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Revue archéologique du Centre

de la France

Un problème de géographie historique : le Médiolanum chez les


Celtes
Jean-Michel Desbordes

Résumé
J.-M. DESBORDES,
Le Mediolanum chez les Celtes.

Le problème du Mediolanum qui a retenu depuis longtemps l'attention des linguistes a été bien délaissé des historiens.
La solution de ce problème de géographie historique suppose en effet la coordination des recherches entre linguistes,
archivistes, historiens, géographes, archéologues et numismates.
La contribution des géographes doit être soulignée puisque aussi bien les toponymes formés sur Mediolanum sont localisés soit
à la convergence des vallées, soit près d'une ligne de partage des eaux, soit enfin, et c'est un cas très répandu car il se
combine très souvent avec les précédents, à la convergence des formations géologiques.
Il s'agit en effet de vérifier la place et la fonction des associations des terroirs dans l'organisation politique du monde gaulois.

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Desbordes Jean-Michel. Un problème de géographie historique : le Médiolanum chez les Celtes. In: Revue archéologique du
Centre de la France, tome 10, fascicule 3-4, 1971. pp. 187-201;

doi : https://doi.org/10.3406/racf.1971.1736

https://www.persee.fr/doc/racf_0220-6617_1971_num_10_3_1736

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UN PROBLEME DE GEOGRAPHIE HISTORIQUE :

LE MEDIOLANUM CHEZ LES CELTES

par J.M. Desbordes

Le problème du mediolanum a retenu depuis longtemps l'attention


des linguistes, mais les historiens de la Gaule et les archéologues n'en
ont guère disserté. Quelques remarques sont nécessaires avant d'ouvrir
le dossier du toponyme.
1) Mediolanum est habituellement traduit par plaine médiane1
« milieu de la plaine » ou « plaine du milieu »2. Quelques linguistes,
tel G. Dottin, établissent cependant une relation entre lanum dans
mediolanum et le breton lan, qu'ils traduisent par « église » ou «
sanctuaire », « terre consacrée s>3.
2) Le cadre géographique choisi est celui du monde celte,
continental et insulaire, cisalpin et transalpin, à l'époque de sa plus grande
extension, sans doute au ni* siècle avant notre ère 4.

3) II convient de distinguer entre les toponymes bien attestés par


les documents littéraires des périodes gallo-romaine et franque, en tout
cas antérieurs au milieu du xne siècle, et ceux qui ne sont pas attestés
pour ces périodes. Les uns et les autres, au nombre d'une cinquantaine,
sont cependant groupés dans les mêmes zones, ainsi qu'on peut voir sur
la carte de répartition (fig. 1). Qu'ils relèvent de la première ou de la
seconde catégorie, la plupart sont inscrits dans les limites de l'ancienne
Gaule celtique de — 58 et en Gaule belgique méridionale,
singulièrement dans les bassins hydrographiques de la Seine et du Rhône.

1. Roblin (Michel) : Le terroir de Paris aux époques gallo-romaine et


franque, Paris, Picard, 1951 (récol. 1971), p. 239.
2. Grenier (Albert) : Les Gaulois, Payot, éd. 1970, chapitre IX, p. 260.
3. Dottin (G.) : La langue ■gauloise, dans coll. pour l'étude des Antiquités
Nationales, II, Paris, Klincksieck, 1920, p. 264. Cf. aussi : Loth (J.) dans Revue
Celtique, XXX (1909), p. 123; et du même : Omphalos celtique et Mediolanum,
dans Acad. des Inscrip. et Belles-Lettres, comptes rendus des séances de
l'année 1930, 1930, pp. 114-117.
4. On trouvera une bonne bibliographie sur les Celtes, et en particulier
sur les Gaulois, dans Grenier (A.), oiwr. cit., pp. 12-13 et 357-363 (mise à jour
par Louis Harmand).
Carte des Top
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Figure 1. — Répartition des toponymes formés sur mediolanu
les limites approximatives de la Gaule celtique en —
LE MEDIOLANUM CHEZ LES CELTES 189

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Figure 2. — La confluence des vallées de l'Isère et du Drac


près de Mcylan (Isère).
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Longnon 5, Berlhoud 6, Vincent 7, Holder 8 et Guyonvarc'h 9 ont dressé


des listes, parfois copieuses, mais seuls les toponymes assurés, en tout
une vingtaine, ont été retenus au départ 10.
4) L'examen de la carte géologique est nécessaire pour la
compréhension des sites, car les paysages ruraux sont liés à la géologie, et
plus encore à la pédologie; mais il n'existe pas de bonnes cartes
pédologiques en France et la carte géologique demeure un excellent
instrument de travail.

5) L'exploration archéologique des sites commence à peine, et dans


bien des cas elle n'a pas commencé. Regrettons vivement ces lacunes,
qui entravent la recherche des solutions.

Vérifions, sur le terrain, la position géographique des toponymes.


On constate en premier lieu que tous les toponymes sûrs sont
localisés à un carrefour : soit à une confluence de vallées, comme Miolans
en Savoie et Meylan en Isère (fig. 2); soit près d'une ligne de partage
des eaux tels Mâlain en Côte-d'Or (fig. 3), Meulin en Saône-et-Loire,
Moislains dans la Somme; soit enfin, et c'est un cas très répandu car
il se combine souvent avec les précédents, à la convergence de
formations géologiques; ainsi pour Moëslains en Haute-Marne, établi au
carrefour du Der marécageux, du Perthois et du Barrois; pour Mâlain,
localisé au contact du plateau de Langres, de l'Auxois argileux et de
l'arrière-côte viticole (fig. 3); pour Meulin, localisé sur la lèvre de
contact du Maçonnais calcaire et du Charolais granitique; pour Château-

5. Longnon (Auguste) : Les noms de lieu de la France, leur origine, leur


signification, leurs transformations, Paris, Champion, 1920-1929, XVI, pp. 60-61.
6. Berthoud (Léon) : Mediolanum, dans Pro Alesia, t. IX-X (n08 35-40),
1923-1924, pp. 234-247 (compte rendu dans Revue Celtique, XLIV, 495).
7. Vincent (Auguste) : Toponymie de la France, Bruxelles, 1937, pp. 102-103,
alinéas 247-248.
8. Holder (Alfred) : Alt-Celtischer Sprachschatz, I - T, 1962, col. 497-52L
9. Guyonvarc'h (Christian-J.) : Mediolanum Biturigum, deux éléments de
vocabulaire religieux et de géographie sacrée, II, Mediolanum, dans Ogam, n° 73,
février-mars 1961, tome XIII, fasc. 1, pp. 142-158.
10. En voici la liste : chez les Santons, Mediolanum Santonum (Strabon,
IV, 2, 1 ; Ptolémée, II, 7, 6 et 8, 5, 3 ; Marcianus, Heracl., II, 21 ; Itinéraire
d'Antonin, 459, 3 ; Stéphane de Byzance ; Anonyme de Ravenne, IV, 40 ; Table
de Peutinger, I, Al) aujourd'hui Saintes, en Charente-Maritime ; chez les
Aulerques Eburovices, Mediolanum Aulercorum (Ptolémée, II, 8, 9 et II, 8, 11 ;
Table de Peutinger, I, ÉB1 ; Itinéraire d'Antonin, 384, 4 ; Ammien Marcellin,
XV, 11, 12) aujourd'hui Evreux, ou Le Vieil Evreux, dans l'Eure ; chez les
Bituriges, Mediolanum (Table de Peutinger, I, Bl ; milliaire d'Allichamps ;
Grégoire de Tours, Historia Francorum, an. 583, 6, 22 ; monnaies
mérovingiennes du vne siècle, dans Belfort (2849) et Prou (1697), aujourd'hui Chateau-
meillant, dans le Cher ; chez les Suessions, Mediol (anum), nom gravé sur un
lessère de plomb recueilli « peut-être au Mont-Berny ou dans ses environs,
près de Pierrefonds, dans la forêt de Compiègne... parmi les ruines d'un
théâtre » (C.I.L., XII, 10039, 220) ; sans doute s'agit-il du théâtre de Champliei/
(Oise) ; chez les Ségusiaves, Mediolanum (Table de Peutinger, I, C2) identifié,
soit avec Moingt, près de Montbrison (Loire), soit avec Le Miolan, hameau de
Pontcharra-sur-Turdine (Rhône) ; dans l'ancien diocèse de Noyon, Mediolana
villa (citée en 673 dans un acte du roi Thierry III) aujourd'hui Moislains
(Somme) ; dans l'ancien diocèse de Tarentaise, castrum mediolanum (cité en
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meillant, placé au point de rencontre du socle cristallin et du Bois-


chaut; pour Saintes, établie au carrefour de trois régions naturelles :
un bas pays crétacé, un plateau calcaire recouvert de limons drainés et
une plaine humide recouverte d'argiles à silex ou de sables infertiles;
pour la région de Pierrefonds, où deux tessères de plomb marqués Med,
Mediol ont été trouvés dans les ruines d'un théâtre, qui a toutes chances
d'être celui de Champlieu, placée au point de convergence de trois
terroirs : craie picarde, calcaire du Soissonnais et calcaire du Valois;
pour Milan, en Lombardie, important carrefour de terroirs établi sur
la ligne de contact, bien connue des géographes, d'une plaine inondable
et d'une zone de collines sèches (fig. 4). Dans l'île de Bretagne, le site
de Mediolanum Ordovicum, en Shropshire, est établi au carrefour de
quatre régions naturelles : le massif gallois, la chaîne pennine, le
Lancashire maritime et les Midlands continentales.
En bref, sur 20 toponymes, 3 sont situés à une convergence de
vallées, 3 à proximité immédiate d'une ligne de partage des eaux et
14 à la convergence de formations géologiques, dont 6 sont également
situés près d'une ligne de partage des eaux.
On constate en second lieu que tous les sites de toponymes sont
perchés. Précisons d'emblée, afin de lever bien des équivoques, ce qu'un
géographe entend par site perché : dans une région de montagnes, ce
peut être un sommet; dans une région de plateaux, c'est en général une
butte-témoin détachée en avant d'un front de côte, ou bien une butte
isolée qui s'élève au-dessus du plateau; en plaine, au contraire, où les
données de la topographie et de la géologie éliminent les sites précé-

1083, dans le cartulaire de Saint-André-le-Bras, n° 230), aujourd'hui Miolans,


hameau et château de la commune de Saint-Pierre-d'Albigny (Savoie) ; dans
l'ancien diocèse de Langres, Mediolanum (cité en 1075 dans André Duchesne :
Histoire généalogique de la maison de Vergy, 1625, in-fol., et en 1157 dans le
cartulaire de Cîteaux, H 461) aujourd'hui Mâlain (Côte-d'Or) ; dans l'ancien
diocèse de Mâcon, Mediolanensis ager (cité au ixe siècle, vers 881, dans le recueil
des chartes de l'abbaye de Cluny (A. Bruel, Paris, 1879-1903, dans Coll. de doc.
rel. à l'hist. de France, Paris) aujourd'hui Meulin, hameau de Dampierre,
Saône-et-Loire) ; dans l'ancien diocèse de Besançon, Mediolanum (cité en 1029
dans un acte de Rodolphe, roi de Bourgogne, confirmant au monastère de Vaux
« Villamquoque Mediolanum », aujourd'hui Molain (Jura) ; dans l'ancien
diocèse de Grenoble Mediolanum (cité en 1101 dans le cartulaire de l'église
cathédrale de Grenoble, éd. J. Marion, Paris 1869) aujourd'hui Meylan (Isère) ;
dans l'ancien diocèse de Châlons, castrum mediolanence (cité pour l'année 1062
dans E. Herr : Der Giiterbesitz der Abtei Maursmiinster im 9 Jahrh., 1932-1933)
aujourd'hui Moëslains (Haute-Marne) ; dans l'ancien diocèse de Mâcon, terra
mediolanos (cité vers 881 dans le cartulaire de Saint-Marcel-les-Chalon)
aujourd'hui Mioland, hameau d'Hurigny (Saône-et-Loire) ; en Gaule cisalpine,
Mediolanum (Tite-Live, V, 34, 8 ; Polybe, II, 34, 10 ; Strabon, V, 1, 6 ; Justin, XX,
5) aujourd'hui Milan, ville de Lombardie ; en Germanie, Mediolanum castellum
(dans Fortunat, poète du vie siècle, Carmina, III, 12, 10) serait aujourd'hui
Medelingen, au confluent de la Trohn et de la Moselle, près de Neumagen ;
Mediolanum (itinéraire d'Antonin, 375) doit être situé à un kilomètre à l'ouest
de Gueldre en Prusse Rhénane, sur le territoire de la cité de Cologne ;
Mediolanum (Ptolémée, II, 11, 15 ; Itinéraire d'Antonin, 375, 3) est identifié de nos
jours avec Wolkersdorf, près du Danube, en Basse-Autriche ; Medolanion
(Ptolémée, II, 11, 13) paraît correspondre à Metelen an der Vechta, bourg de
Westphalie, dans le district de Munster, arrondissement de Steinfurt ; en
Moësie, Mediolanum (Notitia Dignitatum, pars orientalis, 40, 21) n'a pas été
identifié, mais en ,Bretagne insulaire Clawdd Coch, dans le Shropshire,
occuperait l'emplacement de Mediolanum Ordovicum (Ptolémée, II, 3, 11 ; Itinéraire
d'Antonin, 469, 4 ; 481, 1 ; 482, 4 ; Anonyme de Ravenne, V, 31).
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et de la SAONE.

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Figure 3. — Carte géologique du site de Mâlain (Côte-d'Or).


LE MEDIOLANUM CHEZ LES CELTES 193

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Figure 4. — La Lombardie et Milan. La pastille carrée localise le site de la ville.


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dents, le site perché correspond en général à une ligne de partage des


eaux. Buttes-témoins et lignes de partage des eaux sont abondamment
représentées dans notre liste : en Savoie, le site de Miolans coïncide
avec une butte-témoin qui domine la vallée de l'Isère d'une centaine
de mètres à pic; en Berry, le vieux bourg de Châteaumeillant s'inscrit
dans une colline cernée à la base par les deux ruisseaux de la Sinaise
et de la Goutte-Noire; on est tout près de la ligne de partage des eaux
qui sépare le bassin de l'Indre et celui du Cher. Mâlain, en Bourgogne,
est campé au seuil de la ligne de partage des eaux séparant les bassins
de la Seine et de la Saône (fig. 3); le castrum de Moëslains, en
Champagne, était juché sur une eminence qui domine la vallée de la Marne;
les sites de Vieil-Evreux et de Champlieu, tous deux établis en plaine,
dans des régions sans relief, coïncident tous deux avec les lignes de
partage des eaux séparant les bassins de l'Eure et de l'Iton pour le Vieil-
Evreux, les bassins de l'Oise et de l'Aisne pour Champlieu.

En troisième lieu, nombreux sont les toponymes qui se trouvent


au voisinage des limites d'anciens diocèses : ainsi pour le village de
Moislains, en Picardie, jadis en forêt d'Arrouaise, tout proche du lieu
où se réunissaient les diocèses d'Arras, de Noyon et de Cambrai; la
limite orientale de l'ancien diocèse d'Amiens n'est guère éloignée. Le
village de Mâlain, en Bourgogne, voisine la frontière des anciens
diocèses de Langres et d'Autun, celui d'Hurigny, près de Mâcon, où se
trouve le hameau de Miolan, voisinait l'ancien diocèse de Besançon;
Moëslains, près de Saint-Dizier, est établi à proximité de la frontière
séparant les trois anciens diocèses de Châlons, de Langres et de Toul.
M. Roger Dion, dans ses « Frontières de la France », a déjà appelé
l'attention sur ces implantations périphériques n. Mais d'autres toponymes
sont écartés des anciennes limites diocésaines : Châteaumeillant, par
exemple, ou Meulin en Bourgogne, ou Maulain en Franche-Comté; il en
va naturellement de même pour Saintes et pour Milan, qui étaient deux
chefs-lieux de cités. Mais, dans tous les cas, c'est-à-dire aussi bien
lorsqu'ils sont placés au voisinage d'une limite diocésaine que lorsqu'ils en
sont éloignés, les sites toponymiques sont établis à un carrefour :
confluence de vallées, lignes de partage des eaux ou association de
terroirs.
En quatrième lieu, chaque fois qu'une exploration des sites a été
menée, elle a provoqué la découverte d'un oppidum occupé à la Tène III
au voisinage du toponyme, parfois à son emplacement : ainsi pour
Châteaumeillant en Berry. Lorsqu'un château ou un village médiéval
fortifié coïncide avec le site d'oppidum, les traces de ce dernier ne
sont plus visibles, mais on ne peut guère douter de sa réalité dans
des sites comme celui de Miolans en Savoie. Le plus souvent, l'oppidum
existe encore à proximité : par exemple près de Mâlain, en Bourgogne,
où il a été situé sur la montagne de Saint-Laurent12. En général
cependant, et il convient de souligner cette particularité, on retrouve la
trace de plusieurs enceintes au voisinage, groupées autour du
toponyme dans un rayon d'une dizaine de kilomètres. L'un des meilleurs
exemples est celui de Meulin, en Bourgogne, encadré par les oppidums
de Suin, de Brandon et du Mont-Rouan. Dans ce dernier exemple comme
dans bien d'autres, on observe un véritable complexe de documents

11. Dion (Roger) : Les Frontières de la France, Paris, Hachette, 1947, pp.
23-24 (et fig. 6).
12. Cf. Gallia, XV, 1957, 2, pp. 288-289 (chronique des publications).
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archéologiques d'époques diverses, échelonnés depuis la Tène jusqu'à


la période mérovingienne 12.

En cinquième lieu — et seulement là où une exploration


archéologique suffisante a été conduite — on a repéré la présence de
substructions gallo-romaines à proximité. Elles associent fréquemment au moins
deux éléments : un temple et des thermes. Ces monuments sont en
général situés en contre-bas du site perché, sauf en région de plaine,
où le déperchement n'est pas possible à moins de gagner la plus proche
vallée; ainsi pour le site du Vieil-Evreux, en Normandie, où l'on a
retrouvé une couche gauloise partout où des sondages stratigraphiques
ont été opérés 13. Celui de Mûlain, en Bourgogne, a restitué les éléments
d'un temple richement orné, ainsi que des thermes; l'exploration
systématique ne fait que débuter 14. Près de Meulin, dans la même région,
on a reconnu une agglomération gallo-romaine à la Chapelle-des-Monts-
de-France et « un ensemble de blocs granitiques disposés en
amphithéâtre »15.
Tout ce qui précède soulève naturellement une série de questions.
Sans prétendre y donner réponse, puisque les recherches que nous
poursuivons ne sont pas achevées, marquons les principales.

1) Lorsque le site d'un toponyme sans formes anciennes l6 présente


les caractères définis plus haut, a-t-il des chances d'être bien celui d'un
mediolanum ? Ainsi pour Montmélian, hameau des communes de Saint-
Witz (Val d'Oise) et de Mortefontaine (Oise) au nord de Paris, placé
au sommet d'une butte-témoin où convergent les trois bassins majeurs
de l'Oise, de la Seine et de la Marne, ainsi que les trois anciens dio-

13. Baudot (Marcel) : Le problème des ruines du Vieil Evreux, dans Gallia,
I, 1943-2, pp. 190-206.
14. Cf. Gallia-Histoire, XXVI, 1968-2, pp. 479-480 et XXVIII, 1970-2, pp.
372-375.
15. Jeanton (G.) : Le Maçonnais gallo-romain, première partie, région de
Cluny, Mâcon, 1926, pp. 55-56 ; cf. aussi Gallia, XIV, 1956-2, p. 273.
16. Voici la liste, non exhaustive, de ces toponymes : Molain (Aisne) :
Moylains en 1220 (cartulaire de l'abbaye de Foigny, f. 185) ; Méolans (Basses-
Alpes) ; territorium de Meolano en 1126 et de Medulano en 1199 (Diet, topogr.
des Basses-Alpes) ; Montmeillant (Ardennes) : Mommeliant en 1257 (Diet,
topogr. des Ardennes) ; Montmélian, lieu-dit des communes d'Auxey-le-Grand
et de Meursault (Côte-d'Or) : Mons Mayen en 1216 et Montmoyen en 1251 (Diet,
topogr. de la Côte-d'Or) ; Meillant (Cher) : Mellanum en 1153 (Arch, de Bourges,
MS) ; Meillan (Gironde) : Milhan en 1277 (Archives historiques de la Gironde,
VI, p. 173 ; Meilhan (Landes) : Milhan en 1407 (Archives historiques de la
Gironde, VI, p. 218) ; Le Mont-Miolan (Loire) : territorium de Monte-Miolan
en 1376 (Diet, topogr. de la Loire) ; Mont-Miolan (Loire) : apud Montmiolan
en 1400 (ibid.) ; Meilhan (Lot-et-Garonne) : apud Milhan en 1280 (Diet, topogr.
de Lot-et-Garonne) ; Maulain (Haute-Marne) : Moillein en 1266 (cartulaire de
Morimond) ; Moliens (Oise) sans formes anciennes attestées, a été confondu
longtemps avec Moislains (Somme) ; Montmélian (hameau des communes de
Saint-Witz (Val-d'Oise) et de Mortefontaine (Oise) : Mons Meliandi en 1196
(Lambert [E] : toponymie de l'Oise, 1963) ; Montmélian (Savoie) : de Meolano
en 1081 (Monumenta Novalicia vetustoria, 1898-1901) ; Montméliant (Seine-et-
Marne) : Monte Medio en 1222 (Archives Nationales, J. 158) ; Molliens-Vidame
et Molliens-aux-Bois (Somme) : Moiliens en 1079 et 1142 (Diet, topogr. de la
Somme) ; Molien (Vosges) sans formes anciennes attestées ; Montméliant
(Yonne) sans formes anciennes attestées.
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Figure 5. — La convergence des trois bassins de la Marne, de la Seine et


de l'Oise près de Montmelian (Val-d'Oise et Oise).
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Figure 6. — Carte géologique du site de Montméliant (Seine-et-Marne).


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cèses de Paris, Meaux et Senlis (fig. 5)17; pour Montmélian, bourg de


Savoie, localisé à la confluence de l'Isère et du sillon alpin, dominé
abruptement par un château établi sur une butte-témoin qui domine la
vallée de l'Isère d'une centaine de mètres à pic; le village d'Arbin,
limitrophe de Montmélian, a restitué d'importantes substructions gallo-
romaines non identifiées 18; pour Maulain (Haute-Marne) placé sur la
ligne de partage des eaux séparant les bassins de la Meuse et de la
Saône, au voisinage du point de convergence des trois bassins de la
Seine, de la Saône et de la Meuse, qui est localisé non loin de là au
Mont-Mercure, près d'Andilly-en-Bassigny; des fouilles en cours ont déjà
repéré à Andilly un bel ensemble thermal et un temple 19. Il en va de
même pour Moliens (Oise), situé tout près de la ligne de partage des
eaux séparant les bassins de la Somme, de l'Oise et de la Bresle; pour
Montmeillant (Ardennes), placé au voisinage immédiat du point où
convergent les bassins de l'Aisne, de l'Oise et de la Meuse; pour Mont-
méliant, en Seine-et-Marne, site d'oppidum tabulaire aujourd'hui boisé
et bouleversé par les carrières de grès, dominant la Seine, face au fanum
du Bois-Gauthier, implanté dans un carrefour géologique et
hydrographique tout à fait remarquable, où convergent les meulières de la Brie,
le crétacé du Sénonais, les sables du Gâtinais et de la Bière (fig. 6);
cette association de terroirs coïncide, en outre, avec la plus courte
distance entre Loire et Seine; pour le Châtelet de Montmélian
(communes d'Auxey et de Meursault, Côte-d'Or), longue échine de hauteurs
dominant abruptement la plaine de la Saône et s'achevant au nord par
un dôme fortifié désigné sous le nom de Mont-Milan, d'où la vue, par
temps clair, s'étend jusqu'aux Alpes; le hameau de Meulin s'est installé
en contre-bas. Le site se trouve exactement au centre d'une zone où
chaque village, ou presque, a restitué des stèles ou des statues gallo-
romaines, la plupart consacrées à Mercure; l'autel à quatre faces de
Mavilly a été trouvé tout près. Trois terroirs s'y associent : la plaine
alluviale de la Saône, le plateau de Langres, l'Auxois argileux. Au
xnr siècle, le site était connu sous le nom de Montmoyen, de telle sorte
qu'on pourrait joindre à cette liste additionnelle le village de Mont-
moyen en Côte-d'Or, près du célèbre temple d'Apollon Vindonnus et
de ses thermes, au pied de l'oppidum de Châtellenot 20. En bref, sur
17 toponymes, l'un est placé à une convergence de vallées et 16 à un
carrefour de terroirs, dont 13 sont situés également au voisinage d'une
ligne de partage des eaux.

2) Pourrait-on établir une relation entre des sites présentant les


caractères définis plus haut, mais dont les toponymes n'ont pas été
formés sur mediolanum ? Il en va ainsi pour la série des Lugdunum,

17. La tradition y place une mission de Saint-Rieul, premier évêque de


Senlis, qui aurait détruit en ce lieu un temple consacré à Mercure (cf. Roblin M.,
ouvr. cit., p. 16). Le culte à Mercure semble lié à bien des sites de mediolanum.
Les numismates Belfort (2852) et Prou (2631) situent à Montmélian, mais sans
preuves, le lieu d'émission de monnaies mérovingiennes légendées Mediolano
Mon ; au moins cinq autres sites en France sont en effet désignés sous le nom de
Montmélian.
18. Cf. Bernard (Félix) : « Enceintes préceltiques : trois clos, trois
enceintes préceltiques ou Meillan : d'Arbin, de Cruet, de Saint-Pierre-d'Albigmj »,
dans Soc. dauphinoise d'ethnologie et d'archéologie, avril-juin 1962, pp. 77-80.
19. Cf. Gallia-histoire, 1967-2, pp. 287-28» ; 1968-2, pp. 479-480 ; 1969-2,
pp. 304-305 et 1970-2, pp. 372-375.
20. Cf. Gallia, XX, 1962-2, pp. 450-452 ; XXII, 1964-2, pp. 311-313 ; XXIV,
1966-2, pp. 390-392.
LE MEDIOLANUM CHEZ LES CELTES 199

des Vindobriga, et pour d'autres sites tel celui de Vendeuil-Caply, en


Picardie 21.

3) Quelle pourrait être l'explication de ces sites énigmatiques ? Ce


sera la troisième question. L'on doit faire ici deux remarques :
— Le mot latin civitas employé par César désigne, sans nul doute,
une structure gauloise dont la réalité nous échappe encore, mais dont
les caractères peuvent être aussi éloignés de la cité latine que le
Mercure romain pouvait l'être du Mercure gaulois — pour emprunter un
exemple à l'histoire des religions. Il en va naturellement de même pour
le mot pagus.
— L'on pourrait poser le problème de la « cité » en Gaule
indépendante de deux manières : celle qui envisage la cité de la Tène III
comme un tout, mais dont l'ampleur territoriale nécessite la division
en pagi, et celle qui envisage la cité comme une association de terroirs
réunis à un centre qui manifeste, dans les domaines religieux, politique,
stratégique et culturel, les intérêts communs des populi, comme disaient
les Romains, qui se partagent le plat-pays.
La situation des mediolanums répond fort bien aux caractères d'un
tel centre. On peut évoquer ici la division de l'ancienne Irlande en
quatre provinces, dont les limites se réunissaient sur le territoire d'une
cinquième, désignée par les manuscrits sous le nom de Midhe, constituée
par prélèvement d'un lambeau de territoire sur chacune des
précédentes 22. Soulignons que Midhe n'est pas le centre géographique de
l'ancienne Irlande, mais son centre politique, matérialisé par la colline
de Tara qui domine un vaste horizon. Association de terroirs et de
peuples, tantôt placée à la périphérie des cités gallo-romaines et tantôt
éloignée de leurs limites, le mediolanum soulève donc un problème
important, lié aux origines de la cité et au choix de son chef-lieu à
l'époque julio-claudienne.

4) La quatrième question complète les précédentes : quelle a pu


être l'interprétation de tels sites ?
Il paraît bien que certains sites ont été abandonnés après la
conquête. Seuls des lieux-dits, des hameaux ou de simples villages peuvent
alors en rappeler le souvenir.
D'autres sites, plus nombreux, semblent avoir été dotés, dans leur
voisinage, de noyaux urbains promis à des fortunes diverses, ainsi pour
Mâlain et Meulin en Bourgogne; la destruction ou l'abandon de ces

21. C'est, par exemple, au site de Lion-devant-Dun, dans la Meuse, où un


bel oppidum de la Tène a été reconnu, que se réunissaient les trois anciens
diocèses de Reims, de Trêves et de Verdun ; c'est là aussi que se nouait le
carrefour de trois régions naturelles : l'Argonne, les plateaux jurassiques de
Lorraine et la plaine alluviale de la Meuse. Le site de Vandœuvres, en Berry,
associe la Champagne berrichonne, la Brenne marécageuse et la craie
tourangelle sur la ligne de partage des eaux séparant les bassins de l'Indre et de la
Creuse, non loin du point où les trois cités de Tours, de Poitiers et de .Bourges
se réunissaient ; on y a reconnu un bel ensemble de monuments publics :
forum, théâtre, temples et thermes. Le site de Vendeuil-Caply, où deux théâtres
ont été repérés, voisine l'oppidum de Calmont, non encore exploré, la ligne
séparant les bassins de l'Oise et de la Somme, ainsi que la frontière séparant
les Bellovaques des Ambiens.
22. Lebor Gabala, paragraphe 283, et Keating : Foras Feasa ar Eirinn,
vol. II, éd. P.S. Dinneen, Irish Text Society, VIII, 1903, pp. 244 sqq.
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Figure 7. — Carte géologique du site de Lion-en-Sullias
LE MEDIOLANUM CHEZ LES CELTES 201

noyaux urbains à la fin du m* siècle explique pourquoi ils ne sont


plus cités dans les documents littéraires et sur les légendes monétaires
de la période franque.
D'autres sites enfin ont été promus chefs-lieux de cités gallo-
romaines.
L'on incline à établir une relation entre ces cas d'interprétation
romaine et la fondation du sanctuaire fédéral des Gaules au-dessus de
Condate, près de Lugdunum, en — 12.
Le confluent de la Saône et du Rhône est en effet établi à l'un
des carrefours naturels les plus nets de toute la Gaule, très
comparable à ceux de Meylan, près de Grenoble, et de Montmélian, en Savoie;
trois régions naturelles y entrent en contact : le Massif Central, la
plaine marécageuse des Dombes, les plateaux dauphinois. La
réorganisation administrative d'Auguste en fait le centre où convergent les
nouvelles limites des Gaules belgique, celtique et aquitaine, ainsi que
l'ancienne Province. On incline à établir une relation entre Lyon, capitale
fédérale des Gaules, et le petit village de Lion-en-Sullias, sur les bords
de Loire, voisin d'un tumulus haut de 10 m, environné de substructions
gallo-romaines, près duquel convergeaient les frontières des anciens
diocèses de Bourges, d'Orléans, de Sens et d'Auxerre et où les terroirs
du Sancerrois, de la Sologne, du Gâtinais et de la Puisaye sont associés
(fig. 7). Rappelons que le village de Lion se trouve inscrit dans la zGne
où l'on place habituellement le locus consecratus dont parle César
(B.G., VI, 13), là où l'assemblée des druides de toute la Gaule se
réunissait chaque année, à date fixe.
5) Ultime question : quelle pourrait être, dans ces conditions, la
traduction de Mediolanum ? Tout ce qui précède maintient la traduction
habituelle de mediolanum par « milieu de la plaine », mais à la
condition de voir dans medio non plus seulement un centre géographique,
mais aussi un centre religieux et politique où se réunissent les peuples
pour traiter de leurs intérêts communs, peut-être dans une enceinte
dominant un « plat-pays » rural. La signification de mediolanum serait donc
politique aussi bien que géographique. Camille Jullian y voyait « un
lieu de communion de tribus ou de cités voisines associées »23.
L'examen des sites confirme cette hypothèse et lui donne beaucoup de force.

La nature et l'ampleur des problèmes soulevés appelle la


coordination des recherches entre linguistes, archivistes, historiens, géographes,
archéologues et numismates sur un thème qui dépasse singulièrement
celui du mediolanum toponymique : il s'agit en fait de vérifier la place
et la fonction des associations de terroirs dans l'organisation politique
du monde gaulois, puis gallo-romain 24.
Mai 1971. Jean-Michel Desbordes,
Meaux.

23. Revue des Eludes Anciennes, XXIX.


24. L'auteur de ces lignes, qui prépare une thèse d'Etat sur la notion de
cité en Gaule, a souvent noté le caractère primordial des associations de
terroirs, où se trouvent situés presque tous les centres de vie collective,
temporaires ou permanents : oppidums de la Tène III, mediolanums, conciliabula
et chefs-lieux de cités.

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