20 | économie & entreprise
MARDI 24 NOVEMBRE 2020
La vague de l’éolien en mer
DOSSIER
I
l pèse 450 tonnes, mesure 10 mètres
de haut : l’immense museau à moitié
cylindrique semble tout droit sorti de
la galerie de robots impériaux de La
Guerre des étoiles. En ce jour de sep-
tembre, à Montoir-de-Bretagne (Loi-
re-Atlantique), General Electric (GE) inaugure
la fabrication de la première nacelle d’éo-
lienne qui va équiper, au large de Saint-Na-
zaire, le premier parc français. Après de
longues années de recours juridiques et
d’embûches administratives, le champ opéré
par EDF devrait commencer à être progressi-
vement opérationnel en avril 2022, pour ali-
menter en électricité et en chauffage l’équi-
valent de 720 000 foyers par an. « La route n’a
pas toujours été simple », reconnaît Jérôme
Pécresse, PDG de GE Renewable Energy, qui
salue « une étape importante pour le dévelop-
pement de l’éolien en France ».
Alors qu’elle doit fournir les 80 machines
du parc de Saint-Nazaire, l’usine General
Electric est déjà en plein travaux d’agrandis-
sement. Elle fabrique aujourd’hui des nacel-
les pour des éoliennes de 6 mégawatts, les
turbines les plus puissantes au moment de
la signature de l’appel d’offres en 2011. Mais
le groupe américain s’est lancé dans la
conception d’une machine bien plus puis-
sante : une éolienne de plus de 12 mé-
gawatts, avec des pales de plus de 100 mè-
tres, pour une hauteur totale de 260 mètres.
GE espère vendre ces géants au plus grand
parc éolien du monde en cours de finalisa-
tion au Royaume-Uni. Le projet Dogger
Bank, d’une capacité installée totale de
3 600 mégawatts (l’équivalent de plus de
deux EPR nucléaires), dit tout du rêve de
grandeur de l’éolien en mer : opérationnel à
partir de 2023, il devrait fournir de l’électri-
cité à 4,5 millions de foyers britanniques.
L’éolien offshore ne fournit aujourd’hui
qu’une toute petite fraction de l’électricité
produite dans le monde (environ 0,3 %
en 2018) mais pourrait représenter dans les
vingt prochaines années un marché de plus
de 1 000 milliards de dollars (soit 842 mil-
liards d’euros), selon l’Agence internationale
de l’énergie (AIE). Une révolution pour la
transition énergétique à l’échelle planétaire.
« Deux secteurs ont changé la donne ces dix
dernières années dans le monde de l’énergie :
les forages de schiste et la croissance du
solaire photovoltaïque, analyse Fatih Birol,
directeur de l’AIE. L’éolien en mer a le poten-
tiel d’être le troisième. » Le développement
rapide des énergies renouvelables s’est
Si l’éolien offshore ne représente qu’une faible partie
de l’électricité produite dans le monde, la croissance
de ce secteur-clé de la transition énergétique attire
tous les industriels, même les pétroliers.
En retard, la France structure son industrie
fondé sur un modèle à l’opposé du fonction-
nement classique d’un réseau électrique :
une très forte décentralisation et la multipli-
cation de petites installations – des parcs de
quelques éoliennes terrestres, des panneaux
solaires en toiture ou sur les parkings.
UN ÉCOSYSTÈME TOURNÉ VERS LA MER
L’éolien offshore prend le contre-pied de
cette logique : les parcs en construction,
essentiellement concentrés dans le nord de
l’Europe, atteignent souvent 1 000 mé-
gawatts de capacité installée, soit l’équiva-
lent d’un réacteur nucléaire – en France, les
parcs solaires dépassent, eux, rarement
30 mégawatts –, des projets de grande taille,
à une échelle industrielle comparable à celle
de grands projets pétroliers ou gaziers. Les
éoliennes en mer tournent, comme leurs
petites sœurs sur terre, de façon intermit-
tente, mais les vents du large sont à la fois
Le Royaume-Uni parie sur le vent pour sa stratégie énergétique
faire du royaume-uni « l’Arabie
saoudite de l’éolien ». Avec son habi-
tuel langage fleuri, Boris Johnson a
dressé mardi 17 novembre une vision
ambitieuse pour l’avenir énergétique
du pays : le premier ministre britan-
nique veut faire de son pays un acteur
incontournable de cette technologie,
pariant en particulier sur l’éolien offs-
hore, dont il entend multiplier la
capacité par quatre d’ici à 2030, pour
atteindre 40 gigawatts. « Dans dix ans,
nous produirons assez d’électricité éo-
lienne offshore pour fournir la
consommation de tous les ménages
du pays [soit environ le tiers de la
consommation d’électricité totale] »,
assure M. Johnson.
Contrairement à d’autres promes-
ses du leader britannique, celle-ci ne
semble pas farfelue. « L’industrie
éolienne pense que c’est réalisable »,
plus puissants et plus réguliers, ce qui per-
met de produire de manière quasi continue.
Ces projets nécessitent la mise en place
d’un écosystème industriel tourné vers la
mer. Pour preuve, en France, le chantier de
Saint-Nazaire va mobiliser aussi bien les
Chantiers de l’Atlantique, qui construiront les
sous-stations électriques en mer, Réseau de
transport d’électricité (RTE), qui installera les
raccordements, et une kyrielle d’entreprises
de taille moyenne. Les budgets sont eux aussi
d’un autre ordre : le projet de Dunkerque,
attribué en 2019 à EDF face à six concurrents,
est estimé autour de 2 milliards d’euros, pour
un coût du mégawattheure estimé inférieur à
50 euros – contre plus de 150 euros pour les
premiers parcs français. « L’éolien offshore,
avec de grands espaces en mer, permet ce type
de mégaprojets », note Yara Chakhtoura, vice-
présidente de la commission offshore de
France énergie éolienne (FEE) et directrice
estime Simon Evans, de Carbon Brief,
un site britannique indépendant
d’analyse des données énergétiques.
Le succès de ces dix dernières années
le prouve : la capacité installée a été
multipliée par huit, à 10,5 gigawatts.
Cela fait du Royaume-Uni le leader
mondial de l’éolien offshore.
De nouveaux records battus
En 2019, 10 % de l’électricité britanni-
que est venue de cette source, portant
la part du renouvelable à 37 %. La géo-
graphie est bien sûr un avantage
évident : le pays possède 12 000
kilomètres de côtes et – comme le di-
sent les technocrates – il a d’immen-
ses « réserves » de vent. En clair, ça
souffle fort. Les fonds marins peu pro-
fonds sont également essentiels, puis-
que permettant de fixer les pylônes
des éoliennes sans trop de difficultés.
0123
Le parc éolien
offshore de
Burbo Bank, en
mer d’Irlande,
détenu par
l’énergéticien
danois Orsted.
PAUL LANGROCK/LAIF-REA
générale de Vattenfall Eolien, filiale française
du groupe public suédois.
La dynamique du secteur et la baisse des
coûts attirent les industriels rompus aux
grands chantiers. Le groupe français
Nexans, expert du câble électrique, a ainsi
réorganisé une partie de sa production
mondiale autour de l’éolien en mer : son
usine de Caroline du Nord a été entièrement
repensée début 2020 afin de pourvoir aux
besoins à venir du marché dans les prochai-
nes années. A la différence du solaire, dont la
production est massivement localisée en
LES ACTEURS Chine et en Asie du Sud-Est, l’éolien offshore
EUROPÉENS est encore fortement concentré en Europe.
ONT DÉVELOPPÉ L’ARRIVÉE DES GROUPES PÉTROLIERS
Le Royaume-Uni de Boris Johnson fait la
UNE EXPERTISE course en tête avec 10 gigawatts (GW) de ca-
pacité installée et une trajectoire de 40 GW
RECONNUE DANS en 2030. En Europe, on comptait fin 2019
UN UNIVERS plus de 5 000 éoliennes offshore connectées
au réseau, l’Allemagne et le Danemark sui-
DE PLUS EN PLUS vant de près les Britanniques – et toujours
aucune en France. La Commission euro-
CONCURRENTIEL péenne a annoncé début novembre des ob-
jectifs ambitieux en la matière, visant
60 GW d’ici à 2030 au sein de l’Union.
Mais la Chine devrait connaître dans les
prochaines années un développement
fulgurant : l’AIE prévoit que le pays devrait
devenir le numéro un en capacité installée
en 2025. « Aujourd’hui, cinq pays (Royaume-
La politique de soutien active des gou- est proche des prix de gros de l’électri-
vernements depuis 2002 a fait le reste. cité sur le marché. C’est trois fois
Aujourd’hui, les éoliennes bénéfi- moins qu’aux débuts de cette techno-
cient d’un prix de l’électricité garanti à logie et cela signifie que l’éolien en
l’avance, ce qui permet aux investis- mer est désormais concurrentiel. La
seurs de ne prendre pratiquement possibilité de premières fermes éo-
aucun risque. Un système astucieux liennes sans subvention se rappro-
de mise aux enchères inversée a aussi che. La technologie s’améliore aussi.
permis de faire progressivement bais- Chaque année, les records de taille
ser le prix de la construction. Quand sont battus. Dans le nord-est de l’An-
le gouvernement met en vente un gleterre, les préparatifs de la ferme
contrat garantissant le prix de l’élec- éolienne Dogger Bank sont en cours.
tricité, il fixe un plafond, qu’il ne Quand celle-ci sera terminée, en 2025,
dépassera pas, et invite les entreprises elle sera la plus grande au monde,
à proposer le prix le plus bas possible. avec trois tranches fournissant cha-
« Cela a permis de stimuler la concur- cune 1,2 gigawatt. L’équivalent, à cha-
rence, forçant les entreprises à baisser que fois, de la capacité d’une centrale
leur base de coûts », explique M. Evans. nucléaire, à la différence notable que
Les derniers contrats, prévoyant la tout doit être terminé beaucoup plus
livraison de l’électricité à partir de vite, en seulement cinq ans. p
2023, ont été remportés à 40 livres éric albert
(45 euros) par mégawattheure, ce qui (londres, correspondance)
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2020
L’Europe, dynamique leader de l’éolien en mer
Capacités de production d'électricité par éolien
en mer, installées et prévisions, en mégawatts
(MW)
2018 2040
19 000 127 000
Union
européenne
4 000 107 000
Chine
38 000
Etats-Unis
25 000
Corée du Sud
Inde
16 000
4 000
Japon
90
2005
Les acteurs européens à la manœuvre
Fabricants des turbines d’éoliennes en mer en service en Europe
en 2019, en %
68
Siemens-Gamesa (Allemagne-Espagne)
Vestas Offshore Wind (Danemark)
Principaux développeurs des éoliennes en mer en service en Europe fin 2019, en %
16
12
7 7
Orsted RWE Vattenfall
(Danemark) (Allemagne) (Suède)
Infographie : Le Monde, Audrey Lagadec, Maxime Mainguet Sources : Agence internationale de l'énergie, Wind Europe, ministère de la transition écologique, France énergie éolienne
Uni, Allemagne, Belgique, Danemark et
Chine) représentent près de 95 % des capaci-
tés installées d’éolien offshore, c’est un secteur
très concentré, explique Sophie Meritet, maî-
tresse de conférences à l’université Paris-
Dauphine-PSL. Mais de nouveaux pays se po-
sitionnent, comme Taïwan, la Corée du Sud,
les Etats-Unis… » Les acteurs européens,
comme le danois Orsted ou l’espagnol
Iberdrola, ont développé une expertise
reconnue dans un univers de plus en plus
concurrentiel.
Une avance bienvenue, alors que de nou-
veaux acteurs aux poches pleines s’intéres-
sent au sujet : les groupes pétroliers euro-
péens, comme BP ou Total, ont de grands
projets dans le secteur. Ces majors des hydro-
carbures veulent prendre le train de la transi-
tion énergétique pour réduire leur impact
carbone et améliorer leur image. Surtout, ils
sont habitués à financer des projets
colossaux. BP a ainsi annoncé en septembre
un investissement de 1,1 milliard de dollars
pour entrer au capital de deux champs en
mer aux Etats-Unis. Total a également pris
des parts dans un parc éolien offshore en
Ecosse et a investi dans un mégaprojet d’éo-
lien flottant au large de la Corée du Sud.
Les pétroliers vont-ils devenir les nou-
veaux rois de l’éolien ? « Cette arrivée se fait
de manière progressive, relativise Colette
Lewiner, autrice du rapport mondial sur
l’énergie de Capgemini. D’abord, il s’agit sur-
tout des Européens. Et quand on regarde dans
le détail, cela reste une toute petite partie de
leurs investissements. » « Ils vont découvrir le
monde de l’électricité où les bénéfices sont
beaucoup moins spectaculaires que dans le
monde du pétrole. Il n’est pas certain que
leurs actionnaires apprécient tous », raille
quant à lui le patron d’un grand groupe bien
installé dans le secteur.
Mais les pétroliers ont aussi une expertise
technologique en mer et un écosystème de
partenaires industriels habitués à travailler
avec eux sur le sujet. « On trouve facilement
des salariés prêts à travailler sur l’offshore
dans notre branche exploration production »,
témoigne ainsi le PDG de Total, Patrick
Pouyanné, qui explique vouloir investir en
priorité dans des « projets géants ». Un vrai
changement de cap pour le groupe français,
qui a longtemps été réticent à investir dans
L'Europe mise sur l'éolien offshore
Part de l’éolien en mer dans la production
européenne d’électricité, en %
2,31
1,05
2014 2019
318 349
93
06 07 08
La France veut rattraper son retard
Capacités installées en éolien en mer fin 2019, en MW
4 Royaume-Uni
Senvion (Allemagne)
23 5 62
Autres
Objectifs de capacités de production d’électricité
par éolien en mer en France, en MW
4 et 6 200
Macquarie Global Infrastructure
Capital Partners
(Australie) (Etats-Unis)
le secteur. Il faut dire qu’en matière d’éolien
offshore la France accuse un retard considé-
rable : l’Hexagone ne compte aucune éo-
lienne commerciale au large de ses côtes – le
pays possède pourtant la première façade
maritime du continent.
Depuis le lancement des premiers appels
d’offres, en 2011, sept projets ont été attri-
bués, représentant une puissance de plus de
3 500 mégawatts. Les nombreux recours ju-
ridiques déposés et la longueur des procédu-
res ont étendu à l’extrême le calendrier,
mais tous devraient finalement être mis en
service entre 2022 et 2027, trois d’entre eux
sont désormais en chantier. Un nouvel ap-
pel d’offres pour un nouveau parc au large
de la Normandie doit être lancé en 2021,
pour une attribution avant la fin du quin-
quennat. Les premières fermes pilotes d’éo-
lien flottant doivent également commencer
à fonctionner à partir de 2023.
« UN JOLI HOLD-UP »
La feuille de route énergétique de la France,
publiée en avril, a permis de fixer un cap
pour les prochaines années : elle prévoit
d’attribuer 1 000 mégawatts par an pour at-
teindre 5 200 à 6 200 mégawatts d’éolien en
mer en activité en 2028. Cette ambition, mo-
deste, ne permettra pas de rattraper le retard
face aux voisins européens. Ce retard n’a pas
empêché les Français de profiter de la dyna-
mique européenne. « Le manque d’ambition
côté français n’a pas empêché l’essor de la fi-
lière qui s’est développée à l’export, note
Carole Mathieu, du Centre énergie et climat
de l’Institut français des relations interna-
tionales. Aujourd’hui, les acteurs français
sont pleinement dans la course : la compéti-
tion est forte, mais le marché est tellement
porteur qu’ils vont en bénéficier. » EDF
Renouvelables, par exemple, compte des
parcs et des projets au Royaume-Uni, aux
Etats-Unis et en Asie. Engie s’est associé au
portugais EDPR dans le cadre d’un joint-ven-
ture et ambitionne de devenir l’un des plus
grands opérateurs de parcs.
En France, une filière industrielle com-
mence aussi à se structurer autour de quatre
usines installées à Montoir-de-Bretagne
mais aussi à Cherbourg (Manche) pour GE et
à Saint-Nazaire pour les Chantiers de l’Atlan-
tique. Au Havre, Siemens-Gamesa doit éga-
économie & entreprise | 21
Capacités de production d'électricité
par éolien en mer installées par an
3 040
en Europe, en MW
1 526 1 531
1 171
931 816
618
09 2010 11 12 13 14 2015 16
Les projets de parcs éoliens en mer en France
nombre d’éoliennes
9 945
Fécamp
Allemagne 7 445
Danemark 1 703
Saint-Brieuc
Belgique 1 556
496
Pays-Bas
1 118
Suède 192
4 450
France 2 Groix* 80
24
62
Yeu-Noirmoutier
entre 5 200
2 400
0 Leucate*
2019 2023 2028
lement lancer prochainement la construc-
LA HAUSSE tion de l’une des plus grandes usines d’éo-
DES EMPLOIS liennes en Europe. « Ces quatre usines
représentent le tiers des usines de pales et de
LIÉS AU SECTEUR nacelles d’Europe, assure Yara Chakhtoura.
La France a réussi un joli hold-up ! » La dyna-
DE L’ÉOLIEN mique semble enfin s’installer : la hausse
des emplois liés au secteur de l’éolien (+ 11 %
(+ 11 % EN 2019) en 2019) a été portée par l’offshore, qui
A ÉTÉ PORTÉE représente désormais 3 000 emplois. Selon
la filière, ce chiffre devrait être multiplié par
PAR L’OFFSHORE cinq à l’horizon 2030.
Pour répondre à cet objectif, la filière
réclame non seulement le respect strict du
calendrier d’appels d’offres inscrit dans la
PPE, mais aussi la mise en place d’une plani-
La reconversion réussie de l’énergéticien danois Orsted
c’est une métamorphose qui eaux danoises. Constitué de onze
fait rêver tout un secteur. En 2006, petites turbines, le parc Vindeby –
le danois Dong était encore un des démantelé en 2017 – produisait
plus gros consommateurs de char- 450 kilowatts, soit de quoi couvrir
bon en Europe du Nord : 83 % de la consommation en électricité de
l’énergie qu’il produisait prove- 2 200 maisons. S’il s’agit d’un beau
naient de carburants fossiles. Qua- coup, le charbon et le pétrole reste-
torze ans plus tard, le groupe, re- ront pendant des années le cœur
baptisé « Orsted », s’est imposé de métier de l’entreprise. C’est
comme le leader mondial de l’éo- d’ailleurs pour exploiter les hydro-
lien maritime, avec 25 % de part de carbures en mer du Nord que l’Etat
marché et une production issue à danois avait créé Dong, en 1972.
86 % de sources renouvelables. L’objectif était d’assurer l’indépen-
En janvier, le cabinet canadien dance énergétique du royaume à
Corporate Knights, spécialiste de la l’égard du Moyen-Orient. Trois dé-
responsabilité sociale des entrepri- cennies plus tard, à la faveur de
ses, l’a sacré « société la plus dura- multiples fusions, le groupe est de-
ble » du monde – sa reconversion venu un des plus gros producteurs
lui a permis de diviser par dix ses d’énergie en Europe du Nord.
émissions de CO2 entre 2006 et
2019. Le 30 janvier, son PDG, Henrik Biomasse et photovoltaïque
Poulsen, a annoncé que la compa- Mais, pour ses dirigeants, convain-
gnie visait la neutralité carbone cus que l’avenir est dans le renou-
d’ici à 2025, notant que la transition velable, ce n’était pas suffisant.
« n’avait pas été facile mais néces- En 2008, un an avant la conférence
saire » et qu’il n’y avait « plus de internationale sur le climat (COP15)
temps à perdre » pour limiter le ré- à Copenhague, le patron de Dong
chauffement climatique à 1,5 degré. annonce un virage stratégique.
Pour l’énergéticien, l’aventure de Dans les années qui suivent, l’en-
l’éolien a débuté en 1991. Dong treprise renonce à plusieurs projets
Energy inaugure alors le premier de centrales à charbon, convertit
parc offshore du monde dans les celles qui existent à la biomasse, in-
3 627
3 202
2 661
1 557
17 18 2019
puissance, en MW
Dunkerque
498 46 600
62
83
Dieppe-Le Tréport
75 496
Courseulles-sur-mer
Saint-Nazaire
480
496
Gruissan*
24
3
4 Faraman*
24
24 4
* parc éoliens flottants
fication de l’espace maritime pour les pro-
chaines décennies. Une évolution indispen-
sable pour que l’ensemble des acteurs et usa-
gers de la mer puissent se projeter. « Nous
avons besoin d’un cap à l’horizon 2050 et de
savoir où seront implantés les prochains
projets. Nos voisins ont fait leur planification,
pas nous : c’est ce qui manque à la France
pour améliorer la coexistence avec les usa-
gers et pour donner de la visibilité à tous les
acteurs », insiste Yara Chakhtoura. Un chan-
gement d’échelle réclamé par les industriels
pour s’assurer que les usines françaises ne
tourneront pas à vide. p
perrine mouterde
et nabil wakim
vestit massivement dans l’éolien et
cède ses actifs gaziers et pétroliers.
En quête de capitaux, Dong se
tourne vers la banque américaine
Goldman Sachs, qui prend une par-
ticipation de 17,9 % (pour 1,2 mil-
liard de dollars, soit 1 milliard
d’euros), suscitant une polémique
qui déstabilise le gouvernement.
En 2016, le groupe fait son entrée
en Bourse. Deux ans plus tard, sous
le nom d’Orsted, emprunté au phy-
sicien qui a découvert l’électroma-
gnétisme, l’ancien pétrolier inau-
gure le plus gros parc éolien mari-
time du monde, capable de fournir
600 000 foyers en électricité.
Pour faire face à la concurrence,
Orsted a diversifié son catalogue :
en plus de l’offshore, le danois a
investi dans l’éolien terrestre, aux
Etats-Unis notamment, avec le
rachat de Lincoln Clean Energy
en 2018. Orsted mise aussi sur la
biomasse et le photovoltaïque. Son
ambition : fournir de l’énergie
verte à 35 millions de consomma-
teurs d’ici à 2025 et à 55 millions
en 2030. p
anne-françoise hivert
(malmö, suède,
correspondante régionale)
20 | économie & entreprise
La vague de l’éolien en mer
DOSSIER
I
l pèse 450 tonnes, mesure 10 mètres
de haut : l’immense museau à moitié
cylindrique semble tout droit sorti de
la galerie de robots impériaux de La
Guerre des étoiles. En ce jour de sep-
tembre, à Montoir-de-Bretagne (Loi-
re-Atlantique), General Electric (GE) inaugure
la fabrication de la première nacelle d’éo-
lienne qui va équiper, au large de Saint-Na-
zaire, le premier parc français. Après de
longues années de recours juridiques et
d’embûches administratives, le champ opéré
par EDF devrait commencer à être progressi-
vement opérationnel en avril 2022, pour ali-
menter en électricité et en chauffage l’équi-
valent de 720 000 foyers par an. « La route n’a
pas toujours été simple », reconnaît Jérôme
Pécresse, PDG de GE Renewable Energy, qui
salue « une étape importante pour le dévelop-
pement de l’éolien en France ».
Alors qu’elle doit fournir les 80 machines
du parc de Saint-Nazaire, l’usine General
Electric est déjà en plein travaux d’agrandis-
sement. Elle fabrique aujourd’hui des nacel-
les pour des éoliennes de 6 mégawatts, les
turbines les plus puissantes au moment de
la signature de l’appel d’offres en 2011. Mais
le groupe américain s’est lancé dans la
conception d’une machine bien plus puis-
sante : une éolienne de plus de 12 mé-
gawatts, avec des pales de plus de 100 mè-
tres, pour une hauteur totale de 260 mètres.
GE espère vendre ces géants au plus grand
parc éolien du monde en cours de finalisa-
tion au Royaume-Uni. Le projet Dogger
Bank, d’une capacité installée totale de
3 600 mégawatts (l’équivalent de plus de
deux EPR nucléaires), dit tout du rêve de
grandeur de l’éolien en mer : opérationnel à
partir de 2023, il devrait fournir de l’électri-
cité à 4,5 millions de foyers britanniques.
L’éolien offshore ne fournit aujourd’hui
qu’une toute petite fraction de l’électricité
produite dans le monde (environ 0,3 %
en 2018) mais pourrait représenter dans les
vingt prochaines années un marché de plus
de 1 000 milliards de dollars (soit 842 mil-
liards d’euros), selon l’Agence internationale
de l’énergie (AIE). Une révolution pour la
transition énergétique à l’échelle planétaire.
« Deux secteurs ont changé la donne ces dix
dernières années dans le monde de l’énergie :
les forages de schiste et la croissance du
solaire photovoltaïque, analyse Fatih Birol,
directeur de l’AIE. L’éolien en mer a le poten-
tiel d’être le troisième. » Le développement
rapide des énergies renouvelables s’est
Si l’éolien offshore ne représente qu’une faible partie
de l’électricité produite dans le monde, la croissance
de ce secteur-clé de la transition énergétique attire
tous les industriels, même les pétroliers.
En retard, la France structure son industrie
fondé sur un modèle à l’opposé du fonction-
nement classique d’un réseau électrique :
une très forte décentralisation et la multipli-
cation de petites installations – des parcs de
quelques éoliennes terrestres, des panneaux
solaires en toiture ou sur les parkings.
UN ÉCOSYSTÈME TOURNÉ VERS LA MER
L’éolien offshore prend le contre-pied de
cette logique : les parcs en construction,
essentiellement concentrés dans le nord de
l’Europe, atteignent souvent 1 000 mé-
gawatts de capacité installée, soit l’équiva-
lent d’un réacteur nucléaire – en France, les
parcs solaires dépassent, eux, rarement
30 mégawatts –, des projets de grande taille,
à une échelle industrielle comparable à celle
de grands projets pétroliers ou gaziers. Les
éoliennes en mer tournent, comme leurs
petites sœurs sur terre, de façon intermit-
tente, mais les vents du large sont à la fois
Le Royaume-Uni parie sur le vent pour sa stratégie énergétique
faire du royaume-uni « l’Arabie
saoudite de l’éolien ». Avec son habi-
tuel langage fleuri, Boris Johnson a
dressé mardi 17 novembre une vision
ambitieuse pour l’avenir énergétique
du pays : le premier ministre britan-
nique veut faire de son pays un acteur
incontournable de cette technologie,
pariant en particulier sur l’éolien offs-
hore, dont il entend multiplier la
capacité par quatre d’ici à 2030, pour
atteindre 40 gigawatts. « Dans dix ans,
nous produirons assez d’électricité éo-
lienne offshore pour fournir la
consommation de tous les ménages
du pays [soit environ le tiers de la
consommation d’électricité totale] »,
assure M. Johnson.
Contrairement à d’autres promes-
ses du leader britannique, celle-ci ne
semble pas farfelue. « L’industrie
éolienne pense que c’est réalisable »,
plus puissants et plus réguliers, ce qui per-
met de produire de manière quasi continue.
Ces projets nécessitent la mise en place
d’un écosystème industriel tourné vers la
mer. Pour preuve, en France, le chantier de
Saint-Nazaire va mobiliser aussi bien les
Chantiers de l’Atlantique, qui construiront les
sous-stations électriques en mer, Réseau de
transport d’électricité (RTE), qui installera les
raccordements, et une kyrielle d’entreprises
de taille moyenne. Les budgets sont eux aussi
d’un autre ordre : le projet de Dunkerque,
attribué en 2019 à EDF face à six concurrents,
est estimé autour de 2 milliards d’euros, pour
un coût du mégawattheure estimé inférieur à
50 euros – contre plus de 150 euros pour les
premiers parcs français. « L’éolien offshore,
avec de grands espaces en mer, permet ce type
de mégaprojets », note Yara Chakhtoura, vice-
présidente de la commission offshore de
France énergie éolienne (FEE) et directrice
estime Simon Evans, de Carbon Brief,
un site britannique indépendant
d’analyse des données énergétiques.
Le succès de ces dix dernières années
le prouve : la capacité installée a été
multipliée par huit, à 10,5 gigawatts.
Cela fait du Royaume-Uni le leader
mondial de l’éolien offshore.
De nouveaux records battus
En 2019, 10 % de l’électricité britanni-
que est venue de cette source, portant
la part du renouvelable à 37 %. La géo-
graphie est bien sûr un avantage
évident : le pays possède 12 000
kilomètres de côtes et – comme le di-
sent les technocrates – il a d’immen-
ses « réserves » de vent. En clair, ça
souffle fort. Les fonds marins peu pro-
fonds sont également essentiels, puis-
que permettant de fixer les pylônes
des éoliennes sans trop de difficultés.
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2020
Le parc éolien
offshore de
Burbo Bank, en
mer d’Irlande,
détenu par
l’énergéticien
danois Orsted.
PAUL LANGROCK/LAIF-REA
générale de Vattenfall Eolien, filiale française
du groupe public suédois.
La dynamique du secteur et la baisse des
coûts attirent les industriels rompus aux
grands chantiers. Le groupe français
Nexans, expert du câble électrique, a ainsi
réorganisé une partie de sa production
mondiale autour de l’éolien en mer : son
usine de Caroline du Nord a été entièrement
repensée début 2020 afin de pourvoir aux
besoins à venir du marché dans les prochai-
nes années. A la différence du solaire, dont la
production est massivement localisée en
LES ACTEURS Chine et en Asie du Sud-Est, l’éolien offshore
EUROPÉENS est encore fortement concentré en Europe.
ONT DÉVELOPPÉ L’ARRIVÉE DES GROUPES PÉTROLIERS
Le Royaume-Uni de Boris Johnson fait la
UNE EXPERTISE course en tête avec 10 gigawatts (GW) de ca-
pacité installée et une trajectoire de 40 GW
RECONNUE DANS en 2030. En Europe, on comptait fin 2019
UN UNIVERS plus de 5 000 éoliennes offshore connectées
au réseau, l’Allemagne et le Danemark sui-
DE PLUS EN PLUS vant de près les Britanniques – et toujours
aucune en France. La Commission euro-
CONCURRENTIEL péenne a annoncé début novembre des ob-
jectifs ambitieux en la matière, visant
60 GW d’ici à 2030 au sein de l’Union.
Mais la Chine devrait connaître dans les
prochaines années un développement
fulgurant : l’AIE prévoit que le pays devrait
devenir le numéro un en capacité installée
en 2025. « Aujourd’hui, cinq pays (Royaume-
La politique de soutien active des gou- est proche des prix de gros de l’électri-
vernements depuis 2002 a fait le reste. cité sur le marché. C’est trois fois
Aujourd’hui, les éoliennes bénéfi- moins qu’aux débuts de cette techno-
cient d’un prix de l’électricité garanti à logie et cela signifie que l’éolien en
l’avance, ce qui permet aux investis- mer est désormais concurrentiel. La
seurs de ne prendre pratiquement possibilité de premières fermes éo-
aucun risque. Un système astucieux liennes sans subvention se rappro-
de mise aux enchères inversée a aussi che. La technologie s’améliore aussi.
permis de faire progressivement bais- Chaque année, les records de taille
ser le prix de la construction. Quand sont battus. Dans le nord-est de l’An-
le gouvernement met en vente un gleterre, les préparatifs de la ferme
contrat garantissant le prix de l’élec- éolienne Dogger Bank sont en cours.
tricité, il fixe un plafond, qu’il ne Quand celle-ci sera terminée, en 2025,
dépassera pas, et invite les entreprises elle sera la plus grande au monde,
à proposer le prix le plus bas possible. avec trois tranches fournissant cha-
« Cela a permis de stimuler la concur- cune 1,2 gigawatt. L’équivalent, à cha-
rence, forçant les entreprises à baisser que fois, de la capacité d’une centrale
leur base de coûts », explique M. Evans. nucléaire, à la différence notable que
Les derniers contrats, prévoyant la tout doit être terminé beaucoup plus
livraison de l’électricité à partir de vite, en seulement cinq ans. p
2023, ont été remportés à 40 livres éric albert
(45 euros) par mégawattheure, ce qui (londres, correspondance)
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2020
L’Europe, dynamique leader de l’éolien en mer
Capacités de production d'électricité par éolien
en mer, installées et prévisions, en mégawatts
(MW)
2018 2040
19 000 127 000
Union
européenne
4 000 107 000
Chine
38 000
Etats-Unis
25 000
Corée du Sud
Inde
16 000
4 000
Japon
90
2005
Les acteurs européens à la manœuvre
Fabricants des turbines d’éoliennes en mer en service en Europe
en 2019, en %
68
Siemens-Gamesa (Allemagne-Espagne)
Vestas Offshore Wind (Danemark)
Principaux développeurs des éoliennes en mer en service en Europe fin 2019, en %
16
12
7 7
Orsted RWE Vattenfall
(Danemark) (Allemagne) (Suède)
Infographie : Le Monde, Audrey Lagadec, Maxime Mainguet Sources : Agence internationale de l'énergie, Wind Europe, ministère de la transition écologique, France énergie éolienne
Uni, Allemagne, Belgique, Danemark et
Chine) représentent près de 95 % des capaci-
tés installées d’éolien offshore, c’est un secteur
très concentré, explique Sophie Meritet, maî-
tresse de conférences à l’université Paris-
Dauphine-PSL. Mais de nouveaux pays se po-
sitionnent, comme Taïwan, la Corée du Sud,
les Etats-Unis… » Les acteurs européens,
comme le danois Orsted ou l’espagnol
Iberdrola, ont développé une expertise
reconnue dans un univers de plus en plus
concurrentiel.
Une avance bienvenue, alors que de nou-
veaux acteurs aux poches pleines s’intéres-
sent au sujet : les groupes pétroliers euro-
péens, comme BP ou Total, ont de grands
projets dans le secteur. Ces majors des hydro-
carbures veulent prendre le train de la transi-
tion énergétique pour réduire leur impact
carbone et améliorer leur image. Surtout, ils
sont habitués à financer des projets
colossaux. BP a ainsi annoncé en septembre
un investissement de 1,1 milliard de dollars
pour entrer au capital de deux champs en
mer aux Etats-Unis. Total a également pris
des parts dans un parc éolien offshore en
Ecosse et a investi dans un mégaprojet d’éo-
lien flottant au large de la Corée du Sud.
Les pétroliers vont-ils devenir les nou-
veaux rois de l’éolien ? « Cette arrivée se fait
de manière progressive, relativise Colette
Lewiner, autrice du rapport mondial sur
l’énergie de Capgemini. D’abord, il s’agit sur-
tout des Européens. Et quand on regarde dans
le détail, cela reste une toute petite partie de
leurs investissements. » « Ils vont découvrir le
monde de l’électricité où les bénéfices sont
beaucoup moins spectaculaires que dans le
monde du pétrole. Il n’est pas certain que
leurs actionnaires apprécient tous », raille
quant à lui le patron d’un grand groupe bien
installé dans le secteur.
Mais les pétroliers ont aussi une expertise
technologique en mer et un écosystème de
partenaires industriels habitués à travailler
avec eux sur le sujet. « On trouve facilement
des salariés prêts à travailler sur l’offshore
dans notre branche exploration production »,
témoigne ainsi le PDG de Total, Patrick
Pouyanné, qui explique vouloir investir en
priorité dans des « projets géants ». Un vrai
changement de cap pour le groupe français,
qui a longtemps été réticent à investir dans
L'Europe mise sur l'éolien offshore
Part de l’éolien en mer dans la production
européenne d’électricité, en %
2,31
1,05
2014 2019
318 349
93
06 07 08
La France veut rattraper son retard
Capacités installées en éolien en mer fin 2019, en MW
4 Royaume-Uni
Senvion (Allemagne)
23 5 62
Autres
Objectifs de capacités de production d’électricité
par éolien en mer en France, en MW
4 et 6 200
Macquarie Global Infrastructure
Capital Partners
(Australie) (Etats-Unis)
le secteur. Il faut dire qu’en matière d’éolien
offshore la France accuse un retard considé-
rable : l’Hexagone ne compte aucune éo-
lienne commerciale au large de ses côtes – le
pays possède pourtant la première façade
maritime du continent.
Depuis le lancement des premiers appels
d’offres, en 2011, sept projets ont été attri-
bués, représentant une puissance de plus de
3 500 mégawatts. Les nombreux recours ju-
ridiques déposés et la longueur des procédu-
res ont étendu à l’extrême le calendrier,
mais tous devraient finalement être mis en
service entre 2022 et 2027, trois d’entre eux
sont désormais en chantier. Un nouvel ap-
pel d’offres pour un nouveau parc au large
de la Normandie doit être lancé en 2021,
pour une attribution avant la fin du quin-
quennat. Les premières fermes pilotes d’éo-
lien flottant doivent également commencer
à fonctionner à partir de 2023.
« UN JOLI HOLD-UP »
La feuille de route énergétique de la France,
publiée en avril, a permis de fixer un cap
pour les prochaines années : elle prévoit
d’attribuer 1 000 mégawatts par an pour at-
teindre 5 200 à 6 200 mégawatts d’éolien en
mer en activité en 2028. Cette ambition, mo-
deste, ne permettra pas de rattraper le retard
face aux voisins européens. Ce retard n’a pas
empêché les Français de profiter de la dyna-
mique européenne. « Le manque d’ambition
côté français n’a pas empêché l’essor de la fi-
lière qui s’est développée à l’export, note
Carole Mathieu, du Centre énergie et climat
de l’Institut français des relations interna-
tionales. Aujourd’hui, les acteurs français
sont pleinement dans la course : la compéti-
tion est forte, mais le marché est tellement
porteur qu’ils vont en bénéficier. » EDF
Renouvelables, par exemple, compte des
parcs et des projets au Royaume-Uni, aux
Etats-Unis et en Asie. Engie s’est associé au
portugais EDPR dans le cadre d’un joint-ven-
ture et ambitionne de devenir l’un des plus
grands opérateurs de parcs.
En France, une filière industrielle com-
mence aussi à se structurer autour de quatre
usines installées à Montoir-de-Bretagne
mais aussi à Cherbourg (Manche) pour GE et
à Saint-Nazaire pour les Chantiers de l’Atlan-
tique. Au Havre, Siemens-Gamesa doit éga-
économie & entreprise | 21
Capacités de production d'électricité
par éolien en mer installées par an
3 040
en Europe, en MW
1 526 1 531
1 171
931 816
618
09 2010 11 12 13 14 2015 16
Les projets de parcs éoliens en mer en France
nombre d’éoliennes
9 945
Fécamp
Allemagne 7 445
Danemark 1 703
Saint-Brieuc
Belgique 1 556
496
Pays-Bas
1 118
Suède 192
4 450
France 2 Groix* 80
24
62
Yeu-Noirmoutier
entre 5 200
2 400
0 Leucate*
2019 2023 2028
lement lancer prochainement la construc-
LA HAUSSE tion de l’une des plus grandes usines d’éo-
DES EMPLOIS liennes en Europe. « Ces quatre usines
représentent le tiers des usines de pales et de
LIÉS AU SECTEUR nacelles d’Europe, assure Yara Chakhtoura.
La France a réussi un joli hold-up ! » La dyna-
DE L’ÉOLIEN mique semble enfin s’installer : la hausse
des emplois liés au secteur de l’éolien (+ 11 %
(+ 11 % EN 2019) en 2019) a été portée par l’offshore, qui
A ÉTÉ PORTÉE représente désormais 3 000 emplois. Selon
la filière, ce chiffre devrait être multiplié par
PAR L’OFFSHORE cinq à l’horizon 2030.
Pour répondre à cet objectif, la filière
réclame non seulement le respect strict du
calendrier d’appels d’offres inscrit dans la
PPE, mais aussi la mise en place d’une plani-
La reconversion réussie de l’énergéticien danois Orsted
c’est une métamorphose qui eaux danoises. Constitué de onze
fait rêver tout un secteur. En 2006, petites turbines, le parc Vindeby –
le danois Dong était encore un des démantelé en 2017 – produisait
plus gros consommateurs de char- 450 kilowatts, soit de quoi couvrir
bon en Europe du Nord : 83 % de la consommation en électricité de
l’énergie qu’il produisait prove- 2 200 maisons. S’il s’agit d’un beau
naient de carburants fossiles. Qua- coup, le charbon et le pétrole reste-
torze ans plus tard, le groupe, re- ront pendant des années le cœur
baptisé « Orsted », s’est imposé de métier de l’entreprise. C’est
comme le leader mondial de l’éo- d’ailleurs pour exploiter les hydro-
lien maritime, avec 25 % de part de carbures en mer du Nord que l’Etat
marché et une production issue à danois avait créé Dong, en 1972.
86 % de sources renouvelables. L’objectif était d’assurer l’indépen-
En janvier, le cabinet canadien dance énergétique du royaume à
Corporate Knights, spécialiste de la l’égard du Moyen-Orient. Trois dé-
responsabilité sociale des entrepri- cennies plus tard, à la faveur de
ses, l’a sacré « société la plus dura- multiples fusions, le groupe est de-
ble » du monde – sa reconversion venu un des plus gros producteurs
lui a permis de diviser par dix ses d’énergie en Europe du Nord.
émissions de CO2 entre 2006 et
2019. Le 30 janvier, son PDG, Henrik Biomasse et photovoltaïque
Poulsen, a annoncé que la compa- Mais, pour ses dirigeants, convain-
gnie visait la neutralité carbone cus que l’avenir est dans le renou-
d’ici à 2025, notant que la transition velable, ce n’était pas suffisant.
« n’avait pas été facile mais néces- En 2008, un an avant la conférence
saire » et qu’il n’y avait « plus de internationale sur le climat (COP15)
temps à perdre » pour limiter le ré- à Copenhague, le patron de Dong
chauffement climatique à 1,5 degré. annonce un virage stratégique.
Pour l’énergéticien, l’aventure de Dans les années qui suivent, l’en-
l’éolien a débuté en 1991. Dong treprise renonce à plusieurs projets
Energy inaugure alors le premier de centrales à charbon, convertit
parc offshore du monde dans les celles qui existent à la biomasse, in-
3 627
3 202
2 661
1 557
17 18 2019
puissance, en MW
Dunkerque
498 46 600
62
83
Dieppe-Le Tréport
75 496
Courseulles-sur-mer
Saint-Nazaire
480
496
Gruissan*
24
3
4 Faraman*
24
24 4
* parc éoliens flottants
fication de l’espace maritime pour les pro-
chaines décennies. Une évolution indispen-
sable pour que l’ensemble des acteurs et usa-
gers de la mer puissent se projeter. « Nous
avons besoin d’un cap à l’horizon 2050 et de
savoir où seront implantés les prochains
projets. Nos voisins ont fait leur planification,
pas nous : c’est ce qui manque à la France
pour améliorer la coexistence avec les usa-
gers et pour donner de la visibilité à tous les
acteurs », insiste Yara Chakhtoura. Un chan-
gement d’échelle réclamé par les industriels
pour s’assurer que les usines françaises ne
tourneront pas à vide. p
perrine mouterde
et nabil wakim
vestit massivement dans l’éolien et
cède ses actifs gaziers et pétroliers.
En quête de capitaux, Dong se
tourne vers la banque américaine
Goldman Sachs, qui prend une par-
ticipation de 17,9 % (pour 1,2 mil-
liard de dollars, soit 1 milliard
d’euros), suscitant une polémique
qui déstabilise le gouvernement.
En 2016, le groupe fait son entrée
en Bourse. Deux ans plus tard, sous
le nom d’Orsted, emprunté au phy-
sicien qui a découvert l’électroma-
gnétisme, l’ancien pétrolier inau-
gure le plus gros parc éolien mari-
time du monde, capable de fournir
600 000 foyers en électricité.
Pour faire face à la concurrence,
Orsted a diversifié son catalogue :
en plus de l’offshore, le danois a
investi dans l’éolien terrestre, aux
Etats-Unis notamment, avec le
rachat de Lincoln Clean Energy
en 2018. Orsted mise aussi sur la
biomasse et le photovoltaïque. Son
ambition : fournir de l’énergie
verte à 35 millions de consomma-
teurs d’ici à 2025 et à 55 millions
en 2030. p
anne-françoise hivert
(malmö, suède,
correspondante régionale)