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Laura Moscarelli
Antiphon d’Athènes
et l’antidogmatisme philosophique et juridique
PHILOSOPHIES
Antiphon, un des instigateurs de la révolution oligarchique à Laura Moscarelli ARTISTES
Athènes en 411 avant notre ère, n’a participé à la vie politique
athénienne que pendant la très brève période du gouvernement
des Quatre-cents. Il a été condamné à mort après la prise de
pouvoir par le peuple.
Antiphon d’Athènes
Dans ses écrits, il défend et valorise la physis (la nature) et
attaque explicitement et fortement le nomos (la loi), accusé et l’antidogmatisme

Antiphon d’Athènes et l’antidogmatisme philosophique et juridique

de perpétuer les inégalités parmi les hommes. Pour cela, la
tradition philosophique a souvent interprété la pensée du
sophiste athénien en clé antidémocratique, voire oligarchique.
philosophique et juridique
À l’aide d’une traduction, d’une étude contextualisée et d’une
nouvelle interprétation philosophique, cet ouvrage propose
Fragments et témoignages
une autre lecture : si l’avocat Antiphon sépare théoriquement
le nomos de la physis, c’est pour le rendre critiquable, toujours
modifiable et prêt à s’adapter aux besoins de la communauté
qui évoluent dans le temps ; c’est pour fonder un nomos libre
de tout fardeau dogmatique, un nomos exquisément humain.

Née en 1985 à Rome, Laura Moscarelli est docteure en philosophie de

l’Université Paris 8 Saint-Denis et de l’Université de Naples Federico II. Ses
recherches, dans le domaine de la philosophie ancienne ainsi que politique,
sont caractérisées par la relecture critique et une attention toujours dirigée
vers la contemporanéité. Préface de Michele Corradi

Logo : Fernando Pacheco,

Les philosophes-artistes, 2017.

ISBN : 978-2-343-21295-1
15,50 €
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ANTIPHON D’ATHÈNES
ET L’ANTIDOGMATISME
PHILOSOPHIQUE ET JURIDIQUE
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© L’Harmattan, 2020
5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr
ISBN : 978-2-343-21295-1
EAN : 9782343212951
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Laura Moscarelli

Antiphon d’Athènes
et l’antidogmatisme
philosophique et juridique

Fragments et témoignages

Préface de Michele Corradi

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Du même auteur
Laura Moscarelli, La parole de Protagoras. Fragments
et témoignages, L’Harmattan, Paris, 2017.
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PRÉFACE
Par Michele Corradi

Au livre VIII de la Guerre du Péloponnèse, le grand

historien athénien Thucydide rappelle les événements du
coup d’État de 411, visant à renverser la démocratie pour
établir le gouvernement des Quatre-Cents. L’expérience
politique ne dura guère, et cependant que tous les autres
dirigeants s’exilèrent, Antiphon demeura à Athènes, où il
fut jugé et condamné à mort pour trahison. Nous avons
conservé un éloge de Thucydide extraordinairement
appuyé au sujet d’Antiphon :

« [C’était] un homme qui, parmi les Athéniens de son

temps, ne le cédait à personne en valeur et excellait tant
à concevoir qu’à exprimer ses idées ; sans doute il ne
parlait pas devant le peuple ni dans aucun autre débat s’il
n’y était forcé, et il était suspect à la foule à cause de sa
réputation d’éloquence ; toutefois il n’avait pas son
pareil pour aider, dans les débats des tribunaux aussi bien
que de l’assemblée, quiconque venait lui demander un
conseil1. »

Les biographes anciens voient dans les mots de

Thucydide l’expression d’un disciple dévoué. Au
cinquième siècle après Jésus-Christ, l’obscur Marcellinus

1
Thucydide, VIII, 68, 1, tr. fr. R. Weil et J. de Romilly.
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notamment – ou, peut-être, sa source –, reconstruisant la

vie du grand historien, évoque la gratitude de Thucydide
envers son maître, lequel Thucydide aurait, précisément en
raison de cette gratitude, passé sous silence la fin horrible
d’Antiphon, dont les Athéniens auraient, dit-on, jeté le
corps, sans sépulture, hors de la cité.
Les paroles de Thucydide font ressortir tout le charme
ambigu qu’exerça l’une de ces figures intellectuelles
extraordinaires qu’incarnent les grands sophistes du
Ve siècle tels que Protagoras, Gorgias, Hippias, Prodicos.
D’une part, Thucydide souligne chez Antiphon la
puissance de sa pensée, sa capacité inégalée à parler, le
rôle apparemment caché, mais décisif qu’il joua dans la
vie politique de sa cité ; d’autre part, il met en évidence les
soupçons que les masses nourrirent à son encontre, en
raison de sa grandeur, soupçons qui sont les prémisses
d’abord de la mise à l’écart, puis de l’élimination du
sophiste de la polis. Si, selon Marcellinus, le silence de
Thucydide sur les sévices du corps d’Antiphon est un
signe de gratitude bienveillante, le silence d’une grande
partie de la tradition sur les mérites des sophistes est en
revanche malveillant. Ce silence a en effet provoqué d’une
part la perte presque totale de leurs textes, et, d’autre part,
laissé le champ libre aux philosophes, qui, à partir de
Platon, ont interprété la sophistique d’abord et avant tout
(mais pas seulement) comme la contrefaçon de la vraie
philosophie.
Le cas d’Antiphon est à la fois emblématique et
problématique. Emblématique et fort heureux parce
qu’une partie de textes d’Antiphon a été sauvée du

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naufrage dans lequel ont péri la plupart des écrits des

anciens sophistes : la tradition médiévale a en effet
conservé quelques discours judiciaires, dont les fameuses
Tétralogies et les papyri ont livré de larges fragments du
Sur la vérité et du Sur la concorde. Très problématique
toutefois dans la mesure où les différences stylistiques et,
en partie, idéologiques entre l’Antiphon de la tradition
médiévale et l’Antiphon qui a émergé des sables d’Égypte
ont conduit de nombreux commentateurs à remettre en
question l’unité de la figure du sophiste. Les doutes que
soulève la question de son identité ne sont toutefois pas
récents ; on les trouve déjà exprimés dans l’Antiquité, qui
connaissait plusieurs Antiphon. En raison des différences
stylistiques existant entre les textes, une tradition ancienne,
en effet, en distinguait au moins deux : Antiphon le
sophiste et Antiphon l’orateur. Les interprètes modernes
oscillent depuis longtemps entre une tendance séparatiste
et une tendance unitaire, dans une sorte d’antilogie, digne
des sophistes et d’Antiphon lui-même, opposant avec des
forces égales argument contre argument. De nos jours, le
point de vue unitaire semble être devenu le kreitton logos,
la perspective dominante, chez les commentateurs, qui
divergent toutefois dans les interprétations de la figure du
sophiste qu’ils proposent.
La réévaluation d’Antiphon s’inscrit dans le cadre de
la redécouverte de l’importance du mouvement
sophistique qui, tout en ayant ses prémisses dans l’histoire
de la philosophie de Hegel, en ce qui concerne l’idéalisme
allemand, et dans l’œuvre de George Grote, pour ce qui est
du positivisme anglo-saxon, trouve son origine, dans la
seconde moitié du siècle dernier, dans les œuvres
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monumentales de Mario Untersteiner, William Guthrie et

George Kerferd. Et pour ce qui est plus précisément
d’Antiphon, sa revalorisation a bénéficié des contributions
de savants contemporains : d’une part, de celle de
Fernanda Decleva Caizzi, dont l’édition des Tétralogies
paraît en 1969 et est suivie par un travail remarquable sur
les papyri pour le Corpus dei papiri filosofici greci e latini,
et de celle de Barbara Cassin, dont les pages qu’elle
consacre à Antiphon dans son célèbre Effet sophistique
font date ; d’autre part, de celles de Gerard Pendrick, dont
l’édition commentée des fragments paraît en 2002, et de
Michael Gagarin, dont la monographie de 2002
s’accompagne de nombreux articles sur des problèmes
spécifiques notamment dans le domaine juridique et
rhétorique ; enfin, de celle de Michel Narcy, qui effectue
une reconstruction précise de l’histoire de la question
antiphontéenne, et de celle de Mario Vegetti, qui place la
pensée politique d’Antiphon à l’arrière-plan de ces
anthropologies de la pléonexie avec lesquelles Platon se
mesurera dans la République. Plus récemment encore, le
débat sur le sophiste s’est enrichi des deux volumes
d’Annie Hourcade, qui situent Antiphon dans le contexte
d’une tradition philosophique empiriste aux traits
sceptiques dont les piliers sont les figures de Protagoras et
de Démocrite, et des travaux de Mauro Bonazzi, qui se
concentre sur différents aspects politiques, littéraires et
philosophiques du sophiste qui émergent des sources
anciennes. En 2012 est en outre paru un volume de
Stefania Giombini et Flavia Marcacci sur la deuxième
tétralogie, et, enfin, en 2019, Domingo Placido Suarez a

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publié un volume consacré au thème de l’esclavage chez

Antiphon.
C’est dans le sillage de cette redécouverte de la pensée
et de la figure d’Antiphon que s’inscrit le volume alerte de
Laura Moscarelli, qui propose un point de vue unitaire sur
Antiphon sous les espèces de l’anti-dogmatisme. Après
une introduction générale et une section d’ordre
biographique, qui confirme la position de la chercheuse,
qui prend le parti de rassembler les traits de la figure de
l’orateur et celle du sophiste en une seule figure, qu’elle
reconstruit également à partir de ses ouvrages, Laura
Moscarelli s’attarde sur les aspects fondamentaux de la
philosophie d’Antiphon. Le choix du mot « philosophie »
n’est ni accidentel ni anodin, car elle voit dans le sophiste
un penseur d’une profondeur conceptuelle remarquable,
dont la portée va bien au-delà de la minoration dans
laquelle l’avait cantonné la dévalorisation de l’apport de la
sophistique à laquelle se sont employés les grands
philosophes du IVe siècle. La chercheuse reconstruit la
pensée d’Antiphon à partir de l’opposition entre nomos et
phusis, entre droit et nature, dont la solution se trouverait
dans la perspective politique de l’homonoia, de la
concorde. Contrairement à ce que soutiennent
généralement les commentateurs, Laura Moscarelli ne
considère pas que la critique du nomos soit une position
anti-démocratique conforme à la position politique prise
par le sophiste en 411 ; elle considère que cette critique
relève plutôt de la volonté de séparer le nomos de la phusis
pour que le nomos soit enfin libre de tout fardeau
dogmatique. La critique du nomos est en effet la conditio
sine qua non pour que le nomos puisse être amélioré et
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adapté aux besoins et aux circonstances qui varient dans le

temps. Selon l’auteur, pour Antiphon, la loi doit être au
service de l’homme et non l’homme au service de la loi.
La chercheuse est parfaitement consciente du caractère
hypothétique de la reconstruction qu’elle propose dans les
pages de ce volume. Rassembler les fragments nombreux
et dispersés de la pensée présocratique est certainement
l’un des défis les plus difficiles et les plus excitants pour
l’historien de la philosophie. Laura Moscarelli relève le
défi, prête qu’elle est à assumer tous les risques qu’il
comporte. Respectueuse de la perspective sophistique, elle
soutient toutefois ne pas avoir la prétention de détenir
l’aletheia. Sa seule ambition est de convaincre son lecteur
de l’importance de la pensée d’Antiphon. C’est en raison
de cela que, au terme du volume, Laura Moscarelli
propose un recueil de textes, afin de permettre au lecteur
de se forger sa propre idée du sophiste athénien, au-delà de
la perspective indiquée par l’auteur.
Au-delà de points spécifiques sur lesquels, dans l’esprit
des sophistes, pour reprendre les vers de l’Antiope
d’Euripide, « chacun pourrait susciter un agon de doubles
discours, s’il était savant à parler 2  », la chercheuse
parvient à atteindre son objectif en montrant que la pensée
d’Antiphon devrait constituer un point de référence utile à
l’homme contemporain pour lui permettre de dépasser la
crise dramatique dans laquelle il est immergé, et ce n’est
pas le moindre mérite de Laura Moscarelli que d’avoir su
montrer grâce à ce volume que la recherche historico-

2
Euripide, fr. 89 Kannicht.

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philosophique peut être stimulée par des prises de position

qui assument des perspectives philosophiques fermes et
vigoureuses.

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