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MALI : PREMIER BILAN

DE LA SITUATION DES
DROITS HUMAINS
APRÈS TROIS
SEMAINES DE
COMBATS
Amnesty International Publications

Publié en 2013 par


Amnesty International Publications
Secrétariat International
Peter Benenson House
1 Easton Street
London WC1X 0DW
Royaume-Uni
www.amnesty.org

 Copyright Amnesty International Publications 2013

Index: AFR 37/003/2013


Langue originale : français
Imprimé par Amnesty International, Secrétariat international, Royaume-Uni

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TABLE DE MATIÈRES
INTRODUCTION................................................................................... 4

CIVILS TUÉS LORS D’UNE ATTAQUE AÉRIENNE SUR LA VILLE DE


KONNA LE 11 JANVIER 2013 .............................................................. 5

ALLÉGATIONS D'EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET DE DISPARITIONS


FORCÉES COMMISES PAR L’ARMÉE MALIENNE ................................... 7

ARRESTATIONS ET MAUVAIS TRAITEMENTS PAR L’ARMÉE MALIENNE . 9

ALLÉGATIONS D'ATTEINTES AUX DROITS HUMAINS COMMISES PAR


DES GROUPES ISLAMISTES ARMÉS................................................... 11

HOMICIDES ARBITRAIRES ET DÉLIBÉRÉS ...............................................................11

RECRUTEMENT D’ENFANTS SOLDATS .....................................................................12

RECOMMANDATIONS ........................................................................ 13
4 Mali. Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats

INTRODUCTION
Une délégation d’Amnesty International achève aujourd’hui une mission de dix jours au Mali
et présente ci-dessous ses conclusions préliminaires. La délégation s’est rendue dans les
villes de Ségou, Sévaré, Niono. Elle a pu également enquêter à Konna et à Diabaly qui
venaient d’être reconquises par les armées française et malienne.

C’est la quatrième mission menée au Mali par Amnesty International depuis le début du
conflit en janvier 2012. L’organisation a publié, l’année dernière, trois rapports qui ont mis
en lumière de graves violations et atteintes aux droits humains commises par l’armée
malienne ainsi que par des groupes armés touaregs et islamistes.

Une image plus claire des pertes humaines dues au conflit commence à peine à se dessiner.
Mais il demeure difficile de confirmer toutes les circonstances entourant un grand nombre
d’allégations de violations et atteintes aux droits humains. Amnesty International a obtenu
des informations crédibles indiquant que des civils ont tués de manière extrajudiciaire par
l’armée malienne depuis le 10 janvier 2013. De plus, au moins cinq civils, y compris trois
jeunes enfants, ont été tués lors d’une attaque aérienne lancée dans le cadre de la contre-
offensive conjointe française et malienne visant à reprendre la ville de Konna.

Amnesty International a également recueilli des témoignages relatifs à des atteintes graves
aux droits humains et des violations du droit humanitaire international commises par les
groupes islamistes armés y compris des homicides illégaux et le recours à des enfants
soldats.

Des informations parvenues à Amnesty International indiquent, suite à la reconquête des


villes de Gao et de Tombouctou par les armées française et malienne, des Touaregs et des
Arabes, accusés d’être proches des groupes islamistes armés, ont été pris à partie par la
population et certains de leurs biens ont été pillés. Amnesty International a également reçu
des appels à l’aide de personnes vivant à Gao et qui affirmaient être ciblées en raison de
leurs liens supposés avec des groupes armés touaregs et islamistes et ce, alors que les forces
gouvernements se seraient parfois abstenues d’intervenir. Amnesty International n’a pas
encore eu la possibilité d’enquêter sur ces allégations.

Amnesty International 1er février 2013 Index: AFR 37/003/2013


Mali. Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats 5

CIVILS TUÉS LORS D’UNE ATTAQUE


AÉRIENNE SUR LA VILLE DE KONNA
LE 11 JANVIER 2013
La délégation d'Amnesty International s'est rendue à Konna le 27 janvier 2013, dix jours
après la reprise de la ville par les armées française et malienne. L'attaque de cette ville par
les groupes islamistes armés, le 10 Janvier 2013, avait déclenché l'intervention française.

Amnesty International a enquêté sur la mort de cinq civils, dont une mère et ses trois jeunes
enfants, tués chez eux le matin du 11 janvier 2013 dans le cadre de la contre-offensive
conjointe française et malienne visant à reprendre la ville de Konna.

Un parent qui était dans une autre maison de la concession a déclaré :

« J’ai entendu le bruit de deux hélicoptères et immédiatement après, des roquettes ont été
tirées. J’ai été blessé par les éclats aux pieds. Des bombes ont été lancées également contre
les cinq fenêtres et les trois portes de ma maison où se trouvaient ma mère, mes frères et
mes sœurs. Je me suis précipité à l’intérieur et j’ai vu ma mère, mes sœurs et mes frères
couverts de sang. Ils saignaient de partout. Ils ne pouvaient plus bouger, il était déjà trop
tard, ils étaient morts. »

Les membres de la famille tués étaient Aminata Maïga, quarante ans et trois de ses enfants :
Adama Maïga, dix ans, Ali Maïga, onze ans, Zeinabou Maïga, six ans. Une autre des ses
enfants, Saouda Maïga, a été blessée au bras et à la jambe.

La mosquée, Madrasatoun Sabilou Rachade, qui se trouvait en face de cette maison, a été
également touchée par des tirs.

Par ailleurs, des éclats de roquettes tirées par les hélicoptères ont mortellement blessé au
moins une autre personne. Un témoin a raconté à Amnesty International :

« Le vendredi [11 janvier 2013], j’étais dans la rue vers onze heures du matin et j’ai vu un
mécanicien qui circulait sur son vélo. Il a été touché par les éclats d’une roquette à une
vingtaine de mètres de la maison et d’une mosquée qui ont été touchées par le
bombardement. Il est décédé des suites de ses blessures à l’hôpital de Sévaré. »

Des témoins ont déclaré à Amnesty International qu'il n'y avait pas de membres de groupes
armés ou d’objectifs militaires dans la maison ou la mosquée qui ont été frappées lors de
l'attaque. Ils ont précisé qu'il y avait des membres d'un groupe islamiste armé postés à un
carrefour à quelque 150 mètres de la zone visée lors de l'attaque.

Index: AFR 37/003/2013 Amnesty International 1er février 2013


6 Mali. Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats

Tous les témoins avec lesquels Amnesty International s’est entretenue ont indiqué que la
population n’avait reçu aucun avertissement préalable avant le lancement de cette attaque
aérienne.

La délégation a voulu retourner à Konna, le lendemain, 28 janvier 2013, afin de poursuivre


ses recherches mais elle en a été empêchée par l’armée malienne.

Dès que la délégation d’Amnesty International a appris ces événements, l’organisation a


adressé, le 29 janvier 2013, un courrier au ministre français de la Défense, Jean-Yves Le
Drian, appelant les autorités françaises à ouvrir sans délai une enquête indépendante,
exhaustive et impartiale sur cette attaque et s’assurer que les résultats de cette enquête
soient rendus publics.

La délégation d’Amnesty International a également tenté de rencontrer, en vain, le


Commandant des Opérations malien à Sévaré afin de vérifier si des hélicoptères maliens
avaient participé à cette attaque, mais sans succès. Cependant, un haut responsable du
gouvernement malien ainsi qu’un haut responsable de l’armée malienne ont indiqué par
téléphone à la délégation d’Amnesty que la ville de Konna avait été ciblée ce jour-là, le
matin, lors d’une opération conjointe menée par les armées française et malienne.

Pour sa part, un fonctionnaire français du ministère de la Défense a officieusement déclaré à


Amnesty International que l'armée française n'avait pas lancé d'attaques à Konna avant
16h30 le 11 Janvier et que toute allégation d’intervention plus tôt ce jour-là n'était pas
fondée. Il a également ajouté que « dans l'après-midi du 11 Janvier, l'armée française a
lancé plusieurs frappes aériennes qui n’avaient ciblé que des véhicules (pick-ups) et des
barrages à la périphérie de la ville (et non au centre-ville). Ces éléments ont été vérifiés
visuellement ».

Amnesty International a recoupé les informations relatives à l’heure de l’attaque avec les
témoins et un fonctionnaire de la mairie de Konna et tous ont affirmé avec certitude que les
hélicoptères avaient attaqué vers 11 heures, avant la prière de la mi-journée. Le 30 janvier,
la délégation a également reçu la confirmation d'un colonel de l'armée malienne que
l'attaque de la ville de Konna avait commencé vers 11 heures. Cela a été confirmé, par
téléphone, le lendemain, par un haut responsable du gouvernement malien.

Compte tenu des informations recueillies par Amnesty International, il est impératif que la
France et le Mali ouvrent une enquête afin de déterminer si leurs forces ont effectivement
mené cette attaque ; et si c’est le cas, ils se doivent de rendre publiques les informations
relatives aux circonstances de cette attaque, ce qui permettra d’évaluer si cette opération est
conforme au droit international humanitaire.

Amnesty International 1er février 2013 Index: AFR 37/003/2013


Mali. Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats 7

ALLÉGATIONS D’EXÉCUTIONS
EXTRAJUDICIAIRES ET DE
DISPARITIONS FORCÉES COMMISES
PAR L’ARMÉE MALIENNE
Amnesty International a recueilli des témoignages indiquant que les forces armées maliennes
ont commis des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées à Sévaré (à quelque
630 km au nord-est de Bamako, la capitale) et dans d’autres villes les 10 et 11 janvier
2013. D’autres personnes ont été arrêtées et auraient été transférées à Bamako.

La délégation d’Amnesty International a pu s’entretenir avec des témoins et recueillir


d’autres informations indiquant que plus de 20 civils ont été arrêtés dans la rue ou devant la
gare routière, à Sévaré. Amnesty International craint que beaucoup d’entre eux n’aient été
exécutés de manière extrajudiciaire. Les corps de certaines de ces victimes ont été jetés dans
un puits dans le quartier de Waïludé.

Un témoin a raconté à Amnesty International :

« Le jeudi [10 janvier 2013] vers 16 ou 17 heures, je me trouvais dans le quartier de


Waïludé quand j’ai vu un véhicule militaire qui s’est arrêté non loin d’un puits. Les militaires
sont descendus de leur véhicule. Ils ont pris des corps qu’ils ont jetés dans le puits. Le
véhicule est reparti et est revenu sur les mêmes lieux. Ils ont pris d’autres corps, au moins
six qu’ils ont jetés à nouveau dans le puits. Une fois que les corps étaient au fond du puits,
ils ont tiré des rafales à deux ou trois reprises. »

Le lendemain, d’autres personnes, y compris une femme, ont été exécutées de la même
manière. Une personne a assisté à certaines de ces arrestations :

« Le vendredi [10 janvier 2013] avant l’heure de la prière de 13 heures, je me trouvais à la


gare routière quand les militaires sont venus arrêter plus de 12 personnes. Ils demandaient
aux gens de montrer leurs pièces d’identité. Parmi les personnes arrêtées se trouvaient une
seule femme. Elle était arrêtée avec son mari. Ce sont des Haoussas du Niger. Le couple
d’Haoussas a été emmené devant un puits tout près de là. De là où je me trouvais, j’ai
remarqué qu’ils ont demandé au couple de s’asseoir, puis ils leur ont tiré des balles et les
ont jetés dans le puits. Je ne sais pas où les autres personnes ont été emmenées. »

Index: AFR 37/003/2013 Amnesty International 1er février 2013


8 Mali. Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats

Une personne qui voulait savoir ce qui était arrivé à ses parents, arrêtés devant la gare
routière, a raconté à Amnesty International:

« Après la prière du vendredi, je suis allé à la gare routière. Des passagers m’ont dit que les
personnes arrêtées avaient été emmenées non loin du cimetière. Lorsque je suis arrivé à
Waïludé, j’au vu plusieurs corps étendus devant un puits. J’ai compté 12 cadavres et ai
identifié deux parents à moi, Ibrahim Dicko, soixante-deux ans et son fils Amadou. J’ai
remarqué que tous les personnes tuées portaient des vêtements semblables aux ceux portés
par les Islamistes. Les soldats ont jeté les corps dans le puits devant moi. »

La délégation d’Amnesty International s’est rendue devant ce puits qui dégageait une odeur
pestilentielle.

Certaines personnes semblent avoir été arrêtées parce qu’elles portaient des tenues qui
pouvaient les assimiler, aux yeux des militaires, à des Touaregs.

Un habitant de Sévaré a raconté à Amnesty International :

« Le vendredi [11 janvier 2013] vers 9H00, je me trouvais avec un ami dans le quartier de
Waïludé. Un véhicule militaire s’est arrêté. Quatre militaires sont descendus avec trois
personnes, deux Noirs et un Blanc. Ils portaient des pipaos [habit traditionnel touareg] noirs.
Les militaires ont mis les trois personnes devant le puits puis leur ont tiré dessus. Ils ont
ensuite jeté le corps dans le puits. Les gens ne disaient rien, j’avais très peur. »

Ce jour-là, d’autres personnes auraient été ciblées à Sévaré, parce que, selon un témoin,
elles « portaient des vêtements, des boubous, qui pourraient s’apparenter à ceux portés par
les islamistes. »

Amnesty International a également recueilli des informations relatives au cas de trois talibés
(étudiants d’une école cornique) qui ont été tués par balle devant le camp militaire de Sévaré
le 11 janvier 2013. Ces talibés, Youssouf Abourou, Ouamarou Sayaow et Soumaïla Amadou
passaient à moto devant le camp militaire lorsqu’ils ont été abattus par des soldats maliens.

La délégation d’Amnesty International s’est également rendue dans la région de Niono (à


340 km de Bamako) où des personnes ont été exécutées par des militaires maliens.

C’est le cas de deux cousins, Aboubakrim Ag Mohamed, un marabout et cultivateur âgé de


trente-sept ans, et Samba Ag Ibrahim, un berger âgé de cinquante ans, tués à Ceribala, à 40
km de Niono le vendredi 18 janvier 2013.

Un proche d’un de ces deux hommes a raconté à Amnesty International :

« Les militaires ont dit à Aboubakrim qu’ils voulaient voir l’intérieur de sa maison pour
effectuer des fouilles. Ils n’ont rien trouvé mais ils lui ont demandé de les suivre. Ils l’ont
amené 200 mètres plus loin et l’ont exécuté. »

Amnesty International 1er février 2013 Index: AFR 37/003/2013


Mali. Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats 9

Peu de temps après cette exécution, les militaires ont rencontré Samba Ag Ibrahim et l’ont
exécuté à côté du corps gisant de son cousin, Aboubakrim. Les deux corps ont été
abandonnés et ont été ensevelis le lendemain par les villageois.

Le commandant de la gendarmerie de Ségou et le procureur général de Sévaré ont indiqué à


Amnesty International qu’une enquête allait être ouverte sur ces cas.

Amnesty International a également recueilli des informations concernant des personnes qui
ont été arrêtées par des militaires maliens et dont on est sans nouvelles depuis lors. C’est le
cas de plusieurs personnes arrêtées à Sévaré le 11 janvier 2013. Le voisin d’une de ces
personnes a raconté à Amnesty International :

« Le vendredi [11 janvier 2013], Moustapha Ag Mahama, 72 ans, a été battu par des soldats
alors qu’il quitté sa maison et il a été emmené à un barrage de militaires où il a été de
nouveau frappé. Un militaire l’a giflé et lui a donné un coup de pied. J’ai couru pour aller
informer ses parents mais à leur arrivée les militaires ont interdit l’accès à tout le monde. J’ai
constaté que Moustapha avait été emmené par les militaires. Ce jour là, plusieurs personnes
avaient été arrêtées et emmenées dans des véhicules militaires. Depuis, on n’a plus de
nouvelles de lui. »

Le fils de cet homme a tenté de retrouver sa trace sans succès :

« Quand nous avons appris que notre père avait été arrêté, nous avons couru pour aller à sa
recherche. À la hauteur du barrage, nous avons expliqué aux militaires que nous recherchions
notre vieux qui avait été arrêté. Les militaires nous ont interdit de franchir le barrage et ont
menacé de nous arrêter également. Nous avons donc rebroussé chemin. Nous ne l’avons pas
trouvé et depuis ce jour nous le recherchons. »

Les allégations d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées commises par les


forces gouvernementales maliennes constituent un type récurrent de violations bien établi.
Amnesty International a recensé de nombreux cas de militaires et de civils tués de manière
illégale depuis le début du conflit, en janvier 2012, y compris 16 prêcheurs musulmans tués
par l’armée malienne à Diabaly en septembre 2012.

Index: AFR 37/003/2013 Amnesty International 1er février 2013


10 Mali. Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats

ARRESTATIONS ET MAUVAIS
TRAITEMENTS PAR L’ARMÉE
MALIENNE
Un certain nombre de personnes ont été arrêtées par l’armée malienne en raison de leurs
liens présumés avec des groupes islamistes armés.

La délégation a pu rencontrer, le 28 janvier 2013, trois personnes détenues à la Brigade


mixte de la Gendarmerie de Sévaré parce que soupçonnées d’être membres de groupes
islamistes armés. Parmi eux se trouvait un adolescent âgé de seize ans et accusé d’être un
enfant soldat recruté par un groupe islamiste armé.

Ce garçon, originaire de Niono, a indiqué à Amnesty International :

« Je cherchais du travail et j’ai été embauché chez les islamistes. Je faisais la cuisine pour
eux. J’ai été arrêté à Douentza par un civil à moto qui m’a conduit chez les militaires parce
que ma tenue lui paraissait suspecte. Ils m’ont accusé d’avoir été chez les « djihadistes » et
au moment de mon interrogatoire, j’ai été giflé. J’ai passé un jour chez les militaires et suis
depuis six jours ici, à la gendarmerie ».

Parmi les trois autres détenus rencontrés par Amnesty International, l’un d’eux, un
cultivateur âgé de quarante et un ans, originaire de Hombouri, a affirmé avoir été arrêté le
dimanche 20 janvier à Fatomia, près de Sévaré, lors d’un contrôle à un barrage parce qu’il
n’avait pas sa carte d’identité. Il a indiqué : « Quand je suis arrivé à la brigade, j’ai été battu
avec un bâton et le plat d’un couteau, j’en ai perdu connaissance. »

Un autre détenu, lui aussi cultivateur, a raconté les circonstances de son arrestation : « J’ai
été arrêté à Douentza le 25 janvier au cours d’un contrôle d’identité à un barrage. Le policier
qui contrôlait les papiers m’a dit que mon nom indiquait que j’étais “ djihadiste ”. »

Amnesty International 1er février 2013 Index: AFR 37/003/2013


Mali. Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats 11

ATTEINTES AUX DROITS HUMAINS


COMMISES PAR DES GROUPES
ISLAMISTES ARMÉS
ALLÉGATIONS D’HOMICIDES ARBITRAIRES ET DÉLIBÉRÉS

La délégation d’Amnesty International a recueilli des informations relatives à deux


événements au cours desquels des membres de groupes islamistes armés auraient tué de
manière sommaire des soldats capturés ou blessés ainsi que des civils.

Ces deux cas sont survenus les 14 et 15 janvier 2013, suite à la prise de la ville de Diabaly
(à 400 km au nord-est de Bamako) par des groupes islamistes armés.

Un témoin a raconté l’arrivée de ces éléments armés dans la ville :

« Ils sont arrivés le lundi [14 janvier 2013]. Il y avait avec eux des Noirs, des Tamasheks
[Touaregs] des Noirs parlant anglais et un Pakistanais. Les islamistes se sont mêlés à la
population pour leur parler. Certains disaient qu’ils n’étaient pas arabes et déclinaient leur
ethnie. Ils déclaraient être venus à Diabaly pour instaurer l’islam ».

Le lendemain de leur prise de contrôle de la ville, des éléments islamistes armés auraient
achevé cinq militaires maliens qui étaient blessés. Un militaire qui a recueilli le témoignage
de l’unique survivant a raconté à Amnesty International :

« Le lundi 14 janvier, des combats ont opposé les militaires aux islamistes à l’entrée de
Diabaly. Un BRDM [véhicule de reconnaissance et de patrouille d’origine soviétique] a été
touché et ne pouvait plus rouler. Il y a eu un repli des militaires. Le lendemain, le mardi 15
janvier, les islamistes sont venus à l’entrée de la ville où les combats s’étaient déroulés la
veille. Un d’entre eux a ouvert la porte du BRDM qui avait été touché la veille. Six militaires
blessés étaient couchés les uns sur les autres. Le rebelle ne leur a pas porté secours et leur a
tiré dessus. Cinq d’entre eux ont été tués, un a pu survivre. »

Amnesty International a pu prendre connaissance d’un document officiel mentionnant les


noms de ces cinq soldats tués : Amadou Koné, Salia Koné, Madjane Diallo, Hainala Ould
Aliou et Issa Ongoiba.

Dans un autre cas, un civil qui rentrait chez lui, Cheickna Kandako, a été exécuté par des
éléments de groupes islamistes armés le 14 janvier 2013. Un proche de la victime a raconté
à Amnesty International :

Index: AFR 37/003/2013 Amnesty International 1er février 2013


12 Mali. Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats

« Cheickna a quitté la maison pour aller chercher de la nourriture pour sa famille lorsqu’il a
rencontré des éléments d’un groupe islamiste armé. Ils ont tenté de l’arrêter et lui ont
demandé de les suivre. Il a essayé de se sauver en enjambant un mur. Les islamistes l’ont
poursuivi et l’ont exécuté d’une balle qui lui a traversé la tête. Une femme qui empêchait les
islamistes d’entrer la concession pour protéger Cheickna a été blessée au bras. »

RECRUTEMENT D’ENFANTS SOLDATS

Amnesty International a également recueilli des informations confirmant le recours aux


enfants soldats par les groupes islamistes armés.

Plusieurs habitants de Diabaly ont dit à Amnesty International avoir vu des enfants (âgés
entre dix et dix-sept ans) dans les rangs des groupes armés islamistes. Un témoin a raconté :
« Ces enfants portaient des fusils. L’un d’entre eux était si petit et son fusil traînait parfois
par terre ».

L’adjoint au maire de Diabaly a, quant à lui, précisé : « J’ai vu trois enfants avec les
« rebelles », ils portaient des fusils, ils avaient la même tenue que les islamistes, un pipao et
un demi pantalon. »

La délégation d’Amnesty International a également rencontré, le 30 janvier 2013, deux


autres enfants soldat détenus à la gendarmerie de Ségou. Les autorités maliennes ont
indiqué à Amnesty International que ces deux enfants soldats allaient être remis par le
procureur de Ségou au service des affaires sociales.

L’un d’entre eux semblait avoir des problèmes mentaux et, pour cette raison, la délégation
n’a pas réussi à obtenir son témoignage. L’autre, âgé de seize ans, qui a été arrêté à Diabaly
au moment où cette ville a été reprise par les forces françaises et maliennes, a raconté dans
quelles circonstances il avait été contraint de rejoindre des éléments des groupes islamistes
armés :

« J’étudiais avec 23 autres élèves auprès d’un maître coranique. Il y a deux mois, le petit
fils de mon maître nous a vendu aux islamistes. Nous avons rejoint un groupe de 14 autres
jeunes qui portaient des armes. Moi, on m’a d’abord demandé d’aller travailler dans les
cuisines. On faisait à manger dans une église chrétienne qui était occupée par les islamistes.
Les rebelles nous frappaient lorsqu’on avait des leçons sur le Coran parce qu’ils estimaient
que notre prononciation des versets arabes n’était pas correcte et ils voulaient qu’on
prononce l’arabe comme eux. J’ai été frappé quatre fois avec une courroie de caoutchouc ».

Cet enfant soldat a également expliqué comment il avait été préparé au combat et contraint
d’ingurgiter certaines substances.

« Ils nous entrainaient à tirer en nous disant de viser le cœur ou les pieds. Avant les
combats, on nous faisait manger du riz mélangé à de la poudre blanche et une sauce avec
une poudre rouge. On nous faisait aussi des injections. Moi, j’en ai eu trois. Après ces
injections et après avoir mangé le riz et la poudre, je devenais comme un moteur de véhicule,
je pouvais tout faire pour mes maîtres. Je voyais nos ennemis comme des chiens et n’avait
qu’une envie, les abattre. »

Amnesty International 1er février 2013 Index: AFR 37/003/2013


Mali. Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats 13

Cet enfant soldat a indiqué à Amnesty International que quatre enfants soldats avaient été
tués lors des combats qui ont opposé ces groupes islamistes armés et les armées française et
malienne qui ont repris la ville de Diabaly autour du 20 et 21 janvier 2013.

RECOMMANDATIONS
En se fondant sur ces observations préliminaires, Amnesty International réitère son appel à
toutes les parties au conflit afin qu’elles respectent le droit international humanitaire et, en
particulier, l’article 3 commun aux Conventions de Genève qui prévoit que les civils et les
combattants capturés doivent être traités avec humanité et qui interdit le recours à la torture
et à l’exécution des prisonniers.

L’organisation appelle, en particulier, l’armée française à ouvrir une enquête indépendante et


impartiale sur l’attaque de Konna qui, selon les informations recueillies, a entraîné la mort
d’au moins cinq civils. De plus, compte tenu de la gravité des informations relatives aux
exécutions extrajudiciaires commises par l’armée malienne, les autorités maliennes doivent
ouvrir sans délai une enquête exhaustive, indépendante et impartiale sur ces allégations.
Elles doivent également relever de leurs fonctions toute personne soupçonnée d’avoir
perpétré ou ordonné ces actes. Dans l’attente de la conclusion de ces enquêtes, et en cas de
preuves recevables suffisantes, les auteurs présumés de ces actes doivent être jugés dans le
cadre de procédures judiciaires équitables. Les victimes et leurs proches doivent recevoir une
pleine réparation.

Amnesty International appelle les groupes islamistes armés à mettre un terme au


recrutement et à l’utilisation d’enfants soldats et à libérer ceux qui sont encore dans leurs
rangs. Les groupes armés doivent retirer de leurs rangs toute personne soupçonnée d'avoir
commis des exécutions sommaires et autres infractions graves au droit international
humanitaire.

Enfin, l’organisation réitère son appel à un déploiement sans délai d’observateurs des droits
humains des Nations unies. Ces observateurs doivent être en nombre suffisant et dotes des
ressources nécessaires afin de surveiller et signaler publiquement tout développement de la
situation des droits humains dans les zones de conflit. Une attention particulière doit être
accordée aux enfants affectés par le conflit ainsi qu’aux questions relatives au genre et aux
violences sexuelles. Ces observateurs des droits humains doivent enquêter de manière
transparente et appropriée sur toutes les allégations crédibles de violations et d’atteintes aux
droits humains commises par toutes les parties au conflit, y compris par toute force
internationale déployée au Mali. Les dispositions de la Politique de diligence raisonnable des
Nations Unies doivent être strictement respectées afin que nul soutien ne soit apporté à une
entité à propos de laquelle il existe des motifs sérieux de croire que ses membres ont commis
des violations graves du droit international humanitaire, relatif aux droits humains et au droit
des refugiés.

Index: AFR 37/003/2013 Amnesty International 1er février 2013


www.amnesty.org

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