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NoémieDufresne

Catalogage avant publication de Bibliothèque et


Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Dufresne, Noémie, 1994-
Noémie Dufresne : un Like à la fois
ISBN 978-2-89585-766-2
1. Dufresne, Noémie, 1994- . 2. Célébrités dans les médias. 3. Médias
et culture. 4. Célébrités – Québec (Province) – Biographies. I. Titre.
P94.5.C452C3 2016 302.23’109714 C2016-941297-0

© 2016 Les Éditeurs réunis (LÉR).

Photo de la couverture : Pierre-Luc Delisle 

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Dépôt légal : 2016


Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Bibliothèque nationale de France
NoémieDufresne

Propos recueillis par Myriam de Repentigny


Je suis Noémie

Au volant de ma Lamborghini jaune citron, mon


chauffeur privé s’engage sur la rue Sherbrooke Ouest,
dont une portion a été fermée en prévision de ma visite
à l’hôtel Ritz-Carlton. J’aperçois au loin, devant le
célèbre établissement, une foule compacte, délimitée
par des cordons de sécurité. Ça y est  ; ils ont aperçu
ma voiture – dont de multiples photographies ont été
publiées sur les médias sociaux – et, de la rue Peel à la
rue Guy, on peut bientôt les entendre crier mon prénom.
Je me sens fébrile, j’ai hâte d’arriver.
Un instant plus tard, la voiture s’immobilise devant
l’hôtel. Mon chauffeur en sort et, la contournant, il
vient ouvrir ma portière. Il me tend une main gantée de
blanc, que je saisis du bout des doigts, avec élégance.
Puis, sous les acclamations et les flashs des appareils
photo, je descends du véhicule. Vous m’attendiez,
n’est-ce pas ? Eh bien regardez-moi mainte-
nant, car je ne fais que passer.

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Noémie Dufresne

Devant moi s’étend le tapis rouge. J’y pose noncha-


lamment le pied et m’avance en souriant distraite-
ment aux journalistes, photographes et multiples fans
qui n’ont d’yeux que pour moi. Tous les trois pas, je
m’immobilise et prend la pose. Main sur la hanche,
moue boudeuse ou sourire séducteur, je me dois d’être
parfaitement à mon avantage sur toutes les photos.
Vous croyez que j’exagère ? Au contraire, cela
est primordial lorsqu’on est sous les feux de la
rampe.

Escortée par mes gardes du corps, je pénètre dans


le hall du Ritz-Carlton. À l’intérieur, l’ambiance est
survoltée. Cinq cents personnes, triées sur le volet,
hurlent leur bonheur de me voir, d’avoir enfin la chance
de se tenir à quelques mètres de moi. Une femme près de
la réception crie : Je t’aime, Noémie  ! Je la regarde
et lui souris tandis que son visage vire à l’écarlate. Un
peu plus loin, un jeune homme tente de s’approcher de
moi. Il est vite rabroué par les agents de sécurité en
place. En guise de consolation, je lui souffle un baiser,
plaçant, aussi gracieusement qu’une ballerine, ma
paume sous mon menton.
Je m’avance vers la très chic Cour des Palmiers.
À chacun de mes pas, ma longue robe de soie fuchsia,
signée Versace, caresse ma peau impeccablement

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Un Like à la fois

bronzée. La foule scande mon prénom et, de part et


d’autre de l’allée centrale, des mains se tendent vers
moi ; on veut me toucher, ne serait-ce qu’une infime
fraction de seconde. Rêverez-vous de moi, cette
nuit ? De ce bref instant où j’ai traversé votre
champ de vision ? Tout cet amour me saoule et je
sens l’adrénaline me brûler la poitrine.
Un serveur s’approche de moi, tenant un petit
cabaret sur lequel est posée une flûte de Dom Pérignon
que je saisis délicatement tout en admirant, dans la
somptueuse lumière, l’éclat de mes bagues. Je lève
ensuite mon verre en direction de la foule, qui s’exclame
de plus belle. Je me doute bien que, comme dans toutes
les soirées où je fais acte de présence, il y a certaine-
ment ici des gens qui ont parcouru des centaines de
kilomètres dans le seul but de m’apercevoir.
Tout en traversant la Cour des Palmiers, je bois, à
petites gorgées, mon verre de champagne. Près du bar,
je m’arrête, sous l’œil vigilant de mes gardes du corps,
pour signer deux ou trois autographes, serrer quelques
mains fébriles, donner une courte entrevue à un journa-
liste. Qu’est-ce que cela vous fait de revenir
à Montréal après toutes ces années passées à
New York ? Oh, vous savez, même si j’ai visité
de nombreuses grandes villes dans le monde,

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Noémie Dufresne

Montréal restera toujours « mon chez-moi ». Je


prononce cette phrase avec un subtil accent anglais.
Puis, je me mets à rire, penchant la tête vers l’arrière,
dévoilant la peau lisse et crémeuse de mon cou. Les
hommes me désirent, les femmes envient mon style à la
fois audacieux et très glamour.
Relevant d’une main légère ma longue robe, je monte
les quelques marches menant au salon ovale, où l’on
m’attend pour un dîner très important. Je me retourne
et, tout en saluant la foule, je remarque que plusieurs
femmes arborent des accessoires – bijoux, chaussures,
sacs à main – portant ma griffe. Avec désinvolture,
j’envoie mes longs cheveux bruns vers l’arrière. Je suis
Noémie, regardez-moi, je ne faisais que passer.

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#me

Qui aurait pu prédire qu’un jour, bien que je vienne


d’un milieu modeste et que mon enfance et mon
adolescence aient été parsemées d’écueils, je figurerais
parmi les personnalités les plus populaires et les plus
influentes de ma génération ? Qui, dans la petite ville
tranquille de banlieue où j’ai grandi, aurait pu croire
qu’à vingt ans à peine, je fréquenterais les lieux les plus
branchés de Montréal et côtoierais des stars internatio-
nales ? Que je deviendrais l’idole des jeunes filles et une
femme admirée par les hommes ? La vie nous réserve
parfois de belles surprises…

Mais au-delà des surprises, il y a le travail. S’il est


vrai que ma popularité est née d’une controverse, j’ai
cependant dû travailler très fort pour en arriver là où
je suis aujourd’hui. Fille d’une famille monoparentale,
comme une bonne partie des jeunes de mon âge, j’ai

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Noémie Dufresne

toujours persévéré malgré les obstacles, bien détermi-


née à atteindre mes objectifs et à faire de mes rêves
des réalités. Ainsi, si mes débuts dans la vie n’ont pas
été faciles, j’ai pourtant su tirer mon épingle du jeu et
me voilà épanouie bien au-delà de ce que j’aurais pu
espérer à l’époque.

Voir mon père partir vivre à 3000 km de chez moi


m’a littéralement brisé le cœur. Je n’avais que quatre
ans lorsque cette rupture, aussi brutale qu’inattendue,
est venue assombrir ma vie de petite fille. Je ne pouvais
m’empêcher de croire que si cela se produisait, c’était
assurément parce qu’il ne m’aimait plus. Évidemment,
j’ai compris plus tard qu’il n’en était rien et que chacun
est libre de faire sa vie comme il l’entend. N’empêche,
ce départ a laissé en moi un grand vide, que je n’ai
jamais réellement réussi à combler par la suite.

Si je suis aujourd’hui une jeune femme provocante


et d’apparence extravertie, j’ai pourtant été une enfant
timide, je dirais même d’une grande timidité. Cela
peut paraître difficile à croire, mais je rougissais facile-
ment dès que l’on posait les yeux sur moi et encore
plus lorsqu’on m’adressait la parole. Cette timidité me
contrariait et je passais mon temps à me rabaisser et à
me questionner sur moi-même et sur le sens de la vie.
Il faut dire qu’il y avait alors des problèmes dans la

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Un Like à la fois

famille recomposée au sein de laquelle je vivais depuis


que mon père était parti et que cela me préoccupait
beaucoup. Peut-être avais-je la crainte que les autres
s’en rendent compte et tentent de percer à jour mes
secrets. Ainsi, pour me protéger, pour éviter que les
autres remarquent ma tristesse, je me refermais sur
moi-même. À l’école primaire, j’avais toujours l’impres-
sion d’être bizarre, et ce, même si rien en apparence
ne me distinguait des autres élèves. J’évoluais simple-
ment dans un univers parallèle, un monde où le rêve
et la réalité se côtoyaient, tels la lune et le soleil juste
avant les premières lueurs de l’aube. Un monde loin
de tout, et non repérable sur les cartes routières. Un
pays secret, où j’étais la seule citoyenne.

Heureusement, il y avait Laurie, ma voisine et


meilleure amie. Avec elle, il n’y avait ni malaise ni
timidité. Je pouvais être moi-même, insouciante, libre
et aussi légère qu’un papillon. Nous nous voyions tous
les jours, et ce, malgré le fait que nous ne fréquentions
pas la même école. Et puis quand tout devenait trop
lourd, je n’avais qu’à traverser la rue pour trouver un
peu de réconfort et quelqu’un à qui me confier. Laurie
était la lumière qui éclairait mes nuits et qui rendait les
journées plus joyeuses. À l’heure où j’écris ces lignes,
Laurie ne fait malheureusement plus vraiment partie
de ma vie. Si l’enfance est une période magique, où

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Noémie Dufresne

les petites filles se jurent fidélité « à la vie, à la mort »,


l’âge adulte et tous les chamboulements qu’il implique
mettent cependant nos relations à dure épreuve. On
rencontre de nouvelles personnes, on change, on fait
des choix et on finit par s’éloigner de ceux de qui on
était pourtant si proche. Parfois, on ne fait pas non
plus les efforts qu’il faut pour entretenir nos relations,
on laisse la vie nous aspirer dans son grand tourbil-
lon. Est-ce ce qui s’est passé avec Laurie ? Peut-être…
Quoi qu’il en soit et bien que je mène aujourd’hui une
vie dont plusieurs rêvent, elle me manque encore et
j’ai la nostalgie des jeux de notre enfance.

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Si je suis tout récemment allée à Paris pour un contrat


de mannequin, ce n’était cependant pas la première
fois que je mettais les pieds en France. En effet, dès que
mon demi-frère et moi avons été en âge de voyager
seuls en avion, nous avons passé pratiquement tous
nos étés chez mon père, à Vigneux-de-Bretagne, un
village situé à une vingtaine de kilomètres de Nantes.
Cela peut paraître surprenant étant donné que ma
vie actuelle se déroule presque exclusivement dans les
milieux urbains chics et branchés, mais je garde un
souvenir très précieux de ces étés à la campagne où
mon père, un artiste sculpteur, cultivait un immense

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Un Like à la fois

jardin et élevait de petits animaux de ferme. J’aimais


cette vie empreinte de simplicité, au plus près de la
nature, les vieilles maisons de pierre, les arbres cente-
naires. J’adorais également lorsque nous allions passer
la journée à la mer pour nous baigner dans l’eau salée
de l’océan Atlantique et que, équipée de ma petite
planche de surf, je partais très loin au large, si loin que
les gens sur la plage n’étaient alors plus que de minus-
cules points à l’horizon.

Au retour de ces journées à la mer, mon père et moi


cuisinions des plats avec des légumes de son jardin et
d’autres aliments frais achetés dans les petits marchés
environnants. À l’époque, je ne le savais pas encore,
mais il était en train de me transmettre sa passion
pour la cuisine ! (Probablement serait-il déçu de savoir
qu’aujourd’hui, mon horaire est si chargé que je n’ai
d’autre choix que de prendre presque tous mes repas au
restaurant…) Au souper, nous discutions beaucoup. Je
pense que mon père, quelque part, cherchait à rattra-
per le temps perdu, tous ces jours où nous étions loin
l’un de l’autre et le mal qu’il m’avait fait en partant si
loin de moi. Je me souviens qu’il me disait souvent que
dans la vie, c’est important de faire ce que l’on aime,
d’exercer un métier qui nous passionne, et ce, peu
importe l’argent ou la fortune. Je trouvais ces propos
inspirants et je les conservais bien à l’abri tout au fond

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Noémie Dufresne

de mon cœur – ils y sont d’ailleurs encore aujourd’hui.


Cependant, quand j’y repense, j’ai l’impression que
selon mon père, il fallait choisir entre vivre de sa
passion et faire de l’argent. Si cela a été le cas pour lui,
moi, j’ai la chance de pouvoir exercer un métier qui
me passionne et de bien gagner ma vie.

À Vigneux-de-Bretagne, j’aimais aussi passer du


temps avec Solène, ma voisine et meilleure amie.
Ensemble, nous allions nous promener au village – un
vieux bourg pittoresque – et nous visitions ses amis.
Avec eux, je n’étais pas aussi gênée que je pouvais
l’être au Québec. Peut-être parce que, parmi ces
enfants qui ne me connaissaient pas intimement, je
n’avais pas l’impression d’être « la petite Noémie pas
rapport » que j’étais à l’école. Cela me faisait du bien
et, à la fin du mois d’août, c’est toujours avec mélan-
colie que je rentrais à la maison. Dix ans plus tard, je
crois que malgré la force de caractère que j’ai acquise
depuis, je porte encore en moi cette mélancolie. Elle
réapparaît principalement lorsque je dois quitter
les hauteurs vertigineuses de mon VIP et le regard
admirateur de mes fans pour redescendre sur terre et
rentrer chez moi telle une citoyenne ordinaire accom-
plissant les tâches les plus banales.

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Un Like à la fois

À part ces étés passés en France, je dirais que ce qui a


principalement marqué mon enfance, c’est la gymnas-
tique. J’ai commencé à pratiquer ce sport à l’âge de
sept ans et rapidement, c’est devenu ma passion.
Une passion dévorante, qui, telle celle qui motive la
femme que je suis devenue, me poussait vers l’avant
et me donnait continuellement envie de dépasser mes
propres limites. Si, à l’école, j’étais dans la lune et que
mes résultats scolaires étaient plus qu’ordinaires, au
gymnase, c’était tout le contraire. J’étais hyper concen-
trée, travaillant sans relâche mes exercices, répétant
mille fois, et jusqu’à l’épuisement, la même routine. Je
m’entraînais quinze heures par semaine. Entre-temps,
j’avais des exercices de musculation à faire à la maison.
Le sport était pour moi comme une drogue et, à l’âge
de huit ans, j’étais plus musclée et endurante que je ne
le suis aujourd’hui. Sans blague, je me souviens que
j’étais entre autres capable de faire cent push-ups d’affi-
lée sans ressentir la moindre fatigue !

Comme vous pouvez vous l’imaginer, j’affection-


nais les films de gymnastique, particulièrement ceux
où l’action se déroulait en Roumanie, où c’est le sport
national. J’adorais regarder les jeunes gymnastes
s’entraîner en tentant de ne jamais crouler sous la
pression. Cette détermination dans leurs yeux, ce désir
constant de se dépasser malgré la fatigue, la douleur

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Noémie Dufresne

et les blessures, m’impressionnaient fortement et


m’indiquaient la voie à suivre. Comme tous les enfants
lorsqu’ils aiment un film, j’écoutais en boucle mes
préférés. Je crois que j’ai dû voir une bonne centaine
de fois La championne de Rock Demers et Tomber pile,
paru en 2006, version française de Stick it. En fait, il
m’arrive encore de les regarder, en cachette bien sûr !

J’ai commencé à faire de la compétition à l’âge de


neuf ans. D’abord dans ma région puis au niveau
provincial. Du coup, et comme par magie, j’ai vu mes
résultats scolaires s’améliorer. Moi qui avais toujours
éprouvé, à l’école, d’intenses difficultés à me concen-
trer, je récoltais soudain des A. Ma mère n’en revenait
pas. Moi non plus, d’ailleurs ; j’étais si fière de moi ! On
aurait dit que plus la pression, en gymnastique, était
grande, plus je performais à l’école. Sans que je m’en
rende compte, me dépasser, repousser mes limites et
viser l’excellence était devenu un mode de vie.

En compétition, j’excellais tout particulièrement


au sol et aux barres asymétriques, où je récoltais le
plus souvent des médailles d’or ou d’argent. À la
poutre, j’étais talentueuse également, mais devant les
juges, mon trac et ma peur de tomber devenaient si
envahissants que je finissais parfois effectivement par
commettre des erreurs et perdre l’équilibre. Lorsque

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Un Like à la fois

cela se produisait, je m’en voulais à mort ; démolie,


je pleurais alors à chaudes larmes et songeais à tout
abandonner. Mais, mue par mon ambition et ma
passion, je me relevais toujours, reprenant courage
et redoublant d’ardeur à l’entraînement. Je réalise
aujourd’hui, alors que quelques centaines de milliers
de personnes me suivent sur Facebook, que la gymnas-
tique a été pour moi une véritable école de vie. Grâce à
ce sport, j’ai appris à me battre, à vivre avec la critique,
l’échec et la pression. J’ai aussi appris que la perfection
n’est pas de ce monde, mais que la viser est une des
façons les plus sûres d’atteindre les objectifs que l’on
s’est fixés.

Si je suis maintenant une des plus combatives stars


du web, c’était la même chose dans mon groupe de
gymnastes où j’étais, et de loin, la plus compétitive
et la plus motivée ; il faut dire que j’étais dure avec
moi-même. J’avais l’impression que les autres filles
songeaient surtout à s’amuser alors que moi – tout
comme je vise, depuis que je suis populaire sur le
web, les sommets – je visais déjà les Jeux olympiques.
J’étais si sérieuse et préoccupée par mes performances
que mes entraîneurs devaient souvent me rappeler
que commettre une erreur n’était pas la fin du monde
et que personne n’est parfait. Par ailleurs, devant mon
désir de dépassement, ces derniers m’accordaient

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Noémie Dufresne

une attention particulière, m’enseignant parfois des


exercices dépassant le niveau de difficulté habituel. Je
pense que les autres filles, me considérant comme étant
la chouchou des coachs, me jalousaient et me tenaient,
par le fait même, à l’écart. J’étais ainsi, comme à l’école
primaire, le plus souvent à part des autres et cela m’attris-
tait. Il n’y avait qu’à ma coéquipière et amie Mégane –
que je fréquentais aussi à l’extérieur des entraînements
– que je parlais. Lorsqu’elle a quitté le club de gymnas-
tique, je me suis sentie plus seule que jamais.

Aujourd’hui, quand je repense à tout cela – la jalou-


sie des autres filles, leurs petits commentaires mépri-
sants, leur hypocrisie et leur façon de m’ignorer
ostensiblement – j’y vois, si je peux m’exprimer de la
sorte, comme un présage de ce que j’allais vivre plus
tard. C’était, en fait, de l’intimidation, mais à l’époque,
je ne m’en rendais pas véritablement compte. Je me
sentais rejetée, mais ma passion pour la gymnastique
et mon désir de performer étaient si forts que je refou-
lais ce sentiment, l’enfouissant au plus profond de mon
être afin de me concentrer sur mon sport. Cependant,
peut-être ne le savez-vous pas encore, mais, de même
que tout finit par se savoir, tout ce qu’on refoule finit
par remonter à la surface. Je l’ai appris à mes dépens
en 2013, lorsque j’ai commencé à me faire intimider à
cause de l’histoire du lift (sur laquelle je reviendrai plus

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Un Like à la fois

tard) et qu’alors, toutes ces plaies, que je croyais être


depuis longtemps refermées, se sont d’un seul coup
rouvertes…

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À onze ans, je suis allée vivre chez mon père, en


France, pendant trois mois. D’habitude, j’y allais
pendant l’été, mais cette année-là, exceptionnelle-
ment, mon séjour là-bas s’est déroulé pendant l’année
scolaire. Comme il n’était pas question que j’arrête la
gymnastique, il m’a inscrite au club du village.

Vu que je m’entraînais depuis plusieurs années déjà


et que là-bas, visiblement, les gymnastes gravissaient
les niveaux plus lentement qu’ici, je suivais mes cours
avec des filles âgées de dix-sept à vingt ans. J’étais
vraiment minuscule à côté d’elles ! En même temps, je
trouvais cela génial ; puisque les filles ne me voyaient ni
comme une chouchou ni comme une rivale, j’avais ma
place dans le groupe et beaucoup moins de pression
sur les épaules. Je dirais même que j’avais une place
privilégiée parmi elles ; à cause de mon jeune âge et de
ma petite taille, elles m’accordaient une attention toute
particulière, empreinte d’affection et de bienveillance.
Elles me prenaient constamment sur leurs épaules, me
faisaient faire toutes sortes d’acrobaties. J’étais un peu
comme leur petite mascotte !

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Noémie Dufresne

À mon retour au Québec – je commençais alors


ma sixième année – j’ai passé les examens d’admis-
sion d’une école secondaire de ma région offrant un
programme sport-études. Je désirais non seulement
poursuivre la pratique de mon sport, mais m’y inves-
tir encore davantage. Je me disais par ailleurs qu’il
serait intéressant pour moi de côtoyer, au quotidien,
des élèves partageant ma passion pour le sport. Bref,
ce programme me semblait vraiment être la meilleure
option possible. Pendant deux semaines, j’ai fébri-
lement attendu la réponse de l’école. Puisque les
examens d’admission s’étaient bien déroulés, j’avais
espoir que celle-ci serait positive. Cela n’a cependant
pas été le cas : malgré des remarques élogieuses de la
part des entraîneurs, qui considéraient que j’avais le
potentiel nécessaire – si je retravaillais certains mouve-
ments – pour repasser l’examen d’admission l’année
suivante, ma candidature n’a pas été retenue. Quelle
déception !

Puisque je n’avais pas été acceptée dans le programme


sport-études, j’ai commencé, l’année suivante, à
fréquenter l’école secondaire de mon quartier, et
ce, tout en poursuivant mes entraînements. Je parti-
cipais aussi régulièrement à des compétitions où je
remportais, la plupart du temps, des médailles d’or ou
d’argent. Debout sur le podium, je me sentais si fière

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