif (LCS), sont apparues diverses
formules :
o RHP, initié par la Banque Mondiale, pour résorber les bidonvilles
o LSP incluant une participation des futurs acquéreurs (accession aidée)
o AADL, de plus haut standing, ciblant les couches moyennes pour l’accession à la
propriété sans aide
o Puis plus tard LPA en 2011 remplacé en 2015 par LPP
o Le dernier est enfin la Promotion Immobilière Privée, jusque-là marginale, réorganisée
à partir de mars 2011
La caractéristique commune de ces programmes à l’exception du dernier, au-delà de leur
différence, est la taille importante des ensembles produits, leur localisation souvent dans les
mêmes sites et leur qualité médiocre, à quelques rares exceptions prés.
Le niveau de banalisation actuel, jamais atteint, même à l'époque de la "typification" -
dénoncée en son temps par les architectes (les PU8, PU13, ...) - contraste avec l'approche
militante des architectes des années 50-62 puis des années 68-80 dès qu'il s'agissait de
logement social et on peut constater que, les ZUHN, avec leurs limites, avaient produits
des ensembles plus cohérents., à tel point que les PUD et les POS ne suffisent plus à
absorber cette quantité et que les autorités des wilayate y suppléent par la création d’une
procédure appelée « Pôles Urbains » qui n’a aucune assise juridique.
Or nous sommes passés de quelques centaines de milliers de logements à plusieurs
millions aujourd’hui, ce qui impacte d’autant plus le déséquilibre du développement des
agglomérations, qui sont de plus en plus nombreuses à être concernées.

- Le 2ème est le changement de paradigme : découlant des effets de la mondialisation, il est plus
profond que le 1er car il se situe dans l’approche, au plan des idées.

Comme je l’avais écrit au SYNAA dans une contribution en 2014, « le logement dans ce
contexte, c'est d'abord la "paix sociale" à acheter, et non l'égalité républicaine; c'est aussi
des marchés, particulièrement orientés vers les multinationales (OMC) sous prétexte
d'incapacité des entreprises nationales (publique ou privées) - le 1ères ayant été presque
réduites à néant par les restructurations et les 2èmes étant encore balbutiantes - donc :

- Des opérations dimensionnées, non selon le confort et la sociabilité mais selon les besoins
de rentabilité de ces grandes entreprises (plusieurs milliers de logements) qui en assument
même les études, sous prétexte de raccourcissement des délais

- Des opérations localisées ex-nihilo en pleine campagnes (et de préférence sur terrain plat
sinon à terrasser en grande masse) et non pour restructurer les vides et friches urbaines.
Livré à la spéculation avec des COS de POS comme à Hussein-Dey, Hydra, Chéraga qui
passent de R+2 à R+9, le tissus urbain ancien est sciemment Laissé à l'abandon.

Est-ce par incompétence ou en vue de leur "rénovation/déportation" comme on disait du


quartier du Marais ? Le résultat est déjà là : émeutes et ghettoïsation, début de création
de gangs de "banlieues".

Ce changement de paradigme touche aussi l’université où il se traduit, par la disparition de


l'enseignement et de la recherche sur le logement social, au profit des thèmes en vogue
(l'écologie et le HQE) qui donnent bonne conscience pour occulter la dimension sociale et
sociologique. Les futurs habitant ne sont plus dignes d'étude et d'analyses, d'enquêtes de
terrains : c'est une masse informe et non différenciée approchée à travers des idées
reçues, (souvent préconçues) et des catégories de revenus (RHP, LSP, LPP, AADL) alors que
la société évolue, change tous les jours, a des aspirations qui dépassent le simple
besoin au départ d'avoir un toit sur la tête à une extrême et celui de vivre dans une
"résidence sécurisée" (syndrome du "Club des Pins") à l'autre extrême.
En Conclusion :
Alors, comment apprécier cette évolution – de notre point de vue nous architectes, négative et
porteuses de dangers et comment pouvons-nous y faire face ?

Il nous semble qu’au lieu d’incriminer « l’incompétence » des acteurs publics et des auteurs
privés, Il faut mettre peut-être à leur décharge que ce qui se fait aujourd'hui - et qui nous désole
tous - est profondément imprégné des idées, des valeurs dominantes dans le monde : celles du
néo-libéralisme - dévastateur à tout point de vue - qui pose comme axiome (donc non
démontrable), les lois du marché et (y sou)mets l'homme considéré d'abord comme un
consommateur.

On ne peut pas faire l’impasse, ignorer, que le monde est aujourd'hui marqué par des
bouleversements au plan géopolitique et des idées que nous avons du mal à mesurer. Nous avons
encore plus de mal à en évaluer les impacts et à en dénicher les manifestations dans tous les
aspects de la vie, tant ces bouleversements ont un caractère global qui touche toutes les sphères
de l’activité humaines : le recul de l'esprit critique, la faiblesses des résistances, le dévoiement des
luttes sociales vers des impasses et leur affaiblissement par la mise en avant des différences
(posées implicitement, comme contradictions principales) entre communautés, ethnies,
et religions, le tout soutenu par l'omniprésence des médias qui parlent d'une même voix et
dévalorisent toute autre approche.

Alors, si dans les pays développés, les résistances sociales et au plan des idées, à ces phénomènes
ont permis d’en limiter les dégâts, et même de produire un habitat meilleur que celui réalisé
durant les 30 glorieuses, pourquoi chez-nous ces idées font des ravages ?

Il faut bien sûr comparer ce qui est comparable, et la première différence est que dans ces pays, la
crise du logement – au plan quantitatif – appartient au passé, ce qui est loin d’être le cas chez-
nous et que l’action présente – qui nous sert souvent de référent - privilégie la qualité.

Mais il faut sans doute aussi faire la part qui leur revient à l’organisation territoriale
(décentralisée), à l’action des associations impliquant les citoyens et de façon générale, à tout ce
qui caractérise ces vielle démocraties bourgeoises, qui ont derrière elles des décennies de
tradition d’organisation et de luttes sociales, qui ont marquées l’habitat, depuis les coopératives
ouvrières, les cités jardin, les HBM et les différentes formules d’habitat social HLM qui par
exemple en France, relèvent de 7 familles différentes.

A l’inverse, chez-nous, le manque de logement est là, l’état centralisateur est omniprésent et les
organisations sociales sont affaiblies.

Les architectes peuvent - comme le fait le SYNAA à travers des rencontres comme celle
d’aujourd’hui et opiniâtrement depuis des années, la revue Vie de Villes - au niveau qui est le leur,
tenter de remettre les choses à leur place, ne pas se faire les instruments complices de cette
situation, réclamer leur droit de regard, agir à travers la qualité de leurs projets pour une inversion
des tendances dominantes. C’est sans doute indispensable pour faire entendre leur voix.

Mais faut-il pour autant attendre des résultats de cette seule action quand les décisions décisives
– comme celles de la taille des programmes et de leur localisation - leurs échappent ?

La question est posée et le débat est à ouvrir aussi sur cette question, nous semble-t-il.

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