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Sur l'épiclérat
Louis Gernet
Gernet Louis. Sur l'épiclérat. In: Revue des Études Grecques, tome 34, fascicule 159, Octobre-décembre 1921. pp. 337-379;
doi : https://doi.org/10.3406/reg.1921.7661
https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1921_num_34_159_7661
(1) Travaux d'ensemble : Hafter, die Erbtochter nach attischem Rechte, 1887;
Beauchet, Hist, du droit privé de la réf. ath., 1897, t. I, pp. 398-487. Ce dernier
ouvrage nous a été naturellement fort utile ; il serait presque superflu de le
dire, si la critique que nous en avons faite parfois ne nous en faisait un devoir.
(1) Une fois pour toutes, nous avertissons qu'il y a là une expression abrégée :
s'il y a plusieurs filles, elles sont toutes également épiclères (Isée, VIII, 40 ;
Suidas, s. ν. επίκληρος ; loi de Gortyne, col. VII, 1. Π sq., /. /. G., I, p. 374
sq. ; cf. Beauchet, p. 411 sq.). L'observation a son intérêt : la seule présence
d'une fille, dans les conditions requises, détermine automatiquement le droit
d'un proche parent.
(2) En dehors d'Athènes, la loi de Gortyne est le texte le plus complet et le
plus intéressant. Nous avons quelques indications sur l'épiclérat à Sparte : elles
se réduisent, ou à peu près, à un texte d'Hérodote et un texte d'Aristote. Nous
avons un mot de Diodore de Sicile sur la législation de Thurium. Et quelques
inductions peuvent être tirées d'une inscription de Théra du m· siècle.
SDR I/ÉPICLiÉRAT 339
(1) Le grand-père étant exclu, cela va sans dire — exclu a priori, non pas en
vertu de l'idée d'inceste, mais en vertu de l'organisation familiale que nous
verrons plus loin.
(2) Platon, Lois, VI, 774 Ε : εγγύην δέ είναι κυρίαν πατρός μέν πρώτον, δευτέραν
■πάππου, τρίτην δέ αδελφών δμοπατρίων.
(3) On a dit qu'en pareil cas, les pouvoirs de κύριο; étaient exercés par le
tuteur des frères (Hruza, Ehebegrûnd. nach attischem Rechle, p. 58) par
préférence môme au grand-père paternel ; nous ne voyons pas que les textes invoqués
(Isée, V, 10 ; Lys., C. Diog.) puissent fonder pareille opinion : au surplus, elle
fournirait par ailleurs un argument contre M. Beauchet qui l'admet (II, p. 337).
sur l'épiclérat 341
(1) Cf. Beauchet, II, p. 338, n. 3. 11 est vrai qu'il peut être ici question de
tutelle testamentaire (cf. § 6) : en tout cas, il fallait bien que la fille, ses frères
étant mineurs, fût mariée par qui de droit, et les deux titres de tuteur
testamentaire et de tuteur légitime doivent se confondre ici dans la personne de Diogiton,
(2) Isée, VI, 51.
342 LOUIS GERNET
(1) C'est le cas où la fille a été confiée par le père à un tuteur : cf. R. E. G.,
XXXI, p. 146 sq.
(2) Sur tel point particulier, comme le droit de la mère, Platon a pu s'écarter
du droit positif — sinon de la coutume. Mais le tableau général correspond à
celui que fourniraient la règle de dévolution successorale, l'adjudication de
l'épiclère, la délation de la tutelle légitime; et tout cela se tient plus ou moins.
(3) La loi de Platon et la loi d'Athènes, d'abord, sont des lois sur ΓΙγγυησις :
ήν àiv έγγυήσ^, est-il dit d'une part : εγγυην είναι, de l'autre. Pour la refonte
possible de la loi d'Athènes, cf. plus haut, p. 339, n. 3 : il nous paraît que la
descendance légitime y était considérée aux deux points de vue d'où elle peut
être dérivée, ce qui n'a rien à voir, au fond, avec la question qui nous occupe.
(4) Pour qu'il en soit question, il faudra attendre au livre XL
sur l'épiclérat 343
(1) Nous empruntons ce brocard à l'ancien droit français où, à vrai dire, il a
eu plusieurs sens successifs, mais où il a d'abord signifié que les biens d* un
individu ne pouvaient aller qu'à ses descendants ou à des collatéraux (VioHet, Hist·,
du droit civil français*, p. 904 ; Brissaud, Manuel d'hist. du droit privé, p. 605 sq.).
L'explication la plus plausible paraît être qu'un fils établi à part se trouvait
avoir rompu le lien qui l'unissait à son père (Brissaud, p. 606). 11 faudrait
d'ailleurs tenir compte, pour l'explication d'une règle qui paraît encore
embarrassante aux deux auteurs précités, de cette pratique de rapportionnement qui a
joué un rôle certain et dans le plus ancien droit français et dans le primitif droit
grec. — Qu'en tout cas, elle soit aussi la règle chez les Athéniens, la chose est
assurée : voir Beauchet, III, pp. 473 sqq. '
(2) [Dém.], XLIII, 51. ·
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vant être englobée dans une formule qui avait le droit d'être
elliptique ; mais faudra-t-il sous-entendre aussi : « ni grand-
père paternel » ? Cela fera bien des sous-entendus pour une loi
qui insiste plusieurs fois, et a l'occasion même de lapatrôoque,
sur le caractère strict de ses définitions ou dispositions (1) ; je
ne vois pas du reste qu'on l'ait soutenu. Or le témoignage est
de conséquence : l'esprit de la loi gortynienne, on en a souvent
fait la remarque, va plutôt à limiter qu'à étendre Fépiclérat;
ce qu'elle représente ici, c'est quelque chose comme un droit
commun.
Ce droit commun valait d'être marqué : entre le principe qui
laisse fonctionner l'épiclérat en présence du grand-père
paternel, et la règle que nous rappelions : propres ne remontent, il
y a un étroit rapport ; d'une part, la succession consiste dans la
dotation spéciale d'une maison que le fils a fondée en dehors
de son père : elle va normalement aux descendants, elle peut
retourner, par les collatéraux, à la grande famille — elle ne
peut pas remonter aux ascendants ; d'autre part, la fille,
installée dans l'héritage paternel, est sujette des mêmes droits et
soumise aux mêmes obligations en tout état de cause, et en
vertu de la même indépendance relative de la maison qu'elle
représente. — Cette première vue va se préciser par l'examen
des questions qu'il nous faut maintenant considérer.
(1) Isée, VI, 51 : γνησίαν ουσαν ύφ1 υμών Ιπιδικασθεΐσαν (c'est le terme propre
pour désigner l'adjudication de l'épiclère) συνοικεΐν δτφ άν ΰμΐν δοκή : par
opposition à l'attitude des adversaires qui, leur cause gagnée, pourraient à leur gré
marier cette fille ou la laisser vieillir dans le veuvage.
(2) Nous avons insisté ailleurs {R. E. G., XXXIII, p. 126 sq.) sur les différences
qui séparent de l'adoption entre-vifs l'adoption testamentaire; celle-ci étant
d'ailleurs une institution dérivée et relativement récente, la situation que nous
offre la succession d'Euctémon ne pouvait avoir lieu dans la pratique primitive :
le règlement qui en est indiqué représente l'adaptation du droit nouveau à la
pensée essentielle de Tépiclérat.
(3) Isée, VI, 38.
(4) Pour la question de savoir si une fille qui a des enfants au moment du
décès de son père peut être épiclère, voix· plus loin.
sdr i/épicléuat 349
(1) Nous pouvons nous exprimer ainsi dès maintenant : cette formule se
justifiera dans la suite.
(2) Le cas se produisait fréquemment, nous dit Isée, III, 64.
(3) Col. VIII,]. 21 sqq.; cf. 1. J. G.,1, p. 473.
(4) Hérod., VI, 57 : διχάζειν δέ μούνους τους βασιλέας... πατρούχου τε παρθένου
πέρι, ές τον ίκνέεται εχειν, ήν μή περ δ πάτηρ αυτήν έγγυήση.
(5.) La question est solidaire de celle de l'adoption d'héritier dont le principe
ne nous paraît pas avoir été admis par le droit, même au bénéfice d'un proche,
avant la législation solonienne. Cf. R.E, G., XXXIII, p. 155. Pour l'obligation
d'épouser la fille, qui reproduit en quelque sorte artificiellement, mais avec une
fidélité voulue, la pensée même de l'épiclérat, voir Isée, III, 42; 68,
35Ô LOUIS GERNEÏ
(1) Isée, VIII, 31. Objectera-t-on qu'en disant» supposons ma mère vivante »,
l'orateur sous-entende que lui n'existerait pas ? On ne peut pas l'admettre, et puis
que signifierait un argument fondé sur une supposition aussi arbitraire? A vrai
dire, on ne s'est pas avisé que la mère du demandeur était morte ; on n'en a pas
moins raisonné à faux sur le cas d'espèce pour en tirer un argument qui ne vaut
pas : car s'il était tel qu'on le présente, c'est la fille qui hériterait et non ses
enfants, comme dans l'état de cause du plaidoyer Sur la succession cTAristarque.
— Il faut conclure que, dans la rigueur de l'institution, une fille déjà mariée peut
devenir épiclère, qu'elle ait des enfants ou non. A Gortyne, la fille patrôoque
pouvait fort bien avoir déjà des enfants.
(2) II est vrai qu'on pourrait dire — et on l'a dit (/. /. G., I, p. 470) — que la
loi de Gortyne représentait un adoucissement de l'épiclérat : ce n'est pas
impossible, encore qu'après tout nous n'en sachions rien (cf. le droit successoral des
filles, à l'occasion duquel on a pu raisonner en deux sens contraires). En tout
cas, nous avons là une législation passablement archaïque, par son stade,
sinon par sa date ; et il est fort douteux, nous en expliquerons la raison, que
l'épiclérat ait jamais eu la même rigueur dans les cités doriennes qu'à Athènes.
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(1) Isée, X, 4 : και οϋτω μέν Ιξ ίρχης ά'παντα ταυτί της Ιμής μητρός έγένετο ; cf.
fragm. 25 Scheibe. — Dans le partage que prévoit la loi de Gortyne entre une
patrôoque et un ayant-droit, la fille prend la maison et la moitié du reste
(col. VIII, 1. 1 sq.).
(2) La diamartyrie sert a faire reconnaître qu'il y a un héritier sien; son
rapport avec l'épiclérat est un peu confusément marqué dans Beauchet, p. 447 sq. :
il y a un texte net dans Isée, III, 44. La fille est naturellement passive : c'est son
droit, ou plutôt son attribut, que fait reconnaître un collatéral qui ne
disposerait pas de la diamartyrie pour lui-mêine, mais qui l'emploie pour attester une
situation familiale d'où résultent des obligations coutumières.
(3) Le caractère archaïque de cette procédure, complètement méconnu par
Leisi, Zeuge im Alt. Recht, p. 28 et s., ne peut fair,e doute; elle suppose qu'une
intervention de proches, sous la forme d'une attestation solennelle, arrête net
une revendication : en principe, la justice n'a qu'à enregistrer. Par suite,
diamartyrie et saisine sont termes réciproques ; la saisine de la fille épiclère est
spécialement protégée : en dehors de la δίκη Ιξούλης, qui est la voie de droit
ordinaire, elle comporte comme moyen de défense Γείσαγγελία κακώσεως Ιπικλή-
ρων : Isée, III, 62; cf. Beauchet, II, p. 289 sq. ; Glotz, art. Kakôseôs Graphe
dans le Diet, des Ant.
(4) Pour le principe en matière de droit des obligations, voir Demisch,
Schuldenerbfolge imatt. Recht, p. 11 sq. ; mais il n'a été appliqué aux
obligations que parce qu'il dérivait d'idées plus profondes.
sur l'épiclérat 3B3
(3) Ce plus proche étant souvent le fils de l'ayant droit — peut-être en vertu
d'une certaine tolérance dont nous verrons la raison d'être — on s'explique les
cas assez nombreux où l'appelé revendique l'épiclère pour son fils : il est obligé
d'agir en personne (Andoc, I, 121; Isée, X, 5; Arist, Polit. V, 2, 3, 1304 a 8, etc).
(4) Andoc, I, 120-121 ; c'est la suite de l'histoire que nous avons vue : Ando-
cide étant veuf de l'épiclère qu'il avait épousée, et Léagros ayant voulu passer la
sienne à Callias, Andocide actionna Léagros: ει μέν συ βοΰλει ε-πιδικάζεσθαι, έ'χε
τύχη άγαθη, ει δέ μ*,, Ιγώ έπιδικάσομαι.
(5) La règle de dévolution détermine en effet un appelé qui est en quelque
mesure un obligé (rappelons qu'en droit romain, les Sabiniens déclaraient nulle
Vin jure cessio heredilatis faite par un héritier sien) : ce rôle de l'appelé en
matière d'épiclérat, on l'aperçoit dans la loi de Gortyne (voir p. suiv. n. 2) et
aussi dans le passage précité de Platon comme dans la loi sur l'épiclère θήσσα.
— Que du reste une renonciation de sa part, mais seulement au bénéfice d'un
parent, puisse être compatible avec l'esprit de l'institution, c'est ce qui se
comprend s'il est le représentant de la famille, des καδεβται de la loi de Gortyne.
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(1) Ou du moins pour une institution qui en est voisine : Ruth, IV. Nous
n'avons pas à rappeler que le lévirat hébraïque a commencé par être strictement
obligatoire.
(2) II s'agit d'une formalité solennelle par quoi, si la patrôoque est consentante
et que l'ayant droit résiste, les parents de la patrôoque vont en justice et le juge
décide que le mariage aura lieu dans les deux mois (col. VII, 1. 40-47).
(3) Loi citée dans [Déni.], XLVI, 20 Cf. Isée, VIII, 31 ; fr. 25, etc.
(4) Beauchet, p. 470 sq.
(5) Id., p. 467 sqq.
sur l'épiclérat 357
(1) Le droit des petits-fils est affirmé d'une façon particulièrement nette dans
Isée, VIII, 31 et X, 12) — mais d'une façon un peu trop unilatérale : l'expression
du fr. 25 (τα δέ χρήματα τέως μέν της ειτικλήρου) paraît d'une plus grande
exactitude juridique.
(2) Cf. Beauchet, p. 401 : « les sacrifices aux dieux domestiques,
momentanément interrompus, reprennent leur cours » (au moment de la transmission des
biens au petit-fils). D'ailleurs,*voir le même, p. 461-2.
(3) C'est une idée un peu arbitraire que Fustel de Coulanges a mise à la base
de sa construction, et d'où il a déduit à tort que, dans l'ancien droit, la fille
était nécessairement exclue de la succession. Encore une fois, la fille peut
hériter — doit même hériter en certains cas ; et quant à l'infériorité religieuse,
propter rationem sexus, on ne saurait l'admettre comme absolue : qu'on se
rappelle les oblations commandées par Clytemnestre à Electre chez les tragiques.
Plus pertinent encore est l'exemple des Νεμέσεια, sacrifice offert par la fille du
mort (Déui., XLI, 1; cf. Rohde, Psyche, I, p. 246, n. 1).
358 * LOUIS GERNET
II
(1) La règle de dévolution n'est pas exposée avec exactitude par Beauchet
(p. 428 sq.) ; c'est évidemment la même que pour la succession ab intestat en
l'absence de descendants, d'après la loi [Dém.], XLIII, 51.
(2) C'est du moins la règle formulée par la loi de Gortyne (col. VU, 1. 15 sq.),
et elle apparaît comme une conséquence naturelle du système.
(3) Dans un régime de coutume où d'ailleurs les arrangements seraient
subordonnés au consentement de la famille (cf. R. E. G., XXXIII, p. 158).
(4) Plut., Solon, 20. Cf. Dareste, Nouv. Et., p. 3i sqq.
(5) Elle prévoit le cas d'impuissance, mais non pas le cas de stérilité.
364 LOUIS GERNET
(1) On l'appelle ainsi par habitude : mais ce n'est pas un terme technique, car
il désigne en général le petit-fils d'un aïeul maternel quelconque (voir Beauchet,
p. 465). La remarque vaut d'être faite car, dans la conception classique, on
attendrait justement une désignation spéciale et exclusive. — Dans l'Inde
ancienne où la succession, suivant la constitution agnatique de la famille (cf.
Jolly, Rccht und Sitle, dans Grundr. der Indo-Arischen Philol. , p. 49), va
normalement aux mâles descendants par les mâles, la dénomination de putrikâputra
appartient en propre au petit-fils engendré comme il a été dit.
(2) Nous considérons la discussion comme close : voir Beauchet, pp. 476-8, et
les auteurs qu'il indique pour les deux thèses adverses. Il n'est pas question de
tutelle du fils (cf. notamment Isée, VIII, 31 ; fr. 25) en dehors de deux textes, un
fragment d'Hypéride (192 Blass) cité par Harpocration, s. υ. Ιπιδιετες, et un
passage du second Contre Stephanos ([Dém.], XLVI, 20) : le premier, dont les deux
parties ne concordent d'ailleurs pas exactement, ne peut avoir de valeur probante,
en raison de son isolement, et il se laisserait corriger sans peine ; le second
témoigne lui-même contre la thèse qu'on lui fait appuyer : car l'orateur
commente la loi qu'il vient d'invoquer en y ajoutant effrontément ce qui n'y est pas
contenu ; on est d'ailleurs fixé depuis longtemps sur les procédés
d'argumentation d'Apollodore dans toute cette série d'affaires.
(3) II en est question plusieurs fois : Isée, VII, 31 ; III, 73; [Dém.], XLI1I, 12;
cf. 74. Notons que, dans les deux derniers exemples cités, l'adoption a lieu
conformément à une recommandation de l'aïeul.
$66 LOUIS GËttNEt
(1) C'est bien pourquoi M. Beauchet, p. 413, raisonnant d'après la fin assignée
a priori à l'institution, conclut qu'une fille unique qui a des enfants mâles et
majeurs au moment du décès de son père n'est pas épiclère : à tort, nous l'avons
»vu.
(2) Le rapprochement de deux textes, Hcrod., VI, 57 et Arist., Polit., II, 6,
H, 1270 a 26 sq., permet de présumer que, dans le principe, le père d'une fille
unique ne pouvait se choisir un gendre que parmi les membres de sa famille;
dans la suite, sans doute à partir de la loi d'Epitadée, il devint tout à fait libre.
(3) Col. VIII, 1. 20 sq. : la loi, prévoyant que la patrôoque veut divorcer,
distingue suivant qu'il y a des enfants ou non. Comme il s'agit de partager les
biens dans les deux cas, il faut bien admettre, pour expliquer cette dualité, que
ce sont les enfants — le plus souvent représentés par leur père — qui, dans le
premier cas, ont droit à la moitié des biens de leur aïeul. Voir les éditeurs des
Inscriptions juridiques, I, p. 474 sq., qui, au surplus, combattent ce système,
mais assez mollement et en l'exposant avec d'excellentes raisons. — Une des
curiosités de cette loi de Gortyne, c'est que, juxtaposant les conceptions
juridiques que la coutume athénienne fond beaucoup plus entre elles, elle permet, par
une espèce d'expérience, de les considérer isolément ; nous le verrons ailleurs,
nous le voyons ici : une de ces conceptions concerne la descendance pour elle-
même — elle peut avoir lieu per feminas; une autre concerne proprement
l'institution de l'épiclérat, à laquelle il y a encore lieu de satisfaire dans une certaine
mesure lorsque la patrôoque devient veuve avec des fils qui sont les continua-
sur l'épiclérat 367
eurs authentiques de leur aïeul maternel ; même alors, la patrôoque qui veut se
remarier est soumise à la même loi d'endogamie qui limite la liberté d'une
patrôoque ordinaire (col. VIII, 1. 30 sq.).
(1) C'est justement lorsque l'institution se défait qu'on en vient — ou qu'on en
revient — à l'application pure et simple du principeque les modernes disent
présider à l'épiclérat : alors, le mari de la fille héritière n'a plus besoin d'appartenir
à la famille du père, comme nous l'avons vu pour Athènes (p. 350, n. 2) et pour
Sparte (p. 366, n. 2) ; il semble qu'il en est de même dans une inscription de Théra
des environs de 200 av. J.-C. (/. /. G., n° XXIV, A) où, par ailleurs, le droit ancien
apparaît bien altéré (la testatrice, Epictéta, a un frère par adoption qui n'est pas
son mari) : il y est question, en effet, d'une communauté de parents à.laquelle
appartiendront les descendants par les mâles des premiers institués, et en outre
les filles épiclères de ceux-ci avec leurs maris et leurs enfants (col. III, 1. 30 sq.);
or ni la mention des maris, ni celle des enfants ne se comprendrait bien dans le
véritable épiclérat où les maris appartiendraient d'ores et déjà au groupe de
parents; et il paraît que l'on continue d'appeler épiclères des filles mariées à des
étrangers et qui n'en font pas moins souche de continuateurs de leur père à
elles : assimilés aux descendants de mâles (1. 29 et 32), les fils des « épiclères »
sont dits appartenir à la communauté « même après leur majorité » — indication
qui, dans l'épiclérat proprement dit, serait absurde.
(2) Nous avons justement comme un équivalent de cette convention
matrimoniale dans Γεπίσχηψις — recommandation à laquelle s'attache le respect dû
aux « dernières volontés » — du père d'une fille unique qui sollicite l'adoption
posthume d'un de ses petits-fils à naître (Isée, III, 75) : il s'agit dans tout ce
passage (§§ 72 sqq.) du désir que pouvait avoir le défunt de se donner des
descendants ; l'épiclérat s'impose à lui (§ 74), comme une nécessité objective et, en
soi, indépendante de ce désir.
36S LOUIS GÊRNEÎ
(1) Le fait est bien connu, et on peut citer pas mal d'exemples à l'appui (cf.
Beauchet, p. 462 sq.). Mais surtout, nous retiendrons le langage de la loi qui dit
expressément que, si le défunt ne laisse que des filles, la succession est recueillie
συν ταΰτ^σι ([Dém.], XLIII, 51); cf. Isée, X, 5 : μετά τοϋ κλήρου επιδικάσασθαι. Et
ce qui achève de définir l'ayant droit comme héritier, c'est qu'il est
personnellement obligé de payer les dettes de la succession (Isée, X, 16). On se rappellera
aussi que, dans la décadence de l'épiclérat, l'ayant droit se saisit des biens sans
cépousep la fille (n. 40; cf., pour Sparte, Arist., Polit., II, 6, 11, 1270 a 28).
(2) II désigne, par ailleurs, l'héritier : col. III. 1. 27-9; 32-34; V, 23-27; 28-30.
s(On a encore dans le Nouveau Testament, Luc, V, 12, parabole de l'enfant
prodigue : τό επιβάλλον μέρος της οδσίας).
(3) Fustel de Goulanges, Cité ant., p. 379; Nouv. Rech., p. 39 sq.; GaUlemer,
Droit de success, légit. à Ath., p. 15; Beauchet, p. 402 eq. ; Glotz, Solidar. de la
famille, p. 336.
sur l'épiglérat 369
(1) On en trouve des traces dans le plaidoyer d'Isée Sur la succession de Kiron :
il faut avouer qu'elles sont bien vagues.
(2) C'est l'effet de la tendance, qui se manifeste parfois dans le droit primitif de
la famille, à faire passer des collatéraux plus âgés avant des descendants que
ne protégeait pas une idée assez ferme de représentation — n'oublions pas que
cette dernière notion est relativement récente. Sur l'institution connue sous le
nom de, tanistry, cf. Sumner Maine, Eludes sur Vanc. droit, pp. 184 sq. ; 195 sq. ;
Viollet, Hist, du droit civil franc. 3, pp. 878 sq. ; 890 sq.
(3) C'est alors qu'on se serait avisé de voir dans l'épiclère, suivant l'expression
de Guiraud {Prop, fonc, p. 234), « une machine à procréer un héritier ».
REG, 1921, XXXIV, η· 159. 25
370 LOUIS GERNET
(1) 11 n'y a pas d'article spécial pour la détermination de l'ayant droit : celle-
ci est impliquée, nous l'avons vu, dans la loi [Dém.], XLUI, 51, qui vise le droit
des collatéraux du défunt dans la succession ab intestat. Du reste, si le neveu de
l'épiclère, petit-fils du défunt, pouvait la revendiquer, son droit viendrait en
première ligne (comme l'y fait venir M. Beauchet) : il serait hautement attesté, et
on devrait en avoir des exemples ; or, des exemples, ou Ton reconnaît qu'ils
font défaut, ou l'on en invoque à tort. La thèse que nous critiquons est pourtant
couramment soutenue : Caillemer, Droit de success., p. 38; Hafter, o. l., p. 35;
Guiraud, o. Z., p. 215; Beauchet, p. 429 sq.; contra, Lécfivain, l. L, p. 662, n. 10.
(2) Ainsi dans le plaidoyer d'Is,ée sur la succession de Philoctémon, où le
plaideur admet que sa tante (par le sang, mais juridiquement par l'adoption) sera
épiclère, mais où il ne songe pas à revendiquer des droits sur elle.
(3) C'est à ce titre, avant tout, qu'elle bénéficie d'une protection particulière ;
ce n'est pas parce qu'on porterait à sa condition d'orpheline un intérêt
sentimental : et il n'est pas insignifiant que, dans la loi qui prévoit le ministère de
l'archonte ([Dém.], XLIII, 75), les épiclères soient mentionnées à côté des
« maisons qui vont devenir désertes ». Sans doute, une idée de protection
individuelle a pu apparaître d'assez bonne heure — dès Solon peut-être (cf. p. 363)
— dans la pensée juridique et morale et on la voit assez accentuée dans un décret
de tribu athénienne dum« siècle av. J.-Ch. (Michel, n° 139). Mais la réprobation
même de la κάκωσις a un autre aspect, primitif et primordial : nous avons vu
que la saisine de l'épiclère — laquelle importe à la famille avant tout — est
protégée par une εισαγγελία κακώσεως ; d'autre part, lorsque Andocide agit contre
son cohéritier Léagros, non pas dans l'intérêt de l'épiclère, mais pour faire
respecter les règles de l'institution (cf. p. 353, n. 2), nous voyons qu'il dépose
une παράστασις, ce qui indique une action publique — qui n'est pas, à vrai dire,
une εισαγγελία, mais du moins une γραφή κακώσεως (Andoc, I, 120).
(4) S'il y a plusieurs filles, toutes doivent être épousées. Un curieux article de
la loi de Gortyne (col. VII, 1. 27 sq.) porte que l'ayant droit aura (εκεν = Ιχειν
« épouser »)une patrôoque, mais pas plus. Je ne suis pas sûr du tout qu'il ne faille
372 LOUIS GERNET
pas interpréter ce texte tout bonnement et qu'on doive suivre les éditeurs des
Inscriptions Juridiques, I, p. 471, quand ils disent : « par là, il faut entendre,
sans doute, non seulement qu'il (l'ayant droit) ne peut en prendre qu'une à la
fois— ce qui allait sans dire — mais encore que son droit est épuisé par un seul
mariage ou par l'indemnité légale; il ne pourrait pas, veuf d'une des filles ou
écarté par elle, prétendre à la suivante ». A ce moment — au début du chapitre
sur la patrôoque — il ne s'agit pas encore d'indemnité légale ou de choses de
cet ordre, il s'agit de l'attribution des filles disponibles; de plus, la solution
qu'on suggère est bien douteuse en soi ; et elle a contre elle, quoi qu'on en dise,
l'analogie du droit athénien (le texte Andoc, I, 120, est interprété de façon
inexacte, I. J. G., I, p. 471, n. 2). Pourquoi ne pas admettre tout simplement
que « ce qui allait sans dire » — pour nous — avait besoin d'être dit, et que la
4oi proscrit ici une pratique ancienne ?
(1) On remarquera, à ce point de vue, l'analogie, qui d'ailleurs s'indique tout
de suite à côté de différences non moins évidentes, entre l'épiclérat et le lévirat
— institution qui a sa contre-partie dans le « sororat » (cf. M. Granet, La poly-
gynie sororale et le sororat dans la Chine féodale). — Ce n'est pas notre affaire
de poser la question du lévirat: on semble revenir à l'hypothèse qui le fait
procéder d'un ancien mariage par groupe ; en tout cas, il institue ou renforce
une espèce de communion entre les maris simultanés ou successifs delà femme.
Et c'est à cette idée que se rattache l'obligation stricte qui le caractérise dans le
principe.
(2) La procédure en effet, comme il arrive, a accentué cet aspect et quelque
peu modifié la conception du droit d'héritage : pour avoir une épiclère, il faut
l'obtenir en justice, par voie ά'έιπδικασία ([Déin.], XL VI, 22). Qui la veut la
demande, comme on demande une succession, comme on revendique un droit
(la loi est commune aux κλήροι et Ιπίκληροι). Qui ne la demande pas est présumé
renonçant. (Il en est autrement dans la loi de Gortvne qui ne connaît pas Γεπι-
δίκασία) .
sur l'épiclérat 373
(1) A vrai dire, l'idée de propriété, sous un régime essentiellement familial, n'a
pas encore de signification propre. C'est ce qui nous fait soupçonner que, sous-
le régime antérieur à Solon, les fils de l'épiclère parvenus à la majorité
n'obtenaient pas ipso jure la transmission des biens : la règle citée dans [Dém.],
XLV1, 20, a un caractère législatif accusé ; la loi en général, avec les conditions
qu'elle suppose, est une machine à définir et à diviser. — Le droit de Gortyne ne
comporte rien de semblable, sur ce point, au droit d'Athènes.
(2, C'est ce qu'implique le texte d'Eschine, I, 95 : ε'ως μέν γαρ άντήρκει ή της
Ιπικλήρου ουτία, ήν Ήγήσανδρος δ τοΰτον έχων Ιγημε.... On admet parfois (voir
Beauchet, p. 462) que l'ayant droit agirait suivant le mode de gestion propre à
la tutelle des femmes, qui consiste à praestare auctoritatem. Cependant, bien
que la loi (cf. n. préc.) applique (indirectement) le titre de κύριος des biens au
fils de l'épiclère devenu majeur, les orateurs commettent peut-être un sophisme
en refusant cette qualité à l'ayant droit pendant la période intérimaire (lsée,
VIII, 31 ; X, 12) : leur insistance même révèle qu'ils combattent une tendance
opposée. Et surtout, on ne voit pas pourquoi — étant donnée la situation
juridique de l'ayant droit — , ni comment — étant donné le texte d'Eschine — il
n'aurait pas l'administration personnelle des biens, qu'il s'adjuge parfois sans
autre forme de procès et sans résistance possible (lsée, X, 19). On n'a d'ailleurs
aucun exemple à invoquer.
(3) Le fils de l'épiclère ne peut être qualifié α'δρφανός : il est arbitraire de
supposer ici une extension possible de 1'εΐσαγγελία καχώσεως (Beauchet, p. 475).
Au reste, nous ne répugnons pas à admettre que pratiquement, on a pu trouver
des moyens, à l'époque classique, pour faire respecter la substitution des biens :
mais il s'agirait alors d'un développement secondaire.
374 LOUIS GERNET
(1) Od., η 54-55; 62-68. — Du reste, les fils d'Alkinoos sont les fils d'Alkinoos,
rien ne les désigne comme ayant une situation spéciale du fait de l'épiclérat ;
leur mère est aussi la femme d'Alkinoos, sans plus (v. 67-68) ; et l'épithète
α'άκουρος, appliquée à Réxènor (v. 64), ne se comprendrait pas bien dans un
régime constitué d'épiclérat où la fille, κουρη, aurait une importance essentielle.
(2) A l'époque ancienne, nous l'avons vu (n. 93), le père d'une fille unique
peut la marier à son gré dans le cercle de sa famille : il la marie comme il la
marierait à un étranger, "par Ιγγΰησις (Hérod.. VI, 57). Ces sortes de mariage
se font à l'amiable, en dehors de la contrainte de l'institution : nous en avons
plusieurs exemples (Hérod., VI, 71 ; VII, 205). — C'est sans doute ainsi que,
dans le droit primitif des Hébreux, pouvait avoir lieu le mariage de l'oncle et
de la nièce {Gen., XI, 27-29).
(3) Apollod., I, 8, 6, 1-2; Paus., II, 25, 2 : Oineus est trop âgé pour régner ; il
n'a plus de fils pour le remplacer : Diomède installe dans la royauté son gendre
Andraimôn qui, dit M. Glotz [Solidarité, p. 39), « représente le privilège de
l'épiclérat » ; mais justement, il n'y a pas d'épiclérat là-dedans : Andraimôn
n'était pas l'ayant droit d'une épiclère; l'ayant droit eût été Agrios, renversé par
Diomède.
sur l'épiclérat 375
(1) Solon légifère sur l'épiclérat, comme sur une matière qui lui vient du
passé, et dans un esprit plus ou moins nouveau : une induction légitime nous
a permis d'entrevoir ce qu'était l'épiclérat dans la période qui précède.
(2) Où le système des χλήροι indépendants a davantage émancipé la famille
étroite : c'est ce que l'on constate également en matière d'adoption.
376 LOUIS GERNET
défunt et les fils de ces frères (sur le caractère limitatif de cette enumeration,
voir Beauchet, p. 433, n. 1, contre Guiraud, o. l., p. 216). — A Athènes, les
choses sont plus mêlées : l'ayant droit peut être un parent du défunt per
feminas, par exemple un fils de sœur : il n'en représente pas moins, il
représente même avec plus d'empire qu'ailleurs, en face d'un certain principe de
descendance utérine, le droit et les attributions d'un groupe de collatéraux.
(1) L'institution platonicienne que nous avons vue, p. 370, n. 3, souligne
particulièrement cette possibilité du mariage en même temps que sa nécessité.
(2) Cf. R. Ë. G., XXXIII, p. 153.
(3) Encore faut-il réserver le cas de l'union entre le frère et la sœur
consanguins, qu'une très ancienne tradition rend licite à Athènes.
378 LOUIS GERNET
(1) Bien entendu, nous ne voulons pas dire que le mariage grec n'ait jamais
eu de dignité propre, ce qui serait absurde : nous insistons seulement sur un
caractère évident de l'institution matrimoniale, laquelle maintient séparés les
deux époux, et quant à la famille et quant aux biens.