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Riss 190 0751 PDF
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Thanh-Dam Truong
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TR
IBU
NE
LIB
Gouvernance et pauvreté RE
en Afrique subsaharienne :
repenser les bonnes pratiques
en matière de gestion de la migration
Thanh-Dam Truong
et coll., 2001). La restriction des systèmes de tiques » peut servir d’outil heuristique pour
prise en charge qui caractérise les politiques remettre en cause la relation entre les formes
néolibérales s’est traduite par un transfert dominantes de la connaissance sociale et le
occulte vers les femmes et les enfants d’aspects champ de la décision. Pour déterminer ce qui est
pénibles de l’ajustement et a exacerbé les évolu- positif dans les bonnes pratiques de gestion des
tions vers la pauvreté. Et pour inverser ces ten- migrations, il faut procéder à un examen appro-
dances, il faudra procéder à une analyse de fondi de la structure du pouvoir dans la prise de
règles relatives aux droits auxquels les popula- décisions, de la visibilité ou de l’invisibilité des
tions peuvent prétendre pour faire face à des facteurs causatifs et des effets sur le vécu des
besoins quotidiens correspondant à la définition migrants.
sociale des identités.
Le concept de gestion des migrations, qui Pauvreté, sexe et migration :
se bornait jusqu’à maintenant à la réglementa-
tion de l’immigration et à son contrôle par études des liens entre eux
l’État, devrait aussi être élargi de manière à
comprendre : (a) les normes en vigueur dans les Conceptualiser la pauvreté
cellules domestiques des systèmes de subsis- et la responsabilité sociale
tance – en ce qui a trait aux ressources, aux Le progrès qui a été fait dans l’analyse de la
devoirs et à l’admissibilité à la migration ; (b)
pauvreté au cours des deux dernières décennies
les normes adoptées par les organisations de la
a permis de dégager trois façons différentes
société civile qui s’occupent de la prévention et
d’appréhender la pauvreté et le dénuement :
de la réintégration sociale ; (c) les pratiques
revenu et pouvoir d’achat ; capacités, droits et
contractuelles, officielles ou non, adoptées par
dotations ; évaluation des « moyens des
les réseaux sociaux de facilitation. Ceux-là
recouvrent souvent et façonnent les schémas de pauvres », c’est-à-dire de leur capacité à se
la migration, donnant lieu à des régimes de prendre en charge eux-mêmes. Les critiques des
régulation multiples ; celui qui a son origine programmes d’ajustement structurel signalent
dans ce qu’on pourrait appeler « l’entrée que la pauvreté persiste en dépit de la croissance
poussée par la détresse » dégénérera plus vrai- économique, ce qui amène à rejeter le fait de
semblablement en trafic illicite et traite des limiter les mesures contre la pauvreté au revenu
personnes, qui sont dangereux et gros de vio- et au pouvoir d’achat (Saith, 2005). Par la suite,
lences. Il existe un cadre de responsabilité à les recherches sur la pauvreté ayant été refocali-
niveaux multiples, et la sélectivité des sées – au-delà du niveau de revenu et de la pos-
session de biens – elles font mieux ressortir le
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d’attention, dans les études, à la cohésion tion des pauvres est nécessaire, mais les possibi-
sociale historique, à l’intérêt d’un réseau fami- lités de choix qui présentent un intérêt sur le
lial, aux relations communautaires et aux sys- plan social demeurent sujettes à caution, étant
tèmes de soutien. Ceux-ci sont à la base des donné les structures actuelles du pouvoir au
modes de subsistance et du bien-être humain et niveau de la prise de décision dans l’économie
peuvent jouer un rôle dans la réduction de la politique internationale.
pauvreté des enfants et de sa transmission
(Harper et Marcus, 2000). White et coll. (2003, Avantages et ajustement en fonction
p. 380) indiquent que la littérature actuelle en du sexe : qui s’en soucie,
matière de développement consacrée à la qui produit et à quel coût ?
pauvreté souligne l’importance de l’accès
aux services de base, et qu’au macroniveau, Les politiques d’ajustement structurel accordent
actuel et futur, l’épanouissement global des un rôle fondamental au commerce dans la crois-
enfants contribue au développement d’en- sance économique, mais elles sont, dans l’en-
semble, d’un pays. semble, peu attentives aux besoins spécifiques
En dépit du passage à un nouveau modèle d’un pays ou d’un acteur économique en fonc-
d’action – le Document de stratégie pour la tion de sa situation sociale. Cela tend à avan-
réduction de la pauvreté (DSRP), qui se fie désor- tager les personnes qui, du fait de leur position,
mais à des environnements stratégiques qui met- ont déjà des liens importants et ont droit à des
tent au premier plan les questions de droits, de prestations plus étendues. Un réexamen des ten-
ressources et de moyens d’expression (Banque dances de la pauvreté relevées en Afrique subsa-
mondiale, 2002) – le scepticisme reste grand harienne au fil des années 1990, à partir des
quant à la représentation des pauvres et à leur meilleures données relatives aux ménages
aptitude à se prendre en charge eux-mêmes. recueillies à l’issue d’un projet participatif sur
Robinson (2003, p. 26) fait remarquer, par l’évaluation de la pauvreté, confirme que l’accès
exemple, que l’élaboration de stratégies de à la terre et à l’éducation représente un avantage
réduction de la pauvreté en Afrique australe a eu individuel non négligeable, qui aide les ménages
tendance à s’inspirer de principes directeurs à tirer parti de la libéralisation (Christiaensen et
conçus principalement par des experts exté- coll., 2003). Les insuffisances des efforts de
rieurs, les experts locaux étant rarement réduction de la pauvreté sont imputables à l’ab-
consultés. Elle note combien la démarche repo- sence de dotations sociales indispensables. Il
sant sur une croissance favorable aux pauvres, peut s’agir : (a) d’un manque d’infrastructure,
qui est préconisée par les institutions financières d’où la fragmentation des marchés ; (b) d’un
déséquilibre macroéconomique qui, s’ajoutant
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vie scolaire de celles-ci (Eldring et coll., 2000, d’enfants est en réalité une stratégie à court terme
p. 38). Dans les grandes exploitations, outre le en rapport avec la protection et l’amélioration à
travail familial, le travail des enfants existe égale- long terme des moyens de subsistance du
ment sous d’autres formes comme le travail forcé, ménage. Elle constate aussi chez les mères
l’esclavage et le travail bénévole. Les enfants urbaines qui travaillent une tendance croissante à
d’ouvriers agricoles vivent dans leur famille et confier leurs jeunes enfants (âgés de moins de
fournissent un « travail flexible » durant les 6 ans) à une grand-mère ou à d’autres parents
périodes d’activité intense, devenant alors « main- vivant en milieu rural, cette solution étant plus
d’œuvre captive ». En d’autres termes, les sûre et moins coûteuse. En revanche, le place-
hommes recrutent des femmes afin d’augmenter ment concerne habituellement des enfants plus
la production, et les femmes amènent leurs âgés, des filles en particulier, qui contribuent aux
enfants (Eldring et coll., 2000, p. 87-88). tâches ménagères du foyer d’accueil en échange
Dans plusieurs pays de l’Afrique subsaha- de leur entretien, y compris, éventuellement, des
rienne, les activités non agricoles (qu’on appelle frais de scolarité. Ainsworth a relevé le cas de
aussi « secteur informel ») sont, depuis les der- filles placées qui se chargent des tâches ména-
nières décennies, de plus en plus aux mains de gères à la place des mères qui travaillent et peut-
femmes (Lanjouw et Feder, 2000). Des pro- être aussi à la place des propres enfants de la
blèmes de liquidités, la baisse des gains, des famille d’accueil. Des exemples de placement
contraintes foncières et la diminution des envois d’enfants dans la sous-région de l’Afrique aus-
d’argent de l’étranger ont amené les femmes à trale révèlent que « l’accueil généralisé d’enfants
choisir parmi une grande variété de moyens de placés peut être perçu comme une stratégie
subsistance, en fonction des conditions du consciente visant à mettre plus efficacement en
marché local et des avoirs du ménage. Blackden commun la charge des enfants du point de vue de
et Canagarajah (2003) relèvent qu’en 2000, en la disponibilité des ressources, du logement, de la
Afrique subsaharienne, au moins 84 % des présence d’adultes, de l’alimentation et de l’ha-
femmes qui n’avaient pas d’activités agricoles billement » (Moser, 1999, p. 13). Ces stratégies
étaient employées dans le secteur informel, peuvent néanmoins donner lieu à des abus
contre 63 % pour les hommes. Elles occupent la lorsque la pression économique s’accentue, et des
première place dans le commerce de rue (90 %), relations affectives peuvent ainsi se transformer
la vente de productions domestiques (80 %) et le en relations d’exploitation (Andvig et coll.,
travail de sous-traitance à domicile (80 %1). Le 2001 ; Cohen, 2003 ; Dottridge, 2004).
fait de travailler à domicile permet aux femmes
de combiner les tâches ménagères non rémuné- Les droits sexuels revendiqués
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viennent au premier chef du fait qu’elles ne peu- de l’infrastructure de la santé due à la discipline
vent pas refuser un rapport sexuel ou se protéger budgétaire) et, en passant par les collectivités,
pendant celui-là, les normes relatives au droit des atteint les ménages qui ont du mal à joindre les
hommes au plaisir n’étant pas négociables, ni deux bouts, étant donné la charge des soins à dis-
dans l’intimité du couple, ni dans le contexte de penser et, en même temps, la réduction des
commerce sexuel (Varga, 1997, Weiss et coll., revenus (due à l’insuffisance du travail des
2000). Avec la propagation du VIH/sida, la crainte adultes). Les ménages touchés par le VIH/sida
de l’infection a amené les hommes à imposer peuvent passer rapidement d’une richesse relative
leurs exigences sexuelles à de jeunes enfants – à la pauvreté relative, ce qui contribue à affaiblir
censés être « propres » (UNICEF, 2003, p. 8). davantage encore le système immunitaire des
Rau fait remarquer dans son étude sur le tra- individus lorsqu’ils s’alimentent mal. Les conclu-
vail des enfants et le sida en Afrique subsaha- sions de Whiteside concordent avec celles de Rau
rienne (2002a, p. 2) que « les filles en particulier sur le rapport mutuel cause-effet entre la pauvreté
– qu’elles aillent à l’école, travaillent comme et le VIH/sida : la pauvreté entraîne la propagation
domestiques, essaient de gagner de l’argent en de la maladie ; la maladie aggrave la pauvreté des
colportant, ou qu’elles se prostituent ouvertement ménages touchés. Whiteside indique, dans une
– sont sujettes à la coercition sexuelle, à la mani- mise en garde, que, si au cours des vingt pre-
pulation et au harcèlement de la part des mières années la charge du VIH/sida s’est foca-
hommes ». Dans les trois pays visés par l’étude lisée au ménage et à la collectivité, il est
de Rau (Zambie, Afrique du Sud et Tanzanie), on vraisemblable qu’à l’avenir la maladie affaiblira
note que la pauvreté force les enfants à quitter les économies nationales, réduisant ainsi la base
l’école pour prendre un travail dans des condi- de ressources dont dispose la société civile pour
tions qui les rendent plus vulnérables au sida et combattre la pandémie.
les expose à l’opprobre qui va avec. Lorsqu’il Poku (2002, p. 538) fait remarquer que les
leur est impossible de faire face aux difficultés programmes d’ajustement structurel ont réduit la
économiques, la prostitution est souvent la seule capacité des gouvernements à agir, observant
possibilité qui leur reste ouverte. qu’« à une époque où, dans certains hôpitaux, le
Dans une autre étude, Rau (2002b) recense nombre d’adultes qui sont atteints de maladies en
quatre ensembles clés de facteurs qui contribuent rapport avec le sida peut atteindre 70 % – ce qui
à la vulnérabilité des enfants, à la fois quant au soumet les services de santé à une pression
sida et quant au travail infantile. Ce sont : (1) les extrême – de nombreux pays africains ont dû pro-
inégalités socioéconomiques, (2) les migrations céder à des coupes sombres dans les dépenses de
de travail et la prostitution dues à la pauvreté, santé afin de satisfaire aux conditions imposées
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enfants a été obtenu avant que l’enfant en ques- pour aider aux tâches ménagères, la préférence
tion ne parte avec l’agent recruteur, lequel peut allant à l’éducation des garçons. Les règles suc-
être un parent ou une personne qui a gagné la cessorales en matière foncière tendent à exclure
« confiance » du père, de la mère et de la famille. les femmes et les filles : les (jeunes) femmes doi-
Parfois, il n’y a pas d’autre solution que de faire vent donc se marier et quitter leur famille et leur
confiance à cette personne et d’espérer que les milieu familial, et le mariage exige un trousseau.
enfants jouiront d’un meilleur sort (Anti-Slavery Ces pratiques restreignent les choix offerts aux
International Report, 2001). jeunes femmes quant à leur avenir, et peuvent les
L’argument selon lequel il s’agirait d’un sys- contraindre à accepter d’être placées « pour tra-
tème « traditionnel » d’éducation des enfants vailler » loin de chez elles, s’il n’existe pas, sur
visant à leur apprendre à être indépendants et à place, de possibilité de se constituer un trousseau
les initier au monde du travail – et qui n’aurait ou de se marier. La traite des femmes et des
rien à voir avec la traite d’êtres humains – a sus- enfants est donc étroitement liée à l’absence de
cité de vifs débats. Les gouvernements nationaux solutions locales qui permettent de respecter les
maintiennent une distinction entre le placement normes sociales.
ou l’accueil d’enfants, d’une part, et la migration Des aspects contextuels de la vulnérabilité
saisonnière traditionnelle, de l’autre, laquelle des enfants (tel le fait d’appartenir à un groupe
relie l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale ethnique marginal, à une caste inférieure, ou à
depuis des générations. La tradition qui consiste- une famille à problèmes, frappée par la guerre ou
rait à « placer » l’enfant, à l’« accueillir », à le une catastrophe naturelle) a sans doute été en
« confier » ou à le « socialiser », a été diverse- partie à l’origine de demandes particulières de
ment décrite comme circonscrite aux seules travail des enfants dans une large gamme de
vacances scolaires et pour des raisons variées – métiers, à l’intérieur de la région (Boonpala et
notamment, pour aider l’enfant à vivre en société Kane, 2002). Les enfants sont engagés dans des
et à acquérir des compétences utiles dans la vie conditions d’exploitation, notamment pour être
quotidienne, pour rembourser des dettes, pour prostitués, servir de domestiques, être enrôlés
préparer l’enfant au mariage, ou pour prouver comme soldats dans un conflit armé, travailler
qu’il peut vivre indépendamment. Anti-Slavery dans le secteur des services tels les bars et restau-
International (2003, p. 1) fait remarquer que ce rants ; ou être affectés à des tâches dangereuses,
système d’éducation traditionnel des enfants, qui dans des usines, des mines, sur des chantiers,
consiste à les initier au travail, a dégénéré en tran- dans l’agriculture ou la pêche ; sans parler de la
saction commerciale, laquelle, à son tour, a mendicité. L’exploitation d’enfants victimes de
abouti à une traite d’enfants entre les villages et trafic peut se faire progressivement. Ceux que
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l’OIM au Ghana a commencé par immatriculer les tègent pendant le voyage. Les conclusions per-
travailleurs enfants, et a engagé, sur une base mettent de penser qu’il pourrait être difficile,
ponctuelle, des négociations avec des pêcheurs lorsqu’on élabore des mesures législatives, de
connus comme employeurs d’enfants. Il a été distinguer un trafiquant qui a l’intention d’ex-
convenu que l’OIM dispenserait une formation et ploiter les enfants, d’un intermédiaire morale-
fournirait du matériel moderne de pêche et, qu’en ment sain, qui aide le jeune migrant à trouver du
échange, les enfants seraient réunis avec leur travail et un logement.
famille de manière durable – ce qui aide à réduire Les renseignements sur l’Afrique australe
la demande 3. Un certain nombre d’études rela- actuellement disponibles donnent à penser que
tives aux pêcheries côtières du Ghana font appa- les deux sortes de traite, à l’intérieur d’un pays et
raître aussi un lien avec l’évolution de la à travers les frontières, s’y pratiquent l’une et
dynamique dans ce secteur, où l’on est en train de l’autre, et Molo Songololo (2000) estime que les
passer de la pêche côtière à la pêche à l’intérieur conditions socioéconomiques constituent aussi
des terres. La course à des ressources en voie un problème fondamental. La situation écono-
d’épuisement peut avoir mené à un recours inten- mique médiocre des personnes faisant l’objet de
sifié à la main-d’œuvre infantile pour réduire les la traite, la désintégration des familles – souvent
coûts (Golo, 2005). accompagnée de changements d’attitudes et de
Riisøen et coll. (2004) jettent un jour nou- pratiques culturelles – et la forte demande de rap-
veau sur ce qui se passe à l’intersection entre la ports sexuels avec des enfants, sont de toute évi-
migration et la traite des enfants. Leurs conclu- dence les facteurs principaux à l’origine de
sions semblent montrer que la vulnérabilité des l’augmentation du trafic à des fins d’exploitation
enfants découle souvent du traitement qu’ils sexuelle à l’intérieur du territoire national. Les
subissent dans la famille d’accueil, qui les tient données recueillies font apparaître que le trafic
entièrement sous sa coupe. Les arrangements tra- des enfants se fait surtout à l’intérieur de leur
ditionnels en matière de placement et d’accueil pays d’origine, et que les trafiquants sont issus de
d’enfants permettent de contourner les normes de la population locale, mais que, lorsqu’il y a mou-
responsabilité à l’égard des enfants, à tel point vement transfrontalier, les trafiquants sont des
que ceux-là sont exposés à l’exploitation et ris- étrangers, appartenant à des organisations crimi-
quent davantage d’être la cible des réseaux de nelles. Les deux sexes sont l’un et l’autre visés,
traite. Le placement à l’intérieur de systèmes mais les filles risquent davantage d’être amenées
élargis de parenté peut peser sur les familles aux à émigrer et d’être entraînées dans l’industrie du
prises avec des difficultés économiques, qui se sexe. Le rapport fait état de cas de recrutement
dérobent à leurs responsabilités, et même dans l’industrie du sexe par le biais des journaux,
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emmenés en Afrique du Sud. Il ressort de ces ren- concerne l’apprentissage – d’un apprentissage
seignements que l’Afrique du Sud est un pays reçu d’en haut, on passerait à une forme plus
d’origine et de transit, et en même temps, une « horizontale », selon laquelle on acquerrait un
destination importante. Sont aussi cités des cas de savoir en expérimentant et en partant du vécu
traite intercontinentale de jeunes femmes vers quotidien, sur le terrain. Ce changement a des
l’Afrique du Sud – en provenance de Russie, incidences importantes sur le plan épistémolo-
d’Europe de l’Est, de Thaïlande, de Chine et de gique. Une « bonne pratique » est la résultante de
Taiwan – et dans laquelle sont impliquées des l’interaction entre les organismes et les règles
organisations criminelles basées au Mozambique, gouvernant tel ou tel domaine de décision, et les
en Europe de l’Est et en Thaïlande. Le trafic en lieux d’application. On ne peut écarter ni les
Afrique du Sud semble en outre avoir un lien caractéristiques administratives des organismes
avec l’industrie mondiale du sexe. chargés de la mise en œuvre, ni la culture qui leur
Depuis quelques années, la lutte contre la est propre. Dans ces conditions, l’évaluation
traite des personnes a apporté une somme de d’une « bonne pratique » ne saurait s’arrêter au
connaissances « polyphonique », qui remet en seul niveau des techniques et outils purs et
question toute définition normalisée de la traite des simples dont l’efficacité a été démontrée. Elle
personnes. Les données recueillies font apparaître exige que l’on comprenne le terrain d’application
qu’il existe un continuum d’options, soumises à sociopolitique, et la manière dont il influe sur les
des contraintes variant selon les circonstances. Il y hypothèses normatives et normes d’évaluation.
a un décalage évident entre les préoccupations Derrière chaque pratique et sa diffusion, il existe
juridiques relatives aux violations des droits deux systèmes de connaissances, ou davantage,
humains, et l’univers social de la migration, où ces qui ne partagent pas nécessairement les mêmes
violations peuvent se prêter à des interprétations convictions et les mêmes valeurs.
plurielles et contradictoires. En tant que phéno- La notion de « communauté épistémique »,
mène social, la migration passe par un ensemble introduite par Haas, et son rôle dans l’action
complexe d’institutions qui, ensemble, constituent coopérative internationale, peut être utile aux
un circuit de transfert de la main-d’œuvre. Son analyses des « bonnes pratiques ». Une commu-
intersection avec la traite des personnes et les pra- nauté épistémique est une entité qui s’articule
tiques dans ce domaine sont au premier chef fonc- autour d’une communauté de convictions, de
tion de la vulnérabilité des migrants, des gains conceptions de ce qui est valide, et d’initiatives.
réalisés, des agents organisateurs et des Les communautés épistémiques véhiculent les
employeurs. Des analyses sectorielles peuvent être connaissances scientifiques vers le champ de
utiles pour révéler quels changements structurels – décision, et agissent comme « voies par les-
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d’être soutenues par un raisonnement public les divergences entre les systèmes juridiques
ouvert, qui peuvent éventuellement se traduire nationaux et à établir des normes permettant aux
par un cadre législatif, sous la forme d’une législations nationales de lutter contre la crimina-
« législation spécifique relative aux droits lité organisée (voir OIM 2004). Depuis l’adoption
humains », et qui recouvrent une gamme étendue en 2000 d’une définition, l’examen de la question
d’activités, notamment la reconnaissance, le de la traite est devenu plus facile sans pour autant
débat et la surveillance publics. En tant que pro- cesser de prêter à la controverse. La nature de la
blèmes transfrontaliers, la migration et la traite traite en Afrique subsaharienne, telle qu’elle a été
font intervenir des formes de savoir et des orga- décrite plus haut, ne cadre pas tout à fait avec la
nismes variés à l’échelon mondial et local qui définition internationale. Celle-ci est fondée sur
nécessitent des négociations portant sur des le modèle de la traite transnationale – qui est
conceptions du monde, des cadres moraux et le imputée à la présence de réseaux étendus de cri-
souci de protéger les droits humains en tant que minalité organisée – alors qu’à part quelques
projet commun. La diversité exige une démarche exceptions, la traite en Afrique subsaharienne se
à l’égard de la morale qui soit capable d’englober confond souvent avec la migration qui se fait par
les principes méthodologiques de la relation l’intermédiaire de petits réseaux de type familial,
réflexive et de la communication dialogique, et et pas toujours à travers les frontières. Une
qui fasse place dans la pensée morale au souci démarche tournée vers la criminalisation revien-
d’autrui, afin d’aider à concrétiser des « droits » drait à pénaliser la collectivité tout entière.
situés et contextuellement signifiants pour les De nombreuses organisations internatio-
personnes qui ont besoin d’être protégées nales se sont fait une définition de travail de la
(Gasper and Truong, 2005). traite et une conception des circonstances qui en
sont le soubassement en combinant le Protocole
Élaboration de cadres juridiques relatif à la traite avec d’autres accords et conven-
pour la gestion de la migration tions apparentés, à savoir : (1) la Convention de
1930 de l’OIT concernant le travail forcé ou obli-
À l’heure actuelle, la migration est gérée au gatoire (n° 29), (2) la Convention de 1979 des
niveau de l’État sur une base sélective au titre de Nations Unies sur l’élimination de toutes les
trois conventions internationales, à savoir : (1) le formes de discrimination à l’égard des femmes,
Protocole additionnel à la Convention des (3) la Convention des Nations Unies de 1989
Nations Unies contre la criminalité transnationale relative aux droits de l’enfant et son supplément,
organisée visant à prévenir, réprimer et punir la la Convention de 1999 de l’OIT sur les pires
traite des personnes, en particulier des femmes et formes de travail des enfants (n° 182). La
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et la vente d’enfants. Ils sont entrés en vigueur en découlant des tendances démographiques
janvier et février 2002, respectivement. actuelles, auxquelles s’ajoutent des déficits struc-
La Convention des Nations Unies sur les turels dans des secteurs déterminés, tels les tech-
droits des migrants repose sur le principe de l’in- nologies de l’information, les soins de santé, et le
divisibilité des droits (civils, politiques, socioéco- travail domestique (OIM, Banque mondiale, OMC,
nomiques et culturels). Elle est entrée en vigueur 2004). Tant que les questions de régulation n’au-
en juillet 2003, le nombre minimal requis de rati- ront pas trouvé une solution satisfaisante, dans les
fications ayant été atteint après le dépôt de ratifi- secteurs exclus de la négociation, les travailleurs
cations par 20 pays, en plus des dix pays qui migrants resteront à la merci des formes irrégu-
avaient signé la Convention. Les articles 10 et 11 lières de déplacements et des pratiques sauvages
contiennent des dispositions relatives à la préven- de ceux qui les organisent.
tion et à la répression de la traite des êtres Le climat international a influé sur les
humains. En septembre 2005, le nombre total de réformes législatives en Afrique de l’Ouest et du
33 ratifications et de 15 signatures par les États Centre pendant la dernière décennie. La Plate-
membres des Nations Unies avait été atteint. Sur forme commune d’action de Libreville de la
ce total, on comptait 12 ratifications et 8 signa- Consultation sous-régionale sur le développe-
tures de pays africains. La plupart des pays qui ont ment de stratégies de lutte contre le trafic d’en-
ratifié la Convention appartiennent au groupe à fants aux fins d’exploitation de leur travail a été
faible revenu et sont les pays d’origine de quelque signée en l’an 2000 par 21 pays de l’Afrique de
4,5 millions de migrants (2,6 % du total mondial l’Ouest et du Centre (sous les auspices de
des migrations). Les principaux pays d’accueil de l’UNICEF et de l’OIT, et avec le concours du Gou-
migrants situés dans les régions à revenu élevé – vernement gabonais). Elle a été suivie d’une
telles l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord Déclaration d’action contre la traite, adoptée par
– n’ont pas ratifié la Convention, même s’ils la Communauté économique des États de
accueillent la majorité des travailleurs migrants l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et par l’approba-
(près de 100 millions sur un total de 175). tion du Plan d’action de la CEDEAO à Dakar par
D’autres pays d’accueil importants – Inde, Japon, 15 États membres.
Singapour, Malaisie, Australie et États du Golfe – L’engagement des gouvernements à lutter
n’ont pas ratifié la Convention non plus. contre la traite est visible dans plusieurs
L’AGCS Mode 4 n’a pas été conçu comme domaines : campagnes de mobilisation et de sen-
dispositif de gestion de la migration, ses disposi- sibilisation, création de mécanismes juridiques et
tions étant limitées à la circulation des personnes institutionnels appropriés pour combattre la traite
« physiques », par opposition aux personnes des enfants, amélioration des soins apportés aux
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ments des enfants âgés de moins de 14 ans). Au téger les droits des personnes victimes de la traite
Burkina Faso, l’Assemblée nationale a adopté en et ont favorisé la collaboration entre différentes
mai 2003 une loi qui définit la traite des enfants organisations pour mettre en œuvre les conven-
et prévoit des peines de prison ou des amendes tions internationales protégeant les droits de ces
pour les trafiquants. Le Togo n’a pas de loi visant personnes. Les institutions spécialisées du sys-
expressément la traite, mais utilise des lois paral- tème des Nations Unies étant aussi les filières par
lèles pour poursuivre en justice les trafiquants. lesquelles les idées nouvelles circulent de pays à
Toutefois, la coordination reste malheureusement pays et façonnent les pratiques locales, elles agis-
insuffisante, et la faiblesse des engagements bud- sent également en tant que communauté épisté-
gétaires nationaux et régionaux compromet la mique qui trace les voies de la coopération
mise en œuvre de ces plans bien intentionnés 5. internationale. Des organisations telles que Anti-
La plupart des pays d’Afrique australe se Slavery International, Coalition Against the Traf-
placent dans l’optique du caractère illégal de ficking in Women (CATW), Global Alliance
l’immigration – qui tend à criminaliser la victime Against Trafficking in Women (GATW), Human
de la traite et non le trafiquant. En Afrique du Rights Watch (HRW), Amnesty International (AI)
Sud, la législation nationale contient plusieurs et End Child Prostitution, Child Pornography
articles applicables à la poursuite des trafiquants, and Trafficking of Children for Sexual Purposes
mais ils ne visent pas expressément la traite des (ECPAT) ont joué un rôle catalyseur en préparant le
personnes (par exemple les lois sur les infractions terrain pour amener les gouvernements à
contre les mœurs, sur les enfants, sur les soins à admettre que la traite des personnes est un pro-
donner aux enfants, et certaines dispositions de la blème mondial. Toutefois, les instances de déci-
loi pénale). L’Afrique du Sud est en train de sion tendent à regarder certains groupes de
réformer sa législation nationale afin de mettre pression comme plus « politiquement corrects »
son système juridique en conformité avec le Pro- que d’autres et sont de ce fait davantage enclines
tocole des Nations Unies. Un projet de loi relatif à leur conférer une autorité intellectuelle.
à la traite des personnes a été déposé. Ainsi, la CATW tire son influence de la posi-
Les migrations protégées qui concernent le tion abolitionniste que partagent de nombreux
commerce de services continuent à placer les gouvernements. En revanche, la GATW n’admet
pays d’Afrique subsaharienne devant des choix pas les mesures répressives dans les campagnes
difficiles. L’AGCS Mode 4 est le seul cadre dans contre la traite et préconise des modifications
lequel ces pays peuvent tirer parti des négocia- d’un processus de réinsertion qui peut être res-
tions de l’OMC, car il pourrait les aider à créer des senti comme une sanction apportée au travail
emplois et à assurer la protection de leurs ressor- sexuel ; c’est pourquoi sa démarche est perçue
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Il n’est pas possible de dépister les mécanismes adopté, (2) il place la traite sous l’angle judiciaire
d’« exploitation » (et, partant, de les renverser) et pénal, reconnaissant ainsi la part active de la
ou de prendre en compte une part plus étendue de criminalité organisée dans le recrutement, le
responsabilité sociale dans le commerce du sexe transfert et l’exploitation des personnes, (3) il
à moins que la constitution sociale d’une caté- situe dans une optique mondiale ou transnatio-
gorie de « travailleurs du sexe » ne soit pleine- nale l’étude des composantes criminelles de la
ment comprise. Au lieu de séparer les problèmes traite des personnes. La loi que le Gouvernement
relatifs aux droits humains des problèmes relatifs des États-Unis a fait voter en 2000 sur la protec-
au marché, les analyses féministes ont souligné tion des victimes de la traite et de la violence a un
avec force comment le comportement mercantile rapport étroit avec la démarche de l’ONUNDC 7.
pouvait fragiliser les systèmes de protection Les pays classés à l’échelon 3 risquent de voir les
sociale et les droits de groupes sociaux particu- États-Unis s’opposer à ce qu’une aide leur soit
liers, et, de ce fait, structurer les contraintes de accordée par les institutions financières interna-
choix de telle manière que des personnes vulné- tionales, en particulier par le Fonds monétaire
rables soient poussées vers l’industrie du sexe international et les banques multilatérales de
(Truong, 2003). développement, telle que la Banque mondiale
Un enjeu commun à toutes les organisations (exception faite de l’aide humanitaire, de l’aide
travaillant avec les immigrés clandestins est de commerciale et, dans une certaine mesure, de
savoir comment empêcher les États de se dérober l’aide au développement). À la loi est joint en
à leurs obligations quant à la protection des droits appendice un système de classement à trois éche-
humains tout en respectant le principe de la sou- lons adopté dans le rapport annuel (établi depuis
veraineté de l’État. En dépit de la position com- 2001) et visant à « encourager » les gouverne-
mune, qui consiste à voir dans la traite des êtres ments du monde à en tenir compte. Ce système
humains une atteinte à la dignité humaine et à permet de déterminer dans quelle mesure un gou-
approuver la protection des droits des personnes vernement satisfait à un ensemble de critères
qui en sont victimes, des divergences de fond per- minimaux fixés par le Département d’État des
sistent quant aux approches pratiques. Le thème États-Unis. L’échelon 1 signifie respect intégral
des droits humains a été présenté sous différents de ces critères ; les échelons 2 et 3 indiquent dif-
angles, comme on peut le constater en voyant ce férents degrés de non-conformité. Depuis 2004,
que des organisations disent d’elles-mêmes sur le classement selon ces échelons est associé à des
leur site Internet et dans leurs documents offi- amendes ou sanctions que les États-Unis peuvent
ciels. Le principal angle sous lequel sont pré- infliger. Aux termes de la loi, les sanctions sont
sentés les droits découle de la définition de la levées lorsqu’il y a lieu d’éviter des effets
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praticiens en matière de migration. La traite des pays industrialisés, l’OIT coopère avec les syndi-
personnes pose un problème de gestion des cats qui ont admis comme membres des tra-
migrations, tant pour les gouvernements des pays vailleurs sans papiers, et travaillent étroitement
d’origine qu’à ceux des pays de transit et des pays avec les mouvements de sans-papiers pour aider
d’accueil, car elle va à l’encontre d’une migration ces derniers à régulariser leur situation. Dans son
organisée et constitue une infraction aux disposi- action normative, l’OIT a été amenée à se pencher
tions de plusieurs types de législation nationale – sur le problème de la traite des êtres humains sous
notamment à la législation en matière de migra- l’angle du travail forcé, de l’exploitation des tra-
tion. Contrairement au trafic illicite de migrants, vailleurs migrants et des pires formes du travail
la traite de personnes ne saurait être considérée des enfants. Le Programme international pour
par les institutions comme étant une infraction à l’abolition du travail des enfants (OIT-IPEC) a été
la législation nationale en matière de migrations créé en 1992 expressément pour résoudre les pro-
commise par la victime. Elle doit être considérée blèmes relatifs au travail des enfants et à la traite
comme une violation grave des droits de la vic- des enfants, par la recherche et l’action. La
time – commise par ceux qui participent à ce pro- Convention 182 de l’OIT voit dans la traite des
cessus. Or, l’acte qui consiste à définir le statut enfants une pratique analogue à l’esclavage, et
d’un migrant (réfugié, demandeur d’asile, vic- qui devrait, de la même manière, être abolie.
time de la traite) est fonction du contexte et Le point de vue du Fonds des Nations Unies
constitue un choix politique d’États souverains, pour l’enfance (UNICEF) découle de la Convention
qui peuvent appliquer des mécanismes ponctuels relative aux droits de l’enfant, qui définit la traite
de traitement préférentiel. Des organisations des enfants comme une violation fondamentale
telles que Human Rights Watch et Amnesty Inter- des droits de l’enfant. L’UNICEF reconnaît les liens
national ont critiqué l’OIM pour avoir mis davan- qui existent entre la traite des enfants et un grand
tage l’accent sur la « migration organisée » et le nombre de problèmes tels que la criminalité et la
« retour volontaire » des personnes victimes de la corruption, les naissances non déclarées, le tra-
traite, des demandeurs d’asile et des réfugiés au vail des enfants, les conflits armés, la justice pour
lieu de protéger les droits des personnes dépla- mineurs et les pratiques de discrimination
cées de manières diverses 8. La tension qui naît de sexuelle telles que le mariage précoce. L’univers
l’application des principes d’action reflète la dif- social de l’enfance qui relève de l’UNICEF
ficulté éprouvée dans la pratique à maintenir des embrasse une grande variété de pratiques cultu-
normes internationales alors que le processus et relles et d’institutions telles que la famille,
les critères de définition et de classement en caté- l’école, les lieux de détention et les milices. Elle
gories ne sont pas encore définis – étant soumis à s’intéresse essentiellement aux divers lieux du
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les causes plus profondes (d’ordre structurel, ins- La pratique qui consiste à désigner un groupe
titutionnel, culturel, ou intervention personnelle), cible principal de bénéficiaires (exclusivement
car elles ont constaté que les gens continuent à se composé d’enfants ou de femmes, par exemple) a
livrer à la traite même quand ils savent les risques également été contestée comme marquée par un
encourus. caractère d’exclusion, du fait qu’elle peut occulter
Le choix des mesures est tributaire de nom- la souffrance de ceux qui ne sont pas « ciblés »
breux facteurs (dont les sources de financement) (les garçons et les jeunes gens). La qualification
autres qu’une compréhension de la situation. de « l’enfant de sexe féminin » comme groupe
Ainsi, bien que la pauvreté soit immanquable- cible, fondée sur la définition juridique (moins de
ment montrée du doigt dans le discours politique 18 ans), n’est pas toujours utile, car elle ne cor-
comme cause fondamentale, on ne l’affronte pas respond pas toujours aux définitions sociolo-
à la base avec la même détermination. Certaines giques de l’enfance qui ont cours dans de
organisations expriment un sentiment de déses- nombreuses communautés. Afin de forger une
poir en ce qui concerne leur propre aptitude à volonté commune pour combattre la traite, il est
réduire la pauvreté, et manifestent un certain souhaitable que tous les membres d’une commu-
scepticisme quant à la volonté politique et à la nauté soient associés à l’intervention, car les
capacité des gouvernements nationaux. Le micro- causes et processus du phénomène sont étroite-
crédit destiné à lancer des activités rémunéra- ment mêlés aux intérêts plus généraux et aux pra-
trices n’est pas toujours très répandu, et n’est tiques qui ont cours à l’intérieur des communautés
ouvert qu’aux personnes victimes de la traite et à et entre elles. Une simple sensibilisation, fondée
leur famille – et uniquement aux fins de leur réin- sur des présupposés spécifiques sur le sexe et la
sertion économique dans la collectivité. migration risque en effet de concourir à la discri-
Les organismes de financement marquent mination sexuelle – surtout lorsque toutes les
une préférence pour les programmes de sensibili- formes de migration des femmes sont confondues
sation à faible coût ; mais lorsque aucune alterna- avec la traite sexuelle. Les messages qui diaboli-
tive n’est offerte aux membres de la sent l’image de la femme migrante ont souvent
communauté, il y a peu de chances que ces pro- pour résultat final un resserrement du contrôle de
grammes apportent des changements. Il faut la mobilité des femmes en général.
porter à la connaissance de l’opinion les hypo- Les organisations de lutte contre la traite et
thèses sur lesquelles ces programmes de sensibi- les pratiques qu’elles adoptent sont porteuses de
lisation reposent et les soumettre à une discussion convictions issues de leurs conceptions morales
plus poussée. Dans le rapport de l’UNICEF (2002, et intellectuelles. Même lorsqu’une organisation
p. 13) sur la traite en Afrique de l’Ouest et du reconnaît que le problème de la traite a des
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1. Les auteurs définissent le personnel extérieur. Elle explique efforts d’un gouvernement pour
« travail de production que quand ses filles adoptives combattre la corruption chez les
domestique » comme activité auront l’âge de se marier, il faudra fonctionnaires chargés de la
orientée vers le marché que l’on qu’elle cherche d’autres parents répression, de l’immigration et de
mène à son propre compte, chez éloignés à adopter (Riisøen et la justice. Il signale aussi que des
soi ou à proximité, tandis que le coll., 2004, p. 22). « fonctionnaires de l’immigration
« travail à domicile » est un travail qui tentaient de capturer des
3. Africa Newswire Network,
à la pièce, que l’on fait chez soi trafiquants ont été attaqués par des
« Fishermen back fight against
aussi, mais pour le compte d’une individus bien armés et ont été
child labour », General News
entreprise extérieure [en sous- contraints de battre en retraite ».
(9 janvier et 4 février 2003),
traitance].
http ://www.ghanaweb.com 6. Mark Twain.
2. Selon les dires de la femme
4. http :globetrotter.berkeley.eu/pe 7. Selon Chapkis (2003, p. 934),
d’un propriétaire de restaurant au
ople/Haas/hass-con3.html
Mali, ses filles adoptives sont une seule personne – un garçon de
indispensables au fonctionnement 5. Fitzgibbon (2003, p. 88) 4 ans – a obtenu un T-visa
du commerce et, sans leur aide, constate que les trafiquants ont les (accordé, aux termes des
elle serait obligée d’engager du moyens de réduire à néant les dispositions de la loi, aux victimes
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