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L'INTERDICTION DES PROPAGANDES POLITIQUE ET

CONFESSIONNELLE DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES


Deux circulaires de Jean Zay en 1936 et 1937

Olivier Loubes

Presses de Sciences Po | « Vingtième Siècle. Revue d'histoire »

2004/1 no 81 | pages 131 à 136


ISSN 0294-1759
ISBN 2724629736
Article disponible en ligne à l'adresse :
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DOCUMENT

L’INTERDICTION
DES PROPAGANDES POLITIQUE
ET CONFESSIONNELLE DANS
LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
DEUX CIRCULAIRES DE JEAN ZAY EN 1936 ET 1937

Olivier Loubes

Dans le débat actuel sur l’interdiction du des signes religieux et politiques ostenta-
port du foulard islamique, l’histoire est con- toires 2 ». Le ministre de l’Éducation natio-
voquée, comme il se doit à propos de toute nale du Front populaire serait donc à l’ori-
évolution de la société et de ses règles. Il gine d’une réglementation suffisant à
s’agit souvent du recours à une histoire très régler les problèmes actuels. Mais que
contemporaine. Les positions ayant pu se contient cette circulaire ? De quoi est-elle
vraiment fondatrice ? Voilà l’objet de cette
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modifier, on évoque, comme Laurent Fabius,
« un contexte différent » à quatorze ans mise au point qui, avant de donner à lire
d’écart 1. On s’interroge alors sur les condi- les textes de Jean Zay, nous fait envisager
tions qui présidèrent à la rédaction de l’ar- une réglementation scolaire où se recou-
rêté du Conseil d’État de novembre 1989, à vrent le politique et ses insignes, puis le re-
la suite de l’exclusion de trois jeunes filles ligieux et ses emblèmes. On constate que
d’un collège de Creil en octobre de la si 1936 est effectivement une date impor-
même année. tante, mais d’abord dans le domaine poli-
tique, il faut sauter une guerre de plus

L e problème est donc avant tout placé


sur le terrain scolaire, fertile en
joutes républicaines sur la laïcité. Re-
montant plus avant dans le temps, il est
surtout posé aux historiens la question de
pour aller à la rencontre des textes de réfé-
rence pour les signes religieux : à cet
égard, 1882 et 1903 sont les vraies dates
emblématiques.

la date et du contenu des mesures d’inter-  1936 : LE SANCTUAIRE SCOLAIRE


diction prises pour fixer les rapports entre
la religion et l’école autour des signes de En fait, il n’y a pas une mais deux circu-
croyance. C’est sur ce thème qu’est ap- laires Jean Zay sur la propagande à l’école.
parue, sous la plume d’Émile Poulat en Mais l’un de ces textes est essentiel, long,
particulier, la référence à « la circulaire détaillé, portant sur la propagande poli-
Jean Zay, datée de 1936 [qui] n’a toujours tique, avec un ajout de circonstance, spec-
pas été abrogée, et [qui] règle le problème
2. « Faut-il légiférer pour interdire le port du foulard
islamique ? », entretien avec Émile Poulat recueilli par Isa-
1. Le Monde, 18-19 mai 2003. belle de Gaulmyn, La Croix, 22 avril 2003.

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Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 81,
janvier-mars 2004, p. 131-136.
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taculairement bref, sur le prosélytisme l’accent sur « un certain nombre d’incidents


confessionnel. En effet, la circulaire du récents ». Dans le contexte des premiers
31 décembre 1936 n’est aucunement mo- mois du Front populaire et, plus large-
tivée par l’interdiction des signes religieux. ment, de la crise liée à l’effervescence des
Sont visés « tract », « fournitures scolaires » ligues à la fin des années 1930, le mar-
et « buvard », intégralement liés à « la ré- quage politique de l’espace public se ren-
pression de toute tentative politique s’adres- force comme en témoigne un collégien de
sant aux élèves ou les employant comme l’époque, Bernard Aumont, à propos de la
instruments ». Certes, cinq mois plus tard, floraison des papillons qu’il récolte
le 15 mai 1937, le ministre – à l’initiative en 1935 et 1936, en particulier à proximité
des milieux laïques ? De ceux du pri- des établissements d’enseignement 3. L’in-
maire 1 ? – ajoute un court paragraphe placé terdiction des ligues d’extrême droite, ef-
sous le signe de l’évidence, et, à l’évi- fective en juin 1936 4, occasionne une cir-
dence, justement, il s’agit de rassurer les culaire ministérielle sur « l’interdiction du
troupes laïques, auxquelles le radical Jean port d’insignes politiques » le 1 er juillet
Zay est attaché, par un simple rappel 1936, puis une rentrée d’automne où se
concernant « les propagandes confession- multiplient les actions de propagande en
nelles ». direction de la jeunesse des lycées et col-
Au-delà de ce déséquilibre de traite- lèges. C’est la raison de la rédaction de ce
ment, les deux textes sont de même ton. Ils nouveau texte qui va désormais faire date.
insistent sur la « fermeté sans défaillance » Ainsi, cinq ans plus tard, la préoccupa-
que doivent montrer les recteurs dans les tion exprimée par la circulaire Zay a trouvé
sanctions. Il est prévu, pour les élèves, un écho dans une autre circulaire, due à
après « un avertissement collectif et so- Jérôme Carcopino, datée du 7 juin 1941,
lennel », l’application de mesures d’exclu- intitulée « Passion partisane de la jeu-
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sion, pouvant s’étendre jusqu’à la totalité nesse » et qui fait référence implicitement à
des établissements, parce que « les écoles celle de 1936 : « […] Souvent rappelée à
doivent rester l’asile inviolable où les que- nos collégiens dans le passé, l’interdiction
relles des hommes ne pénètrent pas ». C’est de s’affilier à des ligues en vue d’une ac-
le fondement de l’argumentaire : l’école tion politique peut paraître superflue parce
doit être un sanctuaire hors des passions qu’une loi récente dissout toutes ces
humaines. ligues. Je crois néanmoins nécessaire de la
Quels éléments conditionnent cette renouveler et je vous demande instamment
sévérité ? Pourquoi une telle inquiétude en de redoubler de vigilance et de fermeté
1936 ? Le ministère insiste, dans le dernier pour arriver à la certitude que tous nos
paragraphe de la circulaire, sur la réforme élèves, particulièrement ceux de l’ensei-
qu’il est en train de mettre en place afin gnement secondaire et de l’enseignement
d’accélérer l’unification des degrés d’ensei- primaire supérieur, consacrent exclusive-
gnement. La fermeté est ici justifiée par la ment leurs efforts à la poursuite de leurs
nécessité de garantir les conditions d’une études. […] » L’écho est, bien sûr, para-
bonne application de « l’expérience » de doxal car les passions partisanes condam-
démocratisation méritocratique initiée de- nables sont désormais gaullistes, et que
puis 1918 et accentuée par le Front popu- l’ancien ministre de l’Éducation nationale
laire 2. Mais le texte met, en premier lieu,
3. Bernard Aumont, « La chasse aux papillons à Paris en
1. Ce que peut laisser penser la mention de « tous les 1935 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 11, juillet-sep-
degrés » le 5 mai 1937, à la place de « lycées et collèges » le tembre 1986, p. 21-39.
31 décembre 1936. 4. Le décret de dissolution des ligues de juin 1936 pro-
2. Cf. Pascal Ory, La belle illusion. Culture et politique sous longe l’interdiction des formations paramilitaires de
le signe du Front populaire, 1935-1938, Plon, 1994. janvier 1936.

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est interné à Riom depuis 1940. Mais le nous sommes renvoyés à une gamme d’in-
même souci d’essayer de tenir l’enseigne- terdictions telle que celle qui apparaît
ment en dehors des luttes politiques est lorsqu’on ouvre la bible réglementaire des
mis en avant 1. Ce souci de neutralité, ici instituteurs, le Code Soleil, à la seule entrée
clairement dirigé contre la résistance, est qui concerne les signes religieux ou poli-
aussi réaffirmé dans le domaine confes- tiques, c’est-à-dire à l’entrée « emblèmes
sionnel à propos de l’emblème religieux religieux ». On peut y lire : « Les emblèmes
par excellence pour la période : le crucifix. religieux, de quelque nature qu’ils soient,
En témoigne une circulaire du ministre se- ne doivent pas figurer dans les locaux sco-
crétaire d’État à l’Intérieur du 15 avril laires (C 9 avril 1903). Sont interdites dans
1941 : « Il m’a été signalé que divers magis- les écoles : les représentations théâtrales ;
trats municipaux avaient cru devoir spon- les pétitions, quêtes, souscriptions, lote-
tanément replacer des emblèmes soit dans ries 2 ; les photographies individuelles (C
les salles d’écoles, soit même dans les mai- 18 janvier 1929) ; la publicité commerciale
ries. J’ai l’honneur de vous prier, d’accord (C 19 novembre 1936) ; le port d’insignes
avec le secrétaire d’État à l’Éducation natio- politiques (C 1er juillet 1936) ; toute propa-
nale et à la Jeunesse, d’aviser les municipa- gande politique (C 31 décembre 1936) ou
lités de votre département que ces initia- confessionnelle (C 15 mai 1937) ; est éga-
tives sont contraires au principe de lement interdite, l’introduction de livres,
neutralité qui demeure la base de la lé- brochures, imprimés ou manuscrits étran-
gislation. La mairie reste la maison com- gers à l’enseignement sans l’autorisation
mune ouverte à tous, sans distinction de écrite de l’Inspecteur d’Académie (ARM) 3. »
croyance. L’école reçoit des enfants de Or, on le voit, pour les administrateurs
toutes les confessions. Dès lors, l’une et de l’entre-deux-guerres, même après la cir-
l’autre, dans un État attaché à la liberté de culaire du 5 mai 1937, la référence en ma-
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conscience, ne sauraient être placées sous
tière d’interdiction d’emblèmes religieux
un symbole religieux. […] »
reste la circulaire du 9 avril 1903 adressée
aux préfets par le ministre de l’Instruction
 1903 ET 1882 : L’INTERDICTION publique et des Beaux-Arts, J. Chaumié.
À « TEMPÉRAMENT » Bien sûr elle est dans les faits une simple
précision de la grande loi du 28 mars 1882
Quoi qu’il en soit de l’impossible crédit (voilà la vraie référence normative) qui fixe
à accorder à l’État français se proclamant les règles de la neutralité à l’école, mais
« un État attaché à la liberté de conscience » elle la précise de manière essentielle sur
et au respect de « toutes les confessions », l’application pratique des interdictions. Son
le problème posé par le crucifix dans les point III concerne les emblèmes religieux :
locaux fait ressurgir un point délicat de
« Les emblèmes religieux, de quelque
l’application de la neutralité religieuse
nature qu’ils soient (crucifix, images, sta-
jusqu’à 1945, dès lors qu’il s’agit de sym-
tues), ne doivent pas figurer dans les
bole. Et si l’on cherche à comprendre ce
locaux scolaires. Toutefois le gouverne-
que furent la lettre et l’esprit des interdic-
ment a toujours admis en cette matière cer-
tions de signes religieux à cette époque,
c’est vers ce point qu’il faut se tourner. 2. Une note précise qu’« il s’agit d’empêcher que l’école ne
Cherchant le terme d’« emblème » dans serve à des manifestations commerciales ou tendancieuses »
mais que « l’administration autorise et encourage » toutes les
tous les index de réglementation scolaire, initiatives qui ont un but de « bienfaisance scolaire ».
3. Joseph Soleil, Le livre des instituteurs. Traité complet
1. Y compris d’ailleurs en essayant de limiter au des devoirs et des droits des membres de l’enseignement, Li-
maximum la présence et l’action des propagandistes offi- brairie Le Soudier, 1939, p. 128. Ce livre est familièrement
ciels dans l’enceinte des établissements scolaires (circulaire appelé « Code Soleil », du nom de son auteur. C signifie cir-
du 2 décembre 1940). culaire ministérielle et ARM arrêté règlement modèle.

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tain tempérament. La règle qu’il a suivie a souple que les textes des fondateurs de
été exposée dans la circulaire du 2 no- l’école républicaine et de leurs successeurs
vembre 1882 : “Il n’y a qu’une manière de immédiats. Il y a là un raidissement de
bien appliquer la loi scolaire, c’est de l’État, typique du climat de la fin des
l’appliquer dans l’esprit même où elle a été années 1930, face à une situation politique
votée… non comme une loi de combat jugée autrement plus critique et à une jeu-
dont il faut violemment enlever le succès, nesse autrement plus politisée.
mais comme une de ces grandes lois orga- Qu’il s’agisse de 1936, de 1903 ou de
niques qui sont destinées à vivre avec le 1882, on peut relever, en matière de signes
pays, à entrer dans ses mœurs, à faire religieux, de grandes différences avec la si-
partie de son patrimoine.” Si donc il a été tuation actuelle. Sous la Troisième Répu-
constamment recommandé aux préfets de blique puis jusqu’aux années 1980, l’État
veiller à ce qu’aucun emblème religieux ne assume l’interdiction avec autorité tout en
fût introduit dans les bâtiments neufs et se réservant une application à « tempéra-
dans ceux où des appropriations nouvelles ment ». Ce jeu de la pratique par rapport à
nécessitent un remaniement des locaux ou l’affirmation des principes laisse une cer-
le changement du matériel de classe, il leur taine marge de manœuvre sur le terrain,
a été prescrit d’autre part de ne procéder à mais dans un cadre ferme : la loi d’interdic-
l’enlèvement desdits emblèmes dans les tion prime en dernier recours, offre des
écoles anciennes qu’avec toute la pru- bornes solides au dialogue. L’autre diffé-
dence et le respect désirables, là où on ne rence porte sur la place de l’élève. Il se
risquait pas de choquer ouvertement le situe désormais au centre du « système »,
sentiment des populations, et en ayant depuis la loi d’orientation de 1989, et pas
soin de profiter des époques réglemen- au motif exclusif de la pédagogie : l’on est
taires des vacances, afin d’éviter toute agi- passé de la suspicion sur les adultes en gé-
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néral, et les maîtres en particulier 1, typique
tation et tout scandale. » Tout est ainsi dit,
de toute la réglementation de la Troisième
ou presque, de la pratique républicaine à
République, à l’inquiétude concernant l’ac-
cette époque : l’État ne doute pas de ses
tion et l’identité des élèves. Ce sont eux dé-
principes, de la nécessité d’interdire les
sormais qui posent problème. Enfin, il faut
symboles religieux, mais il recommande
signaler que ces glissements s’accompa-
un « certain tempérament » dans l’applica- gnent du passage à une société de plus en
tion, depuis Paul Bert en 1882. plus contentieuse, procédurière, dans la-
quelle le règlement des rapports entre les
 DU BUVARD AU FOULARD attitudes individuelles et les normes collec-
tives passe, bien plus que sous Jean Zay,
Que peut apporter l’histoire au débat qui par les jugements de cours que par les cir-
rebondit depuis 1989 ? Concernant la cir- culaires de la rue de Grenelle.
culaire ministérielle de 1936, elle paraît
peu appropriée au règlement du problème
actuel car son objet n’est pas la neutralité
religieuse mais la lutte contre la propa-
gande politique : le buvard n’est pas le
foulard. Son texte complémentaire de 1937
n’est qu’un simple additif, sorte de remords
destiné aux ouailles laïques. La circulaire
Jean Zay paraît encore moins adaptée à la 1. Il s’agit en particulier de l’inquiétude récurrente à
propos du pacifisme des instituteurs. Cf. Olivier Loubes,
défense d’une position conciliante car elle L’école et la patrie. Histoire d’un désenchantement (1914-
est d’une fermeté sans appel, bien moins 1940), Paris, Belin, 2001.

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L’interdiction des propagandes politique et confessionnelle dans les établissements

L’interdiction de la propagande politique pelle que les lois et règlements généraux de


Circulaire du Ministre de l’Éducation police permettent sans conteste aux auto-
nationale du 31 décembre 1936 rités locales d’interdire les distributions de
tracts dans leur voisinage lorsqu’elles sont
« Monsieur le Recteur, de nature à troubler l’ordre, tout spéciale-
ment quand le colportage est l’œuvre de
mineurs non autorisés. Une circulaire de
Mes prédécesseurs et moi-même avons M. le Ministre de l’Intérieur, en date du
appelé déjà à plusieurs reprises votre atten- 20 mai 1936, a précisé en cette matière les
tion sur les mesures à prendre en vue pouvoirs de l’autorité administrative. Il
d’éviter et de réprimer toute agitation de conviendra, le cas échéant, d’appeler sur
source et de buts politiques dans les lycées et ce texte, l’attention de MM. les Préfets.
collèges. Éventuellement aussi, on indiquera aux
Un certain nombre d’incidents récents parents qu’un recours leur est ouvert contre
m’obligent à revenir encore sur ce sujet les personnes se trouvant, par leur inter-
d’importance capitale pour la tenue des vention, à la source des sanctions prises
établissements d’enseignement du second contre leurs enfants.
degré et d’insister d’autant plus que les Quant aux élèves, il faut qu’un avertisse-
modes coutumiers d’infraction font place à ment collectif et solennel leur soit encore
des manœuvres d’un genre nouveau. donné, et que ceux d’entre eux qui, malgré
Ici, le tract politique se mêle aux fourni- cet avertissement, troubleraient l’ordre des
tures scolaires. L’intérieur d’un buvard établissements d’instruction publique en se
d’apparence inoffensive étale le pro- faisant, à un titre quelconque, les auxi-
gramme d’un parti. Ailleurs, des recruteurs liaires de propagandistes politiques, soient
politiques en viennent à convoquer dans l’objet de sanctions sans indulgence. L’in-
une “permanence” un grand nombre d’en-
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térêt supérieur de la paix à l’intérieur de
fants de toute origine scolaire pour leur re- nos établissements d’enseignement passera
mettre des papillons et des tracts à l’insu, avant toute autre considération. Toute in-
bien entendu, de leurs parents et les en- fraction caractérisée et sans excuse sera
voyer ensuite les répandre parmi leurs punie de l’exclusion immédiate de tous les
condisciples. établissements du lieu où elle aura été com-
Certes, les vrais coupables ne sont pas les mise. Dans les cas les plus graves, cette ex-
enfants ou les jeunes gens, souvent encore clusion pourra s’étendre à tous les établisse-
peu conscients des risques encourus et dont ments d’enseignement public.
l’inexpérience et la faculté d’enthousiasme Tout a été fait dans ces dernières années
sont exploitées par un esprit de parti sans pour mettre à la portée de ceux qui s’en
mesure et sans scrupule. Il importe de pro- montrent dignes les moyens de s’élever in-
téger nos élèves contre cette audacieuse ex- tellectuellement. Il convient qu’une expé-
ploitation. À cet effet, toute l’action dési- rience d’un si puissant intérêt social se dé-
rable devra être aussitôt entreprise auprès veloppe dans la sérénité. Ceux qui
des autorités de police par MM. les Chefs voudraient la troubler n’ont pas leur place
d’établissements, les Inspecteurs d’Aca- dans les écoles qui doivent rester l’asile in-
démie et vous-mêmes. violable où les querelles des hommes ne pé-
On devra poursuivre énergiquement la nètrent pas. »
répression de toute tentative politique
s’adressant aux élèves ou les employant Jean Zay
comme instruments, qu’il s’agisse d’enrôle-
ments directs ou de sollicitations aux
abords des locaux scolaires. Je vous rap-

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Olivier Loubes

L’interdiction Aucune forme de prosélytisme ne saurait


des propagandes confessionnelles être admise dans les établissements. Je vous
Circulaire du Ministre de l’Éducation demande d’y veiller avec une fermeté sans
nationale du 15 mai 1937 défaillance. »
Jean Zay 1
« Monsieur le Recteur,
Ma circulaire du 31 décembre 1936 a 1. Source : Yves Lequin (dir.), Histoire de la laïcité,
Besançon, CRDP de Franche-Comté, 1994, p. 243-244.
attiré l’attention de l’Administration et des
Chefs d’établissements sur la nécessité de 
maintenir l’enseignement public de tous les
degrés à l’abri des propagandes politiques.
Il va de soi que les mêmes prescriptions Olivier Loubes vient de publier L’École et la Patrie.
s’appliquent aux propagandes confession- Histoire d’un désenchantement, 1914-1940 (Belin,
nelles. L’enseignement public est laïque. 2001).
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