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Statue de Ronsard à Paris – square Auguste-Mariette-Pacha

Un extrait de L’art poétique de Boileau :

« Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers,


Débrouiller l’art confus de nos vieux romanciers.
Marot bientôt après fit fleurir les ballades;
Tourna des triolets, rima des mascarades,
A des refrains réglés asservit les rondeaux,
Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.
Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode,

Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,


Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Mais sa muse, en françois parlant grec et latin,
Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.
Ce poëte orgueilleux, trébuché de si haut,
Rendit plus retenus Desportes et Bertaut ».
Les Antiquités de Rome (Du Bellay)

Comme le champ semé / en verdure foisonne, A

De verdure se hausse’ / en tuyau verdissant, B

Du tuyau se hérisse’ / en épi florissant, B

D’épi jaunit en grain,/ que le chaud assaisonne ; A [rehausse]

Et comme en la saison / le rustique moissonne A

Les ondoyants cheveux / du sillon blondissant, B

Les met d’ordre en javelle’, / et du blé jaunissant B [brassés de céréales coupées et non
liées]

Sur le champ dépouillé / milles gerbes façonne : A [botte de céréales ou de fleurs


coupées et liées]

Ainsi, de peu à peu, / crût l’Empire romain, C [croître : grandir progressivement]

Tant qu’il fut dépouillé par la barbare main, C

Qui ne laissa de lui que ces marques antiques D

[personne qui ramasse les épis

Que chacun va pillant : comme on voit le glaneur E qui ont échappé aux
moissonneurs]

Cheminant pas à pas recueillir les reliques D

De ce qui va tombant après le moissonneur. E Joachim du Bellay


Version modernisé du Sonnet CX

CE ris plus doux que l’œuvre d’une abeille,


Ces doubles lis doublement argentés,
Ces diamants à double rang plantés
Dans le corail de sa bouche vermeille,

Ce doux parler qui les mourants éveille,


Ce chant qui tient mes soucis enchantés,
Et ces deux cieux sur deux astres entés [greffer],
De ma Déesse annoncent la merveille.

Du beau jardin de son printemps riant,


Naît un parfum, qui même l’orient
Embaumerait de ces douces haleines.

Et de là sort le charme d’une voix,


Qui tout ravis fait sauteler les bois,
Planer les monts, et montagner les plaines.
Il faut laisser maisons et vergers et jardins,
Vaisselles et vaisseaux que l'artisan burine,
Et chanter son obsèque en la façon du cygne,
Qui chante son trépas sur les bords méandrins.

C'est fait j'ai dévidé le cours de mes destins,


J'ai vécu, j'ai rendu mon nom assez insigne,
Ma plume vole au ciel pour être quelque signe
Loin des appas mondains qui trompent les plus fins.

Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne


En rien comme il était, plus heureux qui séjourne
D'homme fait nouvel ange auprès de Jésus-Christ,

Laissant pourrir çà-bas sa dépouille de boue


Dont le sort, la fortune, et le destin se joue,
Franc des liens du corps pour n'être qu'un esprit.

Quoy mon ame, dors tu engourdie en ta masse ?


La trompette a sonné, serre bagage, et va
Le chemin deserté que Jesuchrist trouva,
Quand tout mouillé de sang racheta nostre race.

C'est un chemin facheux borné de peu d'espace,


Tracé de peu de gens que la ronce pava,
Où le chardon poignant ses testes esleva,
Pren courage pourtant, et ne quitte la place.

N'appose point la main à la mansine, apres


Pour ficher ta charue au milieu des guerets,
Retournant coup sur coup en arriere ta vüe :

Il ne faut commencer, ou du tout s'emploier,


Il ne faut point mener, puis laisser la charue.
Qui laisse son mestier, n'est digne du loier.
Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.

Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,


Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé ;
Adieu, plaisant Soleil, mon œil est étoupé,
Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.

Quel ami me voyant en ce point dépouillé


Ne remporte au logis un œil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant le face,

En essuyant mes yeux par la mort endormis ?


Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis,
Je m’en vais le premier vous préparer la place.

Quand vous serez bien vieille


Pierre de Ronsard
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.

Lors, vous n’aurez servante oyant [ouïr] telle nouvelle,


Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre et fantôme sans os :


Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.


Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578


Élégie à Hélène
Recueil « Poésies diverses » 1587

Six ans étaient écoulés, et la septième année


Etait presque entière en ses pas retournée,
Quand loin d'affection, de désir et d'amour,
En pure liberté je passais tout le jour,
Et franc de tout souci qui les âmes dévore,
Je dormais dès le soir jusqu'au point de l'Aurore ;
Car seul maître de moi, j'allais, plein de loisir,
Où le pied me portait, conduit de mon désir,
Ayant toujours les mains pour me servir de guide
Aristote ou Platon, ou le docte Euripide,
Mes bons hôtes muets qui ne fâchent jamais ;
Ainsi que je les prends, ainsi je les remets ;
Ô douce compagnie et utile et honnête !
Un autre en caquetant m'étourdirait la tête.

Puis, du livre ennuyé, je regardais les fleurs,


Feuilles, tiges, rameaux, espèces et couleurs,
Et l'entrecoupement de leurs formes diverses,
Peintes de cent façons, jaunes, rouges et perses,
Ne me pouvant saouler, ainsi qu'en un tableau,
D'admirer la Nature, et ce qu'elle a de beau ;
Et de dire, en parlant aux fleurettes écloses :
« Celui est presque Dieu qui connaît toutes choses. »
Eloigné du vulgaire, et loin des courtisans,
De fraude et de malice impudents artisans,
Tantôt j'errais seul par les forets sauvages,
Sur les bords enjonchés des peints rivages,
Tantôt par les rochers reculés et déserts,
Tantôt par les taillis, verte maison des cerfs.

J'aimais le cours suivi d'une longue rivière,


Et voir onde sur onde allonger sa carrière,
Et flot à l'autre flot en roulant s'attacher ;
Et, pendu sur le bord, me plaisait d'y pêcher,
Etant plus réjoui d'une chasse muette
Troubler des écailles la demeure secrète,
Tirer avec la ligne, en tremblant emporté,
Le crédule poisson pris à l'hameçon amorcé,
Qu'un grand Prince n'est aise ayant pris à la chasse
Un cerf, qu'en haletant tout un jour il pourchasse,
Heureux, si vous eussiez, d'un mutuel émoi,
Pris l'appât amoureux aussi bien comme moi,
Que tout seul j'avalais, quand par trop désireux
Mon âme en vos yeux bu le poison amoureux.
Puis alors que Vesper vient embrunir nos yeux,
Attaché dans le Ciel je contemple les Cieux,
En qui Dieu nous écrit en notes non obscures
Les sorts et les destins de toutes créatures.
Car lui, en dédaignant (comme font les humains)
D'avoir encre et papier et plume entre les mains,
Par les astres du Ciel, qui sont ses caractères,
Les choses nous prédit et bonnes et contraires ;
Mais les hommes, chargez de terre et du trépas,
Méprisent tels écrits, et ne le lisent pas.

Or, le plus de mon bien pour décevoir ma peine,


C'est de boire à longs traits les eaux de la fontaine
Qui de votre beau nom se brave, et, en courant
Par les prés, vos honneurs va toujours murmurant,
Et la Reine se dit des eaux de la contrée ;
Tant vaut le gentil soin d'une Muse sacrée,
Qui peut vaincre la Mort et les sorts inconstants,
Sinon pour tout jamais, au moins pour un longtemps.

Là, couché dessus l'herbe, en mes discours je pense


Que pour aimer beaucoup, j'ai peu de récompense,
Et que mettre son cœur aux Dames si avant,
C'est vouloir peindre en l'onde et arrêter le vent ;
M'assurant toutefois, qu'alors que le vieil âge
Aura comme un sorcier changé votre visage,
Et lorsque vos cheveux deviendront argentés,
Et que vos yeux, d'Amour, ne seront plus hantés,
Que toujours vous aurez, si quelque soin vous touche,
En l'esprit mes écrits, mon nom en votre bouche.

Maintenant que voici l'an septième venir,


Ne pensez plus, Hélène, en vos lacs me tenir ;
La raison m'en délivre et votre rigueur dure ;
Puis, il faut que mon âge obéisse à nature.
Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse
Pierre de Ronsard
Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse :
Jà la gaie alouette au ciel a fredonné,
Et jà le rossignol doucement jargonné,
Dessus l’épine assis, sa complainte amoureuse.

Sus ! debout ! allons voir l’herbelette perleuse,


Et votre beau rosier de boutons couronné,
Et vos oeillets mignons auxquels aviez donné,
Hier au soir de l’eau, d’une main si soigneuse.

Harsoir en vous couchant vous jurâtes vos yeux


D’être plus tôt que moi ce matin éveillée :
Mais le dormir de l’Aube, aux filles gracieux,

Vous tient d’un doux sommeil encor les yeux sillée.


Çà ! çà ! que je les baise et votre beau tétin,
Cent fois, pour vous apprendre à vous lever matin.

Pierre de Ronsard
Comme on voit sur la branche
Pierre de Ronsard
Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose,
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose;

La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose,


Embaumant les jardins et les arbres d’odeur;
Mais battue, ou de pluie, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt, feuille à feuille déclose.

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,


Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendres tu reposes.

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,


Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort, ton corps ne soit que roses.

Pierre de Ronsard, Amours, 1560

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