Se Loger Dans Le Passé

« SE LOGER DANS LE PASSÉ »
La récupération emblématique de l'Hostal des Rois Catholiques de Saint-Jacques-de-

Compostelle en hôtel de luxe
Belén Castro-Fernández et Rubén C. Lois González
ERES | « Espaces et sociétés »
2006/3 no 126 | pages 159 à 177

ISSN 0014-0481
ISBN 2749206421
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2006-3-page-159.htm
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« Se loger dans le passé »

La récupération emblématique
de l’Hostal des Rois Catholiques
de Saint-Jacques-de-Compostelle
en hôtel de luxe
Belén Castro-Fernández
Rubén C. Lois-González

C et article est le fruit d’un dialogue interdisciplinaire entre géographie et his-

toire de l’art sur la ville historique et monumentale. La géographie du tourisme
urbain analyse les dynamiques de la ville contemporaine, les usages du sol, la
plasticité de la morphologie et des paysages de la cité héritée ; elle décrypte les
images de la ville attractive, fondée sur le patrimoine et la promotion historico-
culturelle de nombreuses villes (Ortega, 2000 ; Zoido et al., 2000). L’histoire
de l’art est une discipline qui bénéficie en Espagne d’un grand prestige acadé-
mique. Elle interprète le legs monumental et l’apport des différents auteurs ou
écoles. Elle analyse le processus continuel de reconstruction et de réhabilitation
de la ville historique (Patetta, 1997). À première vue, la complémentarité entre
Belén Castro-Fernández, historienne de l’art, professeur à l’École d’architecture CESUGA

(Galice), rattachée à l’UCD-University College Dublin (Irlande).
habelen@usc.es
Rubén C. Lois-González, géographe, professeur au département de géographie de l’université
de Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne).
xerulois@usc.es
Les photographies intégrées dans cet article ont été cédées par la famille de l’architecte
Francisco Pons-Sorolla à Belén Castro pour la publication.
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ces deux formes de savoir semble aller de soi. Cependant, dans la pratique, l’in-
sistance des géographes pour étudier des territoires bien délimités au sein d’une
vieille ville s’oppose à la perspective globale des historiens de l’art, pour une
lecture des bâtiments et des places resitués dans leur contexte. Si la collabora-
tion est nécessaire, sa mise en pratique est difficile.
Ici, ce dialogue interdisciplinaire porte sur une ville historique excep-
tionnelle, Saint-Jacques-de-Compostelle. En 1985, l’UNESCO a décidé de clas-
ser la vieille ville au patrimoine de l’humanité. Cet espace de 25 hectares
intra-muros, aboutissement d’une route de pèlerinage séculaire, est un vrai
bijou monumental et touristique du nord-ouest de la péninsule ibérique. Ce
lieu renferme un patrimoine urbain significatif, composé de centaines de bâti-
ments du XIIe au XIXe siècle ; il constitue un ensemble exceptionnel. Depuis
les années 1980, cet ensemble est traité comme tel par l’UNESCO, les admi-
nistrations publiques espagnoles et les plans d’urbanisme. Mais ce ne fut pas
toujours le cas. Jusqu’au milieu du XXe siècle, seules quelques constructions
et places emblématiques autour de la cathédrale étaient protégées de manière

ponctuelle, jusqu’à ce que de nouvelles conceptions de l’urbanisme mettent
au premier plan la protection intégrale des vieilles villes (Martí, 1995).
À Compostelle, comme dans bien d’autres villes, la vieille ville devient
l’image (la carte postale) de toute la cité, l’espace le plus valorisé, celui que
l’on doit préserver et qui génère des bénéfices croissants grâce aux pratiques
à mi-chemin entre le tourisme culturel et le tourisme de masse.
Cet article analyse la réalité urbaine singulière de Saint-Jacques. Il consi-
dère que la réhabilitation d’un monument aussi remarquable que l’ancien
hospice (Hostal) des Rois Catholiques a commencé à un moment où les
normes patrimoniales cherchaient à protéger cet ensemble exceptionnel.
Aujourd’hui, il est incontestable que cette réhabilitation est une réussite. En
effet, la vieille ville fournit des images promotionnelles de grande valeur
pour la ville de Saint-Jacques dans son ensemble.
La dialectique entre la protection de bâtiments singuliers et la préserva-
tion d’ensembles historiques s’est finalement traduite par la définition de plu-
sieurs centres touristiques à Saint-Jacques-de-Compostelle. Des études
récentes montrent que, malgré la promotion touristique de toute la ville, l’ar-
rivée du chemin de pèlerinage induit une expérience touristique qui se réduit
à l’espace intra-muros et même à quelques secteurs très précis des quartiers
historiques. On essaie de développer de nouveaux itinéraires dans la péri-
phérie de la cité, où prolifèrent des exemples d’architecture contemporaine,
mais c’est encore à l’état de projet. Au sein de la vieille ville, la plupart des
touristes et des visiteurs se dirige vers la cathédrale, les quatre places qui
l’entourent (fig. 1), une série de rues proches et le marché ; ils ne sortent pas
de ce périmètre. Les touristes se concentrent sur 5 à 10 hectares de la vieille
ville, où les problèmes de congestion sont évidents en pleine saison (Ros
Development et IDEGA, 2003).
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Fig. 1 - Le centre historique de Santiago de Compostela
L’Hostal des Rois Catholiques représente un bâtiment fondamental dans

la promotion touristique de la ville actuelle pour plusieurs raisons. Il occupe
un côté de la place de l’Obradoiro, au pied de la cathédrale. Il constitue un
exemple paradigmatique de réutilisation d’un monument de la Renaissance
(fin du XVe siècle), comme hôtel de luxe. Un hôtel où logent les rois, les
ministres et les grandes fortunes en visite à Saint-Jacques, mais qui est éga-
lement fréquenté par les classes moyennes et supérieures et par les habitants
aisés de Saint-Jacques qui se retrouvent dans l’une des anciennes écuries,
transformée en taverne. Ce modèle d’établissement, attractif par son passé et
plein de charme, a servi de référence à des hôtels plus modestes qui prolifè-
rent dans la vieille ville et ses alentours. Des bâtiments du XVIIIe au début du
XXe siècle permettent aux touristes « moyens » de « se loger dans un passé »
moins monumental.
Notre analyse combine différentes échelles. La ville de Saint-Jacques est
à ce titre exemplaire : elle est à la fois la capitale de la Communauté auto-
nome de Galice et un centre universitaire et touristique. À l’échelle du centre
historique, on trouve une série d’espaces et de bâtiments emblématiques.
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Enfin, l’Hostal des Rois Catholiques synthétise l’idée d’histoire, de monu-

mentalité et de lieu d’attraction touristique pour la classe moyenne et aisée,
ce qui rejaillit sur l’ensemble de la ville. Du point de vue urbanistique, c’est
une ville emblématique pour l’ensemble du territoire galicien. En effet, il
s’agit de l’une des onze villes espagnoles classées dans le patrimoine de l’hu-
manité par l’UNESCO.
SAINT-JACQUES-DE-COMPOSTELLE : UN NOYAU TOURISTIQUE SPÉCIFIQUE
Saint-Jacques-de-Compostelle jouit d’une énorme popularité en tant que

ville historique attractive et centre de rayonnement culturel en Europe et, de
manière croissante, en Amérique latine. Sans aucun doute, sa renommée est
plus grande dans les pays de tradition catholique, étant donné que Saint-
Jacques est liée à une route médiévale de pèlerinage qui traverse toute
l’Europe, pour se terminer face à la dépouille supposée de l’apôtre Jacques-le-
Majeur. Un effort de promotion de l’image de la ville est mené aujourd’hui

dans de nouveaux domaines. La ville a une excellente réputation dans l’ensei-
gnement supérieur, car son Université multiséculaire coordonne des réseaux
de plusieurs dizaines d’institutions partenaires dans l’Ancien et le Nouveau
Monde. Elle a gagné l’image d’une ville culturelle, avec la réalisation d’une
coûteuse campagne dont le point culminant a été son élection comme capitale
culturelle de l’Europe en 2000. Quatre caractéristiques principales permettent
d’analyser Saint-Jacques-de-Compostelle comme un lieu patrimonial excep-
tionnellement attractif pour le tourisme (Lois et Rodríguez, 1997).
Saint-Jacques est d’abord une ville atypique. Elle est restée un noyau
urbain à la croissance faible pendant le XIXe et une bonne partie du XXe
siècles, précisément lorsque la plupart des villes voisines voyaient leur décol-
lage lié au progrès de nouvelles activités économiques. Ceci a contribué à
l’amélioration de la conservation du patrimoine monumental et urbain de
Compostelle, phénomène que l’on peut constater dans d’autres villes espa-
gnoles retenues au patrimoine de l’humanité. La croissance de la population
n’a vraiment commencé que dans les années 1960 et de manière originale. La
ville était un centre universitaire depuis la fin du XVe siècle, mais ce n’est
qu’en 1960 que l’enseignement supérieur a commencé à se démocratiser, à
recevoir un nombre croissant d’étudiants (un peu plus de 3 000 en 1960 et
35 000 en 1985). Par conséquent, le nombre d’enseignants et de personnels
administratifs a fortement augmenté. Entre 1960 et 1985, Saint-Jacques a
connu une phase d’expansion universitaire et urbaine, comparable à celle
d’Oxford, Pise, Louvain, Coïmbra, etc.
Depuis les années 1980, deux nouvelles fonctions justifient le dyna-
misme urbain de Compostelle et lui ont permis de devenir une ville moyenne
puissante, avec environ 95 000 habitants (130 000 dans l’aire urbaine) : le
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tourisme et l’administration régionale, avec sa sélection comme capitale de la

puissante Communauté autonome de Galice. Le legs patrimonial exception-
nel, les politiques très strictes de sauvegarde de la vieille ville, les campagnes
importantes de promotion touristique de la ville et l’image d’une localité
attractive et tranquille, liée à la culture et à l’histoire, récompensée en
Espagne et en Europe, se sont traduits par une croissance continue du nombre
de touristes et de visiteurs (entre 2 et 4 millions par an). Le tourisme est
devenu une activité économique centrale à Saint-Jacques, spécialement pour
les établissements du centre historique. Mais il favorise aussi la conservation
de l’ensemble de la ville. Depuis 1981, la fonction la plus importante est le
nouveau rôle de capitale de la Galice. Compostelle est devenue un grand
centre de pouvoir, environ 50 % du total des dépenses publiques du territoire
sont gérées par l’administration régionale installée en son sein ; c’est le siège
du gouvernement et du parlement autonomes, et le lieu de travail de plusieurs
milliers de fonctionnaires régionaux. Le statut de capitale a favorisé les poli-
tiques de promotion urbaine et touristique de la ville ; le pouvoir régional

s’affirme dans cette image de centre politique.
Un deuxième trait spécifique de Compostelle est son lien historique,
urbain et touristique avec un pèlerinage ancestral, le chemin de Saint-
Jacques. La ville brille par elle-même, mais aussi en tant que point d’arrivée
d’une longue route d’origine médiévale. En effet, le tourisme est directement

conditionné par la célébration des années saintes (selon la tradition catho-
lique, lorsque le jour de Saint-Jacques, le 25 juillet, coïncide avec un
dimanche, on reçoit des indulgences plénières). Depuis peu, ces années sont
le support d’importantes campagnes de promotion touristique, les Xacobeos,
qui ont multiplié l’affluence des touristes dans la ville. Le flux de visiteurs
est par définition irrégulier : une demande conséquente dans les années
saintes contraste avec celle des années « normales ». En plus, le Chemin de
Saint-Jacques met en réseau plusieurs villes historiques (Pampelune, Santo
Domingo de la Calzada, Burgos, Sahagún, Léon, Ponferrada, etc.). Il devient
un produit touristique exceptionnel. Saint-Jacques-de-Compostelle est à la
fois une cité attractive et l’arrivée d’une route millénaire avec un énorme
intérêt paysager, patrimonial et culturel (Martí, op. cit.).
En troisième lieu, Saint-Jacques s’affirme comme un grand centre
attractif dans une région de faible tradition touristique comme la Galice et
même tout le quadrant nord-ouest de la péninsule ibérique. La façade atlan-
tique espagnole s’est maintenue à l’écart du boom touristique des années
1960 et 1970, qui a surtout touché le littoral méditerranéen et les îles
(Baléares et Canaries). Cependant, depuis quelque temps, dans le nord et le
centre de la péninsule, un important pôle générateur de tourisme s’est conso-
lidé à partir des villes historiques (particulièrement celles qui sont classées
patrimoine de l’humanité), des localités ayant bénéficié de processus signifi-
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catifs de renouvellement urbain (Bilbao, par exemple) et des secteurs d’une

valeur paysagère reconnue (les Pyrénées, la montagne de Palencia, la vallée
du Sil, etc.) (López Palomeque et Vera Rebollo, 2001). Saint-Jacques
conjugue en son sein tous ces éléments attractifs. Elle est un centre patrimo-
nial reconnu par l’UNESCO, elle a entrepris un intéressant processus de renou-
vellement urbain depuis quinze ans (avec les réalisations emblématiques
d’architectes comme A. Siza et d’autres) et elle mise sur la valeur paysagère
de la route ancestrale du pèlerinage. D’autre part, dans les nombreuses cam-
pagnes publicitaires qui se sont succédé récemment, Saint-Jacques est deve-
nue la « mascotte touristique » de toute la Galice. On vient à Compostelle et,
ensuite, on parcourt la région ; on visite l’extrémité nord-ouest de l’Espagne
pour son paysage atlantique, pour ses traditions et pour Saint-Jacques.
L’identification promotionnelle d’une nouvelle Galice, autonome du point de
vue politique et ayant surmonté son retard historique, se confond avec celle
de Saint-Jacques, sa capitale.
Finalement, tout conduit les touristes dans la vieille ville. Un vrai pro-

blème de capacité d’accueil se pose alors au territoire qui constitue le noyau
central de l’expérience touristique á Compostelle, surtout en pleine saison ou
bien pendant les années saintes. Le problème est d’une telle ampleur que,
depuis quelques années, les stratégies de la municipalité visent à chercher des
lieux et des routes alternatives pour élargir l’espace touristique (signalisation

de monuments plus éloignés, aménagement de quelques voies moins cen-
trales de l’espace intra-muros, etc.) (Ros Development et IDEGA, op. cit.).
Aujourd’hui, la vieille ville fait partie du centre-ville, qui inclut aussi un sec-
teur proche, urbanisé dans les années 1960-1970. Cependant, une partie de
celle-ci risque de devenir un musée, une aire congestionnée, appelée « parc
thématique historico-touristique ». L’Hostal des Rois Catholiques se trouve
dans l’aire la plus fréquentée par les visiteurs, touristes et promeneurs.
L’OFFRE HÔTELIÈRE EN VILLE : LE RÔLE CENTRAL

DE L’HOSTAL DESROIS CATHOLIQUES
Il faut commencer par situer le rôle de l’établissement dans l’offre de

Saint-Jacques, avant d’analyser le processus de réhabilitation et de transfor-
mation de l’Hostal Royal en une résidence hôtelière emblématique de la
ville, le « Parador hôtel des Rois Catholiques ». Les paradors représentent
une offre publique d´hébergement de luxe, habituellement située dans des
monuments historiques transformés en hôtels de haut niveau.
Pour l’accueil des touristes, la cité a connu trois étapes bien différen-
ciées. La première s’est terminée en 1993, lorsque la célébration de l’Année
sainte a fourni le thème de la première grande campagne promotionnelle de
la ville et de toute la Galice, celle que l’on connaît sous le nom de Xacobeo,
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et qui représente un changement important de l’histoire du tourisme à

l’échelle locale et régionale. Depuis cette date, l’offre hôtelière s’est diversi-
fiée et une concurrence externe est apparue. Une troisième phase commence
en 1997, la contre-offensive de la ville centre.
Après la Guerre civile d’Espagne, au début des années 1940,
Compostelle a développé une hôtellerie basée sur de nombreux petits éta-
blissements familiaux, mais de qualité médiocre, en cohérence avec son rôle
de ville moyenne universitaire, mais peu dynamique. Trois ou quatre hôtels
de niveau moyen et de plus grande capacité faisaient exception. Ils bénéfi-
ciaient de l’existence d’une Université en croissance (besoins spécifiques
pour loger des jurys, des participants à des congrès, des chercheurs de pas-
sage, etc.) et de la petite demande touristique attirée par la cathédrale et les
dépouilles de l’apôtre. Dans ce cadre, l’aménagement de l’Hostal a introduit
une nouveauté avec un unique hôtel de luxe, en plein cœur de la cité. Sa pro-
motion était le résultat d’une politique publique qui façonnerait ensuite dans
cet élan la réalisation des « Paradors » nationaux de tourisme, des hôtels de

moyenne ou grande renommée qui, généralement, occupaient et bénéficiaient
d’excellents bâtiments historiques du patrimoine national. La politique des
Paradors fut une exception qui connut un grand succès dans l’Espagne des
années 1960, obsédée par la simple croissance du nombre de touristes sous la
formule classique du soleil et de la plage.

Rôle de l’Hostal
Période Offre hôtelière
des Rois Catholiques
1940-1993 – Petits hôtels et pensions, – L’exception : un hôtel de luxe

– Entreprises familiales dans un environnement
ou d’origine locale, monumental.
– Absence d’hôtels 3-5 étoiles.
1993-1997 – Croissance de la demande, – L’hôtel renforce sa position

– Incapacité de répondre, stratégique dans l’offre
– Professionnalisation de l’offre, de Saint-Jacques.
– Entreprises familiales
ou d’origine locale.
1997-2003 – Entrée des grandes chaînes – L’hôtel est imité

hôtelières, par des concurrents.
– Déclin des affaires familiales,
– Petits hôtels de charme pour une
demande de niveau moyen.
Tableau 1 - Étapes de l’évolution de l’offre hôtelière à Saint-Jacques
Le succès de la promotion touristique de Saint-Jacques-Galice,

Xacobeo 93, a complètement changé la lecture de la ville comme noyau
attractif pour les touristes. L’offre hôtelière existante a eu des retombées éco-
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nomiques importantes, mais elle s’est avérée insuffisante, aussi bien en

termes quantitatifs que qualitatifs. Du point de vue qualitatif, à cause du
faible niveau de professionnalisme (ignorance des langues, politiques tari-
faires peu claires, etc.). En ce qui concerne la quantité, à cause de l’impossi-
bilité de faire face à une demande qui s’est accrue plus vite que prévu. De
cette façon, les années 1990 ont vu se développer de nouvelles dynamiques
de l’offre. L’apparition d’hôtels et de résidences, situés à moins d’une heure
de la ville, avec de meilleurs prix et une disponibilité plus grande pour les
clients, a capté une bonne partie du marché (un voyage à Saint-Jacques cor-
respond dorénavant à une journée ou une demi-journée avec une nuit passée
à l’extérieur). De plus, les grandes chaînes hôtelières espagnoles (Melia,
Hespéridé, AC, etc.) ont commencé à s’intéresser à la ville, à participer au
capital des anciennes entreprises familiales, à établir des franchises et à
construire leurs propres hôtels. L’offre s’est accrue, avec l’apparition de la
concurrence externe, une forte croissance des hôtels de haut et moyen niveau,
et une gestion des établissements de plus en plus professionnalisée.

Ces dernières années, l’offre a augmenté tout en se segmentant. Première
nouveauté, l’Hostal n’est plus seul : deux autres hôtels cinq étoiles (la plus
haute catégorie) fonctionnent dans la ville (cinq au total dans toute la Galice).
On observe aussi à Saint-Jacques une croissance substantielle du nombre de lits
d’hôtels quatre étoiles, localisés dans la périphérie urbaine. Mais l’évolution

récente la plus significative est l’ouverture de plusieurs établissements de
moyenne dimension et de 3 ou 2 étoiles, catalogués comme hôtels de charme,
dans la vieille ville et ses abords. En suivant de façon plus modeste l’exemple
des Paradors de tourisme et les autres modèles européens, on réhabilite de
façon traditionnelle des maisons de l’époque moderne ou contemporaine (per-
manence de la pierre comme matériel de construction, mobilier imitant le tra-
ditionnel, etc.) ce qui renforce l’offre hôtelière de la ville. La taille de ces hôtels
n’est jamais très grande, on y maintient une certaine familiarité dans les rela-
tions avec les clients. La ville historique bénéficie ainsi de sa mise en valeur
patrimoniale et attire toujours plus de touristes (AECIT, 2004).
Sans aucun doute, l’offre hôtelière en ville a changé rapidement, accom-
pagnant l’évolution touristique de Saint-Jacques. Dans ce cadre, l’Hostal joue
un rôle exceptionnel en tant qu’hôtel de luxe. Il a servi de modèle pour un
groupe d’hôtels de haute et moyenne catégorie dans la ville. Le fait que l’oc-
cupation d’un grand bâtiment historique soit imitée par un nombre croissant
d’établissements plus modestes, cherchant à attirer les clients grâce à leur
charme, est quelque chose de très intéressant. Pour cette demande de la classe
moyenne, ainsi que pour une clientèle plus aisée qui s’installe à l’Hostal, le
fait de « loger dans le passé » représente une partie fondamentale de l’expé-
rience touristique dans un centre historique internationalement réputé.
Après les clés de la revalorisation historico-touristique de Saint-Jacques, le
modèle de l’Hostal des Rois Catholiques et celui de la ville, nous analysons les
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politiques publiques espagnoles à l’origine de la promotion d’un tourisme de

qualité. Nous remontons dans l’Histoire pour montrer comment le processus
d’intervention s’est déroulé concrètement dans ce bâtiment exceptionnel.
UN CADRE EMBLÉMATIQUE : L’HOSTAL ROYAL DE SAINT-JACQUES
Au milieu du XXe siècle, l’État confirme les aptitudes de Compostelle

pour accueillir un hôtel de luxe. La proposition initiale visait une construc-
tion ex nihilo sur des terrains de la zone dénommée « La Estila » ; mais l’hô-
tel a finalement été installé dans l’ancien Hostal Royal. L’origine du bâtiment
remonte à la visite des Rois Catholiques à Saint-Jacques en 1486. Pour
accueillir correctement les pèlerins, ils avaient d’abord imaginé d’édifier un
hôpital intégré dans une communauté monastique. Mais le projet se trans-
forma en une construction indépendante, échappant aux juridictions seigneu-
riale et ecclésiastique. Le résultat est l’un des meilleurs modèles hospitaliers
de la Renaissance, avec des modifications structurales et ornementales à

l’époque baroque (fig. 2) (Rosende Valdés, 1999).
Fig. 2 - Vue aérienne de l’ensemble de l’Hostal

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Fig. 3 - Façade principale de l’Hostal devant la place de l’Obradoiro
L’immeuble se situe stratégiquement sur la place de l’Obradoiro, dont le

centre est le point de départ des différentes routes de pèlerinage (fig. 3).
Actuellement, cette place conserve le multi-fonctionnalisme qu’elle a acquis
entre le XVIIIe et le XIXe siècles. Elle est la scène de célébrations religieuses,
ludiques et sociales. Les balcons extérieurs des bâtiments qui l’entourent
favorisent cette diversité.
Sa configuration urbanistique est déterminée par les quatre bâtiments les
plus remarquables de Compostelle, du point de vue monumental et artistique
et pour leur signification historique et symbolique. Dans la pierre, on peut lire
les traces des rivalités entre les quatre pouvoirs ayant conforté l’histoire de la
ville : l’Église qui, d’abord, incarne et soutient la foi humaine, mais qui a su
aussi donner à Compostelle le sens Xacobeo, cause de l’arrivée des pèlerins ;
l’Université, qui représente le savoir de ces hommes ayant consacré leurs
efforts au bénéfice de la communauté ; l’Administration, qui symbolise la
justice et l’établissement d’un ordre social ; et la Monarchie, qui s’est aussi
engagée afin de renforcer Saint-Jacques en tant que bastion chrétien, avec la
construction d’une hôtellerie identifiée avec la charité.
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L’aménagement de la place doit son origine à la construction de l’ancien

Hostal, qui a représenté l’un des premiers atouts dans la transformation
moderne du centre historique de Saint-Jacques. L’Hostal est la première
construction en pierre, dans une ville construite en grande partie en bois et
bâtie dans le désordre et la confusion. Cette construction représente le pre-
mier pas vers la rationalisation d’un espace public qui a, peu à peu, atteint une
dimension sociale. La nécessaire destruction de maisons et de potagers a
favorisé l’émergence d’un ordre et d’un projet urbains. Il n’existait pas de
plan d’urbanisme a priori. Mais l’édification de l’Hostal a involontairement
favorisé la naissance d’un espace vital. Avec le temps, la place de l’Obradoiro
s’est imposée dans le plan de Compostelle et elle occupe la place d’honneur.
Le renouvellement touristique de Compostelle pendant la période franquiste
La conversion de l’Hostal des Rois Catholiques en hôtel de luxe a été

possible grâce à la célébration de l’Année sainte de 1954, avec le souci d’as-

surer l’hébergement des touristes et des pèlerins se déplaçant vers la ville.
L’élan touristique de Compostelle ne s’est pas limité à la construction de cet
établissement hôtelier de luxe. Son centre historique a connu une revitalisa-
tion par le biais d’un programme de restauration architecturale et d’aména-
gement urbain, prolongé jusqu’au Xacobeo suivant (1965). L’action

concernait aussi bien les monuments les plus remarquables que les maisons,
les rues et les places de la vieille ville. En plus, le chemin de Saint-Jacques
se présentait au niveau mondial non seulement comme un rendez-vous spiri-
tuel, mais aussi comme une route offrant une grande gamme de tourisme cul-
turel et gastronomique, « vert » et sportif, urbain et rural.
La politique touristique espagnole a eu des répercussions directes, plus
ou moins heureuses, sur la conservation du patrimoine culturel. Les stratégies
appliquées au secteur touristique s’articulent à différents niveaux : les infra-
structures, l’information publicitaire, les Plans de développement national et
la professionnalisation de tous les acteurs.
Le Service national du tourisme a été créé à la fin de la Guerre civile
(1936-1939) et il a développé un programme d’excursions destinées aux tou-
ristes étrangers sous le nom de « Routes de Guerre ». Au départ, cette initia-
tive visait l’amélioration des routes et des transports (Pellejero Martínez,
2000). Mais elle a attiré l’attention sur le mauvais état et le trop petit nombre
d’installations hôtelières. Jusqu’alors, voyager était pratiquement réservé à
une élite sociale qui fréquentait les hôtels luxueux inaugurés au début du
siècle dans les grandes villes. Progressivement, la classe moyenne commença
à se déplacer ; de telle manière que la construction de nouveaux lieux de
repos s’avéra nécessaire.
Dès cette période, les différents organismes créés par l’administration
centrale, pour faire face à cette gestion, ont désiré constamment améliorer et
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accroître le nombre des établissements hôteliers. Non seulement on aména-

geait et l’on modernisait les hôtels existants, mais on en a aussi créé des nou-
veaux dans des zones de montagne. Des auberges ont été également
construites pour le repos des premiers voyageurs automobilistes, ainsi que
des établissements dans des villes où l’on voulait mettre en valeur les
charmes artistiques ou les souvenirs historiques.
Afin de satisfaire cette dernière initiative, l’administration centrale, à tra-
vers le Réseau de Paradors nationaux de tourisme, ou par le biais de l’Institut
national de l’industrie (INI), a décidé de moderniser les anciens monuments
prestigieux et d’un intérêt touristique confirmé ou à encourager. Cette recon-
version a rendu possible la réalisation progressive de Paradors et « d’Hôtels
de charme », dejà favorisée par le Marquis de Vega Inclaán en 1926 lorsqu’il
a encouragé la construction du premier Parador National de Gredos, inau-
guré en octobre 1928 par le roi Alfonso XIII. Ces Paradors devaient devenir
de vrais agents de dynamisation des zones en crise qui ne pouvaient jusque-
là répondre aux besoins en hébergement des visiteurs. L’un des objectifs de

ce type d’établissements est, aujourd’hui encore, d’offrir un tourisme de
« qualité totale » d’après la définition de Gamero Mir (1999), d’aller au-delà
des attentes de la clientèle, en combinant un environnement de qualité et le
dynamisme d’une entreprise touristique compétente.
Au milieu du XXe siècle, la rentabilité économique était l’objectif premier

de la dynamique touristique. La politique de réhabilitation d’anciens bâti-
ments a été menée dans cette perspective. De plus, elle permettait une réduc-
tion des coûts, comparée à la création de nouvelles infrastructures.
Compostelle n’était pas oubliée et elle recevait des visiteurs. Mais, pour atti-
rer des devises, l’impulsion publicitaire des campagnes de l’État la rendait
encore plus séduisante. De même, la publicité que l’on prévoyait avec l’inau-
guration d’un « Hôtel de charme » au pied de la cathédrale augmentait poten-
tiellement son offre touristique et mettait en avant l’action prioritaire du
pouvoir politique (fig. 4). La présence du général Franco lors de son inaugu-
ration, le 25 juillet 1954, en est la preuve. Grâce à cet intérêt politique, l’INI,
en tant que promoteur et auteur de la transformation, a consacré beaucoup
d’efforts à un établissement singulier de renommée internationale.
Le charme du nouvel hôtel était présenté comme la possibilité excep-
tionnelle de se loger dans le passé, c’est-à-dire dans l’Espagne des XVe et XVIe
siècles, époque mise en valeur par le franquisme. Les totalitarismes euro-
péens du XXe siècle ont volontiers puisé les racines de leur idéologie dans
l’histoire. Ils se sont inspirés de périodes glorieuses ou, du moins, peu criti-
quables, car marquées par des personnages célèbres. Dans le cas de
l’Espagne, la dictature franquiste voulait reprendre le flambeau du modèle
politique instauré sous les Rois Catholiques. C’est pourquoi la restauration
patrimoniale s’est portée prioritairement sur la réhabilitation de lieux liés
d’une manière ou d’une autre à cette monarchie.
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Fig. 4 - Détail des ouvertures de l’Hostal avec la cathédrale au fond

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En conséquence, la restauration de la fonction « hospitalière » de

Compostelle appliquait fidèlement les préceptes politiques du moment, non
seulement ceux de l’idéologie franquiste, mais aussi ceux de la rentabilité
économique du secteur touristique. Le choix du nom est révélateur de l’exal-
tation du passé : l’Hostal joue sur la valeur commémorative, préconisée par
Aloïs Riegl (1903). Malgré sa transformation en hôtel, ce nom a un caractère
symbolique. D’une part, la dénomination Hostal rappelle la fonction origi-
nelle d’accueil des pèlerins et, d’autre part, la pérennité de sa fondation
royale est mise en relief grâce au complément « des Rois Catholiques », ren-
forçant cette récupération historique encouragée par le franquisme.
L’investissement réalisé par l’INI sur des bâtiments publics afin de les
transformer en hôtels a été repris dans d’autres localités qui répondaient à
deux conditions : d’abord, l’inexistence d’une hôtellerie privée de luxe ; un
établissement public ne doit pas faire une concurrence « déloyale » au sec-
teur privé. En second lieu, la ville ne doit pas, déjà, être un lieu de villégia-
ture. L’action qui présente le plus de similarités avec celle de Compostelle,

est celle de l’hôtel San Marcos à León, inauguré en 1965. C’est un bâtiment
hospitalier du XIIe siècle, situé sur le chemin de Saint-Jacques, reconstruit au
début du XVIe siècle. Il a eu d’autres usages au cours des ans, parmi lesquels
celui de couvent, d’où son nom. Sur ce même modèle, nous pouvons citer
l’hôtel de La Muralla à Ceuta, qui a ouvert ses portes en 1967, dans un ancien
atelier militaire, et l’hostellerie de Santa María de Paular, dans un monastère
près de Madrid, inaugurée en 1971.
Les critères d’action pour la mise en valeur du passé
La transformation fonctionnelle de l’ancien Hostal des Rois Catholiques

de Compostelle, est l’un des modèles d’intervention sur les villes patrimoine
de l’humanité. Aussi permet-il de fixer les limites dans la restauration des
immeubles du passé et de suggérer quelques règles pertinentes pour leur
remise en valeur.
D’après la presse de l’époque (El Correo Gallego et El faro de Vigo), ce
défi temporel, qui rassembla plus de huit cents ouvriers, est devenu la signa-
ture publicitaire de l’entreprise de construction Rodolfo Lama. Le résultat fut
un hôtel cinq étoiles structuré en quatre étages et un sous-sol, avec cent
soixante-dix-sept chambres pour environ quatre cents personnes et une salle
de restaurant de cent cinquante places. En plus, il offrait également une série
de services au public (bibliothèque et salle d’expositions, bowling, dégusta-
tion de fruits de mer, salon de coiffure, « club » typiquement espagnol, salle
à manger royale et cafétéria), ce qui conférait à l’établissement un standing
élevé et, parallèlement, le transformait en un lieu de rencontre pour la bour-
geoisie de Compostelle et les touristes. Les habitants de la ville l’ont accueilli
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très favorablement, d’après la presse locale. Cette dernière souligne positive-

ment les aspects les plus importants des travaux de réhabilitation de l’Hostal,
qui tenaient compte de l’architecture de l’ancien hôpital Royal.
Par exemple, pour construire un nouvel étage augmentant la capacité du
bâtiment, on a exigé qu’il ne puisse être vu ni depuis la place del Obradoiro,
ni depuis les cours intérieures. Il était fondamental d’éviter tout contraste por-
tant atteinte aux valeurs architectoniques de ses éléments. Un deuxième
exemple est l’enlèvement des dalles et des jardins des cours, pour placer les
installations techniques et renforcer les structures, pour les rétablir ensuite
dans leur état originel (fig. 5). Finalement, un troisième échantillon de ces
travaux de réhabilitation se dévoile dans la reconstruction du plafond à cais-
sons qui imite le style et le gabarit de la toiture originelle.
Les travaux pour renforcer la monumentalité de l’immeuble ont mis en
valeur ses atouts architectoniques. Ce type d’intervention a permis de conser-
ver l’esprit de l’ancienne ville tout en enrichissant ses fonctions et en revita-
lisant le tissu social (Castillo Oreja, 1998). Pour préserver au maximum

l’aspect du bâtiment, la plupart des remaniements ont eu lieu à l’intérieur
pour accueillir de nouveaux services. Cependant, l’intervention ne se limite
pas aux pierres. Le but est d’ouvrir le centre historique, vers un multi-fonc-
tionnalisme et une commercialisation qui, au fil du temps, modifient le patri-
moine monumental, suscitant un débat sur le rôle des monuments dans le

tourisme.
La reconversion de l’Hostal part de deux prémisses. D’une part, la réha-
bilitation des monuments entraîne une série d’interventions, dont la défini-
tion de leur usage social actuel – l’usage original pouvant être perpétué ou
totalement modifié. La définition de la « réhabilitation » de Troitiño Vinuesa
(1992) est très claire : actualiser ce patrimoine et lui donner un sens pratique
qui assure la continuité de son entretien. Si, en plus, le monument concerné
possède une singularité dont on peut tirer bénéfice pour le transformer en un
produit attractif et d’intérêt touristique, certaines orientations s’imposeront
tout en tenant compte du contexte politique du moment. C’est ainsi que
l’Hostal est devenu l’un des symboles historiques que le franquisme voulait
exalter.
D’autre part, le succès de la restauration d’un bâtiment dépend de
l’usage qu’on lui attribue ; l’objectif étant l’équilibre entre sa nature archi-
tecturale et son acceptation sociale. Dans certains cas, on choisit la muséifi-
cation des espaces, comme dans le cas du palais de l’archevêché de
Compostelle du milieu du XXe siècle. Dans d’autres cas, on décide de les
transformer au point de ne conserver que la façade des monuments comme
témoin culturel, ce qui arrive dans la plupart des cas, lors de la transforma-
tion de bâtiments monumentaux en sièges administratifs. Le « façadisme »
est l’une des démarches les plus importantes ; elle permet « l’habitabilité »
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Fig. 5 - Détail des œuvres d’excavation effectuées

dans une des cours intérieures de l’Hostal
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des bâtiments anciens (Loyer et Schmuckle-Mollard, 2001). Cette pratique de

restauration consiste à conserver exclusivement la façade d’un bâtiment,
comme souvenir d’un langage formel et esthétique. On la retrouve sous dif-
férentes appellations, parmi lesquelles « l’allégorie de façades » (Fernández
Alba,1998) ainsi que le principe de « conservation truquée » (Pol, 1991).
Le succès de la réhabilitation de l’Hostal de Compostelle met en évi-
dence l’importance de la continuité de la fonction. C’est un bâtiment singu-
lier, chargé de symbolisme, mais aussi un bâtiment intégré dans un milieu
caractéristique, dominé par la cathédrale, ce qui imposait des limites d’inter-
vention. Fernández Alba (op. cit.) considère trois niveaux pour définir une
action patrimoniale correcte : le profil biographique de l’objet, sa valeur cul-
turelle et le territoire où il se trouve. Ces trois niveaux ont été pris en consi-
dération dans cette réhabilitation.
LA PROJECTION D’UNE INTERVENTION PARADIGMATIQUE

La restauration de l’Hostal s’est avérée paradigmatique pour l’avenir. En
premier lieu, elle est intervenue avant la grande explosion Xacobéo des
années saintes. L’accroissement de l’offre hôtelière, en raison d’une possible
explosion de la demande touristique, est devenue l’une des mesures les plus
nettes des plans de promotion Xacobeo. L’acteur principal fut Manuel Fraga
Iribarne. Il réalisa une première campagne en 1965, lorsqu’il était ministre de
l’Information et du Tourisme de Franco. Il a promu, en collaboration avec le
ministère de l’Habitation, la construction de l’établissement hôtelier appelé
« Burgo de las Naciones » pour héberger les touristes étrangers. Ce dernier
était composé de quarante-sept pavillons qui avaient une capacité totale de
4 500 places, avec une salle à manger, en self-service, pour 1 200 personnes.
À l’heure actuelle, il reste seulement quelques pavillons, transformés en cité
universitaire. La deuxième campagne eut lieu en 1993, cette fois-ci avec
Fraga Iribarne comme président de la Xunta (gouvernement régional) de
Galicia ; il a favorisé la création d’un autre centre de pèlerinage sur le Monte
del Gozo. Le développement de ce secteur s’est poursuivi de la même
manière et toujours dans des lieux aussi stratégiques que l’arrivée du Chemin
à Compostelle dans la zone San Lázaro.
En second lieu, les changements de la politique touristique ont eu une
incidence sur l’histoire de l’Hostal. Différentes mesures ont été prises : tout
d’abord des mesures de promotion – comme son classement en hôtel de luxe
en 1968 ; en 1993, des mesures nostalgiques qui renouvellent l’accueil des
pèlerins – ceux-ci ont droit, en fournissant leur accréditation de pèlerin, aux
repas pendant trois jours et ce par groupes de dix pèlerins ; des mesures
d’amélioration de l’ensemble – comme l’installation dans les années 1990
d’une terrasse couverte sur un côté de la façade principale, ce qui a été inter-
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prété par la population comme la violation d’un espace quasi sacré ; enfin,
des mesures de marketing avec des programmes de fidélisation (Amis des
Paradors) qui promeuvent l’image du « pèlerin de Parador » cherchant des
bénéfices durables !
Troisièmement, sa restauration a incontestablement déclenché un pro-
cessus de réhabilitation des anciens bâtiments du centre historique, afin de les
transformer en nouveaux établissements qui, sans bénéficier d’un cadre aussi
emblématique et chargé de signification symbolique, offrent eux aussi une
manière de « se loger dans le passé ». Du point de vue touristique, la trans-
formation de l’ancien hôpital Royal en Hostal de luxe a été une réussite. Elle
a eu une forte répercussion dans l’espace urbain, à tel point que la présence
du bâtiment dans le centre historique de Saint-Jacques est la clé de l’étude de
son évolution démographique et artistique.
Le nouvel Hostal a su tirer profit des qualités stylistiques et de la valeur
historique du monument le plus important de la Renaissance. Par conséquent,
le fait de choisir un emplacement aussi stratégique que la Place del Obradoiro

et un bâtiment qui a représenté une vraie révolution spatiale et architecto-
nique pour la ville, garantissait la réussite de l’investissement. La réhabilita-
tion est devenue emblématique parce qu’elle n’a pas violé l’ancien caractère
d’accueil mais, d’une manière implicite, elle a renforcé la fonction monu-
mentale, dans un sens politique. Ainsi, l’Hostal est devenu la résidence offi-
cielle des personnalités politiques qui visitent la ville. La possibilité de « se
loger dans le passé (des Rois Catholiques) », tellement promue par le fran-
quisme, est devenue un nouveau monument, à caractère civil cette fois, de
Saint-Jacques-de-Compostelle.
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« SE LOGER DANS LE PASSÉ »

La récupération emblématique de l'Hostal des Rois Catholiques de Saint-Jacques-de-

ERES | « Espaces et sociétés »

2006/3 no 126 | pages 159 à 177

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C et article est le fruit d’un dialogue interdisciplinaire entre géographie et his-

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160 Espaces et sociétés 126

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« Se loger dans le passé » 161

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Fig. 1 - Le centre historique de Santiago de Compostela

L’Hostal des Rois Catholiques représente un bâtiment fondamental dans

162 Espaces et sociétés 126

Enfin, l’Hostal des Rois Catholiques synthétise l’idée d’histoire, de monu-

SAINT-JACQUES-DE-COMPOSTELLE : UN NOYAU TOURISTIQUE SPÉCIFIQUE

Saint-Jacques-de-Compostelle jouit d’une énorme popularité en tant que

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tourisme et l’administration régionale, avec sa sélection comme capitale de la

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d’une longue route d’origine médiévale. En effet, le tourisme est directement

164 Espaces et sociétés 126

catifs de renouvellement urbain (Bilbao, par exemple) et des secteurs d’une

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lieux et des routes alternatives pour élargir l’espace touristique (signalisation

L’OFFRE HÔTELIÈRE EN VILLE : LE RÔLE CENTRAL

Il faut commencer par situer le rôle de l’établissement dans l’offre de

« Se loger dans le passé » 165

et qui représente un changement important de l’histoire du tourisme à

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formule classique du soleil et de la plage.

1940-1993 – Petits hôtels et pensions, – L’exception : un hôtel de luxe

1993-1997 – Croissance de la demande, – L’hôtel renforce sa position

1997-2003 – Entrée des grandes chaînes – L’hôtel est imité

Le succès de la promotion touristique de Saint-Jacques-Galice,

166 Espaces et sociétés 126

nomiques importantes, mais elle s’est avérée insuffisante, aussi bien en

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d’hôtels quatre étoiles, localisés dans la périphérie urbaine. Mais l’évolution

« Se loger dans le passé » 167

politiques publiques espagnoles à l’origine de la promotion d’un tourisme de

UN CADRE EMBLÉMATIQUE : L’HOSTAL ROYAL DE SAINT-JACQUES

Au milieu du XXe siècle, l’État confirme les aptitudes de Compostelle

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Fig. 2 - Vue aérienne de l’ensemble de l’Hostal

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Fig. 3 - Façade principale de l’Hostal devant la place de l’Obradoiro

L’immeuble se situe stratégiquement sur la place de l’Obradoiro, dont le

« Se loger dans le passé » 169

L’aménagement de la place doit son origine à la construction de l’ancien

Le renouvellement touristique de Compostelle pendant la période franquiste

La conversion de l’Hostal des Rois Catholiques en hôtel de luxe a été

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gement urbain, prolongé jusqu’au Xacobeo suivant (1965). L’action

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accroître le nombre des établissements hôteliers. Non seulement on aména-

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Au milieu du XXe siècle, la rentabilité économique était l’objectif premier