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Journal d’un monstre

Ils ont dit « monstre ». Après leurs têtes étaient toutes déformées et étaient toutes
blanches. Pendant un moment ils ne bougeaient plus. Et après, comme s’ils venaient de se
rendre compte qu’ils étaient toujours là, ils se sont retournés et sont partis en courant.

Ça y est, je suis tout seul, encore une fois. Tout le temps je suis tout seul, et quand des fois je
vois des petits humains, ils disent « monstre », font leurs têtes bizarres, ne bougent plus puis
ils s’en vont, et je suis tout seul. C’est comme ça à chaque fois.

La première fois que je suis arrivé ici, c’était un vieil humain qui m’avait emmené. C’est le
seul qui ne m’ait jamais dit autre chose que « monstre ». Il m’a emmené ici et il m’a dit que
plus jamais je ne devais partir. Que plus loin c’était dangereux et qu’il ne fallait surtout pas
que je bouge. Que jamais je ne devais voir autre paysage que celui que je vois maintenant.
Que si j’allais trop loin ils me feraient du mal, puis ils me tueraient. A lui aussi, il m’a dit. Je
ne sais pas très bien ce que ça veut dire, mais ça avait l’air grave. Il m’a dit aussi que si je les
voyais, je ne devais rien faire, rien du tout il a bien précisé. Alors je l’ai écouté, je ne suis
jamais allé plus loin que ce que je vois, et à chaque fois que je les vois je ne fais rien, rien du
tout, comme il me l’a dit. Et depuis ce premier jour, je ne l’ai plus revu.

Avant ça je ne me souviens de rien. Je ne me souviens que de lui, de cet endroit et de ces


petits humains qui font toujours la même chose.

Je ne comprends pas tout. Des fois, quand je lève la tête et que je regarde très très haut,
c’est tout bleu. D’autres fois, c’est bleu, pareil, mais il y a des tâches blanches dessus ce bleu.
Des fois c’est tout gris, gris clair ou gris plus foncé, et gris presque noir aussi. C’est bizarre. Ça
n’est jamais pareil. Et puis il y a une grosse boule jaune sur le bleu. Oui elle n’est que sur le
bleu, quand c’est gris il n’y a pas de boule jaune. C’est bizarre ça aussi. Et la boule jaune elle
bouge. Des fois elle est en plein milieu, et des fois elle est en bas d’un côté, et plus tard elle
est en bas mais de l’autre côté. Mais tout ça, ce bleu, ce gris et cette boule jaune, ça n’est
que pendant la moitié du temps, enfin à peu près je crois. Le reste du temps c’est tout noir.
Des fois, sur ce tout noir, il y a plein de petits points blancs, je trouve que c’est très joli. Mais
toujours pareil, des fois ces petits points blancs ne sont pas là. Aussi, il y a sur le noir un truc
blanc. Je dis un truc parce que des fois c’est une boule, comme la boule jaune mais en plus
petite, et quand on la regarde on n’a pas mal aux yeux comme avec la boule jaune. Et à
d’autres moments ce truc ressemble plutôt à une feuille d’un arbre, mais cette feuille ne fait
jamais la même taille. Et ce truc blanc aussi, n’est pas toujours là, et quand il est là il change
de place. Je ne comprends pas tout.

Là où je vis il fait froid, il n’y a que de la terre, de l’herbe et des arbres. Les arbres sont très
grands, tous plus grands que moi. J’aimerais aller tout en haut de ces arbres pour voir. Voir
ce qu’il y a au-dessus. Peut-être que je pourrais toucher le bleu, le gris et le noir, la boule
jaune et le truc blanc. Peut-être même que si je prends tout ça et que je les garde avec moi,
les petits humains viendront me voir et arrêteront de juste me dire « monstre »…

Mais c’est quoi monstre !? Moi je n’ai rien fait et rien demandé, j’ai toujours obéit, et
comme ça, ils m’appellent « monstre » ! Pourquoi ?! Et j’en ai marre aussi de rester toujours
là ! Pourquoi est-ce que moi je devrais rester ici, tout seul, autour de ces arbres ? La
prochaine fois qu’ils viendront je leur montrerai. Je leur montrerai. Je leur montrerai que
j’en ai marre de ça, que je veux aller ailleurs, que j’en ai marre qu’ils m’appellent
« monstre » !! Monstre. Monstre. Monstre. Toujours monstre. C’est le seul mot qu’il
connaissent pour moi. Je vais leur montrer que moi j’en connais plus. Cette fois leurs têtes
resteront blanches et immobiles plus longtemps, pour tout le temps. Et ils n’arriveront
même plus à repartir, à courir, comme ils le font chaque fois. A partir de maintenant,
le « pareil » n’existe plus. C’est fini.

Lou Voisin 1G4, Journal d’un monstre, 19/05/2020

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