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06/12/2010

VEILLE
TECHNOLOGIQUE
ET SCIENTIFIQUE
LA STRATEGIE DES GRANDES FIRMES DU LOGICIEL

Master 2 EIVS | Simon Claus


INTRODUCTION : L’ECONOMIE DES LOGICIELS

« L’économie des logiciels est un monde de contrastes et de paradoxes »1.

Définition d’un logiciel :


Le Larousse définit un logiciel comme l’« Ensemble des programmes, des procédés et
des règles, et éventuellement de la documentation, relatifs au fonctionnement d’un ensemble
de traitement de l’information. ». En informatique, un logiciel est un ensemble d'informations
relatives à des traitements effectués automatiquement par un appareil informatique. On inclut
les instructions de traitement, regroupées sous forme de programmes, des données et de la
documentation.
Pour être mis en activité, un appareil informatique est obligé de contenir au moins un logiciel
(principes de la machine de Turing et de l'architecture de Von Neumann). Dans notre société
où le numérique et l’électronique dominent, les logiciels sont des éléments de première
importance et des enjeux stratégiques.
Ces logiciels sont devenus des produits de consommation à part entière lorsque, dans les
années 70, les lois anti-trust obligent à dissocier la vente de logiciels de celle des architectures
matérielles. Depuis cette date, on observe une importance croissante des logiciels dans la vie
économique et sociale. Cette nouvelle ère a entrainé l’émergence d’acteurs nouveaux à
l’instar de Oracle, SAP ou encore Microsoft, rapidement devenus dominants dans l’économie
des logiciels.
Une économie à coûts fixes et à forts rendements d’échelle
Les logiciels possèdent de forts coûts initiaux au regard de leur coût marginal. En
effet, il existe un fort coût initial pour la production d’un logiciel mais ensuite le coût de sa
reproduction est très faible. Dés lors, dans le cas d’une reproduction massive, la notion
d’économie d’échelle est vérifiée, et ce d’autant plus que les logiciels sont infiniment
reproductibles. Cette caractéristique économique dirige la stratégie de production de l’éditeur
de logiciel vers un processus de massification de la distribution afin de bénéficier au mieux de
ces économies d’échelle.
Cette caractéristique rend difficile l’établissement du prix d’un logiciel. La valeur
qu’accordent les consommateurs au produit (notamment à l’usage) prend alors toute son
importance. La réputation de la société, les stratégies marketing ainsi que la prescription
feront qu’un éditeur de logiciels vendra bien son produit et bénéficiera au mieux de ces
économies d’échelles. Une société comme Microsoft, disposant d’importants moyens
financiers pourra aisément mettre en place ce type de politique. De plus, plus ses revenus
augmenteront plus l’entreprise pourra développer cette stratégie.
L’importance des rendements croissants d’adoption
L’autre caractéristique marquante de l’économie des logiciels est l’existence de forts
rendements croissants d’adoption. Plus de personnes utilisent un logiciel plus il devient
intéressant pour de nouveaux utilisateurs d’opter pour ce logiciel. On observe une logique
d’auto-renforcement. Cette caractéristique explique en grande partie la structuration
oligopolistique du marché des logiciels. Les firmes de l’oligopole vont d’ailleurs tenter de
verrouiller « cet équilibre » une fois celui-ci atteint.
1
François Horn (2004), « L’économie des logiciel », p.3, La Découverte, Paris.

2
La question du brevet logiciel
Le secteur du logiciel est marqué par une forte dynamique d’innovations et les
produits sont de haute technologie. L’innovation au sein de ce secteur est cumulative, l’objet
en question devient de plus en plus complexe au fil du temps. Les innovations se succèdent et
se combinent les unes aux autres relativement rapidement. En effet, un logiciel bénéficie
régulièrement d’améliorations successives ou d’ajouts de fonctionnalités et de composants.
La question du brevet logiciel se pose donc, car celui-ci pourrait avoir comme effet de bloquer
l’innovation. Certaines entreprises, notamment les dominantes, disposant de gros budget, ne
se gêneront pas pour bloquer le développement d’innovations de leurs concurrents en
déposants des brevets.
La réglementation brevet en matière de logiciel dépend du pays ou l’on se situe. Ainsi, aux
États-Unis et au Japon, la loi autorise l’octroi de brevet sur les logiciels. En revanche, en
Europe, la réglementation n’autorise pas le dépôt de brevets pour des logiciels en tant que tel.
Les seuls brevets autorisés sont pour des « inventions mises en œuvre par logiciel » c'est-à-
dire, celles qui lient un logiciel et un système physique ayant un « effet technique ».
La structure de l’économie des logiciels :
Le marché des logiciels est constitué de grandes firmes avec une position dominante
tandis qu’à coté de celles-ci, on observe une myriade de petites entreprises qui peuvent
rapidement jouer un rôle majeur. C’est une structure constituée en oligopole à frange. En
économie industrielle, un oligopole à frange est une structure de marché en concurrence
imparfaite où on observe un nombre restreint de grosses entreprises, formant un oligopole, et
qui contrôlent une vaste part du marché. Autour de cet oligopole gravite un nombre très
important de petites voire très petites entreprises.

Source : www.softwaretop100.org

3
Ce tableau représente les 25 meilleures entreprises de l’industrie du logiciel, classées selon
leur chiffre d’affaires2 annuel (en ce qui concerne leur activité de logiciels). La concentration
du secteur évoquée plus haut ressort clairement dans ce tableau. De grosses firmes se
partagent une large partie du chiffre d’affaires du secteur. Ainsi, Microsoft domine assez
largement le marché des logiciels en réalisant à près de 25 % du chiffre d'affaires (28,5% si
l'on exclut les logiciels de jeux) du secteur. De même, les quatre « champions » du marché
des logiciels (Microsoft, IBM, SAP et Oracle) représentent plus de la moitié du Chiffre
d’affaire cumulé (58 % si l'exclut les jeux).
Dans la catégorie des logiciels d'entreprise qui recouvrent les catégories ERP, CRM et SCM,
les éditeurs SAP et Oracle dominent très largement. Microsoft s'est lancé sur ce secteur grâce
à des acquisitions successives (Navision, Great Plains, Axapta et Solomon) pour constituer la
base de son offre Dynamics néanmoins, celui-ci semble peiner pour s'y faire une place.
Ces grandes firmes vont tacher de mettre en œuvre des politiques et des stratégies afin de
préserver cette position de domination du marché.

STRATEGIE DE BREVET

Pour une firme, quel que soit son secteur d’activité, le brevet est une arme stratégique
qui peut créer un avantage de monopole mais aussi bloquer les nouveaux arrivants sur son
secteur (même si celle-ci n’exploite pas son brevet). Comme nous l’avons expliqué, dans le
secteur des logiciels, le brevet est d’autant plus stratégique que les innovations sont
cumulatives et leur apparition rapide. Le brevet sera donc un outil utilisé par les grandes
firmes du logiciel afin de préserver leur hégémonie.

Nombre total Nombre de Nombre de


de brevets brevets brevets
3
Société déposés logiciels logiciels4
Microsoft 16 562 1 175 427
International Business Machines 62 800 1 884 591
Oracle 2 205 125 40
SAP 1 526 141 66
Ericsson 8 801 159 37
Nintendo 791 22 6
Hewlett-Packard 22 204 632 178
Symantec 810 79 24
Source: United States Patent and Trademark Office

2
Ces chiffres d’affaire logiciel sont définis comme les recettes provenant de la vente de licences, de maintenance, de
souscription et de soutien.
3
La requête croise le nom de la société en tant que déposant et tous les brevets ou le mot « software » apparait dans le
résumé de description du brevet
4
La requête croise le nom de la société en tant que déposant et tous les brevets ou le mot « software » apparait dans le résumé
de description du brevet

4
Le tableau ci-dessus représente le nombre de brevets déposés aux Etats–Unis par les leaders
de l’industrie du logiciel. La réglementation américaine favorable aux brevets logiciels
explique le choix fait d’étudier ces dépôts aux Etats-Unis plutôt qu’en Europe. De plus, la
plupart des grandes entreprises du logiciel ont leur siège social situé aux États-Unis.
On remarque dans ce tableau que deux leaders du marché (Microsoft et IBM) déposent un
nombre très élevé de brevets. Tous ces brevets ne trouveront pas forcément d’applications
directes mais seront des outils de verrouillage ou de rente. Comme nous l’avons déjà
expliqué, les brevets sont cumulatifs si une société veut développer un nouveau logiciel, celle-
ci risque de se faire bloquer par un ou plusieurs brevets d’une de ces grandes firmes et peut
être contraint de payer d’importantes royalties (si celle-ci en a les moyens).
Ainsi, le brevet logiciel peut être un outil stratégique dont la vocation première n’est pas
d’engendrer une innovation. A titre d’exemple, Microsoft a reconnu que certains brevets
logiciels bloquaient le développement des logiciels libres.

Cette stratégie de brevetage entraine certains abus et dérives. Après Amazon brevetant, en
1999, la capacité d'effectuer par simple clic de souris des paiements en ligne, Microsoft a
déposé aux Etats-Unis un brevet tout aussi surprenant concernant le double clic. En effet, le
27 avril 2002, l’United States Patent and Trademark Office a accordé à l'éditeur américain un
brevet (brevet numéro 6 727 830) concernant la fonction double clic pour l'ouverture
d'application. Au-delà de la simple anecdote, cet exemple illustre la stratégie agressive et
prédatrice que développent ces grandes firmes en matière de brevet.
En 2009, Microsoft a dépassé le cap des 10 000 brevets déposés à l’USPTO. Ces dernières
années, la multinationale a été particulièrement active en termes de dépôt de brevet puisque en
2006 on dénombrait 5 000 brevets. Trois années auront donc suffi à Microsoft pour doubler ce
chiffre avec pour l’année 2008, plus de 2 000 brevets déposés. Microsoft pointe actuellement
au quatrième rang des sociétés recevant le plus de brevets de la part de l'USPTO. Comme
nous le montre le tableau, la multinationale dispose aujourd’hui de 16562 brevets ce qui
montre que la société de Mr Gates reste active en matière de dépôts de brevets.
Microsoft investit près de 8 milliards de dollars par an en Recherche & Développement. Ce
chiffre explique le nombre éleve de brevets déposés par la société. Ces sommes dépensées en
R&D ne pourraient être supportées par une petite entreprise de logiciels.

A coté de cette stratégie de brevetage à outrance, Microsoft jette un voile de secret sur la très
vaste majorité de ses logiciels du point de vue de leur conception. La stratégie de l’entreprise
est révélatrice des méthodes employées par les grandes firmes de logiciel. Celles-ci cherchent
à préserver un certains secret autour des technologies et des logiciels stratégiques et déposent
un maximum de brevets afin de bloquer des entrants potentiels et récupérer des royalties.

LE VERROUILLAGE DU MARCHE

Les grandes firmes du logiciel vont développer des techniques et utiliser certains
mécanismes, comme les rendements croissants d’adoption, pour préserver leur hégémonie sur
le marché des logiciels. Microsoft est l’exemple emblématique de développement d’une
stratégie de verrouillage.
5
En effet, à partir des années 80, Microsoft (avec Intel) a réussi à développer une stratégie
visant à verrouiller son marché. La société a su faire des choix efficaces puisque plus de 90 %
des ordinateurs personnels vendus dans le monde possédaient un microprocesseur Intel et un
système d’exploitation Microsoft. La firme américaine a réussi à mettre en place des
« standards du marché » quitte à les imposer, lorsque le marché ne les adoptait pas
spontanément.
Cette stratégie lui vaudra un procès, intenté le 18 mai 1998, pour« pratiques anti compétitives
et exclusives, ayant pour but de conforter son monopole sur les systèmes d’exploitation des
ordinateurs personnels et d’étendre ce monopole aux logiciels de navigation d’Internet. ».
Néanmoins, Microsoft a quand même réussi à verrouiller ses positions par des voies
techniques et légales : les utilisateurs ayant constitué des données avec les logiciels du
champion américain ne peuvent souvent pas les relire avec des programmes concurrents, car
ceux-ci violeraient alors le copyright de Microsoft.
Grâce à cette position de force, Microsoft a étendu les frontières de la firme aux marchés
conjoints de logiciels à l’image de son pack office. Aujourd’hui, on trouve par exemple,
Microsoft Word qui est devenu la référence du traitement texte ; ou encore Power Point un
logiciel utilisé comme support pour la plupart des présentations orales au point que celui-ci
structure la pensée de son utilisateur et sa présentation5.
Dans un de ces rapports, le RNTL explique, sur les logiciels par composants, que « les
techniques permettant de supporter le développement par composant sont quasiment
exclusivement américaines. La force du marché américain, et la capacité de certaines
entreprises présentes depuis longtemps sur le créneau du middleware ou des outils de
développement (ORACLE, IBM, SUN ou Microsoft par exemple) en sont les raisons
principales. En effet, pour assurer la réussite d'une technologie de composants, il ne suffit pas
d'avoir une bonne technologie, il faut aussi posséder le moyen d'imposer son modèle de
déploiement et d'interconnexion de composants. En effet, les standards sont bien souvent plus
de fait que le résultat des organismes de normalisation.» Ces firmes ont donc su imposer leur
logiciel en tant que standard du marché. Grâce à des économies d’échelles et des rendements
croissant d’adoption, ces entreprises du logiciel ont pu verrouiller le marché et assoir leur
position dominante.

Lorsqu’un logiciel est bien implanté sur le marché et les utilisateurs assez nombreux, on
risque observer un verrouillage de la base installée des utilisateurs. Ce verrouillage résulte des
coûts de changement, que ceux-ci soient directs ou induits, qu’entrainerait le changement de
logiciel pour un utilisateur.
Au cours du temps un utilisateur acquiert des logiciels et des équipements complémentaires
pour son ordinateur, changer de logiciel d’exploitation couterait cher à l’utilisateur. Microsoft
développe ce procédé lorsque celui-ci défavorise la compatibilité de logiciels d’application
autres que les siens avec son propre système d’exploitation Windows.
Il existe aussi un coût en temps. Apprendre à maitriser un logiciel prend du temps ainsi,
changer de logiciel obligerait l’utilisateur à pratiquement repartir de zéro. De plus, un
consommateur n’est pas naturellement enclin à changer d’habitude ou de routine, une fois
5
Phénomène décrit dans l’ouvrage de Frank Frommer : Franck Frommer (07/10/2010), « La pensée Power Point : Enquête
sur ce logiciel qui rend stupide », la Découverte, Paris.

6
celle-ci adoptée. On peut même penser que l’utilisateur restera fidèle à un logiciel et aux
versions qui suivront celui-ci, du moment que son utilisation reste sensiblement la même.
Les éditeurs de logiciels vont donc chercher à imposer rapidement leur technologie comme
standard, car une fois le client capté, il existe une forte probabilité pour que celui-ci reste « un
client à vie ».

L’attitude de prédatrice de Microsoft a permis à la société d’informatique d’acquérir un statut


de quasi-monopole sur certains segments du marché des logiciels. Une fois installée dans une
position dominante certains mécanismes d’auto renforcement vont apparaitre
« naturellement ».
Ainsi, les développeurs de logiciels, qui vont chercher à maximiser leur production et leurs
ventes, ont tout intérêt à concevoir des applications tournant pour le système d’exploitation le
plus répandu. De même, la priorité des utilisateurs (et donc des consommateurs) sera de
trouver le système d’exploitation sur lequel tourne le plus grand nombre d’applications. Ce
cercle vertueux pour la firme (vicieux pour les concurrents) ne fera que conforter la position
de leader de la société.
Dans la même logique, une fois une masse critique d’utilisateurs atteinte, un logiciel
bénéficiera de rendement croissant d’adoption et d’économies d’échelle liées à la demande.
Comme nous l’avons déjà expliqué, plus une technologie est adoptée, plus son utilité
augmente pour l’usager.
Enfin, plus une technologie est diffusée, plus celle-ci est connue ors, une technologie comme
un logiciel gagne à être connu. En effet, lorsqu’un grand nombre de personnes utilisent et
font confiance à un logiciel, un signal est envoyé au marché. De nouveaux utilisateurs
adopteront ce logiciel car son succès sera une garantie. On parle de rendements croissants
d’information, plus la technologie est adoptée et moins l’aversion au risque constituera un
facteur de blocage à sa diffusion. Les nouveaux utilisateurs optent pour la solution dominante
pour la simple raison que celle-ci est dominante.
La réputation du prestataire est donc un enjeu majeur dans une activité où il existe une
incertitude majeure sur la valeur des prestations réalisées (il existe de nombreux logiciels
différents sur un même segment). Les grandes firmes développent des stratégies de marketing
et de prescription pour améliorer cette réputation et les budgets consacrés son important. La
publicité d’IBM dont le slogan est : «Personne ne s’est jamais fait viré pour avoir acheté de l’IBM»
illustre bien l’idée que nous venons de développer.

STRATEGIE DE CONCENTRATION

Comme nous l’avons déjà expliqué, la structure du secteur des logiciels implique qu’à
coté de grandes entreprises en quasi-monopole, on trouve un grands nombre de très petites
entreprises. François Horn explique dans « l’économie des logiciels » que les trois quarts des
entreprises ont moins de 10 salariés.
Ces petites entreprise connaissent une croissance fulgurante et en générale se situent sur des
segments nouveaux alors que les leaders sont plutôt situés sur des segments arrivés à maturité.
Une fois bien implantées sur le marché des logiciels, beaucoup de ces PME sont rachetées par
les ogres du marché. Toutefois, on trouve toujours des petites entreprises qui naissent sur de
7
nouveaux segments. La dynamique de concentration que l’on observe au sein du secteur du
logiciel est compensée par l’émergence régulière de petites entreprises sur de nouveaux
segments. Christian Huitema illustre ce phénomène en expliquant : « on voit les gros poissons
manger les petits, mais il y a toujours autant de petits poissons »6.

Les fusions et acquisitions entre développeurs et fournisseurs de logiciels sont donc des
opérations très courantes et très développées. Intégrer de jeunes entreprises innovantes,
permet à une grande firme de se renouveler, d’intégrer de nouvelles technologies, des brevets
et de nouveaux savoirs. Beaucoup de ces PME ne pourraient pas survivre sur ce marché si
celles-ci n’étaient pas rachetées.
Oracle a notamment développé une stratégie de croissance des acquisitions. En début d’année,
la société à par exemple racheté de Sun Microsystems dans une transaction de 7,4 milliards de
dollars, devançant par la même IBM dont les négociations avec Sun avaient avorté. L’an
dernier, Sun avait dépensé 1 milliards de dollars pour racheter MySQL. La base de données
MySQL est utilisée par des dizaines de milliers de sites internet, est une des plus grandes
réussites de l'Open Source. Oracle prend donc possession de l’une des perles du logiciel libre,
dont la populaire base de données MySQL.

LA COOPETITION

Estelle Pelllegrin Boucher et Gaël Gueguen expliquent comment SAP, devenu leader
du marché des progiciels de gestion intégrés dans les années 1990, a su conserver sa position
dominante au sein d’un environnement très concurrentiel. Pour les deux professeurs, la mise
en place d’une stratégie de « coopétition7 » au sein d’un système d’affaires8 a, en grande
partie, permis à la société
allemande de maintenir son
statut de leader. Ce schéma
explique comment la firme a
développé cette stratégie.

Une fois son innovation


développée, SAP a su
imposer et assoir celle-ci en
tant que standard
technologique. Celui-ci étant
établi, la société a pu
travailler en collaboration
Source : Estelle Pellegrin Boucher et Gueguen Gaël
avec des concurrents et
favoriser la naissance puis le
6
François Horn (2004), « L’économie des logiciel », P.71, La Découverte, Paris.
7
Développée par Nalebuff et Brandenburger La notion de coopétition désigne l'association de comportements stratégiques de
coopération et de compétition simultanés de la part de deux ou plusieurs entreprises concurrentes.
8
Les écosystèmes d'affaires permettent de comprendre la multiplicité des liens plus ou moins directs que va tisser une
entreprise avec une multitude de partenaires sur le même marché. Ils forment ainsi ce que l’on appel « une communauté de
destin stratégique ».

8
développement de son écosystème d'affaires. La création d’un écosystème d’affaire engendre
un contexte propice à un maintient et à un développement des affaires de l’entreprise. Les
apports des concurrents renforceront cet écosystème. Les concurrents permettent un apport
direct notamment en termes de technologie et d’innovation. Cette forme de coopération va
ainsi éviter à la société leader de se faire dépasser à cause d’un retard technologique.

Les autres avantages de la coopétition sont une baisse des coûts, une baisse de la prise de
risque (les risques sont partagés) ainsi qu’un partage des connaissances et des savoir-faire. La
firme bénéficie d’une intégration permanente des compétences des partenaires. Les relations
de l'entreprise deviennent un enjeu stratégique majeur.

Ainsi, l'innovation introduite par SAP au cours des années 90 a également consisté en la mise
en place de stratégies collectives et de « coopétition » au sein de son écosystème d'affaires,
lesquelles ont induit des différentiels de compétitivité substantiels avec la concurrence.
SAP a su mettre à profit innovation et collaboration avec des entreprises partenaires pour
asseoir son standard technologique. Les fondements de son écosystème d'affaires étant établis,
elle a pu travailler en collaboration avec des concurrents et ainsi rentrer dans une logique de «
coopétition ». L'apport direct des concurrents renforça ainsi la pérennité de son écosystème
d'affaires.

SAP n’est pas la seule société de logiciel à avoir adopté pour des stratégies de coopétition.
Ainsi, en novembre 2005, IBM et Oracle, ont établi un partenariat afin de capter le marché
des ERP pour les PME. Oracle a pu profiter du réseau de distribution d'IBM tandis que les
ingénieurs commerciaux d'IBM ont pu bénéficier d'un transfert de compétences.
Le logiciel libre illustre aussi cette pratique de la coopétition. En effet, de nombreux projets
libres tel qu’Apache sont financés par des entreprises concurrentes.

SYNTHESE

Depuis une vingtaine d’années, le secteur informatique vit dans l’ère des éditeurs de
logiciels et particulièrement, celui des grandes firmes du secteur. En effet, certaines
entreprises de l’industrie du logiciel ont connu une croissance phénoménale à l’image de la
société de la première fortune mondiale : Microsoft. Les grandes firmes dominant le marché
des logiciels ont mis en place et développent des stratégies afin d’assoir leur position et
préserver leur domination du secteur.
L’économie du logiciel est donc dominée par de grands groupes. A coté de ceux-ci, gravitent
pléthore de petites voire très petites entreprises qui, en règle générale, se développent sur des
segments nouveaux de cette économie du logiciel. Une fois mature, la technologie de ces
PME est souvent intégrée dans l’offre d’infrastructure globale des grands éditeurs. Le secteur
des logiciels est donc dans une dynamique de concentration. Ce phénomène est nourri par
l’éclosion régulière de nouvelles petites entreprises de se situant sur des segments nouveaux.
Cette stratégie de concentration permet aux grands groupes de préserver un certain monopole

9
et de ne pas se sentir menacé. De plus, intégrer de petites entreprises innovantes permet un
renouvellement régulier des connaissances, des technologies ainsi que du savoir-faire.
Une autre stratégie des firmes du logiciel est le développement de stratégies de coopétition et
de coopération notamment entre firmes concurrentes. Là encore, on aura un partage des
connaissances et des savoirs. Cette stratégie permet aussi une baisse du risque des
investissements et apporte un avantage vis-à-vis des autres firmes du secteur.
L’une des armes principales des grandes firmes du logiciel, pour préserver leur hégémonie,
est le dépôt de brevet. Dans l’industrie du logiciel, les innovations sont cumulatives c'est-à-
dire qu’elles dépendent les une des autres. De plus, la fréquence de ces innovation est
relativement rapide (bien inférieur à 20 ans). Déposer un brevet oblige la société qui voudrait
utiliser celui-ci, pour développer une innovation, à payer une licence. Comme les innovations
sont cumulatives la société peut devoir avoir à payer plusieurs brevets. Ces coûts sont trop
lourds pour une petite firme. Ainsi, des firmes comme IBM et Microsoft déposent beaucoup
de brevets sans forcément développer des technologies à chaque fois. Ces brevets logiciels
seront dits bloquants.
A coté de cette stratégie de brevetage à outrance, les grandes entreprises vont garder une
certaine discrétion autour de certaines technologies clés et ne brevèteront pas celles-ci afin de
préserver le secret de leur conception.
Les entreprises du logiciel cherchent donc à assoir leur domination et à verrouiller le marché.
Le but est d’imposer sa technologie comme étant un standard de marché à l’instar de
Microsoft. Le logiciel d’exploitation Windows est symbolique sur ce point là. Les
applications n’appartenant pas à Microsoft sont difficilement applicables, il n’y a
d’interopérabilité. De plus, la société à su, notamment en accord avec IBM, imposer sa
technologie comme un standard de marché. Le leader mondial du logiciel a développé une
politique agressive de licences appelées OEM (Original Equipement Manufacturer) auprès
des principaux constructeurs du marché. Aujourd’hui, la plupart des PC fonctionne avec le
logiciel d’exploitation Windows. Beaucoup de procès ont été intenté à Microsoft mais la
société préférera garder sa position quitte à perdre certains procès
Aujourd’hui, la montée du phénomène open source et du logiciel libre tend à remettre en
cause « l’ordre établi ». Certaines société adoptent ceux-ci tandis que d’autres les combattent,
à l’image de la guerre qui se joue entre Linux et Microsoft. L’effet de réputation dont
bénéficie Microsoft ainsi que stratégie de marché efficace lui permettent encore de dominer le
marché avec certaines grandes firmes. Néanmoins, on peut penser que le paysage de cette
économie du logiciel va être amené à subir d’importantes mutations.

10
SOURCES

Bibliographie

Cherki Marc (21.04.2009), « Oracle s'empare de Sun Microsystems », Le figaro.


Chantepie Philippe et Le diberdier Alain (2010), « Révolution numérique et industries
culturelles », chap.1 les nouveaux paysages numériques, p.13-17, la découverte, Paris.
Ducourtieux Cécile (22.02.08), « Microsoft change de stratégie et ouvre ses
logiciels », Le monde.fr.
Dumez Hervé et Jeunemaître Alain (2004), « les stratégies de déstabilisation de la
concurrence : déverrouillage et recombinaison du marché », II. Les stratégies de
destabilisation d’un marché : étude de cas, Revue française de gestion (no 158)
Ferran Benjamin (21.04.2009), « Oracle/Sun: après la fusion, les
questions », L’expansion.com.
Horn François (2004), « L’économie des logiciel », La Découverte, Paris.
Pelllegrin Boucher Estelle et Gaël Gueguen (2005), « Stratégies de « coopétition » au
sein d'un écosystème d'affaires : une illustration à travers le cas de SAP », Finance
Contrôle Stratégie, Volume 8, p. 109 – 130, mars.
Rannou Hervé et Ronai Maurice (22.10.2003) « Étude sur l'industrie du logiciel
Conseil stratégique des technologies de l’information ».
Rapport final Projet RNTL : «Nouveaux modèles économiques, nouvelle économie du
logiciel». Coordonné par Nicolas Jullien, Mélanie Clément-Fontaine et Jean-Michel
Dalle
Rivière Philippe (08.1998), « Microsoft, le monopole » Le monde diplomatique.
Van Kooten Michel (29.11.2010), global software top 100 – edition 2010.

Site internet

Site de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle : « La protection par


brevet des logiciels »
www.softwaretop100.org
www.uspto.gov

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