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COMMENT LES FUMEURS PAUVRES JUSTIFIENT-ILS LEUR

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PRATIQUE ET JUGENT-ILS LA PRÉVENTION ?
Patrick Peretti-Watel et Jean Constance

Médecine & Hygiène | « Déviance et Société »


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2009/2 Vol. 33 | pages 205 à 219


ISSN 0378-7931
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https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2009-2-page-205.htm
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Déviance et Société, 2009, Vol. 33, No 2, pp. 205-219

Comment les fumeurs pauvres justifient-ils leur


pratique et jugent-ils la prévention ?

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Patrick Peretti-Watel*, Jean Constance*
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Dans les pays développés, le tabagisme est devenu une pratique déviante, qui persiste
surtout dans les milieux défavorisés. À partir de 31 entretiens menés avec des fumeurs
pauvres du Sud de la France, cet article examine comment ceux-ci justifient leur prati-
que et jugent la lutte antitabac. Même s’ils reconnaissent leur dépendance, ces fumeurs
affirment que la cigarette satisfait des besoins essentiels, ils relativisent les risques et
critiquent l’industrie du tabac et les pouvoirs publics. Ces justifications sont à la fois
ancrées dans la culture du risque contemporaine et dans la culture ouvrière, ce qui rend
sans doute ces fumeurs peu perméables aux discours préventifs.

Mots-clés : Tabagisme – Pauvreté – Techniques de neutralisation – Culture populaire

Introduction

Les sociétés occidentales contemporaines sont caractérisées à la fois par la culture du


risque et par le culte de la santé. D’une part, la culture du risque exhorte chacun de nous
à prendre sa vie en main, à devenir l’entrepreneur de sa propre existence, à « coloniser le
futur ». Pour cela, il s’agit d’anticiper les opportunités et les obstacles que l’avenir nous
réserve, afin de prendre en conséquence les bonnes décisions aujourd’hui, en s’appuyant
pour cela sur des savoirs experts (Giddens, 1991). D’autre part, la santé est devenue une
valeur cardinale de nos sociétés : préserver sa santé est devenu un objectif en soi, par lequel
se mesure l’accomplissement personnel et la valeur morale d’un individu (Crawford,
1994 ; Lupton, 1995). Rester en bonne santé est devenu un nouvel impératif moral, à la fois
le devoir de chacun et l’objectif général (Foucault, 1994).
Avec la conjonction de la culture du risque et du culte de la santé, chaque individu
est tenu pour responsable de son capital santé, dont il doit prendre soin en réglant ses
conduites sur les conseils dispensés par les campagnes de prévention, lesquelles désignent
les conduites saines et celles qui ne le sont pas (qualifiées ordinairement de « conduites à
risque »). Dans ce contexte, les personnes qui se laissent aller à des conduites qui nuisent
à leur santé, qui réduisent leur espérance de vie, mettent en danger leur futur au lieu de le
coloniser. Ils ne se conforment donc pas aux normes dictées par la culture du risque et le
culte de la santé : en d’autres termes, ce sont des déviants (Peretti-Watel, Moatti, 2006).
Le tabagisme illustre bien ce processus par lequel une conduite désignée comme « à
risque » par la santé publique est progressivement devenue une pratique déviante, sachant
que les sociologues ont commencé à étudier la « mise en déviance » du tabagisme dans les

* UMR 912 Sciences Économiques et Sociales, Systèmes de Santé, Sociétés (SE4S, Inserm-IRD-Université
de la Méditerranée) – Observatoire Régional de la Santé Provence-Alpes-Côte d’Azur (ORS Paca).
206 Déviance et Société

années 1970 (Nuehring, Markle, 1974 ; Markle, Troyer, 1979). Il faut aussi rappeler que
depuis une dizaine d’années, l’Organisation Mondiale de la Santé poursuit explicitement une
stratégie de « dénormalisation » du tabagisme, visant à remettre en cause son acceptabilité
sociale. Cette stratégie a très certainement contribué à ce que le fait de fumer des cigarettes
devienne, au moins dans certains pays, une nouvelle forme de stigmate (Hammond et al.,

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2006 ; Chapman, Freeman, 2008 ; Stuber et al., 2008). Par exemple, en Australie, les cam-
pagnes de prévention antitabac ont largement contribué à dégrader l’image des fumeurs,
décrits comme des drogués sans volonté, malodorants, voire repoussants, pollueurs égoïstes
qui provoquent des incendies, qui pèsent sur les dépenses de santé et sont moins productifs
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que les autres salariés, sans oublier bien sûr qu’ils empoisonnent leur entourage à cause du
tabagisme passif (Lupton, 1995 ; Chapman, Freeman, 2008).
Bien sûr, un stigmate a toujours une histoire, il est le produit de rapports de force entre
divers acteurs sociaux, et dans le cas du tabagisme la différenciation sociale accrue de cette
pratique, qui se concentre de plus en plus dans les catégories sociales les plus défavori-
sées, n’est sans doute pas étrangère à sa stigmatisation croissante (Markle, Troyer, 1979 ;
Collins, 2004 ; Stuber et al., 2008). En effet, en France comme dans beaucoup d’autres
pays développés, la lutte antitabac a globalement fait reculer la proportion de fumeurs,
mais c’est surtout parmi les catégories sociales les plus aisées et les plus diplômées que la
prévalence du tabagisme a baissé (Marsh, McKay, 1994 ; Barbeau et al., 2004 ; Jefferis et
al., 2004 ; Giskes et al., 2005). Plus précisément, en France, entre 2000 et 2007, parmi les
cadres supérieurs en emploi, la proportion de fumeurs est passée de 36% à 23% (soit une
baisse de plus d’un tiers), parmi les ouvriers en emploi cette proportion est passée de 44% à
35% (baisse d’un cinquième), tandis qu’elle est restée quasi-identique parmi les chômeurs
(45% en 2000, 44% en 2007) (Peretti-Watel et al., 2009a).
Pour tenter de mieux comprendre la persistance du tabagisme dans les milieux défavo-
risés, le présent article propose une première exploration à partir des résultats issus d’une
enquête qualitative réalisée auprès de fumeurs pauvres. Lors de ces entretiens centrés sur
cette nouvelle déviance que constitue le tabagisme, il s’agissait notamment d’éclairer les
questions suivantes : comment les fumeurs pauvres justifient-ils leur pratique ? Comment
se situent-ils à l’égard des dangers du tabagisme tels qu’ils sont décrits par les campagnes
de prévention ? Et au-delà, comment jugent-ils la politique actuelle de lutte antitabac ?

Matériel et méthode

Population étudiée
Bien sûr, la pauvreté est une notion difficile à cerner, au point même que certains pays
comme le Canada refusent de produire des chiffres sur la pauvreté, en l’absence d’un
consensus sur cette notion (pour une revue récente des problèmes de définition de la pau-
vreté, cf. Lollivier, 2008). Dans notre étude, pour sélectionner les personnes à interro-
ger, nous avons repris la définition sociologique de la pauvreté initialement proposée par
Georg Simmel : c’est l’assistance qui définit le pauvre, autrement dit le fait de recevoir
une aide matérielle de la collectivité (Simmel, 1998 ; Paugam, 2005). Cette approche de la
pauvreté a l’avantage de désigner des modes d’accès à cette population, via les structures
qui viennent en aide à cette dernière. Ensuite, pour les personnes contactées grâce à ces
structures, en préalable à l’entretien nous avons vérifié qu’elles se trouvaient bien dans une
situation précaire (chômage, emploi précaire, ou contrat à durée indéterminée mais payé
au minimum légal, surendettement, problèmes de logement…).
Peretti-Watel et Constance, Comment les fumeurs pauvres justifient-ils leur pratique ? 207

Dans deux départements du Sud-Est, nous avons ainsi recruté des personnes par l’inter­
médiaire des travailleurs sociaux : d’abord dans deux foyers d’accueil, qui offrent provisoi-
rement le gîte et le couvert à des personnes en grande difficulté ; ensuite dans une Maison
des chômeurs, association fréquentée par des chômeurs mais aussi d’autres personnes dont
la situation professionnelle est précaire ; enfin nous avons recruté des personnes plus iso-

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lées géographiquement, qui sortent peu de leur domicile, grâce aux Conseillers en Écono-
mie Sociale Familiale (CESF), qui interviennent auprès des familles en situation de grande
difficulté financière afin de les aider à gérer leur budget.
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Données recueillies
Jean Constance a procédé à des entretiens semi-directifs qui se sont déroulés selon
les cas dans les structures de recrutement, au domicile des personnes interrogées ou plus
rarement à la terrasse d’un café. Les entretiens ont duré de 40 minutes à 1 heure 30. Avec
l’accord explicite des personnes, les entretiens ont été enregistrés, retranscrits et anony-
misés. La grille thématique servant de trame à l’entretien a été élaborée conjointement
par Jean Constance et Patrick Peretti-Watel, et modifiée au fur et à mesure que l’analyse
des premiers entretiens suggérait de nouvelles pistes. Au bout de 31 entretiens, le recueil
a cessé car le point de saturation thématique était atteint (aucun nouveau thème ou sous-
thème n’émergeait des derniers entretiens).
Parmi les 31 personnes interrogées, on compte 13 femmes et 18 hommes ; 21 sont au
chômage, 6 en emplois et 4 inactives ; 7 ont moins de 30 ans, 12 sont âgées de 30 à 50 ans,
et 12 ont plus de 50 ans.

Analyse des données


Pour la moitié des entretiens retranscrits, Jean Constance et Patrick Peretti-Watel ont
procédé séparément à une analyse de contenu ad hoc des thématiques observées, pour
ensuite confronter leurs résultats et parvenir à un dictionnaire commun organisé en thèmes
et sous-thèmes. Ce dictionnaire a ensuite été utilisé par Jean Constance pour coder les
entretiens suivants, mais a aussi été enrichi en fonction des nouvelles thématiques rencon-
trées, l’introduction de nouveaux thèmes dans le dictionnaire étant validée par les deux
chercheurs conjointement. Les extraits d’entretiens reproduits dans la suite de l’article ont
trait plus précisément à deux thèmes fréquemment rencontrés (les dangers de la cigarette
d’une part, les jugements portés sur la prévention d’autre part). Il va de soi que les prénoms
cités par la suite sont fictifs.

Résultats

Le tabac, une drogue dont ils ont besoin


Bon nombre des personnes interrogées considèrent que le tabac est une drogue, voire
une « drogue dure ». Plusieurs se considèrent elles-mêmes comme des « toxicomanes », et
la plupart reconnaît une forme de dépendance à la cigarette. Cette dépendance, telle que les
fumeurs la reconnaissent, se manifeste par ce qu’ils se disent prêts à faire pour continuer
à fumer, malgré la forte hausse des prix, comme se priver d’autres choses, mendier des
cigarettes, voire ramasser des mégots :
208 Déviance et Société

Si j’ai pas de tabac, c’est pas bon. C’est vital pour moi. Sinon je suis agressif. Il me faut
ma clope. Ça me calme. (…). Le tabac c’est une drogue dure, je peux pas m’en passer,
mais ça devrait pas exister (Émilien, 36 ans, au chômage).
J’aime mieux me priver de café, d’alcool et de tout, mais mon tabac non ! C’est ma dro-

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gue. Voilà, c’est simple. (…) Ça, même que le paquet y me coûte 50 euros je l’achèterai.
J’ai pas ça. Non mais c’est pour dire, je m’arrêterai jamais, jamais. J’aimerais mieux
me priver d’un café ou quoi mais mon paquet de tabac, c’est mon paquet de tabac (Phi-
lippe, 50 ans, sans domicile fixe).
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Je suis invivable quand j’ai pas de cigarette. (…) J’tourne en rond, j’gueule après tout le
monde, ma fille elle me demande rien sinon je l’envoie promener. J’suis insupportable
là. Alors j’descends dans la rue, j’en trouve une (…) Je demande aux gens (…). C’est la
seule chose que je peux demander. Jamais ça me viendrait à l’idée d’aller demander des
sous ou… Mais heu, une cigarette ouais, sans problème (Méline, 54 ans, au chômage).
Je serais capable de fumer un mégot dans la rue tellement ça me manquerait et j’en ai
besoin. Je peux me passer de tout autre chose, sauf de fumer (…) ça fait très longtemps
que je fume et je suis très accro à la cigarette et pourtant j’aimerais dire demain tout
de suite là je ne fume plus, ça y est je ne fume plus je me… je crois que presque je le
crierais vous voyez j’le chanterais à tout le monde (…) Quand ça me manque je suis
extrêmement nerveuse et énervée, je cherche partout si j’en ai pas planqué une parce
que des fois j’en mets une dans un pot au cas où. (…) Du moment où je prends ma ciga-
rette c’est du bonheur pour moi. Le fait d’inhaler cette fumée, c’est un petit moment de
bonheur que je me vole, que je me prends pour moi (Manon, 56 ans, employée).

Pour le sens commun, par définition, un toxicomane prend sa drogue simplement parce
qu’il en a besoin pour soulager la sensation de manque. Or, ce n’est pas ce que nous disent
ces fumeurs : ainsi, dans le dernier extrait d’entretien supra, Manon se dit « accro », voudrait
arrêter, mais ça ne l’empêche pas d’associer à chaque cigarette « un petit moment de bon-
heur ». Elle n’est pas la seule dans ce cas : plusieurs fumeurs interrogés parlent du plaisir, du
bonheur que leur procure leur drogue. Au-delà, la cigarette satisfait des besoins. Outre son
usage contre le stress, cité par presque tous les fumeurs, la cigarette vient combler un vide :
on fume parce que l’on a rien à faire, parce que c’est le seul loisir qui reste abordable (certains
ont ainsi le sentiment de faire des économies en fumant) ; a contrario on se souvient que l’on
fumait moins lorsque l’on avait du travail ; on fume parce que l’on se sent seul, après une
rupture affective, ou encore après avoir perdu son travail ou arrêté la prise d’une drogue plus
forte… Bref, pour plusieurs interviewés, la cigarette, c’est tout ce qui leur reste.
Je suis intoxiquée d’une force folle. (…) Y’en a qui me disent « la volonté » oui mais la
volonté moi j’en n’ai pas, et elle est dans la nicotine ma volonté, depuis 35 ans (…).
Ceci dit, ça ne donne pas que le cancer, ça donne aussi du bonheur, pas l’extase, mais
quand même un petit peu de bonheur (…) Moi, j’ai besoin de fumer, j’ai pas 50 loisirs
dans la vie, je suis pauvre, je sors pas, je vais pas au cinéma (…). On est mort ici, on
est loin de tout. Si on avait une piscine dans le coin, j’irai nager tous les jours, au lieu
de fumer (…). À Paris, j’adorais nager, je fumais moins, je buvais moins, j’avais des
poumons, du souffle, des tas d’activités ! Ici, qu’est-ce que vous voulez faire ? Aller au
café en bas, et fumer, et raconter les mêmes conneries aux mêmes personnes ! (Camille,
60 ans, à la retraite).
Peretti-Watel et Constance, Comment les fumeurs pauvres justifient-ils leur pratique ? 209

J’aimerais pouvoir arrêter, pour dire hé ben tout ce fric qui passe dans les clopes on
pourrait faire autre chose quoi. Mais… Pas facile. Et puis bon heu… Il nous reste plus
qu’ça à nous. À part ça on sort plus… on boit plus… heu bon ça va s’il nous reste plus
qu’ça, tant pis. (…) À 30 ans, on faisait la fête, on se bourrait la gueule… On peut plus !
(Méline, 54 ans, au chômage).

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On a que ça pour se détendre alors… si encore on allait dans des boîtes de nuits, dans
des fêtes, je sais pas, si on allait s’amuser, au restaurant tout ça, ben ça coûterait plus
cher. Regardez celui qui va voir un match de foot ou un match de rugby ou… Et ben
il paye plus cher qu’un paquet de cigarettes si on regarde. Ça lui coûte deux ou trois
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paquets de cigarettes (…) sans compter le transport, le train ou l’essence. Ça revient


plus cher en fin de compte (Joseph, 50 ans, au chômage).
Quand je me réveillais tard, quand j’avais des occupations et puis quand je bossais
aussi, quand je bossais et je ne pensais pas à la clope. (…) C’est quand j’avais rien à
foutre que j’allumais la clope. (…) Et quand on bosse et qu’on fait quelque chose qui
plaît… moi, j’étais moins tenté de fumer. Ouais, quand vous foutez rien, vous fumez
plus (Fabrice, 51 ans, au chômage).
Moi quand j’travaillais dans la maçonnerie, je fumais moins. Mais étant donné que le
travail maintenant ça court plus les rues… (…) Pour moi, [la cigarette] c’est une aide.
Comme la nuit je me réveille, j’arrive plus à dormir ; je fume. J’vais faire quoi sinon ?
Rien. Je fume. Et si j’ai pas de tabac, alors là… c’est pas bon du tout ! (…) Y a aussi la
solitude. Ça joue beaucoup la solitude (Clément, 57 ans, au chômage).
Alors, je vais dire, quelque chose qui est énorme, à la limite, je me demande si des fois,
je ne me dis pas dans ma tête, « J’ai que ça ». J’arrive à exprimer le fait que j’ai que ça.
Pourquoi. Parce que dans ma vie, y a eu un grand chamboulement, je, j’ai accentué en
fait le fait de fumer par rapport à ce chamboulement [une rupture] (Solange, 49 ans,
au chômage).
J’ai commencé à fumer quand j’ai arrêté la cocaïne (…). J’ai recommencé à fumer
quand je me suis retrouvée à la rue. J’avais plus de boulot. (…) J’avais pas de revenus
donc je taxais. J’en fumais très peu. Ça me détendait, ça me calmait (Karine, 28 ans,
au chômage.)

Les relativisations du risque tabagique


Les fumeurs interrogés n’ignorent pas les risques qui pèsent sur leur santé. Ils savent
tous que fumer peut provoquer le cancer, et en particulier le cancer du poumon. D’ailleurs,
ils ont souvent des proches (ascendants, membres de la fratrie, amis) déjà décédés d’un
cancer qu’ils attribuent au tabac. Cela ne les empêche pas de relativiser ces risques. Certains
estiment qu’ils ne fument pas tant que ça, parce qu’ils ont réduit leur consommation en
passant au tabac à rouler, ou parce qu’ils fument des cigarettes légères. D’autres relativi-
sent le risque en mettant en relief les risques concurrents : arrêter de fumer, c’est s’exposer
à une prise de poids, à une dépression, à une humeur massacrante… L’extrait d’entretien
ci-dessous est caractéristique d’autres arguments fréquemment entendus : le risque taba-
gique n’est qu’un risque, autrement dit certains fumeurs n’auront pas le cancer tandis que
certains non fumeurs l’auront, et surtout ça n’est jamais qu’un risque parmi d’autres :
Si y doit m’arriver quelque chose, y m’arrivera quelque chose. Demain j’peux traverser
la route et m’faire renverser ou alors un type qui n’a jamais fumé, peut contracter un
210 Déviance et Société

cancer des poumons, mais le mec qui a toujours fumé ne l’aura pas forcément… enfin
voilà, c’est la vie des maladies, voilà. (…) Ouais, ouais tu peux en avoir n’importe com-
ment aussi des cancers, je sais pas le cancer des os, le cancer, une leucémie, le cancer du
sang, voilà, tu peux avoir une tumeur, faut pas pousser non plus, ça c’est pas la clope qui
du jour au lendemain va te provoquer… (…) Ça tue, ouais, mais ça tue à la longue. C’est

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pas comme si ça tuait d’une balle quoi : voilà t’es mort ! Si t’as un flingue devant toi, tu
vas réfléchir à deux fois alors qu’avec une cigarette ben ouais, ça va me tuer ouais. De
toute façon, tous les jours je suis en train de mourir un peu, tu vieillis donc forcément tu
vas arriver à l’échéance un jour ou l’autre quoi (Arnaud, 23 ans, au chômage).
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Dans cet extrait, Arnaud souligne que les dégâts sanitaires du tabagisme ne sont pas
immédiats, ce qui peut témoigner d’un certain ancrage dans le présent. De même, d’autres
fumeurs interrogés soulignent que même si le tabac est mauvais pour la santé, en tout cas
pour l’instant la leur est excellente :
Je sais que je vais mourir de ça, je m’en fous, vaut mieux mourir de ça que de mourir
d’autres choses. Ça fait depuis l’âge de quinze ans que je fume et j’en ai cinquante, je
suis en vie et en pleine forme (Philippe, 50 ans, sans domicile fixe).
Mais bon moi j’ai passé un check-up y’a… y’a 3 ans. Ouais pour mes 50 ans. Et heu, j’ai
passé une radio des poumons et mon docteur m’a dit heu, « C’est extraordinaire », parce
qu’il me connaît depuis très longtemps, « c’est extraordinaire avec tous les paquets de
clopes que vous fumez vous avez des poumons de jeune fille ». Ça va ! J’en ai encore
pour quelques années. C’est con, parce que c’est vrai qu’on continue à se dégrader les
poumons mais… [elle rallume sa cigarette] (Méline, 54 ans, au chômage).

Mais plusieurs fumeurs relativisent également les dangers du tabac en mettant en cause
les fabriquants de cigarettes. Selon eux, le tabac lui-même ne serait pas nocif, ou peu, mais
c’est l’industrie du tabac qui empoisonnerait ses propres cigarettes, en rajoutant des subs-
tances cancérigènes pour rendre les fumeurs dépendants plus rapidement :
Les compagnies de tabac elles mettent ces produits-là voilà, elles savent très bien
comme ça, après t’es totalement, comme en anglais on dit, complètement addict à la
cigarette. (...) Elles savent très bien ce qu’elles mettent dedans, elles doivent forcément
mettre de la nicotine dedans pour que ton corps soit accro à ça rapidement quoi, donc
voilà elles le mettent, c’est pas dans le tabac pur (Arnaud, 23 ans, au chômage).
Le tabac en lui-même, je ne pense pas que ce soit méchant, faut pas en abuser, mais
si on n’est pas accro au tabac, une clope de tabac, du vrai tabac qui pousse dans le
jardin, je ne pense pas que ça détruise comme la simple cigarette qu’on vend ici. (…)
je suis persuadé que du vrai tabac, on en fumerait modérément, on ne serait pas accro,
parce qu’il y aurait moins de saloperies dedans qui nous rendent malades, comme
celles qu’on achète dans n’importe quel bureau de tabac. Le vrai tabac je ne pense pas
que ce soit un poison (Fabrice, 51 ans, au chômage).
En plus moi j’ai appris y’a pas très longtemps qu’ils mettaient des tas de trucs dedans,
des produits vraiment dégueulasses (…) Du cyanure. Pour quoi faire ? Ben pour bien
nous accrocher à la clope quoi. Pour être sûrs qu’on va continuer. Moi je pense que
c’est possible de vendre autre chose que ces saloperies qu’ils nous vendent (...) Du
tabac comme ils faisaient dans le temps. Dans le temps, ils fumaient pas des cigarettes
Peretti-Watel et Constance, Comment les fumeurs pauvres justifient-ils leur pratique ? 211

comme aujourd’hui hein. Ils fumaient réellement des feuilles de tabac (…) Le tabac en
lui-même c’est pas mauvais. Voilà c’est… tout dégénère quoi. On fait tout et n’importe
quoi et… Et à tous les niveaux. Que ce soit la bouffe, que ce soit… (...) C’est criminel.
(...) Les cigarettes n’ont pas le même goût qu’il y a vingt ans. Celles-là elles sentaient le
miel ; celles-là elles sentent la merde. Faut reconnaître, c’est vrai qu’avec tout ce qu’ils

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mettent dedans, c’est normal que l’on attrape des cancers. (…) Une feuille de tabac
naturelle, sans rien autour, ça donne pas le cancer (Méline, 54 ans, au chômage).

Une prévention hypocrite, et pas assez radicale


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Les politiques de lutte anti-tabac suscitent généralement des commentaires hostiles,


et tout particulièrement la hausse des taxes sur les produits du tabac, qui s’est traduite ces
dernières années par une forte augmentation du prix des cigarettes. De nombreux fumeurs
interrogés dénoncent l’hypocrisie d’un État qui pointe les dangers du tabac, chasse les
fumeurs de l’espace public, mais continue « à s’en mettre plein les poches ». Certains évo-
quent même une collusion entre l’État, l’industrie du tabac et l’industrie pharmaceutique :
En fait c’est un système complètement commercial où certaines grandes firmes se
gavent de fric sur notre dos c’est tout hein. Ça leur permet après de bosser avec les
laboratoires pour vendre des médicaments pour soigner les maladies dues au tabac
qu’ils nous ont provoquées. Ben, c’est un système, c’est pour faire du pognon c’est tout
hein (...) Le gouvernement ramasse les taxes. C’est les gouvernements qui ramassent
le plus. Sur les taxes, sur le tabac, sur heu… Buvez pas d’alcool c’est dangereux heu…
Nan mais c’est eux qui ramassent les taxes sur les alcools. C’est hypocrite ça (Liliane,
56 ans, au chômage).
Ils abusent sur le prix des cigarettes, 4,80 1 le paquet c’est scandaleux, ça arrange
bien l’État. (…) C’est des enfoirés, et alors ils nous font la morale après, « Fumer tue »
sur les paquets, ils sont bien gentils de nous faire la morale mais c’est quand même eux
qui nous les vendent ; ils font des campagnes antifumée à n’en plus finir, on peut plus
aller fumer dans les cafés, ni ailleurs… mais ils les vendent, ils continuent à les vendre
ces enfoirés. Non seulement ils nous font la morale, mais en plus ils nous les vendent.
(…) Ils nous frustrent et en plus ils nous font la morale. Société d’hygiénistes à la con.
Laissez-nous vivre, et même fumer ! (Camille, 60 ans, à la retraite).
Là ça me gave, si vraiment on sait que c’est mortel, on arrête de vendre cette daube.
Stop. Mais on continue à vendre parce qu’il a des enjeux économiques derrière, c’est
l’unique raison. Y a des gens qui travaillent de la cigarette, des gens qui s’enrichissent
de la cigarette, (…) il y a des lobbys de la cigarette, des taxes pour l’État… (René, 47
ans, travailleur social).

René mentionne l’interdiction pure et simple de la vente de cigarettes. Il n’est pas le


seul. Toutefois, il ne semble pas que les fumeurs interrogés appellent réellement de leurs
vœux une telle interdiction : celle-ci est plutôt présentée comme l’aboutissement logique
des autres mesures préventives, et l’évoquer permet surtout de pointer l’incohérence de la
lutte antitabac.
Alors moi je dis la solution elle est toute trouvée hein. On ferme tous les bureaux de
tabac. On interdit la vente des cigarettes. Elle est toute trouvée la solution (…) On
serait obligé de s’arrêter si on n’en trouve plus. C’est sûr qu’il y aurait obligatoirement
212 Déviance et Société

du trafic. Bien sûr. Mais c’est certain. Mais si on interdit la vente des cigarettes, ben
on s’arrête de fumer (…) Plutôt que de faire cette politique hypocrite, de dire faut pas
fumer dans les endroits publics, bientôt ça va être partout, on pourra plus fumer, nulle
part (Méline, 54 ans, au chômage).

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Pour aider les gens à arrêter de fumer il faut fermer les bureaux de tabac, il faut arrê-
ter de fabriquer des cigarettes et arrêter de les vendre. Avec l’interdiction de fumer
dans les cafés, les gens sortiront pour fumer leur cigarette, ils fumeront dehors, ça ne
changera rien. Mais tant que l’État continue à vendre des cigarettes… C’est débile, si
tu dis aux gens qu’il faut arrêter de fumer, faut pas poser un paquet devant eux (Leïla,
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26 ans, au chômage).

De même, les fumeurs interrogés se déclarent souvent partisans d’un durcissement de


la lutte antitabac, s’agissant notamment des messages préventifs, mais seulement pour
convaincre les jeunes générations de renoncer à la cigarette : ils n’envisagent pas que ce
durcissement puisse être efficace pour eux-mêmes.
[Les campagnes de préventions] c’est pas assez costaud. (…) On ne veut pas voir à
la télé des choses qui fâchent, qui tâchent. Alors que dans les pays anglo-saxons, ils
n’hésitent pas à montrer des trucs graves, comme des poumons très atteints. Et là où ça
gifle fort, on veut pas à cause des gamins. Mais moi je suis pour que les gamins aient
une aversion, aient un rejet total de ça. Pour que quelque part ils soient conditionnés
pour ne pas toucher à ça quoi (Didier, 53 ans, ouvrier).
Moi je préconise de montrer des poumons à la télé à l’heure des pubs, c’est pas mal ça
je trouve mais y en a qui vont dire : « Ah, mais c’est horrible, les enfants voient ça ».
Justement ! Les enfants voient ça et ben voilà, qu’ils le voient ! (…) Une bonne batterie
de poumons pourris avec quelques cancéreux en phase terminale, voire pire ! (Roland,
51 ans, au chômage).
Les messages sur les paquets, c’est très bien. Là sur un paquet étranger, j’ai vu car-
rément un gars intubé, avec des tubes dans le nez, des perfs, en photo sur le paquet
de clopes. Ça donne envie d’arrêter tout de suite, la cigarette tu la remets direct dans
le paquet (…) Ça va arriver en France. Ça choque [mais vous, vous avez continué à
fumer ?] mais je vais pas m’arrêter du jour au lendemain, sinon je vais péter les plombs
(Karine, 28 ans, au chômage).
L’interdiction de fumer dans les lieux publics, Je trouve ça bien. Mais moi ça va me
poser un souci. (…) C’est bénéfique d’interdire la cigarette dans les lieux publics,
parce que toutes les générations qui vont arriver vont apprendre à faire la fête sans
cigarette. Mais moi (…) je suis dépendant et j’ai envie de garder cette liberté (René, 47 ans,
travailleur social).

Discussion

Les justifications des fumeurs : soutien de soi, déni du risque et accusation


des accusateurs
Parmi les cadres théoriques que propose la sociologie de la déviance, celui initialement
forgé par Sykes et Matza (1957), puis repris et développé par Becker (1963), semble tout
Peretti-Watel et Constance, Comment les fumeurs pauvres justifient-ils leur pratique ? 213

à fait pertinent pour appréhender le discours des fumeurs interrogés. Pour ces auteurs, la
plupart des personnes qui commettent des actes répréhensibles ne se considèrent pas elles-
mêmes comme déviantes, elles restent attachées aux normes dominantes, même si elles
sont susceptibles de les enfreindre, en justifiant ces infractions grâce à des « techniques de
neutralisation » qui structurent la « carrière morale » du déviant. De fait, bon nombre de ces

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fumeurs ont initié, puis affirmé leur pratique tabagique avant que la lutte antitabac ne prenne
de l’ampleur en France. Ils ont donc assisté à la « dénormalisation » progressive d’une prati-
que jusque-là largement acceptée. Ils sont donc particulièrement bien placés pour contester
l’étiquetage déviant dont le tabagisme fait aujourd’hui l’objet, et pour justifier leur pratique,
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et cela même s’ils ne contestent pas le bien-fondé des politiques antitabac : ils accordent de
l’importance à leur propre santé, et reconnaissent que le tabagisme lui nuit.
Dans le détail, les cinq techniques de neutralisation listées par Sykes et Matza sont les
suivantes : le déni de responsabilité (le déviant se présente comme le jouet de forces qui le
déterminent, il estime ne pas être responsable de ses actes), le déni du préjudice (le déviant
considère que ses actes n’ont pas fait de tort à la victime : dans le cas d’un vol, si la victime
est très riche, bien assurée, ou si le vol est présenté comme un « emprunt »), le déni de la
victime (le déviant considère que la victime a mérité son sort, parce qu’elle appartient à
une minorité stigmatisée, ou en raison de ses actes passés, ou il estime qu’il n’y a pas de
victime, comme dans le cas d’une dégradation d’un bien public), l’accusation des accusa-
teurs (le déviant contre-attaque pour disqualifier ceux qui l’étiquettent comme tel, en leur
reprochant à son tour des actes répréhensibles), et enfin l’appel à une loyauté supérieure
(le délinquant justifie sa transgression temporaire des lois en estimant qu’il ne pouvait
pas déroger à un engagement plus fort : solidarité familiale, amitié…). Cependant, ces
techniques sont peu adaptées aux usages de drogues dans les sociétés contemporaines, et
des travaux plus récents ont souligné la nécessité de revoir cette liste (Weinstein, 1980 ;
Monaghan, 2002 ; Peretti-Watel, 2003, 2005). En particulier, dans le cas des usages de
drogues, le déni du préjudice, le déni de la victime et l’appel à une loyauté supérieure
tels que Sykes et Matza les avaient conçus, ne sont pas pertinents. Plus généralement, les
techniques de neutralisation fournissent aux délinquants des justifications pour suspendre
provisoirement leur loyauté aux valeurs dominantes. Elles s’appliquent facilement pour
des actes déviants peu fréquents, mais sont moins adaptées pour justifier une pratique per-
manente qui s’inscrit dans un mode de vie.
S’agissant du déni de responsabilité, dans des sociétés qui valorisent l’autonomie et la
responsabilité individuelles, ainsi que la rationalité instrumentale, les usagers de drogues
auraient plutôt tendance à prendre le contre-pied de ce déni, en revendiquant leur usage
comme un acte assumé, réfléchi, rationnel, dans le sens où c’est le meilleur moyen d’attein-
dre une fin, de satisfaire un besoin, tout spécialement s’il s’agit de rendre plus supportable
une situation difficile : il s’agirait alors d’accomplissement personnel ou de soutien de soi
(self-fulfillment & self-sustenance accounts, Weinstein, 1980, 583).
Mais quand les fumeurs pauvres se décrivent eux-mêmes comme des toxicomanes
« accros » à la cigarette, cherchent-il à nier leur responsabilité ? Pour le sens commun,
comme d’un point de vue strictement médical (Jarvis, 2004), les fumeurs ressentent un
besoin de fumer parce qu’ils sont dépendants à la nicotine : ce besoin est un symptôme de
leur addiction. Mais ce n’est pas ce que nous disent ces fumeurs : ils se disent dépendants
parce qu’ils reconnaissent que la cigarette satisfait des besoins essentiels, souvent liés à leur
pauvreté. Ils en ont besoin pour gérer leur stress, pour s’accorder un moment de bonheur,
pour combler le vide d’une existence à la fois sans travail et sans les ressources nécessaires
pour profiter de leur « temps libre », pour se sentir moins seul… Ces usages de la cigarette
214 Déviance et Société

en milieu défavorisé ont déjà été documentés dans de précédentes études anglo-saxonnes
(Graham, 1987 ; Stead et al., 2001). Mais ces propos font aussi écho à une autre étude,
qui observait la signification duale que prend la dépendance pour certains fumeurs : ils se
disent dépendants, mais soulignent que la cigarette sera toujours là pour eux, qu’elle est un
soutien indéfectible (Hughes, 2002). En d’autres termes, quand les fumeurs pauvres nous

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parlent de leur dépendance tabagique, ils ne cherchent pas à nier leur responsabilité, mais
nous expliquent que la cigarette serait le seul moyen à leur disposition pour satisfaire des
besoins essentiels : leurs arguments relèvent donc plutôt du soutien de soi.
En revanche, l’une des techniques de neutralisation listées par Sykes et Matza apparaît
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bien dans nos entretiens : il s’agit de l’accusation des accusateurs. En effet, les fumeurs
pauvres s’en prennent fréquemment à la lutte antitabac, qu’ils taxent d’hypocrisie à leur
égard, et dont ils pointent les contradictions en soulignant que pour être cohérente elle
devrait aboutir à une interdiction pure et simple de la vente de cigarettes. Cette technique
de neutralisation a également été observée parmi des culturistes utilisant des stéroïdes, à
l’encontre de ceux qui les considèrent comme des « drogués » (Monaghan, 2002).
En outre, face aux dangers de la cigarette, les fumeurs pauvres que nous avons interro-
gés ont tendance à relativiser le risque, en insistant sur son caractère probabiliste (tous les
fumeurs n’ont pas le cancer) et en soulignant l’existence de risques concurrents (on peut
mourir de bien d’autres causes que d’un cancer dû au tabac, et développer un cancer de bien
d’autres manières qu’en fumant). Ce type d’argument est caractéristique des personnes
dont les conduites sont étiquetées « à risque » dans les sociétés contemporaines (Peretti-
Watel, 2003). Cette relativisation du risque a déjà été observée parmi les fumeurs de tabac,
quelles que soient leur origine et leur situation sociales, dans des enquêtes qualitatives
(McKie et al., 2003 ; Hay et al., 2005 ; Coxhead, Rhodes, 2006) et quantitatives (Chapman et
al., 1993 ; Oakes et al., 2004 ; Peretti-Watel et al., 2007), cette relativisation étant toujours
plus prononcée chez les fumeurs que chez les non-fumeurs. Par exemple, dans la dernière
de ces enquêtes, deux fumeurs sur trois estimaient que fumer n’est pas plus mauvais pour
la santé que de respirer l’air pollué des villes.

Culture populaire et attitudes à l’égard de la prévention et du tabagisme


Dans quelle mesure les justifications de ces fumeurs pauvres se distinguent-elles de celles
qu’auraient pu donner des fumeurs issus d’autres milieux sociaux moins défavorisés ? Notre
enquête ne permet pas de répondre, puisque nous n’avons interrogé que ces fumeurs. Tou-
tefois, il est permis de penser que ces justifications sont relativement spécifiques. D’abord,
parce que l’argument du soutien de soi s’articule avec des récits qui révèlent la précarité des
personnes interrogées. D’ailleurs, une enquête quantitative menée en France en 2008 indi-
que que, relativement aux autres fumeurs, ceux dont le ménage connaît de graves difficultés
financières déclarent plus souvent fumer parce que c’est devenu un geste automatique, pour
combattre le stress et pour soutenir leur moral (Peretti-Watel et al., 2009b).
Ajoutons que ces fumeurs pauvres attaquent plus précisément l’État, accusé de s’enri-
chir à leurs dépends, mais aussi l’industrie du tabac, voire l’industrie pharmaceutique,
en dénonçant parfois un complot, une collusion entre ces puissances. En particulier, lors-
qu’ils soutiennent que les cigarettes sont empoisonnées, que l’on pourrait en produire de
moins nocives, ils dénoncent à la fois l’industrie et l’État, dans la mesure où, en France,
la fabrication de cigarettes a longtemps été un monopole public. Cette attitude hostile
à l’égard des puissances politique et économique n’est pas sans rappeler les travaux de
Mary Douglas (Douglas, Wildavsky, 1984 ; Douglas, 1992). Dans son analyse culturaliste,
Peretti-Watel et Constance, Comment les fumeurs pauvres justifient-ils leur pratique ? 215

Douglas souligne que les groupes sociaux marginalisés, tenus à l’écart des sphères des
pouvoirs politique et économique, ont tendance à se méfier de ceux qui détiennent ces
pouvoirs, et à les suspecter de collusion. De même, dans sa fameuse étude sur la culture
ouvrière, Richard Hoggart souligne que l’un des aspects fondamentaux de cette culture
est la méfiance à l’égard de tout ce qui émane de l’autorité, des « Autres », ces « Eux » et

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ces « Ils », ces puissants qui édictent les obligations et les interdictions auxquelles on doit
se plier, et par lesquels on finit toujours par « se faire avoir » (Hoggart, 1970, 117-125).
D’ailleurs, les croyances qui mettent en doute le discours préventif et relativisent les ris-
ques du tabagisme sont plus fréquentes parmi les personnes les moins diplômées (Oakes
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et al., 2004 ; Peretti-Watel et al., 2007), lesquelles appartiennent plus fréquemment aux
milieux populaires. De même, dans une enquête téléphonique réalisée en 2000 en Île-de-
France (Grémy et al., 2002), il apparaissait effectivement que, parmi les fumeurs, ceux qui
étaient moins diplômés, ouvriers ou chômeurs étaient plus enclins à juger la lutte antitabac
moralisatrice, liberticide et dédiée à la protection des seuls non-fumeurs.
De ce point de vue, pour comprendre comment les fumeurs pauvres se positionnent à
l’égard de la lutte antitabac, il faut donc relativiser ce qui a été écrit précédemment : il est
possible que ces fumeurs soient plus enclins à partager une culture spécifique, caractérisée
par une méfiance profonde à l’égard de l’autorité en général et des autorités sanitaires
en particulier, de sorte que leur adhésion aux normes dominantes serait quelque peu en
retrait. Cette hypothèse interprétative nous conduit à une autre tradition de la sociologie de
la déviance, celle des sous-cultures déviantes (Cohen, 1955). Notons tout de même qu’il
ne suffit pas d’être pauvre pour faire partie des classes populaires, même si bon nombre
des fumeurs interrogés, lorsqu’ils ont relaté les circonstances de leur initiation tabagique,
mentionnaient des parents ouvriers ou employés.
Par ailleurs, les sous-cultures déviantes étudiées par Cohen et la culture ouvrière ont un
point commun : une forte préférence pour le présent, qui valorise les plaisirs immédiats au
détriment du long terme. Or, fumer pour le « soutien de soi » face à des difficultés maté-
rielles et existentielles immédiates est d’autant plus rationnel si l’on éprouve une telle pré-
férence. Hoggart montre que cette préférence pour le présent, également mise en évidence
dans d’autres travaux déjà anciens sur la classe ouvrière (Halbwachs, 1913) et les pauvres
(Lewis, 1969), n’est pas une simple myopie induite par la précarité, mais plutôt un vérita-
ble épicurisme de la vie quotidienne (Hoggart, 1970, 183-190). Même lorsqu’ils éprouvent
des difficultés à joindre les deux bouts, les membres de la classe ouvrière qu’il décrit ne se
résignent pas à se priver des « plaisirs de la vie », au premier rang desquels boire et fumer :
les cigarettes sont omniprésentes dans l’ouvrage de Hoggart. Outre que les fumeurs de
milieux populaires seraient moins réceptifs aux messages préventifs parce qu’ils ont ten-
dance à se méfier des autorités qui les émettent, et à éprouver une forte préférence pour
le présent, la cigarette serait donc également un attribut de la culture ouvrière. D’ailleurs, en
France, dans les années 1970, les syndicats ouvriers étaient farouchement opposés à la lutte
antitabac, dans la mesure où ils considéraient la cigarette comme un « antidote aux tensions
de la vie » des travailleurs (Padioleau, 1977, 943).

Conclusion

En France comme ailleurs, la lutte contre le tabagisme a contribué à faire reculer cette
pratique devenue déviante, mais ce recul est moindre parmi les populations les plus défavo-
risées. La recherche que nous avons réalisée auprès de ces populations illustre la fécondité
216 Déviance et Société

des théories sociologiques de la déviance au delà du champ restreint des conduites délin-
quantes auquel elle est souvent confinée. La sociologie de la déviance offre des outils pour
comprendre ce que disent les fumeurs pauvres lorsqu’ils justifient leur pratique : ceux-ci
n’ignorent pas les dangers de la cigarette, loin s’en faut, mais la défendent comme une
ressource nécessaire au soutien de soi, tout en relativisant le risque que celle-ci représente

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pour leur santé, et en renvoyant la prévention à ses propres contradictions. Ces justifica-
tions illustrent les transformations contemporaines des techniques de neutralisation des
déviants, qui reprennent à leur compte la rationalité instrumentale et le calcul des risques
prônés par la « culture du risque » contemporaine (Giddens, 1991). Dans une certaine me-
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sure, ces justifications sont donc en cohérence avec les valeurs dominantes. Mais dans le
même temps, les propos de ces fumeurs semblent aussi révéler une forme d’adhésion à
la culture ouvrière, caractérisée par une forte préférence pour le présent et une défiance à
l’égard des autorités, ces deux éléments étant susceptibles de les rendre moins perméables
au discours préventif. Parce qu’ils élaborent des justifications en prise avec les valeurs
contemporaines tout en ayant gardé un pied dans la culture ouvrière, les fumeurs pauvres
seraient donc des cibles doublement difficiles à convaincre pour la lutte antitabac.
Ajoutons que même si nous avons ici mis l’accent sur les justifications des fumeurs
pauvres, celles-ci ne constituent sans doute qu’un élément marginal de leur expérience :
pour ces fumeurs, avant d’être une conduite à risque ou un problème de santé publique,
qualificatifs propres au seul point de vue des experts en santé publique, leur tabagisme est
avant tout une pratique sociale, qui remplit des fonctions, produit du sens, obéit à des codes,
au sein d’une culture qui ne saurait être réduite à un contexte déterminant simplement le
type de justifications qu’ils élaborent.
Bien sûr, il sera nécessaire de prolonger cette première exploration pour aboutir à des
conclusions plus étayées, d’une part en utilisant ces premiers résultats pour élaborer un
outil d’observation ad hoc (nouveau guide d’entretien ou questionnaire fermé), d’autre
part en menant des recherches complémentaires auprès d’autres catégories sociales de
fumeurs, afin de mieux mettre en exergue les spécificités de ces fumeurs pauvres.

Patrick Peretti-Watel
patrick.peretti-watel@inserm.fr
Jean Constance
jean.constance@free.fr
Inserm UMR912/ORS Paca
23, rue Stanislas Torrents
13006 Marseille
France

Remerciements
Cette recherche a été financée par l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la
Santé, ainsi que par la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Toxi-
comanies.
Peretti-Watel et Constance, Comment les fumeurs pauvres justifient-ils leur pratique ? 217

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WEINSTEIN R., 1980, Vocabularies of motive for illicit drug use: an application of the accounts framework,
The Sociological Quarterly, 21, 577-593.

Summary

In developed countries, cigarette smoking has become a deviant behaviour which is


especially prevalent among the Poor. We used 31 in-depth interviews conducted with poor
smokers living in Southern France to investigate how these smokers justify their smoking
habit and judge anti-tobacco policies. Even if they acknowledged their addiction, poor
smokers claimed that smoking satisfies essential needs, they put the risk in perspective,
and they accused both the tobacco industry and public health authorities. Their justifica-
tions are anchored in both the contemporary risk culture and the working-class culture, and
they are likely to deflect the prevention discourse.

Key-words : Cigarette smoking – Poverty – Techniques of neutralisation – Popular


culture
Peretti-Watel et Constance, Comment les fumeurs pauvres justifient-ils leur pratique ? 219

Zusammenfassung

In entwickelten Gesellschaften ist das Rauchen zu einem abweichenden Verhalten


geworden, das insbesondere in unteren Schichten überwiegt. Anhand von 32 qualitativen
Interviews wird untersucht, wie arme Raucher aus Südfrankreich das Rauchen rechtferti-

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gen und wie sie die Anti-Raucher-Gesetzgebung bewerten. Selbst wenn sie ihre Abhängig-
keit anerkennen, werden die Risiken relativiert und die Tabakindustrie sowie die öffent-
liche Politik zum Gegenstand der Kritik gemacht. Ihre Rechtfertigungen sind sowohl in
der gegenwärtigen Risikokultur als auch in einer Arbeiterklassenkultur verankert, was die
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Wirksamkeit des Präventionsdiskurses deutlich einschränkt.

Sumario

En los países desarrollados, la adicción al tabaco se ha transformado en una práctica


desviada, que persiste sobretodo en los sectores desfavorecidos de la población. A partir
de 31 entrevistas realizadas con fumadores pobres del sur de Francia, este artículo examina
de qué manera estos justifican su hábito y juzgan la lucha antitabaco. Estos fumadores
reconocen su dependencia, pero afirman que el cigarrillo satisface sus necesidades esen-
ciales, relativizan los riesgos, y critican la industria del tabaco y los poderes públicos.
Estas justificaciones están ancladas en la cultura contemporánea del riesgo y en la cultura
obrera, lo que sin duda provoca que esos fumadores sean poco permeables a los discursos
de prevención.

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