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2009/2 Vol. 59 | pages 203 à 219
ISSN 0035-2950
ISBN 9782724631432
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LA PROBLÉMATISATION
DE LA PROCRÉATION MÉDICALEMENT
ASSISTÉE EN FRANCE ET EN SUISSE
Les aléas de la mobilisation féministe
ISABELLE ENGELI
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es questions relatives à la reproduction humaine ont été fortement politisées ces
L dernières décennies, en particulier avec les défis reproductifs qu’ont posés l’avor-
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Revue française de science politique, vol. 59, n 2, avril 2009, p. 203-219.
© 2009 Presses de Sciences Po.
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les a mis à nouveau devant la question du bien-fondé de la maternité et du contrôle social
et médical du corps de la femme, faisant éclater à nouveau les conflits au grand jour. La
question de la maternité divise depuis longtemps les mouvements et les intellectuelles
féministes. Le libre choix de la maternité revendiqué au sujet de la libéralisation de
l’avortement était en fait davantage un libre choix de non-maternité permettant d’éviter
les dissensions sur le rapport des femmes à la maternité de manière plus générale. Les
nouvelles technologies de reproduction ont frappé les courants féministes de plein fouet
en posant cette fois la question de la réalisation de la maternité. À cette question, les
courants féministes n’ont pas pu apporter de réponse unifiée 1.
La réflexion féministe initiale était favorable au développement de la procréation
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médicalement assistée, voyant en elle la possibilité de gommer de manière définitive les
différences sexuelles et de libérer les femmes du devoir de maternité. Les nouvelles
technologies devaient permettre de casser le lien biologique des femmes avec les enfants,
pilier de la domination patriarcale 2. Rapidement, les féministes se sont profondément
divisées. Le courant radical s’est massivement opposé au développement de ces nouvelles
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1. Seuls les points centraux des conflits féministes sur les nouvelles technologies de repro-
duction sont présentés ici. Pour une discussion plus élaborée des débats féministes sur ces questions,
se référer notamment à Valerie Bryson, Feminist Political Theory, New York, Palgrave Macmillan,
2003. Les classifications des courants féministes diffèrent dans la littérature ; sur la question des
nouvelles technologies reproductives, le débat est principalement animé par quatre courants : les
socialistes/marxistes, les radicales rejointes par les éco-féministes, les libérales, et plus récemment
les post-modernistes, particulièrement dans les pays anglo-saxons.
2. Sulamit Firestone a été une des premières à s’intéresser aux nouvelles technologies de la
reproduction dans son ouvrage The Dialectics of Sex, The Case for Feminist Revolution, Londres,
Capestone, 1970.
3. Notamment : Rita Arditti, « Reducing Women to Matter », Women’s Studies International
Forum, 8 (4), 1985, p. 577-582 ; Gena Corea, « How the New Reproductive Technologies Could
Be Used to Apply the Brother Model of Social Control Over Women », Women’s Studies Interna-
tional Forum, ibid., p. 229-305 ; et The Mother Machine. Reproductive Technologies from Artificial
Insemination to Artificial Wombs, New York, Harper & Row, 1985.
4. Voir les travaux de Françoise d’Eaubonne, Le féminisme ou la mort, Paris, P. Horay, 1974,
ainsi que Écologie, féminisme : révolution ou mutation ?, Paris, A.T.P, 1978.
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sive aux femmes des tâches relatives au foyer familial 2.
Si la problématisation de l’avortement en tant que droit à l’autonomie reproductive
n’avait pas été une tâche aisée dans les années 1970, la problématisation de la procréation
médicalement assistée s’est révélée être encore plus ardue et les féministes ont connu un
succès contrasté, que nous illustrerons dans les pages suivantes à partir des cas français
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l’intervention étatique, avec l’introduction d’un article sur la procréation médicalement
assistée dans la Constitution fédérale en 1992 et l’élaboration d’une loi d’application en
2000. Placée sous le sceau d’une large interdiction, elle a banni la plupart des techniques
de procréation médicalement assistée, et notamment le don d’ovule ainsi que le don
d’embryon. Les rares techniques autorisées sont très strictement encadrées et ne sont
quasiment pas remboursées par l’assurance maladie. Seuls les couples hétérosexuels sont
autorisés à y recourir, et de par l’interdiction des dons d’ovule et d’embryon, la principale
motivation de recours tolérée est l’infertilité masculine.
Ainsi, en France et en Suisse, malgré un discours similaire sur la procréation médi-
calement assistée et un manque certain de ressources, la problématisation féministe des
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nouvelles technologies de reproduction a connu des trajectoires très différentes. Nous
montrerons comment les mouvements féministes français se heurtèrent à la controverse
publique centrée sur la légitimité du « désir d’enfant », ce qui les mit face à leurs contra-
dictions internes sur la question du bien-fondé de la maternité et les a exclus rapidement
du débat. En Suisse, au contraire, le discours féministe sur la procréation médicalement
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assistée s’inséra dans une contestation plus large de la légitimité de ces nouvelles tech-
nologies reproductives menée à la fois par la gauche et par les acteurs pro-life. Les
féministes luttèrent notamment pour l’interdiction des dons d’ovule et d’embryon en
dénonçant l’instrumentalisation du corps de la femme par la médecine, ainsi que la pres-
sion maternelle imposée aux femmes stériles. Cette résonance du discours permit aux
féministes, en Suisse, d’influencer de manière beaucoup plus efficace la problématisation
de la question des nouvelles technologies reproductives qu’en France.
La recherche comparative sur le rôle des mouvements féministes dans les politiques
relatives à la reproduction s’est beaucoup concentrée sur la politisation de l’avortement
et tend, pour l’instant, à négliger encore les enjeux relatifs à la régulation de la procréation
médicalement assistée 1. S’intéresser à celle-ci permet d’une part de se pencher sur l’évo-
lution actuelle des mouvements féministes et de comprendre comment, près de trois
décennies après la lutte en faveur de la libéralisation de l’avortement, ils construisent et
problématisent les enjeux liés à la reproduction. D’autre part, la problématisation de la
procréation médicalement assistée est un enjeu de lutte politique. La majorité de la lit-
térature sur les politiques d’avortement s’est cependant concentrée sur l’impact de la
mobilisation féministe en négligeant les deux autres acteurs clefs du champ de la repro-
duction, soit le corps médical et les acteurs pro-life 2. En effet, les défis reproductifs posés
par l’avortement et la procréation médicalement assistée ne tardèrent pas à tirer de leur
quiétude les défenseurs des valeurs chrétiennes, quant au respect de la vie dès son com-
mencement. Les associations anti-avortement lancèrent une contre-offensive musclée,
suivies de près, dans leur entreprise de moralisation de la reproduction 3, par les Églises,
catholique mais également protestantes, selon les contextes nationaux. Face à ces incur-
sions intempestives dans le domaine de la médecine reproductive, les médecins
comptaient bien protéger jalousement leurs prérogatives et profiter du développement
1. A. G. Mazur, Theorizing..., op. cit. ; Dorothy McBride Stetson, Abortion Politics, Women’s
Movements, and the Democratic State, New York, Oxford University Press, 2001.
2. Melanie Latham, Regulating Reproduction. A Century of Conflict in Britain and France.
Manchester, Manchester University Press, 2002 ; Jane Jenson, « Changing Discourse, Changing
Agendas : Political Rights and Reproductive Policies in France », dans Mary F. Katzenstein, Carol
McClurg Mueller, The Women’s Movements of the United States and Western Europe, Philadelphia,
Temple University Press, 1987, p. 68-82.
3. Gene Burns, The Moral Veto : Framing Contraception, Abortion, and Cultural Pluralism
in the United States, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
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LES ENJEUX DE LA PROBLÉMATISATION
DES PROBLÈMES PUBLICS
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L’analyse des politiques publiques, avec les approches dites cognitives, ont mis en
lumière le rôle des idées et des constructions de sens dans l’élaboration et la mise en
œuvre des politiques. Plus particulièrement, les théories de l’agenda-setting ont montré
l’importance de la définition des problèmes politiques sur le processus de formation des
politiques publiques 1. Avec son postulat largement repris dans la littérature qu’un « pro-
blem does not exist out there », David Dery plaida pour une définition non pas « des-
criptive » des problèmes politiques, mais « persuasive », car la définition « choisit de
considérer certains aspects de la réalité comme étant pertinents pour l’action, en vue de
réaliser certains objectifs » 2. Son appel a été largement entendu et il est devenu désormais
difficile de contester, pour reprendre Pierre Muller et Yves Surel, que « faire une politique
publique, ce n’est donc pas résoudre un problème mais construire une nouvelle repré-
sentation des problèmes qui met en place les conditions socio-économiques de leur trai-
tement par la société, et structure par là même l’action de l’État » 3. Deborah A. Stone a
proposé le concept d’histoire causale pour mieux rendre compte de la construction de
ces cadres d’interprétation 4. La définition d’un problème politique comprend une struc-
ture narrative mise en place à partir de la filtration des enjeux potentiels qui nécessite-
raient l’intervention de l’État. Certains, considérés comme importants, sont mis en avant,
tandis que d’autres sont marginalisés, voire passés sous silence. Sont à l’œuvre, lors de
l’élaboration d’une histoire causale, la détermination des causes du problème, l’attribution
de la responsabilité du problème, ainsi que la distribution des blâmes. En outre, la
1. Parmi l’importante littérature sur l’agenda-setting, citons Roger W. Cobb, Charles D. Elder,
Participation in American Politics : The Dynamics of Agenda-Building, Baltimore, Johns Hopkins
University Press, 1973 ; Stephen Hilgartner, Charles L. Bosk, « The Rise and Fall of Social Pro-
blems : A Public Arena Model », American Journal of Sociology, 94 (1), 1988, p. 53-78 ; David
A. Rochefort, Roger W. Cobb (eds), The Politics of Problem Definition. Shaping the Policy Agenda,
Kansas, University Press of Kansas, 1994.
2. David Dery, Problem Definition in Policy Analysis, Lawrence, University of Kansas Press,
1984, p. 25.
3. Pierre Muller, Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998,
p. 31.
4. Deborah A. Stone, Policy Paradox. The Art of Political Decision Making, New York, W.W.
Norton & Co, 1988 ; « Causal Stories and the Formation of Policy Agendas », Political Science
Quarterly, 104 (2), 1989, p. 281-300.
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définition du problème doit comprendre également sa propre solution 1. Un problème ne
peut atteindre l’agenda politique sans que des solutions réalisables et acceptables soient
envisageables d’un point de vue technique et légitimables d’un point de vue politique.
Il a souvent été reproché à l’approche centrée sur les définitions des problèmes poli-
tiques de ne pas parvenir à dégager les mécanismes causaux par lesquels ces définitions
exerceraient une influence sur le processus d’élaboration des politiques publiques. Il est vrai
que cette littérature a eu parfois trop tendance à se focaliser sur la trajectoire d’une seule
définition, que cette dernière ait finalement réussi à s’imposer ou non. Or, de multiples
définitions se retrouvent en concurrence en vue d’accéder à l’agenda public 2. La définition
des problèmes politiques est un enjeu de pouvoir, selon l’adage de Schattschneider 3. Pour
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reprendre P. Muller et Y. Surel, une « prise de parole » et une « prise de pouvoir » sont à
l’œuvre dans les conflits de définition des problèmes publics 4. La problématisation est un
processus de compétition entre les acteurs qui élaborent de manière stratégique des défini-
tions concurrentes. Ainsi que Stone le souligne, l’enjeu est de réussir à imposer le schéma
d’interprétation du problème qui conviendra le mieux pour légitimer la position des acteurs 5.
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Comme l’ont démontré Baumgartner et Jones, la manière dont un problème est défini
a une influence déterminante sur la légitimité des acteurs à participer au processus d’élabo-
ration de la régulation 6. Les acteurs légitimés tentent de limiter les représentations des pro-
blèmes, afin de restreindre l’accès aux arènes de politique publique. Les acteurs peu intégrés
essayent de développer des représentations concurrentes, en les articulant dans d’autres arènes
institutionnelles pour se créer un accès au processus de décision 7. Une définition en termes
techniques permet de concentrer la résolution du problème entre les mains d’un petit cercle
d’acteurs. A contrario, une définition en termes d’enjeu de société ouvre le débat à une palette
beaucoup plus large d’intérêts divergents. Pour les groupes généralement qualifiés d’outsiders,
dans le sens où ils ne bénéficient pas d’un accès assuré au processus de décision, participer
au processus de problématisation des enjeux publics est d’une importance peut-être encore
davantage cruciale. De leur capacité à légitimer et à diffuser leur définition du problème
public dépendra leur association au processus d’élaboration de la politique publique qui visera
à le résoudre. Les mouvements sociaux en général, et les mouvements féministes en parti-
culier, sont des exemples paradigmatiques d’outsiders dans le sens où ils ne disposent, dans
le meilleur des cas, que de faibles ressources institutionnelles.
Les résultats présentés dans la littérature tendent à souligner le rôle contrasté des
féministes dans la problématisation des enjeux publics relatifs à la reproduction 8. Les
1. John W. Kingdon, Agendas, Alternatives and Public Policies, New York, Harper Collins,
1984 ; Janet Weiss, « The Powers of Problem Definition : The Case of Government Paperwork »,
Policy Sciences, 22 (2), 1989, p. 97-122.
2. Déjà souligné dans R. W. Cobb, Ch. D. Elder, Participation..., op. cit., et développé plus
récemment par David J. Houston, Lilliard Richardson, « The Politics of Air Bage Safety. A Com-
petition among Problem Definitions », Policy Studies Journal, 28 (3), 2000, p. 485-501.
3. Elmer E. Schattschneider, The Semisovereign People. A Realist’s View of Democracy in
America, Hinsdale, The Dryden Press, 1975.
4. P. Muller, Y. Surel, L’analyse..., op. cit.
5. D. A. Stone, Policy Paradox..., op. cit.
6. Frank R. Baumgartner, Bryan D. Jones, Agendas and Instability in American Politics, Chi-
cago, University of Chicago Press, 1993.
7. D. A. Rochefort, R. W. Cobb (eds), The Politics..., op. cit.
8. Pour une analyse comparative de la régulation de la reproduction, se référer à Ivar Bleiklie,
Malcom Goggin, Christine Rothmayr, Governing Assisted Reproductive Technology : A Cross-
Country Comparison, Londres, Routledge, 2004 ; D. McBride Stetson, Abortion Politics..., op. cit.,
ainsi qu’à A. G. Mazur, Theorizing..., op. cit.
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instances étatiques en charge des droits des femmes ne semblent pas toujours s’avérer
fructueuses pour les féministes 4. Plus récemment, suivant le tournant culturel adopté
par la recherche sur les mouvements sociaux vers une plus importante prise en compte
du discours, la littérature sur les politiques publiques adoptant une perspective de genre
s’est penchée sur l’impact de la structure d’opportunités discursives et sur les stratégies
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1. M. Latham, Regulating..., op. cit. ; Isabelle Moroni, « Processus de politisation des pro-
blèmes et mouvements féministes : le cas de l’avortement et de la procréation médicalement
assistée », Annuaire suisse de science politique, 34, 1994, p. 99-122 ; Christine, Rothmayr, « Poli-
tikformulierung in der Fortpflanzungstechnologie : Partizipation und Einfluss feministischer Grup-
pierungen im internationalen Vergleich », Österreichische Zeitschrift für Politikwissenschaft, 2,
2003, p. 189-200.
2. La conceptualisation des opportunités politiques varie quelque peu selon les auteurs. En
suivant Kitschelt, la structure des opportunités politiques représente l’ensemble des contraintes et
des opportunités institutionnelles offertes aux mouvements sociaux, et notamment le degré d’ouver-
ture du système aux revendications extérieures et à la présence de la gauche au gouvernement. Cf.,
notamment, Herbert Kitschelt, « Political Opportunity Structures and Political Protest, Anti-Nuclear
Movements in Four Democracies », British Journal of Political Science, 16, 1986, p. 57-85.
3. D. McBride Stetson, Abortion Politics..., op. cit.
4. Pour une discussion plus élaborée, se référer à Amy Mazur dans ce numéro, ainsi qu’à
Joni Lovenduski, Vicky Randall, Contemporary Feminist Politics. Women and Power in Britain,
Oxford, Oxford University Press, 1993 ; Amy G. Mazur, Gender Bias and the State : Symbolic
Reform at Work in Fifth Republic France, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1995 ; et D.
McBride Stetson, ibid.
5. Voir notamment Amy G. Mazur (ed.), State Feminism, Women’s Movements, and Job
Training, New York, Routledge, 2001 ; Joyce Outshoorn (ed.), The Politics of Prostitution, Cam-
bridge, Cambridge University Press, 2004 ; Myra Marx Ferree, « Resonance and Radicalism, Femi-
nist Framing in the Abortion Debates of the United States and Germany », American Journal of
Sociology, 109 (2), 2003, p. 304-344. Plus généralement sur le processus de cadrage, se référer à
Robert D. Benford, David A. Snow, « Framing Processes and Social Movement, An Overview and
Assessment », Annual Review of Sociology, 26, 2000, p. 611-639, et à David Snow, Robert D. Ben-
ford, « Ideology, Frame Resonance and Participant Mobilization », dans Bert Klandermans, Hans-
peter Kriesi, Sidney Tarrow (eds), From Structure to Action, Social Movement Participation across
Cultures, Greenwich, JAI Press, 1987, p. 197-218.
6. Marco Giugni, « Mouvements sociaux », dans Ulrich Klöti, Peter Knoepfel, Hanspeter
Kriesi, Yannis Papadopoulos, Pascal Sciarini (dir.), Manuel de la politique suisse, Zurich, NZZ
Verlag, 2006, p. 346-360, dont p. 350.
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discursives offertes. Un discours est dit résonnant lorsqu’il s’inscrit dans le système de
valeurs et de représentations de sens socialement partagées ; il devient radical lorsqu’il
propose un cadrage qui va à l’encontre de ce système 1. Ainsi que Benford et Snow le
montrent, le degré de résonance du cadrage constitue un facteur prépondérant du succès
des mouvements sociaux en déterminant grandement leur capacité à attirer des res-
sources et des alliés à l’intérieur du système 2. Dans les pages suivantes, nous montre-
rons comment la controverse publique centrée sur la légitimité du désir d’enfant a mis
les féministes françaises face à leurs contradictions internes quant à la maternité et les
a évacuées du débat. En Suisse, au contraire, le discours féministe est entré en résonance
avec une contestation plus large de la légitimité de la procréation médicalement assistée,
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leur permettant ainsi d’influencer de manière beaucoup plus efficace la problématisation
de la question des nouvelles technologies reproductives.
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À la fin des années 1970, la controverse sur l’avortement ne s’était pas encore
totalement apaisée en France lorsque la diffusion de l’insémination artificielle hétérologue
a marqué l’émergence d’une nouvelle controverse qui allait perturber la régulation du
champ de la reproduction. Très rapidement, les premières affaires médiatiques éclatèrent,
suite notamment à l’insémination d’une femme célibataire par le sperme d’un homme
alors en détention carcérale. En 1978 déjà, une proposition de loi visant à réglementer
l’insémination artificielle de manière très libérale avait été déposée au Sénat pour être
rapidement enterrée. Elle prévoyait le libre accès à la procréation médicalement assistée
pour les femmes, son auteur, le sénateur Henri Cavaillet, alléguant qu’il n’existait pas
de raison qui pourrait justifier que « la femme célibataire n’aurait pas la joie d’avoir un
enfant sans pour autant se souffrir d’un homme » 3. Peu après, un symposium international
sur l’insémination artificielle eut lieu, dont l’une des grandes questions porta sur la légi-
timité de l’accès des femmes célibataires ou veuves à l’insémination artificielle. Le débat
sur la procréation médicalement assistée connaissait ses premiers frémissements, il se
tenait en termes genrés. En 1982, la naissance du premier bébé-éprouvette français mit
pour de bon les nouvelles technologies de reproduction sous les feux de la rampe média-
tique. Après une première phase d’engouement pour la prouesse technique 4, le débat
public prit une autre ampleur avec l’irruption de la pratique de maternité de substitution
et la forte augmentation du nombre de centres médicaux de procréation médicalement
assistée 5.
1. M. Marx Ferree, « Resonance and Radicalism... », art. cité ; voir également R. D. Benford,
D. Snow, « Framing Processes... », art. cité.
2. R. D. Benford, D. A. Snow, ibid.
3. Propos rapportés par Libération dans son édition du 7-8 juin 1980.
4. La photo des trois scientifiques fut largement diffusée dans les médias. Le Figaro titra, le
25 février 1985, « Les trois hommes de l’exploit ».
5. En France, la controverse sur la bioéthique dépasse la seule question de la procréation
médicalement assistée. Pour une analyse de l’ensemble des enjeux bioéthiques, voir Dominique
Mehl, Naître ? La controverse bioéthique, Paris, Bayart, 1999.
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Durant les années 1980, le débat public relatif aux nouvelles technologies repro-
ductives est resté très ouvert. De nombreuses définitions étaient articulées en concurrence,
allant de la promotion d’un accès très libéral à ces nouvelles technologies, étendu aux
femmes célibataires et à la maternité de substitution, à une vision déjà plus méfiante du
développement technologique. Les conceptions traditionnelles des rapports de genre et
de parentalité étaient bien représentées dans le débat public. Elles s’étaient déjà faites
entendre en réponse à la proposition de loi de la fin des années 1970 qui entendait
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légitimer un accès très libéral aux nouvelles technologies de reproduction et avaient
convaincu le Sénat, qui s’était prononcé en faveur d’un accès réservé aux femmes mariées
seulement. Les milieux religieux avaient dénoncé le danger de « faire glisser la société
vers une forme des plus suspectes de matriarcat, consacrant la femme dans le rôle de la
mère qui n’accepte pas d’être épouse » 1. C’est avec la question de la maternité de subs-
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titution qu’une distinction qui se révélera très importante dans la suite du débat fut éla-
borée entre le « désir de l’enfant » et le « droit à l’enfant » 2. Le « désir d’enfant » fut
considéré, par les tenants de cette définition, comme légitime et valorisable, la médecine
devait « aider » les couples souffrant de stérilité à se réaliser. Le « droit à l’enfant » devint
a contrario la formule repoussoir pour qualifier toutes les dérives potentielles entraînées
par les nouveaux modes de reproduction, notamment l’accès à la parentalité pour les
personnes célibataires et les couples homosexuels 3. Une autre définition, centrée sur
l’embryon et le respect de la famille traditionnelle, était plutôt sur la défensive dans la
première partie de la controverse et recevait peu d’écho en dehors du milieu catholique.
Confortée par l’instruction Donum Vitae de 1987, cette dernière définition s’opposait à
l’idée même de procréation médicalement assistée, certains membres de l’Église catho-
lique tolérant toutefois l’insémination artificielle homologue pour les couples mariés.
Du côté de la majorité du corps médical, la structure familiale traditionnelle était
également présentée comme la condition sine qua non à l’intérêt du futur enfant. Ainsi,
le corps médical « [se devait] de rappeler le devoir envers l’enfant » face à des demandes
« incongrues » 4. La même argumentation se retrouvait à propos de l’insémination post
mortem. Lorsqu’une femme veuve avait demandé devant les tribunaux la restitution des
paillettes de sperme de son mari, la nécessité de l’« image du père » lui avait été opposée.
Si cette définition consacrait l’ordre de genre traditionnel reposant sur une figure mater-
nelle nécessairement accompagnée d’un mari, les avis divergeaient quant à l’opportunité
d’une législation. Des juristes, notamment, défendirent l’idée d’une large intervention
législative pour combler le « vide juridique » de la procréation médicalement assistée 5.
Des médecins commencèrent à adopter une position normative sur l’accès à celle-ci, soit
en affirmant qu’il devait être réservé aux couples stériles, soit en se contentant de
1. Propos de Michel Viot, pasteur évangélique, rapporté par Le Monde du 22 novembre 1978.
2. Catherine Labrusse-Riou, « Don et utilisation de sperme et d’ovocytes », Actes du colloque
génétique, procréation et droit, Arles, Actes Sud, 1985, p. 255-276 ; D. Mehl, Naître ?..., op. cit.
3. Dominique Memmi, « Vers une confession laïque ? La nouvelle administration étatique
des corps », Revue française de science politique, 50 (1), février 2000, p. 3-20.
4. Georges David, « Don et utilisation du sperme », Actes du colloque génétique..., ibid.,
p. 203-224.
5. Mais d’autres juristes de renom, dont le doyen Carbonnier, n’étaient pas convaincus de
l’urgence d’une loi : cf. Jean Carbonnier, « Rapport de synthèse, Première journée des travaux »,
Actes du colloque génétique, ibid., p. 79-84.
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demander un débat de société et une décision politique pour trancher ces questions 1.
Quant au contrôle des activités de procréation assistée, les médecins estimèrent qu’il
devait rester de l’ordre de la déontologie médicale. Par la suite, ils se montrèrent pro-
gressivement plus nombreux à réclamer également une intervention de l’État dans les
pratiques médicales de procréation médicalement assistée.
Face à ces définitions mettant en valeur l’importance de la famille traditionnelle,
des problématisations alternatives furent défendues par des médecins, des hommes poli-
tiques et des intellectuels. Robert Badinter, alors ministre de la Justice, fit un plaidoyer
très remarqué en faveur de la libéralisation de l’accès aux techniques de procréation en
mars 1985, en affirmant le droit à la « procréation autonome » : « [la femme] peut décider
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seule de porter un enfant et de lui donner la vie sans qu’aucun homme, serait-il le com-
pagnon d’un soir, soit nécessaire à la procréation » 2. Badinter fut soutenu par la plupart
des élues socialistes, qui appelèrent à une « attitude tolérante » envers les nouveaux modes
de reproduction, ainsi que par certaines féministes. La position des féministes, cependant,
était très ambivalente. Certaines d’entre elles défendaient la maternité de substitution, ou
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ne voyaient tout simplement pas les raisons d’une controverse à ce sujet 3. La majorité
d’entre elles y était toutefois fermement opposée, la comparant à une forme de prostitution
et rejetant la commercialisation du corps des femmes 4. De manière générale, les enjeux
des nouvelles technologies de reproduction divisèrent les féministes 5. Certaines s’y mon-
trèrent plutôt favorables et virent, dans la procréation assistée, la continuité de la liberté
de choix quant à l’avortement et la remise en question des rôles traditionnels de genre
face à la maternité 6. Elles furent toutefois très critiques vis-à-vis de l’invisibilité des
femmes dans la controverse et de l’instrumentalisation croissante du corps des femmes.
Les autres, en majorité les radicales, s’opposèrent fortement aux nouvelles technologies
de reproduction qui symbolisaient le renforcement de l’assignation maternelle des femmes
et augmentaient encore la pression à la maternité. Elles craignaient l’exploitation patriar-
cale du corps des femmes, ces dernières étant en passe, selon elles, de devenir des « poules
pondeuses » aux mains des scientifiques 7.
1. Cette position était notamment articulée par René Frydman, un des précurseurs de la fécon-
dation in vitro en France : René Frydman, L’irrésistible désir de naissance, Paris, PUF, 1996.
2. Dans Robert Badinter, « Les droits de l’homme face au progrès de la médecine, de la
biologie et de la biochimie », Le Débat, 36, 1985, p. 4-14.
3. Voir notamment Odette Thibault, « Réflexion d’une femme biologiste et féministe », Actes
du colloque génétique..., op. cit., p. 531-545, ainsi que Marielle Issartel, Les enfants de la chance,
Paris, Denoël, 1988 ; Yvette Roudy, À cause d’elles, Paris, Albin Michel, 1985 ; et Mais de quoi
ont-ils peur ? Un vent de misogynie souffle sur la politique, Paris, Albin Michel, 1995.
4. Gisèle Halimi, La cause des femmes, Paris, Grasset, 1992.
5. Madeleine Akrich, Françoise Laborie, « Introduction », Cahiers du Genre, 25, 1999,
p. 5-17. Il est à relever toutefois que ces enjeux ont davantage mobilisés les intellectuelles féministes
que la base militante. Néanmoins, les divisions exposées ici se retrouvaient également parmi les
militantes de base, ainsi que le montre Philippe Bataille, « La dimension éthique des mouvements
d’action culturelle : réactions de femmes féministes au thème de la fécondation assistée », Infor-
mations sur les sciences sociales, 29 (3), 1990, p. 583-617.
6. Cette position se retrouve, par exemple, chez O. Thibault, art. cité, ainsi que chez
M. Issartel, op. cit.
7. Cette argumentation se retrouve notamment chez Anne-Marie de Vilaine et Monique Vac-
quin : cf. Anne-Marie de Vilaine, « Nouvelles méthodes de procréation, pour qui, pourquoi »,
Citoyennes à part entière, 44, 1985 ; « L’homme machine, la femme cobaye, les bébés éprouvettes
et les enfants de la science », Actes du colloque génétique..., ibid., p. 549-568 ; « La révolution
procréatique est-elle démocratique », dans MFPF (dir.), Colloque L’ovaire-dose..., op. cit.,
p. 115-125 ; Monique Vacquin, Frankenstein ou les délires de la raison, Paris, François Bourin,
1989.
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Durant sa première phase, les mouvements féministes profitèrent d’un bon accès
au débat public. Plusieurs d’entre elles furent invitées à un grand colloque « Procréation
et droit » organisé par le gouvernement en 1985 1. Les féministes cherchèrent également
à mobiliser les femmes et l’opinion publique par leurs propres moyens. Toujours
ministre des Droits des femmes, Yvette Roudy organisa son propre colloque sur la
maternité de substitution, défendant une position modérée, et le Mouvement français
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pour le planning familial (MFPF) fit de même 2. Les mouvements féministes articulaient
cependant une définition de la procréation médicalement assistée centrée sur l’instru-
mentalisation de la femme qui se heurtait de plein fouet aux autres définitions en concur-
rence mettant toutes en valeur la légitimité de la souffrance des couples hétérosexuels
stériles. Cette spécificité du discours féministe montra très rapidement ses limites
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lorsque l’État lança une large consultation publique sur les modalités de la régulation
des nouvelles technologies reproductives. Le changement dans la structuration du débat
public fut très net et la consultation publique a joué un rôle fondamental dans la pro-
blématisation de la procréation médicalement assistée qui conduira finalement aux lois
de bioéthique. La consultation publique institutionnalisa les acteurs construisant la pro-
création médicalement assistée comme un « remède » à l’infertilité du couple hétéro-
sexuel, avec le retour en force des Églises et la domination du corps médical. Parallè-
lement, elle marginalisa les positions remettant en cause les schémas traditionnels. Les
mouvements féministes ne furent que très peu consultés et leur problématisation sera
largement oubliée durant la suite du processus de décision qui mena aux lois de bioé-
thique de 1994. En effet, si les féministes connaissaient de profonds désaccords sur les
nouvelles technologies de reproduction, elles restaient toujours présentes dans le débat
à la fin des années 1980, comme en témoigne l’organisation de plusieurs colloques 3.
Cependant, leur problématisation, centrée sur l’instrumentalisation de la femme, ne
résonnait avec aucune autre problématisation en concurrence, toutes construites autour
du « désir d’enfant ». Les féministes manquèrent d’alliés à l’intérieur pour faire valoir
leur point de vue, notamment au sein de la gauche, et furent maintenues à l’écart du
processus de décision 4.
1. Cependant, selon A.-M. de Vilaine, « La révolution... », ibid., Yvette Roudy aurait été
écartée de ce colloque.
2. Colloque du 3 et 4 décembre 1988 : MFPF (dir.), Colloque L’ovaire-dose..., op. cit. Voir
aussi l’appel au débat de décembre 1988 sur la reproduction médicalement assistée par le Collectif
de femmes pour la réflexion et l’action sur la reproduction médicalement programmé.
3. Voir notamment Helène Rouch, « Nouvelles techniques de reproduction. De la différence
à l’inégalité », dans Marie-Claude Hurtig, Michèle Kail, Hélène Rouch (dir.), Sexe et genre. De la
hiérarchie entre les sexes, Paris, CNRS éditions, 1991, p. 245-255, ainsi que le colloque du MFPF
(dir.), L’ovaire-dose..., ibid.
4. La gauche n’est pas l’unique allié potentiel. En Angleterre, par exemple, le débat sur les
nouvelles technologies de la reproduction s’accompagnait d’une discussion sur le délai d’accès à
l’avortement. Les féministes ont formé une alliance avec les médecins pour défendre des positions
libérales sur les deux enjeux.
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Isabelle Engeli
LA PROBLÉMATISATION
DE LA PROCRÉATION MÉDICALEMENT ASSISTÉE EN SUISSE
LE LANCEMENT DU DÉBAT : LA REMISE EN CAUSE DE LA LÉGITIMITÉ
DU DÉVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUE
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scepticisme en Suisse 1. Si, au début des années 1980, certains cantons avaient entre-
pris de strictement réglementer ce nouveau champ médical, ce fut surtout, en 1987,
le lancement d’une initiative populaire au niveau fédéral par un magazine suisse alé-
manique très populaire qui posa les premiers jalons de la problématisation de la régle-
mentation de la procréation médicalement assistée 2. Comme son nom l’indique, l’ini-
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1. Sous l’égide d’une autorégulation médicale efficace, le nombre de centres médicaux pra-
tiquant la procréation médicalement assistée n’avait pas connu de rapide progression et la maternité
de substitution restait très méconnue.
2. Le Beobachter, soit l’« Observateur ». Cf. Roger Müller, Philippe Ruedin, Laborkinder :
Risiken der Fortpflanzungs- und Gentechnologie beim Menschen, Vorschläge für die Bekämpfung
von Missbräuchen, Glattbrugg, Schweizerische Beobachter, 1987.
3. Cette problématisation négative de la procréation médicalement assistée s’est retrouvée de
manière très similaire en Allemagne : pour une présentation détaillée, se référer à Christine Roth-
mayr, Celina Ramjoué, « Germany : Art Policy as Embryon Protection », dans I. Bleiklie, M.
Goggin, Ch. Rothmayr (eds), Governing Assisted Reproductive Technology..., op. cit.
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échappait.
Quant aux mouvements féministes, ce sont les promoteurs de l’initiative qui les
placèrent sous les feux de la rampe. Pour légitimer une intervention restrictive de l’État
dans les pratiques de procréation médicalement assistée, ils avaient investi des ressources
importantes dans la promotion de leur initiative et avaient envoyé, notamment, une épaisse
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brochure d’argumentation à la plupart des ménages suisses 1. Dans cette brochure expli-
cative, ils mirent en valeur l’argumentation féministe en offrant la parole à Renate Klein,
militante féministe contre les nouvelles technologies reproductives 2. Cette reconnaissance
attira l’attention sur l’argumentation féministe au sujet de la procréation médicalement
assistée alors qu’elle était seulement en train de prendre forme en Suisse. Au milieu des
années 1980, les mouvements féministes étaient dotés de faibles ressources ; ils se bat-
taient déjà, en outre, sur plusieurs fronts, notamment en faveur de la libéralisation de
l’avortement, qui tardait beaucoup en Suisse, et de l’introduction d’une assurance mater-
nité. Le coup de projecteur apporté par les initiants facilita grandement la tâche des
féministes concernées par les enjeux de la procréation médicalement assistée en leur
offrant une plateforme où s’exprimer.
Profitant de cette publicité, la réflexion féministe suisse sur les enjeux de cette
question s’intensifia rapidement, notamment en rejoignant le Réseau international des
femmes contre la procréation médicalement assistée, FINNRAGE, qui lutte contre l’ins-
trumentalisation de la femme par la médecine 3. Fondé en 1984 en Allemagne, ce réseau
allait rapidement s’internationaliser avec la création de sections dans de nombreux pays
et en particulier en Suisse. Dans un premier temps du moins, la question de la procréation
médicalement assistée attira l’attention d’associations féminines et féministes de diffé-
rentes sensibilités. Les associations féminines traditionnelles côtoyaient une nouvelle fois
les féministes radicales, les groupes femmes à l’intérieur des partis d’extrême gauche,
ainsi que les associations libérales en faveur de l’avortement 4. De nouvelles venues firent
leur entrée, les éco-féministes, pendant un temps proches du mouvement antinucléaire,
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très important en Suisse, qui revendiquaient une mise en perspective environnementale
des enjeux de genre 1.
Si l’intérêt pour les enjeux relatifs aux nouvelles technologies reproductives était bien
présent parmi les féministes suisses, elles étaient néanmoins, tout comme en France, très
divisées sur la position à adopter. Pour les radicales et les éco-féministes, la procréation
médicalement assistée était misogyne et devait être interdite. Loin d’accroître la liberté
reproductive, le développement technologique instrumentalisait les femmes et les enfer-
mait dans leur rôle traditionnel de mère, en ciblant la pression maternelle sur les femmes
stériles 2. Secondées par des membres des partis de gauche, les radicales et les éco-
féministes constitueront les fers de lance féministes en faveur de l’interdiction de la pro-
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création médicalement assistée 3. Dans leur crainte de l’eugénisme, elles furent un temps
rejointes par certaines associations de femmes catholiques sur la thématique des « Men-
schen nach Wunsch und Mass » (Des êtres humains sur commande et sur mesure) dans les
années 1980. En revanche, les organisations à tendance libérale adoptèrent un point de vue
plus modéré, se concentrant surtout sur le droit à l’autodétermination des femmes 4.
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C’étaient les répercussions sur la libéralisation de l’avortement qui les préoccupaient et non
les enjeux de la procréation médicalement assistée en eux-mêmes 5. Si ces dissensions sur
le fond étaient bien significatives, elles se résolurent rapidement par la démobilisation des
associations libérales et traditionnelles dès la fin des années 1980. Seule le courant radical
et éco-féministe, ainsi que les représentantes des groupes femmes du parti socialiste et des
Verts restèrent très actifs sur les enjeux des nouvelles technologies de reproduction, obte-
nant de fait un certain monopole du discours féministe sur ce point qui insistait sur les
dérapages de la science et sur l’instrumentalisation de la femme. Selon ce discours, le
développement technologique rendait les femmes vulnérables en, d’une part, menaçant
leur intégrité physique et, de l’autre, en renforçant une conception traditionnelle des rap-
ports de genre axée sur la vocation maternelle. La solution, d’après le discours féministe,
consistait dans l’interdiction de la conception en dehors du corps féminin, afin de protéger
les femmes et de barrer la route à une utilisation abusive de la médecine.
Dans un premier temps, la mise en valeur du discours féministe par les partisans
d’une régulation restrictive de la procréation médicalement assistée ne garantit pas la
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la suite, leur discours fut progressivement repris non seulement par la gauche, mais
également, jusqu’à un certain point, par les démocrates chrétiens au Parlement, qui avaient
pourtant d’abord été parmi leurs plus farouches adversaires dans la controverse sur l’avor-
tement. Le débat parlementaire fit la part belle à l’argumentation féministe. Les Verts,
les socialistes et les démocrates chrétiens firent des femmes et des enfants les victimes
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1. La consultation publique est ouverte en Suisse, toutes les positions envoyées à l’adminis-
tration durant la procédure sont présentées dans le rapport final. Cependant, l’administration fédérale
sollicite directement l’opinion des groupes qu’elle considère comme étant concernés au premier
chef par l’enjeu. Les féministes en firent partie.
2. Pour une analyse de l’ensemble du débat parlementaire suisse sur la procréation médica-
lement assistée, voir I. Engeli, « Controverses... », cité ; et Christine Rothmayr, Uwe Serdült, « Swit-
zerland : Policy Design and Direct Democracy », dans I. Bleiklie et al., Governing Assisted Repro-
ductive Technology..., op. cit., p. 191-208.
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Suisse, développèrent une problématisation centrée sur l’instrumentalisation de la femme
par le développement technologique. En France, cette même problématisation féministe
s’est très rapidement heurtée à un discours dominant principalement axé sur le désir d’enfant
et la souffrance des couples stériles. En Suisse, le discours féministe, pourtant très similaire,
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a résonné davantage. Si les féministes suisses n’ont pas lancé le processus de problémati-
sation de la procréation médicalement assistée, elles ont contribué par la suite à l’alimenter
et certains de leurs arguments ont été largement repris dans l’élaboration de la régulation
qui en a découlé. Certes, le système institutionnel suisse est beaucoup plus perméable aux
revendications des mouvements sociaux que son pendant français, grâce notamment aux
instruments de la démocratie directe et à l’existence d’une importante phase pré-parlemen-
taire largement accessible à l’ensemble des groupes concernés par la régulation. Néanmoins,
le recours à la démocratie directe représente un coût financier et organisationnel que les
mouvements féministes étaient dans l’incapacité d’assumer dans le cas de la problémati-
sation de la procréation médicalement assistée. Faiblement dotées en ressources et déjà
impliquées dans d’autres combats, notamment la libéralisation de l’avortement et l’instau-
ration d’une assurance maternité au niveau fédéral, le mouvement féministe à tendance
radicale et éco-féministe a largement bénéficié de la rampe de lancement offerte par les
promoteurs de l’initiative populaire visant à restreindre fortement les pratiques en matière
de procréation médicalement assistée. La forte résonance du discours féministe avec la
large remise en question de la légitimité du développement technologique a permis au
mouvement féministe suisse de compenser sa faiblesse organisationnelle et institutionnelle
en favorisant, à l’intérieur du processus de décision, la formation d’alliés qui se sont révélés
par la suite de précieux relais de leur argumentation centrée sur l’instrumentalisation de la
femme par la médecine 1.
Isabelle Engeli est docteur en science politique et Max Weber Fellow à l’European
University Institute (Florence). Son travail est notamment paru dans Comparative Euro-
pean Politics, la Revue suisse de science politique, ainsi que dans différentes contributions
à des ouvrages. Elle a récemment co-dirigé un livre sur les politiques du genre : (avec
Thanh-Huen Ballmer-Cao et Pierre Muller) Les politiques du genre, Paris, L’Harmattan,
2007 (Logiques politiques). Ses recherches portent sur l’analyse comparée des politiques
publiques, ainsi que sur la régulation politique des controverses relatives à l’euthanasie,
à la reproduction humaine et à la recherche sur l’embryon (<Isabelle.Engeli@EUI.eu>).
1. Nous remercions Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Patrick Le Galès, Pierre Muller,
Nicolas Sauger, ainsi que les évaluateurs anonymes de la RFSP pour leurs précieux commentaires
et suggestions.
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la procréation médicalement assistée s’intégra dans une plus large contestation de la légitimité
de la procréation médicalement assistée menée à la fois par la gauche et par les acteurs
pro-life. Cette résonance du discours permit aux féministes en Suisse d’influencer de manière
plus efficace la problématisation de la question des nouvelles technologies reproductives.
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Feminist movements have played contrasting roles in the public controversy over regulation
of the assisted reproductive technology sector. While adopting a similar critical discourse,
the feminist problematization of the issue actually achieved its ends in very different ways in
France and Switzerland. In France, feminist movements were faced with a public controversy
mainly focused on the legitimacy of the desire for children. This left the French feminist
movements with their own internal contradictions regarding women’s mothering vocation and
thus severely impaired their capacity to influence the debate. In Switzerland, on the contrary,
the alarmist feminist discourse on reproductive technology coincided with the critical stance
adopted by left-wing parties and, to some extent, pro-life movements. This discursive reso-
nance gave the Swiss feminist movements greater leverage in the public debate.
ANNEXE MÉTHODOLOGIQUE
Pour cette analyse, fondée sur la logique du systematic process tracing, trois types
de sources ont été utilisées dans un souci de triangulation des sources 1.
Documents écrits : les documents officiels tels que rapports parlementaires et rap-
ports aux autorités, débats parlementaires et débats en commission ont été complétés par
les documents émis par les acteurs concernés, tels que prises de position officielles et
auditions publiques, revues et brochures publiées par les associations. Pour une sélection
d’associations, les procès-verbaux des réunions ont également été consultés.
Entretiens : 24 entretiens, de type semi-directif, avec des acteurs directement impli-
qués dans le processus et des experts ont été réalisés. Ces entretiens ont été échelonnés
entre 2002 et 2006. Suite à la demande de certains interviewés, les entretiens ont été
anonymisés.
Articles de la presse écrite : les articles de presse dans une sélection de journaux
français et suisses (alémaniques et romands) ont été consultés sur la période 1968-2006.
1. Pour la liste exhaustive des sources utilisées dans cette recherche, voir I. Engeli, « Contro-
verses... », cité.
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