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Conversations

Fanchon

Œuvre publiée sous licence Creative Commons by-nc-nd 3.0

Image de couverture : domaine public

En lecture libre sur Atramenta.net

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Préambule

« Conversation » a été préférée à discussion ou


dialogue qui ont un sens plus orienté sur l’échange et/
ou le débat. Il ne s’agit ici que de vivre ensemble,
verser au pot commun…

Du verbe converser, cf. le Robert historique de


langue française :
v. intr. est emprunté (v. 1050) au latin impérial
conservari, proprement « se tourner (versari) vers »
d’où « vivre avec, fréquenter, séjourner », composé de
cum et de versari, forme fréquentative à valeur
réfléchie de vertere « tourner » (verser, version).
◊ Le sens de « demeurer, vivre quelque part » et
celui de « fréquenter qqn » (XIIème s.) étaient usuels
en ancien et moyen français et son attestés jusqu’au
XVIIème s. Le verbe exprimait aussi l’idée de
« circuler, aller et venir sur une même rivière, dans un
même pays » (XIVème s.) et d’ « avoir un commerce
charnel avec qqn ». Dans l’ordre du comportement il
était synonyme de se conduire (1545) Son sens actuel,
échanger des propos avec (1690), s’est dégagé sous
l’influence de conversation, en même temps que celui
de « monologuer, dialoguer mentalement avec »
(attesté aussi en 1690).

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En « direct live »

Au choix : chez le boulanger, le pharmacien, avec


l’employé de la CAF ou des postes, le sommelier au
restaurant ou l’ouvreuse au théâtre, etc. Enfin à
chaque fois que vous rencontrez un inconnu… ou un
oublieux.
L’Un :
‒ Bonjour.
L’Autre :
‒ …ou… a…é… i…or… u
L’Un, précautionneux :
‒ Pouvez-vous articuler, s’il vous plaît, je suis très
sourd…
L’Autre, braillant :
‒ Oh, c’est pas grave, je sais ce que c’est ! Mon
frère père cousin voisin* l’est aussi ! Mais vous n’avez
qu’à porter un appareil…**
L’Un, affichant un grand sourire :
‒ J’en ai déjà deux !
L’Autre, impératif :
‒ Ah, ben alors dans ce cas, vous m’entendez !
L’Un, toujours sur du velours :
‒ Ça dépend du timbre de la voix et de l’articulé, et
si vous criez, mes appareils saturent et je comprends
encore moins…
L’Autre, docte :
‒ Vous devriez apprendre la langue des signes,

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alors.
L’Un, taquin :
‒ Pourquoi, vous la connaissez, vous ?
L’Autre, excédé :
‒ Ben, non, hein, je n’suis pas sourd !
L’Un, hilare :
‒ Et alors, elle me servira à quoi ?…

Variante optionnelle :
L’Un :
‒ Bonjour.
L’Autre :
‒ …ou… a…é… i…or… u
L’Un, précautionneux :
‒ Pouvez-vous articuler, s’il vous plaît, je suis
malentendant…
L’Autre, ahuri :
‒ Hein ?

* Choisissez l’option qui sonne le mieux à votre


oreille…

** À compter de ce mot, et pour une commodité de


lecture, nous ferons comme si le sourd décryptait en
simultané…

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Dans le vif du sujet

Entendons-nous bien, même si très


schématiquement : le sourd de naissance est un
handicapé comme les autres, c’est-à-dire relativement
repérable, puisqu’au lieu de parler, il signe (la LSF ou
langue des signes française), il s’exprime avec les
mains. Le malentendant, lui, est devenu sourd après
l’acquisition du langage oral, il est donc étranger à la
culture des sourds, mais de plus en plus mal adapté à
l’environnement des « entendants », au fur et à
mesure de l’évolution de sa surdité. La majeure partie
des concernés est constituée de personnes d’âge mûr
atteintes de presbyacousie qui est à l’audition ce que
la presbytie est à la vue. Les autres sont devenus
sourds, parfois jeunes, à la suite d’accidents,
mécaniques (bruits, chocs), toxiques (médications) ou
sont atteints de maladies congénitales ou génétiques.
Être désigné comme malentendant ne constitue pas
une précaution oratoire, comme les départements
autrefois inférieurs qui sont devenus maritimes ou
atlantiques, c’est un distinguo sémantique et médical
mais peu usité. Il est exceptionnel que le
malentendant signe, donc son handicap n’est pas
directement perceptible. Au mieux il passe pour un
distrait, au pire pour un ours, pour un distant,
toujours. Un petit indice tout de même, lorsqu’il vous
écoute, c’est d’abord avec les yeux et un petit

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décroché du cou vers l’avant…
En fonction de l’importance de l’atteinte, on
distingue grossièrement trois degrés de surdité. La
légère qui permet de se débrouiller ; chez le sujet
suffisamment jeune, le cerveau met en place lui-même
le processus de lecture labiale. Lorsque le second
stade est atteint, en surdité moyenne, c’est
généralement le moment où la nécessité de se faire
appareiller devient impérative pour l’intéressé. Enfin
le troisième stade de surdité profonde… remanie
profondément la vie relationnelle…

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En gros, ça se passe comment ?

Délicieuse innocence. Bonne conscience à fleur de


peau, la technologie et son enfant illégitime la
publicité sont si riches de promesses… frauduleuses.
Mais il est si bon de pouvoir rêver à un avenir radieux,
des fois que… on ne sait jamais… Vous savez comme
dans ces publicités pour le beurre sans cholestérol ou
d’autres pour financer ses obsèques où l’on voit de
superbes créatures bodybuildées à perruques grises
faisant allègrement du vélo… ou ces grands-pères
apprenant à leurs petits-fils les secrets de la pêche à
la mouche, un pantalon de gros velours masquant le
déhanché de leur prothèse ambulatoire…

Commencez-vous à être gêné dans vos échanges


verbaux ? Vous le signalez à vos connaissances ‒ c’est
le moment où vous allez faire la part du feu et
distinguer vos amis véritables, lesquels vont faire
preuve d’imagination et de sens pratique pour
continuer à échanger avec vous. Et vous allez, comme
les autres handicapés ou malades atteints
sérieusement, découvrir la couardise sous le couvert
des « bonnes paroles » ? « Ne t’inquiète pas, la
science fait des progrès ! ». « On trouvera bien un
nouveau médicament ». « Tu devrais te renseigner :
ils ont sorti de nouveaux appareils ». De toute façon,
eux sont confiants, vous n’êtes qu’un pessimiste qui

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n’y connaît rien.

Autre cas de figure, votre interlocuteur déborde de


bonne volonté, mais il ne saisit pas que si vous le
détronchez avec insistance, si vous êtes pendu à ses
lèvres, ce n’est nullement dans l’intention immodeste
de le draguer, mais pour tenter de caser quelques
consonnes signifiantes entre les voyelles du feu
roulant de syllabes dont il vous bombarde sans
ménagement. Car il a tout aussitôt oublié que vous
venez de lui demander d’articuler. Il est bien
excusable d’ailleurs, pressé qu’il est par l’urgence de
sa rentabilité, il n’a pas le temps d’attendre que vous
ayez tenté de résoudre le rébus de ses borborygmes…
Et, bien qu’il soit au fait de votre handicap, à défaut
de l’admettre, c’est en vous tournant le dos qu’il vous
demande comment vous voulez votre omelette ou
votre médication pour la toux… C’est du moins ce que
vous supposez en bonne logique, sauf qu’il vient de
vous signaler qu’il n’a pas été livré ce jour-là…

Pris isolément, les échanges sur le mode Tournesol


sont cocasses et engendrent des dialogues
surréalistes du meilleur effet comique dont les
conséquences ne sont pas uniquement verbales, hélas.
Au travail surtout. Surtout si votre job touche de près
à la santé des malades. En principe, toute prescription
est écrite, sauf lorsqu’elle se fait en urgence et a
fortiori par téléphone…

Si le handicap vous attrape, il vaut mieux vous faire


une raison et vous arrimer à la patience et à l’humour
comme un forcené. Parfois, vous aurez envie de hurler
ou de poser vos pénates dans une maison forestière
pour y vivre en autarcie. Si vous en avez l’opportunité,

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c’est sûrement le meilleur refuge à condition de
disposer d’une connexion à la toile… et d’une fosse
septique en conformité à la norme AFNOR. Dans ce
but, vous contacterez, dans les meilleurs délais, le
tout nouveau SPANC (Service Public d’Assainissement
Non Collectif) de votre mairie. Prévoyez un budget
conséquent.
Mais sachez que vous allez décevoir. Ceux à qui
vous êtes cher : commerçants de proximité, conjoint,
enfants, amis. Ils trouveront votre attitude de la pire
ingratitude qui puisse exister. Eux qui s’adaptent à
vos lacunes, à votre distraction, à vos à-peu-près, à
votre lenteur.

Car le malentendant est lent. Non que son appareil


locomoteur soit directement affecté par le déficit ˗ ou
alors il cumule un autre handicap et, dans ce cas, il a
vraiment la scoumoune ! Mais sa compréhension
différée lui donne une sorte d’esprit de l’escalier
permanent. Ces secondes de retard à l’allumage,
mises bout à bout, représentent quelques dizaines de
minutes à la fin de la journée et quelques heures par
mois. Au bout d’une année, ce sont des gouffres qui
s’ouvrent dans la biographie de ses proches. Bien sûr,
avec le temps, le murmure des mots doux sur l’oreiller
s’estompe pour ne laisser place qu’à des initiatives
muettes délestées de tout habillage poétique, un
conjoint délicat peut en pâtir. Mais il en faut bien
d’autres pour refroidir un amoureux véritable, surtout
celui qui vous connaît de longue date, au sens le plus
biblique du verbe. Évidemment les partisans de
rencontres furtives vont devoir se montrer autrement
audacieux ou oser s’aventurer sur des sentes peut-
être teintées de perversité…

Là n’est pas le pire. Chacun possède ses domaines

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de faiblesse et il vaut mieux éviter de baigner dans
l’illusion. Le moment le plus difficile reste celui où
s’estompent les murmures des enfants (ou des petits-
enfants). Ces instants précieux, ces apartés de
confidences et de petits secrets de Polichinelle qui
tissent les liens de tendresse et de confiance. Lorsque
les chuchotis se font crachouillis il faut s’inventer des
codes pour ne pas laisser place aux larmes
impuissantes. S’isoler avec l’intéressé, si on le peut.
Différer sans casser l’ambiance. C’est l’apprentissage
le plus sensible de son impuissance et la révolte et la
colère n’y changeront rien. Tout doucement vient le
lâcher prise. Il faut un petit temps d’adaptation, car
les enfants, même et surtout les grands adolescents,
vivent dans l’urgence et l’exigence surtout
affectueuses… Avec de la patience, un surcroît de
tendresse viendra compenser la déficience à condition
qu’elle soit comprise de part et d’autre. Il faut du
temps pour admettre l’irrémédiable.

Toute autre est la vie publique relationnelle. La


présence d’un sourd a l’art de plomber l’ambiance des
réunions amicales. Vous aurez beau vous mettre en
quatre, il ne suivra pas le dixième des conversations
en cours, malgré la meilleure volonté du monde. S’il
est vraiment dans d’excellentes dispositions affectives
à votre égard, il va faire un effort qu’il se gardera bien
de vous laisser deviner de peur de se montrer
désobligeant envers qui lui témoigne de l’intérêt. Mais
en toute sincérité, il s’em… à cent sous de l’heure
dans les réunions ! Si c’est faire preuve de grandeur
d’âme que de lui adresser une invitation, de son côté,
c’est faire preuve d’abnégation que de l’honorer ! En
groupe, il va donc mouvoir ses yeux sur un rythme
positivement vertigineux. Il est assez fatigant de
l’avoir pour vis-à-vis, un peu comme lorsqu’on regarde

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un match de tennis. Sauf qu’en réunion familiale ou
professionnelle, les protagonistes se limitent rarement
à deux. Lui aussi fatigue. Souvent il sourira ou
approuvera à contretemps, il a cependant son utilité
pour passer les plats et ranger la salle.

Certains ignares notoires s’imaginent que le


malentendant profond n’entend rien. Erreur. Hélas
pour lui, dans les cas les plus fréquents, les sons
graves sont relativement bien conservés, les plus
grosses atteintes portant sur les fréquences de la
parole, les aigus. ‒ Oui, même vous, Monsieur à la
voix de ténor, votre voix s’ébroue dans les aigus !
C’est donc lui qui va vous signaler le premier un
roulement de tonnerre lointain que personne n’a
encore perçu. À ce moment de la rencontre, vous ne
douterez pas qu’il s’agit d’un comédien falsificateur.
Et votre colère sera à son comble lorsqu’il refusera
tout net de vous accompagner dans ce délicieux
restau qui diffuse une musique de qualité. C’est que
votre malentendant – a fortiori s’il est appareillé –
perçoit très nettement la ligne rythmique de la basse.
Pire, il ne perçoit pratiquement que ça ! Avec le
meilleur articulé qui se puisse concevoir, vos paroles
n’en constitueront pas moins alors un abominable
machouillis d’onomatopées. Idem, lorsque vous
penserez l’aider à rester dans le coup avec le dernier
disque de votre chanteur préféré, puisque vous savez
qu’il écoute au casque. Il va se précipiter sur
l’intérieur de la pochette pour vérifier que les textes y
figurent. Dans le cas négatif – et trop fréquent – il
vous le rendra sur ces paroles bien senties : « Qu’est
ce que tu veux que j’en fasse ? »

Si donc vous en venez à rejoindre la cohorte des

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malentendants profonds, armez-vous de pugnacité.
Faites du bruit, criez, pleurez, tapez du poing sur la
table ou roulez-vous par terre. Enfin, manifestez
autant que vous le pourrez vos difficultés de
communication, car personne ne vous aidera à y faire
face, surtout pas vos collègues. N’oubliez pas que la
surdité est réputée risible en vertu de la cause à
laquelle la gent populaire l’attribue. Là encore ce
n’est pas mauvaise volonté mais ignorance. Votre
médecin traitant ne sera qu’un intermédiaire. Rares
sont ceux qui s’intéressent particulièrement aux
surdités. Il vous confiera au bon vouloir de l’ORL,
mais n’attendez pas qu’il cherche à comprendre les
tenants et les aboutissants de votre handicap. Pour
lui, comme pour le vulgum pecus, vous êtes sourd et,
comme vous êtes désormais appareillé, vous entendez.
Normalement. Du moins le croit-il pendant un certain
temps. Vos difficultés relationnelles au travail, qui
vont croître et embellir, il va les traiter, bien entendu,
à coups d’antidépresseurs. Et si vous n’en sortez pas,
le médecin conseil de la Sécu vous enjoindra une
reprise intempestive. Car vous allez répondre à la
convocation d’un psychiatre qui est là pour juger de
votre état dépressif. Mais n’allez surtout pas imaginer
qu’il puisse établir une relation entre votre dépression
et votre handicap auditif. Il n’est pas « autorisé » à
évaluer les conséquences de votre surdité, il n’est pas
ORL, lui. Il se contrefout de votre graphique
d’audition auquel il « n’entend rien ». Vous pourrez
bien lui expliquer, à haute et intelligible voix, qu’avant
d’être sourdingue vous n’étiez pas dépressif. Ce sera
pis, il sera persuadé que vous cherchez le filon pour
vous défiler.

Nouvelle étape, faire reconnaître son handicap


pour, le cas échéant, obtenir un poste adapté. C’est

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loin d’être gagné dès lors que votre profession
comporte un aspect relationnel. Reconnu tel, vous ne
manquerez pas de patrons intéressés à employer un
handicapé, pourvu qu’il lui fasse exactement le même
usage qu’un valide… Il faut se faire aider. C’est
possible, légalement depuis 2010.
http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/
Plan_en_faveur_des_personnes_sourdes_ou_malentend
antes_-_10_02_2010.pdf
Le plan est ambitieux, est-il budgété ? Renseignez-
vous et insistez. Car si personne ne peut vous
accompagner, faire des démarches prend vite un tour
cauchemardesque, surtout lorsqu’on vous propose le
téléphone comme intermédiaire ultérieur. Est-ce
comique ? C’est administratif. C’est tout de même un
paradoxe que les administrations renseignent sur des
sites informatisés et ne soient pas autorisées à
communiquer par voie de mails. « On vit une époque
moderne ».

Alors bien sûr, il y a l’appareillage. Les célèbres


« sonotones » qui font marrer tout le monde. Si, si !
Sauf qu’il s’agit d’une marque déposée et même
disparue… Il vous en coûtera bonbon pour équiper
une (voire deux) oreilles de prothèses auditives qui
suivent ponctuellement l’évolution des technologies
numériques. Leur coût également. Compte tenu de
celui-ci et du plafond de vos ressources, vous allez
sans doute devoir choisir entre vos dents et/ou vos
oreilles et/ou la puissance de votre prochaine auto…
en ne perdant pas de vue la fragilité des engins dont
la durée optimale de fonctionnement excède rarement
cinq ans. Choisissez entre le charme irrésistible de
votre sourire Guibbs ou votre fonction de délégué
syndical… du moins dans un premier temps. Si vous

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êtes à la l’AME ou la CMU… empruntez une ardoise et
demandez qu’on vous écrive les questions. Non, ce
n’est pas des bénéficiaires que je me moque.
Pour commencer, les plus coquets pourront se
satisfaire d’intras miniaturisés très discrets.
Souvenez-vous d’un président et des gorges chaudes
qui ont accompagné son incapacité… curieusement il
semble que la prise en compte de la surdité ait connu
un pic à cette époque. Qui sait, peut-être serez-vous
du contingent qui pourra se satisfaire de ces modèles.
Vient, pour d’autres, le moment où il faut passer aux
contours qui développent de plus grosses puissances
adaptées à leurs déficits… jusqu’à vérifier le bon vieux
principe de Peter… Chez les femmes, les ressources
de la coiffure sont là pour effacer des ans… pour les
chauves : il vous reste à assumer !

Mais votre appareilleur ne vous a pas tout dit, c’est


qu’il ne faut pas désespérer le gogo ! Vous voilà tout
heureux d’un coup ! Imaginez : en sortant de chez lui,
vous réalisez à nouveau que les oiseaux chantent,
c’est une résurrection ! Si, si, c’est un sentiment
extraordinaire. Bon, vous montez dans votre auto,
tournez la clef et… aïe, aïe, aïe ! Vous n’imaginiez pas
votre petite chérie tellement déglinguée, elle a pris
dix ans ! C’est à croire qu’elle est sur le point de
perdre tous ses boulons ! Il va vous falloir quelques
jours pour vous y faire. Mais vous êtes adepte de vie
saine, vous préférez de loin la marche à pieds. Et vous
avez raison. Surtout par temps calme. Que vienne le
vent et votre promenade digestive va se dérouler la
tête dans le conduit ronflant d’une soufflerie. Ce n’est
pas très grave. Vous pourriez envisager un capuchon,
voire un bonnet, qui a le mérite de protéger
également de la pluie, laquelle est formellement
prohibée sur vos contours, tout autant que la douche

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ou la transpiration à l’été. Or, tout contact proche de
vos zinzins va déclencher les mêmes sifflements et
autre larsen déplaisants tels celui d’une épaule, d’une
autre tête, ou d’un quelconque coussin… Si vous êtes
un inconditionnel de la piscine et myope de surcroît,
prévoyez un accompagnateur ! Enfin sachez que
certains types d’appareils réagissent à tout ce qui,
dans notre environnement, est mû par un moteur
même discret : frigo, ventilateur, que sais-je ? mais
aussi aux diverses çonneries sonneries.
Un petit truc si vous êtes de ceux qui transpirent
beaucoup de la tête (oui, ça existe), vos appareils ne
supportant pas l’humidité, vous allez devoir les quitter
pour jardiner ou à l’occasion de tout autre effort ou
villégiature estivale. Vous pouvez alors vous munir de
bandes de papier absorbant de 2,5 cm de large. Vous
les enroulerez autour de vos appareils ce qui vous
permettra de les conserver en place sans dommage.
Mais pensez à les changer régulièrement avant
imprégnation complète. De retour au bercail, vous
aurez le loisir de passer vos appareils dans le
dispositif de séchage vendu par votre fournisseur. Les
coureurs de marathon devront impérativement les
quitter.

Il va de soi qu’en phase trois, vous aurez adopté de


longue date le téléphone amplifié, le casque sans fil
qu’on branche sur la télé pour écouter sans déranger
son voisin. Attention au changement de télé, si vous
êtes dans les premiers prix, vous aurez besoin d’un
bon bricoleur pour effectuer des raccords
intermédiaires quand les anciens modèles
s’adaptaient spontanément. Ou alors, je suppose qu’il
faut changer également le casque sans fil. Ben
voyons !

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Bon, tous ces « petits détails » s’intègrent avec un
peu de temps. Et il serait bien dommage de refuser
l’aide technique pour des raisons de coquetterie. Trop
de personnes démunies sont contraintes à vivre un
cauchemar de solitude, faute de moyens financiers.
Les maisons de retraite en sont remplies, abruties
sous des camisoles chimiques pour des troubles du
comportement qui ne sont pas toujours le fait de
démences séniles. Quand ce n’est pas la famille (les
futurs héritiers) qui limite l’équipement à une seule
oreille et au premier prix alors que l’aïeul aurait
besoin d’un équipement sérieux et bilatéral…

Pour autant, notre époque (je n’ose pas dire


culture…), qui nous veut d’une jeunesse éternelle, a
tendance à vouloir masquer les manques ou déficits
liés à l’âge. Phénomène qui est encore plus prégnant
dans la population plus jeune. S’il est impossible
d’ignorer que l’un est aveugle ou l’autre handicapé-
moteur, nombre de malentendants se raccrochent au
fait que leur handicap passe inaperçu. Hélas, c’est
ainsi qu’ils s’enfoncent le plus sûrement dans leur
inadéquation au réel, dans leurs échecs. Bien sûr, il
n’est pas question d’imposer quoi que ce soit à qui
que ce soit. Il se trouve que nous avons, entre autres,
une journée dédiée aux sourds une fois l’an. À cette
occasion, les annonceurs de matériel auditif s’en
donnent à cœur joie. Le ministère y va de son petit
couplet sur l’évolution des recommandations. Certes
quelques journaux télévisés sont diffusés
simultanément en LSF. Mais à ce jour, très peu
d’émissions, de films, sont diffusés avec des sous-
titres. Et quelle information pour le grand public ?

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Ce pourrait être un début…

Vous n’imaginez pas la perte de temps que


représente le fait de devoir se justifier sur sa surdité à
tout moment, non plus que la lassitude qui s’ensuit
pour l’intéressé. Quand une petite épinglette rigolote
mettrait chacun au parfum sans devoir en faire tout
un fromage. Avez-vous jamais contesté à un aveugle la
nécessité de sa canne ou son fauteuil roulant à un
paralysé ? Le badge indiquant la surdité existe
maintenant, on le trouve sur la toile, mais pas chez les
appareilleurs, sans doute jouent-ils à fond la carte de
la discrétion.
À bon entendeur : salut !… et surtout… fraternité.

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Appendicule

Mon voisin, garagiste retraité, est sombre. Sa


femme m’annonce qu’il devient sourd, se plaint qu’il
devient acariâtre. Bien sûr, je lui ai demandé s’il
s’intéressait au net où il existe des sites de passionnés
de mécanique et de chasse, ses marottes. Niet. À
l’exception de la rubrique nécrologique du canard
local, il ne lit rien et refuse toute nouveauté. Comme
beaucoup d’autres, il repousse l’échéance et se
rassure de son existence sur le décompte de ses
conscrits. L’ordinateur demeure son apanage à elle, sa
secrétaire/comptable, un domaine réservé et
mystérieux, hérissé de clés et de pièges. Un gadget
féminin, qui sait ? Son époux est un monsieur-je-sais-
tout qui avait pour habitude d’interpeller toute
personne passant à portée de voix pour l’abreuver de
ses conseils. Un maladroit fort en gueule. Depuis deux
ans, son manège avait cessé, mais nul ne s’en était
soucié. C’est, hélas, la règle envers les casse-pieds…

Mon voisin est triste comme un jour sans pain, soit


sans paroles et sans échanges autres que des
banalités de survie. Mon voisin s’ennuie comme des
milliers d’autres. Qui ne savent pas lire, ou l’ont
oublié. Ou n’ont pas les moyens de se procurer un
ordinateur. Ou n’osent pas se lancer dans le grand
bain. Ce monde nouveau qui est là, à portée de clic.

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Magique.

Je veux évoquer le net et ses forums bien sûr, ce


refuge précieux aux sourds. Ces cours du miracle
grouillantes de compagnies distrayantes. Ce lieu qui
n’a de virtuel que le nom où s’agitent des passions, se
nouent des amitiés, où notre cœur change de rythme
lorsque s’allume un voyant. Une Telle a publié !
Philibert Dupont sort un nouvel album ! Un nouveau
sujet sur votre forum favori. Chic ! Pouac ! Ça n’est
pas comme dans la vie. C’est la vie. Dans toute son
intensité. Hommage soit rendu à leurs
masters/concepteurs !

20 août 2012

20
FIN

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