Vous êtes sur la page 1sur 15

Responsabilité et enjeux du design interactif

par Anastasiia MARKINA


doctorante au CIMEOS, UBFC
&
Thibaud HULIN
maître de conférences au CIMEOS, UBFC

Colloque Propedia,
9e rencontres “entreprise et sacré”

Paris, le 12 décembre 2019


Qu’est-ce que la responsabilité ?
• C’est “l’obligation faite à une personne de répondre de ses actes du fait du rôle, des charges qu'elle doit
assumer et d'en supporter toutes les conséquences” (CNRTL).

• La responsabilité indique un état de dépendance d'une personne (Saillant, Gagnon, 2001) à l'égard de
quelque chose d’externe qu'elle perçoit en se référant au passé (rétrospection, tirer des leçons) ou au futur
(prospection, mesurer les conséquences).

• La responsabilité est déterminée par soit le statut de la personne responsable ainsi nommée, soit par un
accord avec d’autres acteurs sociaux.

• La responsabilité est donc façonnée essentiellement par des facteurs externes (Nouvelle encyclopédie
philosophique, art. Responsabilité, 2010).

En matière de design, une analyse internaliste des interfaces, en termes de fonctionnalités


intrinsèques, échoue à rendre compte de ses conséquences sociales.

Dès lors, comment analyser les facteurs externes qui influencent un produit ou un service,
c’est-à-dire les enjeux en terme de responsabilité sociale ou environnementale ?
Responsabilité
La sociale
responsabilité dedu
sociale designer
designer

Avec Tomás Maldonado (1964), nous pensons que les décisions et les actions du designer
possèdent une double dimension :
• c’est une activité professionnelle qui répond en partie à une demande ou à des prescriptions:
commerciales, utilitaires, artistiques, en vue de produire un objet ou un service ;
• c’est aussi un phénomène socio-culturel, global ou systémique, liées à des injonctions sociales ou à
des normes implicites, qui produisent une vision du monde, une manière de connaître, etc.

La responsabilité du designer est à la fois du côté de l’activité prescrite (déontologie) que du


côté de l’activité sociale (éthique).

Activité Phénomène
professionnelle socioculturel

Prescriptions, Injonctions,
déontologie éthique
LE DESIGN, UNE QUESTIONS DE RECHERCHE
ACTIVITÉ MULTI-
DIMENSIONNELLE
01. Quand et où la responsabilité sociale devient-elle critique
dans la conception d’espaces ou d’interfaces ?
Nous faisons l’hypothèse qu’analyser la
responsabilité sociale d’un design
suppose de partir d'une approche
multidimensionnelle et systémique d’un
produit ou d’un service.
02. Quels choix éthiques un designer doit-il
envisager ?

Pendant la phase de conception, le


designer peut aborder des principes de
responsabilité sociale par l’analyse des
facteurs objectifs et subjectifs qui
l’influrencent.
03. Comment les designers influencent-ils la société ?

Ainsi, le design peut s’analyser à partir


de l’identification des facteurs
● macrosociologiques,
● socio-anthropologiques
● psychogénétiques
04. Comment des projets de design renvoient-ils à la
responsabilité sociale du designer ?
● et environnementaux
qui conditionnent l’activité de production.
Enjeux et responsabilité du design interactif
Le designer interactif conçoit des environnements et des espaces virtuels qui favorisent les interactions humain/machine.
Le succès de ces interactions dépend de nombreux facteurs comme les besoins identifiés par Maslow (1954).

L’analyse de ces besoins fait apparaître selon nous trois types d’enjeux.

Enjeux de sécurité Enjeux de stabilité Enjeux d’inscription dans


émotionnelle des systèmes culturels
Enjeux de sécurité

• A l’origine des études sur les interactions humain/micro-ordinateurs, se développe dans les
1980 des approches anthropocentrées ; celles-ci visent à prévenir les risques et donc à
renforcer la sécurité de l'utilisateur.

• Il s'agit non seulement de sécurité liée à la santé physiologique, mais aussi de sécurité
psycho-cognitive ; par exemple réduire une charge cognitive qui freine la productivité de
l’utilisateur.

• Il ne suffit pas que “ça marche” : il faut aussi prendre en compte le facteur humain pour
concevoir des environnements virtuels qui préservent les corps (TMS) et favorise la
concentration sur la tâche.
Exemple : BlockChain et UX Design

La blockchain est une technologie informatique permettant de sécuriser des


transactions grâce au partage d’un historique ineffaçable sur des serveurs
différents.

L’adoption de cette technologie par une entreprise ne peut pas faire l’impasse sur :
● une expérience de l’utilisateur optimisée (scénarisation et design d’interface)
● une communication adaptée favorisant la confiance (McMill, 2017), la
transparence, l’engagement et l’adoption des utilisateurs, etc. ;

Reliée à l’expérience humaine, cette technologie n’est pas neutre : elle est aussi
porteuse de valeurs qui convergent dans les notions de web décentralisé, de “token
économie”, etc.
Enjeux de stabilité émotionnelle
• Tout utilisateur a besoin d'émotions positives lors d'interactions avec une interface à l’
égard de ses besoins et de ses objectifs.
Les émotions affectent la satisfaction et la motivation à l'égard de la tâche effectuée.
• Pour motiver une personne à atteindre un but, répondre à son besoin n'est pas la seule
condition nécessaire (Victor Vroom, 1964) : l’utilisateur doit également espérer que son
comportement conduira effectivement à la satisfaction de ce besoin, et donc
développer des émotions positives.

• Selon D. Norman, un mauvais design développe une "psychopathologie des choses de


tous les jours” : des objets obscurs entraînent des difficultés d'utilisation et des
émotions négatives chez l’utilisateur.

● La stabilité émotionnelle est liée à la satisfaction des différents besoins humains :


physiologiques, estime de soi, etc.
Exemple : émotion et design dans Facebook

M. Zuckerberg, CEO Roger McNamee,


Facebook co-fondateur de Facebook:

nous essayons de concevoir Facebook is designed


(to design) des algorithmes to monopolize attention...
qui cartographient ce que les Et jouer sur l'instinct, la peur
gens nous disent réellement et et la colère sont les moyens
ce qui est signifiant pour les plus sûrs de le faire.
eux. Ce n'est pas ce sur quoi C'est ainsi qu'ils ont créé un
ils cliquent, ce n'est pas ce ensemble d'outils pour
qui va nous faire le plus de permettre aux annonceurs
revenus, mais ce que les d'exploiter cet auditoire
gens trouvent vraiment émotionnel avec un ciblage
significatif et précieux. au niveau individuel.

Le design du dispositif Facebook influence directement sur les émotions des


utilisateurs, pas seulement les significations..
Enjeux d’inscription dans des systèmes culturels

• Pour Papanek (1985), tout le monde crée et conçoit des objets et des situations : le design est
l’affaire de chacun. C’est une activité humaine culturelle et universelle.
• Papanek cite Verbeek qui prétend que nos artefacts et nos technologies influencent nos
décisions, nos préférences et nos attitudes morales.

• Ainsi, les artefacts servent d'intermédiaires entre l'être humain et son environnement. Lorsque
l’artefact devient instrument (Rabardel, 1995), des schèmes d’utilisation prescrits ou
détournés leur donnent un sens. Cet usage modifie à son tour notre appareil cognitif :
l’humain et la machine s’influencent tour à tour (Simondon, 1969).

• La responsabilité sociale provient du fait que les produits du design participent de la


construction de l’être humain. Ils indiquent alors :
○ des attitudes culturelles du consommateur en général et de l’usager en particulier
(dimension symbolique) ;
○ des valeurs et des normes de comportement (dimension axiologique).
Exemple : design et inscription dans des MOOC
En apparence, la différence entre ces deux dispositifs
de formation est visible ; en réalité la même structure
est sous-jacente numérotée de 1 à 4 : semaine /
module / page / composant, liée à la même technologie
(openEdX).

La différence réside plutôt dans leurs


épistémologies : le premier est centré sur les
contenus, le second favorise les interactions sociales
(chat à droite).

La technologie structure l’apprentissage, et en


retour, les apprentissages vont influencer le design
d’interface.

La formation s’inscrit dans un système culturel,


axiologique et symbolique dans la responsabilité du
designer est d’en mesurer les implications.
Conclusion

• Le design interactif ne peut pas se réduire à un travail sur les fonctionnalités intrinsèques
d’une interface.

• D’autres facteurs sont à prendre en compte relatifs à : la sécurité de l’utilisateur, la stabilité


émotionnelle et l’inscription dans des systèmes culturels, symboliques et axiologiques.

• D’où le besoin de postuler un principe de non-neutralité des interfaces, des objets et des
environnements interactifs pour rendre compte de leur impact social, économique, politique et
environnemental.
BIBLIOGRAPHIE
•  ISO/IEC/IEEE 24765-2010 Systems and software engineering — Vocabulary

•  Norbert Wiener, Cybernetics, or Control and Communication in the Animal and the Machine, 1948

•  Reality User Interface (RUI), "Reconfigured Self as Basis for Humanistic Intelligence", Steve Mann, USENIX-98, New Orleans June 15–19, 1998, Published in: ATEC '98 Proceedings
of the annual conference on USENIX Annual Technical Conference USENIX Association Berkeley, CA, USA ©1998

• "GUI definition". Linux Information Project. October 1, 2004.

• Benkler, Yochai (April 2003). "Freedom in the Commons: Towards a Political Economy of Information". Duke Law Journal. 52 (6): 1245.

• Benkler, Yochai; Shaw, Aaron; Mako Hill, Benjamin. "Peer Production: A Modality of Collective Intelligence"

• Breton Philippe. L'utopie de la communication entre l'idéal de la fusion et la recherche de la transparence. In: Quaderni. N. 28, Hiver 1996. Utopie et imaginaire de la communication.

• Card, Stuart K.; Thomas P. Moran; Allen Newell (July 1980). "The keystroke-level model for user performance time with interactive systems".  Communications of the ACM.  23  (7):
396–410.  doi:10.1145/358886.358895.

• Christoph Dernbach (October 12, 2007). "Apple Lisa". Mac History. Retrieved November 15, 2012.

• Clive Akass. "The men who really invented the GUI". Archived from the original on August 16, 2011

• Dalkir, K. (2011). Knowledge Management in Theory and Practice (second ed.). Cambridge MA: MIT Press.

• Hutter, Marcus (2005). Universal Artificial Intelligence. Berlin: Springer. ISBN 978-3-540-22139-5.

• IEEE 100 - The Authoritative Dictionary Of IEEE Standards Terms. NYC, NY, USA: IEEE Press. 2000. pp.  574–575.  ISBN  0-7381-2601-2.
BIBLIOGRAPHY

• ISO 9241-210:2010 Ergonomics of human-system interaction — Part 210: Human-centred design for interactive systems

• Ivan E. Sutherland Display Windowing by Clipping Patent No. 3,639,736". NIHF. Retrieved 13 February 2016. 

• James Essinger. Ada's Algorithm: How Lord Byron's Daughter Ada Lovelace Launched the Digital Age. — Melville House, 2014. — ISBN 9781612194080.

• Jr, William E. Shotts. The Linux Command Line: A Complete Introduction. 1 edition. San Francisco: No Starch Press, 2012.

• Keen, Andrew (2007). The Cult of the Amateur: How Today's Internet Is Killing Our Culture (3rd ed.). Crown Business.

• MARCUS, A., 1992. Graphic Design for Electronic Documents and User Interfaces. New York: ACM Press Tutorial Series.

• Nilsson, Nils (2009). The Quest for Artificial Intelligence: A History of Ideas and Achievements. New York: Cambridge University Press. ISBN 978-0-521-12293-1.

• Norbert Wiener, La cybernétique : Information et régulation dans le vivant et la machine, Seuil, , « Introduction »,  70.

• Pina, Larry (1990). Macintosh Repair & Upgrade Secrets(1st ed.). Carmel, IN, USA: Hayden Books. p. 236. ISBN 0672484528.

• Sbaffoni, M. M. (2010). Knowledge Management: Basic Approches and Definitions

• Searle, John (1980). "Minds, Brains and Programs". Behavioral and Brain Sciences. 3 (3): 417–457. doi:10.1017/S0140525X00005756.

• Searle, John (1999). Mind, language and society. New York, NY: Basic Books. ISBN 0-465-04521-9. OCLC 231867665

• Turing, Alan (October 1950), "Computing Machinery and Intelligence", Mind, LIX (236): 433–460, ISSN 0026-4423, doi:10.1093/mind/LIX.236.433


Merci de votre attention.

Vous aimerez peut-être aussi