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L’architecte, le patrimoine bâti et la recomposition des centres anciens :

Un dilemme faustien.
(Constantine, les leçons du passé).

A .BOUCHAREB
Département d’Architecture et d’Urbanisme
Laboratoire Ville et Santé, Université Mentouri-Constantine

INTRODUCTION
Les historiens, les gestionnaires des villes et les élites citadines en particulier ont tendance à tout
patrimonialiser, les architectes quand à eux, ils montrent dans les temps présents des attitudes pour le
moins mitigées.
Au nom de l’identité, de la diversité culturelle et des enjeux économiques, la patrimonialisation
pratiquée sans discernement est en phase de conduire à une muséification des villes et des quartiers
anciens, interdisant par conséquent toute intervention. Cette attitude conduit également à des
« impostures » artistiques : l’essentiel reste de singulariser le cadre urbain et d’attirer les touristes en
quête d’images impressionnantes.
Cependant, les préoccupations urbaines (et urbanistiques) constituent des enjeux majeurs appelant à
affirmer des options et prendre des décisions en matière de développement urbain, même si les sites
en question sont très sensibles car, à fortes charges patrimoniales.
Si nous considérons que les architectes sont très impliqués dans ces choix, force est de reconnaître
que la gageure immisce ce corps dans une situation «tragique ». Non seulement, ces concepteurs
doivent bien choisir, ils sont appelés à réussir : dilemme faustien.

DE L’ARCHITECTE AUJOURD’HUI…
La patrimonialisation constitue un champ de « fixité » et une source handicapante pour l’imaginaire.
Elle signifie sacralisation d’un ordre passé, d’une « valeur à priori » employée pour la « reproduction
des sociétés » et par conséquent elle s’érige en un « leurre ontologique » [Jeudy, 1990]. Voilà une
réalité culturelle qui entame son déclin sous les effets conjugués de la mondialisation et de la
globalisation. Car, aujourd’hui, les tendances « futuristes », sponsorisées par le courant ultralibéraliste
exhibent des performances et des capacités imaginatives qui n’épargnent pas les architectes (surtout
les jeunes diplômés), ni le grand public.
Faut-il rappeler que l’histoire de l’architecture nous renseigne sur la « faiblesse » idéologique des
architectes et des urbanistes ? En effet cette caste, cataloguée comme l’exclusive dépositaire de la
création des édifices, recherche sans cesse l’occasion pour mettre en pratique son imaginaire. Peu
importe les accointances, la « fièvre de construire » réduit toutes les susceptibilités.
C’est dans cette optique que l’émergence des « transarchitectes » fait parler d’elle. Favorisée par la
mondialisation, par la mobilité et par le marketing, la « signature » de ces architectes arrive à elle
seule à imposer le produit dans le réseau urbain mondial, bien sur, le lieu, le commanditaire et même
les usagers d’un tel édifice peuvent se prévaloir du statut de « mondialisé ». Ce privilège consacre
une nouvelle forme de sacralité en attirant les divers flux, dont les finances.
Cependant, l’hypermédiatisation offre à cette élite « professionnelle » des occasions pour composer
des discours dithyrambiques en sa faveur et d’autres propos dévalorisant envers tout ce qui est
« archaïque » et « folkloriste ». Naturellement, ces qualificatifs désignent tout ce qui « ancien » sans
épargner les architectes qui prônent une connexion avec le passé.
Catalogué dans le courant néo-moderniste, ce discours dominant énumère les griefs de la ville
européenne : « la ville dense européenne est un archaïsme. Elle ne vit plus que sous perfusion. Son
organisation spatiale faite d’un bâti serré autour d’un espace public constitué de rues et de places est
provinciale. Elle n’est plus adaptée, ni au développement économique, ni aux nouveaux modes de vie,
ni à une esthétique nerveuse sensible au climat d’une époque marquée par l’électronique, les flux
d’information, le flottement des valeurs, les déséquilibres incessants mais fructueux. » [Le Dantec J-P.
1995]
Bouchareb A.

LE CHAOS SUBLIME
A ce discours, certaines phobies se développent rapidement et arrivent à favoriser de curieuses
alliances entre les gestionnaires des villes, les écologistes et les « socialisants » contre le spectre de
la ville américaine. Il faut dire que les « transarchitectes » puisent l’essentiel de leur inspiration de ce
modèle. Rappelons que la ville américaine offre l’image d’une ville fantôme destinée au tout-
automobile, à la fragmentation socio-spatiale, à la télévision et à la privatisation des tous les services
publics compris.
Pratiquant la « tabula rasa » (nous préférons ce terme par euphémisme, à « terre brûlée »), la
patrimonialisation n’est pas américaine. C’est un principe, la ville américaine extensive ne veut pas
s’encombrer d’une « charge » qui finira par consacrer un rituel gênant.
Sur le plan de l’esthétique des paysages urbains, le « chaos » devient un « ordre caché ». En fait, le
non-respect de l’échelle, offre une « liberté » pour mettre en pratique les lubies les plus inavouées.
L’anarchie installée progressivement à l’ombre des TIC dénote le recul de modes prônés par la
planification. Par rapport à ces doctrines, le patrimoine et tout ce qu’il représente comme
cristallisation du vernaculaire sont relégués au statut de l’archaïque. Et pourtant, les tissus
vernaculaires offrent toujours par leur belle « image » chaotique la sublimation.
En première synthèse, il ressort qu’il y a assez de facteurs qui peuvent mettre à mal tout l’héritage
patrimonial et surtout affaiblir les motivations et les intérêts pour ce thème, particulièrement chez les
générations avenirs. Nous le mesurons quotidiennement dans les inclinations des étudiants en
formation et même chez les pratiquants.

DE LA NECESSITE D’INTERVENIR SUR LES CENTRES ANCIENS

Le patrimoine bâti s’inscrit dans un contexte physique urbain, il est soumis par conséquent à une
immanence. Cette caractéristique veut que tout être soit appelé à subir sa « croissance », qu’elle soit
temporelle ou corporelle. (Somatique ou chronaxique). Et comme les centres-villes (leurs
composantes) sont contraints de s’actualiser, se réajuster ou se recomposer sous la pression des
mutations économiques, sociales et techniques, la question des interventions et des modes
opératoires reste souvent sujet à controverse.
L’enjeu essentiel pour les grandes villes (particulièrement celles qui reposent sur des fonds
patrimoniaux importants) est de s’inscrire dans le réseau mondial (ou régional) et prétendre ainsi à
une représentation transnationale. Ces perspectives interpellent l’avenir du patrimoine et ses
corollaires identitaires et mémoriaux
En effet, ces centres, par une nécessité, toujours superposés à des lieux à haute charge patrimoniale
et symbolique, font émerger de grands enjeux et des questionnements légitimes. Ainsi, les consensus
politiques et sociaux deviennent des requis préalables à toute élaboration de stratégie urbaine ou à
des interventions urbanistiques.
La nécessité d’opérer des actions pour l’amélioration des conditions sociales (hygiène, technologies,
transport), l’insertion de nouveaux modes économiques (tertiaire en particulier) ne peuvent pas
occulter les risques et probabilités des pertes (à jamais) de quelques témoins de la mémoire et des
appuis « physiques » de l’identité.
Disons en seconde synthèse que le volet « procédural » est prégnant tant les questions
juridiques, les classements des priorités, les consensus restent tributaires des volontés et des
motivations politiques et sociales. Cependant la question des modes d’intervention reste
l’apanage de la caste des « professionnels », dont le savoir-faire se mesure souvent à
l’efficacité et la pertinence des actions sur les sites.

ELEMENTS POUR UNE PROBLEMATIQUE

Nous avions énuméré quelques thèmes fondamentaux pour la prise en charge du patrimoine dans le
cadre du rapport ville/patrimoine. Ce champs laisse entrevoir quelques « frictions » entre :
 Les objectifs cultivés par les tenants de la patrimonialisation tout azimut ;
 Les mutations en cours ou en gestation concernant particulièrement les missions des
professionnels et les investisseurs de la ville ;
 La nécessité d’opérer des réajustements urbains pour la survie de la ville.

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Cependant, même cernées, diagnostiquées et finement planifiées, les interventions sur un substrat
accumulé, conservé et choyé durant des siècles demeurent des opérations sensibles et par
conséquent très risquées. N’oublions pas également que le risque est devenu une valeur de la société
post-moderne, même s’il conduit à des situations irréversibles.
C’est dire que l’enjeu est très délicat : ces interventions portent sur des témoins et sur un héritage
jalousement conservé par des générations et durant des siècles. D’autre part, l’absence
d’interventions signifie la muséification d’une relique digne d’une collection « privée ».
La nécessité de renouveler ou de régénérer la ville devient incontournable, l’architecture et
l’urbanisme deviennent des actes fondateurs ou refondateurs. C’est dans ce sens que nous adoptons
volontairement une position considérant la ville comme un produit multiséculaire, un héritage que
chaque génération avait « participé » à fructifier en déployant son génie et en puisant dans son
capital savoir pour qu’il soit réapproprié afin de répondre à ses attentes du moment. Les multiples
« fructifications » n’ont pas entamé sa structure ni son « soma ».
Cet « usage » s’était accompli dans le respect des fondamentaux de l’établissement humain originel
(devenu urbain plus tard) : le « genius loci », et les topies de base. Quelques mots pour définir ces
deux valeurs fondamentales de tout lieu habité ; le premier d’origine romaine, recommande que toute
implantation humaine « réussie » doit avant tout pactiser avec les « génies » [Shulz Ch-N.1981] du
lieu, le second, employé par H. Lebebfre [H. Lefebvre 1970], désigne les traits physiques pertinents
d’un site.
C’est cette image qu’offre le vieux Rocher de Constantine, un palimpseste qui laisse apparaître en
filigrane les substrats de tous les occupants depuis la période préantique. Ces inscriptions dénotent le
génie et le respect des lieux occupés avec subtilité et affectivité, à l’exception des interventions
coloniales françaises, qui ont carrément imposé une note dissonante.
Subtilité et affectivité, ne sont-elles pas les conditions requises pour espérer conserver,
sauvegarder et maintenir une mémoire vivante ?
Examinons ce que l’histoire urbaine de Constantine nous enseigne.

VICISSITUDES DU PATRIMOINE BATI CONSTANTINOIS

Il est très facile d’établir un état des lieux du patrimoine bâti constantinois aujourd’hui. Une vieille-ville
qui se dégarnit chaque jour d’avantage. Des actions « promises », certaines sont en voie
d’achèvement (Palais du Bey, après presque 3 décennies), d’autres en cours (Bab El Djabia et la Rue
Mellah S.) buttent sur des problèmes techniques (les corps de métiers font défaut) et un Plan
Permanent de Sauvegarde fraîchement initié.
Aujourd’hui, il y a un véritable phénomène de gentrification de ce Vieux Rocher. Cependant cette
forme ne touche pas à l’habitat, mais juste aux locaux commerciaux. En effet, la multiplication des
commerces, particulièrement, ceux écoulant des produits venus de Dubaï, de Syrie ou de Taiwan,
donne l’occasion aux « investisseurs » de procéder à des rénovations localisées. Par ailleurs, même
les chinois s’y mêlent en apportant un zeste d’exotisme. Du coup, les zones où se regroupent ces
commerces sont l’objet d’un extraordinaire regain d’intérêt, alors que le reste, mis à part les ruelles
accessibles, lieux privilégiés du commerce informel, s’effrite rapidement.

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Bouchareb A.

Figure 1 : Vue aérienne de la Vieille Ville de Constantine (2003).


Il y va sans dire que cette hypercommecialisatison se lit comme une bazardisation qui fait reculer les
formes d’urbanité de base que cristallise la Vieille Ville. En fait, la reconversion des locaux, naguère
des cafés fréquentés par une élite « intellectuelle », restaurants « gastronomiques », libraires, ou
locaux d’artisanat étroitement liés à la mémoire collective, en commerce de « made in », tend à
extraire la dimension « mythique des lieux ».
Toujours dans le volet « état des lieux », les informations émanant des sources officielles dénotent le
caractère alarmant des conditions d’hygiène et de l’état du bâti : le RGPH de 1998, relève que 20 %
des habitations ne répond pas aux normes.
Il faut signaler également que cet état des lieux n’est pas le fait exclusif de l’usure dans le temps. En
fait, il est partiellement accéléré par ses occupants-mêmes dans le but d’accéder prioritairement au
logement social.
ETAT DU BATI NOMBRE TAUX (%)

Bon état 365 23,44

Etat moyen 812 52,15

Mauvais état 256 16,44

En ruine 124 7,97

Tableau 1 : Etat des lieux de la VieilleVille de Constantine en 2004.


(Source Cellule de Réhabilitation de la médina de Constantine)
L’état des lieux de la vieille-ville constantinoise est successif à des vicissitudes souvent malheureuses.
Tout a commencé le lendemain de l’indépendance. L’élite citadine locale résidant dans la vieille-ville,
lieu exclusif symbolisant l’urbanité, dut se replier sur les habitations vacantes laissées par les colons
et situées dans les pourtours du Centre ou dans des quartiers résidentiels, alors « périphériques ». Ce
« déménagement » interne a été suivi par un déplacement des populations issues de l’exode rural
durant la colonisation et habitants les « bidonvilles » de la périphérie.
Ces populations bénéficiaient de location de pièces dans les habitations. La démographie et la
démission des propriétaires a accéléré le délabrement du bâti. Les surpeuplements devenait alarmant,
les propriétaires ne pouvaient plus procédaient aux travaux de confortements ou de rénovation, la
vieille ville entamait sa déchéance.

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Certaines habitations menaçantes ruine, ont vu leurs occupants bénéficier de logements dans les
ZHUN fraîchement aménagées à la périphérie de la ville ou dans les villes satellites (El Khroub, Ain
Smara). Cependant les ruines délaissées par les relogés sont immédiatement occupés par d’autres
prétendants au logement social. Ce qui amena les autorités locales à procéder à des démolitions
d’îlots entiers. Alors que de l’autre côté, d’autres habitants démolissaient eux-mêmes leurs maisons
dans l’espoir d’être relogés prioritairement.
Ainsi, la vieille-ville s’effondrait petit à petit sous le regard impuissant des autorités et des
associations. Et dans cette dégradation disparaît un pan entier de l’histoire, de matériaux et de la
mémoire constantinoise.
L’intérêt porté à ce patrimoine s’est établi progressivement. Le PUD de 1975 désignait la vieille-ville
en « zone à rénover ». Des alternatives ont été annoncées durant les années 80, dont la démolition et
reconstruction tout en maintenant les activités. Une proposition d’élever des « tours » sur le site été
lancée, en 1982. Toutes ce « verbiage » a été freiné par l’actualisation du PUD qui privilégia la
« préservation des monuments historiques » et du site naturel des Georges du Rhummel.
Les réflexions opérationnelles concernant la vieille ville ont été entamées en 1984 par l’URBACO.
Portant sur la restructuration et la rénovation du Centre-ville, la proposition de l’URBACO, s’est perdue
dans les prétextes financiers. En 1996, l’élaboration d’un POS Vieille-ville n’a connu aucune suite. En
2003, un partenariat Algéro-Italien, avait donné l’occasion au DPAT et à l’Université ROMA III de
procéder à l’étude du Master Plan pour la Vieille ville. Fraîchement achevé, ce travail est bloqué dans
un imbroglio « juridico-administratif ». En fait, le Ministère de la Culture s’oppose à sa réalisation,
invoquant le fait que le secteur en question est devenu une « zone sauvegardée ».
Un projet, entamé en 2005, dont l’étude a été confiée au Laboratoire Ville et Santé, financé par la
Wilaya dans le Chapitre « Amélioration urbaine » bute également sur l’inexpérience technique et de
gestion des projets en milieu patrimonial et sur l’absence d’entreprises qualifiées. Aujourd’hui rattrapé
par le Plan Permanent de Sauvegarde initié en 2007, une autre aventure commence.
Sur le plan des études, l’université de Constantine vient en pôle position. En effet, une grande
quantité de mémoires et thèses ont été élaborée dans ce cadre. Seulement, ces travaux bien menés
ne trouvent pas les échos nécessaires chez les gestionnaires de la ville. Cependant, ils ont insufflé
assez d’arguments pour pousser le mouvement associatif à attribuer au patrimoine constantinois plus
d’intérêts, d’ailleurs, ces universitaires forment les plus importants noyaux du mouvement associatif
s’intéressant au patrimoine.
La « patrimonialisation » de la vieille ville n’a jamais été ouvertement déclarée. Elle a été plutôt
favorisée par des conjonctures économiques défavorables et des gestionnaires précautionneux. Ces
derniers ne voulaient en aucun moment réveiller l’inextricable question du statut juridique des maisons
de la vieille ville, ni affronter le mouvement associatif qui s’affirmait de plus en plus sur la scène local.
En conclusion, ni les autorités, ni le mouvement associatif ne sont en mesure d’assurer la
survie du patrimoine local, tant que la question de l’état des lieux, la condition sociale des
habitants, le statut juridique des maisons, la formation de corps de métiers d’artisanat en
matière de patrimoine et la mise en place d’un cadre « administratif » clair et organisé ne sont
pas tranchés. En attendant le temps n’arrêtera pas son usure.

LES SUBSTRATS URBAINS : MODES D’EMPLOI

Un constat préalable : Constantine est depuis 30 siècles en poste de commandement d’une région
dont les limites sont toujours fluctuantes. Ce statut a attisé les convoitises des différents conquérants.
Ainsi après chaque conquête, le maître du moment s’attelait à « redessiné » la ville pour pouvoir se la
réapproprier.
Sans qualifier cet usage, disons simplement que cette succession a instauré un « esprit » de
bâtisseur. Esprit qui fait aujourd’hui défaut.
Examinons quelques indices de cette qualité dans les temps passés. Nous entamons donc cette
rétrospective par la ville au temps des romains, car de la période précédente, Numido-punique, peu
d’objets ont été mis au jour sur le Rocher. Car, les occupants réemployaient déjà les matériaux des
constructions précédentes.

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Bouchareb A.

Le seul vestige significatif, reste les restes d’un rempart fait de bloc de pierre situé sur la pointe
Nord/ouest que les romains avaient prolongé pour étendre l’aire sacrée (à la place de l’actuelle
Casbah).
La figure 2, représente une hypothèse de l’organisation spatiale de la ville que nous avions élaborée
dans notre travail de thèse [Bouchareb, 2006].
En synthèse finale, la ville de Cirta à l’époque romaine se présente comme un cadre urbain structuré
par des voies principales et secondaires, deux forums et une esplanade, des aires réservées à des
fonctions socio-urbaines importantes (des édifices de « loisirs », de cultes, des thermes) et des
« servitudes » (Citernes, ponts, aqueducs).
Ainsi, les voies importantes sont de deux ordres : des rues sillonnant la ville d’Ouest en Est, joignant
les portes « opposées » ou conduisant vers les zones affectées à des fonctions urbaines majeures et
traversant les fori, et d’autres rues transversales orientées Sud/Nord et acheminant les flux vers ces
mêmes zones à partir des portes d’accès à la ville. Une seconde trame se « démarque », regroupant
les voies secondaires dont l’importance s’acquiert dans sa relation avec la trame primaire.

THEATRE

AREA SACRA

CITERNES

FORUM

EDIFICES
THERMES

PORTES FORUM

PONT

Figure 2 : Hypothèse de l’organisation spatiale de la ville durant la période romaine


L’affectation des édifices semble correspondre à des exigences symboliques et « techniques ». Si
l’angle Nord/ouest a été consacré au capitole pour « exagérer » sa monumentalité, le même site
comprenait les citernes les plus importantes. Ces dernières alimentaient sans doutes les thermes qui
se concentraient dans la partie Est. Les édifices de cultes et de réunions publiques entouraient les fori
et l’esplanade, en se « surexposant ». Cependant le théâtre (probable) et le cirque exigeaient des
terrains spécifiques ont été implantés en dehors du Rocher.
La ville était également marquée par des arcs de triomphes et un tetrapyle enjambant les voies
principales et un mobilier urbain sous forme de statuaire et de fontaines. En somme la ville possédait
une image correspondant aux inclinations urbaines et au raffinement romain.
Prenons comme référence ce tracé et examinons la période suivante. L’époque musulmane avait vu
se succéder sur le Rocher les dynasties Aghlabide, fatimide, Hammadide et Hafside. Le seul témoin,
reste la mosquée, fortement modifiée, elle datait de l’an 533 de l’Hégire (1135/36) selon l’inscription
en style coufique figurant sur la cimaise du Mihrab. Pas de documents pour cette période, nous nous
penchons sur l’organisation spatiale de la ville durant l’époque ottomane, période plus ou moins
fournie en documents.

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La superposition des tracés de la ville romaine telle qu’elle se décline hypothétiquement et la régence
Turque, laisse constater que la trame viaire n’a pas été totalement modifiée. En effet les
aménagements apportés ont pris la forme de diverses densifications du tissu urbain. Ainsi, le forum
populaire a été affecté au Souk El Kebir (Souk Ettujjar), alors que les grands axes s’étaient
considérablement rétrécis, par le rajout de franges (réservées aux commerces) sur les deux rives

CASBAH

TABIA

EL BAB EL DJEDID

BAB EL-OUED

Souk Ettujjar
SOUK ET-TEDJAR

BAB DJABIA
Djamaa El
Kebir
EL KANTARA
BAB EL DJABIA

BAB EL KANTARA

QU A R T I E R S D E CON ST A N T I N E (1 8 3 7 )
Source : Laboratoire Ville et Patrimoine d'après carte cadastrale

Figure 3 : La ville durant la régence turque.

Ce constat est confirmé par les gravures de Delamarre, exécutées en 1840. Nous notons que les
piédroits de l’Arc de Triomphe de Natalis sont noyés dans les constructions des rives de la rue.
(Figures 4).
Souk Ettujjar est traversé par une voie en diagonale (qui donnera, la rue Rouaud, et Vieux aujourd’hui
Hadj Aissa et Kedid). Cette configuration est le cheminement dessiné par les passants qui pour
traverser une place, adoptent idéalement un raccourci en diagonale.
L’autre forum constituera une place « royale », affirmée par l’édification du « Palais du Bey » en 1826,
alors que « l’aire sacrée », autrefois réservée au capitole et aux temples, abritera le centre du pouvoir,
(résidence du gouverneur de Constantine durant le règne Hafside puis du bey durant la régence
turque).

Arc de Triomphe

TETRAPYLE

Figure 4 : Plan dessiné par Delamarre montrant les monuments romains noyés dans le tissu urbain
L’arc de Triomphe de Natalis (gravure exécutée par Delamarre).

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Bouchareb A.

Durant la régence turque, quelques beys ont apporté leur touche personnelle à la ville. C’est le cas de
Salah Bey qui entama une opération d’achat de terrain au nord de la ville pour aménager un souk
(souk El Djemaa, aujourd’hui Souk El Acer) flanqué d’une mosquée (sidi El Kettani) et d’une medersa.
Entre 1826 et 1835, Ahmed, le dernier bey de Constantine, entreprit la construction d’un palais
attenant à l’ancien Forum, en expropriant les propriétés mitoyennes.
Après 1837, le génie militaire de la colonisation française entama sa mainmise sur la ville par
l’implantation de quartiers militaires (dont un à la Casbah).
Par la suite, les opérations urbaines ont consacrées le modèle européen par les travaux de
nivellement, d’alignement et de percements de voies tracées au cordeau et déchirant de part en part
le tissu originel.
Ces rues carrossables ne s’appuyaient nullement sur le tracé ancien. (Figure 6). Au contraire de pans
entiers de la ville ont été démolis pour laisser place à un parcellaire destiné à recevoir les immeubles
de rapport, des hôtels particuliers et des édifices administratifs.
Même les monuments antiques ont été effacés : en 1868, « à l’entrée de la rue Impériale, en bordure
de la place Nemours, un certain M.Cordonnier, ancien Adjoint au Maire, faisant élever un grand
immeuble dont la construction de la partie arrière entama la démolition du fameux tétrapyle
d’Avitianus…Cet immeuble devint l’Hôtel de Paris. » [Biesse-Eichelbrenner, 1948].
Le même sort a été réservé à l’arc de Triomphe de Natalis lors de l’aménagement de la rue Caraman
(aujourd’hui Didouche M), et une partie de Djamaa El Kebir dont la façade (donnant sur le rue
Impériale) a été refaite.
Ces travaux ont finit par insérer une frange de tissu européen et disloquer le tissu urbain et son
corollaire social.
En effet, Les européens ont occupé la zone centrale (structurée par les nouveaux percements) en
s’interposant entres les populations « musulmane » et israélite de part et d’autre.

Figure 5 : La ville aujourd’hui, les percements tracés au cordeau aménagés par les colonialistes

En conclusion, la ville « musulmane » s’était pliée au tracé effectué par les romains, même si la
nécessité avait commandé des aménagements nouveaux, particulièrement la densification des
espaces « libres ». Les vestiges romains ont été également insérés dans les constructions non pas
par souci « esthétique » mais pour un accommodement technique. La colonisation française,
« dépositaire d’un ordre civilisationnel supérieur », s’était attelée à imposer un nouveau tracé, basé
sur une géométrie rigoureuse, n’hésitant pas à fouler des pans entiers du tissu urbain préexistant.
Sur une autre échelle, des édifices majeurs hérités par les « musulmans » ont été reconvertis pour
abriter des activités « publiques ». C’est le cas de la probable basilique romaine attenante au forum,
qui moyennant quelques réaménagements, a été reconvertie en 1136 en Grande Mosquée (Djamaa
El Kebir). Le corps central, indique par la disposition des travées un édifice octostyle dont le pronaos

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Conférence Internationale sur la Médina Tlemcen, 13 et 14 mai 2008

était orienté vers l’Est. (Figure 7).

Figure 6 : Djamaa El Kebir (plan de l’état actuel), autrefois basilique romaine donnant sur le forum.

La mosquée Souk El Ghezel, construite en 1730 a été à son tour convertie en cathédrale en 1838,
après son agrandissement et l’adaptation de son intérieur au culte catholique.
Le Palais du bey a été affecté en hôtel du Général du Commandement, la Casbah accueillit les
casernes alors que sa partie nord a été réservée à l’Hôpital militaire.
Les citernes romaines ont été également utilisées jusqu’à la période coloniale, alors que la plupart
des thermes ont été reconvertis en Hammam.
La reconversion s’avère comme une méthode de « conservation » de la mémoire des lieux. Qu’elle
soit « intégrée » ou « hégémonique » elle fait exister le passée dans le futur.
Le réemploi des matériaux (ou des éléments architectoniques) a été énormément pratiqué durant la
période qui a suivi la romanisation. Dans ce volet, les témoignages des voyageurs et les sources
iconographiques apportent beaucoup d’informations.
A travers les récits de voyage de T. Shaw, nous constatons que la muraille entourant la ville du côté
ouest a été reconstruite, en réemployant des « vestiges » romains en tant que matériaux. « Les piliers
formant les côtés de la principale porte de la ville qui sont d’une belle pierre rougeâtre, comparable au
marbre, sont artistement sculptés. On voit incrustés dans un mur du voisinage un autel en beau
marbre blanc et en saillie un vase bien conservé de ceux qu’on appelait impulum » [Shaw T.1743]
En 1830, la construction du Palais du bey buta sur l’indisponibilité des matériaux ramenés d’Italie.
Adoptant les conseils de ses proches, le bey se replia sur le fond patrimonial local : « Tout ce que les
principales maisons de Constantine possédaient de remarquable en marbres, colonnes, faïences,
portes et fenêtres, fut extorqué dès lors pour la décoration du palais; on fit du neuf avec du vieux, et
l’on parvint ainsi, sans bourse délier, avec beaucoup de profusion unie à quelque peu de confusion, à
un luxe surpassant tout ce qu’on avait vu jusqu’alors à Constantine. » [Féraud Ch. 1877]. C’est la
raison pour laquelle, le visiteur remarquera que les colonnes et les chapiteaux sont des ordres très
hétérogènes.
En 1792, après les travaux de réaménagement du marché de Souk El Djemaa, de la construction de
la mosquée et de la medersa, Salah Bey entreprit la réédification du pont d’El Kantara. L’architecte
Don Bartholoméo s’occupa des travaux d’élévation des parties supérieures sur les piliers et les arches
reposant au fond du ravin de l’ancien pont romain. Les pierres arrivant des Baléares causaient
beaucoup de retard pour la conduite des travaux, la décision d’extraire des matériaux du plateau du
Mansourah a été prise. Même les pierres de l’arc de Triomphe appelé Ksar El Ghoula situé à
proximité du Pont ont été réutilisées pour l’occasion.

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Bouchareb A.

Figure 7 : Différentes colonnes et Figure 8 : Le pont d’El Kantara en vers 1846 (Dessin d’A.
chapiteaux du Palais du Bey Ravoisié)

Les colonnes de Djamaa El Kebir sont coiffées de chapiteaux d’ordre Corinthiens. Ainsi, la
reconversion de la basilique a été également accompagnée par le réemploi des éléments
architectoniques de grandes qualités.

Figure 9 : Chapiteaux corinthiens de Djamaa El Kebir

D’autres gravures montrent le réemploi d’objets architectoniques dans la construction, soit en


éléments de remplissage ou en éléments décoratifs.

Figure 10 : Incrustation d’objets architecturaux dans les constructions (Gravure de


Delamarre).

Enfin de compte, le réemploi se décline également par sa triple utilité, technique en


fournissant une matière informée prête à l’usage dans la construction, esthétique en apportant

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une authentique touche de beauté et aussi symbolique en tant qu’héritage témoin du passé.
Ce rôle l’épargne d’être classé dans les catégories des reliques ou des simples gadgets du
passé

CONCLUSION

Tergiverser, s’attarder ou se mêler dans les imbroglios juridico-administrative et dans la recomposition


des réseaux institutionnels ne favorise nullement le patrimoine, dont la survie commande des actions
urgentes.
D’autre part, les ambitions d’une génération présente portée sur l’éphémère, le clip et les gadgets
«jetables » arrivent à noyer les inclinations « intellectuelles » des quelques « îlots » s’attachant
encore à l’authentique.
Il y a là un constat « réaliste » qui suggère d’adopter des visions en rapport avec les temps actuels.
L’impuissance pour « édifier » occasionnée surtout les attitudes procédurales lourdes, conduit à une
incapacité pour se résoudre et maintenir le consensus social et culturel.
A Constantine, les premières opérations de terrains butent sur l’absence de qualifications
professionnelles, d’un projet cohérent et d’un imaginaire fructifiant. Nous sommes en train d’assimiler
le cas constantinois au cas de Fez ou de Tunis. Ces dernières sont homogènes, n’ayant pas subi les
affres des percements et des démolitions, ni les déchirements sociaux de la ségrégation ethnique.
Constantine, sans discontinuité, a été convoitée et occupée par plusieurs conquérants, chacun
consentit à établir son ordre spatial, ses valeurs sociales et dicter ses canons de l’esthétique, souvent
en respectant les traces du précédent. Au final, la ville est un véritable palimpseste, tout se lit en
filigrane.
Pour quelles raisons, la génération actuelle s’interdit-elle d’y inscrire son temps ?
Le centre ancien, est appelé à se rajuster et même à introduire cette notion du développement
durable, du moins un brin de « toilette », pour être conforme aux normes de l’hygiène.
L’histoire urbaine de la ville fournit des indications sur le génie des prédécesseurs, sur leur ardeur de
bâtisseurs, sur leur hardiesse et sur leur sensibilité.
Il est temps de refaire la ville rien qu’en respectant son tracé, en reconvertissant ses « locaux
obsolescents » et en réemployant ses matériaux. C’est la leçon du passé transmise en toute
humilité.
Pourquoi ne pas faire en sorte que les villes anciennes « vieillissent bien » ?

BIBILOGRAPHIE

1- ASCHER F (1995). Métapolis ou l’avenir des villes. Ed. O. Jacob. Paris.


2- BENIDIR F (1989) .La revalorisation d’un tissu ancien. Le cas de Constantine. Th. Magister.
Univ. Mentouri Constantine.
3- BIESSE-EICHELBRENNER M. (1985) Constantine. La conquête et le temps des pionniers.
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l’architecture durant l’antiquité. Une étude en archéologie urbaine. Thèse d’Etat. DAU. Univ.
Mentouri Constantine.
5- FERAUD Ch. (1877). Visite au palais de Constantine. Lib Hachette. Paris. .
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France. Cahier n°5. Paris.
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Neaulme. La Haye.

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