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Thesis

La Roumanie face aux rivalités politiques et financières


internationales, 1922-1935

RACIANU, Ileana Nicoleta

Abstract

Les changements politiques survenus à l'issue de la Grande Guerre qui mettent fin aux
Empires austro-hongrois et russe, ainsi que l'affaiblissement momentané de l'Allemagne,
marquent pour la Roumanie (România Mare) le début d'une nouvelle "ère". Durant sa courte
existence, 1919-1940, la România Mare apparaît comme un pays en voie de développement
qui bénéficie de nombreux atouts économiques et géo-stratégiques. C'est un pays
essentiellement agricole, disposant d'importantes ressources pétrolières, de charbon, de fer
qui s'oriente vers la modification de ses structures économiques et sociales par le
développement du secteur industriel. La faiblesse de l'épargne et des capitaux intérieurs
s'avère rapidement très contraignante et elle obligera les autorités roumaines à s'adresser
aux marchés financiers internationaux. Le recours aux capitaux étrangers se révèle
rapidement difficile et contraignant en raison, d'une part, des considérations politiques des
dirigeants roumains et, d'autre part, des conditions économiques et financières exigées par
les créditeurs étrangers.

Reference
RACIANU, Ileana Nicoleta. La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2012, no. SES 774

URN : urn:nbn:ch:unige-206696
DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:20669

Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:20669

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La Roumanie face aux rivalités
politiques et financières
internationales,
1922-1935
THÈSE
présentée à la Faculté des sciences économiques et sociales
de l’Université de Genève
par

Ileana Nicoleta Racianu


sous la direction de

Prof. Youssef Cassis


pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences économiques et sociales


mention histoire économique et sociale

Membres du jury de thèse:

M. Eric BUSSIERE, Professeur, Université Paris IV


M. Philippe COTTRELL, Professeur, Université de Leicester
M. Olivier FEIERTAG, Professeur, Université de Rouen
Mme. Mary O’SULLIVAN, Présidente du jury, Professeur,
Université de Genève
Mme. Catherine SCHENK, Professeur, Université de Glasgow

Thèse 774
Genève, 19 mars 2012
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

La Faculté des sciences économiques et sociales, sur préavis du jury, a autorisé


l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, émettre aucune opinion
sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la
responsabilité de leur auteur.

Genève, le 14 avril 2010

Le doyen
Bernard MORARD

Impression d'après le manuscrit de l'auteur


Table des matières

Table des matières…………………………………………………………………….iii


Résumé…………………………………………………………………………………iv
Remerciments………………………………………………………………………..…v
Introduction…………………………………………………………………………p. 15
Cadre général…………………………………………………………………...….p. 15
Problématique et méthode………………………………………………………..p. 24
Présentation des sources primaires…………………………………..……….…p. 30

PREMIÈRE PARTIE : LA DIFFICILE RECONSTRUCTION ÉCONOMIQUE ET


FINANCIÈRE DE LA ROUMANIE, 19 JANVIER 1922 - 10 NOVEMBRE
1928……………..............................................................................................p. 38

CHAPITRE I : LE DÉVELOPPEMENT DE LA ROUMANIE Á L’ÉPREUVE DES


INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS DU PARTI NATIONAL LIBÉRAL,
19 JANVIER 1922 - 30 MARS 1926………………………………………….….p. 43

1. Les frères Bratianu et les destinées de la Grande Roumanie ……….........p. 43

2. Le Gouvernement Bratianu et l’industrialisation de la Grande


Roumanie……………………………………………………………………..........p. 51

2.1. Les lois et les mesures d’encouragement aux entreprises et aux capitaux
roumains……………..……………………………….………………………….....p. 53

2.2. La politique d’investissement industriel : nécessité et contrainte pour Ionel et


Vintila Bratianu………………………………………..........................................p. 60

3. Le retrait du Gouvernement Bratianu……………………………………...….p. 71

CHAPITRE II : LES TENTATIVES ET LES ÉCHECS DU GÉNÉRAL


AVERESCU D’OUVRIR LA ROUMANIE AUX CAPITAUX ÉTRANGERS, 31
MARS 1926 - 4 JUIN 1927…………………………………………………….....p. 74

1. Averescu, Mussolini et le développement économique de la


Roumanie……………………………………………………………................….p. 78

2. La réorganisation financière et monétaire de la Roumanie …………….….p. 82


La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

3. La réorganisation et le développement des chemins de fer


roumains…………………………………………………………………................p. 87

CHAPITRE III : LE BREF RETOUR AU POUVOIR DU PARTI NATIONAL


LIBÉRAL ET LA TENTATIVE D’UNE NOUVELLE POLITIQUE ÉCONOMIQUE
ET FINANCIÈRE, 22 JUIN 1927 - 10 NOVEMBRE 1928……………………..p. 90

1. Les démarches effectuées par le Gouvernement Bratianu pour l’obtention


d’un emprunt international pour le développement économique de la Roumanie,
22 juin 1927 - 15 décembre 1927……………………………………………......p. 92

2. La Banque de France et les négociations pour l’émission de l’emprunt roumain


de stabilisation monétaire et de développement économique, 15 décembre 1927
- novembre 1928…………………………………..……………………………...p. 100

2.1. Le Gouvernement roumain et la procédure de la Banque de


France………………………………………………………………….…………..p. 104

2.2. La mission de la Banque de France en Roumanie pour l’organisation de


l’emprunt de stabilisation monétaire et de réorganisation des chemins de fer,
janvier - février 1928 ………………………………………..…………………....p. 106

2.3. Les Banques centrales et le programme de stabilisation de la monnaie


roumaine………………………………………………………………………..….p. 110

2.3.1. Montagu Norman, la Banque d’Angleterre et la stabilisation de la monnaie


roumaine ……………………………………………………………………..…....p. 110

2.3.2. La Federal Reserve Bank de New York et la stabilisation monétaire de la


Roumanie………………………………………………………………….……....p. 115

2.3.3. La Reichsbank et le règlement des emprunts roumains d’avant-guerre


………………………………………………………………………………….p. 116

2.3.4. La Banque Nationale Suisse et la stabilisation de la monnaie


roumaine.......................................................................................................p. 123

2.4. Les banquiers privés et le Programme de stabilisation monétaire et de


développement économique de la Roumanie ………………..…………….....p. 125
2.4.1. La Banque de Paris et des Pays-Bas et la participation des banques
françaises à l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement
économique…………..…………………………………………………………....p. 125

2.4.2. Hambro Bank Ltd., Lazard Brothers et la participation à l’emprunt roumain


de stabilisation monétaire et de développement économique.......................p. 126

2.4.3. Le groupe « D Banken » et la participation à l’emprunt roumain de


stabilisation monétaire et de développement économique…………………...p. 128

3. Le déroulement des négociations entre la Roumanie et la Banque de


France……………………………………………………………………………...p. 129

3.1. La question du Conseiller technique français auprès de la Banque Nationale


de Roumanie………………………………………………................................p. 134

3.2. La question du Conseiller technique pour la réorganisation des chemins de


fer roumains……………………………………………..................................…p. 139

DEUXIÈME PARTIE : LE RENFORCEMENT DE L’INFLUENCE FRANÇAISE


ENTRE STRATEGIES FINANCIÈRES ET PRINCIPES POLITIQUES, 10
NOVEMBRE 1928 - JUILLET 1932………….………………………………...p. 142

CHAPITRE I : LE GOUVERNEMENT MANIU ET LA REMISE EN QUESTION


DE LA PARTICIPATION DE LA BANQUE DE FRANCE AU DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DE LA ROUMANIE, 10 NOVEMBRE 1928 - 9
FEVRIER 1929……………………………………………………………..…….p. 143

1. Iuliu Maniu et l’introduction d’une nouvelle politique économique et


financière………………………………………………………………....…….....p. 146

2. Le gouvernement Maniu, les négociations avec la Banque de France et la


stabilisation monétaire de la Roumanie…………………………………..…....p. 152

3. L’émission de l’emprunt et le Programme de stabilisation monétaire et de


développement économique de la Roumanie………...……………..………..p. 165

CHAPITRE II: LA MISSION FINANCIÈRE DE LA BANQUE DE FRANCE ET LE


RENFORCEMENT DE L’INFLUENCE FRANCAISE EN ROUMANIE, FÉVRIER
1929 - MAI 1932………………………………………………………………….p. 178
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

1. Charles Rist, Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, 9


février 1929 - 9 février 1930………………………………………………..……p. 179

2. Roger Auboin, Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, 9


février 1930 - mai 1932……………………………………………………..……p. 190

2.1. Les négociations et l’émission de l’emprunt de développement économique


de la Roumanie, octobre 1930 - mars 1931……………………………….…..p. 192

3.2.Charles Rist et la situation économique et financière de la Roumanie, avril-


mai 1932…...................................................................................................p. 207

CHAPITRE III : LA ROUMANIE A L’EPREUVE DE LA GRANDE


CRISE………………………………………………………………….................p. 213

1. L’impact de la Crise de 1929 sur l’économie de la


Roumanie………………………………………………………………………....p. 214

2. Les tenteatives et les échecs d’action économique concertée à l’échelle


régionale et européenne ………………………………………………………..p. 223

TROISIEME PARTIE : L’INFLUENCE FRANCAISE EN QUESTION, JUILLET


1932 - NOVEMBRE 1935…………………………………………..…………...p. 240

CHAPITRE I : LE QUAI D’ORSAY, LA BANQUE DE FRANCE, LA SOCIETE


DES NATIONS ET LA ROUMANIE, JUILLET 1932-MAI 1932…………….p. 245

1. Le Quai d’Orsay face au projet de la Banque de France de collaboration


technique et financière entre la Roumanie et la Société des
Nations…………………………………………………………………………….p. 245

2. La politique « roumaine » de la Banque de France au début des années


trente……………………………………………………………………………….p. 255

3. La Société des Nations et la collaboration avec la Roumanie, 1932-1934,


…………………………………………………………………………………...…p. 260
CHAPITRE II : L’ATTITUDE DE LA FRANCE FACE AUX DIFFICULTES
FINANCIERES DE LA ROUMANIE ET A LA POLITIQUE ANTISOVIETIQUE
DES DIRIGEANTS DE BUCAREST…………………………………..............p. 275

1. La crise de la dette roumaine et les efforts des dirigeants de Bucarest


d’obtenir l’allégement des paiements extérieurs durant les années
trente…………………………………………………………………………….…p. 277

2. Les efforts du Quai d’Orsay de maintenir dans la sphère d’influence


française…………………………..………………………………………….…...p. 291

CHAPITRE III: L’INFLUENCE FRANCAISE A L’EPREUVE DES INTERETS


ECONOMIQUES ET POLITIQUES ALLEMANDS, 1933-1935……………..p. 301

1. L’Allemagne, premier client et fournisseur de la Roumanie……………....p. 305

2. Le facteur politique comme principal moyen de pression d’intensifier les


relations économiques et commerciales avec la Roumanie………………...p. 308

IV. CONCLUSION…………………………………………………..……………p. 324

V. SOURCES BIBLIOGRAPHIE…………………………………….…….…...p. 335

VI. ANNEXES…………………………………………………………………….p. 365


La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Résumé

Les changements politiques survenus à l’issue de la Grande Guerre qui mettent


fin aux Empires austro-hongrois et russe, ainsi que l’affaiblissement momentané
de l’Allemagne, marquent pour la Roumanie (România Mare) le début d’une
nouvelle « ère ». Durant sa courte existence, la România Mare apparaît comme
un pays en voie de développement qui bénéficie de nombreux atouts
économiques et géo-stratégiques. C’est un pays essentiellement agricole,
disposant d’importantes ressources pétrolières qui, s’oriente vers la modification
de ses structures économiques et sociales par le développement du secteur
industriel. La faiblesse de l’épargne et des capitaux intérieurs s’avère
rapidement très contraignante et elle obligera les dirigeants roumains à
s’adresser aux marchés financiers internationaux. Le recours aux capitaux
étrangers durant les années 1922-1935 se révèle rapidement difficile et
contraignant en raison, d’une part, des considérations politiques des dirigeants
roumains et, d’autre part, des conditions économiques et financières exigées par
les créditeurs étrangers.
Remerciements

Je tiens à remercier en premier lieu à mon directeur de thèse, le Professeur


Youssef Cassis. Grâce à ses conseils, ses commentaires et aux nombreuses
discussions que nous avons eues sur le sujet, il a permis à ce projet de prendre
forme. Je tiens également à remercier le Professeur Olivier Feiertag de
l’Université de Rouen. Par le biais de ses commentaires, ses relectures et ses
sugesstions, ainsi que de ses connaissances de la coopération monétaire
internationale et des banques centrales, il m’a aidé à structurer ma pensée et
ma recherche.

Mes remerciements vont également à l’ensemble de mes collègues de l’Institut


d’Histoire économique Paul Bairoch. Les années que j’y ai passées ont été
extrêmement enrichissants et ce travail n’aurait certainement pas été possible
sans le soutien reçu de la part des enseignants, de assistants et des
secrétaires.

J’adresse également de chaleureux remerciements à tous les archivistes qui


m’ont aidé à construire cette étude. Que ce soit aux archives de la Banque de
France, à la Banque Nationale de Roumanie, à la Banque Nationale Suisse, au
Crédit Lyonnais, à la Société des Nations, aux archives diplomatiques du Quay
d’Orsay, j’ai toujours été reçu avec gentillesse et professionnalisme. Un
remerciement particulier va au personnel des archives de la Banque de France.

J’adresse évidemment un immense merci à ma famille et mes amis pour m’avoir


soutenu et encourager à mener à bien cette thèse. Je remercie particulièrement
mon mari Josto pour l’appui permanent qu’il m’a apporté et pour sa patience.

Je souhaite enfin remercier les membres du jury d’avoir accepté de porter


attention à mon travail.
TABLE DES ABREVIATIONS

CAM Caisse Autonome des Monopoles

CFR Chemins de Fer Roumains

CL Crédit Lyonnais

BdF Banque de France

BdA Banque d’Angleterre

BNR Banque Nationale de Roumanie

BNS Banque Nationale Suisse

BRI Banque des Réglements Internationaux

BUP Banque de l’Union Parisienne

DBFP Documents on British Foreign Policy

DDF Documents Diplomatiques Français

FED Federal Reserve Bank of New York

FO Foreign Office

IAR Industrie Aéronautique Roumaine

IUHEI Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales

MAERO Ministère des Affaires Etrangères de Roumanie

MAEF Ministère des Affaires Etrangères de France

PNL Parti National Libéral

PNP Parti National Paysan


13

SdN Société des Nations

SNCI Société Nationale de Crédit Industriel

STEG Société Autrichienne de Voies Ferrées


La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935
15

INTRODUCTION

Cadre général

À l’issue de la Première Guerre mondiale, l’espace européen situé entre


l’Allemagne et la Russie soviétique subit de profondes modifications territoriales et
statutaires qui marquent un tournant de l’histoire du XXe siècle. Le
démembrement des Empires des Habsbourg, des Hohenzollern et des Romanov
par les Traités de Paix de 1919-1920 laisse place à la création de toute une série
d’États nationaux - l’Autriche, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, la
Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie - dont
l’intégration dans le système politique, économique et financier international crée
1
une situation inédite dans l’histoire des relations internationales.

Privés de liberté et d’autonomie depuis plusieurs siècles, les peuples de


l’espace européen délimité à l’Est par la République des Soviets et à l’Ouest par
la République de Weimar retrouvent au lendemain de la Grande Guerre à la fois
leur identité nationale et le droit de choisir leur propre destin. Pour la première
fois, ils semblent s’être affranchis de toute domination étrangère car aucune des
puissances traditionnellement engagées dans cette région et, plus
2
particulièrement, l’Allemagne n’est plus en mesure d’exercer une influence

1
Par souci de cohérence et de précision, nous n’allons pas traiter dans le cadre
de notre travail les questions relatives à l’Estonie, à la Finlande, à la Lettonie et
à la Lituanie. Notre travail se concentre sur la région qui est désignée, tout le
long de l’entre-deux-guerres, par les politiques et les historiens sous le nom de
l’Europe centrale. Il est nécessaire de souligner que cette dénomination
correspond à des critères politiques, qui sont mis au service d’une vision
politique fluctuante, et non géographiques. Le terme de l’Europe centrale est
utilisé dans notre travail pour désigner la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la
Tchécoslovaquie et la Yougoslavie.
2
Le rôle économique et financier joué par l’Allemagne dans cette région jusqu’à
la veille de la Première Guerre mondiale est bien connu grâce aux travaux de
Raymond Poidevin, Les relations économiques et financières entre la France et
l’Allemagne de 1898 à 1914, Paris, Comité pour l’histoire économique et
financière, 1998 et de Georges Diouritch, L’expansion des banques allemandes
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

politique, économique et financière prépondérante. Mais, il s’avère très


rapidement que cet affranchissement n’est en fait qu’apparent car la
réorganisation de cette partie du Vieux Continent éveille l’intérêt et la convoitise
de la France, de l’Italie et de la Grande-Bretagne qui cherchent, chacune à sa
manière, de tirer profit de l’affaiblissement momentané de l’Allemagne et de
l’isolement soviétique.

Déçue par l’échec des garanties promises par les Etats-Unis et la Grande-
Bretagne en matière de sécurité, ainsi que par la disparition de l’alliée russe, la
France s’efforce de créer en Europe centrale un système d’alliance politique et
militaire, destiné à la protéger contre la renaissance du danger allemand et la
3
révolution bolchévique. À Rome, la ligne générale de la politique adoptée par
les dirigeants italiens à l’égard de nouveaux États centre-européens s’articule
autour de l’expansion territoriale sur le bassin danubien et de la création d’une
4
zone d’influence exclusive dans la région. C’est un projet ambitieux, dont le
principal objectif est d’assurer à l’Italie le statut de Grande Puissance. En
revanche, l’intérêt de la Grande-Bretagne pour cette région est essentiellement
5
d’ordre économique et commercial. Les nouveaux États centre-européens
offrent aux milieux économiques et financiers de la City un important marché
d’exportation et d’investissement. Dès 1920, des missions commerciales
britanniques, qui s’installent en Hongrie, en Roumanie et en Tchécoslovaquie,

à l’étranger : ses rapports avec le développement économique de l’Allemagne,


Paris, A. Rousseau, 1909.
3
Cf. SANDU, Traian, Le système de sécurité français en Europe centre-
orientale. L’exemple roumain 1919-1933, Paris, Harmattan, 1999. Rappelons
que le Quai d’Orsay et, plus précisément, son Secrétaire Général Maurice
Paléologue soutient durant l’année 1920 le projet de création d’une Fédération
danubienne sous l’égide de la Hongrie. En revanche, son successeur Philippe
Berthelot oriente la politique étrangère française vers la coopération et l’entente
avec la Pologne, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie.
4
Cf. DI QUIRICO, Roberto, « Italy and the Economic Penetration Policy in
Central-Eastern Europe during the Early First Post-War Period » in The Journal of
European Economic History, Vol. 30, No. 2, 2001, pp. 291-318 et PAVLOVIC,
Vojislav, « Le conflit franco-italien dans les Balkans, 1915-1935. Le rôle de la
Yougoslavie » in Balcanica, XXXVI, Belgrade, 2006, pp. 163-201.
5
Cf. ORDE, Anne, British policy and European reconstruction after the first
world war, Cambridge University Press, 1990.
17

concluent de nombreux accords commerciaux et financiers avec ces pays et


orientent les investissements vers des secteurs industriels clés, tels que
l’exploitation des ressources d’énergie, de minerais, l’industrie métallurgique, la
6
construction des chemins de fer, etc.

Au-delà des craintes liées à la pénétration politique, économique et financière


de la France, de l’Italie et de la Grande-Bretagne, les nouveaux États centre-
européens sont confrontés à une situation qui les oppose de facto, par suite des
problèmes créés par la délimitation de leurs frontières par les Traités de Paix de
1919-1920. Les bénéficiaires des accords de paix, appelés les États
successeurs de la Double Monarchie, cherchent à se protéger contre toute
éventuelle revendication territoriale et la rancœur des États vaincus par la
création des alliances politiques et militaires. C’est dans cette optique que la
Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie créent en avril-août 1921 la
Petite Entente, une alliance politique et militaire dirigée contre la Hongrie, et
s’efforcent d’obtenir le soutien de la France et de la Grande-Bretagne en matière
7
de sécurité et de protection de l’intégrité territoriale et statutaire.

À ces soucis de sécurité et de préservation des acquis territoriaux et statutaires


obtenus à l’issue de Première Guerre mondiale s’ajoutent les difficultés
économiques et financières qui rendent la situation de nouveaux pays de
l’Europe centrale encore plus fragile et vulnérable. La situation économique et
financière désastreuse provoquée par les destructions de la guerre, ainsi que
les besoins de reconstruction et, notamment, de création de nouveaux espaces
économiques nationaux ouvrent pour ces États de graves problèmes, dont la
solution sera longue à survenir durant les années 1920-1939. La volonté de
vivre essentiellement de leurs ressources nationales, ainsi que d’encourager le
développement du secteur industriel au détriment de l’agriculture par la création

6
Cf. BOGDAN, Henry, Histoire des pays de l’Est, Paris, Perrin, 1991, pp. 340-
341.
7
Cf. CARMI, Ozer, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, Genève, IUHEI,
1972 et IORDACHE, Nicolae, La Petite Entente et l’Europe, Genève, IUHEI,
1977.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

de nouvelles industries, aboutissent rapidement à une orientation géographique


8
des courants économiques et financiers en fonction des orientations politiques.
Le financement des programmes de développement économique, envisagés par
les États centre-européens dès le début des années vingt, s’avère rapidement
très difficile et contraignant en raison de l’insuffisance de l’épargne et des
capitaux intérieurs. Le recours aux marchés financiers internationaux devient,
dans ces circonstances, une nécessité qui, conditionne le développement et la
modernisation de nouveaux États de l’Europe centrale. Ces derniers se verront
obligés de s’adresser de manière récurrente, tout le long l’entre-deux-guerres,
aux marchés financiers américains, anglais et français afin de financer leurs
efforts de développement économique.

Dans le contexte financier et monétaire international, tourné vers la restauration


de l’étalon-or après la Première Guerre mondiale, l’accès des États centre-
européens aux marchés financiers étrangers est conditonné par la réalisation de
la stabilisation de leurs monnaies. À titre d’exemple, la Roumanie se voit obligée
en 1927 par la Société des Nations et par la Banque de France d’accepter de
rétablir la convertibilité de sa monnaie, le leu, avant d’obtenir tout emprunt
étranger pour financer son programme de développement économique. Dans
une certaine mesure, la situation de la Roumanie est semblable à celle des
autres pays centre-européens et, notamment, à celle de la Pologne et de la
Yougoslavie. Une caractéristique significative des relations financières que les
pays centre-européens tentent de créer avec les marchés financiers
internationaux est la « politisation » de leur recours aux capitaux étrangers. Le
choix de s’adresser à tel ou à tel marché financier international n’est pas neutre.
Il relève généralement des préoccupations d’ordre politique d’obtenir des
garanties pour la reconnaissance et le respect de leur souveraineté économique
et politique. Le recours de la Pologne, de la Roumanie et de la Yougoslavie aux
marchés financiers internationaux durant les années vingt pour financer leurs

8
Cf. BOGDAN, Henry, Histoire des pays de l’Est, Paris, Perrin, 1991, p. 332.
19

programmes de stabilisation monétaire et de développement économique


9
l’illustre parfaitement.

Les changements territoriaux et statutaires survenus en Europe centrale à


l’issue de la Première Guerre mondiale et, plus particulièrement, la création de
nouveaux États nationaux font, donc, surgir de nombreuses questions et
problèmes politiques, économiques et financiers, dont la solution ne laisse pas
indifférentes, tout au long de l’entre-deux-guerre, la France et la Grande-
Bretagne et à partir de 1930 l’Allemagne. Durant les années vingt, la France et
la Grande-Bretagne s’efforcent, chacune à sa manière, de tirer profit de
l’affaiblissement momentané de l’Allemagne. Le retour de cette dernière sur la
scène internationale durant les années trente compliquera la donne.

Les « solutions » d’ordre politique et militaire, proposées par la France aux pays
centre-européens, notamment durant les années vingt, ont été fait très tôt l’objet
de nombreuses études qui, analysent de manière détalliée l’importance et le rôle
accordés par la diplomatie française à cette région pour la création d’un système
d’alliance défensive contre l’Allemagne et la Russie soviétique. A ce sujet, il
10
convient de souligner les travaux de Jean-Baptiste Duroselle , de Nicolae
11 12 13 14
Iordache , de Ozer Carmi , de Traian Sandu et de Frédéric Dessberg .

En revanche, les études relatives à l’engagement de la France et de la Grande-


Bretagne dans la résolution des problèmes économiques et financiers des États

9
Sur cette question, voir MEYER, Richard Hemming, Bankers’ Diplomacy :
Monetary Stabilization in the Twenties, New York and London, 1970.
10
DUROSELLE, Jean-Baptiste, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours,
e
Paris, Dalloz, 1990 (10 édition).
11
IORDACHE, Nicolae, La Petite Entente et l’Europe, Genève, I.U.H.E.I., 1977.
12
OZER, Carmi, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, Genève, I.U.H.E.I.,
1977.
13
SANDU, Traian, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale.
L’exemple roumain 1919-1933, Paris, Harmattan, 1999.
14
DESSBERG, Frédéric, Le triangle impossible : les relations franco-soviétiques
et le facteur polonais dans les questions de sécurité en Europe (1924-1935),
Bruxelles, P. Lang, 2009.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

centre-européens font l’objet depuis les années 1980 de nombreuses


15
recherches qui renouvellent constamment la question. Ainsi, depuis la fin des
années 1990, de nombreux historiens qui ont consacré leurs recherches à
l’étude des relations financières internationales durant l’entre-deux-guerres
commencent à s’intéresser et à s’interroger sur le rôle des banques centrales
américaine et, notamment, anglaise et française dans l’engagement et la
création des zones d’influence financière et, implicitement, économique en
16
Europe centrale. À ce sujet, nous mentionnons les travaux de Eric Bussière ,
17 18 19
de Philip Cottrell , de Olivier Feiertag , de Meyer Richard et de Kenneth

15
A ce sujet, il convient de souligner les travaux de COTTRELL, Philip L. &
TEICHOVA, Alice (Eds.), International Business and Central Europe, 1918-
1939, Leicester, Leicester University Press, 1983, de BOYCE, Robert W.D.,
British capitalism at the crossroads, 1919-1932: a study in politics, economics
and international relations, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, de
ORDE, Anne, British policy and European reconstruction after the first world
war, Cambridge University Press, 1990, de SCHIRMANN, Sylvain, Crise,
coopération économique et financière entre Etats européens, 1929-1933, Paris,
Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2000 et de DAVID,
Thomas, Nationalisme économique et développement : l’industrialisation des
pays d’Europe de l’Est durant l’entre-deux-guerres, Lausanne, Université de
Lausanne, 2001.
16
BUSSIERE, Eric, « Jean Monnet et la stabilisation monétaire de 1929 : un
« outsider » entre l’Europe et l’Amérique » in BOSSUAT, Gérard et Wilkens,
Andres (éds.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Paris,
Publications de la Sorbonne, 1999, pp. 63-77.
17
COTTRELL, Philip L., « Central bank co-operation and Romanian
stabilisation, 1926-1929 » in GOURVISH, Terry (ed.), Business and Politics in
Europe, 1900-1970, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, pp. 106-143
et COTTRELL, Philip L., « Norman, Strakosch and the development of central
banking: from conception to practice, 1919-1924 » in COTTRELL, Philip L. (ed.),
Rebuilding the financial system in Central and Eastern Europe, 1918-1994,
Scholar Press, 1997, pp. 29-73.
18
FEIERTAG, Olivier et PLESSIS, Alain, « The Position and the Role of French
Finance in the Balkans from the Late Nineteenth Century until the Second World
War » in KOSTIS, Kostas P. (éd.), Modern Banking in the Balkans and West-
European Capital in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Ashgate, 1999, pp.
215-234. FEIERTAG, Olivier, « Banques centrales et relations internationales au
XXe siècle: le problème historique de la cooperation monétaire internationale »
in Relations internationales, No. 100, 1990, pp. 355-376.
19
MEYER, Richard Hemming, Bankers’ Diplomacy : Monetary Stabilization in
the Twenties, New York and London, 1970.
21

20 21
Mouré et de György Péteri . En analysant la vague des stabilisation des
monnaies centre-européennes durant les années vingt, ces recherches
démontrent l’importance et le nouveau rôle acquis par les banques centrales
dans les relations financières internationales au lendemain de la Première
Guerre mondiale. Le Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Montagu Norman,
le Président de la Federal Reserve of New York, Benjamin Strong, et le
Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau, deviennent les principaux
acteurs de la réorganisation monétaire et financière de l’Europe centrale et de la
gestion des relations financières, voire politiques, avec les États de cette région.
Au rôle des banques centrales dans l’organisation et l’établissement des
relations monétaires et financières avec les pays centre-européens s’ajoute
celui du Comité financier de la Société des Nations et à partir de 1930 celui de
22
la Banque des règlements internationaux. Les travaux de Yann Decorzant , de
23 24 25 26
Olivier Feiertag , de Michel Fior , de Nicole Pietri et de Gianni Toniolo
démontrent le rôle joué par ces deux institutions dans la réorganisation
monétaire et financière de l’Europe centrale.

20
MOURE, Kenneth, « French money doctors, central banks, and politics in the
1920s » in FLANDREAU, Marc (éd.), Money Doctors.The experience of
international financial advising 1850-2000, London, 2003, pp. 138-165.
21
PETRI, György, « Central Bank Diplomacy: Montagu Norman and Central
Europe’s Monetary Reconstruction after World War I » in Contemporary
European History, Vol. 1, Part 3, November 1992, pp. 233-258.
22
DECORZANT, Yann, La Société des Nations et la naissance d’une
conception de la régulation économique internationale, Bruxelles, Peter Lang,
2011.
23
FEIERTAG, Olivier, « Les banques d’émission et la BRI face à la dislocation
de l’étalon-or (1931-1933): l’entrée dans l’âge de la cooperation monétaire
internationale » in Histoire, Economie et Société, 18 année, 4e trimestre 1999,
No. 4, pp. 715-736.
24
FIOR, Michel, Institution globale et marchés financiers. La Société des
Nations face à la reconstruction de l’Europe, 1918-1931, Bern, Peter Lang,
2008.
25
PIETRI, Nicole, La reconstruction financière de l’Autriche, 1921-1926,
Genève, Centre européen de la Dotation Carnegie pour la paix internationale,
1970.
26
TONIOLO, Gianni, Central bank cooperation at the Bank for International
Settlements, 1930-1973, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Quant aux « solutions », proposées par l’Allemagne pour résoudre les


problèmes économiques des États centre-européens, dont la situation sera
fortement fragilisée par la Crise de 1929, nous mentionnons les travaux de
27 28 29
Antonin Basch , de Jacques Droz , de Frédéric Clavert , de Philippe
30 31
Marguerat et de Sylvain Schirmann . Tous ces études abordent à la fois les
aspects politiques, économiques et commerciaux du « retour » de l’Allemagne
sur la scène centre-européenne durant les années trentes et leurs impacts sur
les relations avec les pays de l’Europe centrale.

Evaluer le rôle et l’intervention de la France, de la Grande-Bretagne et de


l’Allemagne en Europe centrale implique, donc, de s’interroger, d’une part, sur le
poids qu’occupe cette région du Vieux Continent dans les intérêts politiques,
économiques et financiers de ces trois Grandes Puissances et, d’autre part, sur
l’influence que la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont pu avoir sur le
développement économique et les transformations politiques de l’Europe
centrale.

En ce qui concerne la première question, il fait peu de doutes que l’Europe


centrale représente un terrain d’affrontement politique et financier entre la
France, la Grande-Bretagne et, à partir de 1930, l’Allemagne. En revanche,
l’influence des trois grandes puissances dans cette région est plus complexe et
difficile à évaluer en raison des spécificités et des particularités politiques et

27
BASCH, Antonin, The Danube Basin and the German Economic Sphere,
London, Kegan Paul, Trench, Trubner & Co., 1944.
28
DROZ, Jacques, L’Europe Centrale. Evolution historique de l’idée de
Mitteleuropa, Paris, Payot, 1960.
29
CLAVERT, Frédéric, Hjalmar Schacht, financier et diplomate (1930-1950),
Bruxelles, Peter Lang, 2009.
30 e
MARGUERAT, Philippe, Le III Reich et le pétrole roumain, 1938-1940.
Contribution à l’étude de la pénétration économique allemande dans les Balkans
à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Genève, Leiden, 1977.
31
SCHIRMANN, Sylvain, Les relations économiques et financières franco-
allemandes, 1932-1939, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière
de la France, 1995 et Crise, coopération économique et financière entre Etats
européens, 1929-1933, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de
la France, 2000.
23

économiques de chaque État centre-européen. On connaît l’impact de leur


intervention dans la réorganisation politique, économique et financière de
l’Europe centrale, mais ce ne sont là que les grandes lignes des politiques
adoptées à l’égard des États centre-européens. À titre d’exemple, l’implication et
la participation des banques centrales, dont le rôle et l’importance ont été accrus
par la Première Guerre mondiale, à la reconstruction de l’Europe centrale reste
un champ d’étude très peu exploré par les historiens. Des recherches générales
sur la coopération monétaire internationale et l’intervention des banques
centrales dans l’histoire des relations internationales ont mis en lumière l’activité
et la participation des banques centrales à la reconstruction du Vieux Continent
32
durant l’entre-deux-guerres. Pierre Renouvin ouvre dans les années soixante
la voie des recherches sur la notion globale « d’arme financière » et son
maniement par les banques centrales au service des grands desseins
33
impérialistes. Le maniement de « l’arme financière » par les banques centrales
pose implicitement la question du degré d’indépendance et d’autonomie de ces
institutions par rapport à la politique des États. L’implication des banques
centrales en Europe centrale relève-t-elle de la coopération monétaire
internationale ou des ambitions centre-européennes de la diplomatie des États ?
Est-ce que nous pouvons parlé d’une possible diplomatie des banques

32
Sur cette question, voir notamment CLARKE, S.V.O., Central Bank
Cooperation 1924-31, New York, 1967, DE CECCO, Marcello, « Central Bank
Cooperation in the Inter-War Period: A View from the Periphery » in REIS, Jaime
(ed.), International Monetary Systems in Historical Perspective, New York, St.
Martin's Press, 1995, pp. 113-134, COTTRELL, Philip L., « Norman, Strakosch
and the development of central banking: from conception to practice, 1919-1924
» in COTTRELL, Philip L. (ed.), Rebuilding the financial system in Central and
Eastern Europe, 1918-1994, Scholar Press, 1997, pp. 29-73, FEIERTAG,
Olivier, «Banques centrales et relations internationales au XXe siècle, le
problème historique de la cooperation monétaire internationale » in Relations
internationales, No. 100, 1999, pp. 355-376, MEYER, Richard Hemmig,
Bankers’ Diplomacy: Monetary Stabilization in the Twenties, New York and
London, 1970, PETRI, György, « Central Bank Diplomacy: Montagu Norman
and Central Europe’s Monetary Reconstruction after World War I » in
Contemporary European History, Vol. 1, Part 3, November 1992, pp. 233-258.
33
Cf. RENOUVIN, Pierre, DUROSELLE, Jean-Baptiste, Introduction à l'histoire
e
des relations internationales, Paris, A. Colin, 1991 (4 éd.)
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

centrale ? Si oui, comment s’exerce-t-elle ? À ce sujet, les États centre-


européens offre un excellent terrain de recherche et de réflexion.

Problématique et méthode

Dans le cadre de ce travail, nous cherchons à analyser l’influence que la


France, la Grande-Bretagne et, inévitablement, l’Allemagne ont eu, durant les
années 1922 -1935, sur l’évolution politique, économique et financière de
l’Europe centrale à travers l’exemple de la Roumanie. Pays essentiellement
agricole et nouvellement remodelé par les Traités de Paix de 1919-1920, la
Roumanie se situe dans le contexte général des relations économiques et
financières internationales parmi les pays en voie de développement qui ont un
important besoin de capitaux étrangers pour financer leurs programmes de
réorganisation et de développement économique. Il convient de préciser que la
perte des marchés austro-hongrois et allemand, ainsi que du soutien financier
de Berlin crée un important vide économique et financier que les dirigeants de
Bucarest tentent de combler par l’élaboration de nouvelles stratégies de
coopération à la fois avec les États successeurs de l’Autriche-Hongrie et avec la
France, la Grande-Bretagne, l’Italie et à partir des années trente avec
l’Allemagne.

La question fondamentale de l’influence et de l’impact de l’intervention de la


France et de la Grande-Bretagne et à partir de 1930 de l’Allemagne dans la
réorganisation politique, économique et financière de la Roumanie pourrait se
formuler ainsi : la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont-elles eu le
projet d’intégrer la Roumanie à un ensemble politique et économique
européen ? Si oui, lesquels, y sont-elles parvenues, et quelles conséquences
sur l’intégration de la Roumanie dans le système politique, économique et
financier international ? À l’interieur de cette problèmatique générale, d’autres
questions retiendront notre attention, à savoir le rôle et l’implication des banques
centrales dans la reconstruction de la Grande Roumanie, les enjeux et les
conséquences sur la coopération monétaire internationale, ainsi que l’évolution
25

des relations financières internationales. Quels sont les enjeux de l’implication


des banques centrales dans la stabilisation de la monnaie roumaine ? Leur
implication relève-t-elle de la politique de coopération monétaire internationale
ou des ambitions politiques et diplomatiques des États ? Est-ce que le cas de la
Roumanie contribue-t-il à illustrer, voire renseigner, sur l’histoire de la
coopération monétaire internationale et du rôle international des banques
centrales ? C’est un champ d’étude très peu exploré par les historiens qui ont
consacré leurs recherches à la Roumanie. L’étude de Loredana Ureche-
Rangau, Dette souveraine en crise : l’expérience des emprunts roumains à la
34
bourse de Paris durant l’entre-deux-guerres, est une des premières
recherches sur les relations financières de la Grande Roumanie qui nous
renseigne sur le fonctionnement des marché financiers internationaux et sur
l’évolution de la dette souveraine roumaine. Toutefois, c’est une étude très
générale, basée essentiellement sur la littérature secondaire, qui ne traite qu’en
filigrane les enjeux économiques et financiers internationaux de la
reconstruction de la Roumanie. Il convient de resouligner l’apport essentiel pour
notre sujet de recherche des premières études consacrées à l’implication des
banques centrales dans la stabilisation monétaire de la Roumanie de Eric
35
Bussière, Philip Cottrell et Kenneth Moure.

La signification des dates choisies pour délimiter notre travail, 1922 - 1935,
correspond au retour au pouvoir du Parti National Libéral, dirigé par Ionel
Bratianu, et au lancement d’un vaste programme de développement de
l’économie roumaine et, respectivement, au retrait de la mission financière,
installée par la Banque de France auprès de la Banque Nationale de Roumanie,

34
URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise : l’expérience des
emprunts roumains à la bourse de Paris durant l’entre-deux-guerres, Paris,
Publication de la Sorbonne, 2008.
35
Sur cette question, voir BUSSIERE, « Jean Monnet et la stabilisation
monétaire de 1929 : un « outsider » entre l’Europe et l’Amérique », pp. 63-77,
COTTRELL, Philip L., « Central bank co-operation and Romanian stabilisation,
1926-1929 », pp. 106-143 et MOURE, « French money doctors, central banks,
and politics in the 1920s », pp. 138-165.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

par suite de l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire et de


développement économique, le 7 février 1929.

Notre travail se divise en trois parties, selon une périodisation que nous avons
établie en fonction de la prééminence, soit des facteurs politiques, soit des
facteurs économiques et financiers. La première partie, qui couvre les années
1922-1928, traite des enjeux de la reconstruction économique et financière de la
Grande Roumanie (România Mare). Résultat de l’intégration à l’ancien
Royaume de Roumanie du Banat, de la Bessarabie, de la Bucovine, de la
Dobroudja du Nord et de la Transylvanie, territoires provenant de la dislocation
des Empires austro-hongrois et russe, ainsi que de la Bulgarie, la Grande
Roumanie révèle, dès le 19 janvier 1922, un besoin impérieux d’émancipation
économique et politique. Le développement d’une économie nationale puissante
et indépendante apparaît comme l’objectif principal du Parti National Libéral et
du Parti du Peuple, les deux formations politiques qui se sont partagées le
pouvoir durant cette période. Cet objectif crée de nombreuses contraintes de
nature politique et financière, dont l’impact sur la reconstruction du nouvel Etat
roumain sera lourd de conséquences. Les mesures prises par le Parti National
Libéral à l’encontre de la participation des capitaux étrangers au développement
économique de la Roumanie, telles que la loi des mines, la loi sur la
commercialisation et le contrôle des entreprises de l’Etat, se transforment en
obstacles économiques et, notamment, financiers. Les démarches effectuées
par les dirigeants de Bucarest auprès de la France et de la Grande-Bretagne en
vue de l’émission d’un emprunt roumain, nécessaire pour le développement
économique du pays, sont vouées à l’échec. La Banque d’Angleterre lie
l’émission de tout emprunt roumain sur le marché anglais à l’implication de la
Roumanie dans le processus de reconstruction politique et économique de
l’Europe centrale. Obligés à admettre le rôle essentiel des capitaux étrangers
dans le développement économique de la Grande Roumanie, les Libéraux
commencent en décembre 1927 des négociations avec la Banque de France en
vue de l’émission d’un emprunt roumain sur le marché français. Ces
négociations s’avèrent rapidement difficiles et complexes car les dirigeants de
Bucarest doivent se plier aux exigences des banquiers étrangers qui
27

subordonnent l’émission de tout emprunt roumain à la stabilisation de la


monnaie roumaine, le leu. Après avoir refusé l’aide financière de la Société des
Nations en raison du contrôle que cette institution aurait instauré sur les
finances roumaines, les leaders du Parti National Libéral se voient obligés par la
Banque de France d’accepter la nomination d’un Conseiller technique auprès de
la Banque Nationale de Roumanie pour une durée de trois ans. Cette mission
de surveiller, d’une part, l’application du Programme de stabilisation et de
développement économique et, d’autre part, la politique monétaire de la Banque
Nationale et plus particulièrement ses relations avec le Gouvernement roumain
36 37
revient, dans un premier temps, à Charles Rist et, ensuite, à Roger Auboin .
Les démarches entreprises par les dirigeants de Bucarest auprès de la Banque
de France en vue de l’émission d’un emprunt roumain sur le marché
international pour la stabilisation de la monnaie et le développement
économique du pays ouvrent, ainsi, la voie au renforcement de l’influence et de
la position acquise par la France en Roumanie dès la fin de la Première Guerre
mondiale.

La seconde partie, relative à la période de la Crise de 1929, analyse les


fondements de l’influence politique et, plus particulièrement, financière acquise
par la France en Roumanie dès le 7 février 1929, date à laquelle le leu est
stabilisé et la Banque Nationale de Roumanie reçoit la mission financière de la
Banque de France. Désigné Conseiller technique de la Banque Nationale de

36
Professeur d’économie à l’Université de Montpellier et à la Faculté de Droit de
Paris, Charles Rist (1874-1955) entame dès la fin de la Première Guerre
mondiale une carrière d’expert monétaire et financier international participant à
la reconstruction financière de l’Autriche, de l’Espagne, de la Roumanie et de la
Turquie. En 1926, Rist est nommé sous-gouverneur de la Banque de France,
fonction qu’il occupera jusqu’en février 1929, date à laquelle il est désigné
Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie. Parmi ses
principaux ouvrages, on retient l’Histoire des doctrines économiques depuis les
Physiocrates jusqu'à nos jours (1909, avec Ch. Gide), La déflation en pratique:
Angleterre, Etats-Unis, France, Tchéco-Slovaquie (1924), l’Histoire des
doctrines relatives au crédit et à la monnaie depuis John Law jusqu’à nos jours
(1938) et la Défense de l’or (1953).
37
Roger Auboin (1891-1974) est Maître des requêtes au Conseil d’Etat français.
De janvier 1938 à septembre 1958, Auboin est Directeur de la Banque des
Réglements Internationaux.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Roumanie pour la période 7 février 1929 - 7 février 1930, Charles Rist impose
aux dirigeants de Bucarest des mesures rigoureuses visant à renforcer le
contrôle sur les finances roumaines et l’indépendance de la banque centrale.
Afin d’élargir son champ d’action et de surveillance, limité à la Banque Nationale
de Roumanie, Rist décide de désigner des collaborateurs français dans des
secteurs qui échappent à son activité et qui se révèlent importants pour
l’organisation et la gestion des finances roumaines. C’est dans ces
38
circonstances que Charles Rist s’assure la collaboration de Jean Bolgert , de
39 40 41 42
Henri Guittard ,de Henri Poisson , de Gaston Leverve et de Michel Mange .
Ce réseau d’experts financiers et d’ingénieurs est complété par une étroite
collaboration avec le Ministre de France à Bucarest Gabriel Puaux. Ce dernier
informe le Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie des
différentes affaires envisagées par les dirigeants roumains en utilisant les crédits
de l’emprunt de stabilisation et de développement, sans demander ses conseils
et son autorisation. Le 7 février 1930, Rist quitte ses fonctions auprès de la
Banque Nationale de Roumanie, en faveur de Roger Auboin qui doit séjourner à
Bucarest jusqu’en février 1932. Cependant, Auboin ne jouit pas de l’influence et
du prestige de Rist et son autorité sera fortement affaiblie par les intrigues des
dirigeants roumains et par l’aggravation de la Crise de 1929. La crise
économique et financière qui frappe de plein fouet la Roumanie dès l’été 1931,
voire avant, détermine les dirigeants de Bucarest de faire appel à l’expertise et
aux conseils de Rist. Ce dernier se voit obligé de conclure en mai 1932 à une
aide économique internationale en recommandant au Gouvernement de
Bucarest de solliciter l’intervention de la Société des Nations. Les conclusions
du Rapport Rist heurtent les intérêts de la diplomatie française. Convaincu de la
nécessité de défendre et de renforcer la position française en Roumanie au
moment où l’expansion économique et commerciale de l’Allemagne prend de

38
Jean Bolgert est Inspecteur de la Banque de France.
39
Henri Guittard est Inspecteur de la Banque de France.
40
Henri Poisson est Inspecteur général des Finances.
41
Gaston Leverve est ingénieur et expert pour la réorganisation des chemins de
fer roumains.
42
Michel Mange est ingénieur et adjoint de Gaston Leverve pour la
réorganisation des chemins de fer roumains.
29

l’ampleur dans la région, le Quai d’Orsay souhaite rallier à sa politique les


dirigeants de la Banque de France afin de prolonger leur mission en Roumanie.

Finalement, la troisième partie, qui s’ouvre avec les débats provoqués en juillet
1932 par l’intervention de la Société des Nations en Roumanie et se ferme avec
le départ de la mission financière de la Banque de France de Bucarest en février
1935, porte sur les étapes de l’affaiblissement de l’influence française en
Roumanie. Révélatrice de l’échec de l’adaptation de l’économie roumaine au
système économique international, la Crise de 1929 jalonne une sorte de fuite
en avant qui conduit les dirigeants de Bucarest à soutenir le développement des
relations commerciales avec l’Allemagne. Face au manque de dynamisme et à
l’inefficacité des mesures prises, soit à l’échelle régionale, soit à l’échelle
internationale, l’Allemagne parvient à s’imposer comme partenaire commercial
privilégié de la Roumanie au détriment de la France et de la Grande-Bretagne.
Le marché allemand représente dés le début des années trente le principal
débouché pour les exportations roumaines, constituées essentiellement de
43
produits agricoles (36%) et de matières premières (61%). Le besoin de la
Roumanie de commercer avec l’Allemagne heurte les intérêts de la France, dont
sa politique centre-européenne a pour principal objectif de faire des États de la
Petite Entente une barrière à l’expansionnisme allemand dans cette région. Pour
la diplomatie française, l’intérêt de ce pays danubien est davantage politique et
géo-stratégique que commercial et économique. Le rapprochement franco-
sovitétique, commencé en novembre 1932 par la signature d’un pacte de non-
agression, complique les relations franco-roumaines. Les dirigeants de Paris
pourraient à tout moment retirer leurs garanties sur l’union avec la Bessarabie,
dont l’intégration à la Roumanie n’a pas encore été reconnue par Moscou. Ainsi,
les difficultés économiques et financières, qui résultent de la Grande Crise, et
les divergences politiques déterminent les dirigeants de Paris à réviser leur
position en Roumanie.

43
Archives de la Société des Nations (SdN), Genève, Chiffres essentiels du
commerce extérieur des pays danubiens, Comité économique de la Société des
Nations, Questions économique et financières, 1937, pp. 29-35.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Présentation des sources primaires

L’analyse de ces problématiques nous ont amené à faire l’inventaire de


nombreuses sources concernat les intérêts politiques et financiers qui ont
déterminé la France et la Grande-Bretagne à intervenir en Europe centrale et
plus particulièrement en Roumanie. À Paris, nous avons principalement consulté
les archives du ministère des Affaires Etrangères et celles de la Banque de
France. A Bucarest, les archives du ministère des Affaires Etrangères et celles
de la Banque Nationale de Roumanie ont particulièrement retenu notre
attention. Très peu consultées par les chercheurs étrangers, ces archives
représentent une véritable mine d’or pour l’historien des relations
44
internationales. Le fonds intitulé Dosare speciale et plus précisement les
volumes 131-134 retrace minutieusement l’évolution économique et financière
de la Roumanie par rapports aux intérêts politiques et diplomatiques des
dirigeants de Bucarest. Les échanges de télégrammes et de notes entre le
gouvernement roumain et ses différents représentants à l’étranger nous ont
permis de mieux apprécier le poids des intérêts politiques dans la prise des
décisions d’ordre économique et financier.

Hormis les archives mentionnées ci-dessus, d’autres sources se sont avérées


utiles pour éclairer les problématiques de notre recherche. Les archives de la
Société des Nations à Genève, de la Banque des Règlements Internationaux à
Bâle, de la Banque Nationale Suisse à Zurich et du Crédit Lyonnais à Paris
retracent rigoureusement le contexte politique, économique et financier
international dans lequel nos problématiques sont insérées.

Il convient de formuler quelques observations sur les sources que nous avons
consulté dans les archives mentionnées ci-dessus afin de pourvoir souligner leur

44
Ce fonds se trouve aux Archives du Ministère des Affaires Étrangères de
Roumanie.
31

apport à notre recherche. A Paris, les archives du Quai d’Orsay nous ont
renseigné sur la politique menée par la France à l’égard de ses alliés d’Europe
centrale durant l’entre-deux-guerres, ainsi que sur les enjeux géostratégiques et
économiques de la consolidation de l’influence acquise par les dirigeants
français dans cette région depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Les
échanges de télégrammes et de comptes rendus entre les dirigeants du Quai
d’Orsay et les différents représentants des Affaires Etrangères à l’étranger nous
ont fourni des informations importantes sur les intérêts politiques et militiares de
la France et plus particulièrement sur les stratégies utilisées par les dirigeants
de Paris afin de consolider leur position en Europe centrale au détriment de
l’Allemagne, de l’Italie et de la Grande-Bretagne. La série Z-Europe (Roumanie,
1918-1940) comprend des dossiers sur la vie politique, militaire et économique
de la Roumanie, de sa politique étrangère et de ses relations avec la France.
Les renseignements fournis au Quai d’Orsay par ses représentants en
Roumanie nous ont également permis de déterminer dans quelle mesure les
intérêts économiques et financiers ont été pris en compte pour la formulation de
la politique étrangère française. Afin de compléter ces informations, nous avons
également consulté quelques dossiers de la série des Relations commerciales,
1919-1944 (sous-série C) qui comprend des documents relatifs à l’évolution
économique de la Roumanie, aux négociations commerciales, ainsi qu’aux
affaires industrielles centre-européennes où les intérêts français étaient
présents.

Aux archives de la Banque de France, nous avons essentiellement consulté les


fonds Études Économiques (Missions financières françaises en Roumanie) et
Papiers de Charles Rist, 1890-1960. Constitué des archives publiques et des
papiers privés, le fonds Rist mérite une attention particulière compte tenu du rôle
joué par celui-ci dans la stabilisation de la monnaie roumaine. Outre les dossiers
généraux sur la situation financière et monétaire de la Roumanie, les Papiers de
Charles Rist comprennent des renseignements de premier ordre sur la Banque
Nationale de Roumanie et ses dirigeants. Le « Journal roumain » qui, couvrent
la période 12 février - 12 septembre 1929, nous fournit des détails importants
non seulement sur l’évolution financière et monétaire du pays, mais également
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

sur le fonctionnement et les spécificités du système financier roumain et de la


société roumaine. Par ailleurs, le « Journal roumain » nous permet de percevoir
les réseaux de personnes et les structures dans lesquelles Charles Rist est
inséré durant sa mission auprès de la Banque Nationale de Roumanie.

Le fonds Etudes Economiques : Missions financières françaises en Roumanie


forment un ensemble de treize boîtes et couvrent la période 1919-1955. La
consultation de ce fonds s’est avérée indispensable pour notre recherche
puisqu’il comprend des dossiers thématiques sur la vie économique, financière
et monétaire de la Roumanie, ainsi que sur le rôle de la Banque de France dans
la reconstruction économique et financière de ce pays. Les dossiers relatifs à la
participation de la Banque de France à la stabilisation monétaire de la
Roumanie et à la mission financière, installée par le Gouverneur Emile Moreau
auprès de la Banque Nationale de Roumanie en février 1929 ont
particulièrement retenu notre attention.

À Bucarest, les archives du Ministère des Affaires Etrangères présentent un très


grand intérêt pour notre recherche car elles ont été très peu utilisées par les
chercheurs étrangers. Les échanges des télégrammes entre les gouvernements
de Bucarest et les différentes représentations roumaines à l’étranger nous
renseignent sur les considérations politiques des dirigeants roumains à l’égard
des Grandes Puissances. Nous mentionnons plus particulièrement les fonds
Franta (France), Anglia (Angleterre), Germania (Allemagne) qui traitent des
relations diplomatiques et militaires que la Roumanie avait avec ces trois pays.
L’intérêt principal de ces fonds est qu’ils contiennent les échanges de
télégrammes et de compte-rendus entre les dirigeants de Bucarest et les
Ministres roumains à l’étranger qui nous permettent de mieux cerner la position
et les intérêts de la Roumanie à entreprendre telle ou telle démarche. Cette
documentation est primordiale pour la compréhension de l’évolution de la
politique étrangère, menée par la Roumanie durant l’entre-deux-guerres.
33

Le fonds intitulé Dosare speciale et plus précisément les volumes 131-134 nous
ont fourni des informations d’un très grand intérêt pour notre recherche. Il s’agit
des documents de premier ordre concernant le déroulement des démarches
effectuées par les dirigeants de Bucarest auprès de la Banque de France dès
octobre 1927 en vue de l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation
monétaire et de développement économique de 1929 (volumes 131 et 132). Les
volumes 133 et 134 portent sur les négociations et l’émission de l’emprunt
roumain de développement économique de mars 1931. Toute cette
documentation s’avère essentielle pour comprendre les enjeux et la politique
menée par les dirigeants de Bucarest lors de la stabilisation de la monnaie
roumaine.

En contrepartie, les archives de la Banque Nationale de Roumanie sont plus


décevantes. Rares sont les dossiers permettant d’obtenir des informations sur le
Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, ainsi que sur la
mission financière de la Banque de France bien que cette mission soit restée en
Roumanie jusqu’en février 1935. Le responsable de ces archives nous a
communiqué qu’aucun document relatif à cette question ne se trouve dans les
fonds d’archives de la Banque. Toutefois, les comptes rendus et les rapports
que nous avons trouvé dans le fonds intitulé Serviciul Secretariat nous
permettent d’expliquer le fonctionnement et le rôle de la Banque Nationale de
Roumanie dans le maintien de la stabilité monétaire. Le dossier numéro
38/1930-1931 s’avére utile pour démontrer la fragilité de l’indépendance de la
Banque Nationale de Roumanie qui, malgré la modification de ses Statuts, en
février 1929, doit suivre les intérêts financiers et politiques des dirigeants du
gouvernement de Bucarest. Ce document nous permet également d’expliquer et
de démontrer l’attitude des dirigeants de la Banque Nationale de Roumanie à
l’égard de la présence et du maintien de la mission financière de la Banque de
France en Roumanie jusqu’en 1935.

Hormis les archives diplomatiques et celles de la Banque de France et de la


Banque Nationale de Roumanie d’autres sources se sont avérées utiles pour
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

approfondir notre recherche. A Zurich, nous avons consulté les archives de la


Banque Nationale Suisse relatives à la participation de cette institution à la
stabilisation de la devise roumaine à la fin des années vingt. Les archives de la
Société des Nations nous ont permis de démontrer le rôle joué par cette
institution et plus particulièrement par le Comité économique et financier dans la
reconstruction économique et financière de l’Europe centrale. Le fonds intitulé
Missions en Roumanie (1932) nous renseignent sur les démarches entreprises
par le gouvernement de Bucarest en juin 1932 auprès de la Société des Nations
en faveur de la collaboration technique pour l’application d’un plan de réforme
financière destiné à adapter le pays aux nouvelles conditions économiques
créées par la Crise de 1929. Les Papiers de Alexander Loveday s’avèrent un
complément utile car il s’agit d’une collection d’articles publiés par la presse
roumaine en juillet 1932 et avril 1933 au sujet de l’intervention de la Société des
Nations en Roumanie. Les Papiers du Sir Arthur Salter nous fournissent des
informations concernant la situation économique, financière et politique de la
Roumanie, ainsi que le projet du gouvernement roumain de faire appel à l’aide
financière de la Société des Nations en 1926. Les rapports généraux des
Comités économique et financier nous ont permis d’approfondir la situation
économique et financière internationale et centre-européenne provoquée par la
crise de 1929.

En revanche, les archives de la Banque des Règlements Internationaux nous


offrent très peu d’informations sur notre problématique. Toutefois, les Rapports
annuels publiés par cette institution durant les années 1931-1935 nous ont
permis de mieux comprendre la situation monétaire et financière internationale,
ainsi que son impact sur les relations entre les différents États européens.

Les archives historiques du Crédit Agricole, fonds Crédit Lyonnais nous


renseignent également sur la situation économique et financière de la
Roumanie, ainsi que sur l’attitude de cet établissement financier à égard de la
Roumanie. Sans être impliqué dans les affaires roumaines, le Crédit Lyonnais
suit les démarches entreprises par la Banque de France en faveur de la
35

stabilisation de la monnaie roumaine et participe à la mise en place en juin 1931


d’une Commission d’études pour l’Europe centrale, dont l’objectif vise à
renforcer la présence des banques et des industries françaises dans cette
région. La série DEEF 73305 contient toute une série d’informations recoltées
par le Crédit Lyonnais durant les années vingt pour l’établissement d’un
programme d’investissement financier et industriel en Roumanie. Ces
documents nous permettent d’éclairer les relations qui se tissent entre la mission
financière de la Banque de France et les industries françaises lors de la mise en
place de plusieurs projets visant à developper l’industrie et l’infrastructure
roumaines.

Le manque de sources allemandes et, également, anglaises et américaines a


été partiellement compensé par la consultation des archives de la Banque de
France, par la lecture de la correspondance entre Emile Moreau, Hjalmar
Schacht, Montagu Norman et Benjamin Strong.

Les mémoires des acteurs de l’époque représentent également des sources


importantes qui permettent notamment de percevoir les réseaux de personnes
et le cadre politique, économique et financier dans lequel se produit
l’intervention de des Grande Puissances en Roumanie. Dans l’exploitation de
ces sources, très abondantes en informations, nous avons pris en compte le
manque de recul des auteurs par rapport aux événements présentés, ainsi que
leurs convictions idéologiques : toute source secondaire ou primaire exige d’être
utilisée avec esprit critique. Les principaux ouvrages qui ont retenu notre
45 46
attention sont ceux de Grigore Gafencu , de Louis Loucheur , de Emile
47 48 49 50
Moreau , de Henri Prost , de Victor Slavescu et de Nicolae Titulescu. A titre

45
GAFENCU, Grigore, Însemnari politice, 1929-1939, [Réflexions politiques,
e
1929-1939], Bucuresti, Humanitas, 1991 (2 Ed.).
46
LOUCHEUR, Louis, Carnets secrets, 1908-1932, Bruxelles, Brepols, 1962.
47
MOREAU, Emile, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, Paris,
Génin, 1954.
48
PROST, Henri, Destin de la Roumanie, Paris, Berger-Levrault, 1954.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

d’exemple, le journal de Grigore Gafencu, journaliste et ministre adjoint des


Affaires Etrangères durant les années 1928-1930, nous renseigne sur la lutte
pour le pouvoir qui oppose le Parti National Libéral et le Parti National Paysan,
notamment, durant les années vingt en soulignant les conséquences négatives
des démarches effectuées par les Libéraux auprès de la Banque de France en
vue de l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire. Cette analyse
contrastent fortement avec celle de Victor Slavescu, directeur de la Société
Nationale de Crédit Industriel et ministre des Finances durant les années 1934-
1935. Très proche collaborateur de Vintila Bratianu, Slavescu approuve les
démarches entreprises par le Parti National Libéral auprès de la Banque de
France et dénonce les effets néfastes des divergences qui dominent la vie
politique roumaine sur le développement économique du pays. En revanche,
Henri Prost, un observateur français résidant à Bucarest dans les années vingt,
nous propose une lecture plus neutre de l’histoire roumaine, ses remarques
étant fondées sur des faits plus objectifs.

Avant de terminer l’intoduction de notre travail, il convient de souligner les


difficultés auxquelles nous avons été confrontées pour l’utilisation de la
littérature secondaire roumaine car les historiens roumains proposent une
lecture de l’histoire fortement influencée par les impératifs idéologiques des
régimes politiques en place et par les contraintes géopolitiques. Ainsi,
l’historiographie de la Grande Roumanie, monolithique en matière
d’interprétation mais abondante en publications, est marquée par un
nationalisme exacerbé. La défense des intérêts de la diplomatie de statu quo
post bellum, menacée par l’irrédentisme bulgare, hongrois et soviétique,
imprègne tous les écrits. Les relations économiques et financières de la
Roumanie durant l’entre-deux-guerres sont souvent minimisées ou amplifiées en
fonction des rapports et des intérêts diplomatiques et politiques des différentes

49
SLAVESCU, Victor, Note si însemnari zilnice, octombrie 1923 - 1 ianuarie
er
1938, [Notes et réflexions quotidiennes, octobre 1923 - 1 janvier 1938], Vol. I,
ième
Bucuresti, Editura Enciclopedica, 1996 (2 édition).
50
TITULESCU, Nicolae, Discursuri, [Discours], Bucarest, Ed. Tehnica, 1991
ème
(3 éd.)
37

formations politiques au pouvoir. Juste après 1947, l’historiographie roumaine


subit les impératifs idéologiques du régime communiste et les nouvelles
contraintes géopolitiques.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

PREMIÈRE PARTIE

LA DIFFICILE RECONSTRUCTION

ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE DE LA ROUMANIE,

19 JANVIER 1922 - 10 NOVEMBRE 1928


39

51
Favorisé indéniablement par les Traités de Paix de 1919-1920 , qui lui
permettent de maintenir les acquis territoriaux et statutaires obtenus durant la
52
Première Guerre mondiale, le Royaume de Roumanie réalise en janvier 1919
son unité nationale par l’intégration dans ses frontières des territoires provenant
du démembrement des Empires austro-hongrois et russe, ainsi que de la
53
Bulgarie. Bucarest devient, ainsi, la capitale d’un État dont la superficie et la
54
population ont plus que doublé par rapport à l’avant-guerre. Du Nistru aux
plaines de la Hongrie et des sources de la Tisa au Dobroudja, la Grande
Roumanie (România Mare) couvre pour la première fois depuis cinq siècles
55
presque la totalité de la nation roumaine. C’est la réalisation d’un projet
politique de longue date que l’évolution des relations internationales révéla, par
la suite, non viable et éphémère.

L’union avec la Bessarabie, la Bucovine, la Dobroudja du Sud et la Transylvanie


créée dès la fin de la Grande Guerre une situation qui oppose de facto l’État

51
Le Royaume de Roumanie reçoit officiellement la Transylvanie, ainsi que le
Banat et la Crisana au Traité de Trianon (le 4 juin 1920), la Bucovine et le
Maramures au Traité de Saint-Germain (le 10 décembre 1919) et la Dobroudja
du Sud au Traité de Neuilly (le 10 décembre 1919). En ce qui concerne la
Bessarabie - qui, à la faveur de la révolution russe, avait proclamé son
indépendance et son union avec le Royaume de Roumanie en avril 1918 - les
Alliés (en l’occurrence la Russie soviétique, les Etats-Unis et l’Italie) remettent
en cause, dès la fin de la Première Guerre mondiale, son statut de province
indépendante et la validité de l’union de 1918. Malgré le fait que la France et la
Grande-Bretagne reconnaissent le 28 octobre 1920 à Sèvres l’intégration de
cette région dans le nouvel Etat roumain, le problème de la Bessarabie reste
ouvert tout le long de l’entre-deux-guerres.
52
L’Etat roumain, né le 24 janvier 1859 de l’union des Principautés danubiennes
de Valachie et de Moldavie, est érigé au rang de royaume le 25 mars 1881 par
le prince régnant Carol de Hohenzollern-Sigmaringen (1866-1914). La
Roumanie devient ainsi un royaume, Carol de Hohenzollern - Sigmaringen étant
couronné roi le 22 mai 1881 à la cathédrale de Bucarest.
53
Voir Annexes I et II : Evolution de la Roumanie, 1881-2011 et Carte politique
de la Grande Roumanie (România Mare), 1919-1940.
54
Voir Annexe III : Superficie et population de la Grande Roumanie (România
Mare), 1919-1920.
55
Au sujet de la création de la Grande Roumanie, voir SETON-WATSON, R.
W., Histoire des Roumains de l’époque romaine à l’achèvement de l’unité, Paris,
P.U.F., 1937, pp. 531-618 et DURANDIN, Catherine, Histoire des Roumains,
Paris, Fayard, 1995, pp. 204-234.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

roumain à ses nouveaux voisins, la Bulgarie, la Hongrie et l’Union Soviétique.


Face à ces relations conflictuelles en lien avec la délimitation des frontières, les
dirigeants roumains se voient obligés d’intégrer la România Mare dans des
systèmes d’alliance diplomatique et militaire de défense du statu quo post
56
bellum. C’est dans cette optique que la Grande Roumanie participe à la
57
création de la Petite Entente (avril - août 1921) avec la Tchécoslovaquie et la
Yougoslavie, les deux autres bénéficiaires du Traité de Trianon, et s’efforce
d’obtenir le soutien de la France et de la Grande-Bretagne en matière de
sécurité et de protection. Si pour Londres le problème de défense du statu quo
post bellum est secondaire par rapport à la reconstruction économique et
58
financière de l’Europe centrale, il en est autrement pour Paris. Déçue par
l’échec des garanties promises par les États-Unis et la Grande-Bretagne, ainsi
que par la disparition de l’allié russe, la France, hantée, à la fois, par la
renaissance du danger allemand et par la révolution bolchévique, cherche à
renforcer son système de sécurité par des alliances avec les États centre-
59
européens. Au croisement des préoccupations défensives de la Roumanie, de
la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie, la France se rallie immédiatement à la
Petite Entente, même si la Hongrie n’est pas son adversaire direct. En effet, les
trois États membres de la Petite Entente occupent, du point de vue géo-
60
stratégique, une place importante dans le système de sécurité français. La
Roumanie remplit un rôle de glacis face à une Russie hostile aux nouveaux

56
SANDU, Traian, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale.
L’exemple roumain 1919-1933, Paris, Harmattan, 1999, pp. 13-14.
57
Au sujet de la création de la Petite Entente et de la participation de la
Roumanie à cette alliance, voir CARMI, Ozer, La Grande-Bretagne et la Petite
Entente, Genève, I.U.H.E.I., 1972, pp. 19-55 et IORDACHE, Nicolae, La Petite
Entente et l’Europe, Genève, I.U.H.E.I., 1977, pp. 17-70.
58
Sur l’attitude de la Grande-Bretagne et de la France vis-à-vis de la création de
la Petite Entente, voir notamment CARMI, Ozer, La Grande-Bretagne et la Petite
Entente, pp. 19-87.
59
Sur cette question, voir, WANDYCZ, Piotr S., The Twilight of French Eastern
Alliances, 1926-1936. French-Czechoslovak-Polish Relations from Locarno to
the Remilitarization of the Rhineland, New Jeresy, Princeton, 1988, pp. 3-17.
60
Sur les relations diplomatiques et militaires entre la France et la Roumanie
durant les années 1919-1933, voir plus particulièrement l’étude de SANDU, Le
système de sécurité français en Europe centre-orientale.
41

règlements, alors que la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie jouent le même rôle


vis-à-vis des révisionnismes allemand et italien.

Cette politique du « cordon sanitaire » permettra à la Roumanie de faire pièce


aux tentatives bulgare, hongroise et soviétique de révision des frontières durant
les années vingt. Néanmoins, les problèmes de sécurité et de protection de
nouvelles frontières ne sont pas pour autant résolus car l’irrédentisme magyar
et, plus particulièrement, russe restera une menace tout le long de l’entre-deux-
guerres. Aussi tout acte diplomatique roumain relèvera du souci d’obtenir des
garanties pour le maintien de l’intégrité territoriale, acquise à l’issue de la
Première Guerre mondiale.

Du point de vue économique et financier, la România Mare du début des années


1920 se caractérise par un manque profond d’organisation de la production et
61
de la circulation monétaire, par le chaos financier et l’inflation. Il convient de
rappeler que la Grande Guerre fait legs au nouvel État roumain de trois
monnaies entièrement dépréciées et sans couverture métallique, les « lei
Generali », les couronnes austro-hongroises et les roubles Lwoff, Kerensky et
62
Romanoff. La situation économique désastreuse provoquée par les
destructions de la guerre et les besoins de reconstruction du pays, les dépenses
de guerre et celles imposées par l’occupation allemande et, notamment, par
l’union avec les nouveaux territoires rendent la situation financière de la Grande
Roumanie très difficile. Le besoin de capitaux se révèle rapidement très
important et il deviendra le problème majeur de toute l’économie roumaine de
l’entre-deux-guerrres. Par ailleurs, la création de nouvelles formations politiques
et, plus particulièrement, la lutte pour le pouvoir entre le Parti National Libéral et
le Parti National Paysan ouvre pour l’économie roumaine de graves problèmes,

61
Sur cette question, voir MANOLIOU, Florin E., La reconstruction économique
et financière de la Roumanie et les partis politiques, Paris, Librairie Universitaire
J. Gamber, 1931, pp. 70-115.
62
MANOLIOU, La reconstruction économique et financière, pp. 94 - 99.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

63
dont la solution sera longue à survenir. « Chaque parti politique, ainsi que le
souligne Florin Manoliou, n’admettait que ses propres idées et pensait que seul
son programme pouvait réaliser le redressement économique et financier du
64
pays. »

63
Voir Annexe IV : Gouvernements de la Grande Roumanie, 1919-1937. Sur
cette question, voir SAIZU, Ioan, Politica economica a României între 1922 si
1928 (La politique économique de la Roumanie durant les années 1922-1928),
Bucuresti, Ed. Academiei Republicii Socialiste România, 1981, pp. 25-31.
64
MANOLIOU, La reconstruction économique et financière, p. 107.
43

CHAPITRE I : LE DÉVELOPPEMENT DE LA ROUMANIE Á L’ÉPREUVE DES


INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS DU PARTI NATIONAL
LIBÉRAL, 19 JANVIER 1922 - 30 MARS 1926

Avec le retour au pouvoir du Parti National Libéral, la seule formation politique


de l’ancien Royaume de Roumanie (Vechiul Regat) qui a survécu à la Première
Guerre mondiale, la Roumanie retrouve la stabilité politique interne, assurée
jusqu’à la fin des années vingt par les gouvernements des frères Bratianu
(janvier 1922 - novembre 1928) avec le bref intermède du général Alexandru
Averescu (mars 1926 - juin 1927). Ayant pour principal objectif la consolidation
de l’indépendance politique et économique du nouvel État roumain, le Parti
National Libéral décide de mettre en place une importante campagne
d’industrialisation par l’introduction de toute une série de lois et de mesures en
faveur des entreprises et des capitaux roumains. Néanmoins, ce processus
d’industrialisation se révélera rapidement très difficile et contraignant en raison
de la faiblesse de l’épargne et des capitaux roumains et de l’opposition des
milieux économiques et financiers internationaux. Les frères Bratianu ont-ils les
moyens et les capacités de réaliser le développement économique de la
Roumanie à l’abri de l’intervention financière des grandes puissances ?
Comment la France et la Grande-Bretagne, les deux Grandes Puissances
appelées, au lendemain de la guerre, à réorganiser et à reconstruire l’Europe
centrale, réagissent-elles à la politique de « contrôle » des capitaux étrangers
adoptée par Ionel et Vintila Bratianu ?

1. Les frères Bratianu et les destinées de la Grande Roumanie

Le retour au pouvoir du Parti National Libéral, le 19 janvier 1922, ouvre une


nouvelle étape dans l’évolution économique et financière de l’État roumain, crée
par les Traités de Paix de 1919-1920. Constituée en 1875, cette formation
politique représente les intérêts de la bourgeoisie industrielle et financière
roumaine, dont les positions se sont consolidées jusqu’en 1914 par une étroite
collaboration avec les capitaux étrangers et, plus particulièrement, avec les
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

65
capitaux allemands. Rappelons que les membres du Parti National Libéral
66
disposent de la majorité des actions de la Banque Nationale de Roumanie et
qu’ils contrôlent la Banca Generala a Tarii Românesti et la Banca Româneasca,
67
ainsi que plusieurs entreprises industrielles du pays. L’histoire et l’évolution de
cette formation politique sont étroitement liées et influencées par la famille
Bratianu, Ion (1821-1891) et ses trois fils Ionel (1864-1927), Constantin « Dinu »
(1866-1950) et Vintila (1867-1930), qui domine le parti depuis sa création et
jusqu’aux années 1948, date à laquelle le régime communiste interdira tous les
68
partis politiques roumains.

69 70
Ionel Bratianu , fort de l’appui du roi Ferdinand (1865-1927) et convaincu qu’il
lui revient de mener les destinées de la Grande Roumanie, constitue le 20
janvier 1922 un nouveau cabinet libéral, où il confie le portefeuille des Affaires
Etrangères à Ion Gh. Duca, l’Industrie et le Commerce à Tancred
Constantinescu et les Finances à son frère cadet, Vintila. Ce dernier deviendra
durant les années 1920 la figure la plus emblématique du gouvernement de son
frère aîné, qui lui accordera l’autorité nécessaire pour la réorganisation
économique et financière du nouvel État roumain.

65
ZELETIN, Stefan, Burghezia româna : originea si rolul ei istoric (La
bourgeoisie roumaine : l’origine et son rôle historique), Bucuresti, 1925.
66 er
Le 1 janvier 1901, date à laquelle l’Etat roumain s’est retiré de sa qualité
d’actionnaire de la Banque Nationale de Roumanie, les actionnaires privés,
majoritairement membres du Parti National Libéral, deviennent les principaux
actionnaires de cette institution par le rachat des actions de l’Etat.
67
SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 29.
68
TREPTOW, Kurt W., A history of Romania, Iasi, The Center for Romanian
Studies, 1996, pp. 412 - 413.
69
Diplômé de l’Ecole des Ponts et des Chaussées de Paris en 1889, Ionel
Bratianu (1864-1927) commence sa carrière politique en 1891, après le décès
de son père, Ion Bratianu. En 1909, il prend la direction du Parti National Libéral,
fonction qu’il occupera jusqu’au 24 novembre 1927, date à laquelle il décède par
suite des complications d’une laryngite infectieuse mal soignée. De 1909 à
1927, Ionel Bratianu est nommé Président du Conseil roumain à cinq reprises :
décembre 1909 - décembre 1910, janvier 1914 - janvier 1918, novembre 1918 -
septembre 1919, janvier 1922 - mars 1926 et juin - novembre 1927.
70
Ferdinand de Hohenzollern - Sigmaringen, neveu du roi Carol de
Hohenzollern - Sigmaringen, est désigné roi de Roumanie du 10 octobre 1914
au 20 juillet 1927.
45

Diplômé de l’Ecole centrale des arts et des manufactures de Paris en 1891,


Vintila Bratianu entre dans la vie politique roumaine comme maire de Bucarest,
fonction qu’il occupera de 1907 à 1911. Très tôt, il réussit à se distinguer par
l’élaboration de nombreux projets de modernisation de la société roumaine par
l’introduction du suffrage universel et l’abolition de la grande propriété foncière.
En 1911, dans le Manifeste-Programme du Parti National Libéral, Vintila
Bratianu aborde pour la première fois la question de l’indépendance
économique et financière de l’État roumain en déclarant que la présence des
capitaux étrangers dans l’industrie pétrolière représentait un véritable danger
pour le développement et la modernisation du pays. Afin de réduire l’influence et
l’ingérence de la finance étrangère dans l’économie du Vechiul Regat, il
proposait l’introduction, sous l’égide de l’État, de nouvelles mesures, destinées à
soutenir le développement rapide du secteur industriel, ainsi que la création
d’une classe bourgeoise roumaine. Toutefois, l’éclatement de la Première
Guerre mondiale a obligé Vintila Bratianu à différer de quelques années ses
projets de modernisation de l’État roumain. Il convient de rappeler que
l’économie de l’ancien Royaume de Roumanie reposait essentiellement sur le
,
secteur agricole et les exportations de céréales, qui représentaient en 1914,
71
70% du total des exportations effectuées par le pays. En revanche, le secteur
industriel, basé principalement sur l’industrie pétrolière et l’industrie agro-
72
alimentaire, était relativemement peu développé. En possession de vastes
ressources pétrolières, situées notamment dans la région de la Vallée de
Prahova, Vechiul Regat avait attiré, dès la fin du XIXe siècle, d’importants
73
investissements étrangers et, plus particulièrement, allemands et anglais. A la
veille de la Grande Guerre, les capitaux étrangers investis dans l’industrie
pétroière roumaine se répartissaient de cette manière : les capitaux allemands

71
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière,
Mémorandum sur le commerce international et sur les balances de paiements
1912-1926, Questions économiques et financières, Vol. II, 1927, p. 738.
72
CONSTANTINESCU, Nicolae, L’histoire de l’économie roumaine de l’origine
jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, Bucarest, Expert, 1996, pp. 184-202 et
MURESAN, Maria, MURESAN, Dumitru, Istoria economiei [L’histoire de
l’économie], Bucuresti, Ed. Economica, 2003, pp. 109-131.
73
Sur cette question, voir PEARTON, Maurice, Oil and the Romanian State,
Oxford, Clarendon Press, 1971.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

et austro-hongrois représentaient 35% du total des investissements étrangers,


74
anglais 21,2%, hollandais 20%, français et belges 14% et suisses 1%. Quant
aux capitaux roumains, ils ne représentaient que 5% du total des
investissements effectués dans ce secteur. Le tableau ci-dessous nous permet
de situer et de comparer le « niveau d’implication » de la finance étrangère dans
l’ancien Royaume de Roumanie à la veille de la Première Guerre mondiale.

Tableau I : Participations et investissements étrangers dans l’ancien


Royaume de Roumanie à la veille de la Première Guerre mondiale (en
millions de francs français et en %)
Pays Emprunts d’Etat Investissements Total
d’entreprises
Allemagne 903 60,2% 120 23,5% 1023 51%
Angleterre - - 96,6 18,9% 96,6 4,8%
France 484 32,3% 37,8 7,4% 521,8 26%
Hollande - - 99,6 19,5% 99,6 5%
Suisse 64,5 4,3% - - 64,5 3,2%
Divers 48,5 3,2% 157 30,7% 205,5 10%
Total 1500,0 100 511 100 2011 100
Source : THOBIE, Jacques, La France impériale, 1880-1914, Paris, Megrelis,
1982, p. 263.

Il apparaît, ainsi, que les capitaux allemands, engagés pour 60,2% dans les
emprunts de l’État roumain et pour 23,5% dans des diverses entreprises,
75 76
notamment pétrolières , dominent largement le marché roumain. Avec 484

74
PEARTON, Oil and the Romanian State, pp. 68-69.
75
Les banques allemandes et, notamment, la Deutsche Bank et la Disconto-
Gesellschaft, contrôlent la Steaua Româna, la Concordia, le Creditul petrolifer,
ainsi que la raffinerie Vega. Sur les participations de la Deutsche Bank à
l’industrie pétrolière roumaine avant la Première Guerre mondiale voir l’étude de
GALL, Lothar, JAMES, Harold et al., The Deutsche Bank 1870-1995, London
Weidenfeld & Nicolson, 1995, pp. 64-67 et pp. 148-150.
76
Sur les relations économiques et financières entre le Royaume de Roumanie
et l’Allemagne jusqu’à la veille de la Grande Guerre, voir les études de
DOBROVICI, Gheorghe M., Istoricul desvoltarii economice si financiare a
Romaniei si imprumuturile contractate intre 1832 si 1933 (L’histoire du
développement économique et financier de la Roumanie et les emprunts
47

millions de francs français de fonds du Vechiul Regat, la France n’absorbe que


32,2% de la dette publique roumaine. Les capitaux français sont investis
essentiellement dans de petites entreprises de papier (Clément Heurtard,
ie
Dupont), de bois, de sucre (Lachaume, Meillassoux et C ) et de textiles. Dans
l’industrie pétrolière, ils contrôlent les sociétés l’Aquila Franco-Româna et
l’Omnium International du Pétrole, qui regroupe en 1911 les entreprises
Columbia et Alpha et la raffinerie de Cernavodă. En revanche, les capitaux
anglais dirigent l’Astra Româna, une des plus grandes compagnies de
77
production pétrolière de l’ancien Royaume.

Pays, donc, essentiellement agricole et disposant d’importantes ressources


pétrolières, l’ancien Royaume de Roumanie voit à l’issue de la Grande Guerre
son potentiel économique s’accroître, par suite de l’intégration de nouvelles
provinces. La Dobroudja du Sud et la Bessarabie augmentaient la capacité de
production agricole et notamment de l’élevage, alors que la Transylvanie et la
Bucovine apportaient de nouvelles matières premières et d’infrastructures
industrielles. La métallurgie de Resita et de Anina, l’industrie charbonnière de la
Vallée de Jiu et l’industrie textile de Cluj, ainsi que les ressources de charbon,
de fer, de gaz méthane, de cuivre, de l’or et les massifs forestiers de Bucovine
78
pouvaient contrebalancer l’économie agricole du Vechiul Regat.

À la tête des Finances, Vintila Bratianu se propose de tirer profit de la nouvelle


configuration économique de l’Etat roumain par l’introduction de toute une série

contractés durant les années 1832-1933), pp. 400-450, Bucuresti, Universul,


1934, de POIDEVIN, Raymond, Les relations économiques et financières entre
la France et l’Allemagne de 1898 à 1914, Paris, Comité pour l’histoire
économique et financière de la France, 1998, pp. 57-59 et pp. 306-313 et de
THOBIE, Jacques, La France impériale, 1880-1914, Paris, Megrelis, 1982, pp.
260-263.
77
PEARTON, Oil and the Romanian State, p. 42.
78
Sur l’accroissement du potentiel économique du Royaume de Roumanie, par
suite de l’intégration de nouvelles provinces, voir Archives du CL, Paris, DEEF
73305 : Nouveau Royaume de Roumanie. Note économique détaillée, août
1922 et TURNOCK, David, The Romanian economy in the twentieth century,
London, Croom Helm, 1986, pp. 96-98.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

de mesures administratives et législatives, destinées à promouvoir le


développement de l’industrie roumaine et à réglementer la participation du
capital étranger à l’exploitation des ressources minières du pays. A plusieurs
reprises, Ionel et Vintila Bratianu vantent les avantages économiques et,
notamment, politiques d’un État industriel sur un État agricole, dépendant des
puissances étrangères. Ainsi, l’avenir du nouvel Etat roumain, dont l’unité
nationale et les frontières étaient menacées par la Hongrie et par la Russie
soviétique, résidait dans la création et le développement du secteur industriel.
Devenue, donc, une nécessité pour l’émancipation politique et économique du
pays, l’industrialisation de la Roumanie devient dès 1922 la pierre de touche de
toute l’économie d’après-guerre.

Pour ce faire, les frères Bratianu annoncent dans leur programme économique
que le développement du secteur industriel roumain se réalisera selon la devise
79
« par nous-mêmes » , qui deviendra le symbole de la politique économique
menée par le Parti National Libéral durant les années 1922-1926. Le soutien et
l’encouragement de la population et des capitaux roumains à participer à
l’exploitation et à la mise en valeur des ressources minières du pays au
détriment des puissances étrangères constituent les principes majeurs de la
nouvelle politique économique envisagée par Ionel et Vintila Bratianu. C’est une
politique très ambitieuse, dont la réalisation demandera d’importantes
ressources financières et l’introduction d’une nouvelle législation économique et
financière en faveur des entreprises et des capitaux roumains. Quant aux
entreprises et aux capitaux étrangers, Vintila Bratianu se déclare l’adversaire
résolu des participations majoritaires dans les sociétés roumaines et des
investissements massifs dans certaines branches industrielles, telles que
l’industrie pétrolière et l’industrie métallurgique. Bratianu se propose, ainsi, de
réglementer la forme et les proportions de la participation de la finance
étrangère au développement de l’économie roumaine.

79
Sur l’origine et les principes de la politique économique du Parti National
Libéral « par nous-mêmes », voir SAIZU, Politica economica a României între
1922 si 1928, pp. 41- 54.
49

Dès son annonce, la nouvelle politique économique du gouvernement Bratianu


suscitede nombreux débats parmi les hommes politiques et les historiens de
l’époque. Dans les milieux politiques roumains, on s’intérroge sur la faisabilité et
les conséquences de cette politique d’inspiration nationaliste sur le
développement de la Roumanie, ainsi que sur les relations politiques et
économiques de la Roumanie avec les autres États. A titre d’exemple, les
80
anciens membres du Parti Conservateur ne donnent aucune chance au
gouvernement Bratianu de mettre en place cette politique en raison du manque
de capitaux et de la fragilité politique du nouvel État roumain. Dans les nouvelles
provinces, les minorités s’interrogent sur la place et le rôle que les autorités de
Bucarest leur réservent dans le développement de l’économie roumaine.
Néanmoins, l’utilisation des expressions de politique de nationalisme
économique ou de nostrification/roumanisation reste assez rare, voire absente
des débats de l’époque. L’usage de ces expressions se généralisera après la
Deuxième Guerre mondiale et, notamment, dans les années 1980-1990, quand
on cherche à analyer les politiques économiques de pays en voie de
développement et la mise en place des conditions propices à leur
81
industrialisation. Dans l’ouvrage Nationalisme économique et industrialisation.
82
L’expérience des pays de l’Est (1789-1939) , Thomas David décrit, sans
prendre en considération les aspirations politiques du nouvel État roumain, la
politique adoptée par les frères Bratianu comme le seul outil économique
83
disponible pour consolider les positions et l’influence du Parti National Libéral.
Pour Thomas David, le principal objectif de la politique « par nous-mêmes » est
l’affaiblissement des positions acquises par les capitaux étrangers dans

80
Le Parti Conservateur, qui avait assuré avec le Parti National Libéral le
gouvernement de l’ancien Royaume de Roumanie jusqu’en 1914, disparaît à
l’issue de la Première Guerre Mondiale. La collaboration avec les armées
austro-allemandes durant la guerre serait la principale raison de la disparition de
cette formation politique.
81
BOULANGER, Éric, « Théories du nationalisme économique », L'Économie
o
politique 3/2006 (n 31), p. 82-95.
82
DAVID, Thomas, Nationalisme économique et industrialisation. L’expérience
des pays de l’Est (1789-1939), Genève, Droz, 2009, pp. 173-179.
83
DAVID, Nationalisme économique et industrialisation, p. 406.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

l’économie roumaine depuis la fin du XIXe siècle au détriment des intérêts


généraux du pays. La question de la politique de nationalisme économique et de
nostrification adoptée à l’issue de la Grande Guerre par les nouveaux Etats
centre-européens apparaît également dans l’étude de Jan Koffman, Economic
84
Nationalism in East-Central Europe : A General View. A la différence de
Thomas David, Jan Koffman démontre que la nostrification est une composante
du nationalisme économique qui caractérise touts les pays de l’Europe centrale
85
et qu’elle peut avoir plusieurs significations. Dans le cas de la Roumanie, ainsi
que dans celui de la Pologne et de la Tchécoslovaquie, l’interprétation du terme
de nostrification doit tenir compte de la volonté des autorités politiques de
consolider l’indépendance politique et économique de leurs pays, qui sont des
Etats neufs en quête d’affirmation sur la scène internationale. Pour Koffman, la
politique de nostrification n’apparaît pas comme un obstacle au développement
des États d’Europe centrale, ainsi que le suggère David, mais comme une
politique favorisant l’établissement d’un nouvel ordre économique et financier.
« It should also be rememberd, écrit Koffman, that strictly speaking the main
objective of nostrification was to create new economic and financial relations,
86
consistent with the needs of the newly formed territorial units.»

Il convient de préciser que la politique de nationalisme économique et de


nostrification, annoncée par les Ionel et Vintila Bratianu, s’inscrit dans une
tendance générale, qui caractérise tous les États centre-européens,
nouvellement créés ou remodelés par les Traités de Paix de 1919-1920. En
quête d’indépendance politique et économique ces pays cherchent à protéger
leur économie et, plus particulièrement, le secteur industriel par des lois et des
tarifs fortement protectionnistes. Chaque Etat centre-européen souhaite
développer son propre secteur industriel au détriment de l’agriculture, afin de

84
KOFFMAN, Jan, « Economic Nationalism in East-Central Europe : A General
View » in SZLAJFER, Henryk (ed.), Economic Nationalism in East-Central
Europe and South America, 1918-1939, Genève, Droz, 1990, pp. 191-249.
85
KOFFMAN, « Economic Nationalism in East-Central Europe : A General
View », pp. 218-223.
86
KOFFMAN, « Economic Nationalism in East-Central Europe : A General
View », p. 220.
51

consolider son indépendance par rapport aux puissances étrangères et,


notamment, par rapport aux Etats révisonnistes. En Yougoslavie, le
gouvernement, dirigé par Nikola Pasic (juin 1921 - avril 1926) adopte aussi une
politique favorisant le développement de l’industrie au détriment du secteur
agricole par l’application des tarifs douaniers élevés, la nationalisation des
87
entreprises détenues par les Allemands, les Autrichiens et les Hongrois, etc. En
Hongrie, Istvan Bethlen (avril 1921 - août 1931) introduit toute une série de
mesures, destinées à soutenir l’industrialisation du pays par l’instauration de
droits de douane très élevès, l’introduction des exemptions d’impôts, ainsi que
88
par une politique financière peu restrictive, etc.

2. Le Gouvernement Bratianu et l’industrialisation de la Roumanie

Décidés à promouvoir l’industrialisation de la Roumanie par l’introduction de


nouvelles lois en faveur des entreprises et des capitaux roumains, les dirigeants
de Bucarest décident préalablement d’introduire une nouvelle Constitution. La
principale raison invoquée par Ionel et Vintila Bratianu afin que le Parlement
roumain adopte, le 30 mars 1923, la nouvelle Constitution est le fait que celle du
Vechiul Regat était entièrement dépassée, par suite de la réalisation de l’unité
nationale. Intégrées durant presque deux siècles dans la Russie et la Hongrie,
ainsi que dans l’Empire ottoman (puis dans la Bulgarie), la Transylvanie, la
Bessarabie, la Bucovine et la Dobroudja du Sud disposaient de législations très
différentes de celles du Vechiul Regat. Parmi les principaux objectifs de la
nouvelle Constitution, nous mentionnons l’entérinement de la réforme agraire
89
(1920-1921) et l’interdiction de tout nouveau partage de terres, la

87
DAVID, Nationalisme économique et industrialisation, pp. 187-197.
88
DAVID, Nationalisme économique et industrialisation, pp. 165-169.
89
La réforme agraire, promise par le roi Ferdinand en 1917 afin de motiver son
armée, constituée essentiellement de paysans, est réalisée par le décret royal
du 18 décembre 1918. En 1921, plus de six millions d’hectares (environ 66% de
la terre arable) de la Grande Roumanie ont été distribuées aux petits paysans.
Si sur le plan politique et social, la réforme agraire a conduit à des résultats
hautement favorables, il en est autrement sur le plan économique. Le partage
des terres, appliqué aussi aux nouvelles provinces, est réalisé sans prendre en
considération la situation précaire des paysans roumains. Le manque
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

nationalisation de la propriété du sous-sol, ainsi que l’homologation du statut des


90
minorités, imposée à la Roumanie par les Traités de Paix 1919-1920.

L’article 19 de la nouvelle Constitution, relatif au droit de propriété de l’État


roumain sur « les richesses de toute nature du sous-sol - à l’exception des
91
roches communes, des carrières de matériaux de construction et de la tourbe »
annonce déjà l’élaboration d’une « loi spéciale », destinée à réglementer les
normes et les conditions d’exploitation des ressources minières du pays. Cette
« loi spéciale » ouvrira la voie à la introduction durant l’année 1924 de toute une
série de lois et de mesures, dont le rôle principal était, ainsi que le précisait
Vintila Bratianu, d’assurer l’industrialisation du nouvel État roumain. « Si l’ancien
Royaume, déclare le Ministre roumain des Finances en août 1924, était
caractérisé par une production agricole très intense et une industrie basée - en
dehors de l’industrie pétrolière - sur l’utilisation des produits du sol - industrie
alimentaire, bois, etc. - la Roumanie nouvelle possède dans ses nouvelles
frontières les éléments nécessaires pour assurer le développement d’une activité
industrielle à peu près complète et capable de satisfaire, en grande partie, aux
92
besoins du pays. » La Roumanie a, donc, les atouts pour modifier ses
structures économiques et devenir un pays agro-industriel.

d’outillage, de savoir-faire et notamment de ressources financières et des


instituts de crédit agricole se répercutent tant sur la capacité de production
agricole que sur la qualité des produits. Il convient également de souligner le fait
qu’elle a permis aux dirigeants de Bucarest de diminuer l’influence des grands
proprétaire fonciers non-roumains en Transylvaine, en Bessarabie et en
Bucovine,
90
SCURTU, Ioan (éd.), Documente privind istoria României între anii 1918-
1944, [Les documents concernant l’histoire de la Roumanie durant les années
1918-1944], Bucuresti, Ed. didactica si pedagogica, 1995, pp. 250-253.
91
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 :
« Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le
cadre des nouvelles lois économiques », Mémoire présenté par Vintila Bratianu
à la Société des Nations, août 1924, p. 132.
92
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 :
« Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le
cadre des nouvelles lois économiques », Mémoire présenté par Vintila Bratianu
à la Société des Nations, août 1924, p. 131.
53

2.1. Les lois et les mesures d’encouragement aux entreprises et aux capitaux
roumains

Le premier problème auquel les frères Bratianu décident de s’attaquer en raison


de l’étendue de son champ d’application, qui concerne les ressources en
matières premières (les minerais de fer, de cuivre, d’or, etc.), ainsi que les
générateurs d’énergie (le pétrole, le charbon, le gaz méthane) est le régime des
mines. La réglementation de l’exploitation des richesses minières détient, selon
Vintila Bratianu, une importance particulière dans l’évolution économique du
pays en raison de : « (...) l’intérêt politique qui se rattache aujourd’hui à la
possession et à la libre disposition des gisements miniers, notamment du pétrole,
l’État roumain devait poser les principes qui régiront l’exploitation des gisements
qu’il possède aujourd’hui et de ceux dont il disposera à l’extinction des droits
acquis, de manière à assurer le respect et la sauvegarde des intérêts
93
permanents du pays. » Institué, par l’article 19 de la Constitution de 1923, le
droit de propriété de l’État roumain sur les ressources minières du pays fait en
juillet 1924 l’objet d’une nouvelle loi. Il s’agit d’une loi spéciale, ainsi que les
alinéas 2 et 3 de l’article mentionné ci-dessus l’ont stipulé, dont le principal
objectif sera de déterminer : « les règles générales et les conditions de mise en
valeur des gisements miniers, la redevance due aux propriétaires de la surface
et indiquera en même temps les conditions et les mesures dans lesquelles ceux-
94
ci participeront à l’exploitation de ces richesses. » Par cette loi, appelée la loi
des mines, Ionel et Vintila Bratianu confirment et renforcent le droit de propriété
de l’État roumain sur les ressources minières du pays, ainsi que le privilège de
les exploiter soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire des

93
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 :
« Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le
cadre des nouvelles lois économiques », Mémoire présenté par Vintila Bratianu
à la Société des Nations, août 1924, p. 133.
94
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 :
« Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le
cadre des nouvelles lois économiques », Mémoire présenté par Vintila Bratianu
à la Société des Nations, août 1924, p. 133.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

95
concessions accordées à des entreprises privées. Ces dernières doivent revêtir
un caractère national par la nomination dans les comités de direction et
d’administration d’une majorité roumaine, représentée par l’État et les capitaux
roumains. Par ailleurs, le président et le directeur général de toutes les
entreprises privées, ayant acquis des concessions minières, doivent bénéficier
de la nationalité roumaine. À ces mesures administratives de « roumanisation »
des entreprises travaillant dans le secteur minier, s’ajoute la question de la
participation du capital étranger à l’exploitation et à la mise en valeur des
ressources minérales du pays. Prévue par l’article 33 de la loi de mines, cette
mesure vise en effet à réduire la participation du capital étranger dans l’industrie
pétrolière roumaine et, plus particulièrement, à l’exploitation et à l’équipement
des raffineries.

Les débats provoqués à l’étranger par l’introduction de nouvelles normes et


mesures, destinées à réglementer les investissements dans l’industrie pétrolière,
démontrent l’importance de ce secteur pour l’émancipation économique et
politique de la Roumanie. Le pétrole, dont l’importance économique et
stratégique a été révélée par la Première Grande mondiale, devient durant
l’entre-deux-guerres un enjeu majeur pour l’intégration de la Roumanie dans le
96
système économique international. Il convient de préciser que dès 1918, l’Italie
et, plus particulièrement, la France et la Grande-Bretagne cherchent à acquérir
de nouvelles concessions et participations dans les entreprises pétrolières
roumaines, ainsi qu’à reprendre les sociétés détenues jusqu’en 1914 par les
banques allemandes, la Deutsche Bank et la Disconto-Gesellschaft. A titre
d’exemple, la Banque de Paris et des Pays-Bas et la Banque de l’Union
Parisienne s’efforcent de consolider leur présence dans les pétroles roumains

95
Sur cette question, voir SAIZU, Politica economica a României între 1922 si
1928, pp. 90-91.
96
BUSSIERE, Eric, Horace Finaly, banquier : 1871-1945, Paris, Fayard, 1996,
MARGUERAT, Philippe, Banque et investissement industriel. Paribas, le pétrole
roumain et la politique française, 1919-1939, Genève, Droz, 1987 et
e
MARGUERAT, Philippe, Le III Reich et le pétrole roumain, 1938-1940.
Contribution à l’étude de la pénétration économique allemande dans les Balkans
à la veille et au début de la Seconde Guerre mondiale, Genève, H.E.I., 1977.
55

97 98
par la reprise de la Steaua Româna , de la Telega Oil Company Ltd. , ainsi que
par l’obtention de nouvelles concessions pétrolières. Sous les pressions de la
France et de la Grande-Bretagne, les dirigeants de Bucarest doivent accepter en
avril 1920, lors de la Conférence de San Remo, le partage de la Steaua
Româna, qui représentait une des plus importantes sociétés pétrolières
99 100
roumaines. Après de longues négociations, la Roumanie réussit à obtenir la
majorité des actions, alors que le syndicat français, composé de la Banque de
Paris et des Pays-Bas, de la banque Mallet et des groupes Champin et Mercier
et le syndicat anglais, composé de la Banque Stern, de l’Anglo-Iranian et de la
Royal Dutsch-Shell, doivent se partager de manière égale les 49.900 actions
101
restantes.

La question de la réglementation de la participation des capitaux étrangers au


développement économique de la Roumanie suscitera également de
nombreuses controverses. Vintila Bratianu est accusé par ses adversaires
politiques de porter atteinte aux intérêts économiques du pays par l’introduction
de cette mesure. « Plus que jamais, déclarent-ils, la Roumanie a besoin de
produire et doit avoir par conséquent recours aux capitaux étrangers. Les
capitaux nationaux sont incapables d’assurer l’exploitation même des plus riches
102
terrains. » Conscient du manque de capitaux roumains, ainsi que du savoir-
faire de la population roumaine, constituée essentiellement de paysans, le
Ministre roumain des Finances

97
Fondée en 1895 par la Banque Hongroise pour le Commerce et l’Industrie et
l’Internationale Petroleum Industrie A.G. de Budapest, la Steaua Româna a été
reprise et réorganisée par la Deutsche Bank en 1904.
98
Créée en 1901, la Telega Oil Company Ltd. passe deux ans plus tard sous le
contrôle du consortium Disconto-Gesellschaft - S. Bleichröder.
99
Voir l’étude de MARGUERAT, Banque et investissement industriel.
100
Le syndicat roumain est constitué de la Banque Marmorosch, la Banque de
Crédit Roumain et la Banque L. Berkowitz, qui ont des liens très étroits avec
Paribas. Cette dernière, ainsi que le souligne Philippe Marguerat, pourrait
disposer des 6.000 actions de la Banque L. Berkowitz, ce qui donne le contrôle
de la Steaua Româna au groupe franco-anglais.
101
MARGUERAT, Banque et investissement industriel, pp. 27-28.
102
GANE, Alexandru, La question de la nationalisation du sous-sol en
Roumanie, Paris, Joue & Cie, 1924, p. 16.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

admet l’importance et la nécessité de la participation du capital étranger au


103
développement des différents secteurs industriels roumains. Mais, ce que
Vintila Bratianu conteste et tente de réglementer concerne la forme et les
proportions de la participation des capitaux étrangers dans les industries
104
roumaines. Le but de cette mesure est, d’une part, de réduire les
investissements étrangers dans un seul secteur industriel et, d’autre part, de
contrôler leurs participations à la création des entreprises étroitement liées à la
sécurité et à la défense du pays. Ainsi, dans les entreprises, nouvellement
créées pour l’exploitation et la mise en valeur des ressources minières
appartenant à l’État roumain, les capitaux étrangers ne doivent pas dépasser les
105
40% du capital total, alors que le capital roumain devait être majoritaire. En
introduisant cette nouvelle réglementation, le gouvernement Bratianu entrevoit la
possibilité d’intéresser les capitaux étrangers au développement de plusieurs
secteurs d’activité économique, tels que l’industrie textile, l’industrie agro-
alimentaire, l’industrie métallurgique etc. De cette manière, l’État roumain pourra
s’assurer de la mise en place d’une division des risques liés à l’instauration d’un
contrôle financier étranger sur l’activité économique du pays.

Une autre loi adoptée par le gouvernement Bratianu, le 7 juin 1924, concerne
« la commercialisation et le contrôle des entreprises de l’Etat » qui s’applique à
toutes les entreprises appartenant à l’État roumain. L’article 2 de cette nouvelle
loi prévoit l’introduction de quelques « mesures spéciales », destinées à changer
l’organisation et le fonctionnement des entreprises étatiques. Ainsi, la principale

103
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 :
Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le
cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à
la Société des Nations, août 1924, pp. 136-139.
104
Sur la question de la collaboration avec les capitaux étrangers, voir SAIZU,
Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 43-44.
105
Sur la forme et les proportions des capitaux étrangers, admises par le Parti
National Libéral dans le développement économique de la Roumanie, voir
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 : Aperçu
sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le cadre
des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à la
Société des Nations, août 1924, p. 142 et SAIZU, Politica economica a
României între 1922 si 1928, p. 44.
57

mesure, adoptée par les autorités roumaines, entérine la division des entreprises
appartenant à l’État en deux catégories. La première concerne les entreprises à
caractère économique d’intérêt général, appelées à remplir des services publics
intéressant la sécurité et la défense nationale, ainsi que celles faisant l’objet d’un
106
monopole. Ces entreprises sont, principalement, représentées par les chemins
de fer, les postes, les télégraphes et les téléphones, les usines d’armement et la
Régie des Monopoles de l’État. Quant à la deuxième catégorie, elle se rapporte
aux entreprises à caractère uniquement commercial et industriel, qui sont la
107
propriété de l’État, mais qui ne font pas l’objet d’un monopole. Selon la
nouvelle loi, ces entreprises doivent être exploitées par des sociétés anonymes,
constituées par l’État et par les particuliers (roumains et étrangers) où le capital
108
roumain (de l’État et des particuliers roumains) sera majoritaire. Dans cette
deuxième catégorie, nous retrouvons les entreprises minières (Petrosani, Slatna,
Abrud, Altan-Tepe, Gaz Méthane Cluj), métallurgiques (Hunedoara, Cugir et Baia
Mare), de transport fluvial et maritime (la Société roumaine de navigation fluviale,
le Service maritime roumain), ainsi que les stations balnéaires (Mehadia, Sibiu,
109
Tekirghiol), les forêts et les pêcheries du Danube et du Delta du Danube. Un
Conseil Supérieur des entreprises commerciales sera chargé de veiller à
l’application et au respect de cette loi, ainsi que de donner son avis sur les
différentes questions, liées à l’évaluation de l’apport de l’État, à l’établissement
110
des bilan, au contrôle des statuts, etc.

La nouvelle législation économique et financière introduite par le gouvernement


Bratianu pour renforcer le rôle de l’État roumain prévoit aussi des mesures qui
établissent le régime général des eaux et des générateurs d’énergie. La loi des

106
SCURTU, Documente privind istoria României, p.120.
107
SCURTU, Documente privind istoria României, p.120.
108
SCURTU, Documente privind istoria României, p.120.
109
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 :
Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le
cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à
la Société des Nations, août 1924, pp. 140-141.
110
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 :
Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le
cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à
la Société des Nations, août 1924, pp. 140-141.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

eaux et des générateurs d’énergie, adoptée le 4 juillet 1924, a pour principal


objectif d’assurer la coordination des différentes sources d’énergie thermique (le
pétrole, le charbon, le gaz méthane), afin de permettre et de faciliter
l’électrification générale du pays pour les transports, l’industrie et les usages
111
domestiques. La possibilité d’obtenir des concessions dans l’aménagement
d’installations hydrauliques et thermoélectriques est donnée uniquement aux
investisseurs roumains et aux sociétés anonymes roumaines (où le capital
112
roumain doit être majoritaire).

Des lois similaires sont passées également dans le secteur des transports et
des communications et, plus particulièrement, dans le domaine du transport
ferroviaire par l’introduction d’une politique de reconstruction et de rachat des
voies ferrées appartenant à des sociétés privées roumaines ou étrangères. En
vertu de la Convention de Vienne du 10 septembre 1922 et de la décision de la
Commission des Réparations du 13 mars 1923, l’Etat roumain rachète les
chemins de fer de Transylvanie qui ont appartenu à la Société autrichienne des
113
voies ferrées (S.T.E.G.). En 1925, l’Etat deviendra le propriétaire de presque
la totalité du réseau des voies ferrées de Roumanie, estimé, en 1919, à 12.000
114
kilomètres. Il convient de rappeler que le réseau feroviaire du Vechiul Regat,
évalué à 3.500 kilomètres en 1914, nécéssite d’importants travaux d’unification
et de raccordement avec les réseaux de nouvelles provinces. Dirigés avant la
Première Guerre mondiale vers Budapest, Vienne et Fiume (pour la
Transylvanie et la Bucovine) et vers Kiev et Odessa (pour la Bessarabie), les

111
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 :
Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le
cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à
la Société des Nations, août 1924, pp. 139-140.
112
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 :
Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le
cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à
la Société des Nations, août 1924, pp. 139-140.
113
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, pp.
548-560.
114
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 :
Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le
cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à
la Société des Nations, août 1924, p. 142.
59

réseaux ferroviaires de ces provinces doivent être intégrés au réseau de l’ancien


Royaume et orientés vers Bucarest et les principaux ports de la Mer Noire,
115
Braila, Constanta et Galati. À titre d’exemple, les lignes ferroviaires de
l’Autriche-Hongrie et celles du Vechiul Regat s’arrêtent à l’ancienne frontière, les
Carpathes, et la communication entre plusieures villes de Transylvanie doit se
116
faire en traversant le territoire de la Tchécoslovaquie. La construction de
nouvelles lignes et d’ateliers de réparations et de dépôt, l’agrandissement et
l’équipement des ports et des centres de transit s’imposent comme une
nécessité pour le fonctionnement et le développement du réseau ferroviaire de
117
la Grande Roumanie.

L’introduction de toutes ces lois et mesures et, plus particulièrement, celle de la


loi des mines suscite une forte opposition des milieux économiques et financiers
étrangers et, plus particulièrement, anglais. A plusieurs reprises, les compagnies
pétrolières, la Royal Dutch-Shell et la Standard Oil font des pressions sur les
dirigeants de Bucarest, en remettant en question le droit de propriété de l’État
roumain sur les richesses minières du pays, ainsi que la création des conditions
118
favorables pour les entreprises et le capitaux roumains. Les pressions
effectuées par ces compagnies, soutenues également par leurs gouvernements,
obligent les frères Bratianu à faire marche arrière et à accepter d’apporter
119
quelques modifications à la loi des mines. Ainsi, le 6 décembre 1925, l’État
roumain accordera aux sociétés pétrolières étrangères le même droit de
concession et de prospection que les entreprises nationales. Par ailleurs, la

115
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 :
Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et Programme d’avenir dans le
cadre des nouvelles lois économiques. Mémoire présenté par Vintila Bratianu à
la Société des Nations, août 1924, pp. 142-143.
116
Archives de la SDN, Genève, Section économique et financière, R. 310 :
Mémoire sur le rôle de la Société des Nations, de la Commission des
Réparations et des Etats d’Occidents dans le relèvement de l’Europe orientale,
exposé d’après l’exemple de la Roumanie, Mémoire présenté par Nicolae
Titulescu, décembre 1924, pp. 21-22.
117
Sur cette question, voir TURNOCK, The Romanian economy, pp. 117-118.
118
PEARTON, Oil and Romanian State, pp. 105-134.
119
QUINLAN, Clash over Romania, p. 21.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

participation du capital roumain dans la création de nouvelles entreprises est


120
réduite de 60% à 50% du capital total.

L’aperçu, que nous avons donné de nouvelles lois économiques, bien qu’assez
sommaire, fait toutefois apparaître l’ampleur du programme économique à
réaliser et laisse entrevoir l’importance des investissements que l’État doit
effectuer pour soutenir l’industrialisation de la Roumanie.

2.2. La politique d’investissement industriel : nécessité et contrainte pour Ionel et


Vintila Bratianu

Le politique d’industrialisation envisagée par les frères Bratianu représente l’une


des politiques de développement économique les plus ambitieuses menées en
Europe centrale durant l’entre-deux-guerres, compte tenu de l’ampleur des
investissements à réaliser dans ce domaine et de la situation financière du pays.
Un bref aperçu de la répartition et de l’origine des investissements effectués
dans le secteur industriel roumain jusqu’à la veille de la Première Guerre
mondiale nous semble édifiant afin de démontrer la situation du capital roumain
par rapport au capital étranger.

Jusqu’en 1914, l’accumulation nationale de capital est relativement faible en


raison de la structure agraire de l’ancien Royaume de Roumanie, qui a
considérablement freiné le développement de l’épargne roumaine. Rappelons
que la population du Vechiul Regat est constituée pour 80% de paysans, qui ont
des revenus très modestes, voire insuffisants pour assurer leur vie quotidienne.
A cela s’ajoute, le fait que l’ancien Royaume est resté jusqu’en juillet 1878 sous
la domination de l’Empire ottoman, qui a entravé l’accumulation de l’épargne
121
domestique, par suite du paiement des différents tributs. Par ailleurs, les
grands propriétaires terriens roumains préfèrent, ainsi que le soulignent Maria et

120
SCURTU, Documente privind istoria României pp. 126-127.
121
MURESAN, MURESAN, Istoria economiei, p. 178.
61

Dumitru Muresan, la consommation de produits de luxe, des longs séjours à


122
l’étranger aux investissements dans le commerce, l’industrie etc.

Cette situation a ouvert, dès le début des années 1880, la voie à la pénétration
du capital étranger dans l’économie du Vechiul Regat et, plus particulièrement,
dans les secteurs industriel et bancaire. A titre d’exemple, sur un montant total
de 636.556.546 de lei-or, les capitaux étrangers représentaient 511.019.236 de
lei-or, soit 80,2%, dont 23,56% allemands, 19,5% hollandais, 18,8% anglais,
12,9% austro-hongrois, 11,3% belges, 7,3% français, 4,8% américains, 1,4%
123
italiens, etc. Par branche industrielle, les capitaux étrangers sont répartis de
cette manière : 74% dans la métallurgie, 91,9% dans l’industrie pétrolière, 79%
dans l’industrie du bois, 23% dans l’industrie textile et 95,5% dans l’industrie du
gaz et de l’électricité. Dans le domaine bancaire, sur un montant total de
176.392.000 de lei-or, détenus par huit banques commerciales roumaines (la
Banca Românesca, la Banca Generala Româna, la Banca de Credit Român, la
Banca Marmorosch & Blank, la Banca Agricola, la Banca Comerciala a
României, la Bank of Romania et la Banca de Scont), la somme de 106.800.000
de lei-or, soit 60%, appartenaient aux capitaux allemands, austro-hongrois,
124
anglais, français, etc.

125
En ce qui concerne la situation financière de nouvelles provinces , il convient
de préciser qu’elles bénéficiaient essentiellement des capitaux allemands et
austro-hongrois. En Transylvanie, les investissements étrangers représentaient
95% dans la construction des machines, 87% dans l’industrie chimique, 79%
126
dans l’industrie textile, etc. Dans le secteur bancaire, les banques
autrichiennes et hongroises détenaient plus de la moitié des capitaux investis

122
MURESAN, MURESAN, Istoria economiei, p. 178.
123
Chiffres donnés par CONSTANTINESCU, L’histoire de l’économie roumaine,
pp. 220-221.
124
Chiffres donnés par CONSTANTINESCU, L’histoire de l’économie roumaine,
pp. 220-221.
125
Nous présentons uniquement le cas de la Transylvanie, car pour les autres
provinces les données sont inexistantes.
126
Chiffres donnés par CONSTANTINESCU, L’histoire de l’économie roumaine,
p. 221.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

dans cette région. Les banques allemandes représentaient 35%, alors que les
banques roumaines seulement 20% du total des capitaux investis en
127
Transylvanie jusqu’en 1914. Il apparaît ainsi que la finance étrangère détenait
avant la Première Guerre mondiale, des deux côtés des Carpates, un rôle
prépondérant dans la vie économique de la Roumanie.

Pour remédier à la faiblesse du capital national, les dirigeants roumains décident


de mettre en place de nouvelles institutions de crédit industriel, destinées à
128
fournir aux entreprises roumaines des prêts à des taux d’intérêts peu élevés.
C’est dans cette optique que le gouvernement Bratianu a créé l’Union Générale
des industriels de Roumanie, l’Union des industries minières et métallurgiques,
l’Association des producteurs de pétrole et, notamment, la Société Nationale de
Crédit Industriel. Cette dernière, constituée le 23 juin 1923, représente le meilleur
exemple qui illustre l’intervention de l’État roumain dans la politique
d’encouragement financier du secteur industriel. Constituée avec un capital de
500 millions de lei par l’action commune des Ministères des Finances et de
l’Industrie (20%), de la Banque Nationale de Roumanie (30%) et de l’épargne
privée roumaine (50%), la Société Nationale de Crédit Industriel (SNCI), a pour
principale mission d’accorder des crédits à l’industrie, de faciliter la mobilisation
des créances industrielles, ainsi que d’encourager d’une manière générale le
129
développement industriel en Roumanie. Pour se procurer les fonds
nécessaires, la Société Nationale de Crédit Industriel est autorisée à émettre des
obligations industrielles à long terme, garanties par les hypothèques et autres
130
sûretés réelles consenties par les débiteurs , et des bons de caisse, à court
terme, garantis par des stocks de marchandises, matières premières, etc. A la
tête de cette nouvelle institution, Vintila Bratianu nomme Victor Slavescu,
131
Directeur de la Banca Româneasca et un vieil ami. Pour Slavescu, la Banque

127
Chiffres donés par MURESAN, MURESAN, Istoria economiei, p. 173.
128
SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 106.
129
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 445.
130
Il convient de préciser que toutes ces obligations sont amortissables en 15
ou 20 ans.
131
SLAVESCU, Victor, Note si însemnari zilnice, octombrie 1923 - 1 ianuarie
er
1938 (Notes et réflexions journalières, octobre 1923 - 1 novembre 1938), Vol. I,
63

Nationale de Roumanie a entièrement le devoir de soutenir le développement de


132
l’industrie par l’intermédiaire des prêts avantageux à long terme. Ainsi, en
1928, les crédits accordés par la Banque Nationale à l’industrie représentent
133
33% du total des crédits fournis durant cette année. Parmi les principales
entreprises créées par la Société Nationale de Crédit Industriel durant les
années 1920, nous signalons la Fabrique de Câbles de Câmpia Turzii (1922), les
Usines Titan - Nadrag - Calan (1924), les Usines Copsa Mica - Cugir (1925), les
Usines Malaxa de Bucarest (1926), l’Industrie Aéronautique - I. A. R. Brasov
134
(1926), etc. Le tableau ci-dessous illustre le rôle et la participation financière
de la Société Nationale de Crédit Industriel dans le développement de l’industrie
roumaine durant les années 1924-1928. Il apparaît, ainsi, que le principal secteur
industriel qui bénéficie de l’aide financière de cette institution est l’industrie
métallurgique avec un montant total de 713 millions de lei en 1928.

Tableau II : La Société Nationale de Crédit Industriel et les investissements


industriels durant les années 1924-1928 (en millions de lei)
Secteurs 1924 1925 1926 1927 1928
industriels
Industrie 215 597 502 603 713
métallurgique
Industrie 98 120 130 142 134
forestière
Industrie 72 104 93 53 55
chimique
Industrie 276 400 554 666 619
alimentaire
Industrie textile 140 201 225 244 247
Industrie 51 104 103 111 111
électrique
Industrie - - - 113 575
pétrolière
Divers 20 46 132 166 154

e
Bucuresti, Editura Enciclopedica, 1996. (2 Ed.). BANCA NATIONALA A
ROMÂNIEI, Viata si opera lui Victor Slavescu (La vie et l’œuvre de Victor
Slavescu), Bucuresti, B.N.R., 2001.
132
BANCA NATIONALA A ROMÂNIEI, Viata si opera lui Victor Slavescu, p. 23
(Trad. du roumain).
133
MURESAN, MURESAN, Istoria economiei, p. 275.
134
BANCA NATIONALA A ROMÂNIEI, Viata si opera lui Victor Slavescu, p. 24.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Petite Industrie - 9 65 91 85
Total 872 1’581 1’804 2’189 2’693

Source : DOBROVICI, Gheorghe M., Istoricul desvoltarii economice si financiare


a României si împrumuturile contractate 1823-1933 (L’historique du
développement économique et financier de la Roumanie et les emprunts
contractés 1823-1933), Bucuresti, Editura Universul, 1933, p. 654.

Toutefois, les données présentées ci-dessus reflètent la faiblesse des


ressources financières, dont disposent Ionel et Vintila Bratianu pour soutenir
l’industrialisation de la Roumanie. Le besoin de capitaux s’avère, donc, très
important et détermine les dirigeants roumains à faire appel aux capitaux
étrangers et, plus particulièrement, anglais et français.

Les maisons britanniques Armstrong et Vickers sont admises, dès 1925, à


participer à la construction d’une fabrique d’armement à Copsa Mica et Cugir
135
(Uzinele Metalurgice din Copsa Mica si Cugir). Rappelons que les Vickers ont
acquis, en mai 1922, des intérêts très importants dans l’industrie métallurgique
roumaine, par l’intermédiaire des usines de Resita (Uzinele de Fier si Domeniile
136
din Resita) où ils détenaient 30% du capital total. Créées en 1854 par la
Société autrichienne de voies ferrées (STEG), les usines de Resita constituent
l’un des plus grands complexes métallurgiques de l’Europe centrale, qui réunit
des mines de fer et de charbon, des fonderies et des aciéries, ainsi que des
137
fabriques de machines et d’armement. Les capitaux anglais sont également
acceptés dans la création de la Fabrique de Câbles de Câmpia Turzii, des

135
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926-
1928) : Note pour la Légation de Roumanie en Grande-Bretagne, p. 1143.
136
Sur cette question, voir DAVENPORT-HINES, Richard P.T., « Vickers and
Schneider : a comparison of new British and French multinational stratégies
1916-1926 » in TEICHOVA, Alice, LEVY-LEBOYER, Maurice, Historical Studies
in International Corporate Business, Cambridge, Cambridge University Press,
1989, p. 129 et DAVENPORT-HINES, Richard P. T., «Vickers’ Balkan
Conscience: Aspects of Anglo-Romanian Armaments 1918-1939» in Business
History, 25, 1983, p. 293.
137
PERIANU, Dan Gh., Istoria Uzinelor din Resita 1771-1996 (L’histoire des
Usines Resita 1771-1996), Timisoara, Ed. Timpul, 1996.
65

138
Usines Titan - Nadrag - Calan et des Usines Malaxa de Bucarest. En
revanche, les capitaux français, représentés par les entreprises Blériot, Dietrich-
Lorraine et Potez, participent dès avril 1925 à la création de l’I.A.R. Brasov. En
1926, leur participation financière dans cette entreprise est estimée à 45% du
139
capital total.

La collaboration avec les capitaux étrangers à la création des Usines de Copsa


Mica et Cugir, des Usines Titan - Nadrag - Calan, des Usines Malaxa de
Bucarest, de la Fabrique de Câbles de Câmpia Turzii et de l’I.A.R. Brasov
démontre que les dirigeants roumains ont commencé à changer leur attitude à
l’égard de participation de la finance étrangère au développement des secteurs
clés de la défense nationale. La mise en place d’un système militaire de défense
nationale devient progressivement la priorité du gouvernement Bratianu. Dès son
retour au pouvoir, le Parti National Libéral prépare la réorganisation et
l’équipement de l’armée roumaine afin de renforcer la capacité de résistance
autonome de la Roumanie, car elle pourrait se révéler importante en cas de
140
guerre et d’interruption des liaisons avec les pays alliés. Presque inexistante à
l’issue de la Première Guerre mondiale, l’industrie roumaine de défense
141
nationale a besoin d’importants investissements. Confrontés au manque de
ressources financières internes, les frères Bratianu se voient obligés de solliciter
en octobre 1922 la France pour l’émission d’un emprunt pour la réorganisation

138
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie (1918-1940), No. 35 : Télégramme de Paul Neyrac,
Consul de France à Düsseldorf, au Quai d’Orsay (Article sur les capitaux anglais
en Roumanie publié par le journal allemand Düsseldorfer Nachrichten), le 11
mai 1939, pp. 83-87.
139
OTU, Petre, « La signification du traité du 10 juin 1926 entre la Roumanie et
la France » in Bâtir une nouvelle sécurité. La coopération militaire entre la
France et les Etats d’Europe centrale et orientale de 1919 à 1929, Paris, 2001,
pp. 499-500.
140
MIDAN, Christophe, « L’aide matérielle militaire française à la Roumanie
dans les années vingt » in Bâtir une nouvelle sécurité. La coopération militaire
entre la France et les Etats d’Europe centrale et orientale de 1919 à 1929, 2001,
Paris, pp. 519-533.
141
ZAHARIA, Gheorghe, BOTORAN, Constantin, Politica de aparare nationala a
României în contextul european interbelic, 1919-1939 (La politique de défense
nationale de la Roumanie dans le contexte de l’entre-deux-guerres, 1919-1939),
Bucuresti, 1981, Ed. Militara, p. 75.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

de l’armée roumaine. Malgré la conviction de Vintila Bratianu que les dirigeants


français vont lui accorder rapidement l’aide financière demandée, les
négociations s’avèrent longues et complexes, en raison des conditions
économiques et financières exigées par les dirigeants de Paris. Ces derniers
subordonnent l’émission de l’emprunt roumain à l’envoi de matériel de guerre et
aux éventuelles commandes que les autorités de Bucarest devraient passer à
142
l’industrie française sur le produit de l’emprunt. Dans une lettre adressée à
Poincaré, en décembre 1922, le Ministre roumain des Finances exprime son
désaccord avec les exigences formulées et réclame « un changement immédiat
143
d’attitude à l’égard d’un pays allié. » Dans l’impossibilité de trouver un accord
avec les dirigeants français, Vintila Bratianu décide le 15 janvier 1924 de rompre
les négociations. Cette décision provoque immédiatement une vive réaction à
Paris, qui accuse, d’une part, l’intervention de la Grande-Bretagne auprès du
gouvernement roumain et, d’autre part, les pressions des frères Bratianu pour
144
obtenir la ratification de la Convention sur la Bessarabie.

La première hypothèse est reprise par l’agence de presse Havas, qui écrit le 25
janvier 1924 que la décision de Vintila Bratianu est due aux pressions exercées
145
par le Foreign Office sur le gouvernement roumain. Selon le communiqué de
cette agence, les Bratianu hésiteraient entre l’amitié de la Grande-Bretagne et
celle de la France. Ces informations provoquent l’inquiétude de Ionel Bratianu,
qui se voit obligé d’informer le gouvernement français que la décision d’arrêter
les négociations pour l’émission de l’emprunt roumain est due uniquement à la
prolongation injustifiée de cette opération. En revanche, le Ministre roumain des
Affaires Etrangères, Ion Gh. Duca, reproche à la diplomatie française, le 27
janvier 1924, d’avoir négligé la Roumanie en faveur de la Pologne et de la
Yougoslavie. Rappelons que la Pologne et la Yougoslavie obtiennent en octobre

142
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Note
pour la Légation de Roumanie à Paris, p. 2256
143
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Note
pour la Légation de Roumanie à Paris, p. 2257 (Trad. du roumain).
144
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Note
la Légation de Roumanie à Paris pour le gouvernement roumain, p. 361.
145
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Note
pour la Légation de Roumanie à Paris pour le gouvernement roumain, p. 362.
67

1923 l’émission sur le marché français d’un emprunt de 400 millions de francs
français et, respectivement, de 300 millions de francs français. Par la même
occasion, Ion Gh. Duca dénonce l’intervention des dirigeants de Paris auprès
des dirigeants roumains, afin d’imposer les intérêts économiques et financiers de
146
quelques groupes industriels français. Au sujet de la question de la ratification
de la Convention sur la Bessarabie, Duca s’exprime dans ces termes : « Le
Gouvernement de Bucarest ne comprend pas l’attitude de la France dans le
problème de la Bessarabie et, plus particulièrement, les raisons pour lesquelles
Henri Béranger, dont la mauvaise réputation est bien connue dans les milieux
diplomatiques internationaux, a été chargé par les dirigeants de Paris de
147
s’occuper du différend, qui opposent la Roumanie et la Russie soviétique. »

La décision du Gouvernement roumain de suspendre les négociations avec la


France provoque également des critiques à Prague. Les journaux
tchécoslovaques publient toute une série d’articles sur cette question, visant à
dénoncer la politique de diversification d’appuis occidentaux pratiquée par les
frères Bratianu depuis leur retour au pouvoir. A titre d’exemple, le Prager
Tageblatt, dans son édition du 28 janvier 1924, condamne le fait que les
autorités de Bucarest envisagent de signer une alliance politique et militaire avec
la Grande-Bretagne, alors que la Roumanie avait des accords bien définis avec
la France et la Petite Entente. Ce journal reproche également aux fréres Bratianu
de faire usage de leur position et de leur influence politique afin que les
entreprises françaises soient exclues des affaires pétrolières de ce pays. Dans
ses conclusions, le Prager Tageblatt s’interroge sur l’impact et les conséquences
d’une éventuelle alliance entre la Grande-Bretagne et la Roumanie sur l’influence
politique et militaire acquise par la France en Europe centrale depuis la fin de la
148
Première Guerre mondiale. Malgré les tentatives de Raymond Poincaré et du

146
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds, România (1921-1934), No. 358 : Note
de Ion Gh. Duca pour la Légation de Roumanie à Paris, p. 370 (Trad. du
roumain).
147
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 : Note
de Ion Gh. Duca à la Légation de Roumanie à Paris, p. 376 (Trad. du roumain).
148
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 : Note de la
Légation de Roumanie à Paris au gouvernement de Bucarest, p. 13.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Quai d’Orsay de convaincre les dirigeants roumains de reprendre les


négociations, les frères Bratianu ne changent pas leur décision. Dans une lettre
adressée au Premier Ministre français, le 27 janvier 1924, le Ministre des Affaires
Etrangères Duca écrit que la décision de son gouvernement ne portera aucune
atteinte à l’alliance roumano-française, mais qu’à l’avenir les dirigeants de Paris
devront offrir plus de garanties politiques et militaires pour la défense des
frontières roumaines et, en particulier, pour la défense de la frontière avec
149
l’Union Soviétique. « La Roumanie, écrit Duca, est décidée à lutter par tous les
moyens contre la révision des Traités de Paix et, plus particulièrement, contre la
Russie soviétique qui représente le vrai danger pour les frontières du pays. Pour
la conclusion d’autres accords, elle exigera des garanties supplémentaires pour
150
la protection de sa frontière avec l’U.R.S.S. »

Face à l’échec des négociations avec la France et à la nécessité d’obtenir un


crédit international pour la réorganisation de l’armée, Ionel et Vintila Bratianu
décident de faire appel à la Grande Bretagne. En juin 1924, Vintila Bratianu se
rend à Londres où il demande à Montagu Norman, Gouverneur de la Banque
d’Angleterre, d’intervenir auprès des milieux financiers de la City en faveur de
l’émission sur le marché anglais d’un emprunt roumain. Cet emprunt, ainsi que
l’explique Bratianu, doit servir au financement de projets de développement
économique de la Roumanie, qui est une condition préalable pour la
151
reconstruction et la consolidation de la paix en Europe centrale. Sans se
prononcer sur les possibilités de fournir à la Roumanie l’aide financière sollicitée,
Norman avertit le Ministre roumain des Finances de la réticence des milieux
financiers de la City à l’égard de la politique économique menée par le

149
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 :
Télégramme de Ion Gh. Duca à Raymond Poincaré, 27 janvier 1924, p. 17.
150
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 :
Télégramme de Ion Gh. Duca à Raymond Poincaré, 27 janvier 1924, p. 17.
151
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 : Note sur
les discussions avec Montagu Norman, Gouverneur de la Banque d’Angleterre,
p. 20.
69

152
gouvernement de Bucarest. En effet, les différentes lois votées par les
dirigeants roumains durant l’été 1924 et, plus particulièrement, la loi des mines
suscitent une forte opposition dans les milieux politiques et financiers de la City,
qui excluent toute participation à l’émission d’un emprunt roumain sur le marché
153
anglais. Le 5 septembre 1924, Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie à
Londres, signale aux dirigeants de Bucarest que les banques anglaises
pourraient changer d’avis s’ils décideront de modifier la loi des mines en faveur
154
de la participation des capitaux étrangers dans l’industrie pétrolière roumaine.
Toutefois, le 20 septembre 1924, le Gouverneur Norman annonce le
gouvernement de Bucarest que l’emprunt ne pourra pas être conclu en Grande
Bretagne car « les milieux financiers de la City refusent même d’aborder la
155
question d’un éventuel emprunt roumain sur le marché anglais. » Les
principales raisons invoquées par la diplomatie anglaise sont que les dirigeants
de Bucarest mènent une politique offensive et provocatrice à l’égard de la
Hongrie et de la Bulgarie et que l’aide financière demandée constituerait une
véritable menace pour la paix et la reconstruction économique de l’Europe
156
centrale. Il faut également préciser que l’opinion publique anglaise est hostile à
la Roumanie car, ainsi que le souligne le Ministre de France à Londres, ce pays
fait partie des vainqueurs de la Première Guerre mondiale et a bénéficié d’un
157
important agrandissement territorial. « À ce titre, note le Ministre français, elle

152
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133, Note sur
les discussions avec Montagu Norman, Gouverneur de la Banque d’Angleterre,
p. 20.
153
Dans un télégramme envoyé à Vintila Bratianu le 16 mai 1924, Nicolae
Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande-Bretagne, avait insisté sur le
mécontentement des milieux politiques et financiers anglais à l’égard des lois
envisagées par les frères Bratianu durant l’été1924.
154
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Anglia, Vol. 39 : Télégramme de
Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande-Bretagne, à Ion Gh. Duca,
Ministre des Affaires Etrangères, le 5 septembre 1924, pp. 1245
155
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Anglia, No. 39 : Télégramme de
Nicolae Titulescu à Ion Gh. Duca, le 20 septembre 1924, pp. 1247.
156
CARMI, La Grande Bretagne et la Petite Entente, p. 92.
157
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 201 : Télégramme du Ministre de France à
Londres au Quai d’Orsay au sujet de la visite du roi Ferdinand à Londres, le 16
mai 1924, p. 337.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

158
est suspecte et doit être surveillée. » Le télégramme envoyé à Paris par le
représentant de la diplomatie française à Londres nous renseigne également sur
l’image de la Roumanie en Grande-Bretagne. La manière, dont l’opinion publique
anglaise perçoit la Roumanie, est très ambiguë et illustre, de notre point de vue,
l’attitude manifestée par les dirigeants britanniques à l’égard de la Roumanie tout
le long de l’entre-deux-guerres. D’éventuelle poudrière à un eldorado, la
Roumanie « ne représente à ses yeux [l’opinion publique anglaise] qu’une vague
partie de cet inquiétant et attirant Orient européen, chaos effervescent, mais
riche en potentiel économique dont on ne sait s’il faut surtout redouter l’explosion
159
ou convoiter l’exploitation. »

Le refus de la City d’accorder un prêt aux dirigeants de Bucarest pourrait


également s’expliquer par la méfiance des dirigeants de Londres à l’égard de la
160
capacité de la Roumanie de régler ses dettes d’avant-guerre. C’est également
un moyen de pression sur les frères Bratianu afin de modifier les lois introduites
durant l’été 1924 et, notamment, loi des mines.

L’échec du gouvernement Bratianu d’obtenir une aide financière étrangère pour


assurer le développement économique de la Roumanie est vivement critiqué par
les adversaires politiques du Parti National Libéral et, notamment par le Parti
National de Transylvanie. Ce dernier exige le retrait immédiat du gouvernement
afin de ne pas compromettre la position internationale de la Roumanie.

158
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 201 : Télégramme du Ministre de France à
Londres au Quai d’Orsay au sujet de la visite du roi Ferdinand à Londres, le 16
mai 1924, p. 337.
159
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 201 : Télégramme du Ministre de France à
Londres au Quai d’Orsay au sujet de la visite du roi Ferdinand à Londres, le 16
mai 1924, p. 337.
160
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, No. 368 : Note sur
l’évolution économique de la Roumanie, p. 3471.
71

3. Le retrait du Gouvernement Bratianu

Comme une dernière tentative pour consolider leur position politique les frères
Bratianu décident de réaliser l’assainissement du système monétaire roumain,
dont l’instabilité paralysait de plus en plus l’activité économique et commerciale
161
du pays. Il convient de préciser que la monnaie roumaine, le leu , enregistrait
depuis la fin de la Première Guerre mondiale une forte dépréciation. A titre
162
d’exemple, en 1922, il avait perdu 97% de sa valeur d’avant-guerre.

Pour ce faire, Vintila Bratianu adopte le 19 juin 1925 une politique de


revalorisation de la monnaie, destinée à relever la valeur du leu à celle d’avant-
163
guerre, par la réduction progressive de la circulation monétaire. Cette politique
sanctionne, en effet, la Convention du 19 mai 1925 conclue par Vintila Bratianu
164 165
avec le Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie , Mihail Oromolu.
Cette Convention fixe le plafond de l’émission à 21 milliards de lei et elle oblige
166
l’État roumain à racheter les émissions inflationnistes de la Banque Nationale
167
jusqu’au 19 mai 1940. La politique de revalorisation prévoit, en outre, la
création d’un fonds spécial, le Fonds de liquidation des émissions publiques, afin
d’augmenter la garantie des prochaines émissions effectuées par la Banque

161
Leu (sg.), Lei (pl.). La valeur du leu-or de l’ancien Royaume de Roumanie est
de 0,3226 gramme avec le titre de 9/10. Jusqu’en 1914, 1 franc suisse
équivalait à 1 leu-or; 1 dollar équivalait à 5,18 lei et 1 livre sterling équivalait à
25,25 lei.
162
ARSENOVICI, Tiberiu, La stabilisation monétaire de la Roumanie, Paris,
Jouve & Cie, 1930, p. 40.
163
Sur cette quation, voir SAIZU, Politica economica a României între 1922 si
1928, pp. 164-165.
164
Voir Annexe V : Gouverneurs de la Banque Nationale de Roumanie, 1919-
1937.
165
Diplômé de la Faculté de Droit de Paris, Mihail Oromolu est nommé
er
Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie le 1 janvier 1922, fonction
qu’il occupera jusqu’au 31 décembre 1926. Mihail Oromolu est successivement
membre du Parti Conservateur, du Parti Conservateur Démocrate et du Parti
National Libéral.
166
L’Etat roumain reprend en 1925 sa participation au capital de la Banque
Nationale, participation abandonnée en janvier 1901.
167
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1926 : Memoriul
Bancii Nationale a României privitor la stabilizarea monetei românesti si
finantarea recoltei anului 1926, le 19 juin 1926, p. 10.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

168
Nationale de Roumanie. La somme des billets à retirer chaque année de la
circulation doit être établie par le Ministère des Finances en collaboration avec la
Banque Nationale. Cette dernière est tenue à augmenter son encaisse
métallique par l’acquisition de nouvelles ressources d’or et de devises, ainsi qu’à
respecter l’interdiction d’accorder tout nouvel emprunt à l’État pendant une
période de vingt ans.

Malgré l’introduction de cette politique de revalorisation, la situation économique


du pays ne connaît pas d’amélioration car le plafond de l’émission de 21 milliards
de lei n’était pas adapté à un pays comme la Roumanie, où les besoins
169
économiques et financiers de la population étaient très importants. Rappelons
que la politique de revalorisation a également été appliquée en Tchécoslovaquie
170
en 1922, par le Ministre des Finances Alois Rasin.

Contestée par l’opinion publique roumaine, la politique de revalorisation du leu


précipite le retrait du gouvernement Bratianu. Le 30 mars 1926, pour ne pas
compromettre définitivement le Parti National Libéral, Ionel Bratianu présente sa
démission au roi Ferdinand. Ce dernier confie la création d’un nouveau cabinet
171
au général Alexandru Averescu. Selon une analyse réalisée en 1929 par
172
l’historien anglais Arnold Toynbee , la nomination de Averescu à la tête du
gouvernement roumain s’expliquerait par le fait que les frères Bratianu
espéraient qu’il obtiendrait par ses orientations italophiles un emprunt de l’Italie.

168
SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 165.
169
ARSENOVICI, La stabilisation monétaire, p. 54.
170
ARSENOVICI, La stabilisation monétaire, pp. 48-50.
171
Le Général Alexandru Averescu (1859-1938) fonde en avril 1918 le
mouvement politique la Ligue du Peuple (Liga Poporului) qui, se transforme en
1920 en Parti du Peuple. Cette formation politique regroupe notamment des
anciens combattants de la Première Guerre mondiale et, ainsi que le souligne
Henri Prost, « tous les mécontents ». Il convient également de préciser que
Averescu avait déjà assuré le gouvernement de la Roumanie à deux reprises :
11 février - 18 mars 1918 et 13 mars -17 décembre 1921.
172
TOYNBEE, Arnold, Survey of international affaires (1927), London, Oxford
University Press, 1929, pp. 160-163.
73

Henri Prost, un observateur français résidant à Bucarest durant les années vingt,
173
confirme également cette hypothèse.

173
PROST, Henri, Destin de la Roumanie (1918-1954), Paris, Berger-Levrault,
1954, pp. 29-30.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

CHAPITRE II : LES TENTATIVES ET LES ÉCHECS DU GÉNÉRAL


AVERESCU D’OUVRIR LA ROUMANIE AUX CAPITAUX ÉTRANGERS, 31
MARS 1926 - 4 JUIN 1927

Dès sa nomination à la tête du gouvernement roumain, le 31 mars 1926, le


général Alexandru Averescu décide de rompre avec la politique économique et
financière promue par les frères Bratianu durant les années 1922-1926 et il
174
s’engage à ouvrir le pays aux capitaux étrangers. Pour le leader du Parti du
Peuple, la mise en valeur des richesses minières et des sources d’énergie du
pays nécessite la modification des lois et des mesures introduites par les frères
175
Bratianu et la création de nouvelles institutions de crédit industriel. Quant aux
capitaux étrangers, Averescu se propose, d’emblée, de soutenir leur participation
au développement du secteur industriel et, plus particulièrement, des industries
métallurgiques et minières, dont l’essor exige d’importantes ressources
financières et compétences techniques. Le développement des usines
métallurgiques de Resita et de Bucarest, la création de nouvelles entreprises,
l’acquisition de nouveaux équipements et la modernisation de l’industrie minière
ne représentent que quelques projets que le gouvernement Averescu souhaite
176
réaliser avec l’aide de la finance étrangère.

La nouvelle politique économique et financière, annoncée par Alexandru


Averescu, est entièrement approuvée par le Gouverneur de la Banque Nationale
de Roumanie, Mihail Oromolu, qui déclare le 10 avril 1926 que le retour au
177
normal n’est possible que par la collaboration avec le capital étranger. Le 26
octobre 1926, la Banque Nationale publie un communiqué officiel, qui dénonce
les mesures d’exclusion du capital étranger du processus de modernisation de la
Roumanie, introduites par Ionel et Vintila Bratianu en 1924, ainsi que la politique

174
SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 90-91.
175
SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 90-91.
176
SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 90-91.
177
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Fonds
Privés : Sir Arthur Salter’s Papers, S 123 : Article publié par le journal roumain
Progresul (le Progrès), le 10 avril 1926.
75

178
de revalorisation du leu. « La Roumanie, déclare le Gouverneur Oromolu, doit
immédiatement abandonner la politique d’exclusion du capital étranger suivie
179
jusqu’ici car elle signifie la ruine du pays. »

Les changements politiques survenus à Bucarest, par suite de la démission du


gouvernement Bratianu, ainsi que l’engagement de nouveaux dirigeants d’ouvrir
la Roumanie aux capitaux étrangers, suscitent immédiatement l’intérêt de
plusieurs établissements financiers étrangers, qui avaient déjà manifesté leur
intention d’investir dans ce pays. A titre d’exemple, le 30 avril 1926, Nicolae
Petrescu-Comnen, Ministre de Roumanie en Suisse, informe le général
Averescu de la discussion qu’il a eu à Berne avec Wilhelm Muehlon, un ancien
180
directeur des usines Krupp. Ce dernier, qui s’était inopinément présenté à la
Légation de Roumanie à Berne, a déclaré à Petrescu-Comnen qu’il a été chargé
par un groupe de banques allemandes, anglaises et hollandaises de se
renseigner sur les affaires industrielles à réaliser en Roumanie et, plus
particulièrement, celles liées à la réorganisation des chemins de fer et au
181
développement du secteur minier. Ce groupe bancaire, ainsi que Muelholm le
précise, serait disposé à investir dans le pays entre 400 et 500 millions de
reichsmarks et à fournir aux dirigeants de Bucarest une importante aide
182
financière à des conditions très avantageuses.

178
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, Vol. 358 (Probleme
economice, 1921-1934) : Déclaration sensationnelle du Gouverneur de la
Banque Nationale de Roumanie, Mihail Oromolu, le 26 octobre 1926, p. 170.
179
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, Vol. 358 (Probleme
economice, 1921-1934) : Déclaration sensationnelle du Gouverneur de la
Banque Nationale de Roumanie, Mihail Oromolu, le 26 octobre 1926, p. 170.
180
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (România si
împrumutul pentru stabilizare, Transa I, 1928-1930) : Télégramme de Nicolae
Petrescu-Comnen au Président du Conseil roumain, le Général Alexandru
Averescu, le 30 avril 1926, p. 90.
181
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (România si
împrumutul pentru stabilizare, Transa I, 1928-1930) : Télégramme de Nicolae
Petrescu-Comnen au Président du Conseil roumain, le Général Alexandru
Averescu, le 30 avril 1926, p. 91.
182
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (România si
împrumutul pentru stabilizare, Transa I, 1928-1930) : Télégramme de Nicolae
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

En outre, les milieux financiers et industriels de la City commencent également à


manifester leur intérêt pour la politique économique et financière, annoncée par
183
le gouvernement Averescu. Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en
Grande-Bretagne, avertit à plusieurs reprises les autorités de Bucarest que les
banques anglaises demandent des renseignements précis sur la situation
économique et financière de la Roumanie, ainsi que sur les différentes
184
possibilités d’investissements dans l’industrie pétrolière. Par ailleurs, le 20 mai
1926 plusieurs journaux anglais annoncent l’ouverture des négociations entre la
Roumanie et la Grande-Bretagne pour l’émission d’un important emprunt
185
roumain sur le marché de Londres.

Il apparaît, ainsi, que le retrait des frères Bratianu ouvre une nouvelle étape dans
l’évolution économique de la Roumanie. L’introduction d’une nouvelle politique
économique et, notamment, l’initiative de Averescu d’ouvrir la Roumanie aux
capitaux étrangers déterminent les milieux financiers et industriels occidentaux à
186
changer leur attitude à l’égard des dirigeants de Bucarest. Dans le
gouvernement formé le 31 mars 1926, le général Averescu confie les Finances à
Ion Lapedatu, les Affaires Étrangères à Ion Mitileniu et l’Intérieur à Octavian
Goga.

Toutefois, l’arrivée au pouvoir de Averescu provoque l’inquiétude des milieux


diplomatiques européens et notamment français en raison des orientations
italophiles des nouveaux dirigeants de Bucarest. Les dirigeants du Quai d’Orsay,

Petrescu-Comnen au Président du Conseil roumain, le Général Alexandru


Averescu, le 30 avril 1926, p. 91.
183
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, No. 358 (1921-1934) :
Télégramme de Nicolae Titulescu au Président du Conseil roumain, Alexandru
Averescu, le 6 avril 1926, p. 114.
184
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, No. 358 (1921-1934) :
Télégramme de Nicolae Titulescu au Président du Conseil roumain, Alexandru
Averescu, le 6 avril 1926, p. 114.
185
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România, No. 358 (1921-1934) :
Télégramme de Nicolae Titulescu au Président du Conseil roumain, Alexandru
Averescu, le 6 avril 1926, p. 114.
186
SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 182-183.
77

ainsi que le démontrent les documents d’archives, s’interrogent sur l’impact et les
conséquences d’un éventuel rapprochement entre la Roumanie et l’Italie sur
l’influence politique et diplomatique, acquise par la France dans ce pays depuis
la fin de la guerre. La Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, les deux autres alliés
de la Roumanie dans le cadre de la Petite Entente, expriment également leur
inquiétude à l’égard des orientations politiques des dirigeants de Bucarest car la
conclusion d’un accord politique et militaire avec l’Italie affaiblirait leur alliance.
Néanmoins, la nommination de Ion Mitilineu aux Affaires Etrangères qui, ainsi
187
que Henri Prost note, est « un des amis les plus éprouvés de la France »
dissipe quelque peu les inquiétudes des diplomaties française, tchécoslovaque
188
et yougoslave.

Le gouvernement Averescu donne, ainsi, l’occasion à Mussolini de faire de la


189
Roumanie l’objet d’une compétition politique et économique avec la France.
Les intérêts en présence sont tant pour la Roumanie que pour l’Italie
considérables. Pour le général Averescu, l’enjeu essentiel du rapprochement
avec l’Italie est l’obtention d’une aide financière pour le développement
économique du pays et la reconnaissance de l’union de la Bessarabie avec la
190
Roumanie. En revanche, Mussolini, animé par le désir de consolider la
présence politique et économique de l’Italie en Europe centrale au détriment de
la France, veut affaiblir les positions françaises et obtenir une place privilégiée
191
dans l’industrie roumaine et, notamment, dans le secteur pétrolier. Pour ce
faire, Mussolini envisage la création d’une union personnelle entre la Bulgarie, la

187
PROST, Destin de la Roumanie, pp. 29-30.
188
Archives du MAEF, Paris, Z Roumanie, 37, Télégramme de Billy, le 2 avril
1927, p. 60 : « Le Ministre des Affaires Etrangères, au nom du nouveau
gouvernement, m’a dit que la politique étrangère du cabinet serait entièrement
conforme à celle de MM. Take Ionescu et Duca, c’est-à-dire qu’elle s’appuierait
sur les Grands Alliés et, en première ligne, sur la France. M. Mitilineu a ajouté
qu’il souhaitait vivement, comme son prédécesseurs, que Votre Excellence
puisse se trouver bientôt à même de signer le traité franco-roumain ».
189
TOYNBEE, Survey of international affaires (1927), pp. 160-163.
190
Il convient de rappeler que l’Italie n’a pas reconnu à Sèvres, en octobre 1920,
l’union de la Bessarabie avec la Roumanie.
191
TOYNBEE, Survey of international affaires (1927), pp. 160-163 et STANCIU,
Laura, « Italian multinational banking in interwar east central Europe », in
Financial History Review 7, 2000, pp. 45-66.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Hongrie et la Roumanie. Ce projet, ainsi que le souligne Traian Sandu, avait pour
principal objectif de rendre de la cohérence économique à l’espace danubien
192
sous l’égide italienne. Par le ralliement de la Roumanie au camp bulgaro-
hongrois, Mussolini détruirait la Petite Entente et l’implicitement l’influence
française en Europe centrale et modifierait les frontières avec la Yougoslavie en
193
sa faveur.

1. Averescu, Mussolini et le développement économique de la Roumanie

Après avoir obtenu l’accord de Mussolini pour l’émission sur le marché italien
d’un emprunt roumain, le général Averescu se rend à Rome le 15 juin 1926, où il
devait rencontrer les dirigeants de la Azienda Generali Italiana di Petroli (AGIP).
Cette société, dont l’intérêt pour l’industrie pétrolière roumaine ne peut être
négligé, s’est, en effet, engagée à accorder à la Roumanie un emprunt de 200
194
millions de lires italiennes, au taux d’intérêt de 7%. « Cet emprunt, ainsi que
précise la Convention signée par la Azienda Generali Italiana di Petroli et
Alexandru Averescu, ne comporte aucune garantie spéciale de la part du
195
gouvernement roumain car il constitue un emprunt de pure confiance. » En
contrepartie, les dirigeants de Bucarest doivent s’engager d’utiliser, sur le produit
de l’emprunt, la somme de 170.410.000 millions de lires italiennes pour le
paiement des commandes de matériel de guerre et d’équipement pour les
196
chemins de fer, effectuées en Italie avant la conclusion de cet emprunt. La
Roumanie ne reçoit dans ces circonstances qu’un montant de 29.590.000
millions de lire italiennes. Quant au reboursement de ce crédit, la Azienda
Generali Italiana di Petroli autorise la Roumanie à effectuer les paiements sur

192
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 263.
193
Au sujet des divergences entre l’Italie et la Yougoslavie en lien avec la
délimitation de leurs frontières, voir TOYNBEE, Survey of international affaires
(1927), pp. 164-169.
194
STÂNGACIU, Anca, Capitalul italian în economia româneasca între anii
1919-1939 (Le capital italien dans l’économie roumaine durant les années 1919-
1939), Cluj-Napoca, EFES, 2004, pp. 30-32.
195
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 562.
196
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 563.
79

197
une période de dix ans, soit en espèces, soit en produits pétroliers. Pour
justifier cette exigences auprès des milieux politiques roumains, le général
Averescu s’exprime dans ces termes : « Cette clause nous permettra de payer
chaque fois que notre intérêt l’exigera, et seulement alors, en produits de pétrole
198
dont dipose l’État soit à titre de redevances, soit de tout autre source. » Par la
même occasion, le gouvernement italien propose aux dirigeants de Bucarest un
deuxième crédit 100 millions de lires, dont le produit doit être entièrement destiné
199
à l’achat en Italie d’équipement pour les industries et l’agriculture roumaine.
Toutefois, ce crédit ne sera jamais accordé à la Roumanie par manque de
moyens financiers.

L’organisation de cet emprunt et, notamment, l’engagement de l’Italie de ratifier


la Convention sur la Bessarabie permettent à Mussolini de soutenir la
pénétration des industries et des capitaux italiens dans les entreprises
200
pétrolières roumaines. Ainsi, Batistini, un des plus proches conseillers du
leader italien, se rend à Bucarest durant les négociations pour l’émission de
l’emprunt roumain, afin d’examiner les différentes possibilités pour l’obtention de
201
nouvelles concessions de terrains pétrolifères. Le 5 août 1926, le journal
italien Il Momento annonce que l’Italie souhaite s’impliquer d’avantage dans
202
l’industrie pétrolière roumaine. Le 16 septembre 1926, date à laquelle
l’emprunt roumain est émis sur le marché italien, nous apprenons que la Azienda
Generali Italiana di Petroli a acquis de nouvelles participations dans trois
sociétés pétrolières roumaines, l’Atlas Petrol, la Prahova SAR et le Petrolul
203
Bucuresti, ainsi que le droit d’exporter du pétrole brut. Toutefois, la
participation des capitaux italiens dans l’industrie pétrolière roumaine reste
relativement modeste par rapport à celle des capitaux anglais, belges, français et

197
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 563.
198
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 562.
199
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 563.
200
SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 185.
201
SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 185.
202
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Italia, Vol. 62 : Extrait d’un article
publié par Il Momento, le 5 août 1926, p. 27.
203
STÂNGACIU, Capitalul italian în economia româneasca, pp. 194-194.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

hollandais. Les principaux secteurs d’investissements pour les capitaux italiens


204
sont représentés par l’industrie forestière (Foresta Româna , Deda Bistra SA,
205
Izvorul Alb et Goëtz) et par l’industrie métallurgique (Phoebus SA Oradea et
206 207
Astra SA Arad ). En novembre 1926, la société Foresta Româna, une des
plus importantes entreprises forestières de Roumanie passe sous le contrôle des
208
capitaux italiens.

En l’absence de ratification de la Convention sur la Bessarabie, que le


gouvernement italien diffère pour le printemps 1927, le traité d’amitié signé par
Averescu et Mussolini en septembre 1926 provoque dans les milieux politiques
209
roumains des critiques violentes. Les frères Bratianu dénoncent la politique
menée par Averescu à l’égard de l’Italie et, notamment, les concessions
accordées à la Azienda Generali Italiana di Petroli en échange d’un crédit de
210 er
29.590.000 millions de lires. Dans son édition du 1 octobre 1926, le journal
roumain Argus manifeste également son désaccord à l’égard du choix effectué
par le général Averescu de se tourner vers l’Italie : « Nous ne pouvons pas
négliger le fait que l’Italie - confrontée au manque de débouchés - trouve en
Roumanie de grandes facilités pour résoudre son problème, alors que le
problème majeur pour notre pays - le besoin de crédit - ne peut trouver en Italie

204
Créée en 1921, la Foresta Româna est une filiale de la société Foresta S.A.
Milan. Cette dernière a été constituée en 1919 sous l’égide de la Banca
Commerciale Italiana et de Camillo Castiglioni afin de prendre le contrôle de
nouvelles industries forestières de l’Europe centrale.
205
Sur la participation des capitaux italiens à l’industrie forestière roumaine, voir
STÂNGACIU, Capitalul italian în economia româneasca, pp. 72-107.
206
Les capitaux italiens, représentés par la Banca Commerciale Italiana et
Camillo Castiglioni, détiennent, durant les années vingt, 84% du total des
capitaux investis dans cette fabrique de wagons et de locomotives.
207
Sur cette question, voir STÂNGACIU, Capitalul italian în economia
româneasca, pp. 107-116.
208
STANCIU, « Italian multinational banking in interwar east central Europe »,
pp. 61-62.
209
Sur cette question, voir SAIZU, Politica economica a României între 1922 si
1928, pp. 185-186.
210
SAIZU Politica economica a României între 1922 si 1928, p. 184.
81

211
qu’une aide très limité. » Les réactions et les critiques des milieux politiques
roumains donnent un support au discours de la diplomatie française, qui
accentue ses pressions sur le gouvernement Averescu. La rencontre du 5
novembre 1926 entre Aristide Briand et Constantin Diamandy, le chef de la
diplomatie française et, respectivement, le Ministre de Roumanie à Paris, se
termine par un véritable ultimatum : Bucarest doit prouver que l’entente avec la
France demeure la base essentielle de sa politique et que le rapprochement
212
avec l’Italie reste artificiel.

Malgré les efforts de Diamandy, le général Averescu, encouragé par son Ministre
de l’Intérieur Octavian Goga, refuse de faire marche arrière et s’engage à
entamer les négociations pour la conclusion d’une alliance politique et
213
économique avec la Hongrie et la Bulgarie. Néanmoins, le rapprochement
italo-roumain sera remis en question le 5 avril 1927 par la signature du traité
d’amitié italo-hongrois, auquel la Roumanie n’a pas été invitée à participer. Du
fait de la contestation hongroise de l’unification avec la Transylvanie et de la non-
ratification de la Convention sur la Bessarabie, Averescu se voit obligé de
changer son attitude à l’égard de l’Italie et implicitement à l’égard de la France.
L’attitude favorable à l’alliance avec la Hongrie et la Bulgarie a été, de notre point
de vue, une stratégie des frères Bratianu, que Averescu a mis en œuvre, à la fois
pour apprécier les bénéfices que la Roumanie pourrait obtenir d’un éventuel
rapprochement avec l’Italie et pour déterminer la France à intervenir
financièrement dans le développement économique de la Roumanie, ainsi qu’à
ratifier la Convention sur la Bessarabie. Le 12 mai 1927, à la conférence de la
Petite Entente de Jachimov, en Tchécoslovaquie, la Roumanie réaffirmera son
appartenance à la Petite Entente et au système de sécurité français.

211 er
ARGUS, 1 octobre 1926, cité par SAIZU, Politica economica a României
între 1922 si 1928, p. 186 (Trad. du roumain).
212
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, pp.
267-275.
213
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, pp.
267-275.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

2. Averescu et la réorganisation financière et monétaire de la Roumanie

L’échec des dirigeants de Bucarest d’obtenir un emprunt plus important de la


part de l’Italie aboutit au retour de la Roumanie à une politique de diversification
d’appuis occidentaux. Ce changement se produit au moment où le
gouvernement roumain décide de demander le soutien de la France et de la
Grande-Bretagne pour la réorganisation financière et monétaire du pays. Par
rapport à ses prédécesseurs, Averescu décide, avec l’assentiment du
Gouverneur Oromolu, de renoncer à la politique de revalorisation du leu et
d’envisager une politique plus réaliste de dévaluation, suivie par la consolidation
214
de la monnaie roumaine à l’aide des financements étrangers.

En visite à la Banque de France, le sous-Gouverneur de la Banque Nationale de


Roumanie, Oscar Kiriacescu, est conseillé par le Gouverneur Moreau le 2
octobre 1926 de rétablir l’équilibre de la balance des paiements par
l’augmentation des exportations et par la création des conditions favorables au
215
placement des capitaux étrangers dans le pays. Afin d’éviter les fluctuations
saisonnières du leu, Moreau propose à la Banque Nationale de Roumanie de
soutenir son cours par l’achat de devises sur le marché roumain en échange des
216
billets émis uniquement à cet effet. En revanche, le Gouverneur de la Banque
d’Angleterre, Montagu Norman, recommande aux dirigeants de Bucarest de
présenter le projet de réorganisation financière et monétaire de la Roumanie au
Comité Financier de la Société des Nations. C’est dans cette optique que Sir
Arthur Salter, Directeur du Comité Economique et Financier de la Société des
Nations est reçu à Bucarest, le 6 novembre 1926, par le Ministre des Finances

214
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1926 : Memoriul
Bancii Nationale a României privitor la stabilizarea monetei românesti si
finantarea recoltei anului 1926, (Le mémoire de la Banque Nationale de
Roumanie sur la stabilisation de la monnaie roumaine et le financement de la
récolte de 1926), le 19 juin 1926, pp. 8-21.
215
MOREAU, Emile, Souvenirs d’un gouverneur de la Banque de France.
Histoire de la stabilisation du Franc (1926-1928), Paris, Ed. M.- Génin, 1954, pp.
119-120.
216
MOREAU, Souvenirs d’un gouverneur de la Banque de France, pp. 119-120.
83

217
Ion Lepedatu et le Président du Conseil le général Averescu. Le journal
roumain Cuvântul (Le Mot) présente dans son édition du 7 novembre 1926 la
visite du représentant de la Société des Nations, qui doit se renseigner sur la
situation monétaire et fiancière du pays, ainsi que sur la participation de la
218
Roumanie à la réorganisation économique de l’Europe centrale. Sans donner
d’avis officiel sur la situation monétaire et financière de la Roumanie, car le
gouvernement Averescu n’a fait aucune démarche auprès de la Société des
Nations, Salter conseille aux dirigeants de Bucarest de solliciter officiellement
l’intervention technique et financière de l’institution de Genève. Les querelles
politiques internes, le désordre financier et notamment l’influence de la famille
Bratianu sur la Banque Nationale de Roumanie expliquent, ainsi que le souligne
219
Anne Orde, l’attitude de Salter.

Toutefois, un article publié dans le journal allemand Frankfurter Zeitung annonce,


le 16 novembre 1926, la stabilisation imminente de la monnaie roumaine sous
les auspices de la Société des Nations car « on a beaucoup remarqué ces
derniers jours la présence à Bucarest de M. Salter de la Société des Nations et
ses multiples conférences avec les personnalités dirigeantes des Ministères des
220
Finances et de l’Industrie ». A la lecture de cet article, nous apprenons
également que « Vintila Bratianu, qui a une influence considérable dans les

217
Archives de la SdN, Genève, Fonds privés : Fonds privés : Sir Arthur Salter
Papers, S 123, No. 19 : Report on economic and financial situation of Romania.
Sur cette question, voir également SAIZU, Politica economica a României între
1922 si 1928, p. 184.
218
Archives de la SdN, Genève, Fonds privés : Sir Arthur Salter Papers, S 123,
No. 19 : Report on economic and financial situation of Romania, Cuvântul, le 7
novembre 1926.
219
ORDE, Anne, British policy and European reconstruction after the First World
War, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
220
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : le Frankfurter Zeitung : Vers la stabilisation du leu roumain, le
16 novembre 1926 (compte rendu de l’article transmis à la BdF).
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

milieux économiques et financiers roumains n’est plus hostile à la politique de


221
stabilisation monétaire avec l’aide des capitaux étrangers. »

Durant le mois de novembre 1926, les dirigeants de Bucarest font également des
démarches auprès de la banque anglaise Schroders pour l’émission sur le
222
marché anglais d’un emprunt roumain. Ainsi, le 26 novembre 1926, Frank
Tiarks, un des directeurs de Schroders, se rend à Bucarest afin d’examiner les
possibilités d’accorder à la Roumanie un crédit de 30 millions de livres.
Schroders envisageait de prendre comme banquier de la Roumanie, la place
détenue avant la Première Guerre mondiale par la Disconto-Gesellschaft.
Rappelons que Schroders avait des intérêts financiers considérables dans ce
pays, par suite de l’achat d’un montant important de titres roumains d’avant-
guerre, qui avaient été placés sur le marché allemand par la Disconto-
223
Gesellschaft. Dès la fin de la guerre, les autorités de Bucarest, s’appuyant sur
les dispositions du Traité de Versailles (article 297 B) relatives à l’annulation des
créances détenues par les banques allemandes sur la Roumanie, refusaient de
reconnaître et de racheter les titres détenus par la banque anglaise car ils étaient
224
présumés appartenir à l’Allemagne.

Les démarches entreprises par le général Averescu auprès de Schroders ne


laissent pas indiférentes les banques allemandes, qui avant la Première Guerre
mondiale ont joué un rôle de premier plan dans l’économie et les finances

221
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : le Frankfurter Zeitung : Vers la stabilisation du leu roumain, le
16 novembre 1926 (compte rendu de l’article transmis à la BdF).
222
BUSSIERE, Eric, « Jean Monnet et la stabilisation monétaire de 1929 : un
« outsider » entre l’Europe et l’Amérique » in BOSSUAT, Gérard et Wilkens,
Andres (éds.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Paris,
Publications de la Sorbonne, 1999.
223
COTTRELL, Philip, « Central bank co-operation and Romanian stabilisation,
1926-1929 » in GOURVISH, Terry (ed.), Business ans Politics in Europe, 1900-
1970, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, pp. 110-113.
224
COTTRELL, Philip, « Central bank co-operation and Romanian stabilisation,
1926-1929 », pp. 110-113.
85

225
roumaines. Ainsi, un consortium allemand dirigé par la Disconto-Gesellschaft
approche le gouvernement roumain en mai 1927 en lui proposant un prêt de 200
millions de reichsmarks pour la stabilisation de la monnaie et la réorganisation
226
des chemins de fer. L’action des banques allemandes s’inscrit dans les efforts
de la diplomatie allemande de résoudre les problèmes financiers, qui opposent la
227
Roumanie et l’Allemagne depuis la fin de guerre. Le règlement des différends
financiers entre les deux pays et, notamment, de ceux liés à l’émission des « lei
Generali » par la Banque Générale de Roumanie durant l’occupation de l’ancien
Royaume par l’armée allemande, a pour principal objectif la reprise des
échanges économiques et commerciaux entre les deux pays. Rappelons que la
Banque Générale de Roumanie est chargée dès janvier 1917 par les autorités
militaires allemandes d’émettre dans les régions occupées de l’ancien Royaume
de Roumanie (la Valachie et l’Olténie) une nouvelle monnaie, de même
dénomination et de même valeur que celle émise par la Banque Nationale. Cette
nouvelle monnaie, appelée donc leu, dont le cours était déterminé par les
Empires Centraux, devient jusqu’en novembre 1918 le seul moyen de paiement
228
pour tout le territoire occupé. De janvier 1917 à novembre 1918, un montant
total de 2.173.000.000 milliards de lei sont mis en circulation par l’Administration
militaire allemande. En ce qui concerne les avantages de cette nouvelle devise
pour l’Allemagne, le Directeur technique de la section d’émission de la Banque
Générale de Roumanie s’exprime dans ces termes : « La création de cette
section d’émission a présenté des avantages extraordinaires pour les

225
Sur cette question, voir DIOURITCH, Georges, L’expansion des banques
allemandes à l’étranger : ses rapports avec le développement économique de
l’Allemagne, Paris, A. Rousseau, 1909.
226
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1928-
1930) : Télégramme de la Légation de Roumanie à Londres au Gouvernement
roumain, le 2 juin1927, p. 201.
227
L’arrivée au pouvoir du général Alexandru Averescu avait déterminé, ainsi
que le souligne Ioan Saizu, la volonté de la diplomatie allemande de résoudre
les différends financiers avec la Roumanie et de consolider les relations
économiques entre les deux pays. Voir SAIZU, Politica economica a României
între 1922 si 1928, pp. 182-183.
228
Les émissions de ce papier-monnaie sont couvertes par un dépôt à la
Reichsbank soit en marks, soit en couronnes-papier à raison de 100 marks pour
125 lei.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Puissances Centrales parce que, par le Traité de paix de Bucarest, ces


Puissances ont imposé au Gouvernement roumain le remboursement des billets
émis. La couverture de ces billets déposée à la Reichsbank de Berlin sera
libérée de fait et reviendra de nouveau aux Puissances Centrales qui rentreront
de cette manière gratuitement en possession des marchandises fournies par la
Roumanie. L’entretien des troupes dans les territoires occupés devient
229
également gratuit. » Le rachat de ces « lei Generali », effectué par la Banque
Nationale de Roumanie à partir d’avril 1919 coûte à l’État roumain
230
7.031.571.264. milliards de lei.

Afin de régler ce différent, le Ministre allemand des Affaires Etrangères, Gustav


Stresemann, rencontre à Genève, le 20 septembre 1926, le général Alexandru
Averescu. Toutefois, les discussions restent sans résultat en raison du refus du
ministre allemand de résoudre la question du remboursement des « lei
Generali » par le biais du plan Dawes, ainsi que l’exigeaient les autorités
roumaines. Les discussions sont reprises en mai 1927, mais les conditions
formulés de nouveau par le gouvernement de Bucarest détermine l’Allemagne de
231
différer la conclusion de tout accord financier jusqu’en septembre 1927. Si la
232
conclusion d’un accord financier entre les deux pays s’avère très difficile , la
normalisation des échanges économiques et commerciaux réussit à faire l’objet
d’une entente entre les dirigeants allemands et roumains. Cette entente est
entièrement approuvée par la la diplomatie française, qui dans le contexte de la

229
Archives SDN, Genève, Section économique et financière, R 310 : Mémoire
sur le rôle de la Société des Nations, de la Commission des Réparations et des
États d’Occident dans le relèvement de l’Europe Orientale exposé d’après
l’exemple de la Roumanie, p. 110.
230
Le cours d’un « leu Generali » est fixé à un leu de la Banque Nationale de
Roumanie.
231
Archives de la BdF, Missions financières en Roumanie, No. 1370200006/13 :
Réclamation roumaine au sujet des émissions de Lei de la Banque Générale de
Roumanie pendant l’occupation allemande.
232
Les négociations pour le règlement des différends financiers qui opposent la
Roumanie et l’Allemagne échouent en raison des difficultés de trouver un accord
sur le montant que l’Allemagne devait payer la Roumanie. Selon les évaluations
allemandes, le remboursement des « lei generali » est estimé à 750 millions de
lei-or, alors que les dirigeants de Bucarest exigent la somme d’un milliard de lei-
or.
87

normalisation des relations franco-allemandes encourage le rapprochement


économique entre la Roumanie et l’Allemagne. La question des différends
financiers existants entre Bucarest et Berlin restera ouverte jusqu’au 10
novembre 1928, date à laquelle les deux pays vont signer un accord dans le
contexte des négociations pour l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation
monétaire et de développement économique de la Roumanie.

3. La réorganisation et le développement des chemins de fer roumains

Le projet de réorganisation des chemins de fer roumains, dont l’importance a


déjà été souligné par Ionel et Vintila Bratianu, est repris par le général Averescu.
Ce dernier, soutenu également par le nouveau Gouverneur de la Banque
233
Nationale de Roumanie, Dimitrie Burillianu , se propose d’organiser un emprunt
international pour la réalisation de ce projet en raison de l’importance des
ressources financières nécessaires pour le développement rapide du réseau
ferroviaire roumain. Le 29 mars 1927, lors d’un voyage à Londres, Dimitrie
Burillianu admet la nécessité d’une aide financière étrangère pour la
réorganisation et le développement des chemins de fer roumains et propose à la
Grande-Bretagne de prendre en Roumanie l’influence et la position économique
234
que l’Allemagne occupait avant la guerre.

Le 7 mars 1927, Averescu réussit à signer un accord financier et industriel avec


le Groupement Roumanie, une association française qui regroupe dès janvier
1927 les principales entreprises sidérurgiques, métallurgiques et mécaniques de
matériel de chemins de fer susceptibles d’assurer les fournitures et les travaux

233
Après l’expiration du mandat de Mihail Oromolu le 16 janvier 1927, Dimitrie
Burillianu est nommé à la tête de la Banque Nationale de Roumanie, fonction
qu’il occupera jusqu’au 10 mars 1932.
234
Archives de la BdF, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Leu improvement, Government to Stabilise Exchange at its
Natural Level, Statement by Dimitrie Burileano in The Financial News, le 29
mars 1927.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

235
de réorganisation des chemins de fer roumains. Cet accord prévoit
l’engagement du Groupement Roumanie de fournir aux dirigeants de Bucarest
tout le matériel et les équipements nécéssaires pour la reconstruction et le
développement du réseau féroviaire roumain. Quant à son financement, la
Roumanie obtiendrait une importante aide financière française, dont le montant
devait être établi, qu’elle utilisera pour le paiement de toutes les commandes
236
effectuées auprès des industries françaises.

A l’origine de ce projet de collaboration économique entre les industries


françaises et la Roumanie nous trouvons E. Metzger, fondateur et Ingénieur-
237
Conseil du Groupement Roumanie. L’idée de Metzger de mettre en place le
Groupement Roumanie date de la fin la guerre et vise à promouvoir les intérêts
économiques de la France dans les nouveaux États de l’Europe centrale.
Partisan du rapprochement économique entre la France et l’Allemagne, Metzger
prendra l’initiative d’associer au projet roumain, malgré les réticences de la
diplomatie française, les industries allemandes. Dans une lettre adressée au
Président du Conseil français Raymond Poincaré, le 10 décembre 1928, il
présente les raisons, qui l’ont déterminé à soutenir la participation des industries
allemandes à la restauration des chemins de faire roumains. Metzger souligne
l’importance de la collaboration avec les industries allemandes au sein du
Groupement Roumanie en raison de l’experience et des connaissances acquises
par l’Allemagne dans ce pays avant 1914. Pour justifier son initiative, Metzer
s’exprime dans ces termes : « S’agissant d’un pays allié de la France, après
avoir été longtemps soumis à l’influence économique allemande, il m’a semblé
qu’une telle union pouvait être féconde et qu’elle devait fatalement porter le

235
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/4 : Note relative à la pénétration économique française en
Roumanie, le 7 décembre 1928, pp. 1-4.
236
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/4 : Note relative à la pénétration économique française en
Roumanie, le 7 décembre 1928, pp. 1-4.
237
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre E. Metzger à Raymond Poincaré, le 10 décembre 1928.
89

sceau de la prépondérence française et assurer à Paris le centre de cette


238
opération. »

Les efforts du général Averescu d’obtenir une aide financière internationale pour
promouvir le développement de l’économie roumaine reçoivent un coup d’arrêt le
4 juin 1927. Dans l’impossibilité de réaliser un gouvernement d’union nationale,
ainsi que l’avait exigé le roi Ferdinand, le général Alexandru Averescu se voit
239
obligé de démissioner.

Selon Traian Sandu, cette démission est entièrement organisée par Ionel et
Vintila Bratianu, qui mettent en avant, pour faire passer leurs trucages
électoraux, les excès italophiles et le risque d’un régime autoritaire du général
240
Averescu. Les frères Bratianu ont soutenu la nomination de Averescu à la tête
du gouvernement, le 30 mars 1926, afin de pouvoir refaire leur popularité, ainsi
que d’éviter les critiques et les attaques directes de la véritable opposition
populaire qui se met en place durant l’année 1926, par la fusion du Parti National
241
Paysan et du Parti National de Transylvanie au sein du Parti National Paysan.
Le 19 juin 1927, Ionel Bratianu est chargé de nouveau par le roi Ferdinand de
constituer un gouvernement libéral, qui entrera en fonction le 22 juin 1927.

238
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre E. Metzger à Raymond Poincaré, le 10 décembre 1928.
239
PROST, Destin de la Roumanie, pp. 30-31.
240
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 281.
241
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 281.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

CHAPITRE III : LE BREF RETOUR AU POUVOIR DU PARTI NATIONAL


LIBÉRAL ET LA TENTATIVE D’UNE NOUVELLE POLITIQUE ÉCONOMIQUE
ET FINANCIÈRE, 22 JUIN 1927 - 10 NOVEMBRE 1928

Dès leur retour au pouvoir, les frères Bratianu annoncent l’introduction d’une
nouvelle politique économique et financière, basée essentiellement sur le
développement du secteur agricole et l’ouverture du pays aux capitaux
étrangers. L’importance que Ionel et Vintila Bratianu accordent à l’agriculture,
ainsi que l’annonce de la collaboration avec la finance étrangère s’expliquent par
le fait qu’ils souhaitent consolider leur position au détriment du Parti National
Paysan, dont les attaques et les critiques devenaient de plus en plus
242
violentes. Cette formation politique exige, dès sa création en octobre 1926 par
la fusion du Parti National Paysan de Ion Mihalache et du Parti National de
Transylvanie de Iuliu Maniu, l’éloignement du Parti National Libéral de la vie
243
politique et économique de la Roumanie.

Pour appliquer ce nouveau programme économique, les frères Bratianu


s’engagent à introduire de nouvelles mesures, visant à soutenir le
développement du secteur agricole et l’amélioration des conditions de travail de
la population rurale, qui représente 80% de la population totale de la Roumanie.
Parmi ces mesures, nous mentionnons la création de nouvelles institutions de
crédit agricole, le développement des industries basées sur l’utilisation des
produits agricoles, la réduction des droits de douane sur les importations
d’équipement agricole, ainsi que sur certains produits de consommation
244
courante, etc. Pour ce qui est des moyens financiers nécéssaires pour la mise

242
Archives de la BdF, Paris, Missions française françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Virgil MADGEARU, La situation politique en Roumanie, Alba
Iulia, mai 1928, pp. 1-22 et SAIZU, Politica economica a României între 1922 si
1928, pp. 188-189.
243
Archives de la BdF, Paris, Missions françaises françaises en Roumnaie, No.
1370200006/13 : Virgil MADGEARU, La situation politique en Roumanie, Alba
Iulia, mai 1928, p. 12.
244
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, pp.
570-571.
91

en œuvre de toutes ces mesures,Vintila Bratianu affirme que le gouvernement


roumain envisage d’entreprendre de nouvelles démarches auprès de la France
et de la Grande-Bretagne, afin d’obtenir un emprunt international, dont le produit
245
sera entièrement destiné au développement économique du pays.

Conscient de la réticence des milieux économiques et financiers de la City à


l’égard de son gouvernement, Ionel Bratianu confie le portefeuille des Affaires
246
Etrangères à Nicolae Titulescu. Diplômé de la Faculté de droit de Paris en
1905, Titulescu devient, après la Première Guerre mondiale, une perssonage
politique d’envergure européenne, processus largement favorisé par sa position
de représentant de la Roumanie à la Société des Nations, ainsi par sa position
de ministre plénipotentiaire de Roumanie en Grande-Bretagne. Défenseur de la
paix internationale, de la reconstruction économique de l’Europe et de la Société
des Nations, Titutlescu jouit d’un grand prestige international. En Grande-
Bretagne, il est beaucoup apprécié pour ses convictions politiques en faveur de
la paix internationale et la prévention de nouveaux conflits et, notamment, pour
son engagement auprès de la Société des Nations. Par sa nomination aux
Affaires Etrangères, les frères Bratianu visent à démontrer à l’opinion publique
internationale que la Roumanie fait partie des États attachés à la consolidation
de la paix internationale et, plus particulièrement, centre-européenne et à la
reconstruction économique et financière du Vieux Continent.

245
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p. 571.
246
Professeur de droit international aux Universités de Bucarest et de Iasi,
Nicolae Titulescu (1882-1941) devient à l’issue de la Première Guerre mondiale
un personnage politique d’envergure européenne. Parmi les principales
fonctions occupées par Titulescu durant les années 1919-1935, nous
mentionnons celles de Ministre des Finances (décembre 1918 - septembre
1919), de Ministre de Roumanie à Londres (janvier 1922 - juin 1927 et
novembre 1928 - 1932), de Ministre des Affaires Etrangères (juin 1927 -
novembre 1928 et 1923 - 1936) et de représentant de la Roumanie auprès de la
Société des Nations. En 1936, Nicolae Titulescu est démis de toutes ses
fonctions officielles par le roi Carol II et il est obligé de quitter le pays pour la
Suisse et, ensuite, pour la France. Il décédera quelques années plus tard en
1941 à Cannes.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

1. Les démarches effectuées par Vintila Bratianu pour l’obtention d’un emprunt
international pour le développement économique de la Roumanie, juin 1927 -
décembre 1927

Pressés d’obtenir une aide financière internationale pour mettre en œuvre leur
nouveau programme économique, les frères Bratianu décident de s’adresser à la
Grande-Bretagne. Pour ce faire, Vintila Bratianu, renommé Ministre des
Finances, se rend à Londres en juillet 1927 afin de se renseigner sur les
conditions et les exigences des milieux financiers de la City pour l’émission d’un
éventuel emprunt roumain sur le marché anglais. Dans une entrevue avec le
Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Montagu Norman, le Ministre roumain
des Finances révèle le programme économique, adopté par son gouvernement,
et il insiste sur l’importance de la collaboration avec les capitaux étrangers pour
assurer le développement du pays. Vintila Bratianu souligne l’importance que
son gouvernement attache à la réorganisation et au développement des chemins
de fer roumains, qui représentent un véritable obstacle pour la normalisation des
échanges économiques et commerciaux internes et internationux de la
Roumanie. C’est un projet de grande envergure, dont la réalisation exige de
considérables moyens financiers. La construction de nouvelles lignes
ferroviaires, l’achat de matériel et des équipements ferroviaires, l’agrandissement
et l’équipement des ports et des centres de transit représentent une nécessité
247
pour le bon fonctionnement du réseau ferroviaire roumain. Après avoir
démandé des précisons sur la situation monétaire et financière de la Roumanie,
le Gouverneur Norman conseille Vintila Bratianu de s’adresser à la Société des
Nations. Cette dernière représente, ainsi que le souligne Norman, la seule
institution en mesure d’accorder à la Roumanie une aide financière pour le
développement économique du pays. Montagu Norman évoque le cas de la
Hongrie qui, en juin 1924, avait obtenu par le truchement de la Société des

247
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, R 310 :
Mémoire sur le rôle de la Société des Nations, de la Commission des
Réparations et des Etats d’Occident dans le relèvement de l’Europe orientale.
Exposé d’après l’exemple de la Roumanie, Mémoire présenté par Nicolae
Titulescu à la Société des Nations, décembre 1924, pp. 20-21.
93

Nations un emprunt international pour la stabilisation de la monnaie et la


reconstruction économique du pays.

Face à l’intransigeance de Norman d’accepter l’émission d’un emprunt roumain


sur le marché anglais, les dirigeants de Bucarest décident de s’adresser à la
Société des Nations. Dans ces circonstances, Vintila Bratianu se rend à Genève
le 7 septembre 1927, afin de se renseigner sur les conditions et les démarches à
effectuer pour l’émission d’un emprunt roumain sous les auspices de la Société
248 249
des Nations. Reçu par Sir Arthur Salter , Bratianu explique, en insistant sur
l’importance que son gouvernement accorde à la réorganisation des chemins de
fer et au développement du pays, les raisons économiques et financières qui
déterminent les dirigeants roumains de faire appel à cette institution.

Salter, déjà averti par Montagu Norman des démarches effectuées par les
dirigeants roumains auprès de la Banque d’Angleterre, informe Vintila Bratianu
que la Société des Nations pourrait effectivement participer financièrement au
processus de développement économique de la Roumanie. Par la même
occasion, Salter fait savoir au gouvernement de Bucarest que l’émission d’un
emprunt roumain sous l’égide de la Société des Nations implique le respect de
certaines conditions et exigences. Ces conditions, ainsi que le précise Salter,
sont en lien avec la stabilisation de la monnaie roumaine, le leu. La Société des
Nations subordonne sa participation à l’émission de tout emprunt roumain à
250
l’engagement des dirigeants de Bucarest de réaliser la stabilisation monétaire.
Selon Salter, cet engagement permettra au gouvernement de consolider le crédit
international de la Roumanie et d’obtenir de meilleures conditions pour l’émission
d’un emprunt international. Face à la reticence de Vintila Bratianu d’accepter la

248
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13
septembre 1927, pp. 1-6.
249
Arthur Salter est Directeur du Comité économique et financier de la Société
des Nations.
250
Sur cette question, voir Archives de la BdF, Paris, Missions financières
françaises en Roumanie, No. 1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles
Rist à Pierre Quesnay, le 13 septembre 1927, pp. 1-2.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

stabilisation du leu, Arthur Salter, soutenu également par Otto Niemeyer et Henry
Strakosch, met l’accent sur les difficultés de la Roumanie d’obtenir une aide
financière internationale sans réaliser la stabilisation monétaire.

Peu convaincu par les arguments relatifs à la stabilisation du leu, Vintila Bratianu
demande à Salter d’ajourner les négociations de la Roumanie avec la Société
des Nations afin de pouvoir consulter son gouvernement au sujet de la
stabilisation monétaire. Le mécontentement, voire la déception, du Ministre
roumain des Finances à l’égard des exigences formulées par la Société des
Nations sont minutieusement décrits par le sous-Gouverneur de la Banque de
France, Charles Rist, dans la lettre envoyée le 13 septembre 1927 à Pierre
251
Quesnay, Directeur des Études Économiques de la Banque de France. Dans
cette lettre, Rist fait le compte-rendu de l’entrevue privée qu’il a eu à Genève
avec le Ministre roumain des Finances, le 9 septembre 1927. Ce dernier, ayant
sollicité une rencontre inopinée avec Rist, explique les raisons de sa présence à
la Société des Nations, ainsi que le résultats des discussions avec Sir Arthur
Salter. Bratianu souligne le fait que son gouvernement ne souhaite pas obtenir
un emprunt international pour la stabilisation monétaire car la réalisation du
programme de développement économique conduira implicitement à la
stabilisation du leu. « Ma stabilisation, affirme Bratianu, se fera toute seule, parce
252
que la productivité du pays sera accrue.»

Aux arguments invoqués par Salter pour réaliser la stabilisation monétaire, tels
que la consolidation du crédit international de la Roumanie et des meilleures
conditions pour l’émission d’un emprunt international, Vintila Bratianu explique à
Charles Rist qu’il ne peut pas accepter ces raisons. Il justifie son refus en
déclarant que : « D’abord, je suis décidé à me fixer un maximum pour les
emprunts étrangers, et, en second lieu, il y a des groupes étrangers (Schroder

251
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13
septembre 1927, pp. 1-6.
252
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13
septembre 1927, p. 2.
95

253
m’a dit Monnet) qui sont disposés à me prêter même sans stabilisation.»
Quant à l’intervention de la Société des Nations en Roumanie, Bratianu se
montre très réticent, voire hostile, à une éventuelle collaboration avec cette
institution en raison du contrôle financier qu’elle instaurerait sur les finances du
pays. Il défend sa position en soulignant les conditions et les méthodes
draconiennes utilisées par la Société des Nations en Grèce, qui a été obligée de
254
réformer sa Banque Nationale. Vintila Bratianu critique également la mission et
l’activité de l’institution de Genève qui, « jusqu’ici, n’a fourni son concours au
relèvement financier que des pays vaincus, de ceux qui n’ont pas su trouver en
255
eux-mêmes l’énergie de se rétablir financièrement.» L’intervention de la
Société des Nations en Roumanie impliquerait, ainsi que Vintila Bratianu précise,
un changement de procédure car « la S.D.N. doit trouver une nouvelle formule
pour les pays comme le mien. Il faut en tout cas qu’elle me convainque moi
256
d’abord que les conditions qu’elle pose sont nécessaires si je dois les faire
accepter par mon pays. Or, j’estime qu’un pays comme la Roumanie ne peut être
257
soumis ni à un Contrôleur ni à un Commissaire. »

En approuvant l’attitude de son interlocuteur à l’égard de la Société des Nations,


Rist conseille Vintila Bratianu d’envisager la stabilisation du leu. La politique de
stabilisation monétaire, affirme Rist, « à tort ou à raison, est devenue aujourd’hui
258
pour les marchés étrangers l’enseigne et la marque d’une situation

253
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13
septembre 1927, p. 2.
254
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13
septembre 1927, p. 2.
255
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13
septembre 1927, p. 2.
256
Souligné dans le texte.
257
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13
septembre 1927, p. 4.
258
Souligné dans le texte.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

259
économique et budgetaire définitivement consolidée. » Pour Rist, les
dirigeants de Bucarest devraient réaliser la stabilisation monétaire avant
d’envisager tout projet de développement économique. Afin de convaicre Vintila
Bratianu d’accepter la stabilisation de la monnaie, Rist évoque le cas de la
Pologne qui, après avoir fait des démarches auprès de la Société des Nations,
s’est adressée à la Federal Reserve Bank de New York pour achever la
stabilisation du zloty. Tout en admettant le point de vue de Rist, le Ministre
roumain se voit obligé de dévoiler les raisons qui empêchent les autorités de
Bucarest d’envisager la stabilisation de la monnaie. Essentiellement d’ordre
moral et politique, les raisons évoquées par Bratianu révèlent l’inquiétude du
Parti National Libéral de rester au pouvoir au détriment des attaques et des
critiques du Parti National Paysan. Pour justifier son opposition à la stabilisation
monétaire, Vintila Bratianu insiste sur les conséquences économiques et
sociales de la stabilisation du leu : « J’ai fait la réforme agraire. Je dois quinze
milliards de lei d’indémnités aux propriétaires, dont la moitié reste à payer et à
trouver par des emprunts. Or, quand j’ai promis ces indemnités il s’agissait de
lei-or. Vais-je par la stabilisation dépouiller deux fois mes proriétaires fonciers ?
Une première fois par l’expropriation à une évaluation déjà assez basse, une
260
deuxième fois par la dévaluation de leur titres-or en titres-papier ? » Il apparaît
clairement que les raisons politiques des dirigeants libéraux l’emportent sur les
intérêts économiques et financiers du pays.

Décidé à demander une aide financière étrangère pour assurer le


développement économique de la Roumanie et non pas pour réaliser la
stabilisation du leu, les frères Bratianu décident de prendre contact avec un
groupe de banques allemandes, dirigé par la Disconto-Gesellschaft. Cette
dernière, ainsi que l’explique Vintila Bratianu, serait disposée à accorder à son
gouvernement un emprunt très important sans exiger la stabilisation monétaire.

259
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13
septembre 1927, pp. 3-4.
260
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Extrait d’une lettre de Charles Rist à Pierre Quesnay, le 13
septembre 1927, pp. 4-5.
97

Les banques allemandes seraient même prêtes à verser à la Roumanie une


261
indemnité pour les « lei Generali » , émis par la Banque Générale de
Roumanie durant l’occupation du Vechiul Regat (novembre 1916 - novembre
1918) par les armées austro-allemandes. Toutefois, les divergences, qui
opposent les dirigeants roumains et leurs homologues allemandes au sujet de
Traité de Bucarest (7 mai 1918), font échouer les pourparlers. Malgré l’insistance
de la Disconto-Gesellschaft de reprendre les négociations, Ionel et Vintila
Bratianu décident de renoncer au crédit proposé par les banques allemandes.
L’intention de Vintila Bratianu d’approcher la banque anglaise Schroders pourrait
expliquer l’intransigeance des dirigeants roumains à l’égard des banques
allemandes.

Toutefois, l’intention du Ministre roumain des Finances de faire appel à


Schroders est contrecarrée par les démarches effectuées par Nicolae Titulescu,
Ministre des Affaires Etrangères, auprès de la Société des Nations. En effet,
Titulescu avait pris l’initiative de demander à Sir Otto Niemeyer de se rendre à
Bucarest afin d’étudier la situation économique et financière du pays. Partisan de
l’intervention de la Société des Nations dans la reconstruction économique et
financière de l’Europe centrale, Titulescu a essayé à plusieures reprises de
convaincre les frères Bratianu d’accepter la collaboration avec cette institution.
Tout en approuvant l’initiative du Ministre roumain des Affaires Etrangères, le
Gouverneur Norman intervient immédiatement auprès des dirigeants de
Bucarest et les conseille d’accepter de travailler avec la Société des Nations.
Norman intervient également auprès de Frank Tiarks, un des directeurs de la
banque Schroders, et lui demande de persuader les dirigeants roumains de faire
appel à l’institution de Genève.

261
Leu (sg.), Lei (pl.). Les « lei Generali » sont émis par la Banque Générale de
Roumanie durant l’occupation de l’ancien Royaume de Roumanie par les
armées austro-allemandes de novembre 1916 à novembre 1918.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

262
Cependant, le 22 novembre 1927, dans un entretien avec Louis-Dreyfus ,
Consul général de Roumanie à Paris, Ionel et Vintila Bratianu expriment leur
intention de s’adresser aux marchés américain et français pour l’émission d’un
263
emprunt de deux milliards de francs français. Les démarches entreprises par
la Pologne auprès des banques américaines et françaises dès septembre 1926
en vue de l’émission d’un emprunt international pour la stabilisation du zloty et le
développement économique, nous semblent être à l’origine de la décision des
264
frères Bratianu de se tourner vers les marchés américain et français. Ionel
Bratianu évoque même l’idée d’envoyer immédiatement à Paris Victor Antonescu
afin de commencer les négociations avec les banques françaises. Dans ses
Mémoires, le Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau, écrit avoir
confié à Louis Dreyfus la mission « de suggérer à M. Jean Bratiano d’émettre un
emprunt en France et aux Etats-Unis pour stabiliser le leu, sans passer par le
265
Comité de Genève. »

Le 24 novembre 1927, le décès inopiné du Président du Conseil roumain, Ionel


Bratianu, interrompt pour quelques semaines les démarches que les dirigeants
266
de Bucarest avaient décidé d’entrependre auprés des banques françaises.
Succédant à son frère aîné à la présidence du Parti National Libéral, Vintila
267
Bratianu est appelé par la Régence pour prendre la direction du Conseil,

262
Dans l’ouvrage de MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de
France, p. 422, Louis-Dreyfus est également mentionné comme banquier
négociant en céréales.
263
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
….
264
DUCHÊNE, François, Jean Monnet. The first statesman of interdependence,
New York, London, W.W. Norton & Compagny, p. 47.
265
MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 422.
266
Rappelons que Ionel Bratianu décède le 24 novembre 1927, par suite des
complications d’une laryngite infectieuse mal soignée. Les causes de son décès
sont très controversées. On affirme même que Ionel Bratianu a été empoisonné
par ses adversaires politiques.
267
Par suite du décès du roi Ferdinand le 20 juillet 1927, le prince Michel, âgé
de cinq ans, est proclamé roi de Roumanie sous l’égide d’un conseil de
Régence. Rappelons que Carol II, le fils aîné du roi Ferdinand, a renoncé à ses
droits à la succession au trône de la Roumanie en 1925, en faveur de son fils
Michel. Le conseil de Régence est composé du prince Nicolae, second fils du roi
99

fonction qu’il cumulera avec la gestion des Finances. Dans son discours
d’investiture, Vintila Bratianu annonce le début des négociations avec les
banques américaines et françaises pour l’émission d’un emprunt international,
destiné à stabiliser le leu et à financer la réorganisation des chemins de fer. Pour
comprendre les enjeux de cette déclaration, il nous semble nécessaire de
préciser le fait que Vintila Bratianu cherche à consolider et à assurer le maintien
268
au pouvoir du Parti National Libéral au détriment du Parti National Paysan.

Décidé, donc, à rester au pouvoir, Vintila Bratianu confie à Victor Antonescu,


Ministre de Roumanie à Paris, le 15 décembre 1927 la mission de commencer
les négociations avec la Banque de France pour l’émission d’un emprunt
roumain, destiné à stabiliser la monnaie et à réaliser le développement
269
économique du pays.

Ferdinand, du Patriarche de Roumanie Miron Cristea et du Président de la Cour


de Cassation Gheorghe Buzdugan. Il exercera ses fonctions jusqu’au 5 juin
1930, date à laquelle Carol II décide de revenir en Roumanie et de se proclamer
roi.
268
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Virgil Madgearu, La situation politique en Roumanie, mai 1928,
pp. 19-20.
269
Sur la question de la stabilisation monétaire de la Roumanie, consulter
l’ouvrage de MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France,
SAYERS, Richard, The Bank of England, 1891-1914, Vol. I, Cambridge,
Cambridge University Press, 1976, pp. 195-199, MEYER, Richard Hemming,
Bankers’ Diplomacy : Monetary Stabilization in the Twenties, New York and
London, 1970, pp. 100-137 et les articles de COTTRELL, P. « Central bank co-
operation and Romanian stabilisation, 1926-1929 » in GOURVISH, Terry (ed.),
Business and Politics in Europe, 1900-1970, Cambridge, Cambridge University
Press, 2003 et de MOURE, K. «French money doctors, central banks, and
politics in the 1920s » in FLANDREAU, Marc (éd.), Money Doctors.The
experience of international financial advising 1850-2000, London, 2003, pp. 138-
16 et RACIANU, Ileana, « The Banque de France, the Bank of England, and the
Stabilization of the Romanian Currency in late 1920s » in QUENNOUELLE-
CORRE, Laure et CASSIS, Youssef (éds.), Financial Centres and International
Capital Flows in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Oxford University
Press, 2011, pp. 198-208.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

2. La Banque de France et les négociations pour l’émission de l’emprunt roumain


de stabilisation monétaire et de développement économique, 15 décembre 1927
- novembre 1928

Après avoir suivi les démarches effectuées par les dirigeants roumains dès juillet
1927 auprès de la Banque d’Angleterre, de la Société des Nations et de la
Disconto-Gesellschaft, le Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau,
est appelé à se prononcer sur les conditions et les exigences du marché français
pour l’émission d’un emprunt roumain. Dans une entrevue avec Poincaré, le 7
novembre 1927, Moreau avait déjà exprimé son intérêt pour l’émission d’un
270
emprunt roumain, visant à réaliser la stabilisation de la monnaie roumaine.
L’objectif principal de son initiative est, ainsi qu’il affirme, de substituer, en
Europe centrale, l’influence de la Banque de France à celle de la Banque
271
d’Angleterre. Tout en approuvant cette initiative qui permettra également à la
France de consolider l’influence acquise dans cette région depuis la fin de la
Première Guerre mondiale, Raymond Poincaré avertit Moreau des éventuelles
difficultés, liées aux questions politiques internes de la Roumanie. Il met l’accent
sur la réticence des dirigeants roumains de stabiliser la monnaie, ainsi que sur
l’opposition acerbe entre le Parti National Libéral et le Parti National Paysan, qui
pourrait affaiblir la position de Ionel Bratianu, voire provoquer un changement de
272
gouvernement. Toutefois, les changements politiques survenus en Roumanie,
par suite du décès de Ionel Bratianu, semblent dissiper toute crainte relative à
l’éloignement des Libéraux du gouvernement en faveur du Nationaux Paysans.
La décision de Vintila Bratianu de réaliser la stabilisation monétaire de la
Roumanie avec l’aide de la Banque de France, au détriment de la Société des
Nations et de la Banque d’Angleterre, donne l’occasion au Gouverneur Moreau
et implicitement à Raymond Poincaré de défendre la position et l’influence de la
Banque de France et celle de la France en Europe centrale.

270
MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, pp. 421-
422.
271
MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 422.
272
MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 422.
101

Le 15 décembre 1927, Moreau reçoit à la Banque de France le représentant du


gouvernement roumain, Victor Antonescu, chargé par Vintila Bratianu de
273
commencer les négociations avec la Banque de France. Dans ses Mémoires,
Emile Moreau témoigne de l’entrevue avec le représentant du gouvernement
roumain, ainsi que des conseils donnés aux dirigeants de Bucarest pour garantir
le succès de l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire et de
274
réorganisation des chemins de fer. Il explique de manière détaillée à
Antonescu les étapes et les conditions générales, requises par la Banque de
France pour l’organisation de cet emprunt. Afin de réaliser la stabilisation
monétaire, Moreau conseille Vintila Bratianu d’entamer, dans un premier temps,
des négociations avec des banques privés et de conclure un accord relatif aux
conditions et aux crédits qu’elles pourront offrir pour cette opération. La Banque
Nationale de Roumanie devra s’adresser, dans un deuxième temps, à la Banque
de France et lui demander d’organiser un consortium de banques centrales qui
participera à l’émission de l’emprunt. De cette manière, la banque centrale
française se verra confier par la Banque Nationale de Roumanie la mission « de
lui servir d’intermédiare pour obtenir des ouvertures de crédit des autres
Banques d’Emission de façon à éviter à la Roumanie de passer par le Comité
275
financier de Genève. » Dès que tous ces démarches seront réalisées, la
Banque de France enverra Bucarest un représentant pour établir un rapport sur
la situation économique, financière et monétaire du pays, qui constituera la base
des négociations avec toutes les banques d’émission intérésées par la
stabilisation de la monnaie roumaine. Par la même occasion, le Gouverneur
Moreau avertit les dirigeants de Bucarest que la mise en œuvre d’un Programme
de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie
implique l’instauration d’un contrôle financier sur le pays que « (...) nous nous
efforcerions de rendre le moins pénible possible pour l’amour-propre

273
BUSSIERE, Eric, « Jean Monnet et la stabilisation monétaire de 1929 : un
« outsider » entre l’Europe et l’Amérique » in BOSSUAT, Gérard et Wilkens,
Andres (éds.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, Paris,
Publications de la Sorbonne, 1999, pp. 67.
274
MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 452.
275
MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 452.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

276
roumain.» Ce contrôle, ainsi que le précise Emile Moreau, pourra être exercé
par un Français, dont le rôle principal sera de surveiller la politique monétaire de
277
la Banque Nationale de Roumanie.

La procédure annoncée par le Gouverneur de la Banque de France aux


dirigeants roumains est en effet similaire à celle que la Pologne a suivi en 1927
en collaboration avec la Federal Reserve Bank de New York pour l’émission de
278
l’emprunt de stablisation monétaire. Rappelons que la Pologne, après avoir
effectué des démarches auprès de la Société des Nations, décide en septembre
1926 de faire appel à la Federal Reserve Bank de New York et aux banques
privées américaines, Blair & Co. et Chase Securities Corporation, afin
279
d’organiser l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire. La décision de
la Pologne de s’adresse à la Federal Reserve Banque de New York provoque
des divergences avec le Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Montagu
Norman. Ce dernier subordonne la participation de la Banque d’Angleterre à la
stabilisation de la monnaie polonaise, le zloty, à l’installation d’un expert financier
anglais à Varsovie, ainsi qu’au règlement des questions d’ordre politique et
280
territorial avec ses voisins et, notamment, avec l’Allemagne.

Afin de se décider sur leur participation à la stabilisation polonaise, les banques


américaines décident d’envoyer à Varsovie une commission d’experts financiers
et monétaires, dirigée par Edwin W. Kemmerer afin d’étudier la situation

276
MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 452.
277
MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 452.
278
Sur la question de la stabilisation monétaire de la Pologne et, plus
particulièrement, sur les démarches effectuées par les dirigeants de Varsovie
auprès des banques américaines voir PEASE, Neal, Poland, the United States,
and the Stabilisation of Europe, 1919-1933, Oxford, Oxford University Press,
1986, pp. 40-103. Sur cette question, voir également SAYERS, Richard, The
Bank of England, 1891-1914, Vol. I, Cambridge, Cambridge University Press,
1976, pp. 190-191.
279
Sur la question de la participation de la banque américaine Blair & Co. à
l’organisation de l’emprunt polonais de stabilisation monétaire, voir MONNET,
Jean, Mémoires, Paris, Fayard, 1956, pp. 121-124.
280
Archives de la BdF, Paris, Crédit de stabilisation à la Banque de Pologne,
No. 1397199402/11 : Télégramme de Montagu Norman à Emile Moreau, le 11
janvier 1927.
103

économique et financière du pays. Sur la base du rapport établi par Kemmerer,


la Federal Reserve de New York accepte d’organiser l’émission de l’emprunt
polonais avec l’aide de la Banque de France et des banques privées
américaines, malgré l’opposition de Montagu Norman, selon lequel la Pologne
devait s’adresser à la Société des Nations. Il convient également de préciser que
Norman exprime dans une lettre envoyée à Emile Moreau le regret que la
281
Banque de Dantzig a été exclue du programme de stabilisation polonaise. Le
programme proposé par le Gouverneur Strong durant en juin 1927 aux banques
centrales européennes prévoit la stabilisation du zloty et la réorganisation de la
Banque Nationale de Pologne, la réorganisation et le développement des
chemins de fer et le développement économique du pays. Afin de s’assurer de
l’application et de l’exécution de ce programme, la Federal Reserve de New York
doit désigne un Conseiller financier. Après quelques hésitations, le choix de
Strong se porte sur Charles S. Dewey, sous-directeur du Mouvement des Fonds
282
à la Trésorerie américaine et vice-président de la North Trust Co. de Chicago.

Le programme de stabilisation monétaire de la Pologne, présenté par le


Gouverneur Strong en juin 1927, a reçu l’adhésion de treize banques centrales
européennes, qui accordaient aux dirigeants de Varsovie un emprunt de 72
283
millions de dollars 7%, gagée sur les recettes de douane. Le zloty a été
finalement stabilisé le 13 octobre 1927, date à laquelle la Banque Nationale de
Pologne recevait pour une durée de de trois ans Charles S. Dewey, sous-
directeur du Mouvement des Fonds à la Trésorerie américaine et vice-président
284
de la North Trust Co. de Chicago, en qualité de Conseiller financier. Á
Varsovie, la mission de Dewey consiste à surveiller et à contrôler l’utilisation des
crédits provenant de l’emprunt de stabilisation et l’application du programme de

281
Archives de la BdF, Paris, Crédit de stabilisation à la Banque de Pologne,
No. 1397199402/11 : Télégramme de Montagu Norman à Emile Moreau, le 17
juin 1927.
282
Cf. PEASE, Poland, the United States, and the Stabilisation, p. 106.
283
DUCHÊNE, François, Jean Monnet. The first statesman of interdependence,
WW. Norton & Company, New York, p. 124.
284
Sur cette question, voir MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque
de France, pp. 390-391 et PEASE, Poland, the United States, and the
Stabilisation, pp. 106-120.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

réformes monétaires et financières. Il convient de souligner le fait Dewey est


Conseiller financier non seulement de la Banque de Pologne, mais également du
gouvernement polonais. Nous tenons à souligner cet aspect car il ne sera pas
accepté par la Roumanie. Le Conseiller financier ne sera nommé qu’auprès de la
Banque Nationale de Roumanie.

2.1. Le Gouvernement roumain et la procédure annoncée par la Banque de


France

Afin de prouver la volonté des autorités roumaines d’organiser l’emprunt roumain


avec l’aide de la Banque de France, Vintila Bratianu demande à Emile Moreau
d’envoyer à Bucarest un expert afin d’examiner la situation économique,
financière et monétaire du pays. Le 29 décembre 1927, Charles Rist, sous-
gouverneur de la Banque de France, informe les dirigeants roumains que la
Banque de France pourra envoyer à Bucarest durant le mois de janvier 1928
Pierre Quesnay, Directeur des Études Économiques de la Banque de France, à
condition que la Banque Nationale de Roumanie donne son accord avant la fin
285
de l’année. Par la même occasion, Rist explique à Vintila Bratianu que
l’engagement effectif de la Banque de France en Roumanie dépendra, d’une
part, des conclusions du rapport établi par Quesnay et, d’autre part, de la
286
participation de la Federal Reserve Bank de New York.

Face à la décision de Vintila Bratianu de confier l’organisation de l’emprunt de


stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie à la
Banque de France, les milieux financiers et bancaires britanniques manifestent
immédiatement leur mécontentement. À titre d’exemple, le Gouverneur de la
Banque d’Angleterre critique violemment les démarches effectuées par les
dirigeants roumains et exige le « retour » immédiat à la Société des Nations. La

285
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 29 décembre 1927.
286
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
No. 1370200006//6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 29 décembre
1927, pp. 1-3.
105

principale cible des critiques de Montagu Norman est le Gouverneur de la


Banque Nationale de Roumanie, Dimitrie Burillianu, auquel il repproche de ne
pas prêter suffisamment d’attention aux intérêts monétaires et financiers
roumains. Très prudent, Burillianu écrit immédiatement à Norman en affirmant
que la Banque d’Angleterre sera informée constamment de toutes les
démarches, réalisées par la Roumanie auprès de la Banque de France. Dans la
lettre envoyée à Norman, Burillianu exprime ses regrets par rapport à la décision
des dirigeants roumains d’interrompre les négociations avec la Société des
Nations sans avertir la Banque d’Angleterre.

Malgré l’opposition de Montagu Norman, Emile Moreau accepte avec


l’assentiment de Poincaré d’organiser l’émission de l’emprunt roumain. Dans ses
Mémoires, il nous donne un apeçu des raisons qui l’ont détérminé à accepter le
projet roumain. « L’impérialisme financier de M. Montagu Norman, écrit Moreau,
était une menace pour nos intérêts les plus légitimes, notamment en Europe
centrale, où l’influence anglaise risquait d’éclipser la nôtre, au préjudice grave de
287
notre politique étrangère. » Informée de la décision de la Banque de France
d’organiser l’emprunt roumain, la Banque d’Anleterre réagit immédiatement et
accuse Emile Moreau de servir les visées impérialistes du Quai d’Orsay en
Europe. L’implication de la Banque de France dans l’affaire roumaine est
présentée par les dirigeants anglais non seulement comme un moyen pour la
France d’exercer une influence politique prépondérante en Roumanie, mais
encore comme une opération ayant pour principal objet de permettre à la
Roumanie de réaliser un programme très important d’achat de matériel de guerre
en France de manière à faciliter à l’un des États de la Petite Entente la
288
consolidation de sa puissance militaire. À ses critiques, Raymond Poincaré
réagit en affirmant que le Gouverneur de la Banque d’Angleterre envisageait de
transformer son institution en conseiller financier officieux des banques
d’émission européennes en voie de réorganisation, ainsi qu’en dépositaire des

287
MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 452.
288
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Lettre du Président du Conseil Ministre des Finances à M. le
Ministre des Affaires Etrangères, le 24 février 1928, p. 7.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

encaisses qui doivent servir de garantie aux monnaies nouvellement


289
stabilisées. « C’était un programme d’hégémonie financière, écrit Poincaré au
Quai d’Orsay, qui consistait à nous éliminer de la direction de tous les projets de
réforme monétaire, à empêcher la Banque de France et les Établissements
français d’obtenir avec des avantages moraux et matériels la possibilité d’exercer
dans l’intérêt français une influence sur les pays qui ne peuvent se passer du
290
concours étrangers. » Pour le Président du Conseil français, il est
indispensable que chacun ait sa sphère d’influence et que l’or et les devises des
banques d’émission soient gérés non seulement par Londres, mais également
par Paris. Quant à l’organisation des emprunts internationaux, Poincaré souhaite
qu’ils soient réalisés de commun accord entre la Banque de France et la Banque
d’Angleterre.

2.2. La mission de la Banque de France en Roumanie pour l’organisation de


l’emprunt de stabilisation monétaire et de réorganisation des chemins de fer,
janvier - février 1928

Après avoir obtenu l’accord de Vintila Bratianu et du Gouverneur Burillianu, la


Banque de France envoie à Bucarest le 24 janvier 1928 une mission financière,
291
composée de Pierre Quesnay et de Gaston Jèze. L’objectif de cette mission
est, ainsi que nous l’avons précisé, d’établir un rapport détaillé sur la situation
économique, financière et monétaire de la Roumanie afin de permettre à la
Banque de France de se prononcer définitivement sur sa décison d’organiser
l’émission de l’emprunt sollicité par les dirigeants roumains. La mission de

289
Cf. Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
No. 1370200006/6 : Lettre du Président du Conseil Ministre des Finances à M.
le Ministre des Affaires Etrangères, le 24 février 1928, pp. 7-8.
290
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
No. 1370200006/6 : Lettre du Président du Conseil Ministre des Finances à M.
le Ministre des Affaires Etrangères, le 24 février 1928, pp. 7-8.
291
Sur l’activité internationale et la carrière de Pierre Quesnay, voir FEIERTAG,
Olivier, « Pierre Quesnay et les réseaux de l’internationalisme monétaire en
Europe » in DUMOULIN, Michel (éd.), Les réseaux économiques et le
processus de construction européenne, Bern, Peter Lang, 2004, pp. 331-349.
107

réaliser ce rapport revient à Pierre Quesnay, Directeur des Études Économiques


292
de la Banque de France. En revanche, Gaston Jèze qui, se rend à Bucarest à
la demande du gouvernement roumain, a pour principale mission d’étudier en
collaboration avec Vintila Bratianu le programme de restauration des finances
publiques et de développement économique du pays. Il convient également de
préciser que la mission envoyée par la Banque de France est également
accompagnée par un groupe d’ingénieurs français, chargé par le Groupement
Roumanie, de réaliser une enquête sur l’état et les besoins financiers des
chemins de fer roumains.

À la même date, le 24 janvier 1928, les dirigeants roumains reçoivent aussi Jean
Monnet et Pierre Denis, représentants en France des banques américaines Blair
293
& Co. et Chase Cy. Leur présence à Bucarest s’explique par le fait que la
Roumanie avait pris contact avec les banques américaines en vue de leur
participation à l’émission de l’emprunt roumain. Comme la mission de la Banque
de France, la mission de Monnet et de Denis consiste dans l’étude de la situation
économique et financière du pays, afin de déterminer des possibilités et les
moyens d’organiser l’émisson de l’emprunt roumain sur le marché international,
mais principalement sur le marché américain et accessoirement sur le marché
294
français.

Dans le rapport remis à la Banque de France le 12 février 1928, Pierre Quesnay


et Gaston Jèze affirment que la Roumanie, malgré le grand désordre qui règne
au Ministère des Finances et à la Banque Nationale, se trouve dans des

292
Gaston Jèze est professeur de Finances publiques et de Droit public à la
Faculté de Droit de Paris.
293
Sur cette question, voir BUSSIERE, Eric, « Jean Monnet et la stabilisation
monétaire de 1929 : un « outsider » entre l’Europe et l’Amérique » in BOSSUAT,
Gérard et Wilkens, Andres (éds.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la
paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, pp. 63-77, DUCHÊNE, Jean
Monnet. The first statesman of interdependence, 1994, p. 47 et MONNET,
Mémoires, pp. 124-126.
294
Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
No. 1370200006/6 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Finances à M.
le Ministre des Affaires Etrangères, le 24 février 1928.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

conditions favorables pour réaliser la stabilisation de sa monnaie, le leu. Selon


Quesnay, la stabilisation du leu pourra être réalisée avec toutes les chances de
succès compte tenu aussi du fait que la Banque Nationale de Roumanie et le
gouvernement sont favorables à la nomination d’un conseiller technique français
295
pour une durée de trois ans. Quant à la réorganisation des chemins de fer,
Gaston Jèze, après avoir analysé les enjeux financiers et politiques du rapport
rendu par la mission d’ingénieurs français, met l’accent sur l’importance de ce
projet pour la France. Dans une entrevue avec Poincaré, il estime également
que la stabilisation de la monnaie roumaine peut être entreprise avec succès et
que la présence à Bucarest d’un Conseiller technique français auprès de la
Banque Nationale de Roumanie et de l’Administration des Chemins de Fer
roumains représente une garantie très importante. Le seul point sur lequel la
Banque de France et Vintila Bratianu devront se mettre d’accord est la
nomination du Conseiller financier auprès de la Banque Nationale de Roumanie
et non pas auprès du gouvernement roumain. Pour cette question, Vintila
Bratianu demande des garanties très claires.

Quant au rapport sur la situation des chemins de fer roumains, Leverve se


montre plus pessimiste et affirme qu’il est difficile de connaître les besoins
financiers des chemins de fer roumains car la dernière évaluation effectuée par
296
les dirigeants de Bucarest date de l’année 1923. En l’absence de toute
évaluation financière, Gaston Leverve avertit la Banque de France qu’il lui est
très difficile de se fier aux informations fournies par les dirigeants roumains. À
titre d’exemple, Leverve précise que les chiffres qui lui ont été mis à disposition
par le gouvernement de Bucarest pour l’année 1927 sont très différents de ceux
qui lui ont été fournis antérieurement. Son principal constat est que, malgré le

295
Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Finances à M. le
Ministre des Affaires Etrangères, le 24 février 1928, p. 2.
296
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6: Lettre de Gaston Leverve à Charles Rist, le 21 janvier 1928
(projet de rapport). Il convient de souligner le fait que les chemins de fer ont été
intégrés jusqu’au 17 juin 1925 dans le Ministère des Travaux Publics et, donc,
leur budget faisait partie du budget général roumain.
109

statut d’autonomie des chemins de fer, les dirigeants de Bucarest continuent à


intervenir dans leur gestion financière tout en imposant la gratuité des transports
297
pour de nombreux ministères. Cela explique en grande partie la dette
arriérée de 3 milliards de lei de l’Administration des Chemins de Fer du
Royaume de Roumanie. « Cette dette, affirme Leverve, est bien supérieure à la
part de l’emprunt qu’on envisage de donner aux chemins de fer comme fonds de
298
roulement, soit 9 millions de dollars. » En ce qui concerne l’organisation
administrative des chemins de fer, la situation semble aussi décourager Gaston
Leverve. Afin de pouvoir estimer correctement les besoins des chemins de fer, il
suggère de procéder immédiatement à l’établissement d’une comptabilité
détaillée et fiable. Leverve sollicite également l’intervention de Moreau auprès
des dirigeants roumains afin qu’ils commencent à payer régulièrement les
transports effectués par l’Administration des Chemins de fer du Royaume de
Roumanie.

En s’appuyant sur les rapports de Quesnay, de Jèze et de Leverve, ainsi que sur
l’approbation de Raymond Poincaré, le Gouverneur Moreau décide de
commencer avec l’aide de Charles Rist la préparation du programme d’émission
de l’emprunt roumain. Sur la base de ce programme, la Banque de France devra
s’adresser et inviter la Federal Reserve Bank de New York et les banques
centrales européennes à participer à l’ouverture en faveur de la Banque
Nationale de Roumanie d’un crédit de 20 millions de dollars. Les démarches
effectuées par la Banque de France auprès de différentes banques d’émission
américaine et, notamment, européennes à partir de mars 1928 s’annonce
immédiatement longues et très complexes.

297
La loi du 17 juin 1925 qui accorde aux chemins de fer l’autonomie
administrative et financière n’est pas respectée car les décisions relatives aux
questions de tarifs, de fonctionnement et de politique économique étaient prises
par le Ministère des Communications. Malgrè les modifications apportées à
cette loi, le 13 août 1927, l’autonomie des chemins de fer ne sera que théorique
et elle continuera à être régie par le pouvoir politique. Sur cette question, voir
SAIZU, Politica economica a României între 1922 si 1928, pp. 120-122.
298
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6: Lettre de Gaston Leverve à Charles Rist, le 21 janvier 1928
(projet de rapport), p. 3.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

2.3. Les Banques centrales américaine et européennes et le programme de


stabilisation de la monnaie roumaine

Les réactions des banques centrales européennes, ainsi que celles de la


Federal Reverve Bank de New York à l’égard de cette opération sont fort
diverses. À Londres et à Berlin, Montagu Norman et Hjalmar Schacht s’y
montrent, d’emblée, hostiles. En revanche, Benjamin Strong se prononce en
faveur de la participation de la participation de son institution à l’émission de
l’emprunt roumain de stabilisation monétaire. Afin de mieux comprendre les
réactions et les enjeux de la stabilisation roumaine, nous présentons l’exemple
des négociations avec la Banque d’Angleterre, la Federal Reserve Bank de New
York, la Reichsbank et la Banque Nationale Suisse.

2.3.1. Montagu Norman, la Banque d’Angleterre et la stabilisation de la monnaie


roumaine

Informé officiellement le 5 février 1928 par le Gouverneur de la Banque Nationale


de Roumanie, Dimitrie Burillianu, des démarches effectuées par Vintila Bratianu
auprès de la Banque de France et des banques américaines, Montagu Norman
exprime immédiatement son désaccord à l’égard de la procédure choisie par les
dirigeants de Bucarest. Il convient de rappeler que le 19 décembre 1927,
Burillianu avait envoyé à Norman une lettre dans laquelle il exprimait « le grand
désir de développer le plus possible les relations entre nos deux banques, de la
299
façon la plus satisfaisante pour les deux parties » et proposait d’envoyer à
Londres le sous-gouverneur de la Banque Nationale Kiriacescu.

Dans la lettre envoyée à Burillianu le 8 février 1928, Norman reproche aux


dirigeants roumains de ne pas avoir tenu compte de ses conseils de s’adresser
la Société des Nations. Norman demande immédiatement des éclaircissements

299
Archives BdF, Paris, Fonds Missions financières françaises en Roumanie,
No. 1370200006/9 : Lettre de Dimitrie Burillianu à Montagu Norman, le 19
décembre 1927, p. 1.
111

sur la présence à Bucarest des banquiers privés, ainsi que sur l’attitude des
dirigeants de la Banque Nationale à l’égard des conventions antérieures
intervenues entre la Banque d’Angleterre et la Banque Nationale de Roumanie.
Provoquant une vive émotion et l’inquiétude des dirigeants de la Banque
Nationale, la lettre de Norman conduit le Gouverneur Burillianu à envisager
d’envoyer à Londres une mission afin de fournir les explications nécessaires et,
éventuellement, trouver une solution susceptible de donner satisfaction au
Gouverneur de la Banque d’Angleterre.

Toutefois, Pierre Quesnay, informé des intentions de Burillianu, conseille aux


300
dirigeants de la Banque Nationale de ne pas réagir aux menaces de Norman.
Sur les conseils et les insistances de Quesnay, Burillianu se contente de
répondre à Norman que la Banque Nationale de Roumanie tiendra la Banque
d’Angleterre au courant du développement des négociations avec la Banque de
301
France pour l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire. Quant aux
conventions mentionnées par Norman dans sa lettre, il convient de préciser qu’il
s’agissait, en effet, d’un accord signé par le gouvernement Averescu et la
Banque d’Angleterre pour la réorganisation des finances sous l’égide de la
Société des Nations. Dans ce cas, l’émission de l’emprunt roumain aurait été
effectuée sous le patronage de la banque anglaise Schroders, dont l’objectif été
de prendre la place que la Disconto-Gesellschaft occupait en Roumanie avant la
Première Guerre mondiale. Mais, les frères Bratianu s’opposent à l’émission de
cet emprunt sous le patronage de Schroders en raison du fait que le siège de la
banque anglaise pour les pays de l’Europe centrale et de la Petite Entente était
situé à Budapest. « Il était politiquement impossible, affirmait Vintila Bratianu,
dans les régions de la nouvelle Roumanie où l’esprit national n’est pas encore
complètement consolidé, de concevoir que les crédits nécessaires au

300
Rappelons que Pierre Quesnay se trouvait à ce moment-là à Bucarest.
301
Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Lettre de Dimitrie Burillianu à Montagu Norman, le 10 février
1928.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

développement de l’économie du pays fussent répartis d’ailleurs que de Bucarest


302
même.»

Afin d’empêcher l’émission de l’emprunt roumain sous l’égide de la Banque de


France, Montagu Norman confie, ainsi que l’affirme les dirigeants de Paris, à
Otto Niemeyer la mission de fournir au Gouverneur Benjamin Strong des
renseignements erronés sur la participation de la Banque de France à cette
opération. Ainsi, Niemeyer aurait déclaré à la Federal Reserve Bank de New
York que la Banque de France, servirait involontairement les visées impérialistes
303
du gouvernement de Paris en Europe Centrale. Quant à l’emprunt roumain,
Otto Niemayer l’aurait présenté aux dirigeants américains comme un moyen pour
la Roumanie de réaliser un programme très important d’achat de matériel de
guerre en France afin de permettre à la Petite Entente de consolider sa
304
puissance financière et militaire. Face à ces informations, le Gouverneur
Strong, très inquiète demande immédiatement des explications à la Banque de
France et suggère même à Emile Moreau de proposer à la Roumanie de
s’adresser à la Société des Nations. Dans ces circonstances et pour dissiper les
craintes de la Federal Reserve Bank de New York au sujet des motivations de la
Banque de France d’organiser l’émission de l’emprunt roumain, Emile Moreau
décide, avec l’accord de Poincaré, à New York Pierre Quesnay. La tentative de
Montagu Norman de dissuader le Gouverneur Strong de soutenir la Banque de
France dans l’affaire roumaine est fortement critiquée par Poincaré. Pour ce
dernier, l’intervenion auprès de Strong visait à permettre à Norman de réaliser un
programme « d’hégémonie financière, qui consistait à nous éliminer de la
direction de tous les projets de réforme monétaire, à empêcher la Banque de
France et les banques françaises à obtenir, avec des avantages moraux et

302
Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No :
1370200006/9 : Note de Pierre Quesnay à Emile Moreau, le 5 février 1928.
303
Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No :
1370200006/9 : Note de Pierre Quesnay à Emile Moreau, le 5 février 1928, p.7.
304
Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Note de Pierre Quesnay à Emile Moreau, le 5 février 1928.
113

matériels la possibilité d’exercer dans l’intérêt français une influence sur les pays
305
qui ne peuvent pas se passer du concours étranger. »

Afin de discuter avec Norman de l’affaire roumanie, Emile Moreau et Pierre


Quesnay se rendent le 21 février 1928 à Londres. Le principal objectif de ce
voyage est, ainsi que le note Moreau : « d’offrir à Norman la paix ou la guerre.
306
C’est toute notre influence en Europe centrale qui est un jeu. » A leur grande
surprise, ils ne sont par reçus par Norman, mais par le vice-gouverneur de la
Banque d’Angleterre, Lubock. Se montrant favorable au projet roumain de
stabilisation monétaire avec l’aide de la Banque de France, Lubock déclare que
la Banque d’Angleterre s’engage à soutenir le programme de stabilisation que la
Banque de France établira en collaboration avec la Federal Reserve Bank de
307
New York. Toutefois, quelques jours plus tard le 29 février 1928, Lubock
envoie une lettre à Moreau qui remet en question l’engagement de la Banque
d’Angleterre de soutenir le projet roumain car le Gouverneur Norman n’avait pris
308
aucune décision à ce sujet. Malgré le fait qu’il prévient les dirigeants de la
Banque de France de tout faire pour que la stabilisation de la monnaie roumaine
soit réalisée avec l’aide de la Société des Nations, Norman laisse entendre que
la participation de la Banque d’Angleterre à l’emprunt roumain est entièrement
subordonnée à celle de la Federal Reserve Bank de New York, ainsi qu’à la
309
conclusion d’un accord financier entre la Roumanie et le Stock Exchange.
Selon Emile Moreau, ce changement d’attitude s’expliquerait par la volonté de
Montagu Norman de donner satisfaction à Frank Tiarks, en réservant à la maison
Schroders et aux banques allemandes la possibilité de travailler en Roumanie à
l’exclusion de tout autre groupement. En visite à Paris, Siepmann se voit
conseillé par Quesnay d’abandonner toute tentative d’entraver l’organisation de

305
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Note de Raymond Poincaré à Emile Moreau, le 25 février 1928.
306
MOREAU, Souvenirs d’un gouverneur de la Banque de France, p. 505.
307
MOREAU, Souvenirs d’un gouverneur de la Banque de France, p. 507.
308
MOREAU, Souvenirs d’un gouverneur de la Banque de France, p. 512.
309
Archives BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Stabilisation monétaire et développement économique en
Roumanie : Lettre de l’Ambassadeur de France à Londres, de Fleuriau au
er
Ministre des Affaires Etrangères, le 1 août 1928, pp. 1-2.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

la stabilisation de la monnaie roumaine car la Banque de France n’a pas


l’intention d’y renoncer. De retour à Londres, Siepmann informe les dirigeants de
la Banque de France que la Banque d’Angleterre renonce à diriger toute
campagne destinée à amener la Roumanie devant la Société des Nations, mais
que son participation reste liée à celle de la Federal Reserve Bank de New York.

La principale difficulté à résoudre, afin que la Banque d’Angleterre participe à


l’émission de l’emprunt roumain, est de différencier l’emprunt de stabilisation de
celui de 1922, coté à Londres aux environs de 48%. De cette manière, les
souscripteurs anglais pouvaient être attirés vers l’emprunt de stabilisation plutôt
que d’acheter l’ancien. Afin de donner satisfaction aux dirigeants anglais,
Charles Rist propose de donner au nouvel emprunt des sécurités et des gages
dont ne bénéficie pas le précédent, qui est entièrement gagé sur l’ensemble des
310
actifs de l’État roumain. Cette proposition consiste, en effet, à substituer à
l’État roumain comme emprunteur une Caisse Autonome des Monopoles du
Royaume de Roumanie qui bénéficiera du droit exclusif d’exploiter les
monopoles, qui sont actuellement exploités par la Régie des Monopoles du tabac
et des poudres. Par ailleurs, cette Caisse Autonome des Monopoles recevra la
personnalité civile et sera chargée de faire des emprunts pour le développement
économique du pays et versera à la Banque Nationale de Roumanie à un
compte spécial au fur et à mesure de leur perception, deux tiers des recettes
brutes des monopoles. Après la constitution des provisions prévues par le
contrat d’emprunt la Caisse Autonome des Monopoles pourra retirer de ce
compte le solde des revenus bruts et le revenu net disponible reviendra à l’Etat.
Les emprunts contractés par la Caisse Autonome des Monopoles constitueront,
en effet, une obligation directe de celle-ci. Leur service sera assuré par une
affectation de premier rang du produit brut des monopoles et des autres
ressources et actifs de la Caisse et le paiement du service des obligations de la
Caisse Autonome sera garanti par l’État roumain. Cette garantie générale de
l’État accordée aux emprunts de la Caisse Autonome sera une charge de

310
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Lettre de Charles Rist à George Harrisson, le 25 juillet 1928.
115

premier rang sur l’ensemble des revenus et actifs de l’État, venant après
l’emprunt extérieur de 4% en 1922.

Toutefois, l’inquiétude de Charles Rist est de savoir si le Stock Exchange de


Londres consentira à voir dans cette Caisse Autonome des Monopoles du
Royaume de Roumanie une entité suffisamment distincte de l’État roumain pour
que les gages de l’emprunt nouveau ne soient pas automatiquement affectés à
l’emprunt de 1922 lequel jouit déjà d’une garantie générale sur toutes les
ressources de l’Etat. Dans ce cas, la différence entre les deux emprunts
disparaîtra et les conditions plus favorables auxquelles on voudrait émettre le
nouvel emprunt ne seraient plus possible.

2.3.2. La Federal Reserve Bank de New York et la stabilisation monétaire de la


Roumanie

Le 18 mars 1928, Charles Rist et Pierre Quesnay se rendent à New York afin de
présenter au Gouverneur Strong le projet établi par la Banque de France pour
l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement
économique. Il convient de rappeler que ce voyage est d’une très grande
importance car l’action de la Banque de France en faveur de la Roumanie, ainsi
que le changement de l’attitude de la Banque d’Angleterre à l’égard de cette
opération, dépendent entièrement de la décision des dirigeants de la Federal
Reserve Bank de New York. Des États-Unis, Rist informe à plusieurs reprises les
dirigeants de Bucarest des difficultés de faire connaître la situation économique
et financière réelle de la Roumanie en raison des informations erronées fournies
311
aux dirigeants de la Federal Reserve Bank par la Banque d’Angleterre.

Malgré les tentatives de Montagu Norman de convaincre la Federal Reserve


Bank de New York de conseiller la Roumanie de s’adresser à la Société des

311
Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 12 avril 1928.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Nations, Strong prend position en faveur des démarches effectuées par la


Banque de France pour la création d’un consortium de banques centrales,
chargé de fournir à la Banque Nationale de Roumanie un crédit de stabilisation
312
monétaire. « Afin de ne pas nous laisser seuls avec Roumains, Polonais,
Tchéco-Slovaques et quelques autres en face de la Banque d’Angleterre,
Federal Reserve Bank est, donc, disposée à nous suivre même si Norman
313
refuse » écrit Rist à Moreau le 21 mars 1928. Le 22 mars 1928, le Gouverneur
Strong décide de communiquer sa décision à la Banque d’Angleterre en
conseillant ses dirigeants de participer à cette opération.

2.3.3. La Reichsbank et le règlement des emprunts roumains d’avant-guerre

Le 14 avril 1928, le Président de la Reichsbank Hjalmar Schacht est informé par


Emile Moreau de l’intention de la Banque Nationale de Roumanie a confié à la
Banque de France la mission de stabiliser le leu à l’aide d’un crédit semblable à
314
celui qui a été accordé à la Belgique, à l’Italie et à la Pologne. La Banque de
France, ainsi que l’explique Moreau, a accepté de s’entretenir de la question
avec les principales banques d’émission et d’établir avec leur collaboration les
conditions pour l’octroi à la Banque Nationale de Roumanie d’un crédit de 20
millions de dollars.

Après avoir présenté le projet à la Banque d’Angleterre et à la Federal Reserve


Bank de New York, la Banque de France demande à la Reichsbank de faire
connaître son point de vue. Pour ce faire, Emile Moreau et Pierre Quesnay se
rendent à Berlin le 5 mai 1928 afin de s’entretenir avec les dirigeants de la

312
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Télégramme de Charles Rist à Emile Moreau, le 21 mars
1929.
313
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Télégramme de Charles Rist à Emile Moreau, le 21 mars
1929, p. 1.
314
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre du Gouverneur de la Banque de France au Président de
la Reichsbank, le 14 avril 1928.
117

Reichsbank de stabilisation de la monnaie roumaine. Il convient de préciser que


315
les journaux français présentent cette visite comme « un fait sans précédent »
316
et « un pas de plus pour la restauration monétaire de l’Europe. »

Partisan de la coopération des banques centrales à la reconstruction


économique et financière de l’Europe, Hjalmar Schacht approuve l’intiative de la
317
Banque de France de soutenir le projet de la Banque Nationale de Roumanie.
Pour ce qui de la participation de la Reichsbank à ce projet, Schacht attire
l’attention de Moreau sur la nécessité de trouver une solution aux différends
financiers qui opposent l’Allemagne et la Roumanie depuis la fin de la Première
318
Guerre mondiale. La Reichsbank subordonne, ainsi, sa participation à
l’emprunt roumain à la signature d’un accord financier entre les gouvernements
allemand et roumain. Par la même occasion, le Président de la Reichsbank
demande aux dirigeants de la Banque de France d’intervenir auprès du
gouvernement de Bucarest et de la Banque Nationale de Roumanie de résoudre
ces problèmes avant de solliciter le concours financier des banques
319
allemandes. Ces dernières, « dont le concours est au plus haut point
320
souhaitable en raison de leurs relations antérieures avec la Roumanie » , ne
participeront à cette opération que sur la recommandation de la Reichsbank.
Hjamlar Schacht informe les dirigeants de la Banque de France qu’il mettra

315
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Coupures de presse (Information) : M. Moreau à Berlin, le 5 mai
1928.
316
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Coupures de presse, M. Moreau à Berlin et l’opinion allemande,
le 5 mai 1928.
317
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre du Président de la Reichsbank au Gouverneur de la
Banque de France, le 5 mai 1928.
318
Archives de la BdF, Paris, Fonds Missions financières françaises en
Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre du Président de la Reichsbank au
Gouverneur de la Banque de France, le 5 mai 1928, p. 2.
319
Archives de la BdF, Paris, Fonds Missions financières françaises en
Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre du Président de la Reichsbank au
Gouverneur de la Banque de France, le 5 mai 1928, p. 6.
320
Archives de la BdF, Paris, Fonds Missions financières françaises en
Roumanie, No. 1370200006/9 : Lettre du Président de la Reichsbank au
Gouverneur de la Banque de France, le 5 mai 1928, p. 6.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

personnellement au courant la Federal Reserve Bank de New York et la Banque


d’Angleterre de l’impossibilité du marché allemand de participer à l’émission de
l’emprunt roumain si les différends financiers entre les deux pays ne sont pas
résolus avant l’organisation cette émission.

Les différends financiers auxquels Schacht fait référence dans sa lettre à


Moreau sont en lien avec l’obligation de l’Allemagne de rembourser à la
Roumanie les sommes déposées à la Reichsbank durant la Première Guerre
mondiale pour la couverture des « lei Generali » et le règlement des dettes
roumaines d’avant-guerre. Rappelons que le 18 janvier 1917, pendant
l’occupation allemande du territoire roumain, le Maréchal Mackensen a ordonné
l’émission par la Banque Générale de Roumanie de billets ayant cours légal sur
le territoire roumain occupé. Cette émission qui a dépassé 2 milliards de lei et,
dont la couverture avait atteint 1 600 millions de mark, a eu pour principal but de
permettre à l’Allemagne et à ses alliés de recevoir gratuitement des
321
marchandises provenant du territoire occupé. Après la capitulation de la
Roumanie, en février 1918, le traité imposé par l’Allemagne stipulait que la
Roumanie devait acquitter, sur ses propres fonds, les billets émis par la Banque
Générale de Roumanie, afin de libérer la couverture. L’article 259, paragraphe 6,
du Traité de Versailles stipulait que : « l’Allemagne s’engage à transfsérer
respectivement, soit à la Roumanie, soit aux principales puissances alliées et
associées, touts les intruments monétaires, espèces, valeurs et instruments
négociables en produits, qu’elle a reçu en vertu ou en exécution des Traités de
322
Bucarest et de Brest-Litovsk. » Le 18 mai 1921, le gouvernement allemand
propose à la Roumanie de lui verser les marks dépréciées déposées à la
Reischbank, ainsi que d’utiliser le dépôt se trouvant à Berlin pour la couverture
des « lei-Generali » pour le paiement des locomotives commandées en

321
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Rapport établi par Gaston Jèze sur l’origine des divergences
financières entre la Roumanie et l’Allemagne, le 6 juin 1928, pp. 2-3.
322
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Point de vue du Gouvernement roumain au sujet de l’obligation
de l’Allemagne de rembourser la couverture de l’émission des billets de la
Banque Générale de Roumanie, le 3 mars 1928, pp. 1-4.
119

Allemagne. Toutefois, le Gouvernement allemand refuse de reconnaître le


principe même d’une obligation de sa part envers la Roumanie, attendu que le
Traité de Versailles fixe toutes ses obligations et ne parle pas de l’obligation de
payer les sommes déposées à la Reischbank pour la couverture des billets
émis. En juillet 1924, le gouvernement allemand transmet aux dirigeants de
Bucarest que, même en admettant le principe de son obligation, cette obligation
rentre dans les annuités du Plan Dawes, ce qui dispensait l’Allemagne de verser
323
quoi que ce soit à la Roumanie. Le litige en question fait l’objet de
négociations directes entre l’Allemagne et la Roumanie durant l’été 1927, par
suite du projet des dirigeants de Bucarest d’émettre un emprunt sur le marché
324
allemand. Toutefois, les divergences liées à l’évalutation du montant que
l’Allemagne devait rembouser à la Roumanie ont fait échouer ces
325
négociations.

Sur les recommandations du Gouverneur Moreau, Vintila Bratianu se voit obligé


en juin 1928 d’entamer de nouvelles négociations avec le gouvernement
allemand, afin de s’assurer la participation du marché allemand à l’émission de
l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement économique.
La mission d’ouvrir les pourparlers avec les dirigeants allemands revient à
Nicolae Petrescu-Comnen, Ministre de Roumanie à Berlin. Les négociations
s’avèrent rapidement difficiles et complexes. Tout en affirmant que la
participation de la Reichsbank à l’émission de l’emprunt roumain est liée au

323
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Rapport établi par Gaston Jèze sur l’origine des divergences
financières entre la Roumanie et l’Allemagne, le 6 juin 1928, p. 4.
324
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Réclamation roumaine au sujet des émissions de lei de la
Banque Générale de Roumanie pendant l’occupation allemande, 1928, p. 4.
325
Cf. au Mémorandum remis par la Roumanie en juillet 1924 à la Conférence
de Londres, la somme que l’Allemagne doit rembourser à la Roumanie
représente un milliard de lei-or.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

règleent des différends financiers, Schacht avertit les dirigeants de Bucarest que
326
la durée des négociations ne dépendra que d’eux.

Le 21 juin 1928, Charles Rist est informé par Vintila Bratianu de l’échec des
négociations avec Berlin, malgré les concessions faites par la délégation
roumaine dans le désir d’obtenir le concours allemand pour la stabilisation
roumaine. Dans ces négociations, ainsi que le souligne Bratianu, le
gouvernement roumain avait accepté pour la première fois à lier la question des
rentes allemandes d’avant guerre aux créances roumaines dérivant de
327
l’émission des billets de la Banque Générale de Roumanie. Le paiement des
rentiers allemand devait être effectué par le gouvernement allemand en
compensation partielle des indemnités qui étaient dues à la Roumanie pour les
billets de la Banque Générale de Roumanie à la seule condition que notification
soit faite à la Roumanie d’un solde créditeur en faveur de la Roumanie. Cette
notification devait préciser le fait qu’il résultait du total de créances allemandes
un solde créditeur en faveur de l’Etat roumain et une commission spéciale devait
328
en déterminer le détail sur la base de ce programme.

Le 23 août 1928, le ton monte entre Emile Moreau et Hjalmar Schacht. Dans
une lettre, Moreau repproche à Schahcht d’avoir changé d’avis car, sans
l’avertir, il a décidé de faire dépendre la participation du marché allemand du
règlement préalable de la situation concernant les porteurs allemands d’emprunt
329
roumains d’avant-guerre avant le 15 septembre 1928. Moreau affirme ne pas
comprendre ce changement d’attitude et déclare : « Vous avez bien voulu me
faire savoir verbalement lors de ma visite à Berlin, puis par la lettre de 5 mai

326
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre de Hjalmar Schacht à Nicolae Petrescu Comnene, le 3
août 1928.
327
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No
1370200006/6 : Lettre de Vintila Bratianu à Charles Rist, le 21 juin 1928.
328
Archives de la BdF, Paris, Fonds Missions financières françaises en
Roumanie, No. 1370200006/6 : Lettre de Vintila Bratianu à Charles Rist, le 21
juin 1928.
329
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre de Emile Moreau à Hjalmar Schacht, le 22 août 1928.
121

1928, que vous étiez obligé de subordonner votre participation tout au moins à
la conclusion d’un accord sur les moyens et les méthodes à employer pour
mettre fin dans un délai raisonable et d’une façon qui engage les deux parties
330
aux divergences actuelles d’opinion. » Quant au crédit qui a été accordé à la
Société Nationale de Crédit Industriel par la Banca Commerciale Italiana, Emile
Moreau affirme qu’il n’a aucun rapport avec le crédit envisagé par les banques
d’émission et que la Roumanie a la liberté de s’adresser aux groupes bancaires
privés. Afin de déterminer Schacht de changer son point de vue, Moreau met
enn évidence le fait que même la Banque d’Angleterre a annoncé sa
participation.

En réponse, le 27 août 1928, Schacht informe le Gouverneur de la Banque de


France qu’il n’a pas changé d’avis et il ne fait que défendre les intérêts de
l’Allemagne car c’est sur l’initiative des négociateurs roumains que les dirigeants
331
allemands souhaitent aboutir à un règlement matériel proprement dit. Pour
Schacht, les négociations avec la Roumanie ont échoué en raison des
négociateurs roumains. Toutefois, le Président de la Reichsbank laisse
entrendre qu’une négociation sur la base des propositions faites par Ritter
permettaient de revenir sur son refus.

Dans ces circonstances, Rist demande à Bratianu d’écrire à la Reichsbank qu’il


n’avait pas eu rupture des négociations et que le Gouvernement roumain était
disposé à répondre aux propositions de Ritter et à suggérer lui-même une
procédure qui fournit l’assurance que les négociations sur le fond ne seraient
332
pas indéfiniment prolongées. Les propositions faites par Ritter impliquent de
la part de l’Allemagne un sacrifice financier et de la part de la Roumanie un
règlement sur la base de la valeur en Bourse de ces titres en faveur des

330
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre de Emile Moreau à Hjalmar Schacht, le 22 août 1928, p.
1.
331
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre de Hjalmar Schacht à Emile Moreau, le 27 août 1928.
332
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 3 juillet 1928.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

333
porteurs allemands de titres roumains. Les dirigeants roumains se déclarent
prêts à continuer les négociations avec l’Allemagne et manifestent leur volonté
de trouver un accord pour régler définitivement les différends financiers entre les
deux pays. Toutefois, le 28 septembre 1928, le Berliner Tageblatt annoncera
l’arrêt des négociations germano-roumaines en raison du refus des dirigeants de
Bucarest d’accepter la révalorisation de titres roumains détenus par les porteurs
334
allemands. L’accord financier entre la Roumanie et l’Allemagne sera
finalement signé le 10 novembre 1928 à Berlin, date à laquelle le gouvernement
libéral de Vintila Bratianu se retire du pouvoir en faveur du Parti National
Paysan. Nous n’avons pas assez d’éléments pour établir un lien direct entre les
deux évenements. L’accord roumano-allemand, dont l’entrée en vigueur dépend
de sa ratification par la Commission des Réparations (en vertu de l’article 248 du
335
Traité de Versailles) , stipule que l’Allemagne doit payer à la Roumanie le
montant de 75 500 000 de Reichsmarks, dont 35 millions immédiatement et la
er
somme restante jusqu’au 1 avril 1931. En contrepartie, la Roumanie doit
définitivement renoncer à la liquidation de biens allemands, ainsi qu’aux
336
divergences de vue entre la Reichsbank et la Banque Nationale.

Dans ces circonstances, Schacht informe le 13 novembre 1928 Emile Moreau


que la Reichsbank est disposée à participer avec un montant de 4 millions de
dollars au crédit ouvert en faveur de la Banque Nationale de Roumanie. Par
ailleurs l’accord financier entre la Roumanie et l’Allemagne prévoit également la
création d’un consortium de banques allemandes, intéréssé par l’émission de
l’émprunt roumain. Dans la composition du groupe alleamnd, nous retrouve la

333
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
Lettre de Victor Antonescu au Gouverneur de la Banque de France, Emile
Moreau, le 30 juin 1928.
334
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Résumé publié par Le Temps, le 29 septembre 1928.
335
La Commission des Réparations doit se réunir le 8 décembre 1928,
Zeuceanu s’engage de faire auprès de toutes les délégations des
Gouvernements représentés à la Commission les démarches afin prévenir un
ajournement de la question roumaine.
336
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Hjalmar Schacht à Emile Moreau, le 13 novembre
1928, p. 2.
123

Disconto-Gesellschaft, la Deutsche Bank, la Dresdner Bank, ainsi que la


Darmstäter-Bank, établissements bancaires qui ont déjà travaillé en Roumanie
et qui connaissent très bien la situation économique et financière du pays.

2.3.4. La Banque Nationale Suisse et la stabilisation de la monnaie roumaine

Le 17 octobre 1928, le Gouverneur Moreau demande au Président de la Banque


Nationale Suisse, Gottlieb Bachmann si le Conseil de la Banque a pris une
décision définitive concernant la participation de la Suisse à la stabilisation de la
337
monnaie roumaine. Manifestant son mécontentement à l’égard des réticences
du Conseil de la Banque Nationale Suisse, Moreau avertit Bachmann que la
Banque de France ne pourra pas résoudre touts les litiges financiers existant
entre la Suisse et la Roumanie car il est impossible de convaincre tous les
débiteurs roumains d’accepter les conditions fixées par leurs créanciers.
Rappelons que le Conseil de la Banque Nationale Suisse avait, malgré l’avis
favorable du Conseil Fédéral, exprimé son refus de participer au crédit roumain
de stabilisation monétaire, en exigeant que tous les différends financiers existant
entre les deux pays soient entièrement réglés. « La stabilisation roumaine, écrit
Moreau, a précisement pour objet de permettre le développement économique
du pays et d’accroître, ainsi, pour l’avenir les possibilités financières de ses
338
habitants. »

Dans sa réponse à Emile Moreau, Bachmann affirme que le Conseil de la


Banque Nationale Suisse se réunira une deuxième fois, afin d’examiner les
conditions de sa participation à cette opération. Par la même occasion, il déclare
que les dirigeants de la Banque Nationale Suisse souhaitent obtenir de

337
Archives de la BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge,
Berichte, Anträge, Konventions swischen den Zentralbanken, dir. Korr, 1928-
1931) Lettre du Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau, au
Président de la Banque Nationale Suisse, G. Bachmann, le 17 octobre 1928.
338
Archives de la BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge,
Berichte, Anträge, Konventions swischen den Zentralbanken, dir. Korr, 1928-
1931) Lettre du Gouverneur de la Banque de France, Emile Moreau, au
Président de la Banque Nationale Suisse, G. Bachmann, le 17 octobre 1928.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

nouvelles garanties concernant l’utilisation de l’emprunt de stabilisation par le


gouvernement roumain. Il convient de préciser que les dirigeants suisses
soupçonnent la Roumanie de vouloir utiliser cet emprunt pour la réorganisation
de l’armée roumaine. Ces soupçons sont, en effet, alimentés par les doutes que
les dirigeants de la Banque Nationale Suisse ont à l’égard de l’utilisation de
339
l’emprunt polonais par les dirigeants de Varsovie. À plusieurs reprises, la
Banque de France et le gouvernement polonais se voient obligés de prouver
que l’emprunt de stabilisation n’a pas servi à la réorganisation et à l’équipement
de l’armée.

Dans l’impossibilité de trouver un accord au sein du Conseil de la Banque,


Bachmann décide de soumettre la question de la participation de la Banque
Nationale Suisse à l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire au
340
Conseil Fédéral. Le 26 octobre 1928, le Ministre des Finances Musy
encourage, pour des raisons d’ordre économique, la Banque Nationale Suisse à
participer à cette opération. « Il est de l’intérêt national suisse, affirme Musy, que
la Banque Nationale participe au crédit d’escompte sollicité par la Roumanie
341
auprès des banques européennes, anglaises et américaines. » Dans ces
circonstances, la Banque Nationale Suisse confirme le 28 octobre 1928 sa
participation à l’œuvre de stabilisation envisagée par la Banque de France en
342
faveur de la Roumanie pour un montant de 500.000 de dollars.

339
Sur cette question, voir Archives de la BdF, Paris, Pologne, No.
1397199402/11 : Télégramme de G. Bachmann, Président de la Banque
Nationale Suisse, à Emile Moreau, Gouverneur de la Banque de France, le 19
octobre 1928, pp. 1-2.
340
Archives de la BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge,
Berichte, Anträge, Konventions swischen den Zentralbanken, dir. Korr, 1928-
1931) : Télégramme de Musy, Ministre des Finances, à la Banque Nationale
Suisse, le 26 octobre 1928.
341
Archives de la BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge,
Berichte, Anträge, Konventions swischen den Zentralbanken, dir. Korr, 1928-
1931) : Télégramme de Musy, Ministre des Finances, à la Banque Nationale
Suisse, le 26 octobre 1928.
342
Archives de la BNS, Zurich, No. 3116 (Rumaenien : Protokollauszüge,
Berichte, Anträge, Konventions swischen den Zentralbanken, dir. Korr, 1928-
125

2.4. Les banquiers privés et le Programme de stabilisation monétaire et de


développement économique de la Roumanie

Les négociations avec les banques privées s’avèrent également longues et


complexes. Si les banques américaines et françaises donnent immédiatement
leur accord pour l’octroi d’un crédit international en faveur de la Roumanie, il en
est autrement pour les banques anglaises qui exigent toute une série de
conditions et garanties en échange de leur participation à cette opération. Nous
allons présenter brièvement l’attitude et le positionnement des banquiers privés
européens et américains à l’égard de l’émission de l’emprunt roumain de
stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie.

2.4.1. La Banque de Paris et des Pays-Bas et la participation des banques


françaises à l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement
économique

Dès le début des négociations avec les banques privées, en février 1928, les
dirigeants roumains confient à la Banque de Paris et des Pays-Bas l’organisation
d’un consortium de banques françaises, souhaitant participer à l’émission de
l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement
343
économique. Tout en subordonnant sa participation à cette opération au
règlement des dettes d’avant-guerre, ainsi qu’à l’attribution d’un gage sur les
ressources générales de la Roumanie, la Banque de Paris et des Pays-Bas
obtient sans difficulté l’accord de Vintila Bratianu d’organiser le groupe français,
ainsi que les démarches auprès de différentes banques étrangères. En avril
1928, la Société Générale, la Banque Française d’Acceptation, le Crédit
Lyonnais et le Comptoir National d’Escompte de Paris annoncent leur

1931) : Télégramme du Département des Finances à la Banque Nationale


Suisse, le 20 octobre 1928.
343
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Télégramme du Gouverneur Emile Moreau à Charles Rist, le 23
mars 1928.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

participation à l’emprunt roumain pour un montant de 500 millions de francs


français.

En collaboration avec les banques américaines Blair & Co et Chase Securities


Corporation, les dirigeants de la Banque de Paris et des Pays-Bas réussissent à
créer deux autres groupes européens en Hollande et en Suisse, dont les
participations sont estimées à 4 millions de dollars et, respectivement, à 5
344
millions de dollars. Rappelons les efforts inaboutis de la Banque de Paris et
des Pays-Bas de constituer deux autres groupes en Belgique et en Espagne.
Face à cet échec, la participation des banques anglaises à l’émission de
l’emprunt roumain apparaît comme une nécessité pour le succès de cette
opération.

2.4.2. Hambro Bank Ltd., Lazard Brothers et la participation à l’emprunt roumain


de stabilisation monétaire et de développement économique

A Londres, Blair & Co et la Banque de Paris et des Pays-Bas se heurtent au


refus des banques Schroders, Barings Brothers et Rothschild de participer à
l’émission de l’emprunt roumain. Convaincu que la Roumanie doit passer par le
Comité financier de la Société des Nations, le groupe Schroders - Barings -
Rothschild tente également de décourager la maison américaine Blair & Co en
affirmant que le Gouverneur Montagu Norman était fortement opposé à cette
opération et qu’il ne changera pas son point de vue.

Toutefois, ce refus ne décourage pas la Banque de Paris et des Pays-Bas, qui


décide de s’adresser aux maisons Hambro Bank Ltd. et Lazard Brothers. Tout en
affirmant leur volonté de participer à l’émission de l’emprunt roumain, les deux
banques anglaises demandent l’introduction de cinq nouvelles exigences dans le

344
Archives de la BdF, Paris, Missions françaises françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Note sur la situation des négociations concernant l’emprunt
roumain de stabilisation monétaire et de développement économique, le 27 juin
1928.
127

Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la


Roumanie. La première concerne l’ajournement de l’émission de l’emprunt pour
le mois de septembre 1928 et, notamment, l’attribution à cet emprunt d’un gage
spécifique. La deuxième exigence est en lien avec la nomination d’un expert
étranger pour la réorganisation des chemins de fer et l’engagement des
dirigeants roumains d’effectuer des commandes de matériel ferroviaire aux
345
industries de tous les pays participants à l’emprunt. Cette exigence
déterminera la Banque de France à désigner, avec l’assentiment de Vintila
Bratianu, Gaston Leverve comme expert pour la réorganisation et le
développement des chemins de fer roumains. La principale mission de Leverve
sera de rédiger tous les trois ou six mois un rapport relatif à l’application
technique et aux résultats du programme de réorganisation du réseau ferroviaire
346
roumain. En revanche, le contrôle financier de ce programme devra être confié
au Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, qui établira un
rapport trimestriel sur l’application financière du programme de réorganisation
347
des chemins de fer. La troisième exigence concerne le Conseiller technique de
la Banque Nationale et sa nomination comme directeur de cette institution afin de
mieux défendre les intérêts financiers des créanciers de ce pays. Le règlement
des différends qui existent entre l’État roumain et les compagnies pétrolières
britanniques représente la quatrième exigence formulée notamment par les
348
dirigeants de Hambro Bank Ltd. La dernière exigence et peut être la plus
importante consiste dans le fait que Hambro Bank Ltd. et Lazard Brothers
subordonnent leur participation à l’emprunt roumain à l’acceptation du
Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la

345
Archives de la BdF, Paris Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harrison, le 28 septembre
1928, p. 1.
346
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harrison, le 28 septembre
1928, p. 2.
347
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harrison, le 28 septembre
1928, p. 2.
348
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre de Hambro Bank Ltd à la Banque de France, p. 2.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Roumanie par la Banque de France, la Banque d’Angleterre, la Federal Reserve


Bank de New York et la Reichsbank. L’accord de la Banque de Paris et des
Pays-Bas avec le groupe anglais sera finalement conclu en septembre 1928.

2.4.3. Le groupe « D Banken » et la participation à l’emprunt roumain de


stabilisation monétaire et de développement économique

349
Dès le début des négociations avec la Roumanie, les banques allemandes ,
dirigées par la Disconto-Gesellschaft, subordonnent leur participation à cette
opération au règlement des différends financiers, qui opposaient Berlin et
Bucarest depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Le 10 novembre 1928,
date à laquelle l’accord germano-roumain, mettant fin aux différends financiers
entre les deux pays, est signé, les « 4 D » confirment leur participation à
350
l’émission de l’emprunt roumain de développement économique. Avec
l’assentiment du Président de la Reichsbank, Hjalmar Schacht, la Disconto-
Gesellschaft exige l’amélioration des conditions imposées à la Roumanie par les
banques étrangères et, plus particulièrement, celles relatives au contrôle
351
financier, qui devrait être exercé par une commission neutre. Il convient de
préciser que par cette demande, la Disconto-Gesellschaft visait non seulement à
gagner les sympathies des dirigeants de Bucarest, mais aussi à défendre les
intérêts de l’Allemagne, en exigeant la suppression du contrôle financier instauré
par les Alliés en Allemagne dès la fin de la guerre.

Toutefois, le 23 novembre 1928, le Directeur de la Disconto-Gesellschaft, Georg


Solmssen, avertit Charles Rist des difficultés de l’émission de l’emprunt roumain
sur le marché allemand en raison de la réticence de l’opinion publique allemande
de s’engager de nouveau en Roumanie. Cette attitude s’explique, ainsi que le

349
Il s’agit de la Deutsche Bank, de la Darmstädter Bank et de la Dresdner
Bank.
350
Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No.
1370200006/7 : Note sur Les banquiers étrangers viennent à Bucarest, pp. 1-4.
351
Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No.
1370200006/7 : Note sur Les banquiers étrangers viennent à Bucarest, p. 3.
129

précise Solmssen, par le fait que les détenteurs allemands des emprunts
roumains, émis sur le marché allemand avant 1914, n’ont pas obtenu la même
352
satisfaction que les détenteurs anglais et français. « Pour des raisons
générales, affirme Solmssen, il existe chez les banques allemandes une
hésitation bien compréhensible à se présenter comme propagandiste pour un
353
emprunt étranger quelconque car elles courront le risque d’être blessées. »
Toutefois, le Directeur de la Diconto-Gesellschsft déclare que la participation des
banques allemandes à l’émission de l’emprunt roumain dépendra entièrement de
la décision de la Reichsbank. Malgré les difficultés d’arriver à un accord financier
avec la Roumanie, Schacht considère que les banques allemandes, qui ont
figuré depuis la fin du XIXe siècle comme les principaux financiers de la
354
Roumanie, doivent impérativement participer à cette opération.

3. Le déroulement des négociations entre la Roumanie et la Banque de France

Le 7 juillet 1928, Charles Rist se rend à Bucarest afin de mettre au point avec
les dirigeants de la Banque Nationale de Roumanie et du Ministère des
Finances les termes et les conditions du Programme de stabilisation monétaire
et de développement économique de la Roumanie, qui doit être présenté aux
355
banques étrangères pour la signature finale de l’accord. À l’origine du
déplacement de Rist en Roumanie est, en effet, la question de l’équilibre
budgétaire car les rentrées d’impôts, au cours des six premières mois de l’année
1928, laissaient un déficit de 1200 millions de lei par rapport aux prévisions

352
Archives de la BdF, Paris, Missions françaises en Roumanie, No.
1370200006/10: Lettre de Georg Solmssen à Charles Rist, le 23 novembre
1928.
353
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Lettre de Georg Solmssen à Charles Rist, le 23 novembre
1928.
354
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Lettre de Georg Solmssen à Charles Rist, le 23 novembre
1928.
355
SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, p. 44.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

356
effectuées en 1927. Or, le déséquilibre budgétaire est considéré par Rist
comme un véritable danger qui pourra porter atteinte à l’émission de l’emprunt
roumain. Face aux inquiétudes de Rist, Vintila Bratianu rassure le sous-
gouverneur de la Banque de France que ce déficit est un phénomène normal
auquel la Roumanie se confronte chaque année, mais que les rentrées des
impôts seront beaucoup plus abondantes dans le deuxième trimestre, grâce aux
récoltes, et elles permettront de combler aisément ce déficit.

Parallèlement à la visite de Charles Rist, les représentants des banques


américaines, anglaises et français sont également présents à Bucarest afin de
357
poursuivre leurs négociations avec les dirigeants roumains. Le sujet principal
abordé par les banquiers privés concerne la création d’une Caisse Autonome,
ainsi que l’avait exigé la Banque d’Angleterre, à laquelle l’État roumain devra
358
transférer le droit d’exploitation de ses Monopoles. A ce sujet, ils décident que
la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie devra être
créée par une loi préalable à l’émission de l’emprunt de stabilisation, qui lui
conférera la personnalité civile, le droit de faire des emprunts et des prêts pour
le développement économique du pays (l’outillage, les écoles et autres objets
359
productifs). La concession du droit d’exploitation des Monopoles,
actuellement exploités par la Régie des Monopoles de l’État, doit durer autant
que les emprunts contractés par la Caisse Autonome. Si ces emprunts seront
remboursés par anticipation, cette concession pourra bien entendu être résiliée.

356
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harisson, le 28 septembre
1928, p. 5.
357
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du
Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928.
358
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du
Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Protocole No.
1.
359
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du
Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Protocole No.
1, p. 1.
131

En ce qui concerne l’administration de cette Caisse, les banquiers privés exigent


qu’elle soit assurée par un conseil de huit membres désignés parmi les hauts
fonctionnaires de l’ordre administratif et judiciaire de la Banque Nationale de
Roumanie et les représentants des grandes institutions publiques. Le Directeur
Général de cette institution sera nommé par le gouvernement roumain sur la
proposition du Conseil d’Administration de la Banque Nationale. Pour ce qui est
des revenus, la Caisse Autonome, qui aura son propre budget distinct de celui
de l’État, doit verser à la Banque Nationale de Roumanie, sur un compte
360
spéciale, 2/3 des recettes brutes des monopoles. Les emprunts contractés
par la Caisse Autonome des Monopoles constitueront sa responsabilité directe
et leur service sera assuré par une affectation du produit brut des Monopoles et
des autres ressources et actifs de cette institution. Quant au paiement du
service des obligations, il doit être entièrement garanti par l’État roumain. Sur le
produit du premier emprunt, la Caisse Autonome fournira les sommes
nécessaires à l’exécution immédiate des mesures prévues par le Programme de
stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie. Elle
sera autorisée à remettre à l’Administration des chemins de fer une somme de
40 millions de dollars, contre l’engagement de cette institution de rembourser ce
crédit par annuités égales sans intérêt pendant la période prévue par le tableau
361
d’amortissement contractuel des emprunts, ayant servi à fournir cette somme.
Ces annuités seront utilisées par la Caisse pour le rachat en bourse des
emprunts qui lui ont permis à prêter ce montant de 40 millions de dollars. Une
fois que la Caisse Autonome aura assuré ces fonctions, elle sera habilitée, dans
les limites de ses capacités d’emprunt, à fournir à l’État les ressources
362
nécessaires pour l’exécution d’autres travaux de reconstruction du pays. Par

360
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du
Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Protocole No.
1, p. 2.
361
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du
Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Protocole No.
1, p. 4.
362
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

la même occasion, les banquiers privés communiquent à Bratianu que le


montant de l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement
économique s’élève à 250.000.000 millions de dollars et qu’il sera émis en deux
363
tranches. La première tranche de cet emprunt, qui sera émise à la fin de
l’année 1928, est estimée à 80.000.000 milions de dollars avec un taux d’intérêt
364
de 7%.

Le 19 juillet 1928, Vintila Bratianu informe les banquiers privés que son
gouvernement ne pourra prendre en considération les exigences liées à la
er
Caisse Autonome que s’ils s’engagent avant le 1 août à ouvrir à la Roumanie
un crédit de 20 millions de dollars, destiné à renforcer les moyens dont
disposent la Banque Nationale de Roumanie pour le maintien de la stabilité
365
monétaire. Dans un mémorandum adressé au groupe bancaire privé,
constitué pour l’émission de l’emprunt roumain, Vintila Bratianu demande en
addition aux crédits des banques centrales qu’on accorde à la Banque
Nationale un crédit de 20 millions de dollars pour la défense de la stabilité du leu
366
jusqu’à sa stabilisation officielle. Cette avance apparaît comme nécessaire
pour les dirigeants roumains car la Banque Nationale n’est pas autorisée à
dépasser l’émission, fixée à 21 milliards de lei par la Convention de mai 1925
que si les lei émis au-delà de cette limite sont couverts par une remise des
devises à la Banque. En août 1928, un crédit de 12 millions de dollars avec un

Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Protocole No.


1, p. 5.
363
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du
Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Aide-Mémoire
No. 2, p. 1.
364
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre des banquiers privés à Vintila Bratianu, Président du
Conseil et Ministre des Finances de Roumanie, le 19 juillet 1928, Aide-Mémoire
No. 2, p. 1.
365
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre de Vintila Bratianu, Président du Conseil et Ministre des
Finances de Roumanie, aux banquiers privés, le 19 juillet 1928.
366
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Mémorandum du gouvernement roumain concernant l’avance
de 20 millions de dollars, le 19 juillet 1928, p. 1.
133

taux d’intérêt de 8% est accordé à l’État roumain par la Banca Commerciale


367
Italiana. Dans une lettre adressée à la Federal Reserve Bank de New York, le
28 septembre 1928, Rist explique que ce crédit a été accordé à la Roumanie sur
l’initiative personnelle de Mussolini par l’intermédiaire de la Société Nationale de
368
Crédit Industriel. Sur cette somme, un montant de 9 millions de dollars a été
utilisé par le gouvernement roumain pour liquider la dette de la Société
Nationale de Crédit Industriel envers la Banque Nationale, alors que les trois
369
autres millions ont été utilisés directement par la Trésorerie.

La Banque Nationale de Roumanie est informée par Charles Rist en juillet 1928
que, selon les premières estimations de la Banque de France, elle bénéficiera
d’un crédit de 20 millions de dollars. À ce montant pourrait s’ajouter les
participations de la Reichsbank et de la Banque Nationale Suisse, de 4 millions
de dollars et, respectivement, un million de dollars. Rappelons que la
Reichsbank refusait de donner son accord de participation tant que les différends
financiers qui opposaient l’Allemagne et la Roumanie n’étaient pas solutionnés.
Ainsi, la Banque Nationale de Roumanie pourra recevoir en novembre 1928 un
crédit de 25 millions de dollars. Par la même occasion, Charles Rist informe
également les dirigeants roumains que le consortium des banques centrales
européennes, réuni par la Banque de France a formulé de nouvelles exigences à
l’égard de la Roumanie. Ces exigences sont en lien avec la nomination d’un
Conseiller technique auprès de la Banque Nationale de Roumanie et la
modification des statuts de la Banque Nationale, afin de renforcer l’indépendance
de cette institution par rapport au povoir politique.

367
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1928 : Télégramme
de la Banca Commerciale Italiana à la Banque Nationale de Roumanie, le 2 août
1928, p. 6.
368
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harisson, le 28 septembre
1928, pp. 4-5.
369
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Charles Rist à George Harisson, le 28 septembre
1928, p. 5.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

3.1. La question du Conseiller technique français auprès de la Banque Nationale


de Roumanie

Evoquée le 15 décembre 1927, lors de l’entrevue entre Emile Moreau et Victor


Antonescu, la question de la nomination d’un « contrôleur » financier français
auprès de la Banque Nationale de Roumanie est dès le début violemment
attaquée par les adversaires du gouvernement Bratianu et, notamment, par le
Parti National Paysan. Ce dernier est accusé d’aliéner l’indépendance du pays
au profit d’un emprunt insignifiant, dont le principal objectif est de maintenir au
370
pouvoir du Parti National Libéral. Cette question provoque même au sein du
Parti National Libéral des interrogations relatives au choix effectué par Vintila
Bratianu de confier l’organisation de l’emprunt roumain à la Banque de France,
dont les exigences en matière de surveillance et de contrôle financier sont
analogues à celles de la Société des Nations. Toutefois, les critiques les plus
acerbes viennent de la Banque Nationale de Roumanie. Le Gouverneur Dimitrie
Burilianu s’oppose à l’instauration de tout contrôle financier étranger sur son
institution car il symbolisera la faiblesse et l’incompétence des dirigeants de la
Banque Nationale pour gérer les questions financières et monétaires du pays.

Malgré toutes ces critiques, le Président du Conseil roumain annonce le 28


janvier 1928 à Pierre Quesnay qu’il est prêt à confier la surveillance de la
Banque Nationale et la réorganisation des chemins de fer à des « contrôleurs »
français. Leur nomination, ainsi que Vintila Bratianu l’exige, sera effectuée pour
371
une durée de six mois au maximum. Dans un télégramme adressé à Charles
Rist, le 24 avril 1928, il confirme sa décision de nommer un Conseiller technique
français auprès de la Banque Nationale de Roumanie et il suggère de confier
cette mission à Pierre Quesnay. « J’apprécie, écrit Vintila Bratianu, comme il
convient la présence auprès de la Banque Nationale de Roumanie d’un expert

370
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 : Extrait
er
d’un article publié par le journal Adevarul (La Vérité), le 1 janvier 1928, p. 30.
371
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Lettre de Pierre Quesnay à Emile Moreau, le 28 janvier 1928,
p. 6.
135

aussi éclairé que Monsieur Quesnay dont j’ai apprécié la compétence et les
sentiments très dévoués à l’égard de notre pays et je serais heureux si choix
372
définitif se portait sur lui ». Quant à la durée de la mission et des fonctions du
Conseiller technique français, Bratianu demande à Rist d’intervenir auprès des
dirigeants de la Banque de France afin de trouver un nouvel accord avec les
banques étrangères car « nous voudrions que cette collaboration n’ait pas
caractère d’une participation directe dans l’administration de la Banque Nationale
373
de Roumanie ». De son point de vue, cette démarche s’impose comme une
nécessité car les participants à l’emprunt roumain ne doivent pas heurter les
intérêts politiques et économiques du pays.

La proposition de Vintila Bratianu de confier la mission du Conseiller technique


de la Banque Nationale de Roumanie à Pierre Quesnay ne laisse pas indifférents
les dirigeants de la Banque de France. Dans ses Mémoires, le Gouverneur
Moreau évoque le fait que Rist conseille les dirigeants de Bucarest de désigner
Quesnay, qui ne séjournera qu’occasionnellement en Roumanie, et un autre
fonctionnaire de la Banque de France, comme remplaçant qui, lui résidera de
374
manière permanente dans le pays. Mis au courant de l’initiative du
gouvernement roumain, Pierre Quesnay conseille les dirigeants de la Banque de
France de confier cette mission à René M. F. Charron, Conseiller financier de la
Bulgarie. Cette proposition provoque l’indignation de Avenol qui accuse Quesnay
375
de se mettre au service de la Banque d’Angleterre et du Gouverneur Norman.
Dans une lettre adressée à Avenol, le 16 juillet 1928, Quesnay explique que le
nom de Charron lui a effectivement été suggéré par Siepmann, mais qu’il n’a
jamais abordé cette question avec Montagu Norman. Pour justifier et argumenter

372
Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No.
1370200006/6 : Télégramme de Vintila Bratianu à Charles Rist, le 24 avril 1928,
p. 2.
373
Archives de BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Télégramme de Vintila Bratianu à Charles Rist, le 24 avril 1928,
p. 2.
374
MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, p. 532.
375
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No,
1370200006/10 : Lettre de Pierre Quesnay à Joseph Avenol, le 16 juillet 1928,
p. 1.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

sa position, Quesnay affirme que Sipmann considère que Charron est « à peu
près la seule personne capable internationalement d’inspirer assez de confiance
376
dans la bonne gestion du pays». Afin de rassurer Avenol, Quesnay précise
que même Moreau a évoqué la nomination de Charron auprès de la Banque
Nationale de Roumanie. Conseillé par Sir Arthur Salter de désigner Jacques
377
Rueff , le Gouverneur Moreau opte pour Charron, le Conseiller technique de la
378
Banque Nationale de Bulgarie, en raison de l’anti-sémitisme roumain. A la
379
recherche d’un Conseiller technique français « d’âge assez respectable » , qui
pourra s’imposer véritablement à Bucarest, Quesnay informe Avenol que les
dirigeants de la Banque de France font également des démarches auprès de De
Mouy, Conseiller économique du Comité des transferts à Berlin, et de Gaillet-
Billoteaux. Pour Quesnay, ce dernier apparaît comme favori car la nomination de
380
De Mouy ne sera pas acceptée par Paribas.

Les démarches de la Banque de France pour trouver un Conseiller technique


pour la Banque Nationale de Roumanie sont accélérées par la demande des
dirigeants roumains, selon laquelle l’expert qui se rendra à Bucarest durant l’été
1928 devra occuper les fonctions de Conseiller technique. Dans ces
circonstances, le Gouverneur Moreau propose la nomination temporaire de
Roger Auboin, Maître des requêtes au Conseil d’Etat français, qui pourra par la
suite occuper les fonctions de Conseiller technique de la Banque Nationale de
381
Roumanie. Ayant demandé l’avis de Rist, Vintila Bratianu se voit conseillé

376
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Lettre Pierre Quesnay à Joseph Avenol, 16 juillet 1928, p. 2.
377
Jacques Rueff est inspecteur des Finances et directeur du Mouvement
Général des Fonds.
378
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Lettre Pierre Quesnay à Joseph Avenol, 18 juillet 1928, pp. 1-
2.
379
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Lettre Pierre Quesnay à Joseph Avenol, 18 juillet 1928, p. 3.
380
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Lettre Pierre Quesnay à Joseph Avenol, 18 juillet 1928, p. 4.
381
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Compte rendu d’une lettre adressée à la BdF par le Gouverneur
de la BNR, Burillianu, le 14 août 1928.
137

d’accepter sans hésitation la proposition de Moreau. Par la même occasion, Rist


insiste sur le fait que le gouvernement roumain doit être plus transparent avec
les dirigeants de la Banque Nationale et qu’ils doivent impérativement prendre
382
les décisions d’un commun accord. Le Gouverneur Burillianu s’est en effet
plaint auprès de Moreau que le Président du Conseil roumain prend toutes les
décisions sans consulter la Banque Nationale. En ce qui concerne le statut du
Conseiller technique, Rist suggère de l’assimiler au personnel diplomatique et de
383
lui offrir un salaire de 3000 à 4000 livres sterling par année.

Sans se prononcer sur le choix effectué par Moreau et Rist, Vintila Bratianu
exprime en août 1928 la volonté du gouvernement roumain et des dirigeants de
la Banque Nationale de confier le contrôle et la surveillance financière de la
Roumanie au sous-Gouverneur de la Banque de France. Malgré les suspicions
des dirigeants de la Banque de France par rapport à la décision des dirigeants
roumains, Charles Rist accepte d’être désigné Conseiller technique de Banque
Nationale de Roumanie. Il avertit immédiatement les dirigeants de Bucarest qu’il
ne pourra résider en Roumanie que pendant la première année de la
384
stabilisation monétaire. Afin d’assurer la continuité de la mission confiée par
les dirigeants roumains, Rist propose la nommination de Roger Auboin, Maître
des requêtes au Conseil d’Etat français, comme remplaçant qui, lui, séjournera
385
de manière permanente à Bucarest jusqu’à la fin du mandat.

Dans une lettre adressée au gouvernement Bratianu le 3 novembre 1928, Emile


Moreau confirme la nomination de Charles Rist comme Conseiller technique de
la Banque Nationale de Roumanie, ainsi que celle de Roger Auboin, comme

382
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 13 août 1928, p. 2.
383
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 13 août 1928, pp. 3-
4.
384
La mission financière de la Banque de France auprès de la Banque
Nationale de Roumanie est fixée à une période de trois ans.
385
RIST, Charles, « Notice biographique » in Revue d’Economie politique,
« Charles Rist, 1874-1955 », Paris, Sirey, 1956, p. 1011.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

386
remplaçant. Peu confiant envers les dirigeants roumains, le Gouverneur de la
Banque de France demande à Vintila Bratianu de formuler par écrit que durant
l’absence de Rist « le Conseiller technique remplaçant, nommé de la mêeme
manière que le Conseiller technique remplira les fonctions de celui-ci en son
387
absence. » Quant à la durée de la mission de Auboin, Rist demande aux
dirigeants roumains de désigner le Conseiller technique pour une durée de trois
388
ans, afin d’éviter tout malentendu avec les banques étrangères. Auboin, ainsi
que Moreau l’explique à Vintila Bratianu, devra bénéficier du même statut, ainsi
que des mêmes droits que Rist afin de démontrer à l’opinion publique
389
internationale que la Roumanie accepte le contrôle financier étranger. En
effet, cette demande vise à imposer Auboin auprès des dirigeants de la Banque
Nationale au même titre que Rist.

En ce qui concerne les fonctions du Conseiller technique, la principale mission


de Rist et de Auboin est de surveiller la répartition et l’utilisation de l’emprunt de
stabilisation et de développement, ainsi que la politique monétaire de la Banque
Nationale. Pour ce faire, ils doivent établir, en collaboration avec les ministres
des Finances, de l’Economie et des Communications, chaque trimestre un
rapport relatif à la situation financière et monétaire du pays, qui sera publié dans
le Bulletin officiel du Service des Études Économiques et Monétaires de la

386
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Lettre du Gouverneur Emile Moreau à Vintila Bratianu,
Président du Conseil roumain, le 3 novembre 1928.
387
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Lettre du Gouverneur Moreau à Vintila Bratianu, Président du
Conseil roumain, le 3 novembre 1928, p. 2.
388
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/6 : Lettre de Charles Rist à Vintila Bratianu, le 3 novembre 1928, p.
2.
389
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre des Banquiers privés au Gouverneur de la Banque de
France, Emile Moreau, le 29 septembre 1928.
139

Banque Nationale de Roumanie de Roumanie, qui sera mis sous son autorité
390
pendant toute la durée de son mandat.

3.2. La question du Conseiller technique pour la réorganisation des chemins de


fer roumains

Parmi les techniciens français proposés aux dirigeants de Bucarest par la


Banque de France pour remplir les fonctions de Conseiller technique pour les
chemins de fer roumains, Vintila Bratianu retient le nom de Raoul Dautry. Pour
Bratianu, Dautry, par rapport à d’autres noms proposés par la Banque de
France, jouit d’un grand prestige internationl car il est premier ingénieur de la
391
Compagnie du Nord « qui a mis au point les méthodes les plus modernes.» Il
convient de préciser que cette question de prestige et de reconnaissance
internationale est très importante pour le gouvernement roumain car, ainsi que
Bratianu précise à plusieurs reprises au Ministre de France à Bucarest, le futur
Conseiller doit être un ingénieur de la Compagnie du Nord avec une personnalité
392
très imposante. A titre d’exemple, Michel Mange, un autre nom proposé par
les dirigeants de la Banque de France, n’est pas retenu par Vintila Bratianu car il
a été l’ingénieur d’un réseau considéré comme inférieur à la Compagnie du
393
Nord. A ce sujet, le Ministre de France à Bucarest écrit aux dirigeants du Quay
d’Orsay : « Il résulte très nettement de cette conversation que le Gouvernement
roumain n’agréera pas la candidature de M. Mange et qu’il tient essentiellement

390
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Lettre de Pierre Quesnay au Gouverneur de la Banque
Nationale de Roumanie, Dimitrie Burillianu, le 3 octobre 1928, pp. 1-2.
391
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Télégramme du Ministère des Affaires Étrangères de France
(signé Corbin) à Poincaré, Président du Conseil français, le 2 juin 1928, p. 1.
392
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Télégramme du Ministère des Affaires Étrangères de France à
Poincaré, Président du Conseil français, le 2 juin 1928, p. 2.
393
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Télégramme du Ministère des Affaires Étrangères de France à
Poincaré, Président du Conseil français, le 2 juin 1928, p. 2.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

394
à la désignation d’un ingénieur du Nord, de préférence M. Dautry. » Par la
même occasion, le Ministre français conseille les dirigeants de Paris d’accepter
les exigences du gouvernement roumain et de lui mettre à disposition un
ingénieur de la Compagnie du Nord et de préférence Raoul Dautry. Pour
argumenter sont point de vue, Puaux Bucarest déclare : « Étant donné les
avantages considérables que nous pouvons escompter de la réorganisation des
chemins de fer roumains, sous une direction française, il vous apparaîtra sans
doute comme à moi qu’il convient de donner satisfaction à la demande de M.
395
Bratiano (...). »

La mission du Conseiller technique pour les chemins de fer consiste


principalement dans la publication pendant une durée de trois ans d’un rapport
annuel sur l’exécution technique du programme de réorganisation et
396
d’amélioration des chemins de fer. Ce rapport présentera également la
situation financière des chemins de fer, ainsi que l’évolution du trafic et des tarifs.
Le programme général établi en octobre 1928 par Gaston Leverve en
collaboration avec les dirigeants roumains de l’Administration des Chemins de
Fer prévoit une dépense totale de 12 milliards de lei pour les travaux
d’amélioration et de 9,6 milliards de lei pour la construction de nouvelles
397
lignes.

Les négociations avec la Banque de France, ainsi que tout le Programme de


stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie, sont
remises en question le 10 novembre 1928 par la chute du gouvernement de

394
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Télégramme du Ministère des Affaires Étrangères (signé
Corbin) de France à Poincaré, Président du Conseil français, le 2 juin 1928, p. 2.
395
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Télégramme du Ministère des Affaires Étrangères de France
(signé Corbin) à Poincaré, Président du Conseil français, le 2 juin 1928, p. 3.
396
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Rapport sur l’exécution du Programme d’amélioration des
chemins de fer roumains, 7 février 1930 - 7 février 1931, p. 1.
397
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/9 : Rapport sur l’exécution du Programme d’amélioration des
chemins de fer roumains, 7 février 1930 - 7 février 1931, p. 13.
141

Vintila Bratianu. Le sous-Gouverneur de la Banque de France, Charles Rist,


explique la chute du Parti National Libéral par suite de l’intervention de la
398
Régence qui soutient l’arrivée au pouvoir du Parti National Paysan. Les
gouvernements des frères Bratianu n’ont pas réussit à réaliser le développement
économique de la Roumanie, ainsi qu’ils se sont proposés lors de leur retour au
pouvoir le19 janvier 1922. La politique économique basée sur l’industrialisation
du pays, le manque de ressources financières, ainsi que le fonctionnement de la
société roumaine ne représentent que quelques obstacles qui ont fait échoué le
développement économique de la Roumanie, ainsi que son intégration dans le
système économique et financier international. Les problèmes politiques,
économiques et financiers de la Roumanie ne peuvent pas être résolus
séparement, mais uniquement en tenant compte de leur interdépendance.

398
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Note de Charles Rist à Emile Moreau sur son voyage en
Roumanie, le 29 novembre 1928, p. 2.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

DEUXIÈME PARTIE

LE RENFORCEMENT DE L’INFLUENCE FRANÇAISE


EN ROUMANIE : ENTRE STRATEGIES FINANCIÈRES
ET PRINCIPES POLITIQUES,

10 NOVEMBRE 1928 - 20 JUIN 1932


143

CHAPITRE I : LE GOUVERNEMENT MANIU ET LA REMISE EN QUESTION


DE LA PARTICIPATION DE LA BANQUE DE FRANCE AU
DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET FINANCIER DE LA ROUMANIE, 10
NOVEMBRE 1928 - 9 FEVRIER 1929

399
L’arrivée au pouvoir du Parti National Paysan, dirigé par Iuliu Maniu , le 10
novembre 1928 remet en question les démarches effectuées par Vintila Bratianu
auprès des différentes banques américaines et européennes pour l’organisation
de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement
économique. La politique de stabilisation monétaire choisie par Vintila Bratianu
est fortement critiquée par les dirigeants du Parti National Paysan en raison du
caractère politique très marqué de cette opération et des conditions imposées
par les milieux financiers américains et européens. Les 26 et 27 juillet 1928, lors
400
de l’Assemblée générale du Parti National Paysan, Grigore Gafencu
recommandait le recours à la Société des Nations, ainsi que l’avait suggéré le
Gouverneur Montagu Norman, afin de soustraire le programme de
reconstruction financière et monétaire aux influences politiques internes et

399
Après des études de droit à Cluj, à Budapest et à Vienne, Iuliu Maniu (1873-
1953) entre dans la vie politique en 1906 en tant que député de Transylvanie au
Parlement de Budapest. En 1912, il créé le Parti National de Transylvanie qui
militait pour l’union de la Transylvanie avec le Royaume de Roumanie. Le 10
octobre 1926, Iuliu Maniu est élu Président du Parti National Paysan, formation
politique issue de la fusion du Parti National Paysan de Ion Mihalache et du
Parti National de Transylvanie. Arrêté en juillet 1947 par le régime communiste,
Maniu sera condamné quelques mois plus tard, le 11 novembre, aux travaux
forcés à perpétuité. Il décédera le 5 février 1953 dans la prison de Sighet. Sur
l’action politique de Iuliu Maniu, voir SCURTU, Ioan, Iuliu Maniu : activitatea
politica (Iuliu Maniu : l’activité politique), Bucuresti, Ed. Enciclopedica, 1995.
400
Homme politique et journaliste roumain, Grigore Gafencu (1892-1957) est
er
désigné par Iuliu Maniu Ministre adjoint des Affaires Etrangères. Le 1 février
1937, il deviendra Ministre des Affaires Etrangères de Roumanie, fonction qu’il
occupera jusqu’au 3 juillet 1940. Parmi les principaux ouvrages publiés par
Gafencu, nous mentionnons : Derniers jours de l’Europe : un voyage
diplomatique en 1939, Paris, LUF, 1946, Préliminaires de la guerre à l’Est : de
l’accord de Moscou (21 août 1939) aux hostilités en Russie (22 juin 1941),
Fribourg, Egloff, 1944 et Însemnari politice, 1929-1939, Bucuresti, Humanitas,
e
1991 (2 édition).
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

internationales et de le soumettre à certaines règles générales, purement


401
techniques. Pour Gafencu, le plan de stabilisation adopté par Vintila Bratianu
en collaboration avec la Banque de France a rendu les négociations avec les
banques allemandes et, notamment, anglaises très difficiles et complexes en
raison de son caractère politique qui pèse lourdement sur la moralité et le crédit
402
international de la Roumanie. La principale raison pour laquelle Vintila
Bratianu s’est adressé à la Banque de France est, ainsi que le souligne Iuliu
Maniu, la volonté d’assurer le maintien au pouvoir du Parti National Libéral,
malgré la forte opposition de l’opinion publique roumaine et les conditions
403
financières sévères imposées par les banques étrangères. Devenue une
affaire politique, la stabilisation monétaire de la Roumanie pourrait entraver le
développement économique du pays car la perspective d’un expert financier
français auprès de la Banque Nationale de Roumanie a provoqué dans les
404
milieux financiers allemands et anglais une grande méfiance.

Toutefois, la plus grande erreur commise par Vintila Bratianu est d’avoir fait trop
de concessions aux banques anglaises, françaises et, notamment, allemandes
en acceptant le règlement des différends financiers, qui opposaient Bucarest à
Londres, Paris et Berlin, au détriment des intérêts économiques et financiers de
la Roumanie. En acceptant la revalorisation des dettes d’avant-guerre envers la
France, Bratianu avait encouragé l’Allemagne et la Grande-Bretagne à exiger,
en échange de leur participation à l’emprunt roumain de stabilisation monétaire

401
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les
négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 44.
402
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les
négociations d’emprunt et notre politique étrangère), pp. 45-47.
403
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928, (Exposé de Iuliu Maniu sur La situation
économique de la Roumanie avant la stabilisation), p. 52.
404
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les
négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 46.
145

405
et de développement économique, l’application du même principe. « Par
406
l’intermédiaire de la Société des Nations, affirme Virgil Madgearu , nous
aurions pu obtenir un emprunt et régler nos litiges, dans des conditions
avantageuses, parce qu’elle a toujours tenu compte, pour fixer les obligations,
407
de la capacité de paiement de chaque pays. » Les critiques formulées par
Iuliu Maniu, Virgil Madgearu et Grigore Gafencu à l’égard du plan de
stabilisation monétaire choisi par Vintila Bratianu détermineront-elles la révision,
voire la réorientation, de la politique roumaine de stabilisation monétaire ? Le
gouvernement Maniu a-t-il les moyens d’interrompre les négociations avec la
Banque de France ?

Avant de présenter les démarches effectuées par les nouveaux dirigeants de


Bucarest pour réaliser la stabilisation de la monnaie roumaine, il convient de
présenter briévement le programme économique et financier annoncé par le
Parti National Paysan dès son arrivée au pouvoir, le 10 novembre 1928.

405
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Virgil Madgearu sur La
stabilisation du leu), pp. 30-36.
406
Economiste, sociologue et homme politique, Virgil Madgearu (1887-1940) est
le principal théoricien du Parti National Paysan. Il occupe plusieurs plusieurs
portefeuilles dans les cabinets de Iuliu Maniu, George Mironescu et Alexandru
Vaida Voevod : Ministre de l’Industrie et du Commerce (novembre 1928 -
novembre 1929, juin - octobre 1930 et octobre 1932), Ministre des Finances
(novembre 1929 - juin 1930 et octobre 1932 - novembre 1933) et Ministre de
l’Agriculture (octobre 1930 - avril1931). Madgearu a également représenté la
Roumanie aux conférences organisées la Société des Nations dans le contexte
de la crise de 1929, telles que les conférences de Genève (1930), de Stresa
(1932), de Londres (1933), etc. Le 27 novembre 1940, Virgil Madgearu sera
assassiné par la Garde de Fer. Parmi les principaux ouvrages publiés par Virgil
Madgearu, durant les années trente nous mentionnons : Rumania’s new
economic policy, Le traitement préférentiel et l’entente économique régionale,
La Roumanie à la Conférence de Stresa, Notre collaboration technique avec la
Société des Nations, La capacité de paiement et la dette publique de la
Roumanie, La politique extérieure de la Roumanie (1927-1938). Sur l’activité
politique et les conceptions économiques de Virgil Madgearu, voir BANCA
NATIONALA A ROMÂNIEI, Viata si opera lui Virgil Madgearu (La vie et l’œuvre
de Virgil Madgearu), Bucuresti, Banca Nationala a României, 2002.
407
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Virgil Madgearu sur La
stabilisation du leu), pp. 33-35.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

1. Iuliu Maniu et l’introduction d’une nouvelle politique économique et financière

Hostile à la politique d’industrialisation de ses prédécesseurs, qui avaient


globalement échoué à faire décoller l’économie roumaine, Iuliu Maniu s’engage
auprès de la population roumaine, formée majoritairement de classes agricoles,
à soutenir le développement de l’agriculture et des industries basées sur
408
l’utilisation de produits issus de l’agriculture et de l’élevage. L’économiste du
Parti National Paysan Virgil Madgearu, devenu Ministre de l’Industrie et du
Commerce, promet de mettre fin à la politique d’industrialisation menée par les
Libéraux durant les années 1922 - 1928 aux dépens de l’État et des classes
agricoles, par des tarifs protecteurs élevés, par l’inexistence du crédit agricole et
par des prélèvements importants sur le budget du pays. Pour Madgearu,
l’économie roumaine reste, malgré l’intégration de nouvelles provinces, une
économie agricole, dont le développement économique exige l’introduction de
toute une série de mesures, destinées à augmenter la production agricole et à
soutenir financièrement et administrativement les classes rurales. Pour se faire,
il propose l’introduction d’un régime de liberté économique et la création de
nouvelles institutions de crédit agricole afin de faciliter l’accès de la population
409
paysanne à des aides financières à des taux d’intérêt très modérés. Ainsi,
dans le cadre du Crédit Foncier Rural, le gouvernement Maniu a décidé de créer
une section bancaire qui accordait aux grands propriétaires des crédits contre le
410
gage des récoltes, ainsi que des diverses subventions. On prévoit également
la réorganisation de la Caisse Rurale, ainsi que celle des Caisses

408
SCURTU, Ioan (ed.), Documente privind istoria României între anii 1918-
1944 (Documents concernant l’histoire de la Roumanie durant les années 1918-
1944), Bucuresti, Ed. Didactica si Pedagogica, 1995, pp. 319-326 et Archives du
CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest
les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu Maniu sur La situation économique de
la Roumanie avant la stabilisation), pp. 51-55.
409
SCURTU, Documente privind istoria României între anii 1918-1944, pp. 322-
324.
410
Sur cette question, voir BRATIANU, Constantin, Le Crédit Foncier Rural en
Roumanie, Paris, Librairie technique et économique, 1937.
147

411
départementales d’emprunt contre gage, destinées aux petits agriculteurs.
Afin de soutenir l’acquisition et l’utilisation en commun d’outils de production,
ainsi que la commercialisation des produits agricoles, Virgil Madgearu préconise
412
la création dans toutes les provinces du pays de coopératives agricoles.

Quant à l’industrie, le gouvernement Maniu accepte d’encourager uniquement


les industries basées sur l’utilisation et la transformation des produits agricoles,
413
telles que les industries textile, alimentaire et sucrière. Les autres branches,
à savoir les industries minières et métallurgiques, dont l’exploitation et la
croissance représentent pour l’État roumain une charge financière très coûteuse
car elles ne bénéficient pas de conditions appropriées de développement, à
savoir les capitaux et les compétences techniques, doivent être confier aux
414
entreprises et aux capitaux privés. Conscients du manque de capitaux
roumains, les nouveaux dirigeants de Bucarest encouragent la collaboration
avec les entreprises et les capitaux étrangers par l’introduction d’une nouvelle
415
politique d’ouverture à la finance et aux compétences étrangères. « Le Parti
National Paysan, déclare Iuliu Maniu, ouvrira les portes au capital et aux
compétences techniques étrangères, en leur faisant des conditions légales et
416
administratives à parfaite égalité avec le capital roumain. » Cette politique
vise en effet la modification de la législation libérale et, plus particulièrement, la
417
loi des mines , par l’assouplissement des mesures de participation à

411
CONSTANTINESCU, Nicolae, L’histoire de la Roumanie de l’origine jusqu’à
la deuxième guerre mondiale, Bucarest, Expert, 1996, p. 250.
412
SCURTU, Documente privind istoria României, pp. 322-324.
413
SCURTU, Documente privind istoria României, p. 323 et Archives du CL,
Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les
26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu Maniu sur La situation économique de la
Roumanie avant la stabilisation), pp. 51-55.
414
SCURTU, Documente privind istoria României, p. 323.
415
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu Maniu sur La révision
de la législation économique du Parti Libéral), pp. 48-50.
416
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928, p. 10.
417
La loi des mines, introduite par le gouvernement Bratianu en juillet 1924, sera
modifiée le 28 mars 1929 en faveur des entreprises et des capitaux étrangers.
Le 19 mars 1929, le gouvernement Maniu modifiera également la loi concernant
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

418
l’exploitation et à la mise en valeurs des richesses minières du pays. A ce
sujet, les dirigeants roumains se proposent de prendre des mesures pour
intensifier les travaux d’exploitation en garantissant les concessions aux
sociétés étrangères et en leur accordant certains avantages, tels que les
419
réductions provisoires de redevances et d’impôts. Une autre mesure
envisagée par le gouvernement Maniu en faveur des entreprises et des capitaux
étrangers concerne « la séparation de la vie politique et de l’activité
économique » afin de soustraire les entreprises à l’influence arbitraire et abusive
des différentes formations politiques roumaines et, plus particulièrement, celle
420
du Parti National Libéral. Fortement contestée par les milieux roumains anti-
occidentalistes, en raison des liens de dépendance économique et financière
qu’elle engendra à l’égard des puissances étrangères, l’ouverture de la
Roumanie aux capitaux étrangers est appelée « portes ouvertes au capital
421
étranger » par opposition à la politique libérale « par nous-mêmes ».

La politique extérieure adoptée par le gouvernement Maniu illustre également


cette volonté de collaboration économique et financière avec les entreprises et
les capitaux étrangers et, plus particulièrement, avec les milieux économiques et
financiers de la City. Interrogé par un journaliste anglais sur la politique pro-
française menée par les dirigeants roumains dès la fin de la Première Guerre
mondiale, Grigore Gafencu déclarait en juillet 1928 que : « la Roumanie fait la
politique de la France car, depuis la guerre, la France seule, parmi, les grandes

la commercialisation et le contrôle des entreprises de l’Etat du 7 juin 1924 afin


d’encourager la participation du capital étranger au développement industriel de
la Roumanie. La nouvelle législation, adoptée par le Parti National Paysan,
suscitera une forte opposition du Parti National Libéral.
418
SCURTU, Documente privind istoria României, p. 325.
419
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu Maniu sur La révision
de la législation économique du Parti Libéral), pp. 49-50.
420
Sur cette question, voir Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du
Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu
Maniu sur La révision de la législation économique du Parti Libéral), p. 49.
421
Sur cette question, voir BANCA NATIONALA A ROMÂNIEI, Viata si opera lui
Virgil Madgearu, pp. 23-24.
149

422
puissances, n’a jamais cessé de faire la politique roumaine. » Par la même
occasion, Gafencu souligne l’intention de nouveaux dirigeants de Bucarest de
resserrer les liens diplomatiques et économiques avec la Grande-Bretagne en
offrant aux capitaux et aux industries anglaises une participation large et sûre au
423
développement économique de la Roumanie. Afin de développer les relations
avec les cercles politiques et financiers britanniques, les Nationaux Paysans se
rallient immédiatement à la politique anglaise d’« union européenne »,
consacrée à Locarno en octobre 1925 et poursuivie par la Société des
424
Nations. Le gouvernement Maniu prévoit également la reprise et le
développement des relations politiques et diplomatiques avec les anciens
ennemis du Royaume de Roumanie et, plus particulièrement, avec l’Allemagne.
Cette dernière apparaît aux yeux des dirigeants roumains comme
nécessaire « non seulement à cause du rôle politique qu’elle est appelée à jouer
dans l’avenir européen, mais en raison de la situation importante qu’elle a,
425
d’ores et déjà, acquise dans la vie économique mondiale. »

Toutefois, l’initiative majeure de Iuliu Maniu sur le plan politique et économique


international reste le projet de création d’une Confédération économique
danubienne par la réunification de l’espace centre-européen, composé de
l’Autriche, de la Hongrie, de la Pologne, de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie
426
et de la Yougoslavie. Le but de cette Confédération économique danubienne

422
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les
négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 41.
423
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les
négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 42.
424
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les
négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 42.
425
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les
négociations d’emprunt et notre politique étrangère), p. 43.
426
Sur cette question, voir SANDU, Traian, Le système de sécurité français en
Europe centre-orientale. L’exemple roumain 1919-1933, Paris, Harmattan, 1999,
p. 303.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

est, ainsi que le souligne Traian Sandu, de protéger le commerce centre-


427
européen de la concurrence et du dynamisme commercial de l’Allemagne.
Elle aurait également permis aux pays à caractère agricole de trouver par
l’introduction des tarifs préférentiels une importante source de financement pour
soutenir le développement de leurs économies. Combattu avant même sa
discussion officielle, le projet de Maniu échoue en juin 1929 devant l’opposition,
d’ordre économique, de la Grande-Bretagne et de la Tchécoslovaquie, ainsi que
devant les coups politiques de l’Italie et de la Hongrie. Il convient, toutefois, de
retenir le caractère précurseur de cette tentative, qui parvient à articuler des
données internationales d’ordre économique (l’écoulement de la production des
Etats agraires et de leur industrialisation), politique (la réunification économique
et politique de l’espace danubien sur les bases du statu quo territorial, au
bénéfice donc de la France) et géo-stratégique.

Néanmoins, le projet principal du gouvernement Maniu est la réalisation de la


stabilisation monétaire et la réorganisation des finances roumaines par le
rétablissement de l’équilibre budgetaire, la diminution des dépenses de l’État,
ainsi que la réduction du nombre de fonctionnaires. Selon Iuliu Maniu, les
fonctionnaires roumains doivent être bien préparés et formés pour remplir les
fonctions confiées par l’État et, notamment, bien payés afin de mettre un terme
aux pratiques de corruption et de favoritisme, qui caractérisent le système
428
roumain depuis la fin du XIXe siècle. Afin de renforcer l’indépendance du
Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie vis-à-vis du pouvoir politique
et de tout autre groupement financier privé, Maniu prévoit également la
429
modification de l’organisation et des statuts de cette institution. Par cette
mesure, il vise en effet à s’attaquer à l’influence exercée par les Libéraux sur la
Banque Nationale par l’intermédiaire de leur participation financière à cette
institution. Rappelons que Libéraux disposent depuis 1925 la majorité des

427
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 303.
428
Archives du CL, Paris, DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan
réuni à Bucarest les 26 et 27 juillet 1928 (Exposé de Iuliu Maniu sur La révision
de la législation économique du Parti Libéral), p. 50.
429
SCURTU, Documente privind istoria României, p. 326.
151

actions de la Banque Nationale de Roumanie et qu’ils contrôlent une de plus


puissante banque privée de Roumanie, la Banca Românesca, qui détient
également un nombre important d’actions de la Banque Nationale.

Ebauchée, ainsi que nous l’avons démontré par Vintila Bratianu, la finalisation
de la stabilisation monétaire de la Roumanie provoque au sein du Parti National
430
Paysan un véritable débat. Grigore Gafencu décrit dans son Journal les
longues discussions qui ont lieu entre les membres de cette formation politique
afin de savoir s’ils doivent continuer les négociations avec la Banque de France
ou s’ils doivent entamer une nouvelle procédure avec la Société des Nations.
Rappelons que Gafencu même se déclare le partisan résolu de la deuxième
alternative car il souhaite rompre définitivement avec la politique du
431
gouvernement Bratianu. Un autre partisan de la collaboration avec l’institution
de Genève est le Ministre de Roumanie en Grande-Bretagne, Nicolae Titulescu.
« Ce dernier, note Grigore Gafencu, avait obtenu des garanties sérieuses de la
part de la banque anglaise Schroder et pouvait compter sur l’amitié et la
432
sympathie de Montagu Norman, Gouverneur de la Banque d’Angleterre. » En
433
revanche, Iuliu Maniu et Mihai Popovici , nommé Ministre des Finances,
manifeste une certaine hésitation entre Paris et Londres. L’avantage des
négociations, organisées sous l’égide de la Banque de France, est qu’elles sont
pratiquement finalisées et qu’elles permettront la réalisation de la stabilisation
monétaire dans les plus brefs délais. C’est, de notre point de vue, un facteur
assez important pour le gouvernement Maniu afin consolider sa position

430
GAFENCU, Grigore, Însemnari politice, 1929-1939 (Réflexions politiques,
ème
1929-1939), Bucuresti, Humanitas, 1991 (2 éd.), pp. 189-192.
431
GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 191 et Archives du CL, Paris,
DEEF 73258 : Les Débats du Parti National Paysan réuni à Bucarest les 26 et
27 juillet 1928 (Exposé de Grigore Gafencu sur Les négociations d’emprunt et
notre politique étrangère), pp. 45-47.
432
GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 191.
433
Après des études de droit et de philosophie à Budapest et à Vienne, Mihai
Popovici (1879-1966) commence sa carrière politique au sein du Parti National
de Transylvanie. Popovici est nommé à plusieurs reprises durant les années
1928 -1933 ministre des Finances, de la Justice et des Travaux publics. Arrêté
en juillet 1947 par le régime communiste, Mihai Popovici sera condamné
quelques mois plus tard, le 11 novembre. Il sera libéré en 1955.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

politique au détriment du Parti National Libéral auquel on avait également


reproché la longueur des négociations avec les banques étrangères. Dans une
lettre envoyée au Gouverneur de la Banque de France, Charles Rist met en
évidence la « faiblesse » de nouveaux dirigeants de Bucarest qui, pour se
maintenir au pouvoir, accepteront de la part des créditeurs étrangers n’importe
434
quel programme et n’importe quelle exigence.

2. Le gouvernement Maniu, les négociations avec la Banque de France et la


stabilisation monétaire de la Roumanie

Face aux changements politiques survenus à Bucarest, le 10 novembre 1928, la


Banque de France se voit obligée de demander l’accord du gouvernement
Maniu pour la finalisation des négociations avec les banques américaines et
européennes, engagées depuis huits mois dans l’organisation de l’emprunt
roumain de stabilisation monétaire et de développement économique. Cet
accord devait être obtenu par le Gouverneur Emile Moreau avant le 5 décembre
1928, date à laquelle les banques étrangères devaient se réunir à Paris afin de
mettre au point l’émission de l’emprunt roumain, prévue pour le début de l’année
1929.

Face à l’hésitation de Iuliu Maniu qui, malgré l’aggravation de la situation


435
économique et financière de la Roumanie , restait indéterminé, Charles Rist
436
décide le 24 novembre 1928 de se rendre à Bucarest. En exprimant son
inquiétude pour la dégradation des finances roumaines, Rist insiste sur la
nécessité et l’urgence de continuer les démarches, effectuées par leurs
prédécesseurs, afin d’éviter toute nouvelle exigence de la part des banques

434
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Note de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de
France, au Gouverneur Emile Moreau sur son voyage à Bucarest, le 29
novembre 1928, pp. 2-3.
435
En 1928, la Roumanie enregistre une très mauvaise récolte.
436
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926-
1928) : Télégramme de Constantin Diamandy, Ministre de Roumanie en France,
à Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, le 20 novembre 1928, p. 400.
153

étrangères. « La Roumanie, déclare le sous-gouverneur de la Banque de


France, a besoin immédiatement de cet emprunt pour achever sa stabilisation
437
monétaire et pour réaliser son développement économique. » Après avoir
présenté les grandes lignes des négociations avec les banques étrangères,
Charles Rist aborde la question de l’équilibre budgétaire que Vintila Bratianu
s’était engagé à respecter jusqu’à l’émission de l’emprunt. C’est une question de
premier ordre, dont l’importance et, plus particulièrement, les éventuelles
répercussions sur le déroulement des négociations avec les créditeurs étrangers
n’échappent pas Rist compte tenu du fait que le budget roumain pour l’année
438
1928 enregistrait déjà un déficit de 7 milliards de lei. Dans une entrevue avec
Iuliu Maniu et Mihai Popovici, Rist exprime son inquiétude par rapport à ce
déficit budgétaire car les banques étrangères pourraient formuler de nouvelles
exigences à l’égard de la Roumanie, voire renoncer à leur participation à cette
439
opération. Afin d’éviter ce scénario, il conseille le Président du Conseil
roumain de demander au Gouverneur Emile Moreau d’envoyer immédiatement
440
à Bucarest de Jean Bolgert, Inspecteur de la Banque de France. Avec l’aide
de Bolgert, Mihai Popovici pourra établir pour l’année 1929 un budget
prévisionnel fiable, basé sur les recettes perçues effectivement en 1928 et non
441
sur des estimations arbitraires. En outre, Bolgert rédigera également un
rapport détaillé sur la situation financière de la Roumanie que les dirigeants de
la Banque de France devront transmettre aux banques centrales américaine et
européennes afin de dissiper les craintes provoquées par la révélation de ce

437
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de
France à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 27 novembre 1928.
438
Il s’agit d’un montnat de 5 milliards de lei pour le budget général et d’un
montant de 2 milliards de lei pour les chemins de fer roumains.
439
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de
France à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 27 novembre 1928.
440
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de
France, à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 27 novembre 1928.
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Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de
France, à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 27 novembre 1928.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

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déficit budgétaire. Dans ces circonstances, le Gouverneur Moreau pourra
facilement demander à tous les participants à l’emprunt roumain le
renouvellement du crédit international jusqu’au 15 mars 1929. Par ailleurs, Rist
recommande également aux nouveaux dirigeants roumains de faire une
déclaration publique afin de présenter les grandes lignes de la politique
financière envisagée et, notamment, les moyens auxquels ils auront recours,
d’une part, pour équilibrer le budget de 1929 et, d’autre part, pour éponger le
443
déficit de 1928. Selon Rist, cette déclaration devra persuader les participants
à l’emprunt roumain à renoncer à toute nouvelle exigence à l’égard de la
Roumanie.

La décision prise par le Ministre roumain des Finances, Mihai Popovici, de


réaliser l’équilibre budgétaire sans l’aide de Jean Bolgert provoque l’inquiétude
de Rist qui, lors d’une entrevue avec Diamandy, Ministre de Roumanie en
France, exprime ouvertement son manque de confiance dans les nouveaux
444
dirigeants de Bucarest. Pour Rist, la question de l’établissement d’un budget
équilibré et fiable pour l’année 1929 est d’autant plus importante que la banque
américaine Blair & Co. avait annoncé une diminution de 10 millions de dollars de
sa participation à l’emprunt roumain. Cette diminution, ainsi que le souligne Rist,
se répercute directement sur le projet de réorganisation des chemins de fer car
le montant prévu à cet effet devra être révisé à la baisse, soit 10 millions de
445
dollars de moins. Afin d’éviter la diminution des autres participations, voire le
retrait des autres banques étrangères, Charles Rist demande à Diamandy
d’intervenir immédiatement auprès de Iuliu Maniu et d’insister sur l’urgence de la

442
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Télégramme de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de
France, à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 8 décembre 1928.
443
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7: Lettre de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de France
à Mihai Popovici, Ministre des Finances, le 27 novembre 1928.
444
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926-
1928): Télégramme de Constantin Diamandy, Ministre de Roumanie en France,
à Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, le 4 décembre 1928, p. 411.
445
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926-
1928): Télégramme de Constantin Diamandy, Ministre de Roumanie en France
à Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, le 4 décembre 1928, p. 411.
155

déclaration sur l’état des finances et les prévisions budgétaires pour l’année
446
1929.

Dans le compte rendu de son voyage en Roumanie, Charles Rist manifeste son
447
inquiétude par rapport à la conclusion de l’emprunt roumain. Le manque de
volonté de Popovici de faire voter de nouvelles réformes financières et,
notamment, celle du budget, ainsi que le refus de travailler avec Jean Bolgert
448
pour l’établissement du budget de 1929 compliquent la donne. La seule
solution envisagée par Rist pour assurer la finalisation de l’emprunt roumain car,
ainsi qu’il affirme, le problème du déséquilibre budgétaire n’était pas un obstacle
449
insurmontable sera l’intervention ferme du Gouverneur Moreau auprès des
dirigeants de Bucarest. À la question de Moreau si la Banque de France devait
se retirer de cette affaire, Rist déclare qu’ils sont obligés de continuer les
négociations avec la Roumanie car le prestige et le crédit international de la
450
Banque de France étaient en jeu. Devenue, ainsi, un enjeu essentiel pour le
succès de la stabilisation du leu, la question du budget roumain provoquera de
véritables tensions entre les dirigeants roumains et Charles Rist. Si pour ce

446
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926-
1928): Télégramme de Constantin Diamandy à Iuliu Maniu, le 4 décembre 1928,
p. 411.
447
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Note de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de
France, au Gouverneur Emile Moreau sur son voyage à Bucarest, le 29
novembre 1928, pp. 1-4.
448
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Note de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de
France, au Gouverneur Emile Moreau sur son voyage à Bucarest, le 29
novembre 1928, pp. 2-3.
449
Pour Charles Rist, le véritable problème sera « (…) d’empêcher le retour de
nouveaux trous dans l’avenir. Or, ceci aussi n’est pas difficile techniquement. Ce
n’est difficile que psychologiquement, étant donné les hommes. » Voir Archives
de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Note de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de
France, au Gouverneur Emile Moreau sur son voyage à Bucarest, le 29
novembre 1928, p. 3.
450
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Note de Charles Rist, sous-gouverneur de la Banque de
France, au Gouverneur Emile Moreau sur son voyage à Bucarest, le 29
novembre 1928, p. 4.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

dernier, le déficit budgétaire de 1928 pourra être facilement combler grâce à la


somme de 75 millions de reichsmarks que la Roumanie devait recevoir de
l’Allemagne en vertu de l’Accord de Berlin du 10 novembre 1928, il en est
autrement pour Mihai Popovici.

Dans la lettre envoyée à Rist, le 12 décembre 1928, le Ministre roumain des


Finances se contente de déclarer que les principales causes du déficit
budgétaire de 1928 résident dans la mauvaise exploitation des chemins de fer et
les évalutations trop élevées des revenus de l’État, effectuées par le
451
gouvernement Bratianu en 1927. Admettant que le déséquilibre budgétaire
pourra porter atteinte aux intérêts de la Roumanie, Mihai Popovici déclare qu’il
sera difficile d’établir un budget équilibré et fiable pour l’année 1929 car la
mauvaise récolte de 1928 a considérablement diminué les revenus de l’État.
Quant à la création de nouveaux impôts, il insiste sur le fait qu’il ne pourra pas
entrer en matière jusqu’à ce que la position de son gouvernement ne soit
entièrement consolidée. Par la même occasion, Popovici avertit que la
puissance contributive de la population roumaine, essentiellement agricole, est
trés limitée et que l’augmentation des impôts sera une véritable catastrophe. La
seule solution proposée pour éponger le déficit budgétaire de l’année 1928 et
pour établir l’équilibre pour l’année suivante est le recours à l’emprunt de
452
stabilisation monétaire et de développement économique. De son point de
vue, soutenu également par le Ministre de l’Economie et du Commerce, Virgil
Madgearu, l’emprunt devra servir tout d’abord à couvrir le déficit budgétaire
récemment créé et, deuxièmement, à la création d’une réserve en vue d’un
453
déficit éventuel pour les années suivantes. La somme restante de cet
emprunt devra être utilisée pour la réorganisation des chemins de fer et la

451
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre de Mihai Popovici, Ministre des Finance, à Charles Rist,
sous-gouverneur de la Banque de France, le 12 décembre 1928.
452
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Conversation avec Virgil Madgearu, Ministre de l’Industrie et du
Commerce, le 20 janvier 1929, p. 1.
453
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Conversation avec Virgil Madgearu, Ministre de l’Industrie et du
Commerce, le 20 janvier 1929, p. 1.
157

réalisation des travaux d’utilité générale, tels que la construction des écoles, des
454
universités, des coopératives agricoles, etc. Rappelons que Virgil Madgearu
s’est montré à plusieurs reprises partisan de l’intervention et de la collaboration
avec de la Société des Nations pour la restauration des finances roumaines.
Selon Madgearu, l’institution de Genève est le seul établissement compétent
d’imposer une trève entre les differentes formations politiques roumaines qui se
455
disputent le pouvoir depuis la fin de la Première Guerre mondiale.

456
Parallèlement aux démarches effectuées auprès de la la Banque de France ,
les dirigeants de Bucarest décident de solliciter l’aide financière de la Grande-
Bretagne et de la Société des Nations. Le journal anglais Manchester Guardian,
annonce même dans son édition du 15 décembre 1928 que : « Le Parti National
Paysan s’est déclaré en faveur d’un emprunt extérieur émis sous les auspices
457
de la Ligue des Nations. » Chargé par Mihai Popovici de se renseigner sur les
conditions et les possibilités de l’émission sur le marché anglais d’un éventuel
emprunt auprès du représentant du Trésor britannique, Frederick Leith Ross,
Nicolae Titulescu informe le 19 décembre 1928 les dirigeants roumains que
458
Londres recommande la Société des Nations. L’entrevue avec le Ministre
roumain donne l’occasion à Leith Ross de demander à Maniu de réserver à
l’industrie anglaise des commandes proportionnelles aux crédits accordés par le

454
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Conversation avec Virgil Madgearu, Ministre de l’Industrie et du
Commerce, le 20 janvier 1929, p. 1.
455
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Conversation avec Virgil Madgearu, Ministre de l’Industrie et du
Commerce, le 20 janvier 1929, p. 3.
456
Le 6 décembre 1928, Iuliu Maniu envoie Virgil Madgearu et le Régent
Buzdugan à Paris afin de continuer les négociations avec le consortium de
banques centrales américaine et européennes, réuni par la Banque de France
pour l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de
développement économique.
457
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926-
1928) : Télégramme de Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande-
Bretagne, au gouvernement roumain, le 19 décembre 1928, p 420.
458
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926-
1928), Télégramme de Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande-
Bretagne au gouvernement roumain, le 19 décembre 1928, p. 419.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

marché britannique dans l’éventualité où l’emprunt roumain sera émis sous les
auspices de la Banque de France. Contrarié par cette exigence, Titulescu
rappelle que la politique et les principes de la Société des Nations excluent tout
arrangement industriel en faveur des participants à une émission étrangère et
que, si c’est le cas, la Roumanie trouvera une autre solution. Surpris par
l’attitude de Titulescu, Leith Ross réplique dans ces termes : « Oui, vous avez
raison. Mais, il y a des situations d’exception même pour le Comité financier de
la Société des Nations si la France et la Grande Bretagne se mettent
459
d’accord.» Malgré ses divergences d’opinion avec le représentant du Trésor
britannique, Nicolae Titulescu s’adressera quelques semaines plus tard au
Comité fiancier de Genève. Révélées par le journal roumain Adevarul (La Vérité)
dans son édition du 12 janvier 1929, les démarches effectuées par Titulescu
auprès de la Société des Nations provoquent une véritable crise entre les
dirigeants roumains et les dirigeants de la Banque de France. Mihai Popovici se
voit obligé dans ces circonstances de faire immédiatement une déclaration
publique pour démentir son implication dans ces démarches. À la surprise
générale, il accusera ouvertement Nicolae Titulescu de vouloir saboter les
460
négociations avec la Banque de France. Cet acte de « trahison » lui portera
préjudice car Mihai Popovici perdera toute sa crédibilité auprès de son parti et
des milieux financiers internationaux. En revanche, Nicolae Titulescu, qui n’a
jamais caché son penchant pour la Société des Nations, décide de se
désolidariser du gouvernement Maniu en déclarant fermement : « Je serai
461
Ministre de Roumanie à Londres et à Genève et rien d’autre. »

Les nouvelles informations transmises à Paris par Gabriel Puaux, selon


lesquelles le Régent Buzdugan a été envoyé à Londres afin d’obtenir que
d’autres banques anglaises se joignent à Lazard Brothers et à Hambro Bank
Ltd. pour l’émission de l’emprunt roumain, exaspèrent les dirigeants de la

459
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 (1926-
1928), Télégramme de Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande-
Bretagne au gouvernement roumain, le 19 décembre 1928, p. 420 (Trad. du
roumain).
460
GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 10.
461
GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 9.
159

462
Banque de France. Mihai Popovici se voit encore une fois obligé d’intervenir
en déclarant « qu’il est toujours fermement décidé à mener à son terme les
négociations engagées par la Roumanie sous les auspices de la Banque de
463
France. »

Appelé à Paris le 16 janvier 1929, Popovici menace la Banque de France


d’arrêter les négociations et de s’adresser à la Société des Nations si les
banques étrangères ne modifient pas les conditions et les exigences pour
464
l’émission de l’emprunt roumain en faveur de son pays. Or, « les
conséquences d’un telle action, avertit Popovici, vont porter atteinte à l’influence
et au prestige acquis par la France en Roumanie depuis la fin de la Grande
465
Guerre. » Pour mieux comprendre l’attitude du Ministre roumain, il convient de
préciser qu’il avait promis à son gouvernement de demander à la Banque de
France et aux autres banques centrales américaine et européennes un crédit de
70 millions. Rappelons que le montant prévu par les banques centrales
américaine et européennes était de 25 millions de dollars. Afin de justifier sa
demande, Mihai Popovici invoque le fait que « le Gouvernement roumain a fait
tous les sacrifices que la Banque de France lui a demandé et plus
particulièrement d’établir l’équilibre budgétaire et de signer l’accord avec
466
l’Allemagne. »

462
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Télégramme de Gabriel Puaux, Ministre de France en
Roumanie, au Gouverneur Emile Moreau, le 11 janvier 1929.
463
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
1370200006/10 : Télégramme de Gabriel Puaux, Ministre de France en
Roumanie, au Gouverneur Emile Moreau, le 11 janvier 1929, p. 2.
464
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (România si
împrumutul pentru stabilizare, 1928-1930) : Lettre de Mihai Popovici, Ministre
des Finances, au Gouverneur Emile Moreau, p. 9 (Trad. du roumain).
465
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (România si
împrumutul pentru stabilizare, 1928-1930) : Lettre de Mihai Popovici, Ministre
des Finances, au Gouverneur Emile Moreau, p. 9 (Trad. du roumain).
466
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (România si
împrumutul pentru stabilizare, 1928-1930) : Lettre de Mihai Popovici, Ministre
des Finances, au Gouverneur Emile Moreau, p. 9 (Trad. du roumain).
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Face à l’exigence de Mihai Popovici d’augmenter de 45 millions de dollars


l’emprunt de stabilisation, ainsi que aux démarches effectuées à Londres et à
Genève, Emile Moreau, avec l’assentiment de Poincaré, réagit fortement contre
les dirigeants roumains. Le Gouverneur de la Banque de France déplore
l’attitude du gouvernement Maniu et, en particulier, celle de Popovici et menace
d’arrêter les négociations avec la Roumanie, ainsi que d’exclure toute autre
467
émission roumaine sur le marché français.

C’est encore Charles Rist qui tente de raisonner le gouvernement Maniu en leur
signalant l’apparition des premiers signes de détérioration du marché
468
américain. Les difficultés rencontrées par la Bulgarie pour le placement de
son emprunt de stabilisation monétaire, émis sous les auspices de la Société
des Nations, sur le marché américain illustrent parfaitement l’observation de
469
Rist. Afin que le marché international et, en particulier, américain puisse
absorber l’émission de l’emprunt roumain, les dirigeants de Bucarest doivent
réagir très vite en donnant leur accord pour la finalisation des négociations,
organisées par la Banque de France. Dans le but de compenser la diminution de
470
la tranche américaine , Charles Rist propose l’admission du groupe suédois
Ivar Kreuger & Toll dans le consortium de banques étrangères qui, en échange
du monopole des allumettes pourrait apporter à la Roumanie la somme de 30

467
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 : (1926-
1928) : Télégramme de Constantin Diamandy, Ministre de Roumanie en France,
à Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, p. 13 (Trad. du roumain).
468
Sur cette question, voir DUCHÊNE, François, Jean Monnet. The first
statesman of interdependence, New York, London, WW Norton & Company, p.
47. Duchêne évoque la chute du marché boursier américain en avril 1928 qui se
répercute fortement sur l’intérêt des banques américaines sur les émissions et
les titres étrangers.
469
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929-
1939) : Note confidentielle de Constantin Diamandy à Iuliu Maniu sur les
négociations de Paris, le 18 janvier 1929, p. 13.
470
Sur cette question, voir BUSSIERE, Eric, « Jean Monnet et la stabilisation
monétaire de 1929 : un « outsider » entre l’Europe et l’Amérique » in BOSSUAT,
Gérard et Wilkens, Andres (éds.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la
paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, pp. 73-74.
161

471
millions de dollars. Le montant total de l’emprunt roumain serait, ainsi, de 80
millions de dollars. Face à la réticence de Mihai Popovici d’accepter l’entrée de
Ivar Kreuger dans le consortium organisé par la Banque de France, Rist
déclare : « Le fait qu’un petit pays comme la Suède investit en Roumanie ne
présente pas les mêmes risques et inconvénients que ceux d’une Grande
472
Puissance. »

La proposition de Rist suscite de nouvelles interrogations et débats parmi les


dirigeants du gouvernement Maniu. De Londres, Nicolae Titulescu, malgré ses
divergences avec Mihai Popovici, conseille à Iuliu Maniu de conclure
immédiatement les négociations avec les banques étrangères, selon les
conditions établies par Vintila Bratianu et, donc, sans la participation du groupe
suédois. Pour compenser la diminution de la participation de la banque
américaine Blair & Co., Titulescu propose de s’adresser à la Société des
Nations et de demander l’émission d’un nouvel emprunt sous les auspices de
473
cette institution. Toute en approuvant l’initiative de Titulescu, Virgil Madgearu
propose d’informer immédiatement Moreau et Rist de la volonté de son
gouvernement de conclure le plus rapidemment possible les négociations
474
commencées par Vintila Bratianu. Madgearu vise, en effet, à finaliser les
er
négociations en cours et à s’adresser à la Société des Nations avant le 1 mars
1929. Si le gouvernement Maniu respectait ce délai, la banque anglaise
Schroders était disposée de lui accorder un important emprunt pour soutenir le

471
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929-
1939) : Note confidentielle de Constantin Diamandy à Iuliu Maniu sur les
négociations de Paris, le 18 janvier 1929, p. 13.
472
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929-
1939): Note confidentielle de Constantin Diamandy à Iuliu Maniu sur les
négociations de Paris, le 18 janvier 1929, p. 14 (trad. du roumain).
473
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929-
1939) : Télégramme de Nicolae Titulescu, Ministre de Roumanie en Grande-
Bretagne, à Iuliu Maniu et à Virgil Madgearu, le 29 janvier 1929, p. 20 (Trad. du
roumain).
474
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929-
1939) : Télégramme de Virgil Madgearu à Nicolae Titulescu, le 29 janvier 1929,
p. 22.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

475
développement économique de la Roumanie. Mais, Madgearu et Titulescu
ignoraient le fait que le gouvernement roumain ne pourra plus conclure d’autres
emprunts étrangers sans l’accord du Conseiller technique de la Banque
Nationale si le Programme de stabilisation monétaire et de développement
économique entrait en vigueur. Rappelons que le Conseiller technique de la
Banque Nationale de Roumanie devait être consulté par les dirigeants de
Bucarest pour chaque emprunt extérieur qu’ils souhaitaient conclure avec les
banques étrangères.

Appelé à se prononcer sur la continuation ou l’arrêt des négociations avec la


Banque de France, Iuliu Maniu se montre toujours indécis. Toutefois, il juge
nécessaire pour les intérêts de la Roumanie de se soumettre aux décisions
prises par Charles Rist et le Gouverneur Moreau et il décide de donner son
accord pour la finanlisation des négociations. Dans le télégramme envoyé le 30
janvier 1929 à Diamandy, Maniu donnera finalement son accord pour l’émission,
sous les auspices de la Banque de France de l’emprunt roumain de stabilisation
monétaire et de développement économique. Il confirme également la volonté
du gouvernement roumain de confier la surveillance et le contrôle des finances
476
du pays à Charles Rist et Roger Auboin. Il convient de rappeler que les
pourparlers entre la Roumanie et la Banque de France ont commencé le 15
décembre 1927. Après deux mois et demi de tergiversations Iuliu Maniu décide,
tout en redoutant les réactions de l’opinion publique, d’approuver les démarches
effectuées à l’étranger par Vintila Bratianu pour l’obtention d’un crédit
international. En apprenant la nouvelle, le Secrétaire Général de la Société des
Nations Sir Eric Drumond exprime son grand étonnement et déclare à Gafencu
ne pas comprendre pourquoi : « La Roumanie a refusé de faire appel à

475
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929-
1939) : Télégramme de Virgil Madgearu à Nicolae Titulescu, le 29 janvier 1929,
pp. 22-23.
476
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929-
1939) : Télégramme de Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, à Constantin
Diamandy, Ministre de Roumanie en France, le 30 janvier 1929, p. 24.
163

l’institution de Genève, où on peut facilement s’entendre et créer des liens


477
d’amitié avec tout le monde. »

Le 2 février 1929, Mihai Popovici signe à Paris l’accord définitif avec les
banques américaines et européennes, réunies par la Banque de France, pour
l’émission de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et de développement
économique. L’émission de cet emprunt est fixée le 14 février 1929, date à
laquelle le Programme de stabilisation monétaire et de développement
économique de la Roumanie devra être mis en vigueur. Avec l’accord de
Charles Rist, le cours de stabilisation de la monnaie roumaine est établi par les
dirigeants de Bucarest à 3,10 centimes or qui représente le cours du jour du leu.
Il convient de préciser que certains membres du gouvernement ont demandé
que le cours de stabilisation soit fixé à 3, voire au-dessous de 3 centimes or, afin
de faire baisser le pouvoir d’achat à l’étranger du leu qui était supériur à celui de
478
l’intérieur. De cette manière, les exportateurs roumains auraient pu profiter
pendant une courte période de la baisse de prix à l’étranger. Le tableau ci-
dessous (Tableau III) illustre le cours de la monnaie roumaine, le leu, avant et
après sa stabilisation par rapport aux principales devises étrangères :

477
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 132 (1929-
1939) : Télégramme de Iuliu Maniu, Président du Conseil roumain, à Constantin
Diamandy, Ministre de Roumanie en France, le 30 janvier 1929, pp. 11-12 (trad.
du roumain).
478
Sur cette question, voir ARSENOVICI, Tiberiu, La stabilisation monétaire en
Roumanie, Paris, Jouve & C., 1930, p. 50.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Tableau III : Le cours du leu avant la stabilisation et après la stabilisation


monétaire par rapport aux principales devises étrangères

Monnaie Cours du leu avant la Cours du leu après la


stabilisation monétaire stabilisation monétaire
Livre sterling 807 - 810 813.588

Dollar 165 - 166 167.185

Franc français 6,58-6,60 6.55

Franc suisse 32,30-32,50 32.258

Franc belge 23,25-23,50 23.222

Reichsmark 39,50-39,80 39.821

Lire italienne 8,65 - 8,70 8.799

Pengö 29,20 - 29,25 29.239

Zloty 18,65 - 18,70 18.754

Couronne 4,92 - 4,95 4.97


tchécoslovaque

Source : DOBROVICI, Gheorghe M., Istoricul desvoltarii economice si financiare


a României si împrumuturile contractate 1823-1933 (L’historique du
développement économique et financier de la Roumanie et les emprunts
contractés durant les années 1823-1933), Bucuresti, Universul, 1933, p. 717.

La loi monétaire, destinée à réaliser la stabilisation légale du leu est, ainsi,


établie par les dirigeants roumains sur cette base de 3,10 centimes or. Votée
par le Parlement roumain le 7 février 1929, la nouvelle loi monétaire fixe la
479
parité-or de du leu à 10 miligrammes d’or au titre de 9/10. Elle réalise, donc,
e
la dévalorisation du leu, en le réduisant à la 33 partie de sa valeur d’avant-
guerre. Rappelons qu’avant la Première Guerre mondiale la valeur du leu-or
était de 0,3229 au titre des 9/10e. Cette loi confirme également le privilège
d’émission, ainsi que le cours légal des billets de la Banque Nationale de

479
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Loi monétaire promulguée au Moniteur Officiel du Royaume de
Roumanie, le 7 février 1929.
165

Roumanie qui sont convertibles soit en monnaie-or, ayant cours légal, soit en
lingots-or, soit en devises étrangères convertibles en or. Concernant la
couverture légale de la circulation des billets, elle est fixée par la nouvelle loi
monétaire à 35%. Cette encaise or pourra être composée d’or ou de devises
libellées en monnaies légalement et pratiquement convertibles en or exportable.
Mais, au moins 25% de la circulation des billets doit être garantie par de l’or en
caisse ou en dépôt disponible à l’étranger. L’article 6 de cette nouvelle loi
entérine l’adoption du Programme de stabilisation monétaire et de
développement économique de la Roumanie, établi par les dirigeants de
Bucarest en collaboration avec les banques étrangères durant l’année 1928. Ce
Programme, dont l’exécution a été estimée à une durée de trois ans, prévoit
l’introduction de toute une série de mesures et de réformes administratives et
financières, destinées à réorganiser les statuts de la Banque Nationale de
Roumanie et de la Trésorérie, la comptabilité publique et les chemins de fer
roumains. Les ressources financières qui permettront au gouvernement Maniu
de réaliser tous ces travaux sont, donc, celles de l’emprunt international, dont
l’émission était prévue pour le 15 mars 1929.

Avant de présenter l’action et les mesures adoptées par le Conseiller technique


de la Banque Nationale de Roumanie, Charles Rist, et ses collaborateurs afin
d’assurer l’exécution du Programme, nous présentons l’émission et les
conditions de l’emprunt roumain.

3. L’émission de l’emprunt et le Programme de stabilisation monétaire et de


développement économique de la Roumanie

Contracté par les dirigeants de Bucarest après de longues négociations,


l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement économique de la
Roumanie est conclu, ainsi que les banques étrangères l’ont exigé, par la
Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie. À cette dernière,
l’État roumain a confié à titre irrévocable et non transférable le droit exclusif
d’exploiter tous ses monopoles fiscaux pour le prix de 300.000.000 de dollars et
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

480
contre le paiement des différentes redevances annuelles. La Caisse
Autonome des Monopoles doit, en effet, verser chaque mois sur un compte
spécial ouvert à la Banque Nationale de Roumanie deux tiers de recettes brutes
de l’exploitation de ses monopoles, après la déduction des provisions
nécessaires pour toutes ses dépenses, y compris les frais d’administration, de
direction et d’exploitation, ainsi que les allocations pour la réparation, le
481
renouvellement et l’entretien. Par ailleurs, elle doit remettre à l’État par des
versements à la Banque Nationale de Roumanie le produit de l’emprunt, dont
482
l’affectation s’effectuera conformément au Programme.

Cet emprunt qui, est considéré comme la première tranche de l’emprunt


international de 300.000.000 de dollars, destiné à l’application du Programme,
est émis sous forme d’obligations de 7% amortissables en 30 ans et garanties
par la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie. Libellé,
selon les places émettrices, soit en dollars, soit en francs français, soit en livres
sterling, il s’élève à 69.000.000 de dollars, 561.638.000 francs français et
483
2.000.000 de livres sterling. Sur le montant de 69.000.000 dollars, la Svenska
Tandsticks-Aktienbolaget (Compagnie Suédoise des Allumettes), à laquelle
l’État roumain a concédé l’exploitation du monopole des allumettes pour une
484
durée de 30 ans, achète 30.000.000 de dollars au pair. Le montant de

480
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (Loi du 7 février 1929
portant création de la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume de
Roumanie, art. 5, p. 26.), Bucarest, février 1929.
481
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (Convention conclue
le 7 février 1929 entre l’État et la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume
de Roumanie, article 5.6, p. 29), Bucarest, février 1929.
482
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (Convention conclue
le 7 février 1929 entre l’État et la Caisse Autonome des Monopoles du Royaume
de Roumanie, article 5.6, p. 29), Bucarest, février 1929, article 5.2, pp. 28-29.
483
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation : La Réforme
monétaire du 7 février 1929, Bucarest, février 1929, p. 2.
484
DOBROVICI, Gheorghe M., Istoricul desvoltarii economice si financiare a
României si împrumuturile contractate 1823-1933 (L’historique du
167

l’emprunt roumain qui, représente en dollars la somme de 101.000.000, se


repartit par pays participant de cette manière (Tableau IV).

Tableau IV : La répartition de l’emprunt international de stabilisation


monétaire et de développement économique de la Roumanie
Pays Montant Devise
485
France 561.638.000 Francs français
486
Grande-Bretagne 2.000.000 Livres sterling

Etats-Unis 12.000.000 Dollars

Allemagne 5.000.000 Dollars

Autriche 1.000.000 Dollars

Belgique 3.000.000 Dollars

Tchécoslovaquie 1.000.000 Dollars

Hollande 3.000.000 Dollars

Italie 8.000.000 Dollars

Roumanie 2.000.000 Dollars

Suisse 4.000.000 Dollars

Suède 30.000.000 Dollars

Total 101.000.000 Dollars

Source : Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en


Roumanie, No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation : La
Réforme monétaire du 7 février 1929, Bucarest, février 1929, p. 2.

Ainsi, que nous pouvons remarquer, la somme la plus importante, soit 30


millions de dollars, revient à la Suède, par suite de la participation de la Svenska

développement économique et financier de la Roumanie et les emprunts


contractés durant les années 1823-1933), Bucuresti, Universul, 1933, pp. 700-
701.
485
Il s’agit d’un montant de 22 millions de dollars.
486
Il s’agit d’un montant de 10 millions de dollars.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Tandsticks-Aktienbolaget d’Ivar Kreuger. Constituée en 1917 à l’initiative de


Kreuger, cette société tente d’établir son monopole sur les allumettes des
différents pays européens et, notamment, centre-européens, en accordant des
prêts aux gouvernements qui, sont à la recherche des capitaux étrangers. Le
processus de stabilisation des monnaies centre-européennes, qui exige
d’importants moyens financiers, donne à Kreuger l’occasion d’intervenir dans
cette région. Le premier pays centre-européen qui, a eu recours à la Svenska
Tandsticks-Aktienbolaget pour obtenir les ressources financières nécessaires à
487
la réalisation de sa stabilisation monétaire, est la Pologne. Dans ses
Mémoires, Jean Monnet témoigne de la rencontre avec Kreuger dans l’affaire
polonaise qui, n’était qu’un début pour « cet homme inquiétant, bâti en force, qui
488
portait son énigme sur son visage impassible, volontairement inexpressif »
car il s’était proposé d’acquérir les monopoles des allumettes un peu partout
dans le monde. En le rencontrant à nouveau dans l’affaire roumaine, Monnet
marque son grand étonnement devant la proposition de Kreuger de participer à
l’émission de l’emprunt roumain car « à lui seul, il nous proposait d’apporter ce
que les groupes bancaires les plus puissants ne pouvaient obtenir sur les
489
marchés européen et américain. » Questionné par Jean Monnet sur ses
moyens de participation à l’emprunt roumain, Ivar Kreuger s’exprime dans ces
termes : « J’ai calculé que si je mettais une allumettes en moins dans chaque
490
boîte, je m’y retrouverais. »

Exceptée la tranche de 30 millions de dollars souscrite par Ivar Kreuger, les trois
autres tranches de l’emprunt roumain sont soucrites par les banques et les
sociétés financières américaines et européennes suivantes (Tableau V) :

487
Avec un crédit de 30 millions de dollars accordé à la Pologne, Ivar Kreuger
acquiert le monopole des allumettes.
488
MONNET, Jean, Mémoires, Paris, Fayard, 1995, p. 125.
489
MONNET, Mémoires, p. 125.
490
MONNET, Mémoires, p. 126.
169

Tableau V : Les souscripteurs de l’emprunt international de stabilisation


monétaire et de développement économique de la Roumanie
Tranche Souscripteurs/Banques Prix de
assurant l’émission
souscription

Tranche de Banque de Paris et des Pays-Bas 92%


561.638.000 FF

Tranche de 2.000.000 Hambros Bank, Lazard Brothers & 88%


Co.
£

Tranche de 39.000.000 - Chase National Bank, Blair & 88%


Co., Dillon Red & Co. ;
$
- Banca Commerciale Italiana ;
- Deutsche Bank, Disconto-
Gesellschaft ;
- Crédit Suisse ;
- Banque de Paris et des Pays-
Bas, Bruxelles ;
- Mendelssohn & Co.,
Nederlandche Handel-
Maatschapij ;
- Banca Românesca, Banca de
Credit Român, Banca
Chrissoveloni, Banca
Marmorosch, Blank & Co. ;
- Oesterreichische Escompte
Ges. ;
- Zivnostenska Banka.

Source : URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise: l’expérience


des emprunts roumains à la Bourse de Paris durant l’entre-deux-guerres, Paris,
Publications de la Sorbonne, 2008, p. 207.

Il ressort du Tableau V que le montant le plus important revient à la Banque de


Paris et des Pays Bas qui souscrit entièrement la tranche de 561.638.000 francs
français, ainsi que le quota de 3.000.000 de dollars émis sur le marché belge.
Rappelons l’intérêt de cette banque pour les affaires pétrolières roumaines où
elle fait d’importants investissements dès la fin de la Première Guerre
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

491
mondiale. Elle dispose également des liens très étroits avec les plus
puissants établissemets bancaires mixtes roumains, la Banque Marmorosch,
Blank and Co. et la Banque de Crédit Roumain, qui lui ont permis dès 1919,
ainsi que le souligne Marguerat, de négocier son engagement dans certaines
492
sociétés métallurgiques et pétrolières roumaines. Le rôle et la participation de
la Banque de Paris et des Pays Bas à l’emprunt roumain montre l’implication
des dirigeants de Paris dans ce pays où la question de la stabilisation monétaire
devient un moyen de garder et de consolider l’influence politique et financière
française dans la région. Par ailleurs, la stabilisation roumaine permet à la
finance française de rivaliser avec la grande finance américaine et, plus
particulièrement, anglaise.

À ce montant de 101 millions de dollars s’ajoute le crédit de 25 millions de


dollars, accordé à la Banque Nationale de Roumanie par la Federal Reserve
Bank de New York et par treize banques centrales européennes. La Banque de
France, la Banque d’Angleterre, la Reichsbank et la Federal Reserve Bank
493
accordent chacune un crédit de 4 millions de dollars. Il convient également de
préciser que les versements que l’Allemagne doit être effectué à la Roumanie,
en vertu de l’accord du 10 novembre 1928, seront également ajoutés au
montant de l’emprunt de stabilisation et recevront les mêmes affectations que
494
les fonds de cet emprunt.

491
Sur cette question, voir BUSSIERE, Eric, Paribas. L’Europe et le monde,
1972-1992, Paris, Fonds Mercator, 1992 et MARGUERAT, Philippe, Banque et
investissement industriel. Paribas, le pétrole roumain et la politique française,
1919-1939, Genève, Droz, 1987.
492
MARGUERAT, Banque et investissement industriel, p. 22.
493
Le montant restant de 9 millions de dollars se partage entre
l’Oesterreichische Nationalbank, la Banque Nationale de Belgique, la Finlands
Bank, la Magyar Nemzeti Bank, la Banca d’Italia, la Nederlandsche Bank, la
Bank Polski, la Sveriges Riks Bank, la Banque Nationale de Suisse et la Narodni
Banka Ceskoslovenska.
494
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : La Réforme monétaire du 7 février 1929, p. 2.
171

Les affectations de l’emprunt roumain de stabilisation monétaire et


développement économique, dont la contrevaleur en lei du produit net de
l’emprunt, soit le montant de 90 millions de dollars, a été déposé par la Caisse
Autonome des Monopoles à la Banque Nationale de Roumanie, sont les
suivantes (Tableau VI) :

Tableau VI : Les affectations de l’emprunt roumain de stabilisation


monétaire et de développement économique de la Roumanie
Affectation Montant en millions Montant en
millions de dollars
de lei

Stabilisation monétaire et 1.219 10


Banque Nationale de
Roumanie
Institutions de Crédit (Banques 2.961 15
populaires, SNCI, Coopétatives
de production et de
consommation)
Fonds de roulement du Trésor 6.182 20
et des Chemins de Fer
Investissements et remise en 5.950 35
état des Chemins de Fer
roumains
Travaux publics productifs 1.219 10
divers

Total 17.531 90

Source : Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en


Roumanie, No. 13700006/7 : Bulletin d’information et de documentation
(L’Emprunt, p. 12), Bucarest, février 1929.

Le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de


la Roumanie prévoit donc d’accorder le crédit le plus important à la
réorganisation et au développement des chemins de fer. En collaboration avec
Gaston Leverve, l’Administration des Chemins de Fer du Royaume de
Roumanie a établit tout un programme de travaux à effectuer pour la
réorganisation du réseau ferroviaire roumain, dont l’exécution nécéssite de
considérables ressources financières. Parmi les principaux travaux envisagés,
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

nous mentionnons : la consolidation et la construction de nouvelles lignes, le


renfort et la reconstruction des ponts, l’agrandissement des gares, le
développement des installations téléphoniques et télégraphiques, l’amélioration
495
et l’augmentation du matériel roulant. Désigné Expert pour l’application
technique de ce programme, Leverve a pour principale mission de fixer les
dates et l’ordre d’exécution de tous les travaux prévus en fonction de leur
nécessité et, notamment, de leur caractère productif, à savoir la nature à donner
des recettes nouvelles ou des économies correspondant aux charges résultant
de ces dépenses. Le crédit de 35 millions de dollars doit également permettre à
Leverve de réorganiser, en collaboration avec Rist pour les questions
financières, toute l’Administration des Chemins de Fer. Cette dernière doit
bénéficier par rapport au pouvoir politique de l’autonomie administrative et
financière, y compris dans la nommination de personnel, le pouvoir et les
compétences du Conseil d’administration, la passation des marchés, etc. Le fait
que les recettes du trafic ferroviaire doivent couvrir les dépenses d’exploitation
496
sans subvention du budget général devient désormais la règle principale. Elle
s’attaque, en effet, à la gratuité et à la réduction des transports au profit des
différents services publics qui était une pratique courante des dirigeants
roumains. Sous la stricte surveillance de Leverve et de Rist, tous les Services
publiques roumains et, essentiellement, la Société Nationale de Crédit Industriel
doivent payer intégralement les transports effectués pour leur compte par
l’Administration des Chemins de Fer. L’exécution technique et la nature des
travaux de réorganisation et de développement du réseau ferroviaire roumain
doit faire l’objet pendant une durée de trois ans d’un rapport annuel, dont la
497
rédaction est confiée à Gaston Leverve. Ce dernier doit également renseigner

495
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (La réorganisation
des chemins de fer, p. 10), Bucarest, février 1929.
496
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (La réorganisation
des chemins de fer, p. 11), Bucarest, février 1929.
497
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation (La réorganisation
des chemins de fer, p. 11), Bucarest, février 1929.
173

les créanciers étrangers de la Roumanie sur la situation financière des chemins


de fer, ainsi que la situation du trafic et, notamment, des tarifs en vigueur.

Quant à la réorganisation des services financiers, le Programme prévoit


l’introduction de toute une série de mesures concernant l’établissement et
l’application du budget, dont l’équilibre doit rigoureusement maintenu.
Responsable de l’équilibre budgétaire, le Ministre des Finances a pour
principale tâche de préparer le budget général des recettes et des dépenses
avec des chiffres fiables et transparents. Si en cours d’exercice il a besoin de
crédits aditionnels, il doit demander au Parlement de créer de nouvelles recettes
et non plus à la Banque Nationale, ainsi que le permettait la Convention du 19
mai 1925. Le gouvernement roumain n’a plus le droit de faire des dépenses que
dans la limite des crédits budgétaires accordés. Afin de renforcer la surveillance
et le contrôle des dépenses, le Ministre des Finances, en collaboration avec la
Cours des Comptes du Royaume de Roumanie, doit désigner auprès de chaque
membre du gouvernement un contrôleur des dépenses. Ces derniers se
réuniront une fois par mois afin de communiquer et d’échanger leurs
observations sur l’exécution du budget et de proposer au Ministre des Finances,
498
en cas de nécessité, des réformes de comptabilité.

Le Programme envisage également la création auprès du Ministère des


Finances de la Direction du Mouvement Général des Fonds, dont la mission
sera de surveiller le fonctionnement du fonds de roulement et de centraliser les
écritures relatives à ce mouvement. Afin de renforcer la surveillance de
l’exécution du budget, les pouvoirs de la Cour des Comptes seront étendus de
manière à assurer immédiatement et sans l’accord du gouvernement le contrôle
des comptes. La réorganisation des services industriels et des services
d’exploitation du domaine de l’État roumain, tels que les transports fluviaux et
maritimes, les ports, les mines, les forêts, les redevances minières en nature
figure aussi dans le Programme. Par cette mesure, on vise principalement à

498
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Bullletin d’information et de documentation. La Réforme
monétaire du 7 février 1929, p. 9.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

doter tous ces services d’une gestion indépendante et, notamment, d’une
responsabilité financière propre.

Selon les exigences du Programme, le Trésor roumain doit avoir un compte


courant à la Banque Nationale, chargée des mouvements de fonds sur tout le
territoire roumain. Les caisses publiques ne doivent plus garder dans leurs
coffres que le minimum des fonds nécessaires. Les fonds disponibles devront
être régulièrement versés à la Banque Nationale au compte courant du Trésor.
En outre, les marchés importants conclus par les différents Ministères devront
stipuler que les paiements seront faits aux fournisseurs et aux entrepreneurs
qu’au moyen de chéques de virement. Par ailleurs, une somme de 11 millions
de dollars, prélevée sur l’emprunt de la Caisse Autonome des Monopoles, sera
attribuée au fonds de roulement du Trésor et au remboursement des avances
faites auparavant par l’État roumain à la Régie des Monopoles de l’Etat. En
cours d’exercice, le Trésor pourra demander à la Banque Nationale des avances
temporaires de maximum 2 milliards de lei. Un autre moyen autorisé pour la
Trésorerie pour se procurer des ressources est le placement des Bons du
Trésor, dont l’échéance ne pourra pas dépasser une année et le montant de 2
milliards de lei. La situation financière de la Trésorerie devra faire l’objet d’un
rapport mensuel du Ministre des Finances qui mentionnera également l’état
d’exécution des mesures administratives et législatives, prévues par le
Programme.

La Convention, relative à la révision des statuts de la Banque Nationale de


Roumanie et aux opérations de stabilisation, conclue le 7 février 1929 entre
l’État roumain et la Banque Nationale établit le rôle et la mission de la banque
centrale de manière à consolider son indépendance par rapport au pouvoir
politique. La loi monétaire du 7 février 1929 qui rend à la Banque Nationale de
Roumanie son autonomie complète limite le droit des dirigeants politiques
d’intervenir dans les décisions et la politique monétaire et financière menée par
la banque centrale. Selon l’article 87 des nouveaux Statuts, le pouvoir politique
pourra uniquement s’opposer à l’exécution de toute mesure prévue par la
175

Banque Nationale s’il l’estmaitt contraire aux lois, aux statuts ou aux intérêts de
499
l’Etat. Afin de s’assurer que la Banque Nationale respecte ses engagements
et sa mission, les dirigeants politiques désigneront un commissaire qui assistera
à toutes les séances de la Banque et aura une voix consultative. En outre, le
pouvoir politique est autorisé à participer à la désignation du Gouverneur, dont
la nomination doit se faire par décret royal pour un mandat de six ans,
renouvelable si les conditions de nomination sont entièrement respectées.

Le premier article des nouveaux Statuts entérine la mission de la Banque


Nationale de maintenir dans le pays la stabilité et la sécurité de la monnaie,
ainsi que celle d’assurer et de contrôler la circulation monétaire et le crédit. Afin
de lui permettre d’accomplir sa mission, on prévoit l’introduction de toute une
série de mesures, telles que l’augmentation de son capital de 100 millions de lei
à 600 millions de lei (article 6), l’établissement des opérations monétaires et
financières à réaliser en Roumanie et à l’étranger (articles 20-35), le
fonctionnement administratif de cette insititution (articles 44-86), ains que les
500
relations avec le Trésor, la Société Nationale de Crédit Industriel ,
l’Administration des Chemins de Fer, etc. Toutes ces mesures sont destinées à
changer le rôle et l’activité de la Banque Nationale de Roumanie qui avant la
stabilisation monétaire était, ainsi que le souligne Tiberiu Arsenovici, « l’usine à
papier-monnaie » assurant le financement de l’industrie, du commerce, des
501
propriétaires agricoles par des crédits à long terme.

Afin de garantir et de faciliter l’exécution de toutes ces mesures de


réorganisation des chemins de fer, des services financiers et de la Banque
Nationale, les créanciers étrangers de la Roumanie ont imposé auprès de la

499
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Bullletin d’information et de documentation. La Réforme
monétaire du 7 février 1929, p. 23.
500
Nous rappelons que la Banque Nationale de Roumanie est actionnaire de la
Société Nationale de Crédit Industriel. Les nouveaux Statuts (article 22) lui
permettent de maintenir sa participation au capital de cette société aussi
longtemps qu’elle le jugera indispensable.
501
ARSENOVICI, La stabilisation monétaire, pp. 99-100.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Banque Nationale, pendant une période de trois un Conseiller technique. La


mission et les fonctions de ce dernier sont stipulées par l’article K concernant les
Dispositions transitoires des nouveaux Statuts. Ainsi, le Conseiller technique
devra être consulté par les dirigeants de la Banque sur toutes les questions
relatives à l’application du Programme, au service des arrièrages et à l’exécution
des transferts prévus par l’emprunt. En outre, il sera chargé d’organiser le
Services des Études Économiques et Monétaires de la Banque Nationale qui,
sera mis sous son autorité pendant les trois premières années de la
promulgation de la stabilisation monétaire. La mission de Conseiller technique a
été confiée, ainsi que nous avons précisé dans la première partie de notre
travail, au sous-gouverneur de la Banque de France Charles Rist et à son
adjoint Roger Auboin.

Ayant permis au gouvernement de Iuliu Maniu d’obtenir un emprunt international


de 101 millions de dollars, le Programme de stabilisation monétaire et de
développement économique de la Roumanie, dont les principales mesures nous
les avons présentées ci-dessus, est mis en viguer dès le 14 février 1929 sous la
stricte surveillance de la mission financière de la Banque de France. Cette
dernière a réussi, après de longues discussions et divergences avec les
autorités de Bucarest, à conclure l’emprunt roumain et de « sauver », ainsi, son
prestige international, notamment, par rapport à la Banque d’Angleterre qui, à
plusieurs reprises, a tenté d’empêcher cette opération. Avec l’installation de la
mission de la Banque de France en Roumanie, le Gouverneur Moreau
consolide, ainsi, le prestige et l’influence de la Banque de France au détriment
de « l’impérialisme financier de la Banque d’Angleterre » qui, ainsi qu’il affirme ,
« était une menace pour nos intérêts les plus légitimes, notamment en Europe
centrale, où l’influence anglaise risquait d’éclipser la nôtre, au préjudice grave
502
de notre politique étrangère. »

502
MOREAU, Emile, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, Paris,
Génin 1954, p. 491.
177

C’est également une réussite pour la diplomatie française qui, avait soutenu et
suivi de près les négociations avec la Roumanie. « La présence du Conseiller
technique à la Banque Nationale de Roumanie fortifie notre influence dans ce
503
pays » écrit le Ministre de France à Bucarest Gabriel Puaux au lendemain de
la stabilisation de la monnaie roumaine. Dans ces circonstances, le Quai
d’Orsay peut mieux défendre ses intérêts roumains et consolider son influence
dans ce pays membre de la Petite Entente et, implicitement, dans la région.
Composée de diplomates, industriels, banquiers et militaires, le réseau de la
diplomatie française s’enrichit, donc, dès février 1929 de nouveaux
collaborateurs, dont le rôle et les activités pourront être fortement utiles pour le
renforcement de la position de la France au détriment des autres puissances
européennes.

503
Archives du MAEF, Paris, Relations commerciales, 1918-1940, Roumanie,
No. 16.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

CHAPITRE II : LA MISSION FINANCIÈRE DE LA BANQUE DE FRANCE ET


LE RENFORCEMENT DE L’INFLUENCE FRANÇAISE EN ROUMANIE,
FEVRIER 1929 - MAI 1932

La mission financière de la Banque de France en Roumanie durant les années


1929-1932, s’inscrit dans le Programme de stabilisation monétaire et de
développement économique établit par la Banque de France et les dirigeants
roumains dans le contexte des négociations visant à émettre un emprunt
international pour la stabilisation de la monnaie et la réorganisation des chemins
504
de fer. En quelque sorte garante de la Roumanie, la Banque de France
envoie à Bucarest dès février 1929 plusieurs conseillers et experts financiers
afin de s’assurer l’application et l’exécution administrative et financière des
mesures exigées par les participants à l’emprunt roumain, auxquels elle avait
donné des garanties concernant le respect des engagements pris par les
dirigeants de Bucarest.

Charles Rist, Roger Auboin, Jean Bolgert, Henri Poisson et les ingénieurs
Gaston Leverve et Michel Mange se voient confié par la Banque de France la
mission de surveiller et de participer, en collaboration avec les dirigeants
roumains, à l’application du Programme durant les années 1929-1932. C’est
une mission qui s’annonce difficile et laborieuse et qui nécessite beaucoup
d’efforts des experts français et, notamment, du Conseiller technique de la
Banque Nationale de Roumanie. Rist témoigne de sa mission dans son Journal
roumain (12 février -14 septembre 1929) où il décrit rigoureusement son activité
éprouvante de « contrôleur » financier, ainsi que les difficultés rencontrées avec
les dirigeants de Bucarest pour l’exécution du Programme.

504
Sur la question de la stabilisation monétaire de la Roumanie, consulter
l’ouvrage de MOREAU, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France et
les articles de COTTRELL, P. « Central bank co-operation and Romanian
stabilisation, 1926-1929 » in GOURVISH, Terry (ed.), Business and Politics in
Europe, 1900-1970, Cambridge, Cambridge University Press, 2003 et de
MOURE, K. «French money doctors, central banks, and politics in the 1920s » in
FLANDREAU, Marc (éd.), Money Doctors. The experience of international
financial advising 1850-2000, London, 2003, pp. 138-16.
179

1. Charles Rist, Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie,


février 1929 - février 1930

Dès la mise en vigueur du Programme, Charles Rist quitte ses fonctions de


sous-gouverneur de la Banque de France pour se rendre à Bucarest où il avait
accepté d’être nommé pendant une année Conseiller technique de la Banque
Nationale. Accompagné de Roger Auboin, Rist arrive en Roumanie le 11 février
1929 après un long et pénible voyage en raison des conditions hivernales
505
particulièrement rigoureuses de cette année.

Leur arrivée dans la capitale roumaine provoque immédiatement de


nombreuses critiques dans la presse étrangère et plus particulièrement dans la
presse anglaise. Cette dernière publie en février 1929 toute une série d’articles
visant à dénoncer les avantages économiques et financiers que la France
506
obtiendra dans ce pays par l’intermédiaire de Charles Rist. À titre d’exemple,
Financial News publie dans son édition du 12 février 1929 l’article intitulé
L’attitude de Charles Rist en Roumanie qui accuse la mission financière
envoyée à Bucarest par la Banque de France de favoriser les intérêts financiers
et industriels français au détriment des autres participants à l’emprunt
507
roumain. Financial News reproche au Conseiller technique de la Banque
Nationale de Roumanie de faire usage de sa position et de son influence auprès
des dirigeants de Bucarest, afin que les maisons anglaises, américaines et
508
allemandes soient exclues de toutes les affaires de ce pays. « Des cas ont
été rapportés, écrit Financial News, où des offres faites par des maisons

505
RIST, Charles, « Notice biographique » in Revue d’Economie politique,
« Charles Rist, 1874-1955 », Paris, Sirey, 1956, p. 1014.
506
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 :
Télégramme de la Légation de Roumanie à Londres au Gouvernement de
Bucarest, le 12 février 1929, pp. 74-77. Il s’agit des articles publiés le 11 et le 12
février 1929 par Manchester Guardian, Evening Standard et Financial News.
507
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/11 : « L’attitude de Charles Rist en Roumanie » in Financial News,
le 12 avril 1929, p. 25.
508
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/11 : « L’attitude de Charles Rist en Roumanie » in Financial News,
le 12 avril 1929, p. 25.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

britanniques et autres ont été repoussés par Rist sous le prétexte qu’elles
mettaient en péril le projet de stabilisation, alors que des offres françaises ne
509
présentant pas plus de garanties à cet égard ont été approuvées ».

À cette campagne lancée par Financial New contre la mission financière


française se rallie également le Lord Rothermere, propriétaire des publications
Daily Mail et Sunday Mail. Il conseille à plusieurs reprises l’opinion publique
anglaise de ne pas souscrire à l’emprunt roumain en raison de l’instabilité
politique qui règne dans ce pays depuis la fin de la Première Guerre
510
mondiale. Selon une enquête effectuée à Londres en mars 1929 par le Quai
d’Orsay en raison des articles publiés par la presse britannique, il s’est avéré
que des dirigents de Bucarest, pour la majorité membres du gouvernement
national-paysan, étaient à l’origine de ces publications. « Par une coïncidence
assez curieuse, informe Puaux la diplomatie française, le Gouvernement
roumain vient de faire un contrat avec le Financial News pour la publication
511
d’une série d’articles sur la Roumanie. » Selon Puaux, l’attaque du journal
anglais est d’autant plus surprenant que Charles Rist n’a jamais dû prendre
position contre une offre britannique, comme il l’a fait contre des propositions
allemandes. Quant aux motivations des dirigeants roumains de faire une
campagne contre la mission de Rist, Puaux s’exprime en ces termes : « ils ne
veulent pas être « protégés » et la présence de M. Rist à la Banque Nationale
512
leur paraît comme une sorte de protectorat financier de la France. »
Toutefois, l’enquête effectuée par la diplomatie française à Londres conclu
qu’« il n’y a peut-être dans l’offensive du Financial News que le symptôme du

509
Archives de la BdF, Paris Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/11 : « L’attitude de Charles Rist en Roumanie » in Financial News,
le 12 avril 1929, p. 25.
510
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 131 :
Télégramme de la Légation de Roumanie à Londres au Gouvernement de
Bucarest, le 11 février 1929, p. 74, Trad. du roumain.
511
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
No.1370200006/10 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai d’Orsay, le 21 avril
1929 : A.s. d’un article du Financial News., p. 2.
512
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
1370200006/10 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai d’Orsay, le 21 avril
1929 : A.s. d’un article du Financial News., p. 2.
181

mécontentement persistant de certain cercles britanniques qui préconisaient la


restauration des finances roumaines par la S.D.N. mais peut-être aussi est-elle
l’écho de certain propos d’origine roumaine, il serait intéressant de connaître
exactement les relations du Financial News avec la Légation de Roumanie à
513
Londres.»

Plusieurs articles parus dans la presse roumaine critiquent également la mission


envoyée par les créanciers étrangers auprès de la Banque Nationale en
dénonçant le protectorat financier que la France instale sur le pays par le biais
514
de l’emprunt de 1929. À la Banque Nationale de Roumanie, Rist et, plus
particulièrement, Auboin rencontrent l’attitude distante et réservée du
Gouverneur Dimitrie Burillianu et du Conseil d’Administration. Dans son Journal
roumain, Rist témoigne de l’attitude réservée de Burillianu qui, lors de la
cérémonie d’investiture du Conseiller technique organisée le 14 février 1929 par
la Banque Nationale, décide de ne pas prononcer de discours d’accueil. Déçu,
Rist écrit dans Journal roumain : « Comme cela, on évitait de souligner la
présence, malgré tout pénible, de ces étrangers dans le Conseil et cela passa
comme cela : moi, j’avais pris Auboin, on n’avait pas fait de discours, tout le
515
monde était content. » Toutefois, cet incident ne décourage pas Rist car :
« Tout le monde est extrêmement gentil. Les discussions se font en Français ;
on fait tout pour nous faciliter la tâche et j’ai très bonne confiance dans nos
516
relations futures. »

Quant à la situation de Roger Auboin, Rist est plus pessimiste car les dirigeants
517
roumains essaient systématiquement de le faire passer sous silence. À titre

513
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai d’Orsay, le 21 avril
1929 : A.s. d’un article du Financial News., p. 2.
514
Il s’agit des journaux Dimineata (Le Matin), Epoca (L’Epoque) et Tara
Noastra (Notre Pays).
515
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 14 février 1929, p. 2.
516
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 14 février 1929, p. 3.
517
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 14 février, p. 3.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

d’exemple, dans une lettre envoyée à la Banque de France, le 4 février 1929,


par le Gouverneur Burillianu au sujet de la mission du Conseiller technique, le
518
nom et le rôle de Roger Auboin ne sont mentionnés nulle part. Cet oubli se
reproduit lors de la cérémonie d’investiture du Conseiller technique où les
dirigeants de la Banque Nationale n’ont préparé qu’un fauteuil pour Charles Rist.
À la demande de Rist, Auboin s’est vu attribué un siège à côté de celui de Rist,
519
situé en face du Gouverneur Burillianu.

Dès son installation à la Banque Nationale de Roumanie, Rist prend contact


avec les différents membres du gouvernement Maniu et, plus particulièrement,
avec les Ministres de l’Agriculture (I. Mihalache), des Communications (le
général Allevra), des Finances (M. Popovici) et des Travaux Publics (I. Halipa),
afin de mettre au point les derniers détails de l’utilisation des fonds de l’emprunt
qui, seront mis à leur disposition dès le 6 mars 1929. À la Banque Nationale,
Rist commence à surperviser la réorganisation et la politique monétaire de cette
institution, que les nouveaux statuts transoformaient en banque centrale
moderne, dotées des moyens d’action pour surveiller la circulation et le crédit,
ainsi que pour maintenir la sécurité et la stabilité monétaire. Cette tâche
représente, ainsi que le souligne Rist, la partie la plus délicate de son travail
car : « plus tard, lorsque tous les emprunts que l’on souhaite auront à être
520
discutés et approuvés par moi, j’apparaîtrai comme un gêneur (…). »

Toutefois, la première difficulté rencontrée par Charles Rist à la Banque


Nationale est liée à la sortie massive de devises, obtenues par la Roumanie
grâce à l’emprunt de février 1929. Les remboursements des crédits, accordés
aux banques commerciales roumaines par les banques anglaises depuis les
années 1910, seraient en grande partie à l’origine de ce phénomène. Ainsi que

518
Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No.
1370200006/7: Lettre du Gouverneur Burillianu au Gouverneur Moreau, le 4
février 1929.
519
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 14 février, p. 2.
520
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 15 février 1929, p. 5.
183

l’explique Rist, les banques anglaises ont constamment fourni et renouvelé aux
banques roumaines les crédits en livres sterling, afin de soutenir le commerce
extérieur roumain et, notamment, celui des céréales (blé et maïs). La réalisation
de la stabilisation du leu détermine les banques anglaises à exiger le
remboursement intégral de ces crédits que les banques roumaines avaient
payés de temps à autre quand les exportations roumaines le permettaient.
Malgré les avertissements de Boutry, Directeur de la Banque Commerciale
Roumaine, qui avait anticipé cette situation avant l’émission de l’emprunt
roumain, Rist avait minimisé ses éventuelles conséquences sur la restauration
521
monétaire de la Roumanie. En effet, les renseignements fournis par les
dirigeants roumains à la Banque de France durant les négociations pour
l’émission de l’emprunt de 1929 n’ont pas permis l’estimation exacte de ce
risque car ils ont occulté l’ampleur des crédits à rembourser aux banques
anglaises. « J’ai toujours considéré cet incident, affirme Rist, comme la preuve
de l’extraordinaire difficulté d’apprécier convenablement la situation monétaire et
financière d’un pays, lorsque les experts désignés à cet effet n’ont pas la chance
522
de rencontrer des témoins particulièrement sincères. » Du reste, ainsi que le
déclare le Conseiller technique en signe de résignation : « C’était un exemple
très intéressant du rôle joué par la place de Londres avant la chute du sterling
en 1931, non seulement en Roumanie, mais dans bien d’autres pays, par son
523
aptitude à fournir des crédits constamment renouvelés. »

Afin d’arrêter la sortie des devises, Rist impose, malgré l’opposition des
dirigeants de la Banque Nationale qui avaient proposé des restrictions de
524
change, le relèvement du taux de l’escompte de 6% à 9%. De cette manière,
le Conseiller technique mettait fin à une pratique financière très ancienne que
Roger Auboin décrit en ces termes : « les banques roumaines avaient en effet
l’habitude d’escompter à la Banque Nationale, à un taux relativement bas, du

521
RIST, Charles, « Notice biographique » in Revue d’Economie politique,
« Charles Rist, 1874-1955 », Paris, Sirey, 1956, p. 1013.
522
RIST, « Notice biographique », p. 1014.
523
RIST, « Notice biographique », p. 1013.
524
RIST, « Notice biographique », p. 1015.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

papier souvent discutable et utilisaient le produit de cet escompte à de


nouveaux prêts au marché à des taux d’autant plus élevés que l’escompte était
525
considéré comme une faveur. » La rentrée de devises dès juillet 1929, par
suite de la reprise des exportations de céréales, commence à améliorer la
situation de la Banque Nationale et à restaurer la confiance dans le leu.

La deuxième difficulté rencontrée par Rist est liée à la répartition et à l’utilisation


des fonds de l’emprunt par les dirigeants roumains et, notamment, par le
Ministre des Finances Mihai Popovici. Le refus de Popovici d’utiliser les fonds de
l’emprunt alloués à son Ministère pour le règlement des dettes envers la Banque
Nationale détermine Rist à noter dans son Journal : « Cette mentalité de boyard
pour qui l’acquitement d’une dette est une humiliation est quelque chose
526
d’extraordinaire, mais il faut compter avec elle. » Les projets envisagés par le
Ministre des Finances, tels que la création d’un Hôtel des Monnaies,
l’agrandissement des Universités de Bucarest, de Cluj et de Iasi, ainsi que la
construction des logements pour 40.000 Macédoniens dans la province de
Dobroudja, incitent Rist à solliciter l’intervention immédiate du Premier ministre
527
Iuliu Maniu. Quelques jours plus tard, Rist apprend que la création d’un Hôtel
des Monnaies a été suggérée à Popovici par une maison française installée à
Bucarest « qui veut faire la monnaie roumaine à la condition de ne fabriquer que
les flans et, comme elle a de vieilles machines à frapper qu’elle veut céder au
Gouvernement roumain, elle désire que ce dernier construise un Hôtel des
528
Monnaies et en fasse les frais. »

En revanche, le général Allevra, chargé de la réorganisation des chemins de fer


roumains, informe Rist le 28 février 1929 qu’il ignorait le fait que le Programme

525
AUBOIN, Roger, « Les missions en Roumanie, 1929-1932 » in Revue
d’Economie politique, « Charles Rist, 1874-1955 », Paris, Sirey, 1956, p. 933.
526
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 3 mars 1929, p. 19.
527
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 9 mars 1929, p. 23.
528
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 11 avril 1929, p. 31.
185

de stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie


attribuait à son ministère 35 millions de dollars. « Voilà trois semaines que le
529
Programme est publié à l’Officiel ! » s’exclame Rist en affirmant qu’Allevra,
sous prétexte qu’il ne connaissait pas la somme accordée aux chemins de fer,
en profitait pour ne pas établir les programmes de travaux à effectuer.
Rappelons que les principaux points visés par le Programme concernent la
création d’une gestion autonome du réseau, l’établissement d’une comptabilité
correcte, la supression des gratuités et la réduction des tarifs abusives, ainsi
que la réalisation de l’équilibre financier de l’exploitation dans un délais de
530
maximum de trois ans. Les discussions pour l’organisation du transfert des
fonds attribués à l’Administration des Chemins de Fer doivent se prolonger, au
grand désepoir de Rist, de quelques mois, par suite de la démission du Général
Allevra le 5 avril 1929. « Tout est très long, écrit Rist le 28 février 1929, et il faut
prendre les gens par la main, d’eux mêmes, il ne font rien sauf Popovici qui fait
531
des bêtises. »

À la Banque Nationale, Rist constate que les dirigeants du gouvernement


continuent à s’immiscer dans la politique et, notamment, dans la réorganisation
532
de cette institution. À titre d’exemple, le Premier Ministre Maniu tente
d’imposer dans le Comité exécutif de la Banque les quatre Administrateurs
Délégués, prévus par les nouveaux Statuts de cette institution. L’article 50 des
Statuts prévoit effectivement la nomination de quatre Administrateurs Délégués
533
qui, avec le Gouverneur, forment le Comité Exécutif de la Banque. Un des
Administrateurs est nommé par le gouvernement, alors que les trois autres

529
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 28 février 1929, p. 16.
530
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, No. 31/1931 : Rapport sur
les deux premières années d’application du Programme de stabilisation et de
développement économique, p. 12.
531
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 28 février 1929, p. 16.
532
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 21 février 1929, p. 11.
533
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation. Statuts de la
Banque Nationle de Roumanie, art. 50, p. 20.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

doivent être élus par l’Assemblée Générale des Actionnaires de la Banque. Leur
nomination se fait pour une durée de deux ans et doit être confirmée par le
Conseil d’Administration de la Banque. Il convient de préciser que le Conseil
d’Administration se composent du Gouverneur et de dix Administrateurs. Parmi
ces derniers, trois sont désignés directement par le Gouverneur parmi les
personnalités compétentes dans les questions agricoles, commerciales,
industrielles, bancaires et financières, tandis que l’Assemblée Générale des
Actionnaires doit en choisir les sept autres Administrateurs, proposés par l’Union
des Chambres de Commerces et d’Industrie et l’Union des Chambres
534
d’Agriculture. Le fait que le Gouverneur de la Banque Bationale doit choisir le
Vice-Gouverneur de cette institution parmi les Administrateurs Délégués
expliquerait, de notre point de vue, la tentative d’ingérence de Maniu dans la
nomination des quatre Administrateurs.

La mission de Rist apparaît dans ces circonstances très difficile. À plusieures


reprises, Rist déplore le manque de soutien des dirigeants de la Banque de
France, l’absence d’une autorité extérieure et les limites juridiques de ses
fonctions auprès de la Banque Nationale. Afin de mener à bon terme la mission
confiée par les créditeurs étrangers de la Roumanie, il prend l’initiative de
combler le vide juridique de l’accord conclu par la Banque de France et les
dirigeants de Bucarest en imposant toute une série de mesures administratives.
Ainsi, en l’absence d’une autorité extérieure qui, faciliterait la collaboration et les
relations avec les dirigeants roumains, Charles Rist se voit obligé d’user de son
autorité et plus particulièrement de la menace des rapports trimestriels, dont la
rédaction lui avait été confiée, en avertissant les dirigeants roumains des
535
éventuelles conséquences de leurs actions et décisions. « Vous êtes
entièrement libre de prendre une telle décision, affirme Rist, et je n’ai
juridiquement aucun droit de veto, mais je suis aussi entièrement libre de dire ce

534
Archives de la BdF, Paris, Missions financières en françaises Roumanie,
No. 1370200006/7 : Bulletin d’information et de documentation. Statuts Banque
Nationale de Roumanie, art. 51, p. 20.
535
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Roger Auboin, Les Missions de Charles Rist en Roumanie,
1929-1932, août 1955, p. 21.
187

536
que j’en pense dans mon rapport. » Malgré les tentatives de dirigeants
roumains de « négocier » la rédaction de ces rapports, Rist défend à plusieurs
reprises son indépendance de jugement et d’expression.

Afin d’élargir son champ d’action et de surveillance, limité à la Banque


Nationale, Rist décide de désigner des collaborateurs français dans des
secteurs qui échappent à son activité et qui se révèlent importants pour
l’organisation et la gestion des finances roumaines. Cette mesure, ainsi qu’il
souligne dans son Journal roumain, apparaît comme nécessaire, mais elle
comporte certains risques. « À nous deux, note Rist, nous sommes trop peu
pour faire face à toutes les difficultés, d’autre part, si nous faisons venir trop de
monde, on parlera de contrôle et nous susciterons toutes sortes de
537
mécontentements. »

C’est dans ces circonstances qu’il s’assure à la Banque Nationale de Roumanie


la collaboration de Jean Bolgert et Henri Guittard, Inspecteurs de la Banque de
France, dont le rôle est de renforcer la surveillance de l’application du
programme de stabilisation monétaire et de développer les relations du
Conseiller technique avec les dirigeants de la Banque Nationale. Au Ministère
des Finances, dirigé par Mihai Popovici, Rist impose, avec beaucoup de
difficultés, l’Inspecteur général des Finances Henri Poisson, chargé dès le 15
juin 1929 de vérifier et de contrôler la réorganisation des services financiers
538
roumains. Cette nomination s’avère rapidemment très importante car elle
permet à Rist de mieux contrôler la politique et les projets de dépenses
démesurées envisagées par Mihai Popovici. Hyon, chef de Bureau à la Direction
Générale des Douanes françaises, est appelé à participer à la réorganisation du
service roumain des douanes. À son tour, Gaston Leverve, nommé expert pour

536
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Note sur la manière dont l’action de restauration financière en
Roumanie pourrait être replacée sur un plan international, p. 5.
537
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 18 avril 1929, p. 33.
538
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 10 juin 1929, p. 60.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

la réorganisation administrative et financière des chemins de fer roumains,


désigne comme adjoint l’ingénieur français Michel Mange.

Ce réseau d’experts financiers et d’ingénieurs est complété par une étroite


collaboration avec le Ministre de France à Bucarest Gabriel Puaux. Ce dernier
informe Rist des différentes affaires envisagées par les dirigeants roumains en
utilisant les crédits de l’emprunt de stabilisation et de développement, sans
539
demander ses conseils et son autorisation. C’est dans ces circonstances qu’il
apprend que le Ministre Popovici a signé le 21 février 1929 avec des entreprises
allemandes et françaises des contrats qui transgressent les principes du
Programme de stabilisation monétaire et de développement économique. À ce
sujet, Rist s’exprime dans ces termes : « Il me verra, dès mon retour de Berlin,
prendre en main la question des emprunts extérieurs sur lesquels on doit me
540
consulter chaque fois, mais on paraît l’avoir oublié. » À plusieures reprises,
Puaux se voit obligé d’intervenir auprès du Premier ministre Maniu en exigeant
le respect de la politique monétaire et financière adoptée par la Banque
Nationale en étroite collaboration avec le Conseiller technique, qui depuis le 7
février 1929 bénéficie d’un statut d’indépendence que les dirigeants du
gouvernement et plus particulièrement Popovici semblent négliger. L’incident
produit à la Banque, lors d’une séance organisée par Rist pour discuter du
relèvement du taux d’escompte de 6% à 8%, démontre les difficultés que
Popovici éprouve à respecter l’indépendance de cette intitution: « (…)
convocation du Conseil pour faire décider l’élévation du taux d’escompte de 6%
à 8%. Kiriacescu dit, dans mon bureau qu’on attend plus que le Ministre des
Finances pour entrer en séance. J’ai sauté de mon fauteuil. J’ai fait une scène et
j’ai déclaré que si le Ministre mettait les pieds au Comité, je n’y resterais pas et
541
qu’il n’y avait plus qu’à m’en aller. »

539
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 21 février 1929, p. 11.
540
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 21 février 1929, pp. 11-12.
541
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 4 mai 1929, p. 39.
189

Les questions budgétaires représentent une autre source de conflit entre Rist et
les dirigeants du gouvernement roumain. Il convient de rappeler que le
Programme contient l’engagement du gouvernement de Bucarest d’établir et de
maintenir un strict équilibre budgétaire. Aussi, Rist avait accepté sa mission en
Roumanie, en échange de l’engagement des dirigeants de Bucarest d’assurer et
de maintenir l’équilibre budgétaire. En 1929, le déficit budgétaire réussit à être
eviter par le vote au cours de l’année de 2 milliards de lei de nouveaux impôts,
ainsi que par des restrictions de dépenses d’un milliard et demi de lei. En
apprenant que Popovici envisage la création d’une nouvelle taxe sur les
benzines, Rist conseille à Maniu de l’attribuer au budget général afin de couvrir
542
les recettes insuffisantes de l’année en cours. À la grande surprise du
Conseiller technique, Maniu lui déclare : « J’ai promis cette taxe pour autre
chose, je dois tenir mon engagement, que mon Ministre des Finance me
543
suggère une autre taxe, c’est son métier d’en trouver. » Quelques jours plus
544
tard, Rist apprend que Iuliu Maniu a promis cette taxe au Prince Nicolae , dont
l’intérêt pour l’aviation et les courses de voiture et, notamment la confusion entre
545
les caisses de l’État et ses propres revenus ont fait coulé beaucoup d’encre.

Toutes ces mesures adoptées par Rist contribuent au maintien de la stabilité et


la convertibilité de la monnaie roumaine, le principal objectif qu’il s’était fixé en
arrivant en Roumanie. Elles permettent également à la Banque Nationale de
Roumanie de s’affirmer comme une véritable banque d’émission et limitent
l’intervention des dirigeants du gouvernement et plus particulièrement celle
Ministre des Finances dans l’organisation et la politique monétaire de cette

542
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 18 juillet 1929, p. VIII.
543
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 18 juillet 1929, p. VIII.
544
Le Prince Nicolae (1903 - 1977) est le deuxième fils du Roi Ferdinand et de
la Reine Marie. Après le décès de son père, le 20 juillet 1927, il est désigné
Régent de Roumanie, fonction qu’il assumera jusqu’au 8 juin 1930, date à
laquelle son frère aîné Carol II est procalmé roi de Roumanie.
545
Archives de la BdF, Paris, Papiers de Charles Rist, No. 23/12 : Journal
roumain (12 février 1929-10 septembre 1929), le 22 juillet 1929, p. XI.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

institution. Toutefois, les mesures de Rist et, notamment, la surveillance de


l’utilisation de fonds de l’emprunt, provoquent les critiques des exportateurs des
pays ayant souscrits à son émission. Ces derniers, ainsi que le souligne Auboin,
considéraient que ces fonds devaient leur revenir de droit sous forme de
546
commandes. L’autorité et la fermeté, dont fait preuve Rist à l’égard de ces
exigences, créent de nombreuses divergences entre le Conseiller technique et
les différents participants, y compris la France, à l’emprunt roumain.

Après la rédaction du rapport trimestriel du 9 février 1930, Charles Rist quitte


ses fonctions de Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie, en
faveur de Auboin qui doit séjourner à Bucarest jusqu’en février 1932. Malgré son
départ de Bucarest, Rist continue, ainsi qu’en témoigne Auboin, à s’intéresser et
à suivre de près l’œuvre monétaire et financière entreprise en Roumanie sous
sa direction. Il continue à défendre et à encourager la création de nouvelles
institutions de crédit, telles une Banque agricole et une Société de crédit
agricole hypothécaire visant à soutenir le développement du principal secteur
d’activité de l’économie roumaine, l’agriculture. Charles Rist reviendra à
Bucarest en avril 1932, en qualité d’expert financier, afin d’étudier une nouvelle
fois la situation économique et financière de la Roumanie.

2. Roger Auboin, Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie,


février 1930 - mai 1932

La mission du nouveau Conseiller technique de la Banque Nationale de


Roumanie s’annonce dès le début très difficile car il ne jouit pas auprès des
dirigeants de Bucarest de la même influence que Charles Rist. L’autorité de
Roger Auboin sera fortement affaiblie par les intrigues du Parti National Libéral
547
et les changements succesifs des leaders du gouvernement National Paysan ,
548
ainsi que par le retour en Roumanie du prince Carol II. Rappelons que Carol II

546
AUBOIN, « Les missions en Roumanie, 1929-1932 », p. 936.
547
Voir Annexe IV : Gouvernements de la Grande Roumanie, 1919-1937.
548
RIST, « Notice biographique », p. 1024.
191

obtient le 7 juin 1930 avec le soutien du Parti National Paysan l’abrogation par le
Parlement de l’acte d’abdication d’avril 1925 et sa proclamation comme roi de
549
Roumanie.

À la Banque Nationale de Roumanie, Auboin continue à surveiller la politique


monétaire et financière de cette institution, mais sa présence devient
rapidemment gênante. Avec l’aide de Jean Bolgert, Henri Guitard et Henri
Poisson, il défend la mission financière qui a été confiée à la Banque de France
par les créanciers étrangers de la Roumanie, ainsi que les mesures monétaires
et financières introduites par Charles Rist. La rédaction des rapports trimestriels
sur la situation économique et financière du pays, ainsi que sur l’exécution du
Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la
Roumanie donne cependant à Auboin une certaine autorité auprès des
dirigeants roumains, qui craignent les réactions des participants à l’emprunt de
1929. Par ailleurs, les dirigeants de Bucarest se voient obligés de respecter les
engagements pris car ils s’apprêtent à demander à la Banque de France
l’émission de la deuxième tranche de l’emprunt international de stabilisation
monétaire et de développement économique. Cette opération s’avère à la fois
pour la Roumanie et pour la France d’une grande importance car la prolongation
de la mission du Conseiller technique de la Banque Nationale après février 1932
est au cœur des négociations entre la Banque de France et le gouvernement
roumain. Exigée par les banques étrangères et, notamment, par les banques
françaises, cette prolongation se heurte au refus du Gouverneur Burillianu qui,
leur reproche le manque de confiance dans la capacité et les compétences des
dirigeants de la Banque Nationale d’administrer efficacement leur institution. Ce
refus, qui provoquera un véritable conflit entre la Banque Nationale et le
gouvernement roumain, reflète les divergences politiques, qui opposent les
dirigeants de Bucarest, ainsi que le fonctionnement de la société roumaine
durant l’entre-deux-guerres.

549
Sur le retour de Carol II (1893-1953) en Roumanie en juin 1930 et son
avènement au trône, voir PROST, Destin de la Roumanie, pp. 49-65 et
QUINLAN, Paul, Regele playboy. Carol al II-lea al României, Bucuresti,
Humanitas, 2008, pp. 108-197.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

2.1. Les négociations et l’émission de l’emprunt de développement économique,


octobre 1930 - mars 1931

En octobre 1930 le Gouvernement roumain, dirigé par George Mironescu,


entame de nouvelles négociations avec la Banque de France en vue de
l’émission de la deuxième tranche de l’emprunt international, dont le produit,
ainsi que l’avait suggéré Charles Rist, sera entièrement destiné au
développement économique du pays. Ces négociations s’avèrent rapidement
difficiles et complexes car le consortium des banques privées et des banques
centrales réuni le 7 février 1929 par le Gouverneur Emile Moreau ne peut pas
être renouvelé en raison de la situation défavorable du marché international.

Les démarches effectuées par George Mironescu et son Ministre des Finances,
Mihai Popovici, auprès de différents établissements financiers étrangers
s’annoncent également longues et très contraignantes en raison des conditions
économiques et financières exigées pour la participation à l’émission de cet
emprunt. A titre d’exemple, les banques suisses subordonnent leur participation
à cette opération au règlement des dettes d’avant-guerre et aux éventuelles
commandes que les dirigeants roumains devraient passer à l’industrie suisse
550
sur le produit du nouvel emprunt. Le groupe allemand, dirigé par la Disconto-
Gesellschaft, reproche aux dirigeants de Bucarest d’avoir négligé l’industrie
allemande en 1929 et réclame la signature d’un contrat d’achat de biens
d’équipement pour les chemins de fer roumains. Les banques françaises,
dirigées par la Banque de Paris et des Pays Bas, lient également leur
participation au nouvel emprunt roumain à l’engagement des dirigeants de
Bucarest de réserver à l’industrie française et, essentiellement, à celle

550
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (1930-
1936) : Télégramme de la Légation de Roumanie à Berne au Président du
Conseil roumain, George Mironescu, le 17 décembre 1930, p. 187.
193

productrice d’équipements agricoles, des commandes proportionnelles avec les


551
crédits accordés par le marché parisien.

Quant aux banques américaines et, plus particulièrement, à la maison Blair &
Co., qui avait joué un rôle de premier plan dans les négociations pour l’émission
de l’emprunt de stabilisation monétaire, elles avertissent le Gouverneur de la
Banque de France, Clément Moret, de leur difficulté de participer à cette
nouvelle opération, en raison de la mauvaise situation du marché international.
Ces circonstances déterminent Moret et Rist de conseiller les dirigeants de
Bucarest de reprendre contact avec le groupe suédois d’Ivar Kreuger & Toll qui,
lors du précédent emprunt avait apporté à la Roumanie 30 millions de dollars en
552
échange du monopole des allumettes. La participation de Kreuger à cette
nouvelle opération, ainsi que le souligne Charles Rist, pourrait compenser la
diminution de la participation des banques américaines et assurer l’émission de
l’emprunt roumain de développement économique. En échange de sa
participation, estimée à 10 millions de dollars, Kreuger demande la cession du
553
monopole des routes de Roumanie (la construction, l’entretien, etc.).

Face à la situation défavorable du marché international, ainsi qu’aux exigences


formulées par les banques étrangères, la Banque de France se voit obligée le 8
janvier 1931 d’avertir les dirigeants roumains qu’il sera très difficile de garantir
l’émission de cet emprunt, dont le montant a dû être réduit en l’absence des
banques américaines. Pour ne pas compromettre la réalisation de cette
opération, il propose aux dirigeants roumains d’organiser l’émission de l’emprunt

551
Archives MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (1930-1936) :
Télégramme de la Légation de Roumanie au Président du Conseil roumain,
George Mironescu, le 27 janvier 1931, 129.
552
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (România si
împrumutul pentru stabilizare, Transa II, 1930-1936) : Télégramme de la
Légation de Roumanie à Paris au Président du Conseil roumain, George
Mironescu, le 7 janvier 1931, p. 9.
553
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (România si
împrumutul pentru stabilizare, Transa II, 1930-1936) : Télégramme de la
Légation de Roumanie à Paris au Président du Conseil roumain, George
Mironescu, le 7 janvier 193 p.82.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

en deux tranches - la première serait émise immédiatement, alors que la


deuxième devrait être repoussée de quelques mois, voire une année, afin que le
554
marché international puisse absorber une nouvelle émission. Il convient de
préciser que le marché français est au même moment chargé de préparer
555
l’émission de l’emprunt yougoslave de stabilisation monétaire. Le 24 janvier
1931, date à laquelle la Banque de France organise une nouvelle rencontre
avec les banques étrangères intéressées par l’emprunt roumain, Mihai Popovici
est informé que le montant total de l’emprunt ne s’élève qu’à 30 millions de
dollars, dont 14 millions seront émis directement sur le marché français, et qu’il
sera très difficile d’augmenter cette somme dans les conditions actuelles du
556
marché international. Par la même occasion, le Gouverneur Moret informe les
dirigeants roumains que les banques étrangères et, plus particulièrement,
françaises ont formulé de nouvelles exigences à l’égard de la Roumanie pour
s’assurer de la sécurité et de l’utilisation des crédits accordés à ce pays.
D’emblée, Moret affirme que les dirigeants de la Banque de France
n’approuvent pas intégralement ces exigences, mais que la Roumanie devrait
les accepter pour obtenir l’aide financière sollicitée.

Ces nouvelles exigences sont en lien avec la prolongation de deux, voire trois
ans, de la mission du Conseiller technique de la Banque Nationale, qui, aux
557
termes de l’Accord du 7 février 1929, devait quitter le pays le 7 février 1932.

554
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (România si
împrumutul pentru stabilizare, Transa II, 1930-1936), Télégramme de la
Légation de Roumanie à Paris au Président du Conseil roumain, George
Mironescu, le 9 janvier 1931, p. 28.
555
La monnaie yougoslave, le dinar, est stabilisée le 28 juin 1931. Jean Bolgert,
Inspecteur de la Banque de France, est désigné Expert monétaire de la Banque
Nationale de Yougoslavie pour une période de trois ans. Sa mission consiste
principalement dans le contrôle et la surveillance de l’exécution du programme
de reconstruction financière et monétaire par les dirigeants yougoslaves.
556
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (România si
împrumutul pentru stabilizare, Transa II, 1930-1936), Télégramme de la
Légation de Roumanie à Paris au Président du Conseil roumain, George
Mironescu, le 14 janvier 1931, p. 127.
557
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 133 (România si
împrumutul pentru stabilizare, Transa II, 1930-1936), Télégramme de la
195

Afin que les dirigeants roumains acceptent sans trop de difficulté cette
prolongation, Moret propose l’introduction d’une nouvelle formule de
collaboration entre la Banque Nationale de Roumanie et le Conseiller technique.
Tout d’abord, le terme de Conseiller technique serait remplacé par celui
d’Expert, dont la principale mission serait de rédiger deux à trois fois par année
un rapport sur la situation financière et monétaire de la Roumanie, ainsi que sur
la politique menée par la Banque Nationale. Par rapport au Conseiller technique,
l’Expert ne résiderait plus à Bucarest de manière permanente et ne serait plus
obligé de participer aux réunions et aux conseils de la Banque Nationale.
Toutefois, l’Expert aurait le droit de désigner un collaborateur adjoint qui, lui
devrait séjourner dans la capitale roumaine de manière permanent jusqu’à la fin
de la mission, dont la durée pourrait varier de deux à trois ans, en fonction de la
décision des créanciers étrangers. L’Expert continuerait également à diriger et à
surveiller le Service d’Etudes de la Banque Nationale, qui avait été mis sous
l’autorité du Conseiller technique dès le 7 février 1929. Quant au devoir des
dirigeants de la Banque Nationale envers l’Expert, il serait de s’engager
formellement à collaborer et à faciliter la mission de l’Expert, ainsi que celle de
son adjoint, en leur mettant à disposition toutes les informations nécessaires
pour la réaction des rapports sur la situation monétaire et financière du pays.

Transmis à Bucarest, le montant de 30 millions de dollars de l’emprunt, proposé


par la Banque de France, est vivement critiqué par les milieux politiques libéraux
et nationaux-paysans qui exigent l’augmentation de cette somme. Dans un
entretien avec Grigore Gafencu, le Ministre Puaux déclare : « On nous reproche
qu’on veut vous donner de l’argent, après nous avoir reproché, pendant des
mois, qu’on ne voulait pas vous en donner. Qu’est-ce qu’on doit faire pour vous
558
contenter ? »

Légation de Roumanie à Paris au Président du Conseil roumain, George


Mironescu, le 14 janvier 1931, p. 127.
558
GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 51.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Fortement encouragés par Charles Rist, le Président du Conseil roumain


Mironescu et le Ministre des Finances Popovici acceptent les propositions du
er
Gouverneur Moret et donnent leur accord le 1 février 1931 pour la prolongation
de la mission financière de la Banque de France auprès de la Banque
559
Nationale. Mihai Popovici s’engage auprès de Moret de transmettre au
Gouverneur de la Banque Nationale Dimitrie Burillianu la décision prise par le
Gouvernement, ainsi que les démarches qu’il devra réaliser auprès de la
Banque de France pour la prolongation de sa mission. Rappelons que les
Statuts de la Banque Nationale, défini par la Réforme monétaire du 7 février
1929, exigent que les démarches soient réalisées directement par les dirigeants
de cette institution, dont l’indépendance a été renforcée par rapport au pouvoir
560
politique. Ainsi, le Gouverneur Burillianu doit écrire à la Banque de France
une lettre, par laquelle la Banque Nationale demande la prolongation de la
collaboration avec Auboin après l’expiration de la période de trois ans, prévue
par le Programme de stabilisation monétaire et de développement économique
de la Roumanie.

er
Averti, le 1 février 1931, par le Ministre Popovici de nouvelles exigences
formulées par les banques étrangères, ainsi que des démarches à réaliser
auprès de la Banque de France, Dimitrie Burillianu remet immédiatement en
question la présence de Roger Auboin à titre d’Expert auprès de la Banque
Nationale de Roumanie. Pour Burillianu, la présence de Charles Rist et, ensuite,
celle de Roger Auboin auprès de la Banque Nationale à titre de Conseiller
technique n’a été qu’une mesure exceptionnelle et transitoire, limitée à une
période de trois ans. Il ne souhaite pas sa prolongation, au-delà du 7 février
1932, car elle influencerait négativement le crédit international de la Roumanie,
ainsi que la confiance des créranciers étrangers dans les compétences des

559
Sur cette question, voir RACIANU, Ileana, « L'indépendance de la Banque
nationale de Roumanie en question: le gouverneur Burillianu et la mission de la
Banque de France au début des années 30 » in Histoire, Economie et Société,
No. 4, 2011, pp. 19-28.
560
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/16 : La stabilisation monétaire et la Banque Nationale de
Roumanie, Section I : Statuts de la Banque Nationale Missions en Roumanie.
197

dirigeants de la Banque Nationale de surveiller la politique monétaire et


561
financière du pays. Toutefois, si le Gouvernement « juge que la collaboration
avec les experts étrangers est indispensable pour renforcer le crédit
international de la Roumanie », Burillianu affirme que la Banque Nationale leur
mettra à disposition toutes les informations nécessaires pour la rédaction de
leurs rapports, mais qu’elle ne pourra pas réaliser les démarches exigées
562
auprès de la Banque de France.

Pressé de conclure l’emprunt, Popovici sollicite l’intervention du Président du


Conseil auprès des dirigeants de la Banque Nationale afin de les convaincre de
l’importance et de la nécessité des démarches qu’ils doivent effectuer auprès de
la Banque de France. Après avoir démontré l’importance de cet emprunt pour le
développement économique de la Roumanie, ainsi que pour la continuation des
réformes monétaires et financières, Mironescu réussit à convaincre le
Gouverneur Burillianu de réunir le Conseil de la Banque Nationale pour une
nouvelle discussion sur la prolongation de la mission de Roger Auboin. Malgré
l’intervention et les conseils de Rist, qui insiste également sur la nécessité de
cet emprunt, Burillianu communique à Mironescu le 17 février 1931 que le
Conseil de la Banque Nationale de Roumanie maintient, à l’unanimité, son refus
563
d’accepter la prolongation de la mission française. Par la même occasion, il
reproche au Président du Conseil et au Ministre des Finances de ne pas avoir
consulté la Banque Nationale lors des démarches qu’ils ont réalisées auprès de
564
la Banque de France pour l’émission de cet emprunt. Dimitrie Burillianu
rappelle à George Mironescu que les nouveaux Statuts de la Banque Nationale
de Roumanie prévoient clairement cette consultation et que les dirigeants
politiques sont obligés de tenir compte de l’avis et des observations formulées

561
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931 : Istoricul
chestiunei Consilierului technic, p. 1.
562
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931 : Istoricul
chestiunei Consilierului technic, p. 1.
563
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931 : Istoricul
chestiunei Consilierului technic, p. 2.
564
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931 : Télégramme
du Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie au Ministre des Finances,
Mihai Popovici, le 17 février 1931, p. 1.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

par la Banque, dont le rôle dans l’activité économique et financière du pays a


565
été fortement consolidé par la Réforme monétaire du 7 février 1929.

Dans l’impossibilité d’obtenir l’accord du Gouverneur Burillianu, Mironescu


décide d’intervenir directement auprès des membres du Conseil de la Banque
Nationale en leur présentant le texte d’une lettre qu’ils devraient uniquement
566
signer et envoyer à la Banque de France. Le 24 février 1931, date à laquelle
le Conseil de la Banque se réunit pour la troisième fois pour traiter cette
question, Burillianu accepte, avec l’assentiment de ses collaborateurs, de
rédiger et d’envoyer à la Banque de France le texte suivant : « Afin de donner
une publicité internationale plus étendue aux résultats du Programme de
stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie, si le
Gouvernement juge utile d’inviter une des personnalités qui ont déjà collaboré à
ce Programme, soit Monsieur Rist, soit Monsieur Auboin, de se rendre en
Roumanie pour examiner l’exécution du Programme et pour en faire un rapport,
la Banque Nationale de Roumanie mettra à sa disposition ses services, pour lui
567
fournir toutes les données et lui accorder le concours nécéssaire. » Il
apparaît, ainsi, que la Banque Nationale de Roumanie maintient clairement son
refus de prolonger la mission financière de la Banque de France, mais qu’elle se
soumettra aux décisions prises par le Gouvernement à ce sujet.

Envoyée à la Banque de France à titre de « projet de lettre pour la prolongation


de la mission de Roger Auboin », la lettre de la Banque Nationale de Roumanie
provoque le mécontentement de Moret qui, menace d’interrompre les
négociations pour l’émission de l’emprunt jusqu’à ce que les dirigeants de la
Banque Nationale acceptent les exigences des banques étrangères. Le

565
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931, Télégramme
du Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Dimitrie Burillianu, au
Ministre des Finances, Mihai Popovici, le 17 février 1931, p. 1.
566
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931, Istoricul
chestiunei Consilierului technic (L’historique de la question du Conseiller
technique), p. 3.
567
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931, Istoricul
chestiunei Consilierului technic, p. 5.
199

Gouverneur Moret avertit son homologue roumain que la Banque Nationale de


Roumanie doit envoyer immédiatement à la Banque de France un texte qui
stipule : « Comment la Banque Nationale de Roumanie entend continuer à
bénéficier de l’avantage que comporte pour elle actuellement la collaboration
568
avec le Conseiller technique. » L’objectif de ce texte, souligne Clément Moret,
est de demander : « au Conseiller technique de continuer à faire, pendant deux
ou trois ans, simplement à titre d’expert, un rapport annuel qui serait publié,
569
comme précédement, dans le bulletin de la Banque. » En réponse à cette
lettre, ainsi qu’aux pressions effectuées par les dirigeants du gouvernement,
Dimitrie Burillianu accepte le 4 mars 1931 de compléter le texte précédent avec
un nouveau paragraphe, mais sans aucune référence à la prolongation de la
mission de Roger Auboin. « La Banque Nationale de Roumanie, écrit Burillianu,
entend notamment poursuivre énergiquement l’application intégrale dans le
délai de trois ans de toutes les mesures résultant tant dans le Programme de
stabilisation que dans ses nouveaux statuts afin notamment d’assurer à son
570
actif, avec le concours du Conseiller Technique, la liquidité indispensable. »
Envoyée directement à Cesianu, Ministre de Roumanie à Paris, pour être remise
à la Banque de France, la lettre de Burillianu provoque une véritable crise
politique entre les dirigeants de la Banque Nationale et les membres du
Gouvernement roumain. Dans ces circonstances, Cesianu conseille Mironescu
de prendre immédiatement des mesures à l’égard du Gouverneur Burillianu et
d’user de tous les moyens pour convaincre le Conseil de la Banque Nationale
d’accepter la prolongation de la mission française car les banques étrangères
menacent d’arrêter les négociations si la question de l’Expert n’est pas réglée
dans les plus brefs délais. « Le crédit international de la Banque Nationale de
Roumanie, écrit Cesianu, a été renforcé après février 1929 grâce à la présence

568
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/16 : Télégramme du Gouverneur de la Banque de France à la
Banque Nationale de Roumanie, le 27 février 1931, p. 4.
569
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/16 : Télégramme du Gouverneur de la Banque de France à la
Banque Nationale de Roumanie, le 27 février 1931, p. 4.
570
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1931 : Istoricul
chestiunei Consilierului technic, p. 7.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

des experts de la Banque de France. Pourquoi le Gouverneur Burillianu redoute-


t-il le Conseiller technique ? Qu’est-ce que la Banque Nationale veut nous
571
cacher ? »

Souhaitant conclure immédiatement l’emprunt, le Gouvernement roumain


décide, le 7 mars 1931, à 8 voix sur 9 de rédiger et d’envoyer au nom de la
Banque Nationale de Roumanie et du Gouverneur Burillianu la lettre demandée
er
par la Banque de France dès le 1 février 1931. Afin de remercier les dirigeants
de la Banque Nationale pour leur changement d’attitude, Moret envoie le 8 mars
1931, au nom des participants à l’emprunt roumain, un télégramme pour
confirmer la prolongation de la mission de Auboin. Ce télégramme provoque le
mécontentement de Burilianu, qui décide d’informer immédiatement la Banque
de France et les autres participants à l’emprunt roumain qu’il s’agissait d’un
malentendu et que la Banque Nationale de Roumanie n’a jamais rédigé cette
lettre. Face à situation, Mironescu décide d’intervenir immédiatement auprès du
roi Carol II et de demander la destitution de Burillianu de ses fonctions de
Gouverneur de la Banque Nationale.

Accusé d’avoir mis en danger les intérêts de l’État roumain, Dimitrie Burillianu
est destitué par décret royal le 10 mars 1931. Son successeur, Constantin
572
Angelescu approuve les démarches effectuées par le gouvernement auprès
de la Banque de France et l’emprunt roumain de développement économique
sera finalement émis le 15 mars 1931.

Considéré comme la deuxième tranche de l’emprunt de stabilisation de


300.000.000 de dollars, cet emprunt est également contracté par la Caisse

571
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 134 (1930-
1936) : Télégramme de la Légation de Roumanie à Paris au Président du
Conseil roumain, le 26 février 1931, p. 449.
572
Professeur de droit à la Faculté de Droit de Bucarest, Constantin Angelescu
(1870-1948) est nommé durant les années trente à deux reprises Gouverneur
de la Banque Nationale de Roumanie : du 9 mars 1931 au 10 juin 1931 et du 27
novembre 1931 au 3 février 1934. Entre le 30 décembre 1933 et le 3 janvier
1934, Angelescu assume les fonctions de Président du Conseil roumain.
201

Autonome des Monopoles du Royaume de Roumanie avec un taux d’intérêt de


7,5% et un cours d’émission de 86,50%. Le montant total de cet emprunt s’élève
à un milliard trois cent vingt-cinq millions de francs français, dont 450 millions
573
sont émis sur le marché français. Parmi les banques étrangères qui ont
souscrit cet emprunt, la somme la plus importante revient, comme en février
1929, à la Banque de Paris et des Pays-Bas avec un montant de 450 millions de
francs français. Le tableau ci-dessous (Tableau VII) nous indique la
physionomie internationale et la participation des banques et des institutions
financières à l’émission de cet emprunt.

573
Il convient de préciser que par rapport à la première tranche de l’emprunt de
stabilisation monétaire et développement économique de février 1929, la
deuxième tranche de cet emprunt est contractée en une seule devise, le franc
français.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Tableau VII : La répartition internationale de l’emprunt roumain de


développement économique de mars 1931.
Pays Banque/Société Montant souscrit % du total
financière (FF)

France Banque de Paris et des 450 000 000 33,96


Pays-Bas
Suède Stockholm-Enskilda Bank 303 500 000 22,91

Etats –Unis National City Bank 250 000 000 18,87

Suède Groupe Kreuger & Toll 75 000 000 5,66

Roumanie Banca Româneasca, 75 000 000 5,66


Banca de Credit Român,
Societatea Bancara
Româneasca, Banca
Moldovei, Banca
Comerciala Italiana si
Româna
Allemagne Deutsche Bank 43 500 000 3,28

Pays-Bas Mendelssohn & Co 37 500 000 2,83

Tchécoslovaquie Zivnostenska Banka 35 500 000 2,68

Suisse Crédit Suisse 25 000 000 1,89

Belgique Banque de Paris et des 17 500 000 1,32


Pays-Bas
Autriche Banque des Pays de 12 500 000 0,94
l’Europe centrale
Total 1 325 000 000 100,00

Source : URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise : l’éxperience


des emprunts roumains à la bourse de Paris durant l’entre-deux-guerres, Paris,
Publications de la Sorbonne, 2008, p. 212.

Les crédits obtenus par la Roumanie, par suite de cette deuxième émission
internationale sont destinées au développement du secteur agricole et à la
création d’une Banque agricole et d’une Société de Crédit Agricole
203

574
Hypothécaire. Cette dernière institution, dont la principale mission est
d’assainir les dettes agricoles en fournissant aux débiteurs, dans des conditions
de sécurité, des fonds à taux modéré pour rembourser les dettes anciennes à
taux élevé et souvent usuraire, est placé sous la surveillance de Regard, ancien
575
sous-gouverneur du Crédit Foncier de France. Toutefois, le montant de 400
millions de francs français, accordé au développement de l’agriculture, s’est
avéré rapidement insuffisant, compte tenu du caractère agricole du pays et de
l’importance des investissements à réaliser dans ce secteur. En outre, une
somme de 250 millions de francs français est affectée au développement des
576
chemins de fer pour la continuation des travaux commencés en 1929. Le
programme de restauration du réseau routier roumain reçoit sur le produit de
l’emprunt déposé à la Banque Nationale par la Caisse Autonome des
577
Monopoles un montant de 220 millions de francs français. Quant au fonds de
roulement du Trésor, la somme accordée est de 200 millions de francs
578
français.

Face aux critiques de la presse internationale, qui s’interroge sur les raisons de
la destitution du Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie, Mironescu
déclare qu’il a été obligé de prendre cette mesure afin de défendre les intérêts
de l’État roumain, car l’emprunt roumain devait être émis avant l’emprunt
yougoslave de stabilisation monétaire. Le journal français l’Écho de Paris
annonce dans son édition du 10 mars 1931 que le Gouverneur de la Banque
Nationale de Roumanie a été révoqué par décret royal en raison d’une lettre

574
AUBOIN, « Les missions en Roumanie, 1929-1932 », p. 937.
575
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, No. 31/1931 : Rapport sur
les deux premières années d’application du Programme de stabilisation et de
développement économique, pp. 13-15.
576
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
1370200006/13 : Deuxième emprunt international de la Caisse Autonome des
Monopoles du Royaume de Roumanie, pp. 9-10.
577
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
1370200006/13 : Deuxième emprunt international de la Caisse Autonome des
Monopoles du Royaume de Roumanie, pp. 9-10.
578
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
1370200006/13 : Deuxième emprunt international de la Caisse Autonome des
Monopoles du Royaume de Roumanie, p. 10.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

qu’il a envoyé aux dirigeants de la Banque de France quelques jours


auparavant. Sans évoquer le contenu de cette lettre, l’Écho de Paris écrit
qu’elle: « était calculée pour rendre impossibles toutes les négociations d’un
nouvel emprunt et même pour compromettre les bonnes relations entre la
579
France et la Roumanie. » En revanche dans la presse roumaine, les avis sont
très partagés et fortement influencés par l’orientation politique de leurs auteurs.
Ainsi, les journaux, qui représentent les intérêts du Parti National Libéral,
accusent Mironescu, représentant du Parti National Paysan, d’avoir violé
l’indépendance de la Banque Nationale au nom de ses propres intérêts: « Un
emprunt de 35 millions de dollars a conduit Mironescu à condamner la
Roumanie à un asservissement envers les créditeurs étrangers et à renier
l’indépendance de la Banque Nationale acquise en vertu du Programme de
580
stabilisation monétaire. » Constantin Bratianu et I. Gh. Duca, les nouveaux
leaders des Libéraux, s’expriment également sur cette affaire en condamnant la
sévérité de la mesure prise à l’égard de Burillianu car elle pourrait affaiblir le
crédit international de la Roumanie. Dans la presse du Parti National Paysan, la
destitution de Dimitrie Burillianu est intégralement approuvée car la Banque
581
Nationale doit servir les intérêts de l’État. Ce point de vue est également
partagé par Grigore Gafencu qui note dans son journal que seulement le
582
gouvernement a le droit de décider la politique financière de la Roumanie.
Toutes les autres institutions du pays doivent s’y soumettre. Par la révocation de
Burillianu, le gouvernement restaure son prestige et son autorité politique.

Considérant sa destitution illégale et abusive, Dimitrie Burillianu décide, le 28


mai 1931, de contester la mesure prise par le Président du Conseil, Mironescu,

579
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 134 (1931-
1934) : Coupures de presse, p. 516.
580
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 134 (1931-
1934) : Coupures de presse, p. 517.
581
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare Speciale, No. 134 (1931-
1934) : Coupures de presse, p. 518.
582
GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 119.
205

583
à son égard en faisant appel à la Cour Constitutionnelle de Roumanie. Il
demande à cette instance de se prononcer sur le droit et les compétences du
Gouvernement roumain de désigner et de destituer le Gouverneur de la Banque
Nationale. Se basant sur les nouveaux Statuts de la Banque Nationale, qui « ont
été révisés de façon à harmoniser leurs dispositions avec celles des statuts les
plus récents des autres banques d’émission européennes », la Cour
Constitutionnelle de Roumanie reconnaît le droit du Gouvernement de désigner
le Gouverneur de la Banque Nationale par décret royal pour une durée de six
584
ans. En l’absence de toute disposition législative sur la révocation du
Gouverneur, la Cour décide que les dirigeants du Gouvernement n’ont ni le
droit, ni les compétences de destituer le Gouverneur, car il n’est pas un
fonctionnaire public au sens strict du terme. Il peut être révoqué en cas
d’incapacité ou de faute grave, mais il n’y a que la Cour Constitutionnelle qui a
le droit et les compétences pour délibérer dans ce domaine. Ayant destitué
Burillianu sans respecter cette procédure, le gouvernement se rend, donc,
coupable d’avoir violé les nouveaux Statuts de la Banque Nationale, qui visent à
585
régler et à limiter l’intervention de l’État dans les affaires de la Banque. Selon
la Cour Constitutionnelle de Roumanie, Burillanu a fait son devoir de
Gouverneur, tel qu’il était prévu par les Statuts de la Banque Nationale, et rien
ne prouve qu’il a eu l’intention de contrecarrer la politique financière menée par
le gouvernement à l’occasion des négociations pour l’emprunt de mars 1931.

Le 8 juillet 1931, la Cour Constitutionnelle de Roumanie décide d’annuler le


décret royal du 10 mars 1931 qui destituait Dimitrie Burillianu de ses fonctions
de Gouverneur de la Banque Nationale. Dans ces circonstances, la nomination
de Angelescu devient illégale et abusive car le mandat de Gouverneur n’était

583
Archives de la BNR, Bucarest Fonds Secretariat, Année 1931 : Curtea de
Apel Bucuresti, Procès verbal no. 4621, le 8 juillet 1931, pp. 1-11.
584
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/16 : La stabilisation monétaire et la Banque Nationale de
Roumanie. Statuts de la Banque Nationale, p. 4.
585
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/16 : La stabilisation monétaire et la Banque Nationale de
Roumanie. Statuts de la Banque Nationale, p. 4.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

pas disponible. Toutefois, Burillianu décide de ne pas revenir à la Banque


Nationale de Roumanie et de continuer sa carrière politique au sein du Parti de
Octavian Goga. Le 14 juillet 1931, le Gouvernement désigne à la tête de la
586
Banque Nationale de Roumanie Mihai Manoilescu , lui-même, qui sera
également destitué le 27 novembre 1931, en raison de son opposition à la
587
volonté du roi Carol II de sauver la Banque Marmorosch, Blank and Co.

Toutefois, les crédits étrangers obtenus par la Roumanie en mars 1931


n’améliorent pas la situation économique et financière du pays qui, sous l’effet
de la dépréciation des produits agricoles sur le marché international, traverse
dès l’été 1931 une forte crise économique et financière. Pays essentiellement
agricole et dépendant des exportations de produits primaires, la Roumanie est
fortement touchée par l’effondrement des prix agricoles, forestiers et pétroliers
sur le marché international. En 1931, le revenu national roumain baisse de
43,04% par rapport à l’année 1929 et menace la stabilité de la monnaie, ainsi
qu’il résulte de la réduction du stock de devises de la Banque Nationale de
4.062 millions de lei en janvier 1931 à 654 millions de lei vers la fin de la même
588
année. Face à ces difficultés, le Ministre des Finances Argetoianu, « un
homme extrêmement rusé, germanophile, et, bien entendu, mal disposé vis-à-
589
vis des conseillers technique français » demande au Gouvernement français
le 16 mars 1932 d’envoyer à Bucarest Rist pour examiner la situation

586
Ingénieur, économiste et homme politique, Mihai Manoilescu (1891-1950) est
désigné le 14 juillet 1931 Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie. Il
assumera ces fonctions jusqu’au 27 novembre 1931, date à laquelle il a été
destitué par le roi Carol II en raison de son refus de sauver la Banque
Marmorosch, Blank and Co. Durant son activité politique, il a été nommé
plusieurs fois à la tête des Ministères du Commerce et de l’Industrie, des
Travaux Publics et des Communications et des Affaires Etrangères. Parmi ses
principaux ouvrages, on retient Théorie du protectionnisme et de l'échange
international (1929) et Le siécle du corporatisme. Doctrine du corporatisme
intégral et pur (1934 ) .
587
La Banque Marmorosch, Blank and Co. est considérée comme étant la
banque du roi Carol II.
588
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en
Roumanie, S. 87 : Rapport sur la situation économique et financière de la
Roumanie, p. 6.
589
RIST, « Notice biographique », p. 1016.
207

économique et financière du pays. Les dirigeants roumains espèrent, en effet,


590
que Rist conclura à la nécessité d’un nouvel emprunt international.

Malgré sa réticence de retourner à Bucarest pour étudier la situation


économique et financière du pays, Rist accepte, sur l’insistance de Auboin, la
591
mission confiée par les gouvernements roumain et français. Afin de faciliter sa
tâche, Rist demande aux dirigeants de la Banque de France le concours
temporaire de Jean Bolgert, qui sera chargé de réunir toutes les données
nécessaires à l’établissement de son rapport.

3. Charles Rist et la situation économique et financière de la Roumanie, avril -


mai 1932

Dès son retour à Bucarest en avril 1932, Rist trouve une situation complètement
différente de celle qu’il avait connue durant les années 1928-1931. Le roi Carol
II serait en grande partie à l’origine de ce changement, lourd de conséquences
politiques et financières pour la Roumanie. Préoccupé de renforcer l’armée
roumaine par des dépenses démésurées, Carol II a négligé les répercussions
sur la situation financière et monétaire du pays.

Analysant la situation de la Trésorerie et du budget, Rist met en évidence la


désorganisation des finances publiques, le déséquilibre budgétaire, l’intervention
de l’Etat dans la politique de la Banque Nationale et l’échec du projet de
« conversion des dettes agricoles » qui, au lieu de faciliter les arrangements
entre les créditeurs et les débiteurs, avait organisait le défaut des débiteurs. Afin
de dissiper les suspicions des dirigeants roumains à l’égard de la stabilisation
monétaire et de ses conséquences négatives sur la situation de la Roumanie,
Rist écrit dans son Rapport que la stabilisation du leu a été une opération
parfaitemment réussie et que, après cette opération, la Banque Nationale a très

590
RIST, « Notice biographique », p. 1016.
591
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/5 : Lettre de Roger Auboin à Jean Bolgert, le 13 avril 1932.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

bien fonctionné. « Si la situation de la Roumanie, écrit Rist à Argetoianu, est


actuellement sérieuse, la raison de cet état de choses est à chercher dans la
592
gestion des finances publiques. »

Pour expliquer les difficultés économiques et financières de la Roumanie,


Charles Rist insiste, d’une part, sur les effets économiques et financiers de la
crise de 1929 et, d’autre part, sur la mauvaise gestion et l’intervention de l’État
qui avait augmenté ses dépenses et ses engagements hors budget, tels que les
dépenses pour la réorganisation de l’armée et l’achat des équipements
militaires. Ces dépenses qui, ont conduit au déséquilibre budgétaire en faussant
tout le mécanisme financier et bancaire de la Roumanie, se sont aggravées bien
entendu avec la crise mondiale.

Dans les conclusions de son Rapport, Rist recommande la réforme du système


financier, depuis l’établissement du budget et jusqu’aux méthodes de perception
de l’impôt, mesures qui permettront à la Roumanie de s’adapter aux nouvelles
593
conditions économiques et financières internationales. Etant donné que « le
remède à ces difficultés est d’ordre essentiellement économique et ne peut
594
résulter que d’une action internationale » , Rist conseille aux dirigeants de
Bucarest « de demander la collaboration technique non à un seul
gouvernement, quelque amicaux que soient ses sentiments, mais à une autorité
internationale, telle que la Société des Nations, en mesure de s’assurer les
595
concours les plus qualifiés, non dans un seul pays, mais dans plusieurs. » La
France se voit, ainsi, obligée de faire marche arrière et recommande à son allié
politique et militaire de solliciter l’aide de la Société des Nations car aucun
emprunt roumain ne pourra plus être émis sur le marché parisien.

592
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Roumanie (1921-1934), No. 358 :
Télégramme de Charles Rist à Constantin Argetoianu, Ministre des Finances, le
22 mars 1932, p. 338.
593
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Roumanie (1921-1934), No. 358 :
Note sur le Rapport Rist, p. 323.
594
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Roumanie (1921-1934), No. 358 :
Note sur le Rapport Rist, p. 323.
595
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Roumanie (1921-1934), No. 358 :
Note sur le Rapport Rist, p. 323.
209

Les recommandations données par Rist aus dirigeants de Bucarest de


s’adresser à la Société de Nations ne doivent pas nous surprendre car Roger
Auboin avait déjà évoqué dès le 7 mars 1932 l’idée d’une action internationale
596
en faveur de la Roumanie. Dans une lettre adressée à Moret, le 7 mars 1932,
Auboin, dont le mandat de Conseiller technique de la Banque Nationale de
Roumanie avait expiré le 7 février 1932, fait le point sur les résultats obtenus par
la mission financière de la Banque de France dans ce pays. Si jusqu’en février
1932 le Conseiller technique a pu s’appuyer sur « l’autorité morale »,
représentée par le groupe des banques d’émission européennes et américaine,
il ne bénéficie plus de ce soutien à partir de cette date en raison de son non
renouvellement. Malgré les suggestions effectuées pour y substituer la Banque
des Règlements Internationaux ou une autre autorité internationale, les
créanciers de la Roumanie n’ont pris aucune décision. L’action financière en
Roumanie, ainsi que la position de l’Expert de la Banque Nationale n’ont plus le
fondement international qui, avait garanti avant février 1932 le bon déroulement
de la mission dans ce pays. Dans ces circonstances, les experts français ne
peuvent plus garantir le respect du Programme de stabilisation monétaire et de
développement économique de la Roumanie par les dirigeants de Bucarest et
les d’importants intérêts étrangers seront mis en danger. Afin d’éviter une telle
situation, Auboin demande l’intervention ferme des dirigeants de Paris jusqu’à
l’établissement d’une nouvelle formule d’action internationale en Roumanie.
Pour Auboin, cette action comporte deux aspects : premièrement, une action
politique, dont l’objectif principal doit être de convaincre les dirigeants roumains
de respecter les engagements pris en 1929, et deuxièmement, une action
technique qui, consiste dans la mise à disposition des dirigeants roumains, voire
même leur imposer, les experts étrangers compétents pour l’établissement et
l’application des réformes nécessaires à la réorganisation financière et

596
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Lettre de Roger Auboin à Clement Moret, le 7 mars 1932, pp.
19-21.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

597
économique du pays. « La conclusion à laquelle conduisent l’examen de la
situation actuelle et l’expérience de trois années écoulées, écrit Auboin, est que
dans tous les cas une action très énergique et comportant avant tout un effort
soutenu est indispensable en Roumanie pour le maintien et l’achèvement de
l’œuvre financière entreprise et la défense des intérêts considérables qui sont
598
liés à cette œuvre. » Reprenant l’idée de Auboin, Charles Rist décide, donc,
de confier l’autorité internationale nécessaire au bon fonctionnement de la
Roumanie à la Société des Nations.

Mis au courant des conclusions négatives du Rapport, établi par Rist, le


gouvernement français convoque le Ministre roumain à Paris, Cesianu, et lui
599
annonce que la France ne pourra plus venir au secours financier de son pays.
Tardieu reproche à Cesianu la mauvaise gestion des finances et le non-respect
des engagements pris par les dirigeants de Bucarest en 1929, à l’occasion de
l’émission de l’emprunt de stabilisation qui, ont conduit à l’affaiblissement du
crédit international de la Roumanie. « La Roumanie, précise Tardieu, devra
s’adresser à la Ligue des Nations. Elle doit agir vite et entreprendre
immédiatement sa reconstruction économique et financière afin de pouvoir
600
résister à l’expansion économique de l’Allemagne.»

Remis au gouvernement de Bucarest le 25 mai 1932 par Puaux, le Rapport Rist,


décrit par Auboin « comme un modèle de clarté, une clarté évidemment un peu

597
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Lettre de Roger Auboin à Clement Moret, le 7 mars 1932, p.
19.
598
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie,
1370200006/13 : Lettre de Roger Auboin à Clement Moret, le 7 mars 1932, p.
19.
599
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 :
Télégramme de Cesianu, Ministre de Roumanie à Paris, à Nicolae Iorga,
Président du Conseil, et Constantin Argetoianu, Ministre des Finances, le 22
mars 1932, p. 26780.
600
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds România (1921-1934), No. 358 :
Télégramme de Cesianu, Ministre de Roumanie à Paris, à Nicolae Iorga,
Président du Conseil, et Constantin Argetoianu, Ministre des Finances, le 22
mars 1932, p. 26780.
211

601
cruelle » provoque une vive émotion. Les dirigeants roumains considèrent
l’intervention de la Société des Nations dans les problèmes économiques et
financiers de la Roumanie comme une véritable humiliation. Les débats lancés
durant les années vingt par les frères Bratianu contre la stabilisation monétaire
sous l’égide de la Société des Nations refont surface et relient tous les partis
politiques car, ainsi que Vintila Bratianu l’avait affirmait : « Seulement les Etats
vaincus dans la Grande Guerre, tels que l’Autriche et la Hongrie, devaient
recourir à la Ligue des Nations. Pour la Roumanie, qui était un Etat vainqueur et
créé par les Traités de Paix de 1919-1920, le recours à la Ligue serait une
humiliation et porterait atteinte à l’indépendance et à l’intégrité territoriale du
602
pays. » Le 21 juin 1932, lors d’une entrevue avec les dirigeants français,
Nicolae Titulescu, le chef de la diplomatie roumaine, reproche à la France
d’abandonner la Roumanie en faveur de la Société des Nations et avertit qu’il y
aura un changement de la politique étrangère : « En 1927 et 1928, la France
s’est opposée à la Société des Nations parce qu’elle souhaitait avoir une victoire
contre la Banque d’Angleterre. Le résultat a été que les autres Etats se sont
éloignés de la Roumanie et que l’Angleterre l’a considéré comme une colonie
économique de la France. La Ligue est une simple procédure, mais la
603
Roumanie devra trouver une véritable aide ou la liberté. » Quant aux
principales raisons de cet « abandon », Titulescu manifeste son indignation en
affirmant que, de cette manière, la France pouvait « se débarrasser » de la
responsabilité financière et, notamment, morale qu’elle avait accepté par suite
604
de l’organisation des emprunts de février 1929 et de mars 1931. Par ailleurs,
Titulescu remet en question le contrôle financier exercé par Charles Rist sur les

601
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Roger Auboin : Les missions de Charles Rist en Roumanie,
1929-1932, p. 19.
602
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 :
Télégramme de Nicolae Titulescu au roi Carol II et au Ministre des Finances, le
22 juin 1932.
603
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 :
Télégramme de Nicolae Titulescu au roi Carol II et au Ministre des Finances, le
22 juin 1932, pp. 1-2 (Trad. du roumain).
604
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 :
Télégramme de Nicolae Titulescu au roi Carol II et au Ministre des Finances, le
22 juin 1932, p. 3.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

finances roumaines depuis le 7 février 1929 et lui repproche d’être également


responsable de la situation actuelle du pays. « (…) Rist, s’exclame Titulescu, fait
un rapport qui démontre les erreurs de gestion, fait difficile à concevoir dans un
Etat où il y a un contrôle de facto et de jure sur la Banque Nationale et sur le
605
Ministère des Finances. »

Le 18 juin 1932, le gouvernement de Bucarest va adresser au Comité financier


de la Société des Nations une lettre lui demandant la collaboration technique
pour l’application d’un plan de réforme financière, destiné à adapter la vie
administrative du pays aux nouvelles conditions économiques et pour l’étude
606
des mesures propres à améliorer la situation économique de la Roumanie .À
la lecture de différents journaux roumains de l’époque, tels que Universul
(L’Univers), Epoca (L’Epoque), Tara Noastra (Notre Pays), on apprend que « la
Roumanie, trahie par la France, deviendra une colonie de la Société des
607
Nations » .

Avant d’aborder la question de la collaboration de la Roumanie avec le Comité


financier de la Société des Nations, il convient de nous pencher sur les effets de
la crise de 1929 sur la situation économique et financière du pays.

605
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 :
Télégramme de Nicolae Titulescu au roi Carol II et au Ministre des Finances, le
22 juin 1932, p. 2 (Trad. du roumain).
606
Archives de la SdN, Genève, Questions économiques et financières, 1933. II.
A. 3 : Accord instituant une collaboration technique consultative en Roumanie.
607
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en
Roumanie (1932), S 90 : La Roumanie et la Société des Nations.
213

CHAPITRE III : LA ROUMANIE À L’ÉPREUVE DE LA GRANDE CRISE

La crise économique et financière, qui frappe l’Europe et le monde dès 1929,


n’épargne pas non plus la Roumanie. Dès 1930, ce pays agricole et fortement
dépendant des exportations de produits primaires subit les effets de
l’effondrement des prix internationaux des produits agricoles et pétroliers qui
constituent ses principaux articles d’échange sur le marché mondial. Il convient
de préciser que la baisse des prix agricoles, qui s’est accentuée en Europe dès
1928, n’est pas ressentie par la Roumanie avant 1930 car les années 1927 et
1928 sont des années de mauvaise récolte. De ce fait, les quantités de céréales
exportées sur le marché international ne sont pas considérables et, donc, la
diminution des prix tarde à faire sentir ses effets économiques et financiers
608
jusqu’en 1929, année de récolte abondante.

Intimement liés à la situation économique et commerciale du pays, les difficultés


financières de la Roumanie commence à s’aggraver dès juin 1931 car
l’excédent de la balance commerciale, le seul élément actif de la balance des
comptes, ne procure plus les sommes nécessaires à l’amortissement et au
paiement des emprunts étrangers. En 1931, la dette extérieure de la Roumanie
s’élève à 181,5 milliards de lei, ce que représente une charge de 370 francs
609
suisses par habitant. La baisse des revenus des agriculteurs, qui représente
80% de la population roumaine, se répercute à la fois sur la consommation des
produits industriels et sur la contribution aux charges de l’État.

À toutes ces difficultés s’ajoute la défaillance durant l’été 1931 de plusieurs


établissements bancaires roumains et, en particulier, de la Banque Marmorosch,
Blank & Co., par suite de la crise bancaire allemande et autrichienne. La
situation de la Banque Nationale de Roumanie commence également à se
détériorer à partir de juillet 1931 en raison de la dépréciation de la livre sterling

608
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, pp.
757-770.
609
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en
Roumanie, S 90 : Note sur la Grande Dépression.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

qui provoque à la banque centrale roumaine une perte immédiate de 300


millions de lei. Cette situation, ainsi que le déficit de la balance de paiement
menacent également la stabilité de la monnaie roumaine.

Dans ces circonstances, les dirigeants roumains, en collaboration avec le


Conseiller technique de la Banque Nationale, cherchent à introduire toute une
série de mesures d’ordre économique, commercial et financier afin de vaincre la
crise. Par ailleurs, ils participent à l’élaboration tant à l’échelle régionale
qu’européenne, des projets d’action économique concertée. La nécessité de
coopération économique et commerciale incite la Roumanie à développer ses
relations non seulement avec la France, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie,
mais aussi avec la Hongrie, la Bulgarie et, notamment, avec l’Allemagne.

1. L’impact de la Crise de 1929 sur l’économie de la Roumanie

Insister sur l’origine externe de la crise ne signifie pas que l’on doive minimiser
les mécanismes cumulatifs internes, antérieurs à l’année 1929. Le secteur
agricole roumain, ainsi que nous l’avons précisé, subit les contrecoups d’un
facteur « accidentel », la succession des deux mauvaises récoltes, celles de
1927 et de 1928, en provoquant la diminution du revenu national et la baisse du
pouvoir d’achat de la population. En 1930, les experts de l’Institut International
de l’Agriculture de Rome, analysant la situation économique de la Roumanie,
insistent sur les conséquences désastreuses de la réforme agraire de 1918-
1921. Le partage des terres à des paysans, dépourvus d’outillage, de moyens
financiers et de savoir faire, a été réalisé par les dirigeants roumains sans
calculer les effets économiques à long terme. Au lieu de varier les cultures
agricoles et d’améliorer la qualité des produits, afin de suivre la diversification de
la demande mondiale, les paysans ont continué de cultiver les mêmes produits
et de qualité inférieure. À cela s’ajoute également le manque de soutient de
l’État roumain, qui durant les années 1922-1928, s’est efforcé à développer
l’industrie au détriment de l’agriculture et de la population paysanne qui
215

610
représente 80% de la population roumaine. En revanche, les mesures
favorables à ce secteur, envisagées par le Parti National Paysan dès novembre
1928, interviennent au moment du déclenchement de la crise de 1929.

Tous ces mécanismes cumulatifs internes conduisent progressivement durant


les années vingt à la diminution de la production agricole et, implicitement, des
revenus de l’État et de la population roumaine. Cette situation s’aggrave à la fin
de l’année 1929, par suite de la baisse des prix agricoles et des matières
premières sur le marché international. Attendant de gros bénéfices de la récolte
particulièrement abondante de 1929, tant l’État que la population roumaine
voient diminuer considérablement leurs revenus.

Sous l’effet conjugué d’une récolte abondante, dont dépendait en grande


mesure le rétablissement économique et financier du pays, et de l’effondrement
international des prix agricoles, la Roumanie entre en crise. La spécificité de
crise roumaine découle de la mévente des principaux produits d’exportation, en
l’occurrence les céréales, sur le marché mondial. Or, ce phénomène se
répercute immédiatement sur les revenus tant de l’État que de la population, ce
qui rend la situation financière du pays très vulnérable et menace la stabilité
monétaire, réalisée en février 1929.

Le tableau ci-dessous (Tableau VIII) met en évidence la baisse progressive à


partir de 1929 des prix des produits agricoles, exportés par la Roumanie.

610
MADGEARU, Virgil, Rumania’s new economic Policy, London, P.S. King & Son,
1930, p. 5. Avec ce pourcentage de 80%, la Roumanie devance la Yougoslavie (77%), la
Pologne (67%), la Hongrie (54%) et même la Bulgarie (74%).
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Tableau VIII : L’évolution des prix moyens annuels des principaux produits
agricoles, exportés par la Roumanie, 1929-1931 (en lei)
Produits 1929 1930 1931 Diminution en % par
agricoles rapport
aux prix de 1929
Blé 7.50 4.69 2.52 66.40

Orge 4.75 2.38 2.45 48.50

Avoine 4.54 2.16 2.82 47.90

Maïs 5.91 2.85 2.12 63.10

Total 45,79

Source : MADGEARU, Virgil, La Roumanie à la Conférence de Stresa (1932), p.


50, Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en
Roumanie, S. 86.

Cette chute brutale des prix agricoles se poursuit jusqu’en 1932, quand les prix
611
commencent à remonter légèrement sur le marché international. La première
mesure adoptée par les dirigeants roumains en 1930, afin de compenser la
baisse des prix, et, donc, d’assurer les revenus de l’État, est d’augmenter les
quantités de céréales exportées en accordant aux agriculteurs d’importantes
612
primes d’exportation. Ainsi, en 1931, il y a une augmentation de 150% par
rapport à l’année 1927. Mais, l’effondrement général des prix ne tarde pas
d’annuler les effets financiers de l’augmentation des quantités exportées, ainsi
que nous le démontre le tableau ci-dessous (Tableau IX).

611
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en
Roumanie, S. 87.
612
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en
Roumanie, S. 87.
217

Tableau IX : Les exportations des céréales roumaines, 1927-193


Années Quantités exportées Valeur des exportations (en lei)
Prix

1927 94.890 7.080.000


74.61

1930 159.347 8.060.000


50.58

1931 350.356 9.000.000


25.69

1932 395.424 9.219.000


23.31

Source : Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière,


Missions en Roumanie, S.87.

Toutefois, la dépréciation des produits agricoles ne reste pas un phénomène


isolé et touche également le pétrole et le bois, les deux autres articles, exportés
par la Roumanie. Les prix moyens du pétrole comparés à ceux de 1929
indiquent en 1931 une diminution de 40 %, alors que le bois baisse de presque
72%. Malgré la dépréciation des principaux produits d’exportation, la balance
commerciale de la Roumanie présente une évolution assez paradoxale, qui n’en
constitue moins un symptôme frappant de dépression. Elle reste, en effet, en
613
équilibre tout le long de la crise (Tableau X).

613
Le déficit budgétaire enregistré pour l’année 1929 est dû à la mauvaise
récolte de 1928.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Tableau X: Commerce extérieur de la Roumanie, 1929-1933


Années Valeurs (en millions lei) Indices 1929 =100
Importations Exportations Balance Importations Exportations
1929 29,628 28,960 -668 100 100
1930 23,044 28,522 +5,478 77,8 98,5
1931 15,755 22,197 +6,442 53,2 76,6
1932 12,011 16,722 +4,711 40,5 57,7
1933 11,742 14,171 +2,429 39,6 48,9
Source : Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière,
Missions en Roumanie, S. 90.

Cette situation s’explique, ainsi que nous observons, en grande partie par
l’augmentation de quantités exportées et la diminution des importations, qui, en
1931, baissent de 50% par rapport à 1929. Ce phénomène se produit
spontanément sans l’intervention des dirigeants de Bucarest, étant directement
lié à la diminution du pouvoir d’achat de l’État et de la population.

Intimement liés à la situation de l’économie du pays, les problèmes financiers de


la Roumanie suscitent dès juin 1931 l’inquiétude des dirigeants roumains et de
Roger Auboin. Rappelons qu’à partir de cette date, l’excédent de la balance
commerciale, le seul élément actif de la balance des comptes, ne procure plus
les sommes nécessaires à l’amortissement et au paiement de l’emprunt de
stabilisation monétaire et de développement économique. En 1930 le revenu
national de la Roumanie baisse de 26,83% et, en 1931, de 43,04% par rapport à
614
l’année 1929. Le déficit de la balance de paiement menace aussi la stabilité
monétaire, ainsi qu’il résulte de la réduction du stock de devises de la Banque
Nationale qui passe de 4.062 millions de lei en janvier 1931 à 654 millions de lei
615
vers la fin de la même année. Face aux difficultés de la Roumanie d’assurer
le service de ses emprunts extérieurs et le paiement des fournitures
commandées à l’étranger, les dirigeants de Paris examineront dès novembre

614
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en
Roumanie, S. 87.
615
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en
Roumanie, S. 87.
219

1931 les possibilités de développer les achats de produits pétroliers en


616
Roumanie.

La défaillance de la Credit-Anstalt, le 11 mai 1931, frappe également le système


bancaire roumain en provoquant le retrait massif des crédits étrangers et
roumains. Ce mouvement s’accentue avec la crise bancaire allemande et
hongroise car de nombreuses banques de Transylvanie et de Bucovine ont
617
gardé des relations très étroites avec les banques de Berlin et de Budapest. A
ces difficultés s’ajoute le refus de la Banque Nationale de Roumanie et, en
particulier, de Roger Auboin de soutenir les banques roumaines, dont la
situation était qualifiée de « très mauvaise ». Ainsi, plusieurs établissements
bancaires roumains font faillite durant l’été 1931. Nous mentionnons la Banque
618
Générale de Roumanie , dont la faillite est prononcée en juin 1931, la Banque
619
L. Berkovici en juillet 1931 et, plus particulièrement, la Banque Marmoroch,
620 621
Blank and Co. , en octobre 1931. Malgré l’intervention personnelle du roi
Carol II et l’élaboration de plusieurs projets de sauvetage, basés sur la solidarité
des autres banques roumaines et de certains sacrifices financiers de l’État
roumain, la Banque Marmoroch, Blank and Co. est laissée par Auboin à la

616
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 229 : Note pour la sous-direction des relations
commerciales (Paiements de la Roumanie et pétrole roumain), le 30 novembre
1931.
617
ISRAIL, Mihail-Dumitru, Le marché monétaire roumain, Paris, Librairie
Rodstein, 1933, p. 129.
618
La Banque Générale de Roumanie est considérablement affaiblie depuis
l’année 1925 par l’octroi des crédits à caractère politique visant à maintenir au
pouvoir le Parti National Libéral au détriment du Parti National Paysan.
619
La Banque L. Berkovici, on affirme qu’elle a été compromise par les
spéculations immobilières personnelles de ses deux principaux actionnaires, les
frères Berkovici.
620
La Banque Marmoroch, Blank and Co. enregistre durant l’année 1931 une
perte de deux milliards de lei sur un actif de quatre milliards et demi de lei. Il
convient de préciser que cette banque est considérée comme étant la banque
personnelle du roi Carol II.
621
BICHI, Cristian, « Foreign Banks in Romania : A Historical Perspective » in
KOSTIS, Kostas P., Modern Banking in the Balkans and West-European Capital
in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Ashgate, 1999, p. 43.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

622
faillite. Le projet des dirigeants roumains de sauver cet établissement par
l’étatisation, sur le modèle de la Dresdnerbank, est rejeté par Roger Auboin car
une telle mesure était totalement contraire aux Statuts de la Banque Nationale
et portera atteinte au crédit international acquis par la Roumanie depuis le 7
623
février 1929. Inutile de préciser que les attaques et les critiques qui vont être
formulées à l’adresse du Conseiller technique, notamment par l’entourage du roi
Carol II. Toutefois, la chute de la Banque Marmoroch, Blank and Co. provoque
une certaine satisfaction parmi les opposants du roi qui détermine Grigore
Gafencu à écrire : « Le banquier du roi - le soutien financier du roi et de toute sa
clique - s’est effondré, malgré la volonté du gouvernement et l’obstination
624
acerbe du roi. » Il convient de préciser que le 24 septembre 1931 Jean
Bolgert met en garde les dirigeants de Paris du projet des dirigeants roumains
de solliciter une aide financière française pour l’assainissement du portefeuille
de la Banque Nationale qui sera, en effet, utilisée pour la reconstruction de la
625
Banque Marmoroch, Blank and Co.

Malgré le retrait massif et la thésaurisation d’importants capitaux roumains et


étrangers, la Banque Nationale de Roumanie refuse d’annoncer la fermeture
générale des banques et décide d’augmenter les escomptes, afin de soutenir les
établissements, dont la situation est qualifiée de « saine ». Pour ce faire, la
Banque Nationale crée, avec l’assentiment de Auboin, un Syndicat bancaire
avec un fonds de réserve d’un milliards de lei qui, lui permettra de faire des
escomptes à des banques en difficultés grâce aux portefeuille prêté par les
626
autres banques. Les banques qui participent à la création de ce Syndicat

622
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Notes sur la situation générale de la Roumanie pour le
Directeur du Mouvement Général des Fonds, (secret), le 3 novembre 1931, p. 2.
623
GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 269.
624
GAFENCU, Însemnari politice, 1929-1939, p. 270.
625
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Jean Bolgert à Clément Moret, Gouverneur de la Banque de
France, le 24 septembre 1931.
626
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Roger Auboin à Clement Moret, Gouverneur de la Banque de
France, le 19 août 1931.
221

sont la Banque Roumaine, la Banque de Crédit Roumain, la Banque Moldova, la


Banque Chrissoveloni et Aristide Blank (un des actionnaires de la Banque
Marmoroch, Blank and Co.). Un événement qui inquiète Auboin, en raison de
ses éventuelles répercussions sur la Roumanie, est la suspension « déguisée »
de la convertibilité de la monnaie hongroise, le pengöe. Cette mesure, ainsi que
le souligne Auboin, est contraire aux principes de stabilisation monétaire qui,
doit à tout prix être maintenue et sans laquelle on n’accordait aucun crédit
international. Rappelons que la Hongrie obtient en juillet 1931 une aide
financière de 26 millions de dollars par l’intermédiaire de la Banque des
Règlements Internationaux et négocie un nouvel emprunt international sous les
627
auspices de la Société des Nations. C’est un mauvais exemple pour la
Roumanie et le leu, car, ainsi que l’explique Auboin : « À la première difficulté et
au moindre sacrifice nécessaire pour maintenir le statut du leu, on aura
immédiatement la tentation d’une mesure de ce genre. (…) Nous n’avons
qu’une chance, c’est qu’ici ces questions sont très mal connues et comprises et
que personne ne s’est aperçu de ce qui se passait exactement. Mais, nous ne
628
sommes pas certains que cela durera. » Les réserves de 3 millions de lei,
provenant de l’emprunt de mars 1931, explique en quelque sorte la résistance la
Banque Nationale de Roumanie. Le 20 novembre 1931, le portefeuille de la
629
Banque Nationale atteint douze milliards de lei.

Toutefois, le 11 octobre 1931, Roger Auboin avertit les dirigeants de Paris que
630
la Roumanie doit commencer à réduire ses transferts à l’étranger. Pour ce

627
Voir sur cette question, VRAIN, Cécile, « Politique étangère française et
intérêts de la Banque de France en Hongrie au début des années 1930 :
Histoire d’une divergence » in Histoire, économie et société, No. 4, Vol. 18,
1999, pp. 737-752.
628
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Télégramme de Roger Auboin à la Banque de France, le 19
août 1931.
629
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Notes sur la situation générale de la Roumanie pour le
Directeur du Mouvement Général des Fonds, (secret), le 3 novembre 1931, p. 2.
630
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Note de Roger Auboin au Ministère français des Finances, le
11 octobre 1931.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

faire, Auboin décide d’interdire toutes les nouvelles commandes envisagées par
les dirigeants roumains à l’étranger, ainsi que de demander des arrangements
de paiements pour les commandes déjà effectuées. Cette mesure, prévient
Auboin, touche notamment les paiements prévus pour les commandes militaires
effectuées par les dirigeants roumains à Skoda et Schneider qui s’élèvent à 500
millions de lei pour 1931 et 1.200 millions pour l’année suivante. De cette
manière, Auboin vise à continuer d’assurer le paiement de la dette publique
roumaine. Il évoque même la nécessité de faire un nouvel arrangement de
paiement avec les porteurs de titres roumains afin d’alléger la période de
paiement et de reporter le premier paiement en 1933. Auboin n’exclut pas la
nécessité de demander soit à la Banque de France, soit à la Banque des
Règlements Internationaux un nouveau crédit pour renforcer la situation de la
Banque Nationale de Roumanie.

Si le 11 octobre 1931 Auboin refuse de conseiller l’introduction du contrôle des


changes, il se voit obligé le 17 mai 1932, avec l’assentiment de Charles Rist de
introduire cette mesure afin de permettre à la Banque Nationale de défendre son
encaisse métallique et de maintenir le cours du leu au niveau fixé par la loi de
février 1929.

La Roumanie se trouve donc, comme tous les pays agricoles, aux prises avec
des grandes difficultés économiques et financières nées de la crise mondiale
631
des prix. Le remède à ces problèmes est, ainsi que le souligne Charles Rist ,
d’ordre essentiellement économique et il ne peut résulter que d’une action
internationale. L’élargissement des débouchés avec l’assurance des prix plus
élevés sur les marchés européens constituerait, selon Rist, les seuls moyens
632
pour le relèvement de l’économie roumaine.

631
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en
Roumanie S 86 : Charles Rist : Rapport sur les finances publiques de la
Roumanie, mai 1932.
632
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en
Roumanie S 86: Charles Rist : Rapport sur les finances publiques de la
Roumanie, mai 1932, pp. 30-35.
223

2. Les tentatives et les échecs d’action économique concertée à l’échelle


régionale et européenne

Malgré les réactions protectionnistes et autarciques, provoquées par la crise en


Europe et dans le monde, des projets de coopération économique commencent
à être élaborés tant à l’échelle régionale qu’européenne.

Les Etats agricoles de l’Europe centrale commencent dès 1929 à attirer


l’attention sur leurs difficultés économiques et commerciales. Intervenant au
e
nom de ces pays lors de la X Assemblée de la Société des Nations, réunie à
633
Genève en septembre 1929 , le Ministre roumain Virgil Madgearu condamne
les mesures de protectionnisme agricole adoptées par les Etats industriels
634
importateurs de céréales et d’autres produits agricoles. Après avoir exposé
les difficultés économiques et financières des Etats qu’il représente, Madgearu
propose aux participants à cette Assemblée la conclusion d’une « trêve »
635
douanière. La réduction progressive des droits de douanes sur les céréales,
636
qui ont beaucoup augmenté depuis le déclenchement de la Crise , et
l’adoption d’un système préférentiel pour les céréales danubiennes
permettraient aux pays agricoles centre-européens de surmonter leurs
problèmes économiques et financiers.
Les propositions de Virgil Madgearu suscitent de nombreuses réserves et,
notamment, de la part de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne. Londres refuse
de soutenir l’écoulement de céréales à la fois des pays centre-européens et de
ses Dominions et ses colonies. Quant à l’Allemagne, la réduction des tarifs
douaniers heurterait, ainsi que l’explique son délégué, Trendelenburg les

633 e
Au sujet de la X Assemblée de la Société des Nations, voir SCHIRMANN,
Sylvain, Crise, coopération économique et financière entre Etats européens,
1929-1933, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France,
2000, pp. 15-29.
634
MADGEARU, Virgil, Le traitement préférentiel et l’entente économique
régionale, Bucarest, Cartea Romaneasca, 1934, p. 5.
635
MADGEARU, Le traitement préférentiel, p. 5.
636
Au sujet de l’augmentation des tarifs douaniers sur les céréales par les Etats
industriels importateurs, voir page 43.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

637
intérêts du « monde agricole allemand ». Ces réticences donnent lieu à
l’élaboration d’un avant-projet de convention sur la « trêve » douanière qui
devrait être discuté lors de la prochaine conférence économique
638
internationale. Mais, le déclenchement de la grande crise met en échec
l’initiative de Madgearu, soit la réduction des mesures de protectionnisme
agricole et la mise en place d’un système préférentiel.

La conjonction de la dépréciation des produits agricoles sur le marché


international et l’intensification des mesures protectionnistes des États
industriels importateurs amène les pays agricoles danubiens à reprendre les
initiatives de coopération économique régionale et à élaborer d’autres projets.

À la conférence annuelle de la Petite Entente, réunie en Tchécoslovaquie à


Strbské Plese du 25 au 27 juin 1930, les délégués de la Roumanie et de la
Yougoslavie remettent à l’ordre du jour le besoin de créer une « Petite Entente
économique ». Les représentants des trois États membres décident de réaliser
639
progressivement un rapprochement économique entre les trois économies. La
première étape consisterait dans une entente entre la Roumanie et la
Yougoslavie, pays essentiellement agricoles, alors que l’adhésion de la
Tchécoslovaquie, pays à structure mixte, se réaliserait dans un deuxième
temps. Néanmoins, l’opposition et les pressions du parti agraire tchécoslovaque,
une importante force politique du pays, ne laissent aucun doute sur l’échec de
640
ce projet.

Le désistement de la Tchécoslovaquie, en faveur de ses propres agriculteurs,


détermine la Yougoslavie et la Roumanie à se tourner vers la Hongrie, sous
prétexte que cette dernière serait confrontée aux mêmes problèmes
641
agricoles. L’initiative roumano - yougoslave de créer une entente économique

637
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 36.
638
MADGEARU, Le traitement préférentiel, p. 5.
639
MADGEARU, Le traitement préférentiel, p. 9.
640
Voir KARLIKOVITCH, M., Le rapprochement économique des pays
danubiens, Paris, Librairie technique er économique, 1937, pp. 127.
641
KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, pp.
128-129.
225

avec l’État révisionniste aboutit le 24 juillet 1930 à l’organisation d’une


conférence économique à Bucarest. Réunis pour la premières fois depuis la fin
de la Grande Guerre, les ministres de l’Agriculture et du Commerce des trois
pays agricoles focalisent le débat sur l’élaboration d’une action économique
commune afin d’assurer l’écoulement des céréales à un prix rémunérateur sur le
marché international. Le Ministre roumain de l’Industrie et du Commerce Virgil
Madgearu, reprend l’idée de système préférentiel, déjà évoquée en septembre
1929 à Genève, et souligne son importance pour protéger les céréales
danubiennes de celles d’Outre-mer.

La mise au point du projet sur l’obtention des tarifs préférentiels fait l’objet d’une
642
nouvelle rencontre entre la Roumanie et la Yougoslavie. Réunis à Sinaia, en
Roumanie, au mois d’août 1930, les experts des deux pays se mettent d’accord
pour solliciter aux États importateurs un système préférentiel avant même la
conclusion d’accords généraux avec les autres pays agricoles. De même, ils
s’accordent sur des concessions et des avantages mutuels dans les échanges,
sur l’interdiction de se concurrencer à l’exportation et éventuellement sur la mise
643
en place d’institutions communes. Selon une étude de l’époque réalisée par
644
Jean Hurmuzesco , cet accord projetterait une union douanière entre les deux
645
membres de la Petite Entente. Le même auteur affirme que les décisions
prises à Sinaia produisent un refroidissement dans les relations de la Roumanie
646
et de la Yougoslavie avec la Hongrie. Mais, ainsi que nous l’avons pu
constater en analysant les archives de la Société des Nations, le changement
d’attitude de Budapest est aussi dû aux problèmes des minorités hongroises de
647
Roumanie et de Yougoslavie. L’aggravation des tensions entre la Bucarest et
Budapest, au sujet des ressortissants hongrois qui représentent 10% de la
population roumaine, attire l’attention de la Société des Nations à partir de

642
KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens.
643
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 112.
644
HURMUZESCO, Jean, Le problème douanier dans l’Europe centrale, Paris,
Coopérative Etoile, 1932.
645
HURMUZESCO, Le problème douanier dans l’Europe centrale, p. 59.
646
HURMUZESCO, Le problème douanier dans l’Europe centrale, p. 59.
647
Archives de la SdN, Genève Section économique et financière, Hongrie, D.
4824.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

648
1930. Traité sous le nom de l’Affaire des optants hongrois, le conflit entre la
Roumanie et la Hongrie se focalise sur les droits des minorités hongroises de
Transylvanie. Les dirigeants de Budapest exigent l’amélioration de la situation
de ses nationaux qui ont opté pour la nationalité roumaine à l’issue de la
Première Guerre mondiale. La confiscation des biens immobiliers, l’application
de la réforme agraire, les mesures abusives des frères Bratianu de
« roumaniser » les entreprises détenues par les « optants hongrois » font l’objet
d’une plainte adressé par la Hongrie à la Société des Nations. Ce conflit restera
649
ouvert tout le long des années trente.

L’aspect le plus remarquable de la Conférence de Sinaia est que le groupe


roumano-yougoslave n’a pas exclu Tchécoslovaquie. Les gouvernements
roumain et yougoslave se proposent de lui communiquer les résultats de cette
conférence et de l’inviter à s’associer, comme Etat mixte - à la fois agricole et
650
industriel - aux réunions ultérieures de la Petite Entente. La cohésion
économique tchéco-roumano-yougoslave, telle qu’elle a été pensée par la
Roumanie et la Yougoslavie, conférerait à la Petite Entente un poids
considérable dans la réorganisation économique et politique de l’Europe
centrale.

À la conférence agricole de Varsovie en août 1930, le gouvernement polonais


propose l’intégration dans la « Petite Entente économique » de la Bulgarie, de
651
l’Estonie, de la Hongrie, de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne. Or,
l’insertion des États de l’Europe orientale au groupe roumano-tchéco-
yougoslave, déjà incertain, brise les tentatives de consolidation du front des
pays agricoles danubiens. Le fait que le gouvernement polonais soutient
l’intégration des trois pays baltes n’est pas un hasard. Rappelons que le marché
balte représente le principal débouché de la Pologne, dont les exportations de

648
Sur cette question, voir les archives de la SdN, Genève, Section économique
et financière, R. 310, Roumanie.
649
Sur cette question, voir les archives de la SdN, Genève, Section économique
et financière, R. 310 : Roumanie.
650
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 112.
651
HURMUZESCO, Le problème douanier, pp. 70-79.
227

652
blé et de seigle avaient fortement baissé depuis le déclenchement de la crise.
La mise en place d’un système d’échanges préférentiels permettrait à la
Pologne de consolider son influence économique et politique dans la zone
baltique. De même, ce poids lui permettrait de régler à sa faveur le différent
653
frontalier avec la Lituanie. Cela explique la volonté des dirigeants polonais
d’étendre l’entente centre-européenne à la Lettonie, l’Estonie et la Lituanie.

Ayant comme principal objectif l’élaboration d’un accord sur l’organisation de la


production agricole des pays danubiens, la Conférence de Varsovie se heurte
654
aux intérêts des agrariens tchécoslovaques. La limitation des restrictions à
l’exportation des produits agricoles, le seul point commun entre les neuf États,
ne suffit pas pour associer ces pays aux intérêts économiques bien différents.
La Conférence de Varsovie s’achève sans aboutir à donner une cohésion aux
demandes des États de l’Europe centrale et orientale.

Malgré les initiatives et la volonté de coopération régionale, les intérêts


politiques et économiques des États centre-européens bloquent l’adoption de
toute position commune. Les pays mixtes, la Tchécoslovaquie, ainsi que la
Pologne, n’ont pas les mêmes intérêts que les pays à dominante agricole (la
Roumanie, la Yougoslavie et la Hongrie). De même, l’extension de la
coopération économique aux États de l’Europe orientale met en évidence
l’impossibilité d’arriver à une entente régionale danubienne. Les pays agricoles
centre-européens, prenant conscience de leur isolement économique et de
l’inefficacité des tentatives de concertation économique, attendent
l’internationalisation de leurs difficultés économiques et financières.

L’attention des grandes puissances européennes et, notamment, de la France


sur les problèmes économiques et financière qui frappent l’Europe centrale est
brusquement éveillée en mars 1931 par l’annonce du projet d’union douanière
austro-allemande. Cette annonce a sur les gouvernements européens et, plus

652
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 125.
653
DUROSELLE, Jean-Baptiste, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours,
e
Paris, Dalloz, 1990 (10 édition), p. 43.
654
DUROSELLE, Histoire diplomatique, pp. 109-110.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

particulièrement, sur les dirigeants de Paris un effet beaucoup plus important


que la crise agricole danubienne. Inquiets du retour de l’Allemagne, les
dirigeants de Paris décident de contrecarrer l’offensive économique allemande
dans l’Europe centrale par la résolution des difficultés économiques et
financières de cette région. Y ayant établi son influence politique et économique
depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la France ne conçoit pas de la
céder au profit de l’Allemagne qui montre à partir du milieu des années vingt une
grande ouverture pour les exportations des pays danubiens. Problème
essentiellement économique au départ, la crise agricole centre-européenne
devient un terrain d’affrontement diplomatique franco-allemand.

Le 14 mars 1931, Curtius et Schöber, les chefs des diplomaties allemande et


autrichienne, signent à Vienne un projet sur « l’assimilation des conditions
655
douanières et politico-commerciales entre l’Allemagne et l’Autriche ». Cet
accord prévoit l’établissement d’une union douanière entre les deux pays par la
franchise du trafic austro-allemand et par la création d’une frontière commune
envers les pays tiers. Stipulant, en outre, la possibilité pour les États tiers d’y
adhérer, dans les mêmes conditions, le projet Curtius-Schöber conclut de façon
surprenante la conférence de la Petite Entente du 21 mars 1931. Dans
l’impossibilité de résoudre la crise économique, les pays agricoles danubiens
laissent entendre que leur adhésion à l’union austro-allemande pourrait être
envisagée puisque l’Allemagne représente un débouché important et sûr pour
656
l’écoulement de leurs céréales.

Soupçonnées d’être à l’origine de cette initiative, les autorités roumaines font


l’objet d’une grande attention de la part de la France, de la Yougoslavie et de la
657
Tchécoslovaquie. Ayant envoyé une délégation à Vienne pour négocier une
convention commerciale avec l’Autriche et l’Allemagne, en vue de l’obtention
des tarifs préférentiels, les dirigeants de Bucarest sembleraient trahir ses alliés
politiques. Tant Benès que Marinkovic, les ministres des Affaires Etrangères de

655
DUROSELLE, Histoire diplomatique, p. 142.
656
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 365.
657
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 365.
229

la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie, font pression sur la France pour


658
s’assurer de la fidélité de l’allié roumain. La conférence de la Petite Entente,
réunie à Bucarest le 3 mai 1931, a la question de l’adhésion roumaine à l’union
austro-allemande comme principal sujet. Malgré les efforts de Dimitrie I. Ghica,
à la fois le ministre des Affaires Etrangères et le ministre de la Roumanie à
Rome, qui tente d’expliquer que la Roumanie n’a jamais envisagé d’obtenir de
tarifs préférentiels de la part de l’Allemagne, malgré les insistances de cette
659
dernière, Benès et Marinkovic ne croient pas à la sincérité de ses propos. Les
intérêts commerciaux semblent, désormais, devenir la priorité des dirigeants de
Bucarest.

Inquiet de la nomination de Ghica et d’autres membres du gouvernement


roumain (Constantin Argetoianu, le ministre des Finances, de l’Industrie et du
Commerce, et Mihail Manoilescu, le ministre de l’Economie), connus pour leurs
orientations pro-allemandes, Paris décide de réagir en proposant une alternative
à l’union douanière austro-allemande. Afin de contrecarrer l’évolution vers
l’Allemagne du gouvernement roumain et généralement des pays agricoles
centre-européens, la France accorde le 16 mai 1931 un régime préférentiel pour
660
les États agricoles danubiens. Une des subtilités de ce projet est qu’il interdit
aux exportateurs de céréales d’acheter dans les États industriels importateurs
de produits agricoles. Cette mesure vise en fait à empêcher la création des flux
privilégiés entre les pays danubiens et l’Allemagne qui représente le principal
661
fournisseur de cette région. En 1930, les importations des États centre-
662
européens en provenance de l’Allemagne sont estimées à 1.317,2 millions de
663
Reichsmarks, soit 11% de l’exportation totale allemande , alors que la France
ne réussit à leur vendre que pour 775 millions de francs, soit 1,8% de

658
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 366.
659
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 366.
660
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 170.
661
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 170.
662
Il s’agit de l’Autriche, de la Hongrie, de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie
et de la Yougoslavie.
663
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Questions
économiques et financières, 1932, 1-11, Chiffres essentiels du commerce
extérieur des pays danubiens, p. 39.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

664
l’exportation totale française. Les achats effectués en Allemagne dépassent
avec 8 millions de francs ceux réalisés en France. Pour ce qui est des
exportations, les pays danubiens vendent à l’Allemagne pour 934 millions de
Reichsmarks, soit 9 % des importations allemandes, alors que la France achète
665
pour 1.214 millions de francs, soit 2,3% de son importation totale.

Afin de donner plus de cohérence à son projet, connu sous le nom du Plan
Poncet, Paris propose également d’intervenir financièrement dans la région
666
avec la collaboration de la Grande-Bretagne. Le Plan Poncet comporte donc
tous les paramètres destinés à rassurer les capitales centre-européennes et
notamment Bucarest de la participation française à leur relèvement économique
et financier. L’acceptation de ce projet par les membres de la Petite Entente
réconforte le gouvernement français. Ayant appris que les dirigeants roumains
667
continuent les négociations avec l’Allemagne, Benès conseille aux dirigeants
français d’appliquer immédiatement les tarifs préférentiels, dont le principe a été
adopté le 16 mars 1931, car Bucarest « ne résisterait pas longtemps aux
668
tentations allemandes ». Face au retard pris par le Comité pour l’écoulement
des céréales, mis en place après l’annonce du Plan Poncet, et aux réticences
de la Grande-Bretagne, au sujet de l’abandon de la clause de la nation la plus
favorisée, la France doit faire marche arrière. Ayant obtenu l’accord français,
Bucarest signe le 5 juin 1931 un traité commercial avec l’Allemagne sur la base
de tarifs préférentiels.

Conçu donc pour empêcher la dérive allemande des États agricoles centre-
européens, par suite de l’annonce de l’union douanière austro-allemande, le

664
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Questions
économiques et financières, 1932, 1-11, Chiffres essentiels du commerce
extérieur des pays danubiens, p. 48.
665
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Questions
économiques et financières, 1932, 1-11, Chiffres essentiels du commerce
extérieur des pays danubiens, p. 39 et p. 48.
666
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 367.
667
Edouard Benès est le principal partisan du projet français car il craignait la
mainmise de l’industrie allemande sur les économies centre-européennes.
668
Cité par SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale,
p. 367, note no. 295.
231

Plan Poncet produit un résultat inverse. À Bucarest, le marché allemand devient


669
plus important que les garanties de sécurité données par la France. L’échec
du Plan Poncet, nous semble, consolider les relations roumano-allemandes et
l’influence de l’Allemagne sur l’Europe centrale, malgré l’enterrement du projet
Curtius-Schöber en septembre 1931 par Cour internationale de justice de La
670
Haye.

N’étant pas parvenu à légitimer son intervention dans la résolution des difficultés
économiques centres-européennes, Tardieu propose à Genève en mars 1932,
au nom du gouvernement français, un nouveau projet de relèvement
économique de cette région. Le souci immédiat des dirigeants français, qui
671
obtiennent l’assistance de leurs homologues anglais , est de consolider
économiquement le bassin danubien, afin d’offrir des garanties aux États qui
672
prévoient de soutenir financièrement les pays centre-européens. Le souci
plus éloigné, mais le principal, est la création d’une Confédération économique
danubienne, qui devrait permettre à la France de contrecarrer l’expansionnisme
673
économique allemand. Pour résumer l’objectif de ce projet, la France
envisage, par une politique de diversification des appuis occidentaux, de
soustraire les pays agricoles de l’Europe centrale à la tentative de développer
leur commerce avec l’Allemagne et de consolider aussi son influence politique et
économique dans la région.

Reprenant l’idée d’une concertation entre les Etats centre-européens, le


mémorandum Tardieu propose la création d’une entente économique régionale
basée sur le système des tarifs préférentiels que les États danubiens doivent

669
HURMUZESCO, Jean, Les questions roumaines, p. 82.
670
La Roumanie n’a pas envoyé de mémoire à la Cour internationale de justice
de La Haye pour condamner l’Anschluss douanier.
671
Au sujet de l’adhésion de la Grande-Bretagne au Plan Tardieu, voir CARMI,
La Grande-Bretagne et la Petite Entente, pp.183-192 ; pour le Plan Tardieu voir
KARLIKOVITCH, M., Le rapprochement économique des pays danubiens, Paris,
Librairie technique er économique, 1937, pp. 99-123.
672
KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p.
100.
673
KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p.
100.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

674
s’accorder mutuellement. L’Autriche , la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la
Yougoslavie et la Roumanie sont tenus de déterminer les modalités de ce
nouveau régime préférentiel tout en tenant compte de leurs intérêts et de ceux
675
des États tiers. Cette entente centre-européenne une fois mise en place
bénéficierait de l’aide économique et financier de la France, de la Grande-
Bretagne et de l’Italie. La coopération, souligne Tardieu, « ne doit être ni une
fusion politique, ni une union douanière, mais simplement un rapprochement
676
économique par des traités à base préférentielle ».

L’interférence des intérêts politiques et économiques dans cette région


détermine la Grande-Bretagne et l’Italie à se rallier immédiatement au projet de
Tardieu. Le gouvernement britannique qui, avait décidé d’intervenir
677
financièrement en Europe centrale avant l’élaboration du Plan Tardieu , en
raison de l’importance des capitaux anglais investis dans cette région, se montre
favorable à l’application de ce projet, tel qu’il a été conçu par Tardieu. En
revanche, le gouvernement italien adopte une position très ambigüe. Déclarant
partager les inquiétudes du gouvernement français au sujet des difficultés
économique de cette région, le gouvernement italien suggère la modification du
projet, car, selon lui, les cinq pays danubiens ne peuvent pas s’entendre seuls.
En contrepartie, Rome propose une conférence à neuf, les cinq États
danubiens, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Allemagne. En fait, comme
le souligne Karlikovitch dans son étude de 1937, l’Italie se méfie de la création
dans le bassin danubien, d’une nouvelle formation économique qui s’opposera à
678
ses prétentions économiques et politiques sur cette région.

674
L’intégration de l’Autriche à ce projet permettrait à la France d’empêcher son
évolution vers l’Allemagne.
675
KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p.
102.
676
KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p.
103.
677
KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p.
101.
678
KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p.
104.
233

La position italienne et la réaction de Berlin, qui avait fait à Vienne une contre-
proposition basée sur le régime préférentiel, obligent Tardieu à changer son
attitude et à associer l’Allemagne à ce projet, qui était en fait dirigée contre elle.
Rappelons que l’intégration de l’Autriche dans le Plan Tardieu heurterait les
intérêts allemands qui sont loin de renoncer au projet d’union douanière entre
les deux pays. Dans la note envoyée à Tardieu, le 16 mars 1932, le
gouvernement allemand affirme qu’il ne partage pas le point de vue du
gouvernement français, au sujet des moyens utilisés pour résoudre les
difficultés économiques de l’Europe centrale. En mettant l’accent sur le fait que
les problèmes économiques de cette région résident dans la paralysie
commerciale, le gouvernement allemand affirme que seule la création d’un
679
marché unifié garantirait l’écoulement des produits agricoles de ces pays.
Cette solution, réglerait à la fois les problèmes des États centre-européennes et
ceux de l’Allemagne, bien entendu au détriment de la France. Soulignons que
e
l’initiative de marché unifié n’est pas récente, elle date depuis le XIX siècle et
s’inscrit dans l’idée que le développement de l’Allemagne est étroitement lié à
d’autres espaces économiques. En mars 1931, dans un discours prononcé à
Leipzig Luther, le directeur de la Reichbank affirmait déjà : « Die Deutschland
beherrschende Wirklichkeit ist, dass wir nicht unabhängig auf einer Insel leben,
sondern das ˝Volk ohne Raum˝ sind, wirtschaftlich mit den anderen Völkern
680
verflochten und politische auf das Zusammenleben mit ihnen angewiesen».
Ces propos anticipent l’expansion économique de l’Allemagne qui vise en effet,
comme avant la Première Guerre mondiale, l’Europe centrale.

À l’annonce du Plan Tardieu, les États centre-européens montrent leurs


réticences. La Tchécoslovaquie, toujours soucieuse de protéger son industrie,
se déclare dans l’impossibilité de souscrire aux tarifs préférentiels. En revanche,

679
KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, pp.
105-106.
680
LUTHER, Hans, Rede des Reichsbankpräsidenten Dr. Hans Luther auf dem
Presseabend der Leipziger Frühjahrsmesse am 1. März 1931, Berlin,
Reichsbank, 1931, p. 9, cité par GRAF, Jakob, La problématique réintégration
de l’Allemagne dans l’économie internationale: question des transferts et
ajustement structurel, 1919-1932, p. 121, (mémoire D.E.A.).
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

les dirigeants de Bucarest ne retiennent du mémorandum que l’absence de


681
l’Allemagne. Dans un communiqué envoyé au roi Carol II, le 1 avril 1932, le
Ministre des Affaires Etrangères Dimitrie I. Ghica souligne : « il n’a toutefois pas
682
été fait mention du gouvernement allemand. » L’accent mis sur cette absence
laisse déjà des doutes à Paris sur l’intégration de la Roumanie dans la
confédération de Tardieu. A la conférence de la Petite Entente, réunie en mai
1932 à Belgrade, les ministres des Affaires Etrangères des pays membres
adoptent un projet commun auquel est liée leur adhésion au Plan Tardieu. Ce
projet met l’accent sur le refus de toute idée d’union douanière centre-
européenne, sur la défense réciproque de leurs intérêts économiques et
notamment sur le fait qu’ils doivent choisir librement l’orientation politique et
économique qui doit être donnée au nouveau groupement économique centre-
683
européen. La Petite Entente rejet ainsi l’union douanière si utile à Paris pour
684
contrecarrer l’expansion de l’Allemagne.

Les États de l’Europe centrale, et notamment les alliés politiques et militaires,


étant incapables de résister à l’attirance commerciale de l’Allemagne, obligent
Tardieu à essayer d’obtenir l’appui de la Grande-Bretagne. Mais cette dernière,
influencée par les positions italienne et allemande, avait modifié son attitude. Le
gouvernement britannique exige, désormais, avant l’adoption de ce projet, une
concertation avec l’Italie et l’Allemagne afin que chaque puissance puisse
protéger ses propres intérêts dans la région danubienne. Pour ce faire, il
propose la réunion d’une conférence à quatre. Une fois que la France, la
Grande-Bretagne, l’Italie et l’Allemagne auront réussi à concilier leurs points de

681
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 370.
682
Archives de la SdN, Genève, Fonds Privés, Papiers Sir Arthur Salter,
Roumanie, p. 148.
683
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 385.
684
Le changement d’attitude de Benès s’expliquerait par le fait que l’industrielle
Tchécoslovaquie envisageait d’établir sa direction économique sur cette région,
tout en n’excluant pas la coopération avec l’Allemagne. Voir SANDU, Traian, Le
système de sécurité français en Europe centre-orientale, p. 385.
235

vue divergents, les pays centre-européens seront invités à exposer leurs


685
propres intérêts.

La conférence réunie à Londres, du 4 au 8 avril 1932, que Tardieu aurait voulu


la limiter à une seule entrevue franco-britannique, remet au premier plan le
décalage politique et économique de la France tant avec la Grande Bretagne,
l’Italie et l’Allemagne qu’avec les États de l’Europe centrale. L’Italie et
l’Allemagne interprètent le projet français comme une volonté d’isoler l’Europe
centrale au détriment de leurs intérêts économiques et de ceux des pays
danubiens. Le délégué allemand, von Bülow, fait valoir que l’entrée de
l’Allemagne dans la Confédération économique danubienne permettrait aux
pays centre-européens d’avoir un débouché assuré pour leurs exportations de
686
produits primaires. Quant à la Grande-Bretagne, le déroulement des
687
négociations d’Ottawa l’éloigne des problèmes centre-européennes.
Rappelons que le gouvernement anglais accorde la préférence impériale à ses
Dominions et ses colonies.

Quant aux États centre-européens, le projet de Confédération économique


danubienne soulève de nombreuses craintes politiques et économiques. Au
point de vue politique, la Hongrie et l’Autriche appréhendent que la Petite
Entente prendrait la direction de ce nouvel organisme de coopération
économique. Benès s’oppose à l’union douanière afin de protéger l’économie
tchécoslovaque et demande l’adoption d’une position commune franco-italo-
allemande dans les affaires danubiennes. La Yougoslavie, craignant le

685
Au sujet de la défection britannique, voir SANDU, Le système de sécurité
français en Europe centre-orientale, p. 386 et KARLIKOVITCH, Le
rapprochement économique des pays danubiens, p. 112.
686
KARLIKOVITCH, Le rapprochement économique des pays danubiens, p.
118.
687
Après la signature des Accords d’Ottawa, le 20 août 1932, la Grande-
Bretagne consacre son attention et ses intérêts économiques à ceux de ses
Dominions et de ses colonies. Au sujet du repli britannique, voir SCHIRMANN,
Crise, coopération économique et financière, pp. 114-116 et pp. 306 -308.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

révisionnisme italien, veut bloquer l’implication économique de Rome dans


688
l’Europe centrale.

Néanmoins, le coup de grâce vient de Nicolae Titulescu, le Ministre de


Roumanie en Grande-Bretagne et le délégué auprès de la Société des Nations.
Lors d’une communication faite à Genève, le 13 avril 1932, il propose
« l’édification d’un bâtiment à trois étages : le premier étage, les Etats
danubiens, avec des tarifs préférentiels réduits ; le deuxième étage, l’Allemagne
et l’Italie, avec des tarifs moyens ; dans le troisième étage, tous les autres Etats,
689
qui restent soumis aux tarifs élevés ». À la demande du gouvernement
français sur les opinions des dirigeants de Bucarest, Dimitire I. Ghica, le ministre
des Affaires Etrangères de la Roumanie, réplique le 16 mars que : « les Etats
sont pareils à des roues dentées, car bien qu’ayant des liens très forts entre
eux, ils entretiennent des contacts poussés avec d’autres roues dentées, la
Pologne, l’Allemagne, etc. Il est difficile de concevoir un projet s’appliquant à ces
690
États et non à leurs proches voisins». Il apparaît ainsi que le renforcement de
la coopération commerciale avec l’Allemagne demeure la principale
préoccupation des autorités roumaines, au détriment des projets et des
initiatives françaises. Les propos de Dimitire I. Ghica, reproduites en mai 1932
par le ministre de la Grande-Bretagne à Bucarest, éclairent l’objectif
économique des gouvernants de Bucarest : « En ce qui concerne la Roumanie,
le problème le plus préoccupant était celui de sa production de céréales, et ce
n’était pas une coopération avec les autres Etats danubiens qui pouvait la
régler. La seule solution semblait être un accord avec l’Allemagne qui aurait
fourni à la Roumanie, ce dont elle avait besoin. Le traité de commerce germano-
roumain qui avait fourni un débouché aux surplus de céréales roumaines n’était
pas encore signé, du fait de la pression exercée par la France sur Bucarest ;

688
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 194-202.
689
Cité par SANDU qui reprend une note envoyée par Nicolae Titulescu au
gouvernement de Bucarest. Voir son ouvrage Le système de sécurité français
en Europe centre-orientale p. 388, la note 445.
690
Sur cette question, voir CARMI, La Grande-Bretagne et la Petite Entente,
p.189.
237

cependant il était peu probable que les considérations financières et politiques


691
prendraient toujours le pas sur les considérations économiques ».

N’ayant abouti à aucun compromis à la fois entre les Quatre et entre les États
centre-européens, le Plan Tardieu, dont les débats se sont prolongés jusqu’à la
Conférence de Lausanne, juillet 1932, est enterré sans que la France trouve une
solution aux problèmes économiques de l’Europe danubienne et indirectement à
la défense de ses intérêts. À la Conférence de Stresa, réunie en septembre
1932, Paris reprend l’initiative en proposant un nouveau projet pour
l’assainissement économique et financier de l’Europe centrale. Une fois de plus,
les considérations et les rivalités politiques l’obligent d’affronter l’Italie et
l’Allemagne.

À la Commission économique et agricole, réunie dans le cadre de la Conférence


692
de Stresa , la délégation française fait une nouvelle proposition pour le
règlement des problèmes de l’espace danubien. Il s’agit de la conclusion d’une
convention multilatérale qui garantirait des prix rémunérateurs aux ventes des
céréales centre-européennes, dont l’entrée en vigueur dépendrait de l’accord
des pays tiers. On entend par cette dernière stipulation l’accord des États avec
lesquels les pays participants à ce traité multilatéral ont auparavant conclu des
traités de commerce. Néanmoins, l’omission de l’obligation des pays agricoles
d’acheter dans les États importateurs de céréales et le fait que l’application de
cette convention multilatérale est liée à un accord des pays extérieurs à
693
l’Europe, provoquent la réaction de l’Italie. Cette dernière se montre favorable
à l’adoption d’un système des traités bilatéraux qui devraient être négociés au
cas par cas avec les pays intéressés. Quant à la proposition allemande, elle se
rapproche du projet italien. Les négociations du système de bilatéralité ne
devraient porter que sur des mesures destinées à faciliter l’écoulement des
694
céréales danubiennes.

691
CARMI, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, p.190.
692
Au sujet de la Conférence de Stresa, voir SCHIRMANN, Crise, coopération
économique et financière, pp. 233-253.
693
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 238-239.
694
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 238-239.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Virgil Madgeru, Ministre roumain de l’Industrie et du Commerce et porte-parole


des pays agricoles à la Conférence de Stresa, soulignant le manque de
concertation franco-italo-allemande et la prééminence de leurs propres intérêts,
suggère la généralisation des tarifs préférentiels. Cette mesure permettrait aux
695
pays agricoles de vendre les excédents céréaliers à des prix rémunérateurs.
Quant au financement du système des préférences, Virgil Madgearu estime que
696
chaque pays acheteur est libre de choisir la « voie qui lui convient ». De
nouvelles difficultés surgissent lorsqu’il s’agit d’envisager le régime de
préférence et le principe d’un fonds de secours et de revalorisation des
céréales. La France est favorable à la convention multilatérale et à la création
d’un fonds de secours de l’Europe danubiennes, par la contribution financière de
tous les États européens. En revanche, l’Allemagne et l’Italie mettent l’accent
sur les préférences bilatérales et s’opposent à la création du fonds de secours.
L’Allemagne, comme le souligne Sylvain Schirmann, refuse de souscrire car les
traités préférentiels, qu’elle a conclus auparavant avec les pays danubiens, y
697
représentent déjà une source d’aide financière. En ce qui concerne la
Grande-Bretagne, la contribution anglaise à ce fonds de secours ne laisse pas
d’illusions. Les dirigeants britanniques refusent de subventionner à la fois les
achats de céréales dans les Dominions et les colonies et dans les pays
agricoles de l’espace danubien.

La Commission économique et agricole de Stresa adopte lors de la dernière


réunion, le 12 septembre 1932, le régime préférentiel pour le blé, l’orge et le
maïs. Ce système de tarifs préférentiels ne s’applique qu’aux pays agricoles de
l’Europe centrale, ce qui inclut, selon les recommandations de la France, la
Pologne, mais exclut l’Autriche et la Tchécoslovaquie. La Commission financière
de Stresa, déléguée par la Commission économique et agricole, admet la
création d’un fonds de revalorisation de céréales. Les pays importateurs de
céréales restent libres de participer ou non à ce fonds, soit par des contributions

695
MADGEARU, Virgil, La Roumanie à la Conférence de Stresa (1932),
Archives de la SdN, Section économique et financière, S. 86, p. 9.
696
MADGEARU, La Roumanie à la Conférence de Stresa, pp. 10-15.
697
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, p. 240.
239

698
directes, soit par l’octroi de tarifs préférentiels. Ces résultats ne peuvent que
coïncider avec les projets de l’Allemagne, qui avait toujours défendu sa
complémentarité économique avec l’espace danubien. Par l’adoption du
système de préférence, Paris voit sa position fragilisée car la France ne peut
offrir une complémentarité économique aussi prononcée que celle de
l’Allemagne. Le tarif préférentiel s’appliquant aux trois céréales, ci-dessus
mentionnées, permet à l’Allemagne d’exclure la Pologne du système
préférentiel, car le seigle, la principale exportation polonaise, n’en fait pas
699
partie. Cette exclusion lui permettrait de dissocier le front des pays agraires
et de concentrer autour d’elle les principaux exportateurs de blé : la Hongrie, la
Roumanie et la Bulgarie. Ayant saisi les intentions allemandes, Paris chercher à
700
contrecarrer l’influence de l’Allemagne par l’arme financière. Cette stratégie
ne tarde pas à donner des résultats négatifs et à se répercuter sur les relations
franco-roumaines. Face au dramatique bilan financier réalisé en mai 1932 par
Charles Rist, la Roumanie se voit obligée de s’adresser à la Société de Nations,
après avoir été empêchée en 1927 par Emile Moreau et Raymond Poincaré de
solliciter l’aide de cette institution. Le recours à la Société des Nations provoque
à Bucarest de violentes critiques à l’égard des dirigeants de Paris qui, place
volontairement la Roumanie sous le protectorat de experts de Genève.

L’échec des initiatives et projets français de relèvement économique et financier


de l’Europe centrale réside dans le fait que l’intérêt de cette région est
davantage politique et géo-stratégique que commercial et économique. Les
secours envisagés par Paris sont, ainsi, imprégnés de calculs géo-politiques,
bien plus que de logique économique. La Confédération économique
danubienne aurait eu l’avantage de contrecarrer l’expansion allemande en
Europe centrale. Par le manque de moyens et de détermination économique de
résoudre la crise économique des pays danubiens, la France facilite et
encourage les visées de l’Italie et, notamment, de l’Allemagne sur cette région.

698
Voir, DROZ, Jacques, L’Europe centrale. Evolution historique de l’idée de
« Mitteleuropa », Paris, Payot, 1960, pp. 252-253.
699
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 249-252.
700
SCHIRMANN, Crise, coopération économique et financière, pp. 249-252.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

TROISIÈME PARTIE

L’INFLUENCE FRANÇAISE EN QUESTION,

JUILLET 1932 - JUILLET 1935


241

La période juillet 1932 - juillet 1935 voit se succéder en Roumanie sept


gouvernements, dont cinq sont constitués par le Parti National Paysan et deux
autres par le Parti National Libéral. Ces formations politiques, dont le maintien au
pouvoir dépendait de plus en plus de la volonté du roi Carol II, continuent à être
confrontées aux difficultés économiques et financières, générées par la crise de
1929. Á cela s’ajoute le développement des mouvements de contestation sociale
au sein des fonctionnaires de l’État et de l’armée qui depuis plusieurs mois ne
recevaient plus les salaires et les fonds, destinés à assurer l’entretien de
701
l’appareil militaire.

Après avoir écarté du gouvernement les leaders du Parti National Paysan, Iuliu
Maniu, George Mironescu et Alexandru Vaida-Voevod, le 13 novembre 1933,
sous prétexte qu’ils ne pouvaient pas redresser la situation économique et
financière de la Roumanie, Carol II se tourne pour la première fois vers le Parti
National Libéral. Ion Gh. Duca, le Président de cette formation politique, se voit
confier le 14 novembre 1933, après quatre années d’attente, la mission de
702
constituer un nouveau gouvernement libéral. Rappelons que le dernier
gouvernement des Libéraux a été celui de Vintila Bratianu du 24 novembre 1927
au 10 novembre 1928. Dès son arrivée au pouvoir, Ion Gh. Duca s’engage à
réaliser par l’introduction de toute une série de mesures commerciales,
budgétaires et fiscales le relèvement économique et financier de la Roumanie,
703
dont la situation tardait à s’améliorer. C’est un programme très ambitieux et
longuement réfléchi par le Parti National Libéral durant les années 1928 - 1933
que, malheureusement, Duca n’aura pas le temps de mettre en place. Dans la
soirée du 29 décembre 1933, il est assassiné par un étudiant, membre de la

701
Cf. PROST, Henri, Destin de la Roumanie, 1918-1954, Paris, Berger-
Levrault, 1954, p. 59.
702
Cf. SLAVESCU, Victor, Note si însemnari zilnice, octombrie 1923 - 1 ianuarie
er
1938 (Notes et réflexions journalières, octobre 1923 - 1 janvier 1938), Vol. I,
e
Bucuresti, Editura Enciclopedica, 1996. (2 Ed.), pp. 56-57.
703
SONEA, Emilia, SONEA Gavrila, Viata economica si politica a României,
1933-1938 (La vie économique et politique de la Roumanie, 1933-1938),
Bucuresti, Ed. Stiintifica si Enciclopedica, 1987, pp. 56-57.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

704
Garde de Fer , sur le quai de la gare de Sinaia où le roi Carol II l’avait
705
convoqué pour une réunion d’urgence. Inutile de préciser que les
circonstances de cet assassinat ont fait l’objet de nombreuses controverses en
Roumanie et à l’étranger. Certaines voix vont même accuser Carol II d’avoir
organisé cet assassinat afin d’affaiblir, voire diviser, le Parti National Libéral qui,
contestait fortement la politique personnelle menée par le roi depuis son retour
706
au pouvoir, le 6 juin 1930.

Sur le fond de cette instabilité politique interne, ainsi que de l’ingérence de Carol
II dans la vie politique du pays, la résolution des difficultés économiques et
financières de la Roumanie devient de plus en plus difficile. Aux restrictions
commerciales internationales, s’ajoutent l’augmentation des dépenses des
dirigeants de Bucarest et des engagements hors budget, malgré les restrictions
administratives et la pénurie de devises, l’ajournement des mesures fiscales à
prendre pour la majoration des recettes de l’État, etc. La conjonction de tous ces
facteurs, internationaux et internes, mettra la Roumanie dès juillet 1933 dans
l’incapacité de se procurer les sommes nécessaires à l’amortissement et au
707
paiement des emprunts étrangers. Des arrangements de paiement, ainsi que
des allégements du service de la dette extérieure seront demandés à plusieurs

704
La Garde de Fer (Garda de Fier) est un mouvement nationaliste, xénophobe et
antisémite, fondée le 24 juillet 1927 par Corneliu Zelea Codreanu.
705
Sur les circonstances de l’assassinat de Ion Gh. Duca, voir PROST, Destin de la
Roumanie, 1918-1954, pp. 66-68 et SONEA, SONEA, Viata economica si politica a
României, pp. 64-68.
706
Á titre d’exemple, les Libéraux sont accusés par le roi Carol II d’avoir divulguer dans
la presse roumaine une conversation téléphonique qu’il a eu avec son secrétaire
personnel Puiu Dumitrescu. Nous reproduisons le texte de cette conversation
téléphonique que nous avons trouvé dans les archives de la Société des Nations : « Cher
Puiu, téléphone à Madgearu d’envoyer immédiatement à la Domnitsa les 11 millions de
lei, dont je lui ai parlé. S’il ne les a pas à la Trésorerie, qu’ils les prennent aux Chemins
de Fer ou à la Caisse Autonome des Monopoles. » Il convient de préciser que Domnitsa
est Elena Lupescu, la maîtresse de Carol II. Cf. Archives de la SdN, Genève, Section
économique et financière, R3634, No. 4373, Situation en Roumanie. Il convient
également de préciser que le retour au pouvoir de Carol II le 6 juin 1930 a été fortement
contesté par le Parti National Libéal.
707
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Missions en
Roumanie (S 90 ): Note sur la situation financière et monétaire de la Roumanie après la
dépression.
243

reprises aux créditeurs étrangers de la Roumanie par les autorités de Bucarest.


En outre, la collaboration technique et financière avec la Société des Nations,
recommandée aux dirigeants roumains par Charles Rist en mai 1932,
provoquera au sein des différents gouvernements qui, se sont succédés au
pouvoir durant cette période, de nombreux débats et interrogations sur
l’indépendance du pays par rapport aux puissances étrangères. La mise en
vigueur de l’Accord de Genève signé le 28 janvier 1933 par le gouvernement
Vaida-Voevod avec le Comité financier de la Société des Nations compliquera la
donne.

Révélatrices de l’échec d’adaptation de la Roumanie au système économique


international, les difficultés économiques, commerciales et financières,
enregistrées par le pays dès le début des années trente, jalonnent une sorte de
fuite en avant qui, conduiront les gouvernements de Bucarest à se tourner
progressivement vers l’Allemagne. En tant que source d’approvisionnement en
denrées alimentaires et en matières premières, ainsi que de marché
d’exportation des produits manufacturés sur la base des accords de clearing, la
Roumanie est destinée à contribuer au développement de l’économie allemande.
Pour les autorités de Berlin, les États de l’Europe centrale représentent « une
708
sorte de hinterland» , dont le développement économique est étroitement lié à
celui de l’Allemagne. Avec l’arrivée au pouvoir en janvier 1933 des Nationaux
Socialistes, l’idée de l’adaptation des économies centre-européennes aux
besoins de l’économie allemande gagnera progressivement tous les milieux
politiques et économiques de Berlin.

Face à la pénétration économique et commerciale de l’Allemagne dans cette


région où la France avait acquit depuis la fin de la Grande Guerre une
importance considérable, les dirigeants de Paris réagissent de façon étonnante
en proposant la réorganisation du système français d’alliance politique et militaire
par l’intégration de l’Union soviétique. C’est une initiative qui inquiète
immédiatement les dirigeants roumains car la France pourrait à tout moment

708
DROZ, Jacques, L’Europe centrale. Évolution historique de l’idée de
« Mitteleuropa », Paris, Payot, 1960, p. 255.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

retirer ses garanties sur l’union avec la Bessarabie, dont l’intégration à la


Roumanie n’a jamais été reconnue par la Russie soviétique. Impliquant le fait
que la Roumanie passe du rôle de possible intervenant contre la Russie
Soviétique à celui de pont stratégique pour l’Armée Rouge contre l’Allemagne de
Hitler, le pacte de non-agression franco-soviétique de juillet 1933 crée des
709
tensions entre les dirigeants de Bucarest et de Paris.

En l’absence de toute garantie concernant l’union avec la Bessarabie, les


autorités de Bucarest se voient obligées d’adopter une politique de diversification
d’appuis occidentaux. Le maintien de l’alliance politique et militaire avec la
France permettra à la Roumanie de garder la Bucovine, la Transylvanie et la
Dobroudja du Sud, ainsi que le soutien financier de Paris, alors que le
rapprochement avec l’Allemagne lui garantira la Bessarabie et un vaste marché
d’exportation. Or, ce double « jeu » commence à heurter les visées de
l’Allemagne nazie car Hitler est résolu à tirer profit sur le plan politique du rôle
joué par son pays en tant que débouché principal des exportations roumaines.
L’influence politique et financière acquise par la France en Roumanie depuis la
fin de la Première Guerre mondiale est-elle suffisamment forte pour contrecarrer
l’expansionnisme allemand ? Quels sont les moyens utilisés par les autorités de
Paris pour garder la Roumanie dans la sphère française ?

709
Cf. SANDU, Traian, Le système de sécurité français en Europe centre-
orientale. L’exemple roumain : 1919-1933, Paris, Harmattan, 1999, pp. 340-345.
245

CHAPITRE I : LE QUAI D’ORSAY, LA BANQUE DE FRANCE, LA SOCIÉTÉ


DES NATIONS ET LA ROUMANIE, JUILLET 1932 - MAI 1934

Les démarches effectuées par le gouvernement Vaida-Voevod auprès de la


Société des Nations dès le 18 juin 1932 provoquent dans les milieux politiques
roumains qui, redoutent la prolongation du contrôle étranger sur les finances du
pays, de nombreuses critiques et inquiétudes. Cette question préoccupe
également la diplomatie française car l’intervention de la Société des Nations
dans un pays qui, depuis la fin de la Première Guerre mondiale se situe dans la
sphère d’influence de la France, pourra porter atteinte au prestige et aux intérêts
politiques et financiers acquis en Roumanie durant les années vingt. Loin de faire
l’unanimité au sein des dirigeants de Paris, l’initiative de la Banque de France de
confier la réorganisation économique et, notamment, financière de la Roumanie
au Comité financier de la Société des Nations suscite en juillet 1932 de
nombreuses controverses entre le Quai d’Orsay et le Gouverneur Clément
Moret. Quels sont les enjeux de la présence d’une mission financière française
en Roumanie pour le Quai d’Orsay et pour la Banque de France ?

1. Le Quai d’Orsay face au projet de la Banque de France de collaboration


technique et financière entre la Roumanie et la Société des Nations

Sous l’égide de la diplomatie française, les débats sur l’intervention de la Société


des Nations en Roumanie au détriment de la mission financière de la Banque de
France prennent de l’ampleur dès le 18 juin 1932, date à laquelle le
gouvernement de Bucarest sollicite la collaboration de l’institution de Genève
pour la réorganisation économique et financière du pays.

Dans une lettre adressée au Quai d’Orsay le 15 juin 1932, le Ministre de France
en Roumanie, Gabriel Puaux, s’interroge sur les conséquences du retrait de
Bucarest de la mission financière de la Banque de France sur l’influence et les
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

intérêts acquis par la France dans ce pays depuis les années 1920. Pour Puaux,
le départ de cette mission de la Banque Nationale de Roumanie aura des effets
négatifs car ce « nous priverait de tout droit de regard que nous avons
710
maintenant sur les finances roumaines. » D’emblée, cette lettre révèle les
enjeux et l’importance économique et financière accordée par les milieux
diplomatiques français au maintien de Roger Auboin et des autres experts
français auprès de la Banque Nationale de Roumanie, du Ministère des Finances
et de l’Administration des Chemins de fer roumains. Le maintien de la mission
financière de la Banque de France apparaît, dans ces circonstances, comme le
principal objectif du Qaui d’Orsay afin de renforcer sa position et son influence
dans ce pays au moment où l’expansion économique et commerciale de
l’Allemagne commence à prendre de l’ampleur dans la région.

Dans une deuxième lettre adressée au Quai d’Orsay et datée du 25 juin 1932,
Gabriel Puaux, fortement préoccupé par la consolidation des intérêts français en
Europe centrale, demande l’envoi immédiat à Bucarest d’un inspecteur de la
Banque de France pour remplacer Auboin qui, devait retourner à Paris pour
quelques semaines. Pour justifier sa demande, Puaux informe les autorités
françaises que le Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie « souhaite
son concours pour l’établissement du bilan semestriel et il ne faudrait pas
apparaître nous désintéresser de l’Institut d’émission roumain au moment même
711
où s’organisera la mission de la Société des Nations. » Dans ces démarches,
le Ministre français en Roumanie est également soutenu par le Secrétaire
général de la Société des Nations, Joseph Avenol. Ce dernier avait expliqué aux
dirigeants de Paris le 19 juillet 1932 qu’il ne voyait aucun inconvénient à ce que
la Banque de France prolonge sa mission en Roumanie conformément à l’accord
712
conclu en mars 1931 avec le gouvernement Mironescu. La présence des

710
Archives du MAEF, Paris, Relations commerciales 1918-1940, Roumanie,
No. 16, pp. 340-341.
711
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10.
712
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères
au Ministre des Finances, Flandin, le 19 juillet 1932, pp. 5-6.
247

experts français à Bucarest est, au contraire, jugée comme nécessaire et


indispensable par Avenol car les dirigeants roumains ne devaient pas être
abandonnés à eux-mêmes jusqu’à ce que la collaboration avec la Société des
713
Nations soit mise en place. Le Secrétaire adjoint de la Société des Nations
suggère même la nomination de Charles Rist comme expert dans la commission
économique et financière que l’institution de Genève devra créer pour examiner
la situation de la Roumanie. Cela assurera, ainsi que le souligne Avenol, une
continuité entre l’action entreprise par la Banque de France dès le 7 février
février 1929 et celle que la Société des Nations devra exercer en Roumanie
durant les années trente. La seule difficulté que la Société des Nations pourrait
rencontrer en Roumanie serait, ainsi que l’explique Joseph Avenol dans sa lettre,
l’attitude des dirigeants roumains et, plus précisément, celle du roi Carol II. Ce
dernier avait évoqué avec insistance, lors d’un entretien avec Avenol, les
difficultés financières et commerciales de la Roumanie, ainsi que sa
préoccupation pour l’équipement et la réorganisation de l’armée, en négligeant
les problèmes financiers et la nécessité de réformer le système financier roumain
714
en collaboration avec la Société des Nations.

Les démarches effectuées par Puaux et Avenol déterminent le Président du


Conseil et de la diplomatie française, Edouard Herriot, de soutenir la
prolongation de la mission financière de la Banque de France en Roumanie. Afin
de convaincre à la fois le Ministre des Finances, Flandin, et le Gouverneur Moret
de l’importance et des enjeux politiques et financiers de la consolidation de
l’influence française dans ce pays, membre de la Petite Entente et du système
de sécurité français, Edouard Herriot se voit obligé d’effectuer de nombreux
démarches auprès des dirigeants de Paris. Ainsi, le 2 juillet 1932, il demande à
Flandin d’intervenir auprès des dirigeants de la Banque de France et de les
convaincre d’envoyer à Bucarest pour le 15 juillet 1932 Jean Bolgert ou un autre

713
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères
au Ministre des Finances, Flandin, le 19 juillet 1932, p. 5
714
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères
au Ministre des Finances, Flandin, le 19 juillet 1932, p. 3.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

expert. « La présence de nos experts en Roumanie, explique Herriot dans sa


lettre, apparaît comme nécessaire, tant pour l’exécution des mesures
immédiates envisagées, comme suite au rapport de Rist, que pour documenter
les experts de la Société des Nations lorsque ceux-ci se rendront en
715
Roumanie ». Quelques jours plus tard, le 7 juillet 1932, Flandin écrit au
Gouverneur Moret une lettre dans laquelle il explique les raisons qui déterminent
le Quai d’Orsay à prendre position en faveur du maintien des experts de la
Banque de France à Bucarest. Tout en soulignant le rôle et l’importance
accordée par Edouard Herriot au renforcement de la présence française dans ce
pays, Flandin conclut sa lettre en écrivant : « Je ne puis qu’appuyer auprès de
vous la suggestion de Puaux à laquelle Herriot se rallie pleinement et dont
716
l’intérêt politique ne vous échappera pas. »

Dans sa réponse, Moret insiste essentiellement sur les responsabilités et les


difficultés rencontrées en Roumanie par les experts de la Banque de la France
depuis mars 1931. L’aggravation de la situation des finances roumaines, le non-
respect des engagements pris en février 1929 par les autorités de Bucarest
envers les créditeurs étrangers, les déséquilibres budgétaires ne représentent
que quelques difficultés invoquées par le Gouverneur Moret afin de justifier le
retrait de la mission de la Banque de France de Roumanie. Selon Moret, la
Banque de France doit commencer à diminuer progressivement son implication
dans les affaires roumaines, dont le degré de complexité ne cessait pas
d’augmenter, car son prestige et sa position internationale sont en jeu.

Afin de ne pas donner l’impression qu’il envisage de dissocier la Banque de


France de la politique roumaine menée par le Quai d’Orsay, le Gouverneur Moret
accepte d’envoyer à Bucarest pour quelques semaines Jean Bolgert. En
revanche, tout autre séjour en Roumanie des experts de la Banque de France

715
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Lettre du Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères
au Ministre des Finances, Flandin, le 19 juillet 1932, p. 4.
716
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10, Lettre du Ministre des Finances, Flandin, au Gouverneur de la
Banque de France, Moret, le 7 juillet 1932.
249

devra faire l’objet d’un accord préalable entre les dirigeants de la Banque de
France et ceux de la Banque Nationale de Roumanie. En raison du désordre
politique et financier qui règne en Roumanie, Moret conseille l’expectative pour la
conclusion de tout nouvel accord avec les dirigeants de Bucarest. Ainsi, la
Société des Nations aura suffisamment le temps de définir en collaboration avec
le gouvernement roumain l’activité et les compétences administratives et
717
financières des experts qu’elle enverra à Bucarest. Par ailleurs, cette
expectative permettra aux dirigeants de la Banque de France de connaître les
champs d’action et les objectifs des experts de Genève et, notamment, de
redéfinir leur mission en Roumanie qui, ne doit pas apparaître comme un
718
obstacle pour l’activité de l’institution de Genève.

Dans cette optique, Moret conseille fortement la diplomatie française d’attendre


la mise en place de la collaboration avec la Société des Nations avant d’aborder
la question du maintien de Roger Auboin auprès de la Banque Nationale de
Roumanie. La présence des experts français à Bucarest apparaît, dans ces
circonstances, incertaine. Malgré ses démarches et ses efforts, Edouard Herriot
n’obtient aucune garantie de la part du Gouverneur Moret quant à la participation
de la Banque de France au renforcement de l’influence française en Roumanie
et, implicitement, en Europe centrale.

Afin de mieux comprendre les démarches du Quai d’Orsay pour le maintien de


la mission financière de la Banque de France en Roumanie, il convient de les
intégrer dans l’ensemble des opérations politiques, économiques et financières
entreprises par la diplomatie française dans ce pays depuis la fin de la Première
Guerre mondiale.

717
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Lettre du Gouverneur Moret au Ministre des Finances, Flandin,
le 12 juillet 1932.
718
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/10 : Lettre du Gouverneur Moret au Ministre des Finances, Flandin,
le 12 juillet 1932.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Pilier de la Petite Entente, la Roumanie joue un rôle important dans la politique


française de containment de l’Allemagne et des États révisionnistes. Au
croisement des préoccupations défensives de la France, la Roumanie s’intègre
dans le système de sécurité français dès 1922 afin de contrer les révisionnismes
hongrois et, plus particulièrement, soviétique. Les initiatives prises par le Quai
d’Orsay et les dirigeants de Bucarest pour la réorganisation de l’armée roumaine
durant les années vingt démontrent l’importance que ce pays avait dans le
système de sécurité français, ainsi que les soucis de sécurité et de préservation
des acquis territoriaux obtenus par la Roumanie à l’issu des Traités de Paix de
719
1919-1920. Il convient de préciser que la diplomatie française avait demandé
dès le début des négociations franco-roumaines pour l’émission de l’emprunt de
stabilisation monétaire et de développement économique d’intégrer dans le
Programme de stabilisation monétaire et de développement économique de la
Roumanie de février 1929 un accord relatif à la réorganisation de l’armée et
720
l’achat de matériel de guerre aux industries françaises. Les projets de
réorganisation et d’équipement militaire de l’armée roumaine mettent également
en évidence les intérêts industriels et financiers que les dirigeants de Paris
peuvent acquérir dans ce pays en lui fournissant le savoir-faire et le matériel
nécessaire pour la création d’une armée moderne. En octobre 1931, le Quai
d’Orsay intervient auprès de la Banque de France en faveur de l’octroi d’un
crédit de 125 millions de francs français aux dirigeants roumains, afin de leur
permettre de payer un acompte sur les commandes militaires passées en
France, dont l’importance et les enjeux que le Ministère français de la Guerre
attache à cette affaire n’échappe pas à la diplomatie française. Dans l’analyse
des intérêts de la diplomatie française, les aspects économiques et financiers de

719
Sur cette question, voir MIDAN, Cristophe, « L’aide matérielle militaire
française à la Roumanie durant les années vingt » in Bâtir une nouvelle sécurité.
La coopération militaire entre la France et les Etats d’Europe centrale et
orientale de 1919 à 1929, Paris, Centre d’études d’histoire de la défense et
Service historique de l’armée de terre, 2001, pp. 519-533.
720
La diplomatie française renonce à ce projet par crainte d’opposition des
banques américaines et notamment par manque de moyens financiers. A ce
sujet, voir Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en
Roumanie, No. 1370200006/10 : Lettre de Poincaré, Président du Conseil au
Quai d’Orsay, le 12 janvier 1928.
251

la réorganisation de l’armée roumaine doivent être également pris en compte


car ils jouent un rôle très important. A plusieurs reprises, le Quai d’Orsay
intervient auprès les dirigeants roumains pour obtenir des garanties pour l’achat
de matériel et d’équipements ferroviaires, agricoles et militaires aux industries
721
françaises.

La mission financière envoyée par la Banque de France en Roumanie le 7


février 1929 représentait une garantie et une source d’information très
importante sur les affaires à réaliser dans ce pays par les industries françaises
productrices de matériel et d’équipement militaire. En outre, cette mission
permet aux dirigeants du Quai d’Orsay de renforcer la présence et l’influence
française dans ce pays, ainsi que de mieux défendre les intérêts économiques
et financiers des industries françaises. Des techniciens avisés, comme Charles
Rist et Roger Auboin, devaient par leurs conseils et leurs mesures financières
convaincre les autorités de Bucarest du bien-fondé de la collaboration avec les
industries françaises. Mais, ils étaient aussi tenus pour responsables si la
Roumanie ne respectait pas ses engagements de paiement à l’égard de
l’industrie française et, plus particulièrement, envers l’industrie de l’armement. À
titre d’exemple, le 7 novembre 1931, le Quai d’Orsay reproche à Roger Auboin
d’avoir accepté le paiement des commandes que le gouvernement roumain
722
avait passé aux usines Skoda au détriment de la maison Schneider. Afin
d’entendre la position de Auboin au sujet de cette affaire qui n’a pas été réglée
en faveur de l’industrie française, la diplomatie française, représentée par
Laboulaye, organise une réunion avec les dirigeants des Finances et de la
Banque de France. D’emblée, Laboulaye reproche à Auboin, d’une part, d’être à
l’origine de la décision des dirigeants roumains de payer les usines Skoda et,
d’autre part, d’avoir décider, par la suite, de suspendre les autres paiements que
la Roumanie devait effectués aux industries françaises et tchèques. Selon les
estimations du représentant des Affaires Etrangères, le règlement des

721
Cf. MIDAN, « L’aide matérielle militaire française à la Roumanie durant les
années vingt », pp. 519-533.
722
Archives du MAEF, Paris, Relations commerciales 1918-1940, Roumanie
C104-C109.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

commandes faites à Skoda et à Schneider ne dépassait pas un milliard de lei et


ce montant était prévu de figurer annuellement au budget roumain pour l’achat
723
de matériel de guerre. Interrogé sur les difficultés financières rencontrées par
la Roumanie pour l’exécution des engagements de paiement, Auboin tente
d’expliquer aux dirigeants de Paris qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un
problème de transfert, mais aussi d’un manque de ressources financières. Pour
Auboin, le devoir de la Roumanie d’assurer le service de la dette publique
extérieure primait incontestablement sur le règlement des commandes de
724
matériel militaire. Par ailleurs, Roger Auboin avait averti les dirigeants du Quai
d’Orsay que, durant l’année 1932, la Roumanie ne pourra prévoir aucun
règlement de ses dettes commerciales en raison du déficit budgétaire qui
725
s’annonçait pour cette année. La seule solution envisagée et proposée par
Auboin aux dirigeants de Paris est que le Quai d’Orsay intervient directement
auprès du gouvernement roumain afin de trouver un arrangement et d’autres
modalités de paiement en faveur de Skoda et de Schneider, telle que la vente
de redevances de pétrole. Le représentant de la Banque de France à cette
réunion, Charles Farnier, avertit également Laboulaye qu’en aucun cas et sous
aucun prétexte le concours demandé à la Banque de France par la Banque
Nationale de Roumanie ne pourra être utilisé au règlement des commandes
d’armement, dont son institution n’a jamais été informée par les dirigeants de
726
Paris.

Des nouvelles divergences surgissent entre le Quai d’Orsay et Roger Auboin, le


14 octobre 1932, date à la quelle Lepercq, Administrateur délégué des usines
Skoda, demande aux dirigeants de Paris d’intervenir auprès du gouvernement

723
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note, le 7 novembre 1931, p. 116.
724
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note, le 7 novembre 1931, p. 117.
725
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note, le 7 novembre 1931, p. 117.
726
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note, le 7 novembre 1931, p. 117.
253

727
roumain pour le paiement de commandes de munition et d’artillerie. N’ayant
pas le droit d’intervenir officiellement dans cette affaire en raison de la nationalité
des usines Skoda, la diplomatie française se tourne immédiatement vers Auboin.
Rappelons que Skoda est une société tchèque, malgré le fait que 60% du capital
728
appartient à la France. Selon Lepercq, Roger Auboin serait à l’origine de la
commande effectuée par le gouvernement roumain, dont le montant était estimé
729
à environ 800 millions de francs français. Décidé à défendre Auboin, Charles
Rist intervient auprès des dirigeants du Quai d’Orsay en expliquant que les
difficultés financières de la Roumanie sont réelles et que la décision de Auboin
de limiter les paiements des commandes militaires est totalement justifiée. Quant
à la responsabilité de l’Expert de la Banque Nationale de Roumanie au sujet des
commandes réalisées par le gouvernement Vaida-Voevod, Rist émet des
réserves. Il n’exclut pas le fait que Roger Auboin ait été informé par les dirigeants
de Bucarest des commandes passées à Skoda, mais il ne croit à aucun moment
que Auboin ait connu leurs montant exact. Par la même occasion, Rist rappelle
aux dirigeants de Paris que les industries françaises ont été averties à plusieurs
reprises du risque qu’elles couraient de ne pas être payées par les autorités de
Bucarest. Le seul conseil qu’il donne à Lepercq est d’envoyer à Bucarest un
agent pour négocier avec le gouvernement Maniu un arrangement allongeant
730
considérablement les échéances prévues.

727
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note : A.S. du paiement des
commandes de matériel de guerre passées par le Gouvernement roumain à
Skoda, le 14 octobre 1931, pp. 97-99.
728
Sur les usines Skoda, voir SEGAL, Harold, The French State and French
Private Investment in Czechoslovakia, 1918-1938. A Study of Economic
Diplomacy, New York, Garland Publishing, 1987.
729
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/ Tchécoslovaquie, No. 167, Note : A.S. du paiement des
commandes de matériel de guerre passées par le Gouvernement roumain à
Skoda, le 14 octobre 1931, pp. 98.
730
Archives du MAEF, Paris Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Tchécoslovaquie, No. 167, Note : A.S. du paiement des
commandes de matériel de guerre passées par le Gouvernement roumain à
Skoda, le 14 octobre 1931, p. 99.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

La résurgence de l’influence économique et commerciale de l’Allemagne en


Europe centrale dans le contexte de la crise de 1929 pourrait également
expliquer l’intervention du Quai d’Orsay en faveur du maintien de la mission
731
financière de la Banque de France à Bucarest. Le besoin de la Roumanie de
commercer avec l’Allemagne pour vendre ses produits agricoles heurte les
intérêts de la diplomatie française, dont le volet centre-européen de sa politique
envisageait de transformer cette région dans une barrière contre
l’expansionnisme allemand. Face au retour de l’Allemagne sur la scène
internationale, la France se verra obligée de redéfinir sa politique à l’égard de
l’Union Soviétique au détriment des intérêts politiques et géo-stratégiques de la
Roumanie, dont la frontière orientale était convoitée par la diplomatie russe.

Il apparaît, ainsi, que les intérêts de la diplomatie française en Roumanie sont


très importants et que leur défense implique la collaboration avec le Ministère
des Finances et la Banque de France. Pour cette dernière, la priorité accordée
par le Quai d’Orsay au renforcement de son influence en Roumanie semble ne
plus s’accorder avec sa politique étrangère. En participant à la stabilisation de la
monnaie roumaine, en tant que leader, la Banque de France a démontré,
notamment, à la Banque d’Angleterre, ses compétences et son rôle dans
l’organisation du système financier et monétaire international mis en place durant
les années vingt. À partir de 1931, date à laquelle le processus de stabilisation
des monnaies européennes est pratiquement achevé, les dirigeants de la
Banque de France visent d’autres objectifs, tels que le fonctionnement et le
développement du système financier et monétaire international. La Roumanie ne
représente plus un cas « particulier », ainsi qu’elle l’a été à la fin des années
vingt au moment où la Banque de France est intervenue afin de régler une
question précise dans un cadre bien défini. Face à l’internationalisation des
difficultés économiques, financières et monétaires de la Roumanie au début des
années trente, la Banque de France n’est plus en mesure de résoudre seule les

731
Dès 1931, l’Allemagne est prête à payer des prix très élevés pour les
produits agricoles et le pétrole roumain. En revanche, la France importe des
céréales roumaines pour compléter ses récoltes au cours des mauvaises
années agricoles.
255

problèmes de ce pays car leur solution dépendait de l’adoption d’un ensemble de


mesures internationales. C’est dans ces circonstances que la Roger Auboin,
Charles Rist et le Gouverneur Moret ont décidé de confier la réorganisation
économique et financière de la Roumanie à la Société des Nations.

2. La politique « roumaine » de la Banque de France au début des années trente

Recommandée par Charles Rist en mai 1932, l’intervention de la Société des


Nations en Roumanie est, en effet, un projet élaboré par les dirigeants de la
Banque de France durant les premiers mois de l’année 1932. Le Gouverneur
Moret l’évoque à plusieurs reprises dans ses notes et sa correspondance avec
Roger Auboin et Jean Bolgert durant le mois de février 1932, date à laquelle la
mission de l’Expert de la Banque Nationale de Roumanie et de ses
collaborateurs devait se terminer. Il convient de rappeler qu’en mars 1931, lors
de l’émission du deuxième emprunt roumain de développement économique, les
dirigeants de Bucarest et ceux de la Banque de France ont décidé de redéfinir
les compétences et le champ d’activité du Conseiller technique de la Banque
Nationale de Roumanie qui devenait Expert technique, chargé de la rédaction
deux à trois fois par année d’un rapport sur la situation économique et financière
du pays.

Ce changement de statut et de compétences, dont les conséquences sur la


position et l’activité des experts français en Roumanie étaient jugées comme
préjudiciables, est, en effet, à l’origine de l’initiative des dirigeants de la Banque
de France de confier la gestion des affaires roumaines au Comité financier de la
Société des Nations. À cela s’ajoute le fait que les garanties et le soutien moral,
accordés au Conseiller technique de la Banque Nationale de Roumanie par le
consortium de banques centrales, réuni en février 1929 par le Emile Moreau,
n’ont pas été renouvelés après février 1932. La Banque de France devait, dans
ces circonstances, assumer entièrement toute la responsabilité de la gestion des
affaires roumaines.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

732
Dans une note , datée du 10 mars 1932, les dirigeants de la Banque de France
soulignent avec acuité les changements survenus en Roumanie, ainsi que leurs
conséquences sur la position de la Banque de France qui « se trouve
actuellement seule pour faire pression sur les Roumains, la pression morale et
733
politique, nécessaires au maintien de la monnaie et de la dette extérieure. »
L’internationalisation des problèmes économiques et financiers de la Roumanie,
ainsi que l’anticipation des difficultés que la Banque de France devra affronter
dans ce pays durant les années 1932-1934, avaient déjà conduit le Gouverneur
Moret quelques mois auparavant à prendre en considération le retrait des
experts français de Bucarest. Ainsi, dans une note rédigée le 20 décembre 1931,
qu’il souhaitait transmettre aux Finances, Moret s’exprime dans ces termes : « je
suis très nettement et très résolument d’accord que nous devons dégager notre
734
responsabilité de la gestion des affaires roumaines [….]). » La Roumanie
devient, donc, affaire difficile, voire contraignante, dont les difficultés
économiques, financières et monétaires ne pouvaient pas être résolus qu’en
tenant compte de leur interdépendance.

Sans pouvoir se dégager brusquement de ce pays pour des raisons stratégiques


et morales, la Banque de France décide de céder progressivement et, sous
certaines conditions, sa responsabilité financière à la Société des Nations. Il
convient de préciser que ces conditions sont en lien avec l’engagement de
l’institution de Genève d’établir et de proposer aux dirigeants roumains un
nouveau programme de collaboration financière qui, doit être totalement différent
de celui adopté durant les années vingt pour l’Autriche et la Hongrie, considérées
comme les pays vaincus de la Grande Guerre. Cela permettra à la Banque de
France, d’une part, de soutenir ce programme auprès des dirigeants de
Bucarest, et d’autre part, de se désengager de Roumanie sans donner

732
Cette note que nous avons trouvé dans les archives de la Banque de France
n’est pas signée.
733
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Note sur la manière dont l’action de restauration financière en
Roumanie pourrait être replacée sur le plan international, le 10 mars 1932, p. 1.
734
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/8 : Note sur la lettre de Roger Auboin, le 20 décembre 1931.
257

l’impression de l’abandonner en faveur de la Société des Nations. En agissant de


cette manière, le retrait de la mission financière de la Banque de France de
Roumanie ne sera pas interprété par les milieux économiques et financiers
internationaux comme un échec de la politique étrangère de la Banque de
France.

Un autre avantage pris en considération par la Banque de France est que la


Société des Nations pourra intervenir en Roumanie assez rapidement et sans
trop de difficultés car tous les États de l’Europe centrale attendent un programme
de soutien économique et financier international. Encore une fois, les dirigeants
de la Banque de France insistent sur la nécessité d’élaborer un nouveau
programme afin de donner aux pays centre-européens le sentiment qu’ils font
appel au soutien de la Société des Nations non comme des pays vaincus qui,
demandent de l’assistance, mais comme des pays qui, souhaitent bénéficier de
735
l’aide et des compétences d’une véritable organisation internationale.

En ce qui concerne l’installation des experts genevois à Bucarest, la Banque de


France vise à les aider à s’imposer rapidement auprès des dirigeants de
Bucarest afin que les engagements pris envers les participants aux emprunts de
février 1929 et de mars1931 soient entièrement respectés. Conscients, que la
mise en place de la collaboration entre la Roumanie et la Société des Nations
prendra du temps, les dirigeants de Banque de France s’engagent à maintenir à
Bucarest Roger Auboin jusqu’à ce que les experts de Genève s’installent dans la
736
capitale roumaine. Afin de faciliter l’organisation de cette collaboration, ils
proposent même de mettre à leur disposition Auboin qui peut les renseigner

735
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Note sur la manière dont l’action de restauration financière en
Roumanie pourrait être replacée sur le plan international, le 10 mars 1932, p. 5.
736
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Note sur la manière dont l’action de restauration financière en
Roumanie pourrait être replacée sur le plan international, le 10 mars 1932, pp.
3-5.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

737
rapidement sur la situation économique et financière du pays. Quant au bon
déroulement de l’activité de Roger Auboin et des autres experts français jusqu’à
l’arrivée des experts genevois, les dirigeants de la Banque de France expriment
leur crainte en avertissant qu’elle dépendra entièrement de la volonté des
dirigeants roumains de continuer à se soumettre à leur autorité.

Dans l’état actuel de nos recherches, nous ne savons pas si Moret a informé le
Quai d’Orsay en mars 1932 des changements envisagés par la Banque de
France à l’égard de la Roumanie. La réaction de Puaux, ainsi que les
démarches effectuées en juillet 1932 par Herriot auprès de Flandin et de Moret
nous laissent croire que la diplomatie française ne connaissait pas le projet
avant la publication du Rapport Rist en mai 1932. Simple omission des
dirigeants de la Banque de France ou crainte de l’opposition et des pressions du
Quai d’Orsay ? La deuxième hypothèse nous semble plus pertinente en raison
de l’importance et du rôle que la diplomatie française a accordé à la mission
financière de la Banque de France qui, est considérée comme un des piliers de
la politique étrangère menée par la France dans ce pays.

La publication du Rapport Rist en mai 1932 permet, donc, à la Banque de France


de mettre en application le projet de retrait de Bucarest en faveur de la Société
des Nations. Conseillés de solliciter l’intervention de l’institution de Genève, les
dirigeants roumains se voient obligés de commencer le 18 juin 1932 les
démarches auprès de l’institution de Genève. Toutefois, la procédure s’annonce
rapidement longue et très contraignante en raison du contrôle et des conditions
financières imposées par les experts du Comité financier genevois.

En attendant l’installation des experts finaciers de la Société des Nations à


Bucarest, Roger Auboin continue à occuper les fonctions d’Expert technique de
la Banque Nationale de Roumanie et à rédiger les rapports trimestriels sur la
situation économique et financière du pays. L’attente de Auboin de quitter la
er
Roumanie s'avérera finalement longue car il ne quittera ce pays que le 1 février

737
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Note sur la manière dont l’action de restauration financière en
Roumanie pourrait être replacée sur le plan international, le 10 mars 1932, p. 6.
259

1935. Sa mission qui, selon l’accord de mars 1931 devait se terminer le 7 février
1934, sera, en effet, prolongée d’une année à la demande du gouvernement
roumain de Ion Gh. Duca. Il convient de préciser que la prolongation de cette
mission provoquera, comme en mars 1931, le mécontentement et les réactions
des dirigeants de la Banque Nationale de Roumanie, pour lesquelles la présence
738
des experts français devenait de plus en plus difficile à supporter. Le
739
Gouverneur Grigore Dimitrescu reproche au gouvernement Tatarescu de tout
faire pour se mettre en situation de se voir imposer un contrôle étranger et lui
demande d’assumer entièrement les conséquences car la Banque Nationale
740
n’accepte plus de prolonger le mission de Auboin. Le refus de ce dernier
d’accepter la demande du Gouverneur Dimitrescu de soumettre ses rapports au
contrôle du Conseil de la Banque Nationale explique en grande partie les
741
réactions des dirigeants de cette institution. Dans la lettre de prolongation de
cette mission, rédigée par la Banque Nationale de Roumanie en vertu de son
indépendance, Grigore Dimitrescu demandait à Roger Auboin de céder aux
dirigeants de Bucarest « le droit de décider de l’utilité de la publication de ses
742
rapports. »

Sous les pressions du Président du Conseil roumain, Gheorghe Tatarescu, la


Banque Nationale se voit obligée, encore une fois, d’accepter le 15 février 1934
la prolongation d’une année de la mission de la Banque de France. Toutefois,

738
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/8 : Lettre de Constantin Stoicescu à Jean Bolgert, le 23 mars 1934.
739
Docteur en droit, économie et finances, Grigore Dimitrescu est nommé
Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie le 3 février 1934, fonction
qu’il remplira jusqu’au 27 juillet 1935. Le retour au pouvoir du Parti National
Libéral, le 14 novembre 1933, est à l’origine de la démission de l’ancien
Gouverneur Constantin Angelescu et de son remplacement par Grigore
Dimitrescu.
740
Archives de la BdF, Paris, Missions financières en Roumanie, No.
1370200006/8 : Lettre de Roger Auboin au Ministre français des Finances, le 26
février 1934, p. 1.
741
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/8 : Projet de lettre présentée officieusement par la Banque
Nationale de Roumanie et refusée par Roger Auboin, février 1934.
742
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/8 : Projet de lettre présentée officieusement par la Banque
Nationale de Roumanie et refusée par Roger Auboin, février 1934, p. 2.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

quelques jours plus tard, Roger Auboin se retrouvera de nouveau en conflit avec
le Gouverneur Dimitrescu en raison d’une lettre qu’il avait envoyé le 18 février
1934 aux banques anglaises Hambro Bank et Lazard Brothers au sujet des
capacités de la Roumanie d’assurer le service de sa dette extérieure. Fortement
contrarié, Dimitrescu rappelle à l’Expert de la Banque Nationale que son activité
en Roumanie se résumait strictement à la rédaction de deux rapports sur la
743
situation économique et financière du pays. « A part ces rapports, affirme
Dimitrescu, vous aurez à nous donner les avis qui vous seront sollicités par le
Gouvernement et par la Banque sur les questions qui leur sembleraient
744
nécessaires et qui nous intéresseraient spécialement. »

La gestion des affaires roumaines devient, ainsi que les dirigeants de la Banque
de France l’ont anticipé, difficile à gérer uniquement car l’autorité et les
compétences des experts français ont beaucoup diminué par rapport à février
1929, date à laquelle ils sont arrivés à Bucarest. Dans ces circonstances,
l’intervention de la Société des Nations apparaît comme une nécessité pressante
afin d’éviter à ce que les dirigeants de Bucarest se retrouvent à gérer seuls les
problèmes financiers et monétaires du pays.

3. La Société des Nations et la collaboration technique avec la Roumanie au


début des années trentes

Malgré les réactions de l’opinion publique roumaine, le gouvernement Vaida-


Voevod décide le 18 juin 1932 de solliciter le concours de la Société des Nations
745
pour la réorganisation économique et financière du pays. À la suite des

743
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/8 : Lettre du Gouverneur Dimitrescu à Roger Auboin, le 6 mars
1943.
744
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/8 : Lettre du Gouverneur Dimitrescu à Roger Auboin, le 6 mars
1943.
745
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Accord instituant la collaboration technique consultative en
Roumanie, le 28 janvier 1933 - Lettre du gouvernement roumain au Secrétaire
261

démarches effectuées par le gouvernement roumain, Joseph Avenol, Secrétaire


général adjoint de la Société des Nations et Alexander Loveday, Directeur de la
Section financière de la Société des Nations, se rendent à Bucarest le 12 juillet
1932 afin d’établir les conditions et le programme des réformes financières qui
746
doit être réalisé en Roumanie. Dans les conclusions de leur rapport, Avenol et
Loveday recommandent aux dirigeants roumains d’envoyer à Genève une
nouvelle lettre où ils expliquent la procédure et le programme de réorganisation
financière qu’ils visent à réaliser en collaboration avec la Société des Nations.

Le 21 juillet 1932, le gouvernement Vaida-Voevod entreprend de nouvelles


démarches auprès de l’institution de Genève en insistant sur la volonté des
dirigeants roumains de bénéficier des compétences des experts de la Société
des Nations pour l’élaboration d’un programme de réformes financières,
747
destinées à adapter le pays à la situation économique internationale. Après
ces nouvelles démarches, le gouvernement roumain reçoit à la fin du mois d’août
1932 une délégation d’experts financiers et économiques, composée de Dayras,
Max Kempner, Otto Niemeyer et de Di Nola, chargée de préparer le programme
748
de collaboration technique de la Roumanie avec la Société des Nations. Après
avoir étudié la situation des finances et du budget roumain les experts de
Genève envoient le 17 septembre 1932 à Bucarest une lettre où ils présentent
les conclusions de leur rapport, ainsi que le projet de collaboration susceptible

général demandant la collaboration technique de la Société des Nations, le 18


juin 1932.
746
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 :
Télégramme de George Mironescu, Ministre des Finances, à Nicolae Titulescu,
délégué de la Roumanie auprès de la Société des Nations, le 5 juin 1932.
747
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Accord instituant la collaboration technique consultative en
Roumanie, le 28 janvier 1933 - Lettre du gouvernement roumain au Secrétaire
général demandant la collaboration technique de la Société des Nations, le 21
juillet 1932.
748
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 :
Télégramme de Constantin Antoniade, délégué de la Roumanie auprès de la
Société des Nations, à Alexandru Vaida-Voevod, Président du Conseil, et
George Mironescu, Ministre de Finances, le 13 août 1932.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

749
d’être conclu entre la Roumanie et la Société des Nations. Par la même
occasion, ils avertissent le gouvernement Vaida-Voevod de la gravité de la
situation financière en déclarant que la question la plus importante et urgente
était celle de la réforme financière. Quant aux difficultés économiques du pays,
les experts de la Société des Nations affirment qu’il sont secondaires par rapport
aux problèmes financiers et qu’elles ne peuvent pas être examinées avant
l’exécution du programme de réorganisation financière.

Sur la base de ces constats, la délégation de la Roumanie à l’Assemblée de la


Société des Nations du mois de septembre 1932 fixe avec le Comité financier de
cette institution les conditions et le texte provisoire de l’accord de collaboration.
Malgré son acceptation par le Comité financier, le texte définitif et l’adoption de
l’accord ne peuvent pas être réaliser en raison de l’opposition des dirigeants de
750
Bucarest. À la surprise générale, Virgil Madgearu, Ministre de l’Industrie et du
Commerce, demande un délai de quelques semaines, voire quelques mois, afin
de pouvoir réexaminer le texte de ce programme, dont la portée et les
conséquences commençaient à inquiéter les milieux politiques et financiers
751
roumains. La décision des autorités de Bucarest prend également par surprise
Nicolae Titulescu, chef de la délégration roumaine auprès de la Société des
Nations, qui décide de présenter le 7 octobre 1932 sa démission à Alexandru
752
Vaida-Voevod. Titulescu accuse le gouvernement de Bucarest de duplicité et

749
MADGEARU, Virgil, Notre collaboration technique avec la Société des
Nations, Bucarest, Imp. Nationale, 1933, pp. 51-54.
750
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 :
Télégramme de George Mironescu, Ministre des Finances, à Nicolae Titulescu,
délégué de la Roumanie auprès de la Société des Nations, le 24 septembre
1932, pp. 1-2. Dans ce télégramme, Mironescu explique que le Parlement
roumain refuse de valider les sacrifices financiers demandés par les experts de
la Société des Nations pour rétablir l’équilibre budgétaire.
751
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 :
Télégramme de Nicolae Titulescu, délégué de la Roumanie auprès de la Société
des Nations, à Alexandru Vaida-Voevod, Président du Conseil, le 7 octobre
1932.
752
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 :
Télégramme de Nicolae Titulescu, délégué de la Roumanie auprès de la Société
des Nations, à Alexandru Vaida-Voevod, Président du Conseil, le 7 octobre
1932.
263

d’irrespect à l’égard des experts de la Société des Nations qui, à aucun moment,
n’ont pas été avertis de l’intention du gouvernement roumain de différer la
753
signature l’accord de collaboration. Sans prendre en considération les conseils
de Nicolae Titulescu, le gouvernement Vaida-Voevod demande d’ajourner la
signature de l’accord de collaboration avec la Société des Nations à la session
754
du Comité financier du mois de janvier 1933.

Dans une lettre envoyée à la Banque de France, le 21 septembre 1932, Jean


Bolgert déclare que les principaux aspects qui préoccupent les dirigeants
roumains sont essentiellement en lien avec la durée, la forme de la collaboration
avec la Société des Nations, ainsi que la volonté de Madgearu d’introduire, au
même titre que le programme de réforme financière, un programme économique,
755
destiné à promouvoir le développement du secteur industriel. Selon Bolgert, le
gouvernement Vaida-Voevod ne semble pas attacher beaucoup d’intérêt et
d’importance à la collaboration avec la Société des Nations et il y renoncera
facilement si les aspects économiques seront négligés. Cette hypothèse est
aussi formulée par un des experts de la Société des Nations, Dayras qui, le 10
octobre 1932, avertit la Banque de France du projet des dirigeants de Bucarest
de réaliser un vaste programme économique, sans se préoccuper de l’état des
756
finances roumaines et des déséquilibres budgétaires. Dans son ouvrage,
Notre collaboration technique avec la Société des Nations, Virgil Madgearu
exprime son mécontentement car les experts genevois ont supprimé du
programme proposé par les dirigeants de Bucarest les aspects relatifs à la

753
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Dosare speciale, No. 247 :
Télégramme de Nicolae Titulescu, délégué de la Roumanie auprès de la Société
des Nations, à Alexandru Vaida-Voevod, Président du Conseil, le 7 octobre
1932.
754
MADGEARU, Notre collaboration technique, pp. 55-56.
755
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Au sujet des négociations entre le gouvernement roumain et le
Comité Financier de la Société des Nations, le 21 septembre 1932, Bolgert à la
Banque de France.
756
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Etat actuel des pourparlers entre la Roumanie et la Société
des Nations au sujet de la collaboration technique, Dayras à la Banque de
France, le 10 octobre 1932.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

restauration économique de la Roumanie et la mise en valeur des richesses


757
naturelles du pays. La priorité accordée par les experts de la Société des
Nations à la réorganisation financière de la Roumanie ne réussit pas à
convaincre Madgearu. Ce dernier explique que la raison pour laquelle le
gouvernement de Bucarest insiste sur la réalisation d’un programme économique
est totalement justifié car la Roumanie ne demande pas l’assistance financière
de la Société des Nations, ainsi que l’ont fait d’autres États de l’Europe
758
centrale.

Il est nécessaire de préciser que les dirigeants roumains ne font aucune


déclaration publique concernant les démarches effectuées auprès de la Société
des Nations. Par crainte des réactions de l’opinion publique roumaine, les
négociations restent secrètes jusqu’au 17 octobre 1932. À cette date, Vaida-
Voevod déclare que son gouvernement a sollicité l’aide économique et financière
de la Société des Nations, mais il a dû y renoncer en raison des exigences et
des conditions draconiennes formulées par cette institution. Le silence de Vaida-
Voevod sur les exigences de la Société des Nations, ainsi que sa démission de
la tête du gouvernement, le 19 octobre 1932, font circuler de nombreuses
rumeurs au sujet des conditions et du programme de collaboration avec
l’institution de Genève.

Pour Gabriel Puaux, les exigences draconiennes de la Société des Nations sont
liées aux mesures générales que la Roumanie doit prendre, d’une part, pour le
rétablissement de l’équilibre bugétaire et le paiement de la dette extérieure, et,
d’autre part, pour la nomination de quatre nouveaux experts pour une durée de
759
cinq ans. Cette dernière exigence prévoit, en effet, la création d’une
commission de contrôle et de surveillance, composé d’un Conseiller financier et
de trois experts, en matière fiscale, budgétaire et comptable, qui devra réaliser

757
MADGEARU, Notre collaboration technique, p. 54.
758
MADGEARU, Notre collaboration technique, p. 54.
759
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/7 : Note sur la collaboration technique de la Roumanie avec la
Société des Nations, octobre 1932.
265

son activité en étroite collaboration avec le gouvernement roumain et, plus


particulièrement, avec le Ministère des Finances et la Banque Nationale de
Roumanie. Le Conseiller financier devra résider à Bucarest durant toute la
période de la collaboration entre la Roumanie et la Société des Nations et il
représentera le pays à toutes les réunions qui auront lieu à Genève au sujet des
affaires roumaines. Par ailleurs, il pourra nommer et faire venir à Bucarest
d’autres experts étrangers s’il l’estimera nécessaire pour le bon déroulement de
son activité et celles de ses trois collaborateurs. Quant à ses activités, le
Conseiller financier sera chagé de conseiller et de surveiller la Banque Nationale
et le gouvernement sur toutes les questions concernant la politique monétaire et
financière de la Roumanie, ainsi que sur tous les projets d’emprunt extérieur.

Malgré les critiques de l’opinion publique roumaine et, plus particulièrement, du


Parti National Libéral, Iuliu Maniu, désigné à nouveau Président du Conseil,
décide en décembre 1932 de reprendre les négociations avec le Comité de
Genève. Le 28 janvier 1933, l’accord de collaboration technique avec la
Roumanie est finalement approuvé et signé le même jour par le Ministre
roumain de l’Industrie et du Commerce, Ion Lugosianu.

D’emblée, le rapport présenté par le Conseil financier de la Société des Nations


stipule que l’Accord de collaboration avec la Roumanie se distingue des autres
programmes de restauration financière, établis durant les années vingt pour
760
l’Autriche et la Hongrie. Ainsi que la Banque de France l’avait demandé, le
Comité de Genève insiste dans les conclusions de cet Accord sur le fait que la
761
Roumanie est « un État dans le plein exercice de souveraineté. » René
Massigli, le représentant du gouvernement français auprès du Comité financier
insiste également dans ses déclarations sur le fait que « nous ne trouvons pas
aujourd’hui en présence d’un État sollicitant par l’intermédiaire de la Société des
Nations, l’aide financière d’autres gouvernements à la suite d’une crise grave,

760
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications
de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. : Accord de collaboration
technique consultative avec la Roumanie, p. 3.
761
MADGEARU, Notre collaboration technique, p. 68.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

mais, en présence d’un État qui a déjà fait des efforts pour rétablir sa monnaie
sur la base de l’or et qui a déjà introduit diverses améliorations dans son
762
organisation financière.» La durée de collaboration, prévue par l’Accord de
collaboration avec la Société des Nations, est de quatre exercices budgétaires,
er 763
soit du 1 avril 1933 au 31 mars 1937. Rappelons que l’année financière en
er
Roumanie ne correspond pas à l’année civile et elle débute le 1 avril. Toutefois,
l’article 3 de cet Accord établit la possibilité pour la Société des Nations de
rappeler son Conseiller financier et les autres experts si leur maintien ne
764
s’avérera plus nécessaire. La mission du Conseiller financier et de ses trois
collaborateurs est d’assister le gouvernement roumain à l’établissement et à
l’application du programme de réformes financières, nécésaires pour l’adaptation
de la Roumanie aux nouvelles conditions économiques et financières
765
internationales. Afin de faciliter la mission du Conseiller financier et des autres
experts, le gouvernement et la Banque Nationale de Roumanie devront leur
fournir toutes les informations nécéssaires, dont ils auront besoin pour leur
activité. Un rapport trimestriel sur la situation économique et financière de la
Roumanie sera présenté par le Conseiller financier au Conseil de la Société des
766
Nations.

Quant aux engagements des dirigeants de Bucarest, ils concernent


principalement l’élaboration et l’exécution des réformes fiscales, la réorganisation

762
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/13 : Accord instituant la collaboration technique consultative en
Roumanie, le 28 janvier 1933, - Rapport du Comité financier (session de janvier
1933), p. 9.
763
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications
de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. : Accord de collaboration
technique consultative avec la Roumanie, p. 6.
764
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications
de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. Accord de collaboration
technique consultative avec la Roumanie, p. 11 (Accord texte).
765
Si la présence d’autres experts deviendra nécessaire pour assurer
l’exécution du programme de collaboration, le Conseiller financier pourra
nommer, avec l’accord du gouvernement roumain, de nouveaux collaborateurs.
766
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications
de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. Accord de collaboration
technique consultative avec la Roumanie pp. 12-13 (Annexe II).
267

de l’administration financière et du recouvrement des impôts, le renforcement du


contrôle des dépenses publiques, la réalisation et le maintien de l’équilibre
767
budgétaire, etc. En outre, le gouvernement roumain devra s’assurer à ce que
la mission de Roger Auboin, soit prolongée afin qu’il puisse prêter son concours
768
à l’application de l’Accord de collaboration avec la Société des Nations. Il
convient également de préciser que le Comité financier de Genève a décidé de
maintenir la mission de l’Expert des Chemins de fer roumains, Gaston Leverve,
et de son adjoint, Michel Mange.

Approuvé, donc, par le Conseil de la Société des Nations, le 28 janvier 1933, la


mise en vigueur de l’Accord est subordonnée à la ratification avant le 30 avril
1933 par le Parlement roumain. Ce délai laisse, en effet, aux dirigeants de
Genève le temps nécéssaire de choisir et de désigner le Conseiller financier de
la Roumanie, ainsi que les trois autres experts. La nomination du Conseiller
financier sera effectuée par un sous-comité, composé du Président de la Société
des Nations, Paul Hymans, et des représentants de l’Allemagne, de la France et
de la Grande-Bretagne, ainsi que du rapporteur du Conseil pour les questions
769
financières, Rolf Andvord. Ce même sous-comité, auquel se joindra le
Conseiller financier, devra choisir les trois autres experts en matière fiscale,
comptable et de trésorerie et du budget.

Ajourné à plusieurs reprises par les dirigeants de Bucarest, par crainte des
réactions de l’opinion publique roumaine, l’Accord de Genève sera finalement
présenté au Parlement les 10 et 12 avril 1933 par Virgil Madgearu. Cela
provoque des vives discussions et critiques à l’égard du gouvernement Vaida-

767
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications
de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. Accord de collaboration
technique consultative avec la Roumanie pp. 11-12 (Annexe I).
768
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications
de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. Accord de collaboration
technique consultative avec la Roumanie p. 13 (Annexe II, art. 5).
769
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Publications
de la Société des Nations, C.107.M21.1933.II.A. Accord de collaboration
technique consultative avec la Roumanie p. 15 (Procédure de nomination du
Conseiller financier et des experts).
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Voevod. Le Parti National Libéral accuse le Parti National Paysan d’offrir au


peuple roumain « une abdication de l’indépendance du pays, une subjugation
770
des intérêts de notre pays à je ne sais quelles fin internationales. » Pour
Madgearu, le seul responsable de l’intervention de la Société des Nations en
Roumanie n’est en aucun cas son gouvernement qui a été pratiquement obligé
de faire les démarches auprès de l’institution de Genève, mais les
gouvernements précédents et, notamment, l’ancien Ministre des Finances,
Constantin Argetoianu. Rappelons que ce dernier a demandé le 16 mars 1932
au gouvernement français d’envoyer en Roumanie Charles Rist pour examiner la
situation économique et financière du pays.

Malgré la ratification de l’Accord, le gouvernement de Vaida-Voevod repousse sa


mise en vigueur, sans donner des explications très claires. Les historiens
roumains mettent généralement en avant la crainte des réactions de l’opinion
771
publique roumaine. Mais de notre point de vue, le Conseiller financier, proposé
par la Société des Nations, joue un rôle très important. À cela s’ajoute encore le
refus de la Banque Nationale de Roumanie de collaborer avec le Conseiller de la
Société des Nations car, ainsi que le souligne le Gouverneur Constantin
Angelescu, la prolongation de la tutelle étrangère ne fera que discréditer les
772
dirigeants de la Banque Nationale auprès des instances internationales. En
reprochant à la Société des Nations d’avoir exclu la Banque Nationale des
négociations avec le gouvernement roumain, le Gouverneur Angelescu écrit
dans une lettre à Virgil Madgearu : « C’est un mauvais départ qui, va créer par la
suite des divergences et des conflits entre la Roumanie et la Société des
Nations. En ce qui me concerne, ça serait un très grand bonheur si l’Accord

770
MADGEARU, Notre collaboration technique, p. 1.
771
SCURTU, Ioan (éd.), Documente privind istoria României între anii 1918-
1944 (Documents concernant l’histoire de la Roumanie durant les années 1918-
1944), Bucuresti, Editura didactica si pedagogica, 1995.
772
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre de
Virgil Madgearu à la Banque Nationale de Roumanie, le 23 mars 1933.
269

773
n’était finalement pas conclu. » Pour Angelescu, l’Accord de Genève ne
présente aucun avantage car il impose à la Roumanie, d’une part, l’obligation
d’accepter une collaboration étrangère pour la réorganisation financière du pays
et, d’autre part, l’obligation de demander et de recevoir la surveillance vexatrice
774
pour l’application zélé et honnête des réformes financières. En acceptant cet
Accord, la Roumanie prouvera au monde entier à la fois qu’elle est incappable
de penser et d’envisager tout projet de réorganisation économique et financière
et qu’elle n’a ni l’honnêteté, ni la force et ni l’autorité d’appliquer les lois
775
nécéssaires au redressement du pays. « Le passé et toutes les difficultés que
la Roumanie a dû affronté depuis sa création, conclut Angelescu, déterminent la
Banque Nationale à ne pas signer l’Accord de Genève. De plus, elle se voit
obligée de tirer le signal d’alarme en démontrant que cet Accord discréditera et
776
conduira le pays à une véritable catastrophe. »

Pour ce qui est du choix du Conseiller financier, le Conseil de la Société des


Nations propose au gouvernement roumain de désigner Sir George Corey, un
777
ancien chef d’état-major adjoint de l’Armée de l’Inde. Cette proposition
provoque immédiatement le mécontentement des dirigeants de Bucarest car
Corey ne jouit pas du même prestige et de la même renomée internationale que
les Conseillers envoyés en Roumanie par la Banque de France, Roger Auboin
et, notamment, Charles Rist. Inutile de préciser que le choix d’un militaire qui, a

773
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre du
Gouverneur Angelescu à Virgil Madgearu, intitulée Opinie separata (Une opinion
séparée), le 25 mars 1933, p. 2 (Trad. du roumain).
774
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre du
Gouverneur Angelescu à Madgearu, intitulée Opinie separata (Une opinion
séparée), le 25 mars 1933, p. 3 (Trad. du roumain).
775
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre du
Gouverneur Angelescu à Virgil Madgearu, intitulée Opinie separata (Une opinion
séparée), le 25 mars 1933, p. 3 (Trad. du roumain).
776
Archives BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre du
Gouverneur Angelescu à Virgil Madgearu, intitulée Opinie separata (Une opinion
séparée), le 25 mars 1933, p. 4 (Tad. du roumain).
777
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006//7 : Collaboration technique consultative de la Roumanie avec la
Société des Nations, juillet 1932 - mai 1933/Note confidentielle sur le choix d’un
Conseiller financier et des experts pour la Roumanie, le 13 mai 1933.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

servi pendant des années en Inde, complique la donne. Humiliés, les dirigeants
de Bucarest reprochent à l’institution de Genève d’avoir choisi intentionnellement
Sir George Corey afin de vexer le peuple roumain. La Roumanie, ainsi que le
soulignent les dirigeants de Bucarest, est un pays libre qui ne pouvait pas être
comparé à une colonie britannique. Dans ces circonstances, le Conseil de la
Société des Nations se voit obligé d’abandonner la nomination de Corey en
décidant de prolonger le délai pour la désignation du Conseiller financier
er
jusqu’au 1 juin 1933. Par la suite, un nouvelle prolongation devra être effectuée
jusqu’en décembre 1933.

L’échec de la Conférence de Londres de juillet 1933 jalonne une sorte de fuite en


avant qui compromettra l’intervention de la Société des Nations en Roumanie. La
conviction qu’aucune aide internationale positive ne pourra plus être envisagée
pour les États agricoles de l’Europe centrale détermine les dirigeants roumains à
abandonner progressivement le projet de collaboration avec la Société des
Nations. La chute du gouvernement Vaida-Voevod, le 13 novembre 1933, et
l’arrivée au pouvoir du gouvernement libéral de Ion Gh. Duca laissent entrevoir
les difficultés pour mettre en application l’Accord de Genève. Préoccupé par les
changements politiques survenus à Bucarest, Roger Auboin décide le 18
novembre 1933 de rendre visite au nouveau Ministre adjoint des Finances, Victor
Slavescu, afin de se renseigner sur l’attitude du nouveau gouvernement à l’égard
778
de la collaboration avec la Société des Nations. La discussion qui a eu lieu sur
cette question est relatée par Slavescu dans son Journal. « Il [Auboin] cherche à
me convaicre, note Slavescu, que de point de vue politique nous n’avons rien à
craindre et que nous ne pouvons pas être rendus responsables en tant que parti
et en tant que gouvernement pour une demande effectuée par un autre
779
gouvernement. » Dans sa réponse, Slavescu se contente de déclarer que la
question de la collaboration avec la Société des Nations est très compliquée et

778
SLAVESCU, Victor, Note si însemnari zilnice (Notes et réféxions
ième
quotidiennes), Vol. I, Bucuresti, Ed. Enciclopedica, 1996 (2 Ed), p. 73, le 18
novembre 1933.
779
SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, p. 73, le 18 novembre 1933 (Trad. du
roumain).
271

qu’elle sera discutée par le gouvernement les prochaines jours. Informé


immédiatement par Slavescu de la discussion avec Auboin, le Ministre des
Finances, Constantin « Dinu » Bratianu se montre très réticent quant à la mise
en vigueur de l’Accord de Genève en déclarant que « ce que les Nationaux-
Paysans, les initiateurs de l’Accord, n’ont pas pu accepté, nous ne pouvons non
780
plus accepter. » Pour Bratianu, la question est très difficile à résoudre surtout
que le terme pour mettre en viguer l’Accord de Genève arrivait à écheance dans
quelques semaines. Avant de s’exprimer officiellement sur l’attitude de son
gouvernement à l’égard de la collaboration avec la Société des Nations, Bratianu
décide d’en discuter avec Auboin. Le 20 novembre 1933, Auboin rencontre le
nouveau Ministre des Finances en le conseillant de commencer immédiatement
des négociations avec les banques anglaises et françaises afin de gagner du
temps pour pouvoir prendre la décision qui convient le mieux à son
gouvernement. De nouvelles discussions auront lieu le 25 novembre 1933 entre
Victor Slavescu et Roger Auboin, qui tente encore une fois de convaincre les
dirigeants roumains de la nécéssité de collaborer avec la Société des Nations.
Tout en évitant de se prononcer ouvertement sur cette question, Victor Slavescu
écrit dans son Journal que cet Accord « nous ne pouvons pas l’accepter sous
781
aucun pretexte.» À Nicolae Titulescu, qui continue à assurer les fonctions de
Ministre des Affaires Etrangères, Slavescu reproche la signature de l’Accord de
Genève et lui demande le soutien afin de sortir la Roumanie de cette situation
782
gênante. Résolus à ne pas mettre en vigueur cet Accord, les dirigeants
libéraux décident d’envoyer à Paris au mois de décembre « Dinu » Bratianu afin
de discuter les modalités et les possibilités d’annuler la collaboration avec la
Société des Nations.

er
Effectivement, Bratianu se rend à Paris le 1 décembre 1933 et informe les
dirigeants de la Banque de France de l’attitude de son gouvernement à l’égard

780
SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, pp. 73-74, le 19 novembre 1933
(Trad. du roumain).
781
SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, p. 74, le 19 novembre 1933 (Trad. du
roumain).
782
SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, p. 74, le 19 novembre 1933.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

783
de la mise en vigueur de l’Accord de Genève. Sans révéler les intentions des
nouveaux dirigeants de Bucarest de le dénoncer, « Dinu » Bratianu demande un
nouveau délai pour sa mise en vigueur sous prétexte que les dirigeants de
Bucarest avait besoin de temps pour se faire une idée sur la situation effective
784
des finances et de l’économie roumaine. Par la même occasion, Bratianu
demande la prolongation d’une année du mandat de Roger Auboin. Il convient
également de préciser que le voyage de Dinu Bratianu aboutit à un accord avec
la Banque de France au sujet de l’envoi à Bucarest d’une commission d’experts
pour examiner la capacité de la Roumanie d’assurer le service de sa dette
extérieure.

L’assassinat du Premier Ministre Ion Gh. Duca, le 29 décembre 1933, et son


remplacement par Gheorghe Tatarescu, à la fois à la tête du gouvernement et du
Parti National Libéral, ne modifiera pas l’attitude des dirigeants libéraux à l’égard
de l’Accord de Genève. Ainsi, le 5 février 1934, Victor Slavescu, nommé Ministre
des Finances, renouvelle les demandes formulées par « Dinu » Bratianu aux
dirigeants de la Banque de France en décembre 1933 pour la prolongation de la
mission de Roger Auboin. Le représentant de la Roumanie auprès de la Société
des Nations, Antoniade, se voit également obiligé de solliciter au Conseil
financier de Genève lors de la session de février 1934 un nouveau délai pour
l’application de l’Accord en expliquant que le gouvernement Tatarescu avait
785
besoin de temps pour étudier cette question.

Cependant, le 18 mai 1934, Tatarescu annonce les dirigeants de Genève et de


Paris que la Roumanie renonce définitivement à la collaboration technique avec

783
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/8 : Télégramme de Constantin « Dinu » Bratianu à Duca, le 13
décembre 1933.
784
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/8 : Protocole signée par Constantin « Dinu »Bratianu, le 13
décembre 1933.
785
Archives de la SdN, Genève, Journal Officiel, juin 1934.
273

786
la Société des Nations. En juin 1934, le représentant de la Roumanie auprès
de la Société des Nations, Antoniade, est chargé par le gouvernement de
Bucarest d’annoncer officiellement lors de la soixante-dix-neuvième session du
Conseil de la Société des Nations que la Roumanie renonçait à l’application de
l’Accord du 28 janvier 1933. « Ceci, déclare Antoniade, ne veut pas dire pourtant
qu’il renonce à toute idée de collaboration. Si la nécessité d’une telle
collaboration technique avec la Société des Nations se faisait sentir par la suite,
le Gouvernement roumain se réserve le droit de présenter une demande à ce
787
sujet. » Le principale raison invoquée par Antoniade afin de justifier la décision
des dirigeants de Bucarest est le changement du contexte économique et
financier par rapport au moment où la Roumanie a effectué sa demande de
collaboration avec la Société des Nations en juin 1932 et a signé l’Accord du 28
janvier 1933.

Ainsi, le projet de la Banque de France de se désengager des affaires roumaines


en faveur de la Société des Nations échoue devant l’opposition des dirigeants
roumains. Les exigences imposées par la Société des Nations en matière de
réorganisation financière et la nomination d’un nouveau Conseiller financier sont
des conditions que les dirigeants libéraux refusent, encore une fois, d’accepter.
Rappelons le refus des frères Bratianu en 1927 de s’adresser à la Société des
Nations pour la réalisation du programme de stabilisation monétaire et de
développement économique de la Roumanie. Les conditions et les méthodes
draconiennes utilisées par la Société des Nations en Autriche, en Hongrie et,
notamment, en Grèce, ainsi que la crainte de l’ingérence étrangère dans les
affaires roumaines avaient détérminé Vintila Bratianu à s’adresser à la Banque
de France pour l’organisation de l’emprunt de stabilisation monétaire.

Dans ces circonstances, la Banque de France se voit obligée de continuer seule


la gestion des affaires roumaines et de veiller à ce que les dirigeants de

786
Archives de la SdN, Genève, Journal Officiel, 1934, Soixante-dix-neuvième
session du Conseil (Première partie), juin 1934, p. 519.
787
Archives de la SdN, Genève, Journal Officiel, 1934, Soixante-dix-neuvième
session du Conseil (Première partie), juin 1934, p. 519.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Bucarest respectent, malgré les difficultés économiques et financières, leurs


engagements vis-à-vis des créditeurs étrangers du pays et, plus
particulièrement, envers les porteurs des emprunts de stabilisation monétaire et
de développement économique de la Roumanie de février 1929 et de mars
1931.

Dès janvier 1933, la capacité de la Roumanie à assurer les fonds nécessaires


au service de la dette extérieure et à transférer ces fonds dans les devises de
ses créanciers subit le contrecoup des difficultés économiques et financières
engendrées par la crise de 1929. La diminution du revenu national, par suite de
l’effondrement des prix agricoles sur le marché international, la réduction des
recettes de l’Etat et des autres institutions publiques roumaines, l’inefficacité des
mesures introduites pour augmenter les revenus de l’Etat, telles que les taxes
sur la consommation, sur le luxe et le chiffres d’affaires commencent à se
répercuter sur la capacité de paiement de la Roumanie. Dans ces circonstances,
l’ajustement du service de la dette publique roumaine aux capacités de
paiement et de transfert s’impose comme le seul moyen afin que la Roumanie
puisse continuer à assurer ses obligations envers les créditeurs étrangers.
275

CHAPITRE II : L’ATTITUDE DE LA FRANCE FACE AUX DIFFICULTÉS


FINANCIÈRES DE LA ROUMANIE ET Á LA POLITIQUE ANTI-SOVIÉTIQUE
DES DIRIGEANTS DE BUCAREST

Au début du siècle passé, la Roumanie se situe dans les relations financières


788
internationales, ainsi le souligne Loredana Ureche-Rangau , parmi les Etats
emprunteurs. Le recours des dirigeants de Bucarest aux emprunts étrangers,
par suite de la faiblesse de l’épargne nationale, de l’archaïsme et du
dysfonctionnement du système de crédit et d’imposition, accroît
progressivement la dépendance de l’État roumain du marché économique
international car, pour assurer le service de la dette publique extérieure, il est
tributaire des exportations de produits agricoles et de matières premières. Les
emprunts de stabilisation monétaire et développement économique de la
Roumanie de février 1929 et mars 1931 commencent également à alourdir le
service de la dette publique extérieure. La crise économique de 1929 qui,
touche de plein fouet l’agriculture roumaine, révèle plus intensément les
problèmes engendrés par la dépendance du service de la dette des
789
exportations. L’effondrement des prix agricoles et des matières premières sur
le marché international se répercute immédaitement sur les revenus de l’État
roumain et, implicitement, sur sa capacité d’honorer le service de sa dette
publique extérieure. Le fait de se procurer les sommes en lei, destinées au
règlement de la dette, ainsi que les devises nécessaires au transfert deviendra
de plus en plus difficile pour les dirigeants de Bucarest. Le rapport entre
l’annuité de la dette publique extérieure et la valeur des exportations enregistre
durant l’année 1932 une augmentation de 27,43%, ce qui représente plus que le
790
double par rapport à l’année 1927. Le tableau ci-dessous (Tableau XI) nous
démontre les difficultés de la Roumanie d’assurer le transfert de l’annuité de la

788
URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise : l’expérience des
emprunts roumains à la bourse de Paris durant l’entre-deux-guerres, Paris,
Sorbonne, 2008, p. 35.
789
MADGEARU, Virgil, La capacité de paiement et la dette publique de la
Roumanie, Bucarest, Imp. Nationale, 1933, pp. 7-12.
790
SLAVESCU, Victor, La situation économique de la Roumanie et sa capacité
de paiement, Bucarest, Imp. Centrale, 1934, p. 129.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

dette publique extérieure en raison de la diminution de la valeur des


exportations, ainsi que de l’accroissement continu des annuités jusqu’en 1932.

Tableau XI: L’annuité de la dette publique extérieure et les exportations


roumaines (en millions de lei).
Années Annuité de la Exportations Rapport de
dette extérieure l’annuité aux
exportations
1927 4.279 38.111 11,22

1928 4.012 26.919 14,91

1929 5.392 28.960 18,60

1930 5.032 28.522 17,64

1931 6.090 22.197 27,43

1932 4.776 16.654 28,60

Source : SLAVESCU, Victor, La situation économique de la Roumanie et sa


capacité de paiement, Bucarest, Imp. Centrale, 1934, p. 129.

De la lecture de ce tableau, il ressort que les négociations avec les créditeurs


étrangers afin d’alléger le service de la dette publique extérieure de la Roumanie
deviennent de plus en plus indispensables. La Banque de France en tant que
organisatrice des emprunts de février 1929 et mars 1931 sera tenue à mener les
pourparlers avec les dirigeants de Bucarest afin de trouver un accord
convenable pour tous les créditeurs étrangers en fonction de la capacité de
paiement et de transfert de la Roumanie. La mission des dirigeants de la
Banque de France sera très difficile en raison de la mauvaise « réputation »
acquise par la Roumanie envers ses créanciers étrangers durant les années
791
vingt. Selon une note, que nous avons trouvé dans les archives historiques du
Crédit Lyonnais, la Roumanie avait à plusieurs reprises manqué ses

791
Sur cette question, voir Archives CL, Paris, DEEF 73305 : Note sur la
moralité de la Roumanie, novembre 1931, pp. 1-2 (cette note n’est pas signée).
277

792
engagements vis-à-vis de ses créanciers étrangers. Parmi les plusieurs
exemples mentionnés dans cette note, nous évoquons ceux de l’estampillage
des titres de diverses sociétés roumaines par l’État roumain en 1919 qui, en
raison d’une publicité insuffisante, a porté atteinte aux porteurs anglais et
français et de la loi interdisant l’exportation des capitaux de novembre 1922.
Quant à l’émission de l’emprunt de mars 1931, cette note souligne le « double
jeu » et la mauvaise fois des dirigeants de Bucarest qui, deux mois plus tard,
signaient un important accord commercial avec l’Allemagne.

1. La crise de la dette roumaine et les efforts des dirigeants de Bucarest


d’obtenir l’allégement des paiements extérieurs durant les années trente

Pays essentiellement agricole et dépendant des exportations de matières


premières pour assurer le service de la dette publique, la Roumanie voit dès
1932 sa capacité de paiement et ses possibilités de transfert très réduites. La
diminution du revenu national, par suite de l’effondrement des prix agricoles sur
le marché international, de la baisse du rendement des différentes catégories
d’impôts et de taxes, constitue le point de départ des difficultés de la Roumanie
d’assurer ses engagements envers les créditeurs étrangers. Rappelons que
malgré les efforts des autorités de Bucarest de compenser la baisse des prix
agricoles par une augmentation de 45% du volume des exportations par rapport
à l’année 1929, la valeur des produits exportés continuait à baisser chaque
année. Selon Victor Slavescu, les pertes subies par l’État roumain durant les
793
années 1930-1933 sont de 74,4 milliards de lei, soit 48% par rapport à 1929.
Le tableau suivant nous indique l’évolution du revenu national roumain durant
les années 1928-1933 (Tableau XII) :

792
Archives CL, Paris, DEEF 73305 : Note sur la moralité de la Roumanie,
novembre 1931, pp. 1-2.
793
SLAVESCU, La situation économique de la Roumanie, pp. 121-122.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Tableau XII : Revenu national de la Roumanie, 1928-1933 (en milliards de


lei)
Années Revenu national Indices

1928 200,9 100

1929 195,9 97,5

1930 144,9 72,5

1931 110,6 55

1932 103,5 51,7

1933 99,3 49,4

Source: SLAVESCU, Victor, La situation économique de la Roumanie et sa


capacité de paiement, Bucarest, Imp. Centrale, 1934, p. 61

La comparaison entre le revenu national de la Roumanie l’annuité de la dette


publique extérieure de la Roumanie durant les années 1928-1933 met
clairement en évidence la majoration à un niveau pratiquement écrasant du ratio
entre l’annuité de cette charge et revenu total (Tableau XIII).

Tableau XIII : Le revenu national et la dette publique roumaine, 1928-1933

Années Revenu Indice Annuité Indice Indice de


national par extérieure la charge
tête d’habitant (milliards de relative
lei)
1928 11.546 100 4 100 100

1928 11.105 96 5,4 130 135

1930 8.099 70,1 5,2 130 186

1931 6.086 52,6 6,1 152 289

1932 5.610 48,5 4,8 120 247

1933 5.327 47,8 3,75 93,7 195

Source : SLAVESCU, Victor, La situation économique de la Roumanie et sa


capacité de paiement, Bucarest, Imp. Centrale, 1934, pp. 60-61
279

Á la contraction graduelle du revenu national par tête d’habitant depuis 1928


s’ajoute l’accroissement de l’annuité extérieure, ce qui a conduit à la majoration
de la charge relative atteigant, en 1931, l’indice de 289. En 1932, par suite de la
dépréciation de la livre sterling et de la suspension du paiement des dettes de
guerres grâce au moratoire Hoover, le budget est allégé partiellement, l’indice
794
de la charge relative étant réduit à 247 par rapport à l’année 1928. La
suspension de l’amortissement de l’année 1933, qui diminue le service de la
dette publique par rapport aux paiements réels réalisée en 1932, est loin de
ramener la dette publique aux proportions normales des années 1928 et 1929,
même si, on considère, ainsi que le souligne Victor Slavescu, que le revenu
795
national soit resté invariable, ce qui n’est pas le cas. Il convient de préciser
que l’allègement relatif à l’année 1933 n’est qu’une décision temporaire.

Aux difficultés de trouver les lei nécessaires pour le paiement de la dette


publique s’ajoute les difficultés de transfert. Se procurer les devises dont la
Roumanie a besoin pour le service de sa dette publique, qui proviennent
notamment de l’excédent de la balance commerciale, devient de plus en plus
difficile et préoccupant. Au cours des années 1930-1931, le service de la dette
publique roumaine utilise presque l’intégralité du solde positif de la balance
commerciale pour le dépasser à partir de 1932 (Tableau XIV).

794
SLAVESCU, La situation économique de la Roumanie, p. 61.
795
SLAVESCU, La situation économique de la Roumanie, p. 61.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Tableau XIV : La balance commerciale et l’annuité de la dette publique


extérieure

Années Importatio Exportation Solde de Annuité de Ratio Ratio


ns s la balance la dette annuité annuité
(millions (millions de commerci publique de la de la
de lei) lei) ale extérieure dette/sold dette/
(millions (millions de e b.c. (%) exportati
de lei) lei) ons
(%)
1928 31 641 27 030 - 4 611 3 805 - 14,08

1929 29 628 28 960 - 668 5 400 - 18,65

1930 23 044 28 522 5 478 5 230 95,47 18,34

1931 15 754 22 197 6 443 6 100 94,68 27,48

1932 12 011 16 723 4 712 4 800 101,87 28,70

1933 11 742 14 171 2 429 3 745 154,18 26,43

Source : MADGEARU, Virgil, La capacité de paiement et la dette publique de la


Roumanie, Bucarest, Imp. Nationale, 1933, p. 42.

Dans l’impossibilité de continuer à assurer le service de la dette publique, les


dirigeants de Bucarest se voient obligés de demander en décembre 1932 aux
créditeurs étrangers l’allégement des paiements extérieurs. Cette demande
débouche sur des négociations qui ont lieu à Paris du 15 décembre 1932 au 18
février 1932, date à laquelle la Roumanie obtient une réduction provisoire 1.020
millions de lei. Par la même occasion, les porteurs des titres roumains décident
d’envoyer à Bucarest une commission d’experts économiques et financiers afin
d’étudier la situation du pays et la question du règlement de la dette
publique.Une nouvelle réunion sera fixée pour le 5 septembre 1933 afin
d’réexaminer la capacité de paiement et de transfert de la Roumanie sur la base
796
du rapport établi par les experts étrangers.

796
Archives de la BNR, Bucarest, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre de la
Légation de Roumanie à Paris à la Banque de Paris et des Pays-Bas, le 21
juillet 1934.
281

Il convient de préciser que les dirigeants roumains demandent des allégements


de paiement non seulement aux porteurs de titres de emprunts directs de l’État
roumain, mais également aux porteurs des emprunts de la Caisse Autonome
des Monopoles du Royaume de Roumanie de février 1929 et de mars 1931. Les
porteurs de ces deux emprunts et, notamment, les représentants des banques
anglaises Lazard Brothers et Hambros Bank Ltd., signalent aux autorités de
Bucarest que les difficultés financières de l’État roumain ne devraient pas
affecter le service des emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles aussi
797
longtemps que les gages spéciaux réservés à ce service restent suffisants.
Rappelons que la Caisse Autonomes des Monopoles avait reçue à partir de
février 1929 le droit exclusif d’exploiter presque tous les monopoles de la Régie
roumaine des Monopoles du tabac et des poudres en échange du paiement
798
d’une somme de 300 millions de dollars. À remarque de Kindersely au sujet
des moyens financiers de la Caisse Autonome, le Ministre des Finances
Madgearu et le Directeur de la Caisse Autonome, Stanescu, répliquent en
affirmant que cette institution ne trouve plus, par suite du déclin du commerce
extérieur roumain, les mêmes possibilités qu’avant le déclenchement de la crise
de 1929 pour constituer en devises les provisions nécessaires au service de ses
emprunts de stabilisation monétaire et de développement économique. En
continuant à assurer ce service comme auparavant, la Caisse Autonome des
Monopoles risquera de mettre en danger la stabilité monétaire de la Roumanie.
Le tableau suivant nous permet de démontrer le rapport entre les recettes brutes
de la Caisse Autonomes des Monopoles et des autres régies autonomes et le
versement de leurs excédents à l’État roumain durant les années 1930 - 1933
(Tableau XV).

797
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Paris, Vol. 963 : Note sur les
emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles rédigée par la Robert
Kindersley, le 21 décembre 1933.
798
Nous rappelons que le monopole des allumettes et des routesa été accordé
au groupe suédois d’Ivar Kreuger & Toll en échange d’un montant de 40 millions
de dollars, ce qui représente, en effet, la participation de Kreuger aux emprunts
de février 1929 et de mars 1931.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Tableau XV : Recettes et dépenses de la Caisse Autonome des Monopoles


du Royaume de Roumanie et des autres Régies autonomes
Années Total des Excédents Excédents Pourcentage Pourcentage
excédents versés par versés par par rapport par rapport
CAM les autres au total au total
Régies CAM Autres
Régies
1930 6.583.117 4.919.345 1.663.772 74,73 25,27

1931 4.666.856 3.970.490 696.366 85,08 14,92

1932 4.171.822 3.501.962 669.860 83,94 16,06

1933 4.940.257 4.181.059 759.198 84,63 15,37

SLAVESCU, Victor, La situation économique de la Roumanie et sa capacité de


paiement, Bucarest, Imp. Centrale, 1934, p. 82.

Il apparaît, ainsi, que par rapport au montant total des excédents versés à l’État,
la participation de la Caisse Autonome est beaucoup plus élevée que celles des
autres Régies, dont les contributions durant les années 1930-1933 sont de plus
en plus restreintes. Selon Victor Slavescu, ce résultat est principalement dû à la
gestion efficace de la Caisse Autonome qui, a réussit, non seulement à limiter la
baisse de ses recettes brutes, mais également à diminuer au maximum les frais
de régie, de manière à donner un excédent plus élevé par rapport à ses
799
recettes.

Face à la demande des dirigeants roumains d’réexaminer les possibilités


d’allègement du service des emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles,
les représentants des porteurs des emprunts de 1929 et de 1931 acceptent de
traiter cette question lors de la réunion prévue pour le 5 septembre 1933.
Toutefois, le 6 juillet 1933, l’Association des porteurs des emprunts roumains et
les agents financiers des emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles sont
informés par le gouvernement de Bucarest des difficultés d’effectuer le transfert
des sommes que la Roumanie devait payer aux créanciers étrangers. Afin de
trouver une solution à ce problème très préoccupant, les autorités roumaines

799
SLAVESCU, La situation économique de la Roumanie, p. 81.
283

réclament une réunion d’urgence à Paris avant le 15 août 1933, date à laquelle
la Roumanie devait réaliser le paiement des annuités pour l’emprunt de mars
800
1931. Mais, face aux hésitations des créditeurs étrangers de rencontrer les
dirigeants de Bucarest avant le mois de septembre, le gouvernement Vaida-
Voevod annonce le 15 août 1933, à la surprise générale, la suspension du
transfert des sommes dues par la Roumanie aux créanciers étrangers. En
agissant de cette manière, les dirigeants de Bucarest cherchent, d’une part, à
attirer l’attention internationale sur la nécessité de donner à la Roumanie de
nouvelles facilités commerciales, afin de lui rendre possible le transfert du
service, et, d’autre part, à faire pression sur les porteurs de la rente roumaine
801
pour avancer les négociations.

Cette décision provoque immédiatement la réaction des porteurs de titres


roumains et, plus particulièrement, celle des banques anglaises qui, ont souscrit
l’emprunt de stabilisation monétaire et de développement économique de la
Roumanie de février 1929. Dans une lettre adressée au gouvernement roumain,
Robert Kindersley, associé de la maison Lazard Brothers et également porte-
parole de la Hambros Bank Ltd dans les affaires roumaines, reproche aux
dirigeants de Bucarest de ne plus respecter les engagements pris avant
l’émission de l’emprunt de stabilisation monétaire qui, retirent à cet emprunt sa
« situation spéciale » par rapports aux autres emprunts contractés par la
802
Roumanie. Rappelons que, par la création de la Caisse Autonome des
Monopoles, le service de l’emprunt de stabilisation monétaire était entièrement
placé en dehors de la situation budgétaire de la Roumanie car il était basé sur
des gages spéciaux. Sans ces engagements, ainsi que le rappelle Kindersely,
les banques anglaises n’auraient jamais accepté de participer à cette émission.

800
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României si
împrumuturile contractate 1823-1933, Bucuresti, Universul, 1933, pp. 1021-
1022.
801
DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a României, p.
1022.
802
Archives MAERO, Bucarest, Fonds Paris, Vol. 963 : Note sur les emprunts
de la Caisse Autonome des Monopoles rédigée par la Robert Kindersley, le 21
décembre 1933, pp. 1-3.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Afin de protéger les détenteurs britanniques de ces titres, ainsi que la réputation
de Lazard Brothers et de Hambros Bank Ltd, Robert Kindersely explique au
gouvernement roumain qu’il ne peut pas accepter ses propositions visant
l’allégement du service de l’emprunt de 1929 et lui demande de respecter
803
entièrement les engagements pris à ce sujet.

La suspension du transfert provoque également les réactions de la presse


roumaine qui reproche au gouvernement Vaida-Voevod d’affaiblir le crédit
804
international de la Roumanie. La décision unilatérale et arbitraire prise par le
gouvernement de Bucarest est également condamnée Roger Auboin qui,
rappelle que la consultation avec les représentants des porteurs des titres
roumain est, en vertu, des engagements de 1929 et de 1931, obligatoire. Dans
le Mémorandum sur la capacité de paiement et la dette publique de la
805
Roumanie , établit et présenté aux créditeurs étrangers par les dirigeants
roumains, le Ministre des Finances Virgil Madgearu insiste sur les difficultés
économiques et financières du pays et sur l’impossibilité de continuer à honorer
806
le service de la dette publique extérieure. Madgearu reconnaît que la mesure
de suspension du transfert a pu surprendre et mécontenter les créditeurs
étrangers, mais il réprouve les reproches faits au gouvernement roumain d’avoir
pris une décision sans les consulter. « J’ai été obligé de prendre cette mesure et
807
j’ai tous les preuves pour justifier sa nécessité» , notait Madgearu dans les
conclusions de son Mémorandum. Le déficit de la balance commerciale, les
dépenses élevées de l’État roumain et le manque de devises étrangères ne
constituent que quelques arguments invoqués par le Ministre des Finances.
« Ces faits, se justifie Madgearu, plaident en faveur d’un aménagement de
caractère permanent des dettes extérieures des Etats agricoles. Nous savons

803
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Paris, Vol. 963 : Note sur les
emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles rédigée par la Robert
Kindersley, le 21 décembre 1933, p. 3.
804
SLAVESCU, Note si însemnari zilnice.
805
MADGEARU, La capacité de paiement et la dette publique.
806
MADGEARU, La capacité de paiement et la dette publique, pp. 50-52.
807
Cité par DOBROVICI, Istoricul desvoltarii economice si financiare a
României, p. 1024.
285

que ce point de vue n’a pas été adopté à la Conférence monétaire et


économique de Londres, où les représentants des pays créanciers se sont
prononcés en faveur d’un aménagement temporaire. De pareils arrangements
provisoires sont incapables de faciliter l’œuvre de redressement économique et
808
financier d’un pays agricole, tels que la Roumanie.»

Malgré ses explications et ses arguments, Virgil Madgearu ne réussit pas à


apaiser le mécontentement des porteurs de titres roumains qui, tout en
admettant les difficultés financières de la Roumanie, désapprouvent la méthode
utilisée par les dirigeants de Bucarest pour attirer l’attention de l’opinion publique
internationale.

En signe de protestation, ils font savoir aux dirigeants roumains leur refus de
participer à la réunion du 5 septembre 1933 et lient toutes nouvelles
négociations à la mise en vigueur de l’Accord de collaboration avec la Société
des Nations. La réunion du 5 septembre 1933 est, donc, annulée. Afin de
transmettre leurs revendications et leurs conditions au gouvernement roumain,
les créditeurs étrangers décident de rencontrer à Paris Virgil Madgearu le 11
septembre 1933. Pour manifester son désaccord, le Ministre roumain des
Finances annonce immédiatement son intention de s’opposer à la décision des
représentants des porteurs des titres roumains de subordonner les négociations
à l’installation des experts de Genève à Bucarest en affirmant que la Banque
Nationale était déjà sous la surveillance de Auboin que cela devra être suffisant
comme garantie. Selon Madgearu, cette exigence constituait une violation des
décisions prises par la Conférence de Londres qui, interdissait d’imposer toute
condition avant le commencement des négociations. Par la même occasion,
Madgearu reproche à Roger Auboin d’avoir fournit un rapport erroné sur la
situation économique et financière de la Roumanie car il démontrait que le pays
disposait de ressources suffisantes pour faire face à ses engagements, alors
que ce n’était pas le cas.

808
MADGEARU, La capacité de paiement et la dette publique, p. 52.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Le 26 octobre 1933, lors d’une nouvelle réunion organisée à Paris, Virgil


Madgearu obtient finalement le réaménagement de la dette publique roumaine.
En contrepartie, le gouvernement de Bucarest s’engage à ouvrir de nouvelles
négociations avec les représentants des porteurs des emprunts roumains dans
la première quinzaine du mois de janvier 1934. La chute du gouvernement
national-paysan de Alexandru Vaida-Voevod le 14 novembre 1933 et son
remplacement par un gouvernement libéral retardera de quelques semaines la
nouvelle rencontre avec les créditeurs étrangers.

Le 13 décembre 1933, le nouveau Ministre roumain des Finances, « Dinu »


Bratianu, se rend à Paris afin de rediscuter avec les créditeurs étrangers
l’allégement du service de la dette extérieure roumaine. A cette occasion,
Bratianu confirme son accord, d’une part, d’assurer les paiements de 25% et de
50% jusqu’au 31 mars 1934 et, d’autre part, de maintenir les négociations pour
809
15 janvier 1934, ainsi qu’il avait été décidé le 26 octobre 1933. Afin de bien
préparer ces négociations, « Dinu » Bratianu demande l’envoi en Roumanie
d’une commission d’experts financiers et économiques afin d’étudier sur place la
situation du pays. L’assassinat de Ion Gh. Duca, le 29 décembre 1933 et le
remplacement de « Dinu Bratianu » par Victor Slavescu à la tête des Finances
ajournent l’envoi de cette commission à Bucarest. Cette dernière, composée de
François Richard, Hall-Patch et Gijsbert W. Bruins, sera finalement reçue par les
autorités roumaines le 20 février 1934. Sa mission sera facilitée par la
collaboration avec Auboin et les autres experts français travaillant auprès le
Ministère roumain des Finances, Marquis et Picharles.

Le premier constat du rapport établi par cette commission est qu’il ya une très
grande disparité entre les moyens d’action dont dispose le gouvernement
roumain et ceux qui seraient nécessaires pour obtenir les résultats convenables.
A cela s’ajoutent la désorganisation des finances roumaines en raison des
engagements irréguliers, les évaluations de recettes excessives, les méthodes

809
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/8 : Protocole signé par Dinu Bratianu le 13 décembre 1933, p.1.
287

810
défectueuses de perception des impôts, etc. En ce qui concerne le budget
pour l’année 1933-1934, la commission constate un déficit de trois milliards de
lei, compte tenu des engagements irréguliers qui, ont étaient effectués par les
811
dirigeants roumains. Si les recettes de l’État roumain ne pourront pas être
augmentées pour l’année 1934-1935, la commision estime possible
l’introduction de nouveaux impôts indirects sur l’alcool et le chiffre d’affaires,
dont les tarifs sont généralement inférieures à ceux pratiqués par les autres
812
pays qui ont la même structure économique que la Roumanie. De cette
manière, la Roumanie couvrira une partie de son déficit budgétaire car, selon les
membres de cette commission, les nouveaux impôts pourront lui apporter deux,
voire deux milliards de demi de lei. Afin que la Roumanie puisse réaliser son
équilibre budgétaire pour 1934-1935, les Experts concluent à un nouvel
allègement de la charge de la dette de l’ordre d’un milliard de lei. La charge de
813
la dette sera, ainsi, réduite à 2.400 millions de lei pour l’exercice 1934-1935.
Une fois que le déficit budgétaire sera comblé, par suite de l’introduction de
nouveaux impôts, la charge de la dette devra être réévaluée. Quant à la
capacité de transfert, les Experts établissent également une réduction d’au
814
moins 500 millions de lei par rapport à l’année budgétaire 1933-1934.

Le 24 juillet 1934, le Ministre des Finances Victor Slavescu réussit à conclure


avec les créanciers de la Roumanie un nouvel accord sur les modalités de
reprise du service des emprunts directs de l’État roumain, ainsi que ceux de la

810
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006 /4 : Le Rapport de la commission des Experts sur la situation
financière de la Roumanie, le 29 mars 1934, pp. 1-15.
811
L’année budgétaire roumaine s’achève le 31 mars. La nouvelle année
er
commence le 1 avril.
812
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006 /4: Le Rapport de la commission des Experts sur la situation
financière de la Roumanie, le 29 mars 1934, p. 11.
813
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006 /4: Le Rapport de la commission des Experts sur la situation
financière de la Roumanie, le 29 mars 1934, p. 11.
814
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006 /4: Le Rapport de la commission des Experts sur la situation
financière de la Roumanie, le 29 mars 1934, p. 14.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

815
Caisse Autonomes des Monopoles. Cet accord prévoit la suspension pour
une durée de trois ans de l’amortissement de la plupart des emprunts roumains.
Le service des emprunts de la Caisse Autonome des Monopoles est assuré sur
la base de l’Accord Slavescu qui envisage les allégements suivants pour les
er er
échéances comprises entre le 1 août 1934 et le 1 février 1937 (Tableau XVI).

Tableau XVI : Accord Slavescu sur le service de la dette extérieure


roumaine, août 1934 - février 1937
Accord Amortissement Coupons
er
24 juillet Suspendus jusqu’au 1 Paiements en espèces à l’échéance
1933 octobre 1936 pour
l’emprunt de 1929 et
er
jusqu’au 1 mars 1937 Emprunt de 7% de 1929
pour l’emprunt de 1931.
er er
1 août 1934 - 1 février 1935 : 50%
er er
1 août 1935 - 1 février 1936 : 53%
er er
1 août 1936 - 1 février 1937 : 55%

Emprunt de 7,5% de 1931

er er
1 avril 1934 - 1 octobre 1934 : 50%
er er
1 avril 1935 - 1 octobre 1935 : 53%
er er
1 avril 1936 - 1 octobre 1936 : 55%

Sources: URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise :


L’expérience des emprunts roumains à la bourse de Paris durant l’entre-deux-
guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, p. 41 et Archives de la
BNR, Fonds Secretariat, Année 1934 : Lettre de la Caisse Autonome des
Monopoles à la Banque Nationale de Roumanie, le 31 juillet 1934.

Le tableau ci-dessous nous indique le montant total des allégements de la dette


extérieure roumaine par suite de la conclusion de l’Accord Slavescu (Tableau
XVII).

815
Archives de la BNR, Fonds Secretariat, Année 1934: Lettre de la Caisse
Autonome des Monopoles à la Banque Nationale de Roumanie, le 31 juillet
1934.
289

Tableau XVII : Le montant des allégements de la dette extérieure roumaine

Service des Service des Montant de


emprunts avant emprunts après l’allégement
l’Accord l’Accord
Slavescu Slavescu
Emprunts 156 615 258,01 51 817 091, 92 104 798 166,10
extérieurs directs
de l’Etat roumain

Emprunts de la
Caisse Autonome 478 015 280,24 258 894 000,6 219 121 279,56
des Monopoles

Total 634 630 538,25 310 711 092,61 323 919 445,65

Source: URECHE-RANGAU, Loredana, Dette souveraine en crise :


L’expérience des emprunts roumains à la bourse de Paris durant l’entre-deux-
guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, p. 42.

Par suite des difficultés de transfert, la Roumanie suspendra en août 1935 une
nouvelle fois ses paiements à l’étranger. Après cette date, chaque pays
créancier doit négocier directement avec la Roumanie afin de régulariser sa
situation. Ainsi, le 7 février 1936, la Roumanie signe un accord avec la France
qui prévoit la reprise des paiements en juin 1936, grâce aux facilités accordées
aux exportations en France et à l’acquisition par un groupe français des trois
quarts des redevances pétrolières revenant au gouvernement roumain. Malgré
la réduction des difficultés des transferts, par suite des accords commerciaux
avec la France, la Roumanie engage dès octobre 1936 de nouvelles
négociations visant la prolongation de l’accord du 24 juillet 1934 qui arrive à
er
échéance le 31 mars 1937. Ces négociations arrivent à un nouvel accord, le 1
mars 1937, applicable à tous les emprunts roumains émis sur le marché
français.

er
Le dernier rapport publié le 1 février 1935 par Roger Auboin avant son départ
de Roumanie nous donne un ultime aperçu de la situation financière et
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

816
monétaire de la Roumanie. Dans ce rapport, Auboin met en évidence, ainsi
que Rist l’avait fait en mai 1932, la désorganisation des finances roumaines et
l’inefficacité des mesures prises par les dirigeants roumains pour le
redressement du pays. L’application partielle, voire l’ajournement, des mesures
recommandées aux dirigeants roumains depuis 1932, l’augmentation des
dépenses et des engagements hors budget, malgré les restrictions
administratives et la pénurie des devises, ne représentent que quelques causes
qui sont à l’origine des difficultés économiques, financières et monétaires de la
Roumanie. À titre d’exemple, le budget de l’exercice 1933-1934 s’est soldé avec
817
un déficit de 3 millions de lei. Pour l’année 1934-1935, les recettes sont fixées
à 20.451.000 millions de lei, alors que les recettes réelles de l’année précédente
n’ont été que de 18.364.100 millions de lei, soit une augmentation de 2.088.000
millions de lei. Or, le gouvernement roumain n’avait pris aucune mesure afin de
818
justifier cette augmentation. Quant aux dépenses, elles augmentent de 3
millions de lei par rapport à l’année 1933-1934.

Dans ses conclusions, Roger Auboin recommande encore une fois la réforme
du système financier depuis l’établissement du budget et jusqu’aux méthodes de
perception de l’impôt, mesures qui permettront à la Roumanie de s’adapter aux
nouvelles conditions économiques et financières internationales. « Les mesures
qui s’imposaient en mai 1932, souligne Auboin, s’imposent toujours, mais
819
seulement d’une manière plus pressante encore. » La première mesure à
prendre par les dirigeants roumains est celle de maintenir le total des dépenses,
autres que le service de la dette, au niveau des dépenses réelles de 1932-1933

816
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/4 : Roger Auboin, Rapport annuel sur la situation financière et
monétaire de la Roumanie, février 1935,
817
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/4 : Roger Auboin, Rapport annuel sur la situation financière et
monétaire de la Roumanie, février 1935, p. 9.
818
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/4 : Roger Auboin, Rapport annuel sur la situation financière et
monétaire de la Roumanie, février 1935.
819
Archives de la BdF, Paris, Missions financières françaises en Roumanie, No.
1370200006/4 : Roger Auboin, Rapport annuel sur la situation financière et
monétaire de la Roumanie, février 1935.
291

et de 1933-1934, au-dessous de 15 milliards de lei par an. Pour Auboin, cette


mesure est entièrement possible, sans trop de sacrifices, à condition que les
dirigeants de Bucarest acceptent de renoncer aux augmentations injustifiées de
personnel et de dépenses d’investissement. La deuxième mesure, préconisée
par Auboin, concerne l’augmentation et l’extension de l’assiette fiscale sur le
chiffre d’affaires, dont le taux est très bas en Roumanie par rapport aux autres
pays. Cette mesure vise, notamment, la réforme du régime de l’alcool qui est
soumis à des taxes de 2 à 5 fois plus faibles que celles qui sont pratiquées à
l’étranger. Les mesures recommandées par Auboin aux dirigeants roumains
seront inefficaces si elles ne constitueront pas ensemble cohérent dont
l’application soit poursuivie avec ténacité jusqu’à l’obtention des résultats
satisfaisants.

Le rapport de Roger Auboin représente, ainsi, un réquisitoire très sévère contre


les dirigeants roumains qui n’ont pas respecté les engagements pris en février
1929 envers les créditeurs étrangers et la Banque de France. Après la
er
publication de ce rapport le 1 février 1935, le Ministre roumain des Finances
Victor Slavescu décide de présenter sa démission du gouvernement
820
Tatarescu.

2. Les efforts du Quai d’Orsay de maintenir la Roumanie dans la sphère


d’influence française

La nouvelle configuration des relations diplomatiques internationales au début


des années trente, par suite du retour sur le devant de la scène internationale de
l’Allemagne et de la Russie soviétique, annonce le changement de l’ordre
politique

820 er er
Durant la période 1 février 1935 - 1 février 1939 Victor Slavescu remplit les
er
fonctions de Directeur de la Société Nationale de Crédit Industriel. Du 1 février
1939 au 4 juillet 1940, il est nommé Ministre de Guerre. Après cette date, il se
consacrera entièrement à son activité d’enseignant à l’Académie de Sciences
économiques et commerciales jusqu’en 1947 quand le Parti Communiste
l’obligera à quitter ce poste.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

définie par les Traité de Paix de 1919-1920. La diplomatie française, hantée par
la renaissance du danger allemand, décide de rédéfinir sa politique étrangère
envers l’U.R.S.S. et, implicitement, envers ses alliés d’Europe centrale en
appuyant un rapprochement avec Moscou afin de créer une nouvelle force de
dissuasion contre les éventuelles visées expansionnistes des dirigeants de
Berlin. Pour le Quai d’Orsay, l’intégration de la Russie soviétique dans le
système d’alliance politique et militaire établi en Europe centrale permettra à la
France d’assurer la défense du statu quo post bellum et de renforcer la
résistance de ses alliés centre-européens (la Pologne, la Roumanie, la
Tchécoslovaquie et la Yougoslavie) à l’expansionnisme allemand dans cette
région.

De par leur position géo-stratégique et leurs préoccupations communes à l’égard


de la Russie soviétique, la Pologne et la Roumanie sont appelées à jouer un rôle
important dans le nouveau système d’alliance, envisagé par la diplomatie
française dès 1932. De force de dissuasion contre l’U.R.S.S. durant les années
vingt, ces deux États centre-européens se voient attribuer par l’allié français un
nouvel rôle de protection contre le danger allemand, ainsi que celui de pont
stratégique pour l’Armée Rouge dans l’éventualité d’un conflit avec l’Allemagne.
Rappelons que la Roumanie et la Pologne sont liées depuis le 3 mars 1921 par
une convention militaire défensive, dirigée contre les revendications territoriales
821
de l’Union soviétique. Cette convention a été renouvelée à deux reprises, le 26
mars 1926 et, respectivement, le 15 janvier 1931.

Si jusqu’au début des années trente, la Russie soviétique représentait la


principale menace à la fois pour la Pologne et la Roumanie, en raison des
divergences territoriales, la situation se modifie dès 1933, par suite des
changements politiques survenus à Berlin. À la différence des dirigeants de
Bucarest, les dirigeants de Varsovie sont de plus en plus préoccupés par le
retour de l’Allemagne sur la scène internationale en raison des éventuelles
revendications territoriales des nouveaux dirigeants de Berlin sur le corridor de

821
Cf. SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, pp.
146-150.
293

Dantzig. Au croisement des préoccupations défensives de la France, la Pologne


accueille avec satisfaction les nouvelles considérations politiques des dirigeants
de Quai d’Orsay en décidant de soutenir également le rapprochement avec la
Russie soviétique. Le 25 juillet 1932, le rapprochement polono-russe aboutit à la
822
signature à Moscou d’un pacte de non-agression entre les deux pays. Paris
signe à son tour avec les dirigeants soviétiques un pacte de non agression le 29
novembre 1932, ratifié par le Parlement français en mai 1933.

Si à Varsovie la politique de rapprochement avec l’Union soviétique fait


l’unanimité, il en est autrement à Bucarest. Préoccupés par la question de la
Bessarabie, dont l’union avec la Roumanie n’a pas été reconnue par les
dirigeants soviétiques, les autorités de Bucarest manifestent immédiatement leur
réticence face à un éventuel rapprochement avec Moscou. En l’absence de toute
divergence territoriale avec l’Allemagne, les dirigeants de Bucarest refusent
d’envisager la réorientation de leur politique étrangère vers la Russie
823
soviétique. D’emblée, ce refus provoque le mécontentement et les réactions
de la France et de la Pologne qui, réclament la modification de la politique
soviétique des dirigeants de Bucarest, ainsi que la reprise immédiate des
relations diplomatiques avec Moscou. Les autorités polonaises, ainsi que le
824
souligne Frédéric Dessberg , se sont même proposées comme médiateur pour
825
la conclusion d’un pacte de non-agression roumano-soviétique. Mais,
l’exigence des dirigeants de Bucarest de subordonner les négociations à la
reconnaissance de l’union et de l’intégration de la Bessarabie dans la Roumanie
par les dirigeants soviétiques détermine la Pologne à renoncer à son rôle de
médiateur surtout que les autorités soviétiques ont déjà annoncé leur refus de
lier la question de la Bessarabie à la conclusion de tout accord avec la

822
Cf. DESSBERG, Frédéric, « La Roumanie et la Pologne dans la politique
soviétique de la France : la difficulté d’établir en « front uni » », in Revue
historique des armées, No. 244, 2006, pp. 60-72.
823
SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, pp.
340-345.
824
DESSBERG, « La Roumanie et la Pologne dans la politique soviétique de la
France : la difficulté d’établir en « front uni » ».
825
Cf. DESSBERG, « La Roumanie et la Pologne dans la politique soviétique de
la France : la difficulté d’établir en "front uni" », pp. 60-72.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Roumanie. L’intransigeance des dirigeants roumains provoque l’indignation des


dirigeants de Varsovie qui les accusent de s’éloigner des principes et des
intérêts qui les unissent depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Les
propos tenus le 26 juin 1934 au Ministre français de Vienne, par Gavronsky,
Chargé d’Affaires de Pologne à Vienne sont illustratifs à ce sujet : « J’admets
encore que la Yougoslavie vous soit dans une certaine mesures utile pour votre
politique italienne. Mais la Roumanie ? Elle vous a déjà coûté assez cher comme
826
alliée de la guerre et de la paix. »

Dès l’été 1932, le Quai d’Orsay reprend en quelque sorte l’initiative de la


Pologne d’encourager les dirigeants de Bucarest à signer un accord avec
Moscou. Sous les pressions de la diplomatie française, les dirigeants roumains
acceptent d’entamer des discussions avec les dirigeants soviétiques, mais ils
continuent à exiger la reconnaissance de la Bessarabie comme territoire
appartenant à la Roumanie. Or, cette condition laisse déjà entrevoir les difficultés
pour arriver à la signature d’un accord entre les deux. Sans obtenir suffisamment
de garanties concernant le statut de la Bessarabie, les dirigeants de Bucarest
décident de tergiverser les négociations. La question reste néanmoins pendante
durant les années 1932-1933.

Tout en précisant qu’ils restent favorables au rapprochement avec l’Union


soviétique, les dirigeants roumains décident d’adopter une politique de
diversification d’appuis occidentaux. La déclaration faite par les dirigeants
roumains en septembre 1931 illustre bien l’objectif et les principes de cette
politique de diversification d’appuis occidentaux adoptée par Bucarest dans le
contexte du retour sur la scène internationale de l’Union soviétique et de
l’Allemagne. « La Roumanie, déclarent les dirigeants de Bucarest, ne peut avoir
quelque soit son régime qu’une seule politique extérieure : celle qui lui garantie
827
ses frontières, payées avec tant de sang. » Or, dans le contexte actuel, la

826
Archives du MAEF, Paris, Direction Politique et Commerciale, Série Z,
Europe/Roumanie, No. 185 : Propos tenus le 26 juin 1934 par le Chargé
d’Affaires de Pologne à Vienne.
827
Archives du CL, Paris, DEEF 73305 : Roumanie, situation économique et
financière, septembre 1931.
295

seule puissance qui, pourrait assurer à la Roumanie non seulement ses


frontières orientales avec l’U.R.S.S., mais aussi son relèvement économique est
l’Allemagne.

Les nouvelles prérogatives de la politique roumaine commencent à illustrer,


ainsi que le démontre Sandu, le décalage qui se creuse entre la Roumanie et la
828
France pour des raisons politiques et économiques. Certes, la France détient
encore « l’arme financière », mais son pouvoir commence à affaiblir, par suite
de l’absence des mesures pour résoudre les difficultés économiques et
financières éprouvées par la Roumanie dans le contexte de la crise de 1929. En
remplaçant Gabriel Puaux par André Lefèrve d’Ormesson, chargé d’affaires à
er
Munich, à la tête de la représentation diplomatique française en Roumanie le 1
mai 1933, le Quai d’Orsay montre sa préoccupation pour la Roumanie qu’il
souhaite empêcher de se tourner politiquement et économiquement vers
l’Allemagne. Selon Grigore Gafencu, Ormesson et toute la diplomatie française
auraient également joué un rôle très important dans le retour au pouvoir du Parti
829
National Libéral le 14 novembre 1933. Cette hypothèse est également
confirmée par Victr Slavescu qui décrit dans son Journal le voyage effectué à
Paris par les membres dirigeants de cette formation politique du 23 octobre au
8 novembre 1931, afin de s’assurer du soutien de la France dans l’éventualité
830
de leur retour au pouvoir. Dans sa « lutte » contre l’expansion allemande en
Roumanie et en Europe Centrale, le Quai d’Orsay peut aussi compter sur
Nicolae Titulescu, nommé Ministre des Affaires Etrangères du 10 octobre 1932
au 29 août 1936. Décrit par Ormesson comme « partisan d’un rapprochement
répondant à la situation géographique de son pays, comme aux nécessités

828
Cf. SANDU, Le système de sécurité français en Europe centre-orientale, p.
404.
829
GAFENCU, Insemnari politice, 1929-1939, p. 312.
830
SLAVESCU, Note si însemnari zilnice, pp. 56-62.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

831
politiques » , Titulescu est, à la différence de la majorité des membres du
832
gouvernement roumain, favorable au rapprochement avec l’Union Soviétique.

Ainsi, le 9 juin 1934, Titulescu réussit, malgré l’opposition et les critiques des
dirigeants de Bucarest, à conclure avec les dirigeants de Moscou un accord
diplomatique pour la reprise des relations entre les deux pays. L’aspect le plus
remarquable de cet accord est qu’il ne fait aucune référence au statut de la
Bessarabie. La question de l’intégration de cette province dans la Roumanie
reste donc ouverte. La seule chose obtenue par Titulescu est l’engagement des
dirigeants soviétiques à restituer à la Roumanie tout le trésor, déposé à Moscou
en février 1917 par le gouvernement et la Banque Nationale de Roumanie, par
suite de l’occupation d’une partie du territoire roumain par les armées austro-
833
allemandes. Toutefois, la promesse n’est pas tenue par les dirigeants
soviétiques car ils ne restitueront qu’un mètre étalon en platine, les cendres du
prince moldave Dimitri Cantemir, restées en Russie depuis deux siècles, et
1.435 caisses d’archives qui contenaient des titres de propriété, rendus inutiles
834
par la réforme agraire. Quant aux réclamations de la Banque Nationale de
Roumanie qui, souhaitait récupérer les 314.580.456 millions de lei-or,
représentant en 1917 son encaisse métallique, les dirigeants soviétiques
expriment leur refus d’entrer en matière.

831
Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie , No. 179 : Télégramme de Ormesson au Quai
d’Orsay, le 16 novembre 1935, no. 451.
832
Nicolae Titulescu se distingue aussi par ses efforts de consolider la Petite
Entente en tant qu’alliance défensive, dont le principal objectif restait, ainsi qu’il
le soulignait, la sauvegarde de la paix en Europe. Par ailleurs, il participe au
cours de l’hiver 1933-1934 aux négociations pour la création d’une nouvelle
alliance régionale entre les pays balkaniques afin d’assurer la défense de cette
région contre toute éventuelle remise en question de l’ordre international établi
en 1919-1920.
833
Sur les objets et les valeurs, ainsi que l’encaisse métallique de la Banque
Nationale de Roumanie, déposés par les autorités roumaines à Moscou en
février 1917, voir MANOLIU, Florin Emil, La reconstruction économique et
financière de la Roumanie et les partis politiques, Paris, Librairie Universitaire J.
Gamber, 1931, pp. 87-89.
834
PROST, Destin de la Roumanie, p. 91.
297

Dans ces circonstances, la politique menée par Nicolae Titulescu provoque à


Bucarest de fortes réactions étant accusé de poursuivre une politique
« personnelle », en contradiction avec les intérêts de l’État roumain. Loin de
Bucarest car, ainsi que le note Henri Prost, Titulescu évite de séjourner en
Roumanie depuis l’assassinat de Ion Gh. Duca, il adopte une politique de
coopération internationale, fortement inspirée par les principes de la Société des
Nations, mais qui ne représente pas les intérêts de la Roumanie. Quelques
années plus tard, le 27 juillet 1937, le roi Carol II s’exprimera sur la politique de
Titulescu dans ces termes : « Jamais celui-ci ne reviendra aux affaires tant que
835
j’exercerai une influence véritable sur la politique de mon pays. » De par sa
politique, Nicolae Titulescu réussit également à indisposer les dirigeants de
Berlin. En reprochant au gouvernement de Bucarest de mener une politique
hostile à l’égard de l’Allemagne, les dirigeants de Berlin menacent à plusieurs
reprises durant 1933 d’arrêter toutes les importations de produits agricoles
roumains jusqu’à ce que la Roumanie fera preuve de sa bienveillance envers
son principal client commercial.

Il apparaît ainsi que la politique de diversification d’appuis occidentaux menée


par la Roumanie ne laisse guère indifférents les dirigeants allemands et que le
renforcement des liens commerciaux avec l’Allemagne dépendra du
836
changement des relations politiques et diplomatiques entre les deux pays.

Les efforts de l’Allemagne de renforcer le rapprochement avec les pays centre-


européens incitent la diplomatie française à envoyer une mission diplomatique
837
en mai - juin 1934 en Pologne et dans les États de la Petite Entente. Cette
mission, dirigée par le Ministre des Affaires Étrangères Louis Barthou, démontre
que la France n’entend pas rester inactive dans cette région du Vieux Continent

835
Cf. CARMI, Ozer, La Grande-Bretagne et la Petite Entente, Genève,
I.U.H.E.I., 1977, p. 330.
836
Nous allons aborder la question des relations roumano-allemandes dans le
troisième chapitre de cette partie.
837
Sur la mission de Louis Barthou en Pologne et en Tchécoslovaquie, voir
WANDYCZ, Piotr S., The Twilight of French Eastern Alliances, 1926-1936.
French-Czechoslovak-Polish Relations from Locarno to the Remilitarization of
the Rhineland, New Jeresy, Princeton, 1988, pp. 336-371.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

qui est de nouveau convoitée par l’Allemagne. Les dirigeants de Paris expriment
ainsi leur volonté de défendre les intérêts et l’influence acquise par la France en
Europe centrale durant les années vingt en apportant un argument de poids :
« Quiconque voudrait prendre un centimètre carré de votre territoire se
heurterait à votre résistance. Mais votre résistance ne serait pas seule : vous
838
avez la voix, l’appui et le cœur de la France. » Les étapes du « voyage
diplomatique », organisé par le Quai d’Orsay sont par ordre chronologique
Varsovie (22 - 25 avril 1934), Prague (26 - 27 avril 1934, Bucarest (19 - 23 juin
1934) et Belgrade (24 - 26 juin 1934). Par ce voyage Barthou cherche à
resserrer le système d’alliance avec les États centre-européens afin de réaliser
839
une « collaboration européenne » dans le cadre de la Société des Nations.

À Bucarest, Barthou rencontre les dirigeants du gouvernement roumain et, plus


particulièrement, le Ministre des Affaires Etrangères Nicolae Titulescu et le
Président du Conseil Gheorghe Tatarescu. Dans ses discussions avec les
dirigeants roumains, il insiste sur la nécessité de défendre les Traités de Paix de
1919-1920 et de poursuivre la restauration économique du bassin danubien
840
« sans abdiquer devant une suprématie ni devant aucune hégémonie. » Aux
yeux des dirigeants de Paris, le développement du commerce roumano-
allemand apparaît comme une faiblesse de la part du gouvernement roumain
qui, sans se rendre compte, s’incline devant l’Allemagne. La visite de Louis
Barthou à Bucarest provoque immédiatement dans la presse allemande toute
une série de commentaires visant à dénoncer la politique provocatrice menée
par la France dans les États de la Petite Entente à l’égard de l’Allemagne. « Un
vent qui vient de Paris, déclare la Gazette de la Bourse, gonfle de nouveau les
voiles de la Petite Entente. Celle-ci recommence à se conformer point par point

838
Archives du MAEF, Direction Politique et Commerciale, Série Z,
Europe/Roumanie, No. 185 : Discours de Barthou devant le Parlement roumain,
le 21 juin 1934.
839
Cf. DESSBERG, Frédéric, Le triangle impossible. Les relations franco-
soviétiques et le facteur polonais dans les questions de sécurité en Europe
(1924-1935), Bruxelles, Peter Lang, 2009, p. 341.
840
Archives du MAEF, Direction Politique et Commerciale, Série Z,
Europe/Roumanie, No. 185 : Discours prononcé à Bucarest par Barthou, le 20
juin 1934.
299

841
aux instructions de la France. » Le journal allemand reproche aux dirigeants
de Paris de vouloir maintenir les blocs rivaux, crées à l’issue de la Première
Guerre mondiale, alors que, partout en Europe, les hommes politiques affirment
leur volonté de mettre fin à la division du Vieux Continent en États vaincus et
États vainqueurs qui subsiste depuis les années 1919-1920. Les rumeurs, selon
lesquelles la France aurait promis à la Roumanie un nouvel emprunt,
déterminent la presse allemande à lancer une campagne contre « l’or français »
en soulignant avec amertume le fait que : « C’est par son or que la France
842
cherche une fois de plus à enchaîner les États de la Petite Entente. » « De
l’or français pour Bucarest » annonce de nombreux journaux allemands dans
leurs éditions du 24 juin et du 25 juin 1934.

La question de « l’or français » est effectivement abordée dans les discussions


qui ont lieu à Bucarest entre les dirigeants roumains et Louis Barthou. En
exprimant ses inquiétudes par rapport à la situation générale de l’Europe, dont
la détérioration pourrait avoir de graves conséquences sur la Roumanie,
Ghoerghe Tatarescu insiste sur la nécessité d’obtenir une aide financière
française pour assurer l’organisation et l’équipement de l’armée. Cette dernière,
ainsi que le souligne le Président du Conseil roumain, a un grand besoin de
pièce d’artillerie, de munitions, de canon Brandt afin qu’elle puisse assurer à la
843
fois la défense de la Roumanie et celle de la France. À l’inquiétude de
Barthou par rapport aux difficultés financières de la Roumanie et leurs
répercussions sur le paiement de la dette extérieure, Tatarescu affirme vouloir
généraliser l’utilisation du pétrole comme moyen de règlement des dettes
roumaines. Pour ce faire, Tatarescu décide de se rendre à Paris durant l’été

841
Archives du MAEF, Paris, Direction Politique et Commerciale, Série Z,
Europe/Roumanie, No. 185 : La Presse allemande, Note de Berlin, le 23 juin
1934, no. 1157.
842
Archives MAEF, Paris, Direction Politique et Commerciale, Série Z,
Europe/Roumanie, No. 185 : La Presse allemande, Note de Berlin, le 23 juin
1934, no. 1157.
843
Archives du MAEF, Paris, Direction Politique et Commerciale, Série Z,
Europe/Roumanie No. 185 : Entretien à Bucarest entre Louis Barthou et
Tatarescu, le 21 juin 1934.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

1934 afin de soumettre aux dirigeants de Paris son projet d’équipement de


844
l’armée roumaine et les modalités de paiement.

Toutefois, l’aggravation de la situation économique et l’impossibilité de résoudre


les difficultés économiques et financières incitent les gouvernants de Bucarest à
se tourner progressivement vers l’Allemagne. Le besoin de commercer avec
l’Allemagne heurte les intérêts de la diplomatie française, dont sa politique
centre-européenne a pour objectif de faire de ce pays une barrière à
l’expansionnisme allemand et non pas un allié. Cantonnés dans une position
défensive et soucieux avant tout de contrecarrer l’expansionnisme allemand, les
dirigeants de Paris ont sous-estimé et négligé les besoins de ce pays agricole de
s’assurer un marché d’exportation.

844
Archives du MAEF, Paris, Direction Politique et Commerciale, Série Z,
Europe/Roumanie, No. 185 : Entretien à Bucarest entre Louis Barthou et
Tatarescu, le 21 juin 1934.
301

CHAPITRE III : L’INFLUENCE FRANÇAISE À L’ÉPREUVE DES INTÉRÊTS


ECONOMIQUES ET POLITIQUES ALLEMANDS, 1933-1935

Dès le début des années trente, les millieux officiels allemands commencent à
accorder une attention particulière aux États agricoles de l’Europe centrale, dont
la situation économique et financière a été fortement fragilisée par la crise de
1929. L’intérêt de l’Allemagne pour cette région qui est considérée depuis la fin
845
du XIXe siècle par les théoriciens de la politique allemande comme l’axe
principal de l’expansion germanique, a fait l’objet de nombreuses études après
846
la Deuxième Guerre mondiale. L’analyse approfondie des concepts de
Mitteleuropa et de Grosswirtschaftsraum permet à la fois aux historiens des
relations internationales et de l’histoire économique de démontrer l’importance
et le rôle politique et, notamment, économique accordés par les dirigeants de
Berlin à l’Europe centrale durant les années trente. Cette région est destinée, de
par sa configuration économique, sa position géo-stratégique, ainsi que sa
tradition historique, à assurer à l’Allemagne le statut de grande puissance.

847
Il convient de préciser que le terme de Mitteleuropa , comme toutes les
différentes expressions utilisées pour désigner des groupes à géométrie variable

845
Nous mentionnons notamment Josef Partsch, Friedrich Naumann, Friedrich
List, etc.
846
BASCH, Antonin, The Danube Basin and the German Economic Sphere,
London, Kegan Paul, Trench, Trubner & Co., 1944, DROZ, Jacques, L’Europe
Centrale. Evolution historique de l’idée de Mitteleuropa, Paris, Payot, 1960,
MARGUERAT, Philippe, Le III Reich et le pétrole roumain, 1938-1940.
Contribution à l’étude de la pénétration économique allemande dans les Balkans
à la veille et au début de la Seconde Guerre mondiale, Genève, H.E.I., 1977,
SCHIRMANN, Sylvain, Les relations économiques et financières franco-
allemandes 1932-1939, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière
de la France, 1995, STIK, Peter (ed.), Mitteleuropa. History and prospects,
Edinburgh, Edinburgh University Press, 1994.
847
Pour un approfondissement des théories spatiales, cultures et économiques
sur la Mitteleuropa, voir DROZ, Jacques, L’Europe Centrale. Evolution historique
de l’idée de Mitteleuropa, Paris, Payot, 1960, pp. 15-127, ELVERT, Jürgen, «
Plans allemands d’entre les deux guerres mondiales pour la Mitteleuropa » in
BUSSIERE, Eric, DUMOULIN, Michel, SCHIRMANN, Sylvain (éds.) Milieux
économiques et integration européenne au XXe siècle, Paris, Comité pour
l’histoire économique et financière de la France, 2001-2002, pp. 30-38.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

n’est pas neutre. Cette expression, utilisée de manière floue par les auteurs
e
allemands du XIX siècle, est liée à l’idée de l’héritage du Saint Empire
germanique et s’appuie sur la communauté de la langue et de la culture
allemande. Le géographe Josef Partsch publie en 1904 une étude sur la
Mitteleuropa qui cherche à donner une définition spatiale à cette notion. La
Mitteleuropa symbolise, depuis lors, l’ensemble des plans élaborés par
l’Allemagne en vue de la création d’un territoire économique qui englobe l’Europe
danubienne dans le sens le plus large. Dans son ouvrage, Partsch s’attache à
démontrer l’unité géographique et économique des pays qui se trouvent entre les
Alpes Occidentales et les Balkans. Il donne le nom de Mitteleuropa à ce vaste
territoire, où l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie seront les blocs économiques les
plus forts. Mais, c’est Friedrich Naumann, député libéral au Reichstag qui porte
la question de la Mitteleuropa à son point culminant. Il expose sa théorie dans
l’ouvrage, aussi intitulé la Mitteleuropa, publié en octobre 1915. Dans son projet,
Naumann plaide pour la création d’un vaste territoire économique en Europe
centrale afin d’éviter que le peuple allemand soit écrasé par les grands
groupements économiques, en l’occurrence la Grande-Bretagne, la Russie et les
Etats-Unis. Dans ce but, l’Allemagne doit former un vaste groupement
économique et politique dans l’Europe centrale, qui engloberait l’Autriche-
Hongrie, le Royaume de Serbie, la Bulgarie, le Royaume de Roumanie et la
Turquie. La Première Guerre mondiale interrompt la création de cet ensemble
économique et politique qui, aurait assuré à la Allemagne le statut de grande
puissance aux côtés de la Russie, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis.
Toutefois, ce projet reste au centre de la politique allemande et il sera le thème
d’élection de l’extrême droite en janvier 1933. En tant que source de
ravitaillement en produits agricoles, en pétrole, en minerais et en différents
métaux, les États centre-européens sont voués à assurer à l’Allemagne une
place importante sur la scène internationale.

et STIK, Peter (ed.), Mitteleuropa. History and prospects, Edinburgh, Edinburgh


University Press, 1994.
303

Face au manque de dynamisme et à l’inéfficacité des mesures prises, soit à


l’échelle régionale, soit à l’échelle internationale, pour résoudre les problèmes
économiques et financiers engendrés par la crise de 1929, l’Allemagne parvient
rapidemment à (re)développer ses relations économiques et commerciales avec
les pays de la Mitteleuropa. Le besoin de ces pays d’exporter en l’Allemagne
leurs produits agricoles et leurs matières premières explique la facilité avec
laquelle les dirigeants de Berlin arrivent à renforcer leur présence dans cette
région du Vieux Continent. La logique économique et, plus particulièrement,
commerciale affichée par l’Allemagne dans ses relations avec les économies
traditionnelles des Etats centre-européens heurte progressivement les intérêts
politiques et militaires, acquis par la France dans ces pays centre-européens
depuis la fin de la Première Guerre mondiale.

Les représentants de la diplomatie française à Berlin et dans les pays de la


Petite Entente avertissent à plusieurs reprises les dirigeants du Quai d’Orsay de
848
l’intérêt croissant de l’Allemagne pour les États agricoles de l’Europe centrale.
En insistant sur les efforts de l’Allemagne de développer les relations
économiques et commerciales avec les États de la Petite Entente, le Ministre
français à Berlin, François Poncet, déclare, le 28 mai 1932, que les
conséquences d’une telle action pourraient être très graves pour la France car
« la perte de son influence dans le bassin danubien sera une atteinte sérieuse à
849
son rôle de grande Puissance en Europe. » Afin d’éviter une telle situation,
François Poncet suggère aux dirigeants de Paris d’entreprendre dans cette
région une action économique et commerciale plus intense.

Les rumeurs, selon lesquelles le gouvernement roumain aurait entamé en juillet


1933 des négociations avec un groupe industriel allemand pour la vente d’une
très grande quantité de céréales, déterminent les dirigeants de Paris à prendre le

848
Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 182 : Note sur la visite de Antonescu à Paris et
sur l’opinion allemande, le 31 décembre 1936, no. 1894.
849
Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 182 : Télégramme de François Poncet, Ministre
de France à Berlin, au Quai d’Orsay, le 28 mai 1932, no. 1025.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

850
danger allemand au sérieux. Chargé par le Ministre Puaux de vérifier la
véracité de ces rumeurs, Roger Auboin informe la diplomatie française que
effectivement un groupe industriel allemand, dirigé par I. G. Farben, a proposé
au gouvernement roumain l’achat d’une importante quantié de blés à un prix
851
supérieur de 15% à celui pratiqué sur le marché international. « Cette
proposition, avertit Auboin, qui a toutes les chances d’être acceptée puisqu’elle
répond exactement aux préoccupations les plus pressantes du gouvernement
roumain, atteindrait directement les négociations en cours ou à prévoir entre la
852
Roumanie et la France. » L’Expert technique de la Banque Nationale de
Roumanie fait, en effet, référence aux négociations que la France doit
commencer avec le gouvernement roumain à la fois pour le règlement de la dette
extérieure roumaine et pour la régularisation des paiements commerciaux entre
853
les deux pays. La question du développement des relations économiques
roumano-allemandes au détriment de la France devient, dans ces circonstances,
une véritable préoccupation pour les dirigeants de Paris.

La France a-t-elle la volonté et les moyens d’empêcher le dévloppement des


relations économiques entre la Roumanie et l’Allemagne ? L’influence politique
et financière acquise dans ce pays durant les années vingt est-elle suffisament
forte pour garder la Roumanie dans la sphère d’influence française ?

850
Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Télégramme de Puaux, Ministre de France
à Bucarest, au Quai d’Orsay, le 20 juillet 1933, no. 271.
851
Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Note sur les pourparlers engagés par le
gouvernement roumain avec un groupe allemand pour l’exportation d’une partie
de la récolte de blé et d’orge, le 19 juillet 1933, no. 272.
852
Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Note sur les pourparlers engagés par le
gouvernement roumain avec un groupe allemand pour l’exportation d’une partie
de la récolte de blé et d’orge, le 19 juillet 1933, no. 272.
853
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Note sur les pourparlers engagés par le
gouvernement roumain avec un groupe allemand pour l’exportation d’une partie
de la récolte de blé et d’orge, le 19 juillet 1933, no. 271.
305

1. L’Allemagne, premier client et fournisseur de la Roumanie

En progression depuis 1925, les échanges commerciaux entre la Roumanie et


l’Allemagne enregistrent dès le début des années trente, par suite de l’échec des
projets de coopération économique régionale et internationale une considérable
augmentation au détriment de la France et de la Grande-Bretagne. À partir de
1933, le marché allemand devient le principal débouché pour les exportations
roumaines, constituées essentiellement de produits agricoles (36%) et de
854
matières premières (61%). À la lecture du tableau Tableau XVIII, on remarque
qu’en 1935 la valeur des exportations roumaines effectuées vers l’Allemagne
croît de 60% par rapport à 1933, alors que celle de la Grande-Bretagne durant la
même période enregistre une régression de 32%.

Tableau XVIII : Part de l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne


dans les exportations roumaines 1933 -1935 (en millions de dollars et en
%)
Années Allemagne France Grande-Bretagne
1933 15.3 10,6% 17.9 13,3% 22.3 18,1%
1934 23.1 16,7% 13.5 11,3% 14.0 12,6%
1935 24.7 16.8 % 6.0 4,2% 14.2 12,3%
Source: DRABEK, Zdenek, « Foreign Trade Performance and Policy », in The
Economic History of Eastern Europe 1919-1975, Oxford, Clarendon Press,
1985, p. 521.

Pour ce qui est des importations, on observe que la Roumanie accroît durant les
années 1933-1935 les achats en Allemagne tout en diminuant ceux effectués en
Grande-Bretagne et en France (Tableau XIX). La Roumanie importe
essentiellement de l’Allemagne des produits métallurgiques, des machines, des
produits chimiques et pharmaceutiques, etc.

854
Archives de la SdN, Genève, Comité économique/Questions économique et
financières : Chiffres essentiels du commerce extérieur des pays danubiens,
Comité économique, 1937, pp. 29-35.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Tableau XIX: Part de l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne


dans les importations roumaines 1933 -1935 (en millions de dollars et en
%)
Années Allemagne France Grande-Bretagne
1933 22.2 18,6% 12.6 10,5% 17.8 15,1%
1934 20.9 15,5% 14.9 11,1% 21.9 17,9%
1935 23.2 23,8% 7.0 7,2% 9.6 10,3%
Source: DRABEK, Zdenek, « Foreign Trade Performance and Policy », in The
Economic History of Eastern Europe 1919-1975, Oxford, Clarendon Press,
1985, p. 514.

Néanmoins, le rythme de la progression des échanges entre la Roumanie et


855
l’Allemagne durant cette période est, comme le souligne Philippe Marguerat ,
largement inférieur à celui des années 1926-1929, quand les exportations vers
l’Allemagne passent de 12,2% à 27,6%. Les tableaux ci-dessous (Tableaux XX
et XXI) nous montrent la valeur des échanges économiques entre la Roumanie
et l’Allemagne durant les années 1925-1929 par rapport à ceux effectués par la
856
Roumanie avec la France, la Grande-Bretagne et l’Italie.

Tableau XX: Exportations de la Roumanie 1925-1929 (en millions de


dollars)
Année Allemagne France Grande- Italie
Bretagne
1925 20.0 13.5 19.3 9.8
1926 36.3 17.9 18.9 25.6
1927 72.1 13.8 23.0 25.7
1928 51.2 13.4 16.3 24.2
1929 81,3 13,2 19,0 22,8

855
MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, 1938-1940, p. 334.
856
Sur cette question, voir CALAFETEANU, Ion, « Les relations économiques
germano-roumaines de 1933 à 1944 » in Revue d'histoire de la Deuxième
Guerre mondiale et des conflits contemporains, No. 140, octobre 1985, pp. 25-
26
307

Source: DRABEK, Zdenek, « Foreign Trade Performance and Policy », in The


Economic History of Eastern Europe 1919-1975, Oxford, Clarendon Press,
1985, p. 521.

Pour ce qui est des importations, nous remarquons qu’entre 1925 et 1929 la
Roumanie augmente de manière importante ses achats en Allemagne.

Tableau XXI : Importations de la Roumanie 1925-1929 (en millions de


dollars)
Année Allemagne France Grande- Italie
Bretagne
1925 40.6 19.0 25.6 26.7
1926 66.9 25.7 24.2 27.6
1927 76.6 26.6 28.9 30.0
1928 77.6 20.9 27.8 24.7
1929 72,5 16,7 21,9 20,6
Source: DRABEK, Zdenek, « Foreign Trade Performance and Policy », in The
Economic History of Eastern Europe 1919-1975, Oxford, Clarendon Press,
1985, p. 514.

En revanche, les investissements des capitaux allemands dans l’économie


roumaine demeurent l’entre-deux-guerres à un niveau très bas. Après avoir vu
ses intérêts réduits à zéro par le Traité de Versailles, l’Allemagne commence à
réinvestir en Roumanie à partir de 1921. Cependant, le mouvement a été lent et
en 1932 les résultats sont très modestes étant estimés à 350 millions de lei, (soit
0,7% du total du capital étranger investi en Roumanie). Ce mouvement ne va pas
s’accélèrer durant les années 1933-1938 et, à la fin de cette période les
investissements allemand s’élèvent à 450 millions de lei (soit 0,9% du total du
capital étranger), plus de deux tiers étant immobilisé dans le secteur tertiaire, sous
la forme d’une grande banque commerciale et de différents comptoirs de vente. Si
l’on compare cette situation à celle des autres pays centre-européens, on
constate qu’en Roumanie la pénétration des capitaux allemands est restée la plus
faible. La situation reste pratiquement la même après l’Anschluss, étant donné
que l’Autriche ne disposait pas de grands investissements de capitaux en
Roumanie. La position de l’Allemagne, estimée à environ 550 millions de lei, est
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

largement inférieure à celles occupées par la Grande-Bretagne, la France, la


Tchécoslovaquie, la Hollande etc.

Si pour Philippe Marguerat, la « lenteur » des investissements et de la


progression des échanges roumano-alleamnds durant les années trente
s’explique notamment par le manque d’intérêt de l’Allemagne pour la Roumanie,
il nous semble important de prendre en considération le poids des facteurs
politiques dans les relations germano-roumaines.

2. Le facteur politique comme principal moyen de pression d’intensifier les


relations économiques et commerciales

Si jusqu’à la fin de l’année 1932 Berlin n’utilise pas le facteur politique, comme
un moyen de pression économique et commerciale sur les pays agricoles de
l’Europe centrale, la situation change dès janvier 1933, par suite de l’arrivée au
857
pouvoir de Adolf Hitler. Décidés à tirer profit sur le plan politique du rôle joué
par l’Allemagne en tant que débouché principal des exportations roumaines, les
dirigeants nazis commencent à utiliser l’appartenance de la Roumanie à la Petite
Entente et au système de sécurité français comme un moyen de pression sur les
dirigeants de Bucarest.

Le 26 mai 1933, dans un entretien avec le Ministre roumain à Berlin, Nicolae


Petrescu-Comnen, Hitler déclare que les dirigeants de Berlin se sont toujours
montrés favorables aux importations de produits agricoles roumains en dépit de
l’indifférence des dirigeants de Bucarest à l’égard de l’Allemagne. Cette situation,
ainsi que le leader nazi avertit Petrescu-Comnen, doit changer car l’Allemagne
n’est plus en mesure de soutenir le développement des relations commerciales
avec la Roumanie que dans la mesure où les relations politiques entre les deux

857
Sur les relations économiques entre la Roumanie et l’Allemagne, voir
CALAFETEANU, « Les relations économiques germano-roumaines de 1933 à
1944 », pp. 23-35.
309

858
pays seront également florissantes. Or, « la Petite Entente, déclare Hitler, est
constamment contre nous. Comment pouvons-nous avoir de bons rapports
économiques avec des pays qui sont, au plan politique, en permanence contre
nous ? » Aux efforts du Ministre roumain d’assurer Adolf Hitler de la
bienveillance des dirigeants de Bucarest à l’égard de l’Allemagne, le leader nazi
réplique en ces termes : « C’est une phrase générale; l’attitude actuelle du
859
gouvernement roumain et de M. Titulescu n’exprime pas votre point de vue.»
Pour justifier les orientations politiques du gouvernement roumain, Petrescu-
Comnen avertit le dirigeant allemand que la Roumanie ne pourra pas se
rapprocher politiquement d’un pays qui, à la fois, est attaché à la révision des
Traités de Paix de 1919-1920 et soutient les revendications territoriales de la
Hongrie et de la Bulgarie. Mais, le dernier argument invoqué par Nicolae
Petrescu-Comnen au sujet de l’éventuel soutien des révisionnismes bulgare et
hongrois ne représente pas pour Hitler un véritable motif car l’Allemagne
n’accordait pas beaucoup d’importance aux revendications territoriales et
860
militaires des dirigeants de Budapest et de Sofia .

Les nouvelles prérogatives de la politique hitlérienne apparaissent également


dans les propos tenus au Ministre roumain à Berlin par Alfred Rosenberg, Chef
du bureau diplomatique du Parti National-Socialiste, et ses collaborateurs au
sujet des relations économiques et politiques que le Reich souhaitait développer
861
avec les États de l’Europe centrale.

858
Archives MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet
des discussions Petrescu-Comnen –Hitler, le 31 mai 1933.
859
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Télégramme de Puaux au Quai d’Orsay, le
30 août 1933, no. 306.
859
Archives de la SdN, Genève, Comité économique/Questions économique et
financières : Chiffres essentiels du commerce extérieur des pays danubiens,
Comité économique, 1937, pp. 29-35.
860
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet
des discussions Petrescu-Comnen - Hitler, le 31 mai 1933.
861
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet de
la politique des nationaux-socialistes en Europe orientale, le 21 juin 1933.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Dans une entrevue avec François Poncet, Nicolae Petrescu-Comnen signale la


détermination des dirigeants de Berlin d’attacher une grande importance au
développement des relations politiques entre la Roumanie et l’Allemagne. Daitz,
un des collaborateurs de Rosenberg, ainsi que le déclare Petrescu-Comnen, a
conseillé la Roumanie de réviser immédiatement son système d’alliance politique
et militaire, ainsi sa politique étrangère, si elle souhaitait continuer à exporter ses
produits agricoles sur le marché allemand. « La Roumanie, affirme Daitz, doit
renoncer à ses amitiés politiques et se préparer à une collaboration aussi étroite
que possible avec l’Allemagne. Désormais, l’Allemagne n’admettra plus les
attitudes équivoques, elle désire que les pays qui veulent entretenir avec elle des
relations économiques étroites commencent par réviser leur politique étrangère
862
et se déclarent catégoriquement en faveur d’une entente avec le Reich. » Il
apparaît ainsi que le facteur politique devient, en quelque sorte, une arme pour
les dirigeants de Berlin qui, entendent l’utiliser comme moyen de pression sur les
États centre-européens souhaitant développer leurs relations économiques avec
863
l’Allemagne. L’objectif de cette nouvelle politique est, ainsi que l’affirme Daitz,
de « faire de l’Allemagne une citadelle où, en cas de conflit politique, nous
864
puissions nous enfermer et nous alimenter par nos propres moyens. »

Préoccupé par les changements politiques et idéologiques survenus à Berlin,


ainsi que de leurs conséquences sur les relations économiques roumano-
allemandes, Petrescu-Comnen informe les dirigeants de Bucarest des discutions
qu’il a eu avec les dirigeants nazis et de la nouvelle configuration de la politique
allemande à l’égard de l’Europe centrale. « La Roumanie, écrit Petrescu-
Comnen, doit affronter des difficultés spéciales en raison de sa position
géographique. C’est pour cette raison-là qu’elle ne peut pas avoir une orientation

862
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet de
la politique des nationaux-socialistes en Europe orientale, le 21 juin 1933.
863
CALAFETEANU, « Les relations économiques germano-roumaines de 1933
à 1944 », p. 27.
864
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet de
la politique des nationaux-socialistes en Europe orientale, le 21 juin 1933.
311

865
politique unilatérale. » Afin de renforcer les relations économiques et
commerciales avec l’Allemagne, il suggère au gouvernement roumain de
démontrer la volonté d’améliorer les rapports politiques et diplomatiques avec les
dirigeants nazis. Les conseils de Nicolae Petrescu-Comnen semblent avoir été
suivis par les dirigeants de Bucarest car les relations économiques entre la
Roumanie et l’Allemagne enregistrent durant l’automne 1933 une certaine
amélioration.

Ainsi, le 8 septembre 1933, le gouvernement roumain réussit à signer avec I. G.


Farben un accord qui, prévoit l’achat de céréales et de oléagineux pour un
866
montant total de 680 millions de Reichsmarks. Face à la demande croissante
des entreprises allemandes pour les oléagineux, les dirigeants de Bucarest se
proposent dès novembre 1933 d’accroître les cultures de soja, de millet et de lin
867
afin de pouvoir satisfaire les exigences de son principal partenaire commercial.
Comment expliquer ce renforcement des relations économiques et commerciales
entre les deux pays ? La réponse à cette question réside dans l’ouverture des
négociations entre la Roumanie et l’Allemagne en novembre 1933 en vue de la
conclusion d’un pacte de non-agression. Interrogé par François Poncet sur
l’existence de ces négociations, car le gouvernement roumain n’avait donné
aucune information aux dirigeants de Paris, Petrescu-Comnen confirme le fait
que le gouvernement de Bucarest avait envisagé de signer un pacte de non-
agression avec l’Allemagne, mais qu’il a rapidemment abandonner cette idée par
868
crainte d’indisposer ses alliés traditionnels. Dans un télégramme adressé au

865
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de
Nicolae Petrescu-Comnen à Vaida-Voevod, Président du Conseil roumain, le 26
mai 1933.
866
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Convention passée entre le gouvernement
roumain et I. G. Farben, le 2 septembre 1933, no. 370.
867
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Télégramme de Poncet au Quai d’Orsay,
le 30 novembre 1933, no. 2135.
868
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Poncet à Paris au sujet du
projet de Pacte de non-agression germano-roumain, le 29 novembre 1933, no.
2129.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Quai d’Orsay, Poncet affirme qu’il ignorait si les négociations ont véritablement
été suspendues et demande aux dirigeants de Paris de se renseigner
rapidememnt auprès du Ministre de France à Bucarest, Ormesson. Le 20
décembre 1933, ce dernier informe la diplomatie française qu’il y a effectivement
à Bucarest des rumeurs selon lesquels le roi Carol II aurait pris la décission de
donner une nouvelle orientation à la politique extérieure roumaine, mais qu’il n’a
pas réussit à obtenir des informations sur les négociations entre la Roumanie et
869
l’Allemagne. Ces renseignements donnent encore une fois l’occasion au Quai
d’Orsay de s’interroger sur la politique et la sincérité de l’amitié que Carol II
affirme éprouvée pour la France. Ainsi que l’ancien Ministre de France à
Bucarest Puaux l’avait signalé, Carol II souhaitait organiser la politique étrangère
de la Roumanie en fonction de ses intérêts personnelles, dictés par la sympathie
870
ou l’antipathie qu’il a envers les gens. À titre d’exemple, Carol II manifestait
peu de sympathie pour la Tchécoslovaquie car « c’est une république de petits
871
gens et de professeurs. » Le conseil donné par Gabriel Puaux aux dirigeants
du Quai d’Orsay était de rester très prudents à l’égard du souverain roumain et
de ne lui accorder qu’une confiance très limitée car « il est velléitaire et peu
équilibré dans l’esprit duquel prédominent les hérédités prusiennes et
872
slaves. » Malgré tous les efforts de Carol II d’assurer la France de son
attachement aux alliances tradionnelles de la Roumanie, le Quai d’Orsay formule
des réserves à l’égard de la politique étrangère menée par les dirigeants de
Bucarest. Cela donne l’occasion à la presse allemande de s’interroger sur la
résistance des liens entre la France et la Roumanie dans les conditions où les

869
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 178 : Télégramme de Ormesson à Paris au
sujet de la politique étrangère de la Roumanie, le 20 décembre 1933, No. 439.
870
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 557 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai
d’Orsay, le 27 avril 1931.
871
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 557 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai
d’Orsay, le 27 avril 1931.
872
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 557 : Télégramme de Gabriel Puaux au Quai
d’Orsay, le 27 avril 1931.
313

dirigeants de Bucarest décident de consolider leurs relations économiques et


commerciales avec le Reich.

Le 28 mai 1934, lors d’un voyage à Berlin, l’économiste du Parti National Paysan
Virgil Madgearu demande à s’entretenir avec Konstantin von Neurath au sujet
des relations économiques et commerciales roumano-allemandes. Virgil
Madgearu expose les difficultés rencontrées par la Roumanie pour l’exportation
de ses céréales et demande au Ministre allemand d’intervenir auprès de Hitler
afin de conclure avec la Roumanie un accord similaire à celui que le Reich a
signé avec la Yougoslavie. Après avoir rappeler l’importance accordée par les
dirigeants allemands à la politique étrangère roumaine, von Neurath s’engage à
informer Hitler de la volonté des dirigeants de Bucarest de développer leurs
873
relations économiques avec l’Allemagne.

Ne se résumant qu’à des simples déclarations sans prendre une position ferme
à l’égard de l’Allemagne, les dirigeants de Bucarest sont soumis à de nouvelles
874
pressions en 1934 concernant la signature d’un nouvel accord économique. À
leur tour pour faire pression sur les milieux allemands, les autorités roumaines
dénoncent l’ancien accord commercial, conclu le 23 juin 1931. Soucieux de ne
pas voir la Roumanie s’éloigner de l’Allemagne, Hitler donnera son
consentement en novembre 1934 pour la signature d’un nouvel accord
économique entre les deux pays. Cette concession n’est pas étonnante si nous
prenons en compte le fait que les ressources pétrolières roumaines
commencent à éveiller l’intérêt d’Hitler. Par la même occasion, le leader nazi

873
Il convient de préciser que le voyage de Madgearu à Berlin a provoqué de
nombreuses critiques dans la presse roumaine. Pour se défendre, Madgearu a
déclaré que sa visite n’était pas un acte politique, mais qu’il avait donné une
conférence sur l’industrialisation et la réagrarisation de l’Europe centrale.
874
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de
Nicolae Petrescu-Comnen à Nicolae Titulescu, Ministre des Affaires Etrangères,
le 15 mars 1934, p. 2.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

renouvelle sa demande de conclure un pacte de non-agression avec la


875
Roumanie, similaire à celui qui a été signé avec la Pologne le 26 janvier 1934.

Le 16 décembre 1934, lors d’un entretien avec le Ministre roumain de l’Industrie


et du Commerce, Ion Manolescu-Strunga, Schacht aborde la question de
876
l’adaptation de l’agriculture roumaine aux besoins de l’économie allemande.
Obligée d’acheter hors de l’Europe et, notamment, en Asie certaines matières
premières, l’Allemagne souhaite introduire en Roumanie les cultures de cotons et
de riz. Pour se faire, Hjalmar Schacht déclare à Manolescu-Strunga que
l’Allemagne fournira à la Roumanie les capitaux et l’équipement nécessaire pour
877
la mise en place de ces cultures.

Dans ce contexte, une évolution des rapports roumano-allemands commence à


se dessiner à partir du 23 mars 1935, lors de la signature d’un traité commercial
et d’un accord de clearing qui inaugure une nouvelle étape de coopération
878
économique et commerciale entre l’Allemagne et la Roumanie. La particularité
de cet accord de clearing qui, assure à la Roumanie des tarifs préférentiels pour
les produits agricoles et, plus particulièrement, pour les céréales est qu’il est
conçu selon les besoins de l’économie allemande énoncés dans le Nouveau
879
Plan de Hjalmar Schacht. Le Nouveau Plan, mis en place dès septembre

875
Dans l’entretien qu’il a eu avec Nicolae Petrescu-Comnen le 15 mars 1934,
Hitler avait insisté à plusieurs reprises sur l’importance de la signature d’un
pacte de non-agression entre l’Allemagne et la Roumanie. Selon le leader nazi,
cet accord permettrait le renforcement des liens d’amitié et de confiance entre
les deux pays. Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 :
Télégramme de Nicolae Petrescu-Comnen, Ministre de Roumanie à Berlin, à
Nicolae Titulescu, Ministre des Affaires Etrangères, le 15 mars 1934, pp. 1-2.
876
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Télégramme de Poncet au Quai d’Orsay,
le 16 décembre 1934, no. 2336.
877
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 185 : Télégramme de Poncet au Quai d’Orsay,
le 16 décembre 1934, no. 2336.
878
Documents on German foreign policy 1918-1945, Series C (1933-1937), The
o
Third Reich: first phase, Volume I, n 556, pp. 1080-1081.
879
Documents on German foreign policy 1918-1945, Series C (1933-1937), The
o
Third Reich: first phase, Volume I, n 6, pp. 5-6.
315

1934, prévoit en effet un ensemble de mesures visant à redéfinir la politique


économique extérieure de l’Allemagne en fonction des besoins du réarmement.
Les lignes directrices de ce nouveau programme économique visent à assurer
l’approvisionnement en matières premières et produits alimentaires de
l’Allemagne par une réorientation du commerce extérieur et par une utilisation
880
repensée des faibles réserves en devises. Les deux régions du monde qui
produisent les matières premières et les produits agricoles intéressant
l’économie allemande sont l’Amérique du Sud et l’Europe centrale. Cette
dernière, à la différence de l’Amérique du Sud, présente moins d’inconvénients
en cas de guerre et pourrait assurer l’approvisionnement de l’Allemagne sans
trop de difficultés. Permettant à l’Allemagne de trouver une certaine autonomie
économique et financière par rapport au reste du monde, l’Europe centrale se
voit encore une fois confié la mission de soutenir l’expansion germanique. Le
Nouveau Plan, ainsi que le souligne Frédéric Clavert, a eu pour conséquence
d’intégrer l’Europe centrale à une Großraumwirtschaft allemande, notamment par
881
le biais de facilités d’utilisation des Sperrmark à des taux aménagés.» Dans le
cas de la Roumanie, le Nouveau Plan enregistre quelques difficultés en lien avec
l’achat de pétrole qui n’ont pas pour autant découragés les dirigeants allemands.

Conclu le 23 mars 1935, le traité commercial germano-roumain prévoit la mise


en place des tarifs préférentiels pour les produits agricoles roumains. En
contrepartie, les dirigeants de Berlin exigent l’extension des cultures de soja,
dont l’utilisation industrielle va du savon au caoutchouc artificiel et de l’émail aux
explosifs. Rappelons que la culture de soja a été développée par l’Allemagne
durant les années vingt en Mandchourie et qu’elle commence à se répandre
882
progressivement en Europe centrale dès le début années trente. En 1937, le

880
CLAVERT, Frédéric, Hjalmar Schacht, financier et diplomate (1930-1950),
Bruxelles, Peter Lang, 2009, p. 236.
881
CLAVERT, Hjalmar Schacht, financier et diplomate, p 282.
882
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Europe/Roumanie, No. 201, La situation agricole en Roumanie, le 24
juillet 1935, p. 294.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

prix de revient du soja roumain est de 94,60 reichsmarks, alors que celui du soja
883
mandchourien est de 100,60 reichsmarks.

Par la même occasion, les dirigeants de Berlin lancent un programme


d’implantation culturelle en Roumanie en accordant à 600 étudiants roumains la
possibilité de fréquenter les universités allemandes, dont les frais seront pour la
884
grande partie couverts par le gouvernement allemand. À ce programme
d’implantation culturelle s’ajoute une importante campagne de propagande
allemande qui trouve en Roumanie et, notamment, en Transylvanie chez les
Saxons et les Souabes un terrain très favorable. Il convient de préciser que la
minorité allemande de Roumanie compte, selon des sources françaises, 800.000
personnes, dont la vie culturelle et politique est très active, ainsi que le montre le
885
grand nombre des journaux de langue allemande publiés dans le pays. Parmi
les principaux journaux de la minorité allemande de Roumanie, qu’on décrit
comme étant « le poste avancé de l’Allemagne hitlérienne poursuivant la
conquête de son espace vital », nous mentionnons la Kronstaedter Zeitung, le
Siebenbuergisch-Deutsches Tageblatt, la Temesvarer Zeitung, le Czernowitzer
886
Tageblatt, le Bukarester Tageblatt, Das Volk.

Le 24 mai 1935, le traité commercial germano-roumain est complété à la


demande des dirigeants de Berlin par une convention qui prévoit un programme
de participations et d’investissements allemands dans l’industrie roumaine et,
notamment, dans l’industrie pétrolière. Cette convention prévoit, en effet, une
aide financière aux compagnies pétrolières roumaines et la création d’une

883
Archives du CL, Paris, DEEF 73370 : Les problèmes du commerce allemand
en Extrême-Orient, Paris, Société d’études et d’informations économiques,
1938, p. 25.
884
PROST, Destin de la Roumanie, 1918-1954, p. 75. Il mentionne des bourses
de 100 reichsmarks par mois que la Banque Nationale de Roumanie s’engage à
leur permettre de transférer mensuellement 75 marks.
885
Archives du CL, Paris, DEEF 73377-1 : Les minorités allemandes et la
propagande nazie en Europe orientale et sud-orientale, Paris, Société d’études
et d’informations économiques, mai 1939, p. 17.
886
Archives du CL, Paris, DEEF 73377-1 : Les minorités allemandes et la
propagande nazie en Europe orientale et sud-orientale, Paris, Société d’études
et d’informations économiques, mai 1939, p. 17.
317

nouvelle entreprise, dirigée conjointement par le gouvernement allemand et le


887
gouvernement roumain. Les crédits alloués aux compagnies pétrolières
roumaines devaient servir à la fois à l’achat en Allemagne de matériel et
d’équipement nécessaire pour le développement de l’exploitation pétrolifère et au
rachat des avoirs allemands bloqués en Roumanie après la Première Guerre
mondiale. Il convient de préciser que cette dernière exigence concerne le rachat
des parts, du moins roumaines, que les banques allemandes avaient détenues
dans l’industrie pétrolière roumaine jusqu’en 1914. Rappelons que les
entreprises pétrolières allemandes ont été partagées en avril 1920 entre la
Roumanie, la France et la Grande-Bretagne. Les sommes libérées du rachat des
avoirs allemands seront affectées au financement des usines roumaines pour
produire des équipements et des différentes installations pétrolières, ainsi qu’au
paiement des dépenses liées à la main-d’œuvre. De cette manière, les dirigeants
de Berlin réalisent l’autofinancement de l’industrie pétrolière roumaine au profit
de l’Allemagne qui ne doit pas ajuster sa production industrielle pour satisfaire
les besoins de la Roumanie. Quant au surplus de pétrole, la convention du 24
mai 1935 stipule qu’il doit être intégralement réservé à l’Allemagne. Toutefois, le
gouvernement roumain avait estimé qu’il était nécessaire d’imposer à
l’Allemagne une limite de 25% pour les livraisons de pétrole effectués au compte
888
de l’accord de clearing. Au-dessus de cette limite, le pétrole roumain devait
être payé en devises. De cette manière, les dirigeants de Bucarest contournent
les intentions des dirigeants allemands de transformer le pétrole en produit
principal de l’accord de clearing. Il convient de rappeler que les exportations de
pétrole représentent pour l’État roumain durant les années trente la principale
source de revenu et de devises.

Toutefois, cette convention provoque très vite les réactions de l’opinion publique
roumaine et internationale qui désapprouve l’ingérence des capitaux allemands
dans l’industrie pétrolière. Les journaux de Bucarest critiquent violemment les

887
Archives du CL, Paris, DEEF 73377-1 : Les minorités allemandes et la
propagande nazie en Europe orientale et sud-orientale, Paris, Société d’études
et d’informations économiques, mai 1939, p. 6.
888
CALAFETEANU, « Les relations économiques germano-roumaines de 1933
à 1944 », pp. 27-28.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

projets d’investissement des capitaux allemands dans l’industrie roumaine en


rappelant le fait « qu’avant 1914 une politique analogue avait aboutit à rendre les
Allemands maîtres de toute l’industrie et de tout le commerce du pays et qu’on a
vu les inconvénients d’une telle situation lorsque la Roumanie s’est rangée aux
889
côtés des Alliés. » Selon une enquête effectuée à Bucarest par la diplomatie
890
allemande , il s’agit d’une campagne de presse, lancée par les journaux Lupta
891
(La Lutte) et Adevarul (La Vérité) qui appartiennent à des familles juives. Le 13
juin 1935, Schacht convoque le Ministre roumain à Berlin Nicolae Petrescu-
Comnen et lui reproche la campagne anti-allemande menée par la presse
892
roumaine. Le Ministre allemand accuse même la France et l’U.R.S.S. de faire
des pressions sur les dirigeants de Bucarest afin d’empêcher le développement
des relations économiques roumano-allemandes. Si le gouvernement de
Bucarest souhaite profiter de la bienveillance des dirigeants de Berlin à l’égard
des exportations roumaines de produits agricoles, il doit faire preuve de sa
893
volonté de favoriser le développement des relations entre les deux pays. Les
rumeurs, selon lesquelles le gouvernement roumain aurait vendu à la France ses
redevances de pétrole, expliquent, en effet, l’indignation de Schacht. Ce dernier
demande à Comnen de vérifier immédiatement auprès des dirigeants de
Bucarest la validité et l’origine de ces rumeurs.

La pénétration des capitaux allemands dans l’industrie pétrolière roumaine est


également dénoncée par le Quai d’Orsay surtout que son Ministre à Londres
soupçonnait le fait que plusieurs sociétés pétrolières roumaines (le Crédit Minier,
la Redeventza, l’Industrie roumaine du pétrole et le Petrol Block) seraient

889
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales,
Série Z, Roumanie, No. 202, Presse roumaine et accord germano-roumain, le
er
1 juin 1935, p. 237.
890
Documents on German foreign policy 1918-1945, Series C (1933-1937), The Third
Reich: first phase, Volume I, no 110, p. 213.
891
PROST, Destin de la Roumanie, p. 76 est de même avis.
892
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae
Petrescu-Comnen au gouvernement roumain, le 13 juin 1935, p. 231.
893
Archives MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae
Petrescu-Comnen au gouvernement roumain, le 13 juin 1935, p. 231.
319

894
passées sous le contrôle de la Deutsche Petroleum AG. Dans ces
circonstances, les dirigeants de Bucarest annoncent que la question de la
collaboration avec les capitaux allemands dans le secteur pétrolier doit être
895
repensée avant la mise en vigueur de cette convention. Face aux réactions de
la presse roumaine et à l’attitude des dirigeants de Bucarest, Schacht convoque
896
de nouveau le 12 juin 1935 Petrescu-Comnen. Il reproche au gouvernement
roumain et notamment à Nicolae Titulescu d’être à l’origine des attaques
lancées par la presse contre l’Allemagne. Afin de convaicre le Ministre roumain
de sa bienveillance à l’égard de la Roumanie, Schacht s’exprime en ces termes :
« J’ai beaucoup de confiance et de sympathie envers votre pays et je souhaite
participer au développement économique de la Roumanie. Toutefois, je
considérai tout échec de l’Allemagne dans ce pays comme un échec
897
personnel. » En insistant sur le fait que les relations entre la Roumanie et
l’Allemagne doivent être basées sur la bienveillance et l’amitié réciproque,
Schacht déclare que le meilleur moyen pour prouver la volonté des dirigeants de
Bucarest de développer les relations avec l’Allemagne est l’action et non pas les
898
mots. Par la même occasion, il demande à Petrescu-Comnen des
renseignements précis sur l’attitude et les réactions des dirigeants de Paris au
sujet du traité germano-roumain. Cela lui donnera l’occasion d’interroger Nicolae
Petrescu-Comnen sur le projet du gouvernement roumain de vendre en France
ses redevances de pétrole pour plusieurs années. Face à l’ambigüité du Ministre
roumain, Schacht perd son calme et exige une réponse claire et immédiate car

894
Archives du MAEF, Paris, Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série
Z, Roumanie, No. 229, L’Allemagne et le marché pétrolier roumain, le 17 mai 1935, p.
258. (Coulondré au Ministre français à Bucarest).
895
Selon une communication faite à Pochhammer, le représentant de l’Allemagne à
Bucarest. Voir Documents on German foreign policy 1918-1945, Series C (1933-1937),
The Third Reich: first phase, Volume I, no 556, pp. 1080-1081.
896
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de
Petrescu-Comnen au Gouvernement roumain, le 13 juin 1935, pp. 231-234.
897
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae
Petrescu-Comnen au Gouvernement roumain, le 13 juin 1935, pp. 231 (Trad. du
roumain)
898
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae
Petrescu-Comnen au Gouvernement roumain, le 13 juin 1935, p. 231 (Trad. du roumain)
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

« il doit savoir s’il peut compter sur les promesses de la Roumanie de vendre à
899
l’Allemagne des céréales et du pétrole. »

Les négociations roumano-allemandes, ainsi que le Nouveau Plan de Schacht


mettent en évidence l’intérêt croissant de l’Allemagne pour le pétrole roumain. Il
convient de préciser que les intérêts allemands dans l’industrie pétrolière
roumaine sont après la Première Guerre mondiale très modestes et se limitent à
trois entreprises, Mirafor, Consortiul Petrolului et Buna Speranta qui, comptent
900
parmi les plus petites sociétés pétrolières du pays. Ces négociations font
également ressortir le refus des dirigeants de Bucarest à admettre que cette
principale source de revenu et de devises pour l’économie roumaine soit incluse
901
totalement dans le commerce de clearing avec l’Allemagne.

Dès mars 1939, après l’occupation de la Bohême et de la Moravie, la Roumanie


est amenée à renforcer les relations économiques et commerciales avec le
Reich car le clearing roumano-tchèque est intégré dans le système commercial
allemand.
Rappelons que la Tchécoslovaquie constituait un des principaux partenaires de
la Roumanie : entre 1935-1938, elle représente le deuxième fournisseur de la
Roumanie, après l’Allemagne, et le cinquième client ; en pour-cent sa part, aux
importations roumaines oscille entre 11,5% et 16%, alors que sa part aux
902
exportations passe de 5,9% en 1935 à 9,6% en 1938. Un des avantages pour
l’Allemagne est le fait que presque la moitié des exportations roumaines envers
la Tchécoslovaquie n’exigait pas de contrepartie et qu’elle servait à rémunérer
les investissements tchèques en Roumanie et à honorer diverses créances, soit
des titres de la dette publique roumaine, de crédits d’armements ou des prêts de
la Banque Nationale de Tchécoslovaquie à la Banque Nationale de Roumanie.

899
Archives du MAERO, Bucarest, Fonds Germania, Vol. 74 : Télégramme de Nicolae
Petrescu-Comnen au Gouvernement roumain, le 13 juin 1935, p. 233. (Trad du roumain)
900
Cf. MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, 1938-1940, p. 61.
901
Sur cette question, voir MILWARD, Alain S., « The Reichsmark Bloc and the
International Economy » in KOCH, Hannsjoachim W. (ed.), Aspects of the Third
Reich, 1985, Basingstoke, London, MacMillan, 1985, pp. 358-359.
902
MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p. 149.
321

903
À cela il faudrait ajouter le besoin d’équipement de l’armée roumaine. Inquiet
de la tournure prise par la situation internationale et par la renaissance des
revendications hongroises, bulgares et soviétiques, les dirigeants de Bucarest
ne voient d’autre sauvegarde que le réarmement, ainsi que le démontre
l’augmentation de 10 à 25 milliards lei du budget militaire pour l’année 1938-
904
1939. Le besoin de réarmement fait le jeu du Reich qui est un des seuls pays
en état de livrer à la Roumanie l’équipement nécessaire. Rappelons que
l’Allemagne contrôle les usines d’armements tchèques, la Skoda et la
905
Zbrojovka. Soutenus par d’importantes commandes d’armes, les échanges
entre la Roumanie et l’Allemagne augmentent considérablement à partir de
mars 1939. Alors que pour la période décembre 1938 - mars1939, la moyenne
des importations roumaines est de 464,5 millions lei, elle monte à 747 millions
906
de lei pour la période avril-août 1939. De même les exportations roumaines
vers l’Allemagne passent de 24,40% pour la période décembre 1938 - mars
1939 à 33,14% et si l’on ajoute les chiffres relatifs au Protectorat, elles
907
dépassent 40%. Il convient également de souligner le fait que l’Allemagne
commence à lier les exportations de matériels de guerre, allemand ou
tchécoslovaque, aux importations de pétrole. A titre d’exemple, le Reich
n’accepte de lui livrer du matériel allemand perfectionné qu’à la condition de
908
recevoir la contrepartie intégralement en pétrole.

Pour ce qui est directement des initiatives à la fois roumaines et allemandes de


renforcer les liens économiques et commerciaux, mentionnons, le traité du 23
mars 1939. Sans le décrire point par point nous soulignons qu’il stipule que la
collaboration entre les deux pays se fera sur la base d’un plan économique
s’étendant sur dix ans qui prévoit l’adaptation de l’économie roumaine aux
besoins de l’économie allemande. Ce plan économique doit tenir compte des

903
MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p. 150.
904
MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p.150.
905
MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p. 144.
906
MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p. 144.
907
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, Questions
économiques et financières, 1940, Chiffres essentiels du commerce extérieur des pays
danubiens, p. 170.
908
MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, p. 150.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

besoins de l’importation allemande, des possibilités de développement de la


production roumaine, des besoins nationaux roumains et, en dernier lieu, des
nécessités de l’économie roumaine dans ses échanges commerciaux avec les
909
autres pays. A l’exception de ce dernier point, qui semble être une réserve
concédée à la Roumanie en vue de limiter l’orientation future de l’économie
nationale à un sens unique, dirigé vers l’Allemagne, tous les autres points visent
le renforcement des échanges germano-roumains.

Dans le secteur agricole de l’activité économique, le traité prévoit le


développement et l’orientation de la production agricole roumaine selon les
910
besoins des importations allemandes. On se rend compte de l’importance de
ce problème en rappelant que 80% de la population roumaine sont des
agriculteurs. Dans ce secteur la collaboration entre l’Allemagne et la Roumanie
se caractérise, plus particulièrement, par l’introduction dans l’agriculture
roumaine de machines et engrain allemands qui contribueront à l’élévation du
niveau de l’agriculture et au développement de l’activité économique générale
du pays. La culture des céréales est limitée alors que celle du maïs, des plantes
oléagineuses et industrielles (soja, coton, houblon) est augmenté. Le
développement de la culture de soja a déjà fait l’objet de nombreux essais avant
la conclusion de cet accord non seulement en Roumanie mais également en
911
Bulgarie et en Yougoslavie. Si en Bulgarie et en Yougoslavie ces essais ont
échoué, la Roumanie cultive le soja sur plus 110,5 milliers d’hectares. Cette
vaste action qui oriente le développement de l’agriculture vers les besoins de
l’Allemagne a pour conséquences le renoncement inévitable à la politique
roumaine d’expansion industrielle. Bien que l’accord tienne compte de
l’extraction des minerais et de certaines autres branches industrielles, les
mesures prévues pour l’agriculture ont un caractère très marqué de
réagrarisation du pays. Cette tendance de réagrarisation est illustrée par

909
TRANDAFILOVITCH, Ivan, L’expansion économique allemande vers le sud-est
européen, Paris, Librairie sociale et économique, 1939, pp. 40-47.
910
TRANDAFILOVITCH, L’expansion économique allemande, pp. 40-47.
911
BEUVE-MERY, Hubert, Vers la plus Grande Allemagne, Paris, Centre d’études de
politique étrangère, 1939, p. 45.
323

l’engagement des capitaux dans les investissements agricoles aux dépenses


des investissements industriels, par le ralentissement de l’exode de la main
d’œuvre vers les centres industriels.

Toutefois, l’aspect le plus important de cet accord concerne l’industrie et, plus
912
particulièrement, l’industrie minière. Alors que, pour l’agriculture et l’industrie
agricole, l’accord laisse l’initiative aux entreprises nationales roumaines, dans le
secteur d’exploitation pétrolière et minière, il prévoit la création de sociétés
mixtes germano-roumaines aux fins d’exploitation des gisements de minerais et
champs pétrolifères qui, dépendront directement des gouvernements allemand
et roumain. Il envisage notamment la recherche de nouveaux gisements, la
fourniture de machines allemandes pour l’exploitation et la construction
913
d’installation pour le raffinement et le transport du pétrole. Cela permettra,
donc, à l’Allemagne non seulement de disposer à son gré du pétrole roumain
mais aussi d’évincer l’opposition des compagnies françaises et britanniques.

L’interférence des facteurs économiques et des échecs de la politique


internationale amène, donc, la Roumanie, en dépit des efforts français et des
certains milieux roumains, à réintégrée la sphère allemande. Désormais,
l’initiative passe dans le camp allemand et Hitler restera jusqu’à en 1944 le
maître du jeu. En 1940, la Roumanie, si on pourrait le dire, est amenée à revivre
la situation de 1883-1914. En dépit de l’attitude ambiguë des gouvernants
roumains qui a même, fait espérer la France, à plusieurs reprises, de la solidité
de l’alliance franco-roumaine, Hitler obtient le retour de la Roumanie dans la
sphère d’influence allemande.

912
TRANDAFILOVITCH, L’expansion économique allemande, pp. 47-53.
913
Sur cette question, voir MARGUERAT, Le III Reich et le pétrole roumain, pp. 131-
134.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

CONCLUSION
325

Les changements politiques survenus à l’issue de la Première Guerre mondiale,


qui mettent fin aux Empires austro-hongrois et russe, ainsi que l’affaiblissement
momentané de l’Allemagne, marquent pour la Roumanie le début d’une nouvelle
« ère ». Elle apparaît manifestement comme un des grands bénéficiaires des
modifications territoriales et statutaires qui ont affecté l’espace européen situé
entre l’Allemagne et la Russie soviétique. Favorisé indéniablement par les
Traités de Paix de 1919-1920, le Royaume de Roumanie fait d’importantes
acquisitions de territoires qui lui permettent de réaliser son unité nationale par
suite de l’union avec la Bessarabie, la Bucovine, la Dobroudja du Sud et la
Transylvanie. Les dirigeants de Bucarest réalisent, ainsi, l’un des objectifs
essentiels de la politique roumaine, à savoir la création de la România Mare.
C’est la réalisation d’un projet politique de longue date auquel les changements
politiques survenus sur la scène internationale durant les années trente mettent
brutalement fin. En juin - août 1940, la cession de la Bessarabie et de la
Bucovine à l’Union Soviétique, ainsi que de la Transylvanie à la Hongrie
914
provoquent le démembrement de la România Mare. C’est la naissance d’une
nouvelle Roumanie, moins étendue et plus homogène par sa population, dont
l’évolution et l’histoire seront profondément marquées jusqu’en décembre 1989
915
par l’Union soviétique et le régime communiste.

Durant sa courte existence, 1919-1940, la Grande Roumanie apparaît comme


un pays en voie de dévloppement qui bénéficie de nombreux atouts
économiques et géo-stratgégiques. C’est un pays essentiellement agricole,
disposant d’importantes ressources pétrolières, de charbon, de fer, de gaz
méthane, de cuivre, de l’or et les massifs forestiers, qui s’oriente vers la
modification de ses structures économiques et sociales par le développement
du secteur industriel. Néanmoins, la faiblesse de l’épargne et des capitaux
intérieurs s’avère rapidement très contraignante et elle obligera les dirigeants

914
Sur cette question, voir PROST, Henri, Destin de la Roumanie, Paris, Berger-
Levrault, 1954, pp. 137-151 et BOGDAN, Henry, Histoire des pays de l’Est, Paris,
Perrin, 1991, pp. 381-384.
915
Sur cette question, voir DURANDIN, Catherine et TOMESCU, Despina, La
Roumanie de Ceausescu, Paris, Ed. Guy Epaud, 1988.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

roumains à s’adresser aux marchés financiers internationaux afin de soutenir


leurs programmes de développement économique et de modernisation de la
société roumaine. Mais, le recours aux capitaux étrangers se révèle rapidement
difficile et contraignant en raison, d’une part, des considérations politiques des
dirigeants de Bucarest, et d’autre part, des conditions économiques et
financières exigées par les créditeurs étrangers. Visant à consolider
l’indépendance politique et économique de la România Mare par rapports aux
puissances étrangères, les dirigeants roumains choisissent progressivement de
s’orienter vers la France et de lui confier la réorganisation économique,
financière et monétaire du pays. C’est un choix qui n’est pas neutre compte tenu
des préoccupations politiques et économiques des autorités de Bucarest. Quels
sont les atouts de la France par rapport aux autres grandes puissances durant
les années vingt ?

La politique et les préoccupations liées au maintien du statu quo post bellum des
dirigeants de Paris confèrent à la France une grande considération auprès des
autorités roumaines. Au croisement des préoccupations défensives des
dirigeants de Paris, ils intègrent la Roumanie dans le système de sécurité
français qui leur permet de contrer à la fois les révisionnismes bulgare, hongrois
et, notamment, soviétique. La France apparaît, dans ces circonstances, comme
un État allié avec des objectifs de politique étrangère communs qui ne mettra
pas en danger l’intégrité territoriale de la Grande Roumanie du moins jusqu’au
29 novembre 1932, date de la signature du pacte de non-agression franco-
soviétique. À la différence de la France, la Grande-Bretagne n’est jamais
parvenue à devenir un partenaire politique et militaire de la Roumanie. Pour les
dirigeants de Londres, l’intérêt de ce pays danubien est davantage économique
que politique et géo-stratégique. Pour l’opinion publique britannique, la
Roumanie représente à la fois une poudrière et un eldorado. Quant à l’attitude
des dirigeants roumais à l’égard de la Grande-Bretagne, elle est très prudente.
La participation de la Banque d’Angleterre à la reconstruction économique et
financière de la Hongrie en 1923 et, notamment, le refus de la diplomatie
britannique de se positionner dans les affaires politiques et territoriales qui
opposent les États de l’Europe centrale tout le long de l’entre-deux-guerres
327

déterminent une certaine méfiance à Bucarest. Les conseils du Gouverneur de


la Banque d’Angleterre, Montagu Norman, de confier la réorganisation
économique, financière et monétaire de la Roumanie à la Société des Nations
compliquent la donne. Dans l’esprit des dirigeants de Bucarest, Norman ne
reconnaît pas le statut d’État vainquer de la Roumanie l’assimilant à l’Autriche et
la Hongrie. Or, le besoin de reconnaissance internationale de la Roumanie en
tant qu’État vainquer de la Première Guerre mondiale est fortement présent
dans l’esprit des dirgeants de Bucarest durant les années vingt. Touts ces
facteurs donne à la France un certain avantage par rapport à son concurrent
anglais.

Le 15 décembre 1927, les dirigeants roumains décident de confier la


réorganisation économique, financière et monétaire du pays à la France. Vintila
Bratianu demande à la Banque de France d’organiser l’émission du premier
emprunt international de la România Mare, dont le produit sera entièrement
destiné à la stabilisation de la monnaie roumaine, le leu, et au développement
économique du pays. Après des négociations très longues et complexes,
décembre 1927 - janvier 1929, les dirigeants roumains obtiennent en février
1929 un crédit international de 126 millions de dollars. Le 7 février 1929, la
monnaie roumaine est définitivement stabilisée sur la base de la nouvelle valeur
du leu, soit de dix milligrammes d’or à 9/10 de fin et le Programme de
stabilisation monétaire et de développement économique de la Roumanie entre
finalement en vigueur. C’est un Programme qui prévoit, ainsi que l’ont exigé les
créditeurs étrangers, la réorganisation de la Banque Nationale de Roumanie et
sa transormation en banque centrale moderne, la réorganisation des finances
publiques et des services financiers et la réorganisation et le développement
des chemins de fer roumains.

Toutefois, l’aspect le plus remarquable de ce Programme est l’envoi en


Roumanie pour une durée de trois ans d’une mission financière, composée
d’experts financiers de la Banque de France et d’ingénieurs de la Compagnie
des Chemins de Fer du Nord. Charles Rist et, ensuite, Roger Auboin sont
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

désignés Conseillers de la Banque Nationale de Roumanie et Gaston Leverve,


expert pour la réorganisation des chemins de fer. D’autres experts vont se
joindre rapidement à cette mission. Il s’agit de Jean Bolgert, Henri Guittard,
Henri Poisson et Michel Mange. Ce réseau d’experts financiers et d’ingénieurs
est complété par une étroite collaboration avec le Ministre de France à Bucarest,
Gabriel Puaux. Leur mission consiste essentiellement à surveiller et à contrôler
l’application et l’exécution du Programme par les dirigeants roumains. C’est une
mission difficile, compte tenu du fonctionnement de la société roumaine, dont
Charles Rist témoigne dans son Journal roumain.

L’installation de cette mission de « money doctors » à Bucarest qui, était devenu


une sorte de sorte de conditionnalité, imposée aux dirigeants roumains par les
créditeurs étrangers en échange de leur participation à l’émission de l’emprunt,
permet à la France de consolider ses intérêts et son influence politique,
économique et financière en Europe centrale. Rappelons que la France
bénéficie également en Pologne, en Yougoslavie et en Tchécoslovaquie d’une
position hautement favorable. Pour la Banque de France, le succès de
l’opération roumaine est une importance considérable. Le Gouverneur Emile
Moreau réussit, ainsi qu’il le souhaitait et qu’il l’a plusieurs fois noté dans ses
Mémoires, à prouver à son rival Montagu Norman et à la Banque d’Angleterre
que la Banque de France a les compétences d’organiser la stabilisation d’autres
monnaies européennes que le franc, ainsi que de participer réellement à la
coopération monétaire internationale.

Pour la diplomatie française, dont le soutien et l’encouragement apporté à la


Banque de France dans l’affaire roumaine ne doit pas être négligé, la présence
en Roumanie d’une mission financière française constitue un élément très
important pour le renforcement des liens politiques, militaires et économiques
avec ce pays centre-européen et, implicitement, dans toute la région, qu’elle
convoitait depuis la fin du XIXe siècle.

Quant à la Roumanie, les dirigeants de Bucarest découvrent assez rapidement


les contraintes et les limites du contrôle et de la surveillance financière
329

française. Avec beaucoup de difficultés, ils tentent de respecter les


engagements pris envers les créditeurs étrangers et, notamment, envers la
Banque de France. Le maintien de l’équilibre budgétaire s’avère très le
problème majeur des dirigeants roumains qui, malgré les mises en garde de
Charles Rist et de Roger Auboin, augmentent continuellement les dépenses et
les engagements hors budget, notamment pour la réorganisation de l’armée et
l’achat des équipements militaires. Ce problème, ainsi que toute la situation
économique et financière de la Roumanie, s’aggravent progressivement, par
suite de l’éclatement de la Crise de 1929. Surprenant la Roumanie en plein
processus de reconstruction et de développement, la Crise de 1929 plonge dès
1931 le pays dans une forte crise économique et financière, par suite de
l’effondrement des prix agricoles, forestiers et pétroliers sur le marché
international, les principaux produits des échanges commerciaux roumains.
Malgré les nouveaux crédits internationaux, obtenus par les dirigeants de
Bucarest en mars 1931, 1 325 000 000 millairds de francs français, par suite de
l’émission de la deuxième tranche de l’emprunt de stabilisation monétaire et de
développement économique de la Roumanie, la situation économique et
financière du pays continue à se détériorer. Face à ces difficultés, les dirigeants
roumains décident de faire appel à l’expertise économique et financière de
Charles Rist en espérant que l’ancien Conseiller technique de la Banque
Nationale conclura à la nécessité d’un nouvel emprunt étranger.

Toutefois, le Rapport Rist met en évidence les limites de collaboration financière


avec la Roumanie, ainsi que les contraintes d’ordre financier et, notamment,
moral pour la Banque de France. Dans son rapport, publiée en mai 1932, Rist
conseille la Roumanie de s’adresser à la Société des Nations car la France ne
pouvait plus venir seule à son secours économique et financier, compte tenu de
l’internationalisation des difficultés économiques et financières des États centre-
européens. Les recommandations sont également partagées par les dirigeants
de la Banque de France qui, dès le printemps 1932, ainsi que l’atteste les
documents d’archives, envisagent de quitter la Roumanie car la gestion des
affaires financières de ce pays devenait de plus en plus difficile et risquait de
compromettre le prestige et le crédit international de leur institution. Inutile de
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

préciser que le projet d’intervention de la Société des Nations en Roumanie


provoque à Bucarest une vive émotion et des critiques à l’égard de la Banque
de France. Le retrait de cette dernière est également critiquée par le Quai
d’Orsay car il représente un véritable danger pour l’influence et les intérêts
politiques économiques et financiers acquis en Roumanie depuis la fin de la
Première Guerre mondiale. Pour la diplomatie française, le maintien de cette
mission en Roumanie apparaît, au moment où l’expansion économique et
commerciale de l’Allemagne prend de l’ampleur dans la région, d’autant plus
important. La Banque de France, dont l’implication dans les affaires roumaines a
été soutenue et encouragée par Poincaré, ne semble plus continuer à suivre les
grandes lignes de la diplomatie française.
Face aux difficultés économiques et financières, qui résultent de la Crise de
1929, et au refus de la Banque de France de lui accorder son soutien financier,
la Roumanie doit s’adresser en juin 1932 à la Société des Nations. Toutefois, la
méfiance des dirigeants roumains à l’égard de l’institution de Genève, les
conditions et les exigences imposées par les experts genevois et, notamment,
l’instauration d’un nouveau contrôle financier sur le pays pour une durée de cinq
ans, jalonnent une sorte de fuite en avant qui conduira en mai 1934 à l’échec du
projet de collaboration avec la Société des Nations.

La Banque de France, dont la mission financière de la Banque de France


er
quittera finalement la Roumanie le 1 février 1935. Le dernier rapport publié par
Roger Auboin sur la situation économique et financière de la Roumanie
constitue un sévère réquisitoire contre les dirigeants de Bucarest qui n’ont pas
respecté les engagements pris en février 1929 et en mars 1931 envers la
Banque de France et les créditeurs étrangers. Le non-respect de ces
engagements a mis la Roumanie dans l’impossibilité à partir de 1933 de
continuer à honorer le service de sa dette publique extérieure. Ainsi, à partir de
août 1935, quand la Roumanie suspendra une nouvelle fois ses paiements
extérieurs, chaque pays créancier doit négocier directement avec les dirigeants
de Bucarest pour régulariser sa situation. Nous soulignons le fait que la France
qui, représente le premier créancier de la Roumanie durant l’entre-deux-guerres,
détient, en 1940, 30% du total de la dette publique roumaine devant la Grande-
331

Bretagne avec 16,34% et l’Allemagne avec 11,11%. À la différence de la


Grande-Bretagne, la France réussit, donc, à s’imposer en Roumanie durant
l’entre-deux-guerres non seulement comme allié politique et militaire, mais aussi
comme principal créancier. Les considérations politiques des dirigeants de
Bucarest, ainsi que nous l’avons déjà précisé, y jouent un rôle important car les
garanties que la France offrent pour le maintien du statu quo post bellum ne
sont pas négligeables.

L’exemple de la Roumanie constitue un case-study à travers lequel nous


pouvons analyser l’évolution de la coopération monétaire internationale durant
l’entre-deux-guerres. Il met en évidence à la fois la coopération et la
concurrence entre la Banque de France, la Banque d’Angleterre et la Federal
Reserve Bank de New York durant les années vingt, les principales banques
centrales qui interviennent dans le redressement monétaire et financier de la
Roumanie. À l’évidence, la stabilisation de la monnaie roumaine, comme celle
de la monnaie polonaise de 1927, met en lumière l’échec des tentatives de
coopération monétaire internationale qui s’expliquent fortement par l’opposion et
la rivalité entre la Banque de France et la Banque d’Angleterre. Le redressement
monétaire de la France de 1926-1927 redonne à la Banque de France une
influence et un poids financier considérable en Europe qui mettent un terme aux
efforts du Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Montagu Norman, de
reconstruire le système monétaire européen sur l’égide de la Banque
d’Angleterre. À cela s’ajoute également l’influence financière croissante des
Etats-Unis et, notamment de la Federal Reserve Bank de New York, qui
diversifie le pouvoir financier en Europe de par leur participation à la
reconstruction du système financier et monétaire européen.

L’implication de la Banque de France en Roumanie relève dans un premier


temps des ambitions centre-européennes à la fois du Gouverneur Emile Moreau
et des dirigeants du Quai d’Orsay. En participant à la stabilisation de la monnaie
roumaine, Emile Moreau veut démontrer à la Banque d’Angleterre et à son
Gouverneur Montagu Norman que la Banque de France dispose des
compétences techniques et financières pour participer à la stabilisation des
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

monnaies centre-européenns. Cependant, dans les années trente, la Banque de


France semble ne plus suivre les intérêts et les ambitions centre-européenne de
la diplomatie française en souhaitant se retirer des affaires roumaines pour ne
pas affaiblir le prestige et le crédit international de la Banque de France.

L’exemple roumain peut également contribuer à la compréhension quant à


l’émergence de la banque centrale moderne au XXe siècle. Avec la modification
de ses anciens Statuts en février 1929, la Banque Nationale de Roumanie
devient une banque centrale moderne, dont les compétences monétaires et
financières ont été considérablement étendues par rapport au pouvoir politique.
Toutefois, la destitution des Gouverneurs Dimitrie Burillianu et Mihail Manoilescu
en mars 1931 et, respectivement, en novembre 1931 reflète la fragilité de
l’indépendance de la Banque Nationale de Roumanie par rapport au pouvoir
politique qui continue à intervenir dans son fonctionnement et ses décisions.

Le présent travail revendique sa différence par le fait qu’il analyse l’interférence


et l’articulation des facteurs politiques, économiques, financiers et monétaires
durant les années 1922-1935, ayant conduit à l’intégration de la Grande
Roumanie dans l’histoire des relations internationales. Cette méthode d’analyse
que nous avons utilisée tout le long de notre travail conclut à une forte
interdépendance entre le politique, l’économique, le financier et le monétaire,
même si un des facteurs impose à certains moments sa primauté. Les
problèmes et les difficultés auxquels la Roumanie doit faire face tout le long de
l’entre-deux-guerres sont des problèmes très concrets et complexes qui ne
peuvent pas être résolus qu’en tenant compte de leur interdépendance.

Nous souhaitons insister encore sur le fait que l’intervention politique et


financière de la France en Roumanie durant les années 1922-1935 illustre
916
parfaitement, ce que Philippe Marguerat a appelé, la volonté des dirigeants
de Paris d’exclure l’Allemagne des économies centre-européennes et de

916
MARGUERAT, Philippe, « Les investissements français dans le Bassin danubien
durant l'entre-deux-guerres : pour une nouvelle interprétation », Revue historique 1/2004
(n° 629), p. 121-162.
333

substituer à son influence celle de la France. Á travers l’exemple de la


Roumanie, nous avons démontré que l’expansion financière française en
Europe centrale durant les années 1922-1935, taxée de « l’impérialisme du
pauvre », a été importante et complexe. La Banque de France devient le porte-
parole de la Pologne, de la Roumanie et de la Yougoslavie et elle instaure des
liens très étroits avec ces pays par l’installation des missions financières à
Varsovie, à Bucarest et à Belgrade. En Roumanie, Charles Rist, Roger Auboin,
Jean Bolgert, Henri Poisson font bénéficier les dirigeants de Bucarest de leurs
compétences et de l’expertise financière afin de faciliter l’insertion de la
Roumanie dans les relations financières internationales. Le recul français durant
les années trente est le résultat d’une conjonction des facteurs internes et
internationaux qui, dans le cas de la Roumanie, est autant le fait de la crise de
1929 que des dirigeants roumains, français, anglais et allemands.
L’exemple de la Roumanie durant les années 1922-1935 fait ressortir les
difficultés des États de la périphérie de s’intégrer dans le système politique,
économique et financier international mis en place par les Traités de Paix de
1919-1920. La périphérie centre-européenne reste toute le long de l’entre-deux-
guerres un terrain où se croissent de multiples rivalités internationales, dont
l’impact et les conséquences sur l’évolution de cette région ne sont pas
négligeables compte tenu des rapports de force et des intérêts qui régissent les
grandes puissances et, implicitement, les États centre-européens.

La Roumanie face aux rivalités politiques et fiancières internationales et les


recherches futures ?

En répondant à certaines interrogation, cette recherche en a évidemment


soulevé d’autres. Dans cette thèse, les archives françaises et roumaines ont été
étudiées de manière extensive car elles présentent une importance considérable
pour la compréhension de l’intégration de la Roumanie dans les relations
internationales durant les années 1922-1935. Mais, souvent, elles posent le
problème d’objectivité et de parti pris des acteurs français et roumains. Un
croisement de ces archives avec celles de la Banque d’Angleterre, de la Federal
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Reserve de New York, de la Reichsbank, ainsi qu’avec des archives


diplomatiques anglaises, américaines et allemandes pourrait s’avèrer fort
interessant et enrichissant.
335

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

SOURCES NON-PUBLIÉES

1. Archives de la Mission historique de la Banque de France, Paris

1.1. Fonds Études économiques :

1060200109/23 : Relations avec l’étranger (Relations diverses entre la Banque


de France et le Gouvernement roumain : correspondance, mars 1927-mars
1931. Achats de blés roumains par le Gouvernement français : correspondance,
état, décembre 1920-décembre 1927).

1064199002/151 : Banque Nationale de Yougoslavie, 1889-1941.

1370199803/1 : Banque de Pologne, 1926-1945.

1370200103/21 : Pologne. Réformes monétaires (Projet de stabilisation de


zloty : presse, rapport, notes, septembre 1926 - mars 1927. Programme de
stabilisation : presse, texte officiel, correspondance, programme, notes, mars -
octobre 1927. Relations avec la Banque de France, 1927-1930).

1397199402/11 : Crédit de stabilisation de la Banque de Pologne, 1927-1928


(Correspondance avec la Banque de France, la Banque d’Angleterre, la Banque
Nationale Suisse, la Banque d’Italie, la Reichsbank et la Federal Reserve of
New York).

1370200003/14 : Relations de la Banque d’Angleterre avec la Banque de


France (Visites à Londres ou à Paris de membres de la Banque d’Angleterre ou
de la Banque de France. Visites de M. Siepmann à Paris : télégrammes, notes,
correspondance, août 1927 -décembre 1930. Voyages à Paris de M. Norman,
Gouverneur de la Banque d’Angleterre : télégrammes, correspondance, notes,
mars 1919 - décembre 1930). Voyage à Londres de M. Lacour-Gayet : notes,
correspondances, octobre 1930 - avril 1934).

1370200006/1 : Missions françaises en Roumanie ().

1370200006/2 : Missions françaises en Roumanie ().


337

1370200006/3 : Missions françaises en Roumanie ().

1370200006/4 : Missions françaises en Roumanie (Situation et politique


économique et financière, 1909-1947).

1370200006/5 : Missions françaises en Roumanie (Etude de la situation du


pays, 1927-1955).

1370200006/6 : Missions françaises en Roumanie et études de la situation du


pays (Voyage de M. Quesnay en Roumanie, résumé de la situation économique
et politique du pays : correspondance et notes, janvier - février 1928.
Stabilisation monétaire, missions en Roumanie de M. Rist de 1929-1932 : notes,
correspondance, publication. Etudes de M. Bolgert et M. Auboin sur la situation
en Roumanie. Mission du Conseiller technique auprès de la Banque Nationale
de Roumanie, activités et études, juillet 1929 - octobre 1932).

1370200006/7 : Missions françaises en Roumanie (Stabilisation monétaire et


développement économique du pays : notes, télégrammes, correspondance
entre la Banque de France, le Gouvernement roumain et la Banque Nationale
de Roumanie, 1927-1933. Réforme et loi monétaire, 1925-février 1929).

1370200006/8 : Missions françaises en Roumanie (Stabilisation monétaire et


développement économique).

1370200006/9 : Missions françaises en Roumanie (Stabilisation monétaire et


relations avec la Reichsbank).

1370200006/10 : Missions françaises en Roumanie (Stabilisation monétaire et


développement économique, relations économiques et commerciales, 1927-
1933).

1370200006/11 : Missions françaises en Roumanie (Stabilisation monétaire et


développement économique. Coupures de presse).

1370200006/12 : Missions françaises en Roumanie ().

1370200006/13 : Missions françaises en Roumanie (Relations internationales de


la Roumanie : notes, études et correspondance entre les dirigeants roumains et
les gouvernements étrangers).
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

1.2. Fonds Papiers de Charles Rist, 1890-1960 :

9/1 : Interprétations économiques de la guerre, 1918-1919 : Notes de lecture


(Politique, économie politique et guerre. Notes sur les arguments économiques
du pangermanisme, l’idée de l’Europe centrale d’après Andler).

10/4 : Les systèmes monétaires et les banques d’émission de nouveaux pays de


l’Europe centrale (Hongrie, Tchécoslovaquie, Roumanie, Yougoslavie), 1921-
1924.

17/6 : Visite de M. Montagu Norman à Paris : procès-verbal de l’entretien du


vendredi 27 mai 1927 concernant la collaboration des marchés de Londres et
Paris (présents : MM. Moreau, Rist, Quesnay et MM. Norman et Siepmann).

18/5 : Correspondance 1927, 1928, 1929, lettres reçues par Charles Rist
(Lettres manuscrites de Pierre Quesnay concernant la situation de la Banque
Nationale de Roumanie, 1928).

22/9 : Correspondance avec MM. Strong et Norman au sujet du marché


monétaire, mai-juin 1927.

er
23/1 : Conversations du 1 au 7 juillet 1927 à New York et Washington, entre
MM. Strong, Norman, Schacht et Rist et entre MM. Ogden, Mills, Kellog, Dwight
Morrow et Rist.

23/2 : Deux lettres de Benjamin Strong de la Federal Reserve Bank of New


York, 16 et 18 août 1927.

23/3 : Conversation avec M. Siepmann, 19 novembre 1927 (Compte-rendu


d’une conversation entre M. Siepmann et MM. Rist et Quesnay du 19 novembre
1927).

23/4 : Note manuscrite sur la Mission américaine de Charles Rist.

23/5 : Aide mémoire pour la visite de Londres du 21 février 1928 : résumé


dactylographié de la visite.

23/7 : Voyage à Rome avec M. Moreau, février 1928 (Compte rendu d’une
conversation avec Volpi. Lettres de Siepmann de la Banque d’Angleterre,
339

datées du 21 février et du 6 mars 1928, à Charles Rist concernant le voyage en


Italie).

23/9 : Journal de la Roumanie : notes, premier séjour, juillet 1928 et notes,


second séjour, novembre 1928.

23/10 : Journal roumain, notes du troisième séjour, février - septembre 1929


(Réflexions, comptes-rendus de rendez-vous avec les dirigeants roumains).

23/11 : Extrait incomplet du Journal roumain, pp. 15-19. Télégramme de la


famille de Charles Rist, juillet 1929.

23/12 : Lettre de Charles Rist à Emile Moreau du 7 juillet 1929 évoquant sa


mission en Roumanie et lui faisant part de son refus de siéger au Conseil
d’administration de la nouvelle banque internationale, en tant que délégué de la
Banque Nationale de Roumanie.

24/1 : Correspondance avec Roger Auboin (Correspondance et télégrammes


avec Auboin, lettres et télégrammes reçus et envoyés à Auboin, Henry Guittard,
Jean Bolgert, G. Bachmann, Bratianu, 1927-1930).

24/2 : Correspondance avec Roger Auboin et autres, mars 1931 (Lettres


concernant la Banque Nationale de Roumanie reçues et envoyées à M. Auboin,
M. Bolgert, M. Guittard, M. Bachmann, M. Burillianu, M. Manoilescu, M.
Antonescu, M. Poisson, M. Argetoianu, M. Farnier, M. Quesnay, 1930-1931).

25/1 : Télégrammes Charles Rist - Roger Auboin, 1930-1931.

25/2 : Bernard Weinberg. Un conte roumain, extrait de « Paris Midi » du 29 mai


1931.

25/3 : Note sur les réformes restant à réaliser ou à achever en Roumanie, février
1932.

25/4 : Rapport sur les finances publiques de la Roumanie, par M. Charles Rist, I.
Rapport général, mai 1932.

25/5 : Note sur les deux premières années d’application du programme de


stabilisation et de développement économique : notes dactylographiées
concernant la Roumanie, s.d.
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

26/2 : Journal 1931, pp. 1-7 ; Journal 1932 avec une partie intitulée Journées de
Vienne du 19 au 21 août 1932, pp. 8-15, Journal 1933 avec une partie intitulée
Résumé de ce que nous avons vu à Washington et une autre Conversations de
Washington, pp. 16-24, 1931-1933.

2. Archives de la Banque Nationale de Roumanie, Bucarest

2.1. Fonds Secretariat :

Nos. : 4/1923-1936, 5/1926, 10/1927-1938, 4/1925-1942, 4/1926-1928, 19/1927-


1938, 21/1927-1946, 1/1928-1935, 3/1928, 4/1928-1936, 6/1928-1930, 9/1928-
1936, 15/1928-1931, 3/1929-1930, 6/1929-1931, 7/1929-1933, 31/1929-1944,
10/1930-1934, 12/1930, 26/1930-1931, 38/1930-1931, 6/1931-1937, 7/1931-
1938, 10/1931-1932, 17/1931-1933, 18/1931-1933, 31/1931-1933.

2.2. Fonds Etudes : No. 8/1935.

3. Archives du Ministères des Affaires Etrangères, France, Paris

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie


(1918-1940), Nos. : 179, 180, 181, 183, 225, 202. , 288, 289, 290, 291, 292,
312, 321, 380, 577.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z,


Europe/Tchécoslovaquie (1918-1940), No. 167 : Affaire Skoda et le
Gouvernement roumain, 1930-1939.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie


(1918-1940), No. 178 : Politique intérieure, 1925-1934.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie


(1918-1940), No. 182 : Politique étrangère, 1934-1939.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie


(1918-1940), No. 183 : Relations franco-roumaines. Visites à Paris de Carol II et
de Nicolae Titulescu. Propagande de la France, 1930-1940.
341

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie


(1918-1940), No. 185 : Voyage de Louis Barthou à Bucarest et Belgrade, juin
1934.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie


(1918-1940), No. 201 : Affaires économiques, 1931-1940.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie


(1918-1940), No. 224 : Commerce. Relations et conventions, 1930-1935.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie


(1918-1940), No. 225 : Relations et conventions commerciales franco-
roumaines. Affaires diverses, 1930-1934.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie


(1918-1940), No. 228 : Industrie, dossier général, 1931-1955.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Roumanie


(1918-1940), No. 229 : Mines et Pétroles, 1930-1935.

Direction des Affaires Politiques et Commerciales, Série Z, Europe/Grande-


Bretagne (1918-1940), No. 287 : Relations avec la France, 1936-1945.

Relations commerciales 1918-1940, Roumanie C104-C109, No. 16 : Affaires


industrielles, Skoda, l’Industrie Aéronautique Roumaine, 1929-1931.

4. Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Roumanie, Bucarest

Fonds Anglia, No. 39-40 : Relatii cu România, 1921-1939 (Télégrammes, notes,


coupures de presse) ; No. 41 (1940-1944) ; No. 42.

Fonds Dosare speciale, No. 131 (1926-1928), No. 132 (1929-1939), No. 133
(1930-1936), No. 134, No. 247 (1932-1934).

Fonds Franta, No. 65 : Relatii cu România, 1930-1935 (Télégrammes, notes,


coupures de presse); No. 162, No. 164, No. 962, No. 963.

Fonds Germania, No. 73 (1921-1932), No. 74 (1933-1935).


La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Fonds România, Vol. 1, Vol. 3, Vol. 4 ; Vol. 358 (Probleme economice, 1921-
1934 (Télégrammes, études sur la situation économique et financière de la
Roumanie, coupures de presse).

5. Archives de la Société des Nations, Genève

Section économique et financière, Genève : R 310 (Roumanie : situation


politique du pays) ; R 305 ; R 358 ; R 3634 (Situation in Romania, dossier
4373); R 561 ; R 583 ; S 84.

Section économique et financière, Genève, Fonds Missions en Roumanie


(1932) : S 85, S 86 (Loi monétaire et questions budgétaires. La production de la
Roumanie durant la Crise de 1929), S 87 (La Roumanie à la Conférence de
Stresa, Discours de Virgila Madgearu. Programme de développement
économique et financier, 1931. Coupures de presse, 1929-1935), S 88 (Rapport
sur les finances publiques de la Roumanie, Charles Rist, mai 1932), S 89
(Situation économique, financière et monétaire de la Roumanie), S 90 (Situation
économique et commerciale de la Roumanie. Relations avec l’étranger)

Section économique et financière, Genève, Fonds Privés : Sir Arthur Salter’s


Papers, S 123 (Report on economic and financial situation of Romania)

Section économique et financière, Genève, Conférence financière internationale


de Bruxelles, 1920, Tome III.

Section économique et financière, Genève, Mémorandum sur les Balances de


paiements et sur les balances du commerce extérieur 1911-1925, Volume I,
Questions économiques et financières, 1926.

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365

ANNEXES
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Annexe I: Evolution de la Roumanie, 1859-2011

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Régions_historiques_de_Roumanie, consulté


le 17 octobre 2011.

En violet l’ancien Royaume de Roumanie avant 1913, en rose les territoires


rattachés au terme de la Première Guerre mondiale et restés roumains après la
Deuxième Guerre mondiale et en orange les territoires rattachés en 1919-1920,
mais perdus après 1945.
367

Annexe II: Carte politique de la Grande Roumanie (România Mare), 1919-


1940

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Romania1935judete.jpg, consulté le


17 octobre 2011
La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Annexe III: Superficie et population de la Grande Roumanie (România


Mare), 1919-1920

Royaume de Roumanie Grande Roumanie Augmentation


1914
2
Superficie (km ) 137ʹ′903 292ʹ′244 154ʹ′341
917
Population 7,8 16,9 9,1
(en millions)
Source : BRATIANU, Vintila, Aperçu sur la situation actuelle de la Roumanie et
programme d’avenir dans le cadre des nouvelles lois économiques (1923), p. 2,
Archives de la SdN, Genève, Section économique et financière, R 310.

917
Les minorités ethniques de la Grande Roumanie représentent : 10% Hongrois, 6%
Allemands, 5% Russes, 4% Juifs, 3% Bulgares, etc.
369

Annexe IV: Gouvernements de la Grande Roumanie, 1919 – 1937

er
Alexandru VAIDA-VOEVOD, 1 décembre 1919 - 12 mars 1920

Alexandru AVERESCU, 13 mars 1920 - 16 décembre 1921

Take IONESCU, 17 décembre 1921 - 19 janvier 1922

Ionel BRATIANU, 19 janvier 1922 - 29 mars 1926

Alexandru AVERESCU, 30 mars 1926 - 4 juin 1927

Barbu STIRBEY, 4 - 20 juin 1927

Ionel BRATIANU, 21 juin - 24 novembre 1927

Vintila BRATIANU, 24 novembre 1927 - 9 novembre 1928

Iuliu MANIU, 10 novembre 1928 - 6 juin 1930

George MIRONESCU, 7 - 12 juin 1930

Iuliu MANIU, 13 juin - 9 octobre 1930

George MIRONESCU, 10 octobre 1930 - 17 avril 1931

Nicolae IORGA, 18 avril 1931 - 5 juin 1932

Alexandru VAIDA-VOEVOD, 6 juin - 10 août 1932

Alexandru VAIDA-VOEVOD, 11 août - 19 octobre 1932

Iuliu MANIU, 20 octobre 1932 - 13 janvier 1933

Alexandru VAIDA-VOEVOD, 14 janvier - 13 novembre 1933

Ion Gh. DUCA, 14 novembre - 29 décembre 1933

Constantin ANGELESCU, 30 décembre 1933 - 3 janvier 1934

Gheorghe TATARESCU, 4 janvier 1934 - 28 décembre 1937


La Roumanie face aux rivalités politiques et financières
internationales, 1922-1935

Annexe V : Gouverneurs de la Banque Nationale de Roumanie, 1919 - 1937

Ioan BIBICESCU, 11 décembre 1916 - 31 décembre 1921

er
Mihail OROMOLU, 1 janvier 1922 - 31 décembre 1926

er
Dimitrie BURILLIANU, 1 janvier 1927 - 9 mars 1931

Constantin ANGELESCU, 9 mars 1931 - 10 juin 1931

Mihail MANOILIU, 14 juillet 1931 - 27 novembre 1931

Constantin ANGELESCU, 27 novembre 1931 - 3 février 1934

Grigorie DIMITRESCU, 03 février 1934 - 26 juillet 1935

Dimitrie (Mitita) CONSTANTINESCU, 23 septembre 1935 - 17 septembre 1940


371

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