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Comment favoriser le développement

des habiletés de pensée chez nos élèves *

Guy Romano L'éducation devrait permettre aux élèves de développer des


Professeur de psychologie habiletés de pensée (habiletés de base, stratégies de pensée et
Cégep François-Xavier-Garneau habiletés métacognitives) qui les rendent capables d'acquérir,
d'évaluer et de produire des connaissances de façon autonome.
Il existe de nombreux moyens, relativement simples et faciles à
appliquer, que tout enseignant peut utiliser dans ses cours pour
amener les élèves à développer leurs habiletés de pensée.
C omme un des buts du niveau collé-
gial est de favoriser le développe-
ment des habiletés de pensée chez les
élèves et que c’est là, semble-t-il, une des
POURQUOI ENSEIGNER À PENSER ? certaines études (McMillan 1987 ;
principales préoccupations des ensei-
Pascarella 1989) suggèrent que la fré-
gnants des collèges (Reid 1990), il importe
Si l’on se fie au nombre de publications et quentation d’un collège a un effet bénéfi-
d’identifier les stratégies pédagogiques qui,
de recherches sur le sujet, l’enseignement que sur le développement de la pensée
dans le cadre des cours, peuvent favoriser
des habiletés de pensée est devenu, du- critique, la plupart reconnaissent que ce
ce développement. C’est dans cette opti-
rant la dernière décennie, un des princi- changement est très limité. L’étude de
que que je présente ici une synthèse des
paux défis du monde de l’éducation. Dans Welfel (1982), par exemple, démontre que
diverses stratégies qui ont été proposées
une société où l’information abonde et où le niveau de jugement réflexif des élèves a
dans la documentation sur le sujet.
les connaissances se développent à un tendance à augmenter durant leur passa-
rythme effréné, il devient essentiel d’ac- ge au collège, mais que ce changement
Cette synthèse regroupe des conclusions
quérir des habiletés reliées à la pensée est somme toute assez faible, et que le
de travaux de recherche aussi bien que de
critique et à la résolution de problème, et niveau atteint reste relativement bas. Dans
simples suggestions faites par des gens
de développer une certaine autonomie in- une étude sur l’effet que l’enseignement
reconnus comme des autorités dans le
tellectuelle (Beyer 1987 ; Presseisen 1987 ; aux niveaux secondaire, collégial et uni-
domaine. En fait, le principal critère utilisé
Nickerson 1987 ; Marzano et al. 1988). On versitaire peut avoir sur les habiletés de
pour retenir ou non une stratégie était la
croit même que ces habiletés sont néces- raisonnement, Perkins (1985) trouve de
possibilité de la mettre facilement en appli-
saires pour participer à la démocratie com- très faibles gains. Plus près de nous, l’étude
cation dans la plupart des disciplines et par
me citoyen responsable et pour contribuer de Reid et Paradis (1989) sur la formation
la plupart des enseignants, et ce, avec un
à la société technologique comme tra- fondamentale suggère, elle aussi, que les
minimum de coûts. C’est donc dire que les
vailleur productif (Newman 1990a ; Nic- habiletés de pensée des élèves ne se
stratégies qui seront présentées ici sont
kerson 1987). On pense aussi qu’elles développent pas substantiellement durant
relativement simples et faciles à appliquer.
peuvent contribuer au bien-être psycholo- leur passage au collège.
gique des individus et leur garantir de
Mais avant de présenter ces stratégies, il
meilleures chances de succès. C’est pour- Puisque ces habiletés ne se développent
convient d’expliquer pourquoi il est si im-
quoi l’éducation, en plus de transmettre les pas spontanément comme un sous-pro-
portant d’enseigner aux élèves à penser,
connaissances de base d’une culture, de- duit de l’acquisition de connaissances, il
et de préciser aussi ce qu’on entend par
vrait aussi développer les habiletés qui convient de s’interroger sur la meilleure
l’expression « habiletés de pensée ».
rendent les élèves capables d’acquérir, façon de les développer. Bien que la ten-
d’évaluer et de produire des connaissan- dance ait d’abord été de recourir à des
ces de façon autonome. cours portant spécifiquement sur le sujet,
on croit de plus en plus que l’acquisition
* Communication présentée lors du congrès
Collèges célébrations 92, Montréal, mai 1992. Or, selon Nickerson (1988), les rapports et des habiletés de pensée devrait aussi se
les recherches sur les habiletés cognitives faire à l’intérieur de chacun des cours du
Grâce à une subvention du PAREA, l'auteur des finissants du secondaire montrent qu’il curriculum, et ce, quels que soient le ni-
mène actuellement une recherche sur le déve- est possible d’aller à l’école durant douze veau et la matière enseignée (Beyer 1987 ;
loppement des habiletés de pensée ; ce texte
ou treize années sans développer sa com- Presseisen 1987 ; Chambers 1988). Di-
fait une synthèse des principaux points qu'on
retrouve dans le cadre théorique qui sert d'as- pétence à penser. Et il semble en être de verses raisons expliquent cette nouvelle
sise à cette étude. même au niveau collégial : bien que façon de voir.

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Premièrement, on estime que pour avoir ple mémorisation d’informations ou l’appli- qui sont à la base de ces habiletés de
un sens, les habiletés de pensée doivent cation mécanique de règles. pensée : la tolérance à l’ambiguïté, le res-
être apprises et pratiquées par rapport à un pect de la vérité et des preuves, le scepti-
contenu significatif (Marzano et al. 1988 ; On en distingue habituellement trois gran- cisme et la curiosité, etc. Nickerson (1988)
Kurfiss 1988) ; en d’autres termes, il ne des catégories : les habiletés de base, suggère quant à lui de développer des
peut y avoir de pensée de niveau supérieur les stratégies de pensée et les habiletés attitudes comme l’honnêteté intellectuelle,
que lorsqu’il y a un contenu suffisamment métacognitives. Les premières sont des le respect des opinions qui diffèrent des
riche et complexe. Deuxièmement, on croit habiletés qui servent au traitement de l’in- siennes, la tendance à réfléchir avant d’agir,
que ces habiletés ne se transfèrent pas formation : synthétiser, interpréter, appli- la curiosité et le désir d’être bien informé,
nécessairement d’une matière à une autre quer, analyser, évaluer, inférer, etc. Elles etc.
et que leur maîtrise implique une pratique constituent la base même du processus de
dans divers contextes (Beyer 1987). Par pensée. Les stratégies de pensée sont,
exemple, le fait d’apprendre à solutionner quant à elles, constituées d’ensembles STRATÉGIES POUR DÉVELOPPER
des problèmes en mathématiques n’aide d’opérations qui doivent être réalisées en LES HABILETÉS DE PENSÉE
pas vraiment à résoudre des problèmes en séquence et qui demandent une plus gran-
psychologie ou en aménagement. Troisiè- de coordination : solution de problème, Qu’en est-il maintenant des stratégies pé-
mement, la pensée est une composante prise de décision, pensée critique, etc. dagogiques qui peuvent être utilisées, dans
essentielle de l’apprentissage. En effet, on Enfin, les habiletés métacognitives sont le cadre des cours, pour favoriser le déve-
tend de plus en plus à considérer l’appren- celles qui permettent de diriger et de con- loppement de ces habiletés et de ces
tissage comme une restructuration et une trôler les deux premières, soit les habiletés dispositions. De façon générale, on peut
révision des schèmes cognitifs de l’élève ; de base et les stratégies de pensée ; on y en distinguer deux grandes catégories :
cela implique un processus de traitement retrouve des opérations de planification, les stratégies qui favorisent la pratique des
de l’information qui dépend à la fois de ses de surveillance et d’évaluation de ses pro- habiletés de pensée et celles qui permet-
connaissances antérieures et de ses habi- pres processus de pensée. tent plus directement leur apprentissage.
letés de pensée. Dans cette optique, la
Le premier groupe de stratégies vise à
connaissance et la pensée ne s’opposent
créer un environnement pédagogique qui
pas et doivent donc être enseignées de Les diverses catégories incite les élèves à penser et à réfléchir, et
façon concomitante (Bransfort et al. 1986 ; d'habiletés de pensée
Chambers 1988). qui met l’accent sur l’utilisation du contenu
plutôt que sur son acquisition, alors que le
Habiletés de base second groupe de stratégies vise spécifi-
C’est dire que les enseignants ont une
analyser quement à faire apprendre ces habiletés
double responsabilité : d’abord dévelop-
inférer de pensée, de même que les connaissan-
per les connaissances de base des élèves, comparer
mais aussi leur faire acquérir un répertoire ces et les attitudes qui les supportent.
classifier
d’habiletés qui leur permettent d’utiliser synthétiser
ces connaissances d’une manière signifi- Les stratégies qui favorisent la pratique
prédire
cative (Nickerson 1988). etc. des habiletés de pensée

Stratégies de pensée Rythme de travail permettant de penser


QU’ENTEND-ON PAR solution de problème
HABILETÉS DE PENSÉE ? prise de décision La première stratégie proposée ici est
pensée critique l’adoption d’un rythme de travail permet-
Le thesaurus D’ERIC définit cette notion formation de concept tant aux élèves de penser. Si l’on veut
(thinking skills) de la façon suivante : pensée créatrice qu’ils réfléchissent et se questionnent, il
etc. faut d’abord et avant tout adopter un ryth-
« interrelated, generally “higher-order” co- me qui puisse leur permettre de le faire
gnitive skills that enable human beings to Habiletés métacognitives (Glatthorn et Baron, 1987 ; Raths et al.,
comprehend experiences and information, choisir la stratégie 1986). Il ne devrait donc pas y avoir trop de
apply knowledge, express complex con- surveiller l'exécution matière à couvrir durant les cours et on
évaluer le processus
cepts, make decisions, criticise and revise devrait plutôt voir à l’utilisation active des
etc.
unsuitable constructs, and solve pro- connaissances apprises. Trop souvent, on
blems ». est obnubilé par le contenu et on s’imagi-
ne, à tort, que la qualité d’un cours est liée
On peut donc dire qu’il s’agit des opéra- à la quantité de matière qu’on y voit. Or,
tions (comprendre, appliquer, décider, cri- C’est donc dire que notre enseignement plus un cours ou un programme est char-
tiquer, solutionner, etc.) que les élèves devrait être planifié et dispensé de façon à gé, plus les élèves ont tendance à mémo-
sont amenés à effectuer sur un contenu favoriser l’acquisition et l’exercice des ha- riser l’information sans trop y réfléchir et
(faits, concepts, principes, etc.) plutôt que biletés de base et des stratégies de pen- s’interroger sur ce qu’ils apprennent. Cela
ce contenu lui-même. Cette définition met sée, mais aussi le développement des suppose donc un rythme de travail qui
aussi en évidence le fait qu’il s’agit d’habi- habiletés métacognitives. Selon Beyer permette aux élèves de s’engager dans un
letés cognitives d’ordre supérieur, c’est-à- (1987), il faudrait en outre veiller au déve- processus actif de traitement de l’informa-
dire des opérations qui dépassent la sim- loppement des dispositions et des attitudes tion.

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Newman 1990a ; Costa et Marzano 1987 ; relation entre le délai accordé pour répon-
Les stratégies pour développer
Soled 1990 ; Glatthorn et Baron 1985) dre et l’élaboration cognitive à laquelle se
les habiletés de pensée soulignent l’importance du type de livre l’élève ; tout se passe comme si ce
questions posées en classe : celles-ci de- délai lui indiquait implicitement si la ré-
Les stratégies qui favorisent vraient susciter la réflexion et le jugement flexion est nécessaire ou non. Il faut en
la pratique critique plutôt que viser simplement le rap- outre que les réponses de l’enseignant
pel des connaissances ou la vérification de encouragent la pensée au lieu de simple-
Rythme de travail permettant de
la matière apprise. ment sanctionner la réponse de l’élève ;
penser
trop souvent on arrête prématurément et
Climat favorisant la réflexion On parle de questions « de niveau infé- sans trop s’en rendre compte le processus
Questions de niveau supérieur rieur » lorsqu’elles visent le rappel ou la de réflexion de ce dernier. Costa (1981,
reconnaissance d’informations factuelles, 1985) recommande donc d’éviter de criti-
Réponses favorisant l'élaboration alors que les questions dites « de niveau quer positivement ou négativement les ré-
Méthode centrée sur la discussion supérieur » sont celles qui requièrent que ponses des élèves, d’écouter et d’accepter
l’élève traite l’information préalablement leurs idées, et de les aider à poursuivre
Évaluation des habiletés de pensée
apprise pour créer ou appuyer une répon- leur réflexion par des questions de clarifi-
se qui soit logique et cohérente. On utilise cation. Les réponses de l’enseignant de-
Les stratégies qui favorisent d’ailleurs souvent cette expression en ré- vraient encourager l’analyse (Raths et al.
l'apprentissage férence aux trois derniers niveaux de la 1986) et la spécificité (Costa et Marzano
taxonomie de Bloom (1956), soit l’analyse, 1987) ; on peut, par exemple, demander à
Enseignement direct la synthèse et l’évaluation, alors que les l’élève d’expliciter un peu mieux sa pen-
trois premiers niveaux (acquisition, com- sée, l’inviter à donner un exemple pour
Exemplarité
préhension et application) sont dits « d’or- illustrer son propos, lui demander s’il n’y
Centration sur la métacognition dre inférieur ». C’est à ces derniers ni- aurait pas d’autres éléments qui pourraient
veaux qu’on se situe lorsqu’on demande enrichir sa réponse, etc. Toutes ces inter-
aux élèves de donner une définition ou ventions visent à encourager chez l’élève
d’appliquer mécaniquement une règle déjà l’élaboration de sa pensée.
Climat favorisant la réflexion apprise. Pour favoriser le développement
des habiletés de pensée, on aurait cepen- Méthode centrée sur la discussion
La deuxième stratégie suggérée est la dant avantage à poser des questions qui
création d’un climat propice à la réflexion. mettent en œuvre des activités cognitives La stratégie qui est sans doute le plus
Il est en effet très important d’établir et de plus complexes de la part des élèves : souvent citée dans la documentation sur le
maintenir dans la classe un climat qui comparer, analyser, prédire, inférer, criti- sujet est l’utilisation d’une méthode cen-
favorise la réflexion et le questionnement. quer, etc. Cette stratégie mérite d’autant trée sur la discussion. L’examen de nom-
Pour cela, il faut d’abord que chacun puis- plus d’attention que, selon Gall (1984), les breux programmes visant à développer les
se exprimer ses idées sans crainte du recherches tendent à démontrer que les habiletés de pensée révèle qu’ils mettent
ridicule et que le droit à l’erreur soit recon- question posées par les enseignants vi- tous l’accent sur la participation de l’élève
nu ; la classe devrait être considérée sent la plupart du temps le simple rappel et l’exploration active (Nickerson et al. 1985)
comme une sorte de laboratoire ou de des faits et que seulement 20 p. cent de et qu’ils proposent des problèmes ou des
« milieu protégé » où l’on peut s’exercer à leurs questions font appel à la pensée. Si exercices qui visent à susciter la discus-
penser en toute sécurité (Nickerson et al. l’on en croit Dunkin et Barnes (1986) et sion et l’échange (Pintrich et al. 1986).
1985 ; Kurfiss 1988 ; Newman 1990a). Un Kurfiss (1988), les questions posées en McKeachie et ses collaborateurs (1986),
autre déterminant du climat est l’attitude classe au niveau collégial ne requièrent dans une revue de la documentation sur le
d’accueil et d’encouragement de que très rarement l’usage d’habiletés de développement de la pensée critique au
l’enseignant ; il faut que celui-ci démontre pensée de niveau supérieur. niveau collégial, en arrivent à une conclu-
de l’intérêt et du respect pour ce que sion similaire : la discussion est l’ingré-
pensent les élèves, tout en insistant pour Réponses favorisant l’élaboration dient essentiel d’une pédagogie qui vise à
que leur comportement reflète les développer les habiletés de pensée des
dispositions d’une pensée rigoureuse S’il est important de poser des questions élèves.
(Beyer 1987 ; Costa et Marzano 1987). Il qui favorisent la réflexion et le jugement
devrait en outre encourager et valoriser le critique, la manière de répondre aux élè- L’interaction avec l’enseignant aussi bien
plus explicitement possible la réflexion et ves semble, elle aussi, déterminante. Nic- qu’avec les pairs est un très puissant ins-
l’esprit de recherche, et soutenir chez les kerson et ses collaborateurs (1985) remar- trument de développement cognitif : cela
élèves tous les comportements qui vont quent que c’est là un des facteurs de permet de mettre en œuvre des processus
dans ce sens (Costa 1981 ; Glatthorn et l’environnement éducatif qui a le plus d’im- de pensée divers et d’être confronté à
Baron 1985). pact sur le développement de la pensée : d’autres façons de penser, et ce, autant en
plus les réponses de l’enseignant favorisent ce qui concerne les contenus que les pro-
Questions de niveau supérieur l’élaboration, plus elles favorisent la cessus. On comprendra donc pourquoi
pensée. Pour cela, il faut d’abord laisser plusieurs auteurs (Glaser 1984 ; Kurfiss
Une autre stratégie est l’utilisation de ques- aux élèves le temps de penser et ne pas 1988 ; Costa 1985 ; Raths et al. 1986 ;
tions de niveau supérieur. Plusieurs auteurs avoir peur d’utiliser les silences pour favo- Meyers 1986 ; Newman 1990b ; Spear et
(Costa 1987 ; Spear et Sternberg 1987 ; riser leur réflexion. Il y a d’ailleurs une Sternberg 1987) recommandent l’adoption

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de méthodes pédagogiques qui favorisent cette deuxième orientation que renvoient en y ajoutant au besoin des commentaires
la discussion et rejettent l’exposé et la les trois prochaines stratégies. explicatifs (Halpern 1987 ; Beyer 1987).
récitation comme méthodes d’enseigne- Cela permet aux élèves d’observer et de
ment. On suggère donc de commencer les Enseignement direct comprendre les diverses étapes et les di-
cours par des questions ou des problèmes vers processus qui sont impliqués dans un
qui puissent provoquer des débats et des La première de ces stratégies est l’ensei- raisonnement ou dans la résolution d’un
échanges, soit en grands groupes, soit en gnement direct. Certains auteurs (Beyer quelconque problème. On peut noter au
petites équipes de travail. La méthode de 1987 ; McTighe 1987) croient en effet qu’il passage que, selon Costa (1984),
discussion ne doit cependant pas être con- faut enseigner directement les habiletés l'exemplarité est aussi la technique la plus
fondue avec la récitation, où l’interaction de pensée de même que les connaissan- efficace pour développer chez les élèves
est centrée sur l’enseignant qui contrôle en ces et les attitudes qui les supportent ; on des habiletés reliées à la métacognition,
posant des questions et en renforçant les devrait donc les décomposer en éléments ce qui est corroboré par la revue de la
réponses des élèves ; au contraire, dans la plus simples et les faire apprendre aux documentation de McKeachie et ses colla-
discussion, l’interaction se fait dans le grou- élèves en leur fournissant des occasions borateurs (1986).
pe et les élèves considèrent plusieurs points de pratique guidée. Un de ceux qui a le plus
de vue et discutent de choses qu’ils ne insisté sur cet aspect est Perkins (1987) ; Centration sur la métacognition
savent pas. Or, selon Kurfiss (1988), le ce dernier suggère de faire apprendre aux
type d’interaction qu’on observe habituel- élèves des tactiques ou stratégies permet- Costa (1984) affirme que si l’on veut déve-
lement dans les classes de niveau collé- tant de guider et de supporter divers pro- lopper le comportement intelligent, nos
gial dépasserait rarement le jeu-question- cessus de pensée. C’est ce qu’il appelle stratégies éducatives doivent viser le dé-
naire ou le combat d’idées. des « cadres à penser » (thinking frames). veloppement d’habiletés métacognitives
Ces cadres à penser sont en fait des con- chez les élèves : capacité d’identifier ce
Évaluation des habiletés de pensée naissances qui permettent à la personne qu’ils savent ou ne savent pas, habileté à
d’organiser et de structurer ses processus planifier des stratégies pour produire l’in-
Les tâches scolaires que doivent accom- de pensée. Par exemple, le fait de connaî- formation dont ils ont besoin, conscience
plir les élèves orientent directement leur tre les étapes du processus de solution de claire des stratégies et des étapes qu’ils
apprentissage ; elles déterminent les in- problème permet de gérer plus efficace- utilisent pour résoudre des problèmes, et
formations qu’ils apprendront, mais aussi ment les diverses opérations cognitives enfin, capacité d’évaluer l’efficacité de leur
les opérations cognitives qu’ils effectue- requises de même que leur séquence. Ces propre pensée. Selon les termes de Beyer
ront : mémoriser, synthétiser, analyser, cadres à penser peuvent porter sur divers (1987), « enseigner la pensée, c’est aussi
inférer, etc. Comme les élèves ont tendan- objets ou processus : comment faire pour enseigner à penser à sa façon de penser
ce à ne prendre au sérieux que ce qui est résumer un texte, comment s’y prendre de manière consciente et délibérée ». Pour
évalué, il apparaît important que les éva- pour critiquer une idée, comment rédiger ce faire, les enseignants devraient recen-
luations portent aussi sur les habiletés de une dissertation, comment élaborer une trer le plus souvent possible les élèves sur
pensée (Costa 1981 ; Halpern 1987 ; hypothèse, etc. Perkins croit que les ensei- les processus de pensée qu’ils utilisent
Kurfiss 1988). Les travaux que les élèves gnants devraient identifier et décrire le plus (Kurfiss, 1988 ; Nickerson 1988) : on peut,
doivent réaliser à l’intérieur des cours de- clairement possible les divers cadres à par exemple, les interroger sur la méthode
vraient donc favoriser la réflexion et néces- penser qui peuvent être utiles et fournir aux ou les étapes qu’ils entendent traverser
siter le recours à des habiletés de pensée élèves des occasions de les mettre en pour réaliser une quelconque tâche, les
de plus en plus complexes. Il en est de pratique dans divers exercices. Cela aurait inviter à décrire les stratégies qu’ils ont
même des questions d’examens : elles entre autres l’avantage de faciliter le trans- utilisées pour résoudre un problème, leur
devraient dépasser le simple niveau du fert, ce qui est une des principales difficul- demander d’expliquer la nature d’un de
rappel ou de la reconnaissance des tés dans l’enseignement des habiletés de leurs raisonnements, etc. Une autre tech-
informations, et inciter les élèves à déve- pensée. nique consiste à demander aux élèves de
lopper et à articuler leur pensée. Cela est résoudre divers problèmes en pensant à
d’autant plus important que la pratique ne Exemplarité (Modeling) voix haute (Costa et Marzano, 1987 ; Mc-
semble pas aller dans ce sens : Bloom Tighe, 1987 ; Beyer, 1987) ; cela aurait
(1984) croit en effet que plus de 90 p. cent Une autre stratégie possible est l'exempla- l’avantage de les rendre plus conscients
des questions d’examens ne dépassent rité. Certains auteurs (Costa 1981, 1985 ; de leurs processus de pensée, de façon à
pas le niveau de l’information. Et selon Beyer 1987 ; Newman 1990a, 1990b) sou- les rendre capables de mieux planifier,
Dunkin et Barnes (1986), la situation est la lignent en effet l’influence que l’enseignant guider et évaluer ces processus.
même à l’enseignement supérieur. peut avoir en tant que modèle. Par son
comportement, il peut démontrer comment
Les stratégies qui favorisent l’appren- effectuer les diverses opérations cognitives CONCLUSION
tissage des habiletés de pensée qu’il veut développer chez les élèves, mais
aussi illustrer, par son exemple, les Comme on peut le constater, la plupart de
Toutes les stratégies présentées jusqu’ici différentes dispositions qui sont à la base ces stratégies peuvent être facilement mi-
constituent des moyens ou des conditions d’une pensée rigoureuse. Une des ses en application à l’intérieur des cours, et
qui favorisent la pratique des habiletés de techniques qu’on suggère souvent est de ce, dans la plupart des disciplines ensei-
pensée. Certains croient cependant que penser à voix haute : l’enseignant verbali- gnées. Il faut souligner que ces diverses
cela n’est pas suffisant et qu’il y a lieu se en détail tout son processus de pensée, stratégies sont intimement liées les unes
d’enseigner ces diverses habiletés. C’est à et ce, au fur et à mesure qu’il l’effectue, tout aux autres et qu’il est souvent difficile de

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les départager dans la réalité. En fait, il NICKERSON, R. S., « Why Teach Thinking? »
serait sans doute adéquat de parler d’une COSTA, A. L., R. MARZANO, « Teaching the dans J. B. BARON et R. J. STERNBERG (Eds),
Language of Thinking » dans Educational Lea- Teaching Thinking Skills: Theory and Practice,
« approche centrée sur le développement
dership, vol. 45, n° 2, 1987, p. 29-33. New York, Freeman, 1987, p. 27-37.
des habiletés de pensée » ; dans cette
optique, les diverses stratégies présen- DUNKIN, M. J., J. BARNES, « Research on NICKERSON, R. S., « On Improving Thinking
tées pourraient être considérées comme Teaching in Higher Education » dans M. C. Through Instruction » dans Review of Research
des dimensions interreliées, lesquelles per- WITTROCK (Ed.), Handbook of Research on in Education, vol. 15, 1988, p. 3-57.
Teaching (3e édition), New York, MacMillan,
mettent de définir opérationnellement cet- 1986, p. 754-777. NICKERSON, R. S., D. PERKINS, E. SMITH,
te approche. En d’autres mots, on aurait The Teaching of Thinking, Hillsdale (N J), Erl-
avantage à considérer l’ensemble de ces GALL, M., « Synthesis of Research on Tea- baum, 1985.
stratégies et conditions d’enseignement, chers’ Questioning » dans Educational
et à s’intéresser de plus près à l’effet con- Leadership, vol. 42, n° 3, 1984, p. 40-47. PASCARELLA, E. T., « The Development of
Critical Thinking: Does College Make a Differen-
jugué de ces diverses mesures. GLASER, R., « Education and Thinking: The ce? » dans Journal of College Student Develo-
Role of Knowledge » dans American Psycholo- pment, vol. 30, n° 1, 1989, p. 19-26.
C’est d’ailleurs ce que nous tentons de gist, vol. 39, n° 2, 1984, p. 93-104.
faire dans une recherche en cours : nous PERKINS, D. N., « Postprimary Education Has
GLATTHORN, A. A., J. BARON, « The Good Little Impact on Informal Reasoning » dans Jour-
examinons l’enseignement dispensé dans Thinker » dans A. L. COSTA (Ed.), Developing nal of Educational Psychology, vol. 77, n° 5,
notre établissement à partir de l’ensemble Minds: A Resource Book For Teaching Thin- 1985, p. 562-571.
de ces dimensions. Notre but est d’estimer king, Alexandria (Va), Association for Supervision
dans quelle mesure cet enseignement est and Curriculum Development, 1985, p. 49-53. PERKINS, D. N., « Thinking Frames: An Inte-
susceptible de favoriser le développement grative Perspective on Teaching Cognitive
HALPERN, D. F., « Thinking across the Discipli- Skills » dans J. B. BARON et R. J. STERNBERG
des habiletés de pensée des élèves. Ce nes: Methods and Strategies to Promote Hi- (Eds), Teaching Thinking Skills: Theory and
faisant, nous espérons stimuler la réflexion gher-Order Thinking in Every Classroom » dans Practice, New York, Freeman, 1987, p. 41-61.
et inciter les enseignants à s’interroger M. HEIMAN et J. SLOMIANKO (Eds), Thinking
collectivement et individuellement sur l’ef- Skills Instruction: Concepts and Techniques, PINTRICH, P. R., D. R. CROSS, R. B. KOZMA,
ficacité de leur enseignement au regard de Washington (DC), NEA Professional Library, W. J. McKEACHIE, « Instructional Psycholo-
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Pédagogie Septembre 1992


collégiale Vol. 6 n° 1 21

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