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Lou Voisin – TG4 – 12/12/20

Textes de Hegel
La sauvagerie, force et puissance de l’homme dominé par les passions, [...] peut être adoucie
par l’art, dans la mesure où celui-ci représente à l’homme les passions elles-mêmes, les
instincts et, en général, l’homme tel qu’il est. Et en se bornant à dérouler le tableau des
passions, l’art, alors même qu’il les flatte, le fait pour montrer à l’homme ce qu’il est, pour
l’en rendre conscient. C’est déjà en cela que consiste son action adoucissante, car il met ainsi
l’homme en présence de ses instincts, comme s’ils étaient en dehors de lui, et lui confère de ce
fait une certaine liberté à leur égard. Sous ce rapport, on peut dire de l’art qu’il est un
libérateur. Les passions perdent leur force, du fait même qu’elles sont devenues objets de
représentations, objets tout court. L’objectivation des sentiments a justement pour effet de
leur enlever leur intensité et de nous les rendre extérieurs, plus ou moins étrangers. Par son
passage dans la représentation, le sentiment sort de l’état de concentration dans lequel il se
trouvait en nous et s’offre à notre libre jugement.

HEGEL

L’art nous procure (...) l’expérience de la vie réelle, nous transporte dans des situations que
notre expérience personnelle ne nous fait pas et ne nous fera peut-être jamais connaître : les
expériences des personnes qu’il représente. Et, grâce à la part que nous prenons à ce qui arrive
à ces personnes, nous devenons capables de ressentir plus profondément ce qui se passe en
nous-même. D’une façon générale, le but de l’art consiste à rendre accessible à l’intuition ce
qui existe dans l’esprit humain, la vérité que l’homme abrite dans son esprit, ce qui remue la
poitrine humaine et agite l’esprit humain. C’est ce que l’art a pour tâche de représenter, et il le
fait au moyen de l’apparence qui, comme telle, nous est indifférente, dès l’instant où elle sert
à éveiller en nous le sentiment et la conscience de quelque chose de plus élevé. C’est ainsi que
l’art renseigne l’homme sur l’humain, éveille des sentiments endormis, nous met en présence
des vrais intérêts de l’esprit. Nous voyons ainsi que l’art agit : 1) en remuant, dans leur
profondeur, leur richesse et leur variété, tous les sentiments qui s’agitent dans l’âme humaine,
2) et en intégrant dans le champ de notre expérience ce qui se passe dans les régions intimes
de cette âme. « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger » : telle est la devise qu’on peut
appliquer à l’art.

HEGEL, Esthétique

En quoi l’œuvre d’art nous rapproche-t-elle de nous-mêmes ? 

Comment puis-je me connaître, prendre conscience de ce qui s’agite en mon for intérieur ? Il semblerait
que je sois la seule à être en mesure de le savoir, étant donné que je suis la seule à y avoir accès. Peut-être
pourrais-je atteindre ce for intérieur à travers l’introspection. Mais cette méthode est-elle réellement efficace,
n’a-t-elle pas de limite, ou fonctionne-t-elle seule ? Pour le philosophe allemand, Hegel, c’est l’art qui permet
d’accéder à nos passions, ou nos sentiments. Mais comment ? En quoi l’œuvre d’art nous rapproche-t-elle de
nous-mêmes ?  

Selon Hegel, l’art montre l’homme à l’homme, lui montre les passions qu’il subit et qui le guident. Il
aide aussi l’homme à se conscientiser, à savoir qui il est. Il amenuise, tempère, apprivoise sa « sauvagerie » en
lui permettant d’extérioriser les passions auxquelles il est soumis, ainsi de les voir, les connaître et pouvoir agir
librement sur elles, ou sans elles. L’art libère, délivre l’homme de ses passions, instincts, et lui permet d’être lui
même puisque qu’il se sait. Les passions deviennent alors presque impuissantes parce que visibles, extérieures à
l’homme, elles sont devenues objet. Désormais beaucoup moins intenses, puisque sorties de l’homme, lui peut
alors les voir, les connaître et agir en conscience. Il porte donc sur elles un regard objectif, et s’en libère.
L’art permet de vivre des choses que nous ne pourrions jamais ressentir sans, nous en sommes
incapables, on vit l’« expérience des personnes qu’il [l’art] représente ». Par exemple, lorsque j’observe un
paysage, je ne peux le voir qu’à travers ma seule perception. Même si l’autre me décrit, m’explique ce qu’il voit,
je ne pourrai, encore une fois, ne me l’imaginer qu’avec ma façon de le faire, mon expérience. Or, par l’art,
l’autre montre comment il voit, perçoit ce paysage. C’est donc seulement en voyant son tableau (ou toute autre
support d’œuvre), c’est-à-dire, par l’art, que je pourrai voir comment l’autre le perçoit.
En nous efforçant de ressentir ce que vivent ces personnes, nous sommes alors plus aptes à ressentir nos propres
expériences, émotions, sensations internes, « ce qui se passe en nous-même ». Nous nous rendons alors plus à
l’écoute de notre for intérieur, nous en prenons pleinement conscience.
L’art est un moyen d’extraire de l’homme ce qui s’agite au plus profond de lui, c’est à dire ses passions, ses
sentiments, ses émotions… Il rend tout cela visible, concret. C’est son but.
L’art représente certaines choses. On se fiche de l’apparence qu’elles prennent, à partir du moment où elles ont
une importance supérieure, en nous faisant ressentir d’autres sentiments, passions, ou quelque prise de
conscience. Ces sentiments ou passions sont les seuls qui nous intéressent alors, ce qui est important c’est de les
découvrir, les rencontrer, s’en apercevoir, peu importe l’apparence qu’ils prennent. C’est en faisant cela, en
donnant une apparence à ce qui anime l’homme au plus profond de lui, que l’art renseigne la personne sur elle-
même. En effet, il met tout cela en évidence, il place l’homme face à ses sentiments, émotions, ou passions, peut-
être même pour la première fois. Alors l’homme ne peut plus passer outre, et se retrouve obligé de les voir, les
observer, d’en prendre conscience ou encore de les prendre en considération, d’agir, avec ou contre.
Ainsi, pour Hegel, l’art tient sa valeur, son essence de deux choses, celle de faire remonter à la surface les
passions de l’homme, et celle de les faire prendre en compte par l’homme, les ajouter pleinement à sa vie.

En somme, l’art nous aide à nous connaître, à savoir qui nous sommes et quels sentiments ou passions
nous guident et nous constituent, en nous faisant porter une plus grande attention sur nous, au travers de
l’expérience d’un autre. Aussi, pour Hegel, ce n’est pas l’art en lui-même, ou l’apparence qu’il donne aux
concepts qu’il dégage, qui sont importants ou intéressants. Pour lui, c’est le fait de nous faire connaitre des
sentiments, ou passions, qui sont trop profondément ancrées en nous.

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