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DE LA SITUATION DES
DROITS HUMAINS
APRÈS TROIS
SEMAINES DE
COMBATS
Amnesty International Publications
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RECOMMANDATIONS ........................................................................ 13
4 Mali. Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats
INTRODUCTION
Une délégation d’Amnesty International achève aujourd’hui une mission de dix jours au Mali
et présente ci-dessous ses conclusions préliminaires. La délégation s’est rendue dans les
villes de Ségou, Sévaré, Niono. Elle a pu également enquêter à Konna et à Diabaly qui
venaient d’être reconquises par les armées française et malienne.
C’est la quatrième mission menée au Mali par Amnesty International depuis le début du
conflit en janvier 2012. L’organisation a publié, l’année dernière, trois rapports qui ont mis
en lumière de graves violations et atteintes aux droits humains commises par l’armée
malienne ainsi que par des groupes armés touaregs et islamistes.
Une image plus claire des pertes humaines dues au conflit commence à peine à se dessiner.
Mais il demeure difficile de confirmer toutes les circonstances entourant un grand nombre
d’allégations de violations et atteintes aux droits humains. Amnesty International a obtenu
des informations crédibles indiquant que des civils ont tués de manière extrajudiciaire par
l’armée malienne depuis le 10 janvier 2013. De plus, au moins cinq civils, y compris trois
jeunes enfants, ont été tués lors d’une attaque aérienne lancée dans le cadre de la contre-
offensive conjointe française et malienne visant à reprendre la ville de Konna.
Amnesty International a également recueilli des témoignages relatifs à des atteintes graves
aux droits humains et des violations du droit humanitaire international commises par les
groupes islamistes armés y compris des homicides illégaux et le recours à des enfants
soldats.
Amnesty International a enquêté sur la mort de cinq civils, dont une mère et ses trois jeunes
enfants, tués chez eux le matin du 11 janvier 2013 dans le cadre de la contre-offensive
conjointe française et malienne visant à reprendre la ville de Konna.
« J’ai entendu le bruit de deux hélicoptères et immédiatement après, des roquettes ont été
tirées. J’ai été blessé par les éclats aux pieds. Des bombes ont été lancées également contre
les cinq fenêtres et les trois portes de ma maison où se trouvaient ma mère, mes frères et
mes sœurs. Je me suis précipité à l’intérieur et j’ai vu ma mère, mes sœurs et mes frères
couverts de sang. Ils saignaient de partout. Ils ne pouvaient plus bouger, il était déjà trop
tard, ils étaient morts. »
Les membres de la famille tués étaient Aminata Maïga, quarante ans et trois de ses enfants :
Adama Maïga, dix ans, Ali Maïga, onze ans, Zeinabou Maïga, six ans. Une autre des ses
enfants, Saouda Maïga, a été blessée au bras et à la jambe.
La mosquée, Madrasatoun Sabilou Rachade, qui se trouvait en face de cette maison, a été
également touchée par des tirs.
Par ailleurs, des éclats de roquettes tirées par les hélicoptères ont mortellement blessé au
moins une autre personne. Un témoin a raconté à Amnesty International :
« Le vendredi [11 janvier 2013], j’étais dans la rue vers onze heures du matin et j’ai vu un
mécanicien qui circulait sur son vélo. Il a été touché par les éclats d’une roquette à une
vingtaine de mètres de la maison et d’une mosquée qui ont été touchées par le
bombardement. Il est décédé des suites de ses blessures à l’hôpital de Sévaré. »
Des témoins ont déclaré à Amnesty International qu'il n'y avait pas de membres de groupes
armés ou d’objectifs militaires dans la maison ou la mosquée qui ont été frappées lors de
l'attaque. Ils ont précisé qu'il y avait des membres d'un groupe islamiste armé postés à un
carrefour à quelque 150 mètres de la zone visée lors de l'attaque.
Tous les témoins avec lesquels Amnesty International s’est entretenue ont indiqué que la
population n’avait reçu aucun avertissement préalable avant le lancement de cette attaque
aérienne.
Amnesty International a recoupé les informations relatives à l’heure de l’attaque avec les
témoins et un fonctionnaire de la mairie de Konna et tous ont affirmé avec certitude que les
hélicoptères avaient attaqué vers 11 heures, avant la prière de la mi-journée. Le 30 janvier,
la délégation a également reçu la confirmation d'un colonel de l'armée malienne que
l'attaque de la ville de Konna avait commencé vers 11 heures. Cela a été confirmé, par
téléphone, le lendemain, par un haut responsable du gouvernement malien.
Compte tenu des informations recueillies par Amnesty International, il est impératif que la
France et le Mali ouvrent une enquête afin de déterminer si leurs forces ont effectivement
mené cette attaque ; et si c’est le cas, ils se doivent de rendre publiques les informations
relatives aux circonstances de cette attaque, ce qui permettra d’évaluer si cette opération est
conforme au droit international humanitaire.
ALLÉGATIONS D’EXÉCUTIONS
EXTRAJUDICIAIRES ET DE
DISPARITIONS FORCÉES COMMISES
PAR L’ARMÉE MALIENNE
Amnesty International a recueilli des témoignages indiquant que les forces armées maliennes
ont commis des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées à Sévaré (à quelque
630 km au nord-est de Bamako, la capitale) et dans d’autres villes les 10 et 11 janvier
2013. D’autres personnes ont été arrêtées et auraient été transférées à Bamako.
Le lendemain, d’autres personnes, y compris une femme, ont été exécutées de la même
manière. Une personne a assisté à certaines de ces arrestations :
Une personne qui voulait savoir ce qui était arrivé à ses parents, arrêtés devant la gare
routière, a raconté à Amnesty International:
« Après la prière du vendredi, je suis allé à la gare routière. Des passagers m’ont dit que les
personnes arrêtées avaient été emmenées non loin du cimetière. Lorsque je suis arrivé à
Waïludé, j’au vu plusieurs corps étendus devant un puits. J’ai compté 12 cadavres et ai
identifié deux parents à moi, Ibrahim Dicko, soixante-deux ans et son fils Amadou. J’ai
remarqué que tous les personnes tuées portaient des vêtements semblables aux ceux portés
par les Islamistes. Les soldats ont jeté les corps dans le puits devant moi. »
La délégation d’Amnesty International s’est rendue devant ce puits qui dégageait une odeur
pestilentielle.
Certaines personnes semblent avoir été arrêtées parce qu’elles portaient des tenues qui
pouvaient les assimiler, aux yeux des militaires, à des Touaregs.
« Le vendredi [11 janvier 2013] vers 9H00, je me trouvais avec un ami dans le quartier de
Waïludé. Un véhicule militaire s’est arrêté. Quatre militaires sont descendus avec trois
personnes, deux Noirs et un Blanc. Ils portaient des pipaos [habit traditionnel touareg] noirs.
Les militaires ont mis les trois personnes devant le puits puis leur ont tiré dessus. Ils ont
ensuite jeté le corps dans le puits. Les gens ne disaient rien, j’avais très peur. »
Ce jour-là, d’autres personnes auraient été ciblées à Sévaré, parce que, selon un témoin,
elles « portaient des vêtements, des boubous, qui pourraient s’apparenter à ceux portés par
les islamistes. »
Amnesty International a également recueilli des informations relatives au cas de trois talibés
(étudiants d’une école cornique) qui ont été tués par balle devant le camp militaire de Sévaré
le 11 janvier 2013. Ces talibés, Youssouf Abourou, Ouamarou Sayaow et Soumaïla Amadou
passaient à moto devant le camp militaire lorsqu’ils ont été abattus par des soldats maliens.
« Les militaires ont dit à Aboubakrim qu’ils voulaient voir l’intérieur de sa maison pour
effectuer des fouilles. Ils n’ont rien trouvé mais ils lui ont demandé de les suivre. Ils l’ont
amené 200 mètres plus loin et l’ont exécuté. »
Peu de temps après cette exécution, les militaires ont rencontré Samba Ag Ibrahim et l’ont
exécuté à côté du corps gisant de son cousin, Aboubakrim. Les deux corps ont été
abandonnés et ont été ensevelis le lendemain par les villageois.
Amnesty International a également recueilli des informations concernant des personnes qui
ont été arrêtées par des militaires maliens et dont on est sans nouvelles depuis lors. C’est le
cas de plusieurs personnes arrêtées à Sévaré le 11 janvier 2013. Le voisin d’une de ces
personnes a raconté à Amnesty International :
« Le vendredi [11 janvier 2013], Moustapha Ag Mahama, 72 ans, a été battu par des soldats
alors qu’il quitté sa maison et il a été emmené à un barrage de militaires où il a été de
nouveau frappé. Un militaire l’a giflé et lui a donné un coup de pied. J’ai couru pour aller
informer ses parents mais à leur arrivée les militaires ont interdit l’accès à tout le monde. J’ai
constaté que Moustapha avait été emmené par les militaires. Ce jour là, plusieurs personnes
avaient été arrêtées et emmenées dans des véhicules militaires. Depuis, on n’a plus de
nouvelles de lui. »
« Quand nous avons appris que notre père avait été arrêté, nous avons couru pour aller à sa
recherche. À la hauteur du barrage, nous avons expliqué aux militaires que nous recherchions
notre vieux qui avait été arrêté. Les militaires nous ont interdit de franchir le barrage et ont
menacé de nous arrêter également. Nous avons donc rebroussé chemin. Nous ne l’avons pas
trouvé et depuis ce jour nous le recherchons. »
ARRESTATIONS ET MAUVAIS
TRAITEMENTS PAR L’ARMÉE
MALIENNE
Un certain nombre de personnes ont été arrêtées par l’armée malienne en raison de leurs
liens présumés avec des groupes islamistes armés.
« Je cherchais du travail et j’ai été embauché chez les islamistes. Je faisais la cuisine pour
eux. J’ai été arrêté à Douentza par un civil à moto qui m’a conduit chez les militaires parce
que ma tenue lui paraissait suspecte. Ils m’ont accusé d’avoir été chez les « djihadistes » et
au moment de mon interrogatoire, j’ai été giflé. J’ai passé un jour chez les militaires et suis
depuis six jours ici, à la gendarmerie ».
Parmi les trois autres détenus rencontrés par Amnesty International, l’un d’eux, un
cultivateur âgé de quarante et un ans, originaire de Hombouri, a affirmé avoir été arrêté le
dimanche 20 janvier à Fatomia, près de Sévaré, lors d’un contrôle à un barrage parce qu’il
n’avait pas sa carte d’identité. Il a indiqué : « Quand je suis arrivé à la brigade, j’ai été battu
avec un bâton et le plat d’un couteau, j’en ai perdu connaissance. »
Un autre détenu, lui aussi cultivateur, a raconté les circonstances de son arrestation : « J’ai
été arrêté à Douentza le 25 janvier au cours d’un contrôle d’identité à un barrage. Le policier
qui contrôlait les papiers m’a dit que mon nom indiquait que j’étais “ djihadiste ”. »
Ces deux cas sont survenus les 14 et 15 janvier 2013, suite à la prise de la ville de Diabaly
(à 400 km au nord-est de Bamako) par des groupes islamistes armés.
« Ils sont arrivés le lundi [14 janvier 2013]. Il y avait avec eux des Noirs, des Tamasheks
[Touaregs] des Noirs parlant anglais et un Pakistanais. Les islamistes se sont mêlés à la
population pour leur parler. Certains disaient qu’ils n’étaient pas arabes et déclinaient leur
ethnie. Ils déclaraient être venus à Diabaly pour instaurer l’islam ».
Le lendemain de leur prise de contrôle de la ville, des éléments islamistes armés auraient
achevé cinq militaires maliens qui étaient blessés. Un militaire qui a recueilli le témoignage
de l’unique survivant a raconté à Amnesty International :
« Le lundi 14 janvier, des combats ont opposé les militaires aux islamistes à l’entrée de
Diabaly. Un BRDM [véhicule de reconnaissance et de patrouille d’origine soviétique] a été
touché et ne pouvait plus rouler. Il y a eu un repli des militaires. Le lendemain, le mardi 15
janvier, les islamistes sont venus à l’entrée de la ville où les combats s’étaient déroulés la
veille. Un d’entre eux a ouvert la porte du BRDM qui avait été touché la veille. Six militaires
blessés étaient couchés les uns sur les autres. Le rebelle ne leur a pas porté secours et leur a
tiré dessus. Cinq d’entre eux ont été tués, un a pu survivre. »
Dans un autre cas, un civil qui rentrait chez lui, Cheickna Kandako, a été exécuté par des
éléments de groupes islamistes armés le 14 janvier 2013. Un proche de la victime a raconté
à Amnesty International :
« Cheickna a quitté la maison pour aller chercher de la nourriture pour sa famille lorsqu’il a
rencontré des éléments d’un groupe islamiste armé. Ils ont tenté de l’arrêter et lui ont
demandé de les suivre. Il a essayé de se sauver en enjambant un mur. Les islamistes l’ont
poursuivi et l’ont exécuté d’une balle qui lui a traversé la tête. Une femme qui empêchait les
islamistes d’entrer la concession pour protéger Cheickna a été blessée au bras. »
Plusieurs habitants de Diabaly ont dit à Amnesty International avoir vu des enfants (âgés
entre dix et dix-sept ans) dans les rangs des groupes armés islamistes. Un témoin a raconté :
« Ces enfants portaient des fusils. L’un d’entre eux était si petit et son fusil traînait parfois
par terre ».
L’adjoint au maire de Diabaly a, quant à lui, précisé : « J’ai vu trois enfants avec les
« rebelles », ils portaient des fusils, ils avaient la même tenue que les islamistes, un pipao et
un demi pantalon. »
L’un d’entre eux semblait avoir des problèmes mentaux et, pour cette raison, la délégation
n’a pas réussi à obtenir son témoignage. L’autre, âgé de seize ans, qui a été arrêté à Diabaly
au moment où cette ville a été reprise par les forces françaises et maliennes, a raconté dans
quelles circonstances il avait été contraint de rejoindre des éléments des groupes islamistes
armés :
« J’étudiais avec 23 autres élèves auprès d’un maître coranique. Il y a deux mois, le petit
fils de mon maître nous a vendu aux islamistes. Nous avons rejoint un groupe de 14 autres
jeunes qui portaient des armes. Moi, on m’a d’abord demandé d’aller travailler dans les
cuisines. On faisait à manger dans une église chrétienne qui était occupée par les islamistes.
Les rebelles nous frappaient lorsqu’on avait des leçons sur le Coran parce qu’ils estimaient
que notre prononciation des versets arabes n’était pas correcte et ils voulaient qu’on
prononce l’arabe comme eux. J’ai été frappé quatre fois avec une courroie de caoutchouc ».
Cet enfant soldat a également expliqué comment il avait été préparé au combat et contraint
d’ingurgiter certaines substances.
« Ils nous entrainaient à tirer en nous disant de viser le cœur ou les pieds. Avant les
combats, on nous faisait manger du riz mélangé à de la poudre blanche et une sauce avec
une poudre rouge. On nous faisait aussi des injections. Moi, j’en ai eu trois. Après ces
injections et après avoir mangé le riz et la poudre, je devenais comme un moteur de véhicule,
je pouvais tout faire pour mes maîtres. Je voyais nos ennemis comme des chiens et n’avait
qu’une envie, les abattre. »
Cet enfant soldat a indiqué à Amnesty International que quatre enfants soldats avaient été
tués lors des combats qui ont opposé ces groupes islamistes armés et les armées française et
malienne qui ont repris la ville de Diabaly autour du 20 et 21 janvier 2013.
RECOMMANDATIONS
En se fondant sur ces observations préliminaires, Amnesty International réitère son appel à
toutes les parties au conflit afin qu’elles respectent le droit international humanitaire et, en
particulier, l’article 3 commun aux Conventions de Genève qui prévoit que les civils et les
combattants capturés doivent être traités avec humanité et qui interdit le recours à la torture
et à l’exécution des prisonniers.
Enfin, l’organisation réitère son appel à un déploiement sans délai d’observateurs des droits
humains des Nations unies. Ces observateurs doivent être en nombre suffisant et dotes des
ressources nécessaires afin de surveiller et signaler publiquement tout développement de la
situation des droits humains dans les zones de conflit. Une attention particulière doit être
accordée aux enfants affectés par le conflit ainsi qu’aux questions relatives au genre et aux
violences sexuelles. Ces observateurs des droits humains doivent enquêter de manière
transparente et appropriée sur toutes les allégations crédibles de violations et d’atteintes aux
droits humains commises par toutes les parties au conflit, y compris par toute force
internationale déployée au Mali. Les dispositions de la Politique de diligence raisonnable des
Nations Unies doivent être strictement respectées afin que nul soutien ne soit apporté à une
entité à propos de laquelle il existe des motifs sérieux de croire que ses membres ont commis
des violations graves du droit international humanitaire, relatif aux droits humains et au droit
des refugiés.