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2016/1 Tome 45 | pages 61 à 78
ISSN 0046-2497
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ISBN 9782701198057
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http://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2016-1-page-61.htm
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EG
Modes d’habiter
2016-1
p. 61-78
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Antonine Ribardière
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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RÉSUMÉ.— L’analyse des revenus aBStRact.— Wealth and poverty in Ile- Introduction
des ménages franciliens en 1999 et en 2011 de-France working-class municipalities:
révèle le double processus de polarisation Are housing policies games-changers? — La carte de la richesse et de
socio-spatiale et de moyennisation qui The analysis of household income data from
la pauvreté se durcit incontesta-
traverse la région Île-de-France. 1999 and 2011 shows that the region of Ile-
Dans ce contexte, les trajectoires de-France is undergoing a double process of blement en Île-de-France. Ce
spécifiques aux communes populaires sont socio-spatial polarization and of n’est pas un phénomène spéci-
mises en évidence et permettent “averagization”. Within this framework, fique à la métropole parisienne –
d’interroger l’action publique locale en the specific trajectories of working-class
on le rencontre dans d’autres
matière de logement à partir de deux cas municipalities are highlighted and allow us
d’étude. L’articulation des deux échelles to analyze local public housing programs, villes mondiales, tant au Nord
d’analyses – régionale et locale – souligne using two case-studies. By combining both qu’au Sud. En Île-de-France, le
combien la diversification de l’offre de regional and local scales, we can better see phénomène le plus marquant est
logements à l’échelon local, laissée en how the diversification of local housing,
certainement celui de la polarisa-
grande partie à l’initiative des acteurs largely left to the private initiatives, cannot
privés, ne peut à elle seule enrayer le alone end the socio-spatial polarization tion socio-spatiale, c’est-à-dire le
processus de polarisation socio-spatiale. process. creusement des écarts entre les
territoires les plus riches et les terri-
diviSion Sociale de l’eSpace, hoUSing policy, ile-de-FRance,
toires les plus pauvres. L’évolution
Île-de-FRance, incoMe, Social diviSion oF
politiqUe dU logeMent, RevenU Space de la carte de la richesse et de la
pauvreté ne doit pourtant pas être
limitée à ce processus de polarisa-
tion: on observe également un pro-
cessus de « moyennisation »1 des
espaces résidentiels en moyenne et
1. Le processus de « moyennisation » est ici entendu comme le renforcement de la spécialisation sociale de l’espace des classes moyennes
d’une part et de diffusion du modèle, d’autre part.
@ EG
2016-1
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récents réunis par Deboulet, Lelévrier, 2014), cette littérature centrée sur les quartiers
prioritaires de l’action publique reste insuffisante pour appréhender les trajectoires des
territoires communaux – ce qui n’est, au demeurant, pas son objet. Pourtant, appré-
hender les dynamiques de recomposition socio-spatiale à l’échelle de la commune
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des politiques de logement sur les dynamiques de différenciation sociale de l’espace est
indispensable pour apprécier les possibilités de l’action publique d’infléchir des formes de
division socio-spatiale au cœur des débats sociétaux et politiques.
La démarche suivie dans cet article vise à articuler deux échelles d’analyses : (1)
l’échelle régionale des processus de division sociale de l’espace, relativement auxquels
les évolutions des profils communaux sont qualifiées et (2) l’échelle de l’action
publique locale, à laquelle sont définies et mises en œuvre les politiques de rénovation,
et sont délivrés les permis de construire. 5. Pour
un positionnement
Ces deux seules échelles d’analyses ne permettent pas de saisir l’ensemble des critique de cet indicateur
processus à l’œuvre dans la différenciation de l’espace métropolitain – en particulier, relativement à d’autres
variables, voir François
des processus de division socio-spatiale se déploient à des échelles infra-communales et al., 2011, p. 17.
(François, Ribardière, 2004), voire micro-locales. Toutefois, en articulant les deux 6. FILOCOM constitue
échelles d’analyses retenues, nous espérons contribuer à la compréhension des liens un recensement exhaustif
complexes entre politiques publiques, dynamiques de peuplement et disparités socio- des logements, à partir
du rapprochement de
spatiales en Île-de-France.
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quatre fichiers :
Pour ce faire, nous nous appuyons sur un double matériau. La composition taxe d’habitation, taxe
foncière, propriétaires et
sociale des communes est analysée du point de vue des revenus5 des ménages rési- impôt sur les revenus
dents, d’abord en 2011 puis en 1999 ; c’est également à partir de cette source que, des personnes physiques.
La différence que l’on
dans un second temps, les trajectoires spécifiques aux communes populaires sont
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Enghien- Saint-Denis
les-Bains Aubervilliers
Villiers-le-Bel Stains
Saint-Maur-
des-Fossés
Sur-représentation
des ménages
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4 moyens-supérieurs
Montereau-Fault-Yonne
3 Ivry-sur-Seine
Évry
2
1 les plus aisés
0 10 20 40 km
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10 10 10 10
5 5 5 5
0 0 0 0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
-5 -5 -5 -5
20 20 20 20
15 15 15 15
10 10 10 10
5 5 5 5
0 0 0 0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
-5 -5 -5 -5
aussi dans ceux reposant sur l’analyse des catégories socio-professionnelles (IAU, 2013,
p. 120 ; Clerval, Delage, 2014).
Tout d’abord, en vert foncé se détachent les communes et les arrondissements pari-
siens les plus aisés du point de vue des revenus des ménages résidents. Ils s’organisent
en radiale depuis le cœur de Paris jusqu’aux communes les plus cossues des Yvelines.
Le profil qui montre les sur et les sous-représentations des ménages dans chaque
type témoigne de l’importance de la surreprésentation des plus riches (fig. 1) : en
moyenne dans ces communes, près 40 % des ménages déclarent des revenus relevant
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du 10e décile. Cette radiale est encadrée de communes un peu moins spécialisées, pour
former un secteur de grande ampleur et relativement compact à l’ouest de Paris.
À l’opposé, une poche de pauvreté ressort nettement aux portes mêmes de Paris,
depuis les communes de Saint-Denis et d’Aubervilliers jusqu’à Villiers-le-Bel dans le
Val-d’Oise. En moyenne, la spécialisation est un peu moins forte dans ces communes
que dans les précédentes : en particulier, les catégories modestes, correspondant aux
3e et 4e déciles de revenus, sont bien représentées. Mais la surreprésentation des plus
pauvres est patente : en moyenne, près du quart des ménages déclarent des revenus
relevant du 1er décile. Cette poche de pauvreté, également entourée de communes au
profil moins prononcé, forme un ensemble extrêmement compact.
À côté de ces deux pôles opposés, des pôles secondaires se distinguent, moins
massifs : secteurs secondaires de richesse à l’est, depuis Saint-Maur jusqu’au sud de la
Seine-et-Marne, au nord, depuis Enghien-les-Bains jusqu’aux limites du Val-d’Oise ;
secteurs secondaires de pauvreté au sud de Paris, le long de la Seine, depuis Ivry
jusqu’à la ville nouvelle d’Évry. Enfin, les catégories modestes (déciles 2 à 4) apparais-
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sent particulièrement présentes dans les franges rurales de la Seine-et-Marne.
Le reste de l’espace francilien se caractérise par une surreprésentation des catégories
moyennes – moyennes inférieures en jaune, moyennes supérieures en vert pâle. On note
que la spécificité de cet espace, largement périurbain, tient tout autant à la présence plus
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marquée qu’ailleurs des catégories moyennes, qu’à la sous-représentation des plus pau-
vres et des plus riches dans l’espace moyen-inférieur, des plus pauvres uniquement dans
l’espace moyen-supérieur.
Trois éléments peuvent être retenus de cette image des disparités socio-spatiales
liées aux revenus en 2011. Tout d’abord, ce sont les espaces résidentiels les plus aisés
qui sont les plus homogènes. Autrement dit, comme cela a déjà été souligné, la sur-
représentation des plus riches n’a pas son équivalent du côté des plus pauvres
(François et al., 2003 ; Préteceille, 2006).
Ensuite, observée à l’échelon des communes, la pauvreté apparait comme un
phénomène plus diffus dans l’espace que la richesse. Plus de 60 % des ménages les
plus riches (du 10e décile) résident au sein des espaces de richesses (en vert clair, vert
moyen et vert foncé) – tandis que près de 60 % des ménages les plus modestes habi-
tent en dehors des communes les plus pauvres, en rose et rouge (cf. annexe 28).
Enfin, si un espace des classes moyennes apparaît, son emprise spatiale ne doit
pas masquer sa faible spécificité relativement aux autres types communaux identifiés.
La figure 2 rappelle l’image 1999, déjà publiée dans les études antérieures (François
et al., 2003). La comparaison avec l’image 2011 permet non seulement de constater la
stabilité des grandes lignes de l’organisation radioconcentrique décrites plus haut,
mais aussi d’observer le double mouvement de polarisation socio-spatiale et de
moyennisation de l’espace résidentiel, évoqué en introduction.
D’abord, les types extrêmes se sont renforcés au cours de la période. En particulier,
les quelques communes et arrondissements les plus spécialisés dans la résidence des
ménages les plus aisés se détachent en 2011 dans un type spécifique, qui n’existait pas
en 1999. La concentration spatiale des catégories supérieures est non seulement la plus
forte, mais elle tend encore à s’accentuer. Le phénomène avait été mis en évidence au
cours de périodes antérieures et à partir d’autres variables (Préteceille, 1995 et 2006 ;
Rhein, 1998), il est également manifeste sur la période récente, au prisme des revenus 8. http://www.mgm.fr/
des ménages. PUB/EG/EG116.pdf
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Stains
Sur-représentation
des ménages
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3 moyens-supérieurs Montereau-Fault-Yonne
2
1 les plus aisés
1 0 10 20 40 km
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10 10 10 10
5 5 5 5
0 0 0 0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
-5 -5 -5 -5
15 15 15
10 10 10
5 5 5
0 0 0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
-5 -5 -5
9. En 2011, la classe 8 où -10 -10
-10
la surreprésentation des
plus pauvres est la plus Sources : FILOCOM, MEDDTL d’après DGFiP, 2011. Antonine Ribardière, 2015, d’après J.-C. François et al., 2003.
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l’embourgeoisement de
convient d’identifier. En outre, ces évolutions moyennes interrogent l’évolution des l’espace des classes
moyennes francilien avec
« stocks » derrière les profils communaux – autrement dit, l’évolution du nombre deux phénomènes :
de ménages correspondant à chaque décile de revenu. Par exemple, le renforce- 1/ l’arrivée de nouveaux
ménages plus aisés parmi
ment du poids des plus pauvres résulte-t-il de l’augmentation du nombre de
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les propriétaires et
ménages relevant du 1er décile, ou bien de la diminution du nombre de ménages 2/ le vieillissement de
dans les autres déciles ? Ces deux points justifient un resserrement de l’analyse sur cet espace périurbain,
qui se traduit par
les seules communes populaires d’une part, et sur l’évolution des effectifs de la décohabitation
ménages par décile, d’autre part. des enfants devenus
adultes (Sagot, 2013).
Ce dernier processus
influe fortement
Trajectoires plurielles des communes populaires l’indicateur que nous
avons retenu :
Parmi les quelques 536 communes urbaines franciliennes11 de plus de 2 000 habi- la diminution de la taille
du ménage augmente
tants, 114 relèvent des deux types identifiés en 2011 comme les plus marqués par la
mécaniquement le revenu
pauvreté des ménages résidents. Dans la quasi-totalité de ces communes populaires, le par unité de
nombre de ménages a augmenté entre 1999 et 2011 – à un rythme toutefois plus lent consommation.
qu’en moyenne dans les communes urbaines12. Néanmoins, c’est relativement à cette 11. Communes
appartenant à une unité
tendance à l’augmentation du nombre de ménages que doit être interprétée l’évolution urbaine en 2010,
des effectifs communaux de ménages par décile (fig. 3). selon l’INSEE.
Dans plus de huit communes populaires sur dix, le nombre de ménages relevant 12. Évolution moyenne
du 1er décile de revenu a augmenté en valeur absolue (fig. 3A) ; cette augmentation a du nombre de ménages
entre 1999 et 2011
été plus rapide que celle du nombre total de ménages de la commune dans près des dans les communes
deux-tiers des cas (fig. 3B). L’accroissement du nombre de ménages des catégories populaires : + 9,7 % ;
dans l’ensemble des
modestes et moyennes inférieures (déciles 2, 3 et 4) est quasiment une constante, au communes urbaines de
moins en valeur absolue. Enfin, le nombre de ménages aisés (10e décile) a diminué + 2 000 habitants : + 17,2 %
(FILOCOM, 1999 et 2011).
dans plus de sept communes sur dix et plus encore, il a augmenté moins vite que
13. Les 72 % des
l’effectif total des ménages (ou a diminué) dans plus de huit communes sur dix. communes populaires
L’évolution des effectifs des déciles 7 à 9 suit la même tendance, dans une version un associent augmentation
peu moins accusée toutefois. en valeur absolue de
l’effectif du 1er décile et
Au total, plus de 70 % des communes populaires voient le poids relatif des diminution en valeur
ménages les plus pauvres se renforcer au cours de la période sous l’effet conjugué de absolue de l’effectif
du décile 7 et/ou du
deux processus : l’augmentation du nombre des ménages du 1er décile et la diminution décile 8 et/ou du décile 9
de celui des ménages les plus aisés – relevant des déciles 7 à 1013. et/ou du décile 10.
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3A – Répartition des communes selon l’évolution 3B – Répartition des communes selon l’évolution
des effectifs de ménages par décile des effectifs de ménages par décile rapportée
à l’évolution de l’ensemble des ménages communaux
% %
100 100
80 80
60 60
40 40
20 20
0 0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
déciles de revenu déciles de revenu
Augmentation Augmentation plus rapide
Diminution Diminution plus rapide
Lecture : dans 84 % des communes populaires, le nombre de ménages Lecture : dans 64 % des communes populaires, le nombre e ménages
relevant du 1er décile francilien de revenu a augmenté entre 1999 et 2011. relevant du 1er décile francilien de revenu a augmenté plus vite que
le nombre total de ménages dans la commune entre 1999 et 2011.
Sources : Filocom, Meddtl d’après DGFIP, 2011. Antonine Ribardière, 2015
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Fig. 3/ Évolution des effectifs communaux de ménages par décile dans les communes
populaires franciliennes, 1999-2011
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Clichy Sarcelles
Stains
La Courneuve L’observation de l’évolution des effectifs com-
munaux de ménages par décile de revenu, en valeur
absolue et relativement à la croissance de
l’ensemble des ménages de la commune, permet
d’ordonner la variété des configurations locales en
trois grands types de trajectoires, qui se déclinent le
cas échéant en sous-types suivant la situation dans
l’espace régional (fig. 4).
Fait avec Philcarto.
Saint-Ouen
La première configuration est celle des com-
Bagnolet munes très populaires de la proche banlieue nord,
Montreuil qui enregistrent en moyenne les plus fortes augmen-
Montereau- tations de ménages pauvres et modestes, aux revenus
Fault-Yonne
Trois types d’évolution
inférieurs au 3 e décile. Cette augmentation est
Taux de croissance des effectifs communaux de ménages par décile, 1999-2011 accompagnée du recul très net des ménages relevant
% % %
des catégories moyennes et supérieures (au-delà du
30 30 30
20 20 20
5e décile) : c’est le cas de La Courneuve, de Stains en
10 10 10 Seine-Saint-Denis, ou encore de Sarcelles dans le
6 9 10
0
1 2 3 4 5 7 8
9 10
0
-10
1 2 3 4 5 6 7 8 0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Val-d’Oise. Les communes les plus populaires au
-10
-20 sud de Paris, autour de la ville nouvelle d’Évry, sont
-30 également bien décrites par ce profil.
Typologie établie au moyen d’une classification ascendante hiérarchique réalisée sur les taux de
croissance des effectifs communaux de ménages par décile entre 1999 et 2011, rapportés au taux Une deuxième configuration associe augmen-
de croissance de l’effectif communal total, pour les 114 communes populaires considérées –
moins la commune de Jouarre retirée ponctuellement de l’analyse du fait de ses valeurs atypiques. tation nette du nombre des plus pauvres et maintien
Pour une interprétation plus aisée des profils, les 3 types sont décrits par les taux de croissance
moyens des effectifs communaux par décile.
des ménages relevant des déciles moyens et supé-
Sources : Filocom, MeddtL d’après DGFIP, 2011. Antonine Ribardière, 2015.
rieurs. Cette configuration concerne d’une part des
communes limitrophes des arrondissements pari-
Fig. 4/ Évolution de la richesse et de la pauvreté, siens, dans lesquelles les effectifs du 10e décile se
1999-2011 : trajectoires des communes populaires renforcent : c’est le cas à Montreuil ou encore à
franciliennes
Bagnolet, où le mouvement de gentrification se
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Au niveau des territoires communaux, les changements dans la composition
sociale de la population résidente font écho aux transformations des paysages urbains
et à l’hypothèse d’une diversification des parcs de logements, et interrogent les jeux
d’acteurs à l’origine de ces transformations. Dans le cadre de cet article, c’est ce
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deuxième niveau d’observation que nous allons privilégier, afin d’avancer dans l’étude
des relations entre recompositions socio-économiques des communes populaires et
action publique locale en matière de logement.
de la crise de 2008 sur le secteur immobilier et dans le contexte francilien de fortes 16. Programme
d’accession destiné aux
tensions sur le marché du logement, ce dispositif a été largement investi par les pro- primo-accédants,
moteurs privés. Ainsi en Île-de-France, entre 2009 et 2012, en moyenne 20 % des locataires d’un logement
social, sous condition de
opérations immobilières ont été réalisées dans ces périmètres « ANRU » (Delplanque, ressources (Saint-Macary,
Guigou, 2014). 2014).
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positions observées du point de vue des revenus des ménages résidents renvoient à
deux configurations différentes : renforcement du nombre des plus pauvres et recul
des catégories moyennes et supérieures à Stains (à partir du 5e décile), léger recul du
nombre de ménages pauvres et augmentation des catégories modestes et moyennes
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tiers du total, sur le site de Surville ou sur ses franges ; la promotion privée de logements
collectifs – 40 % des logements – reste concentrée en ville basse. Entre les deux, sur
la côte nord-est de Surville, une nouvelle offre pavillonnaire s’est développée dans le
quartier du Hameau Saint-Jean.
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Saint-Lazare et également à des unités plus restreintes, comme le Moulin Neuf au sud de 21.
http://www.dailymotion.
la commune. com/video/x37eju_inaugu
Sur le site du Clos Saint-Lazare23, le programme de rénovation signé avec l’ANRU ration-logements-icade-
monter_news, posté
en 2006 prévoit des démolitions moins importantes que celles effectuées à Surville ; le 14 octobre 2007.
elles touchent cependant un peu plus de 500 logements (Stains, 2006). Le contexte 22. Les permis de
n’est pas le même, les tensions sont beaucoup plus fortes sur le parc social et la ten- construire ont été
dance est davantage à l’augmentation du parc social dans le territoire de Plaine collectés en Mairie,
les opérations non
Commune – la communauté d’agglomération porte ainsi un projet de création de réalisées ont été
1 200 logements sur la zone des Tartres, qui jouxte le Clos. La reconstruction du identifiées d’après nos
recherches personnelles
parc social démarre en fin de période seulement, après les démolitions (fig. 6). et avec l’aide des agents
Une offre de logements en accession à la propriété s’est développée à Stains au municipaux ; certaines
opérations de petite
cours de la période, d’abord sous la forme d’un nouveau quartier pavillonnaire, dans la envergure ont pu
zone d’aménagement concerté du Bois Moussay au nord du Clos, puis sous la forme de toutefois nous échapper.
logements collectifs, réalisés par la promotion privée. L’opérateur Nexity intervient ainsi 23. Les deux autres sites
dans le quartier des Trois Rivières, entre le parc de La Courneuve et le quartier d’habitat en convention sont plus
atypiques : restauration
social du Moulin Neuf, dès 2004 – avant même le dispositif « TVA ANRU » donc. En fin de sans démolitions pour la
période, ce sont plus de 350 logements qui ont été commercialisés – l’opération se pour- Cité Jardin ; démolitions
déjà effectuées au cours
suivant avec un nouveau permis déposé en 2013. Une autre opération, qui a entièrement d’un programme
bénéficié du dispositif de TVA réduite, est lancée en 2010 à proximité du centre-ville. antérieur au Moulin Neuf.
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« auparavant, il n’y avait que deux options : le
logement HLM ou faire construire son pavillon »24. Au total, l’offre en logements col-
lectifs développée par la promotion privée pèse pour moitié dans l’offre neuve déve-
loppée au cours de la période à Stains (environ 1 750 logements) – cette tendance
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évoluant en se renforçant.
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Il convient de noter
sociaux démolis au cours des années 2000 n’ait pas été reconstruit en totalité28, le le nombre de logements
maire regrette au contraire ce principe du « 1 pour 1 ». Il le rappelle encore en 2011 à vacants au moment
des démolitions : 312 sur
la presse, dans sa présentation du dernier avenant signé avec l’ANRU : « J’aurais sou- 1 114 démolitions PNRU
haité que l’on sorte du raisonnement un logement locatif détruit pour un construit,
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(Montereau-Fault-Yonne,
2011).
afin de ne pas reproduire le déséquilibre sociologique manifeste de la ville, mais ce
débat a été tranché »29. 29. « Le programme de
rénovation redéfini »,
La reconstruction en dehors du quartier qui fait l’objet du programme de réno- L’Yonne, édition
vation s’avère difficile à mettre en œuvre dans les deux contextes30. À l’échelle de la du 21 mai 2011.
commune, les disponibilités foncières sur le reste du territoire municipal sont d’abord 30. La reconstruction du
parc social est réalisée –
investies par la promotion privée, qui en fin de compte ne s’est pas engagée dans le ou programmée – à plus
quartier en rénovation, ou de manière ponctuelle seulement. À l’échelle de l’intercom- de 60 % sur le site même
du Clos à Stains (Stains,
munalité, les possibilités de rééquilibrage se heurtent, dans le cas de Montereau, aux 2006), à 84 % sur le site et
résistances des communes voisines, soucieuses de conserver l’équilibre de leur parc de ses environs à Montereau
logements31 et dans le cas de Stains, à l’importance du parc social dans l’ensemble des (Montereau-Fault-Yonne,
2004).
communes de Plaine Commune.
31. Entretien du
Deuxièmement, les mobilités résidentielles occasionnées par les programmes de 26 septembre 2014, chef de
réhabilitation et plus encore, de démolitions et de reconstructions se révèlent de faible projet politique de la ville,
Montereau-Fault-Yonne.
envergure. Les relogements sont en effet effectués en majorité par les bailleurs, au sein La difficulté de l’échelon
de leur propre parc : dans les cas de Surville et du Clos Saint-Lazare, l’ancrage local intercommunal à agir sur la
de leur patrimoine induit majoritairement un relogement sur place. Ainsi, sur le site répartition du parc de
logements sociaux a été
de Surville, près de 80 % des relogements ont été effectués dans le quartier ou au sein soulignée dans d’autres
du territoire communal32. contextes, cf. Desage, 2012.
Les opérations de rénovation n’en restent pas moins très visibles dans les pay- 32. Au 31 décembre 2009,
63 % des relogements ont
sages. Outre l’impact des démolitions, la nouvelle offre de logement social se révèle été effectués dans
d’une facture radicalement différente des modèles qui ont prévalu dans les années le quartier de Surville,
15 % dans la commune
1960 : « maisons superposées » et maisons individuelles ou immeubles de deux à hors ZUS, 8 % dans le
quatre étages seulement (photo 1). bassin d’habitat, 6 %
À côté de ces formes bien visibles de renouvellement de l’offre de logements, qui au-delà (Montereau-Fault-
Yonne, 2011, p. 31). Le cas
mobilisent les grands acteurs de la production urbaine – promoteurs nationaux, de Montereau va dans
bailleurs sociaux –, on observe des formes de transformation du parc de logements le sens des observations
menées sur d’autres sites :
plus discrètes, en direction des catégories les plus populaires (Davy et al., 2013). Le cf. Lelévrier, Noyé, 2007 ;
développement d’une offre locative privée a été particulièrement observé à Stains Lelévrier, 2010b.
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avec le modèle urbain des années 1960
pas moins que c’est également en considérant
Maisons de ville avec entrées individuelles, fermeture de l’espace
résidentiel et vidéo-surveillance. En arrière-plan, une barre du square l’existence de ce parc locatif « social de fait » que
Beaumarchais, vouée à la démolition (Surville, Montereau-Fault-Yonne, l’on peut comprendre le maintien, voire le renfor-
cement, du nombre des plus pauvres dans ces
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septembre, 2014)
communes populaires.
Dans les deux cas présentés, les changements observés dans la composition
sociale de la population résidente se sont opérés simultanément à un renouvellement
substantiel du parc de logements et à une diversification de l’offre, en direction des
catégories moyennes inférieures d’une part et des catégories les plus pauvres, d’autre
part – tel que nous avons pu l’observer à Stains. Dans ces deux communes parmi les plus
pauvres d’Île-de-France, des positionnements politiques tranchés ont été observés,
tant relativement à la promotion immobilière privée – encouragement versus accom-
pagnement – qu’au parc de logements sociaux – contention versus développement.
Toutefois, ces positionnements ne permettent pas, seuls, d’interpréter les formes
locales de renouvellement et de diversification des parcs de logements. La variable
politique se déploie sous une double contrainte : celle des programmes nationaux d’un
côté, qui conduit à une relative convergence des projets locaux (Epstein, 2012) et celle
des dynamiques du marché immobilier de l’autre, dans lesquelles « l’ouverture » des
communes populaires de la proche banlieue nord aux grands promoteurs privés prend
sens (Pollard, 2011).
Conclusion
L’analyse des revenus des ménages permet de mettre en évidence la manière
dont les communes populaires participent au double mouvement de polarisation
socio-spatiale et de moyennisation qui traverse l’espace résidentiel francilien.
Plus des deux-tiers d’entre elles ont enregistré sur la période récente un accroisse-
ment de la pauvreté de leur population résidente, sous l’effet conjugué de l’augmenta-
tion du nombre de ménages pauvres et du recul des ménages des catégories supérieures.
C’est ainsi que les communes identifiées comme les plus populaires en 1999 voient leur
spécialisation dans l’accueil des ménages aux bas revenus encore renforcée en 2011.
Dans le même temps, l’ensemble des communes populaires enregistre un renforcement
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de la présence des classes moyennes, qui renvoie de manière attendue à la poursuite du Remerciements.
mouvement de gentrification dans les communes limitrophes à Paris, mais également à Nous souhaitons
des logiques autres en deuxième et troisième couronne (Oberti, Préteceille, 2011). remercier ici
la Fondation pour
Ce double processus s’est accompagné d’un renouvellement substantiel du parc de les sciences sociales,
logements, dans le cadre du programme national de rénovation urbaine et également, à dans le cadre de laquelle
ce travail a été réalisé,
l’initiative des acteurs privés, comme nous l’avons observé à Stains en proche banlieue ainsi que
nord et à Montereau-Fault-Yonne, en grande couronne. Les enjeux politiques locaux la Direction régionale et
interdépartementale de
autour de la question du logement sont forts et restent affirmés comme tels. Toutefois, l’Équipement et de
c’est avant tout dans l’appréciation de l’attractivité de la commune par les promoteurs l’Aménagement
privés d’une part, dans les contraintes imposées par la déclinaison locale d’un pro- d’Île-de-France (DRIEA),
qui a mis à
gramme national d’autre part, dans les tensions locales du marché du logement enfin, notre disposition
que l’on peut comprendre les formes de diversification de l’offre de logement en cours. les données FILOCOM.
Nous remercions
Les années 2000 ont été celles d’une valorisation des réserves foncières des com- également
munes populaires, particulièrement rapide en petite couronne, qui s’est traduite par la les relecteurs anonymes
de la revue L’Espace
mise sur le marché d’une nouvelle offre de logements en accession à la propriété. Cette
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géographique pour leurs
offre a manifestement répondu à une demande, locale ou extérieure, et constitue commentaires
une condition du renforcement de la présence des classes moyennes et moyennes- sur la première version
de ce texte.
inférieures. Elle pose également la question du devenir de ce parc investi par une
population fragile économiquement.
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Références
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