Vous êtes sur la page 1sur 81

Centre National TA P U S C R I T

Théâtre Ouvert
des Dramaturgies
Contemporaines Théâtre Ouvert

Elle travaille toujours dans l’Aide sociale


à l’enfance.
Mais plus avec les MNA, les mineurs
non accompagnés. Charlotte Lagrange
On préfère ça, qu’elle ne le fasse plus.

L’Araignée
Son rôle, c’était de s’occuper des
dossiers, les 250 dossiers des enfants
étrangers accueillis dans son

Charlotte Lagrange L’Araignée


département.
Elle devait s’appliquer, pas s’impliquer.
I S B N 9 7 9 - 1 0 - 9 5 4 8 1 - 11 - 9
9 791095 481119

Charlotte Lagrange est née en 1984.


Elle est metteuse en scène, dramaturge et
autrice de plusieurs textes qu’elle met en
scène dont Désirer tant, en novembre 2018,
à La Filature, Scène nationale à Mulhouse
et Les Petits pouvoirs présenté à Théâtre
10 e T T C Ouvert lors du festival Jamais Lu-Paris,
en octobre 2019.
L’Araignée a bénéficié, à Théâtre Ouvert,
d’une session de l’École pratique des
auteurs de théâtre, en décembre 2019 et
janvier 2020.
Elle crée le spectacle en mars 2020,
à Théâtre Ouvert Hors les murs, à la MC93
à Bobigny.
L’Araignée est sa première pièce publiée.
144 T A P U S C R I T
TA P U S C R I T

Le Tapuscrit, pour Théâtre Ouvert, est un moyen


de faire circuler un texte de théâtre choisi parmi les
quelque 600 manuscrits reçus chaque année.

Parce que le théâtre contemporain, pour être


découvert et joué, a besoin d’être lu, Théâtre Ouvert
cherche à provoquer une rencontre entre un
auteur, son texte, des praticiens et des spectateurs.
Ainsi, chaque nouvelle publication est envoyée
gratuitement aux professionnels du théâtre en France
comme à l’étranger, et également mise en vente
au public sur place et chez les libraires.

Créée en 1978, cette collection poursuit son objectif :


faire connaître des textes inédits, révélateurs de ce
qui s’écrit aujourd’hui.
© 2020
Théâtre Ouvert éditions
TA P U S C R I T
Tous droits de reproduction,
d’adaptation, de représentation
et de traduction réservés
pour tous pays.

ISBN 979-10-95481-11-9

Il est diffusé par :


Centre National des
Dramaturgies Contemporaines
Théâtre Ouvert
(association subventionnée
par le ministère de la Culture
et de la Communication
et la Ville de Paris)

4 bis cité Véron 75018 Paris


Téléphone : 01 42 55 74 40
accueil@theatreouvert.com
www.theatre-ouvert.com
Charlotte Lagrange

L’Araignée
D I STRIBU TION

Une femme
PARTIE 1

1 - Vous enregistrez ?

Vous enregistrez ?
Est-ce que vous enregistrez là ?
Parce que moi
Je ne veux pas
Si ça ne vous dérange pas
Je ne préfère pas
Sinon je ne parle pas

2 - Mon nouveau bureau

Ici c’est mon nouveau bureau


Il n’est pas encore très habité
Ça ne saurait tarder

Il vous plaît ?
Il va falloir que je le décore celui-là
L’autre c’était pas
Je n’y étais pas
Je n’y étais plus à la fin

Moi je voulais partir il y a longtemps


C’est eux qui m’ont gardée
C’est eux qui m’ont dit “tu vois tous ces mineurs étrangers”
(C’était MIE1 avant d’être MNA)
Donc “tu vois tous ces Mineurs Isolés Étrangers
Ils ont besoin de toi”

5
Moi à ce moment-là je voulais partir
J’avais prévu de me casser
Tous les cas psy
Les cas sociaux
De la grande et généreuse Aide Sociale à l’Enfance
J’en pouvais plus

3 - Non moi

Non moi
Ça n’était pas une vocation
On ne peut pas dire ça comme ça

Non moi c’était


J’aurais dû faire comme tout le monde ici
Ici tout le monde travaille chez Peugeot
Enfin travaillait
Ma mère chez Peugeot
Mon père chez Peugeot
Mon oncle sa femme
Mes beaux-parents
Et ma grand-mère évidemment
À part ma tante ils y sont tous passés
Et puis petite
Je sais pas
C’est pas politique
Vous voyez c’est juste
L’injustice ça m’a toujours révoltée
Alors les assos
Vous voyez
J’y suis allée toute jeune

6
Ça s’explique pas c’est comme ça
Et quand vous voyez que d’autres sont payés pour ça
Pour travailler dans le social
Alors que j’étais bénévole
C’est pas que c’est très bien payé
Éduc c’est pas Byzance
Mais bon quand même
C’est pas l’usine
A priori

Alors j’ai passé le concours d’éduc spé


Pour m’occuper des gamins en difficulté
Et je suis vite rentrée à l’Aide Sociale à l’Enfance
(Donc l’ASE)
Comme référente administrative
Et c’est petit à petit qu’il y en a eu de plus en plus
Des migrants

Petit à petit on a croulé


Sous les effectifs
On a croulé
Sous le nombre de gamins à orienter à placer à suivre
Vous imaginez
La présidente du département est responsable pénalement et civilement
de près de 250 gosses étrangers
Les fameux MIE devenus entre-temps MNA
(Les Mineurs Non Accompagnés)
250 gosses
Sans parler des autres
Les étrangers c’est quand même que 25 pour cent

7
C’est pas beaucoup pour tout le Doubs 250
Mais pour moi ça faisait beaucoup
J’avais pas le temps de m’occuper de tous les gamins
Des fois c’était du travail à la chaîne
Comme à l’usine
Comme chez Peugeot

4 - Renée

Renée reviens
Vous l’avez vue ?
Vous avez vu passer Renée ?
Je sais qu’elle n’est pas grande mais quand même
Elle est velue

La première fois que je l’ai vue c’était dans mon bureau


Pas celui-là
L’autre
Celui que mon N + 1 m’a reproché de ne pas assez occuper
Je faisais mon boulot moi et je le faisais bien
Je tenais à rester sur le terrain pour ne pas réduire les gosses à des
dossiers

J’ai hurlé
C’était ridicule
Comme une ménagère de cartoon
En voyant pour la première fois cette araignée velue comme tout
Juste là sous ma chaise à 10 centimètres de mes pieds
Mon N + 1 est arrivé à ma rescousse
Il a voulu la tuer avec le dossier qu’il m’apportait
Il a frappé de toutes ses forces sur l’araignée

8
C’était horrible
Elle agonisait sur ma moquette
Mon N + 1 fortement testostéroné s’est armé d’une pelle et d’une
balayette pour la jeter dans les toilettes
Et c’est là que j’ai hurlé une deuxième fois
Je ne sais pas ça m’a pris comme ça
D’un coup
“Non !”

Vous ne trouvez pas vous ?


Elle la cherche.
Ah la voilà
Vous ne trouvez pas vous qu’elle est belle ?
Et puis là
Mourante à mes pieds
Je la trouvais extrêmement émouvante
J’aurais pu rester des heures à la regarder agoniser là sous mes yeux

Qui s’intéresse à une araignée ?


En tout cas pas mon N + 1 qui visiblement avait d’autres chats à
fouetter
Et qui s’est barré en glissant le dossier Z bien en évidence
Là sous mes yeux

Z m’a dit qu’en bambara


(Z est afghan mais il discute beaucoup avec les Maliens du foyer)
Z m’a raconté que les initiés bambaras se faisaient appeler araignées
quand ils avaient atteint un niveau d’intuition et de vie intérieure
très élevé
Va savoir si c’est vrai
Il y avait tellement de mensonges dans son dossier

9
Vous avez des enfants ?
Moi je disais toujours aux gamins “l’ASE c’est votre papa et votre maman
Vous pouvez me faire confiance entièrement
Mais il faut que je puisse moi aussi vous faire entièrement confiance”
Et dans ce dossier je découvre que Z nous a menti
Sur toute la ligne
Z n’était pas un vrai mineur
C’était un vrai menteur

Il avait déjà 21 ans alors qu’il disait en avoir 17


Et en plus il a été dubliné
Il est passé par l’Allemagne
Ça ce n’est pas interdit
Pas en soi
Mais d’après cette loi de Dublin III
Il ne peut pas demander l’asile en France
Il doit repartir en Allemagne

“Alors il a fait deux années ici au chaud en cours de français en formation


de mécanique pour rien ?”
C’est ce que ma nouvelle collègue
Un peu plus expérimentée que moi dans l’enfance mais un peu moins
dans les étrangers
Dit en passant dans mon bureau
Sa voix trop aiguë fait sursauter les longues pattes de l’araignée
“Non mais s’ils sont dublinés les mômes
On devrait le savoir avant
De façon à les accueillir et les scolariser directement dans le pays où
ils devront faire leur demande de séjour ou d’asile non ?”
Cette araignée tarde décidément à rendre l’âme sur ma moquette

10
“Et ce serait mieux pour eux aussi non ?”
J’acquiesce complètement absorbée par les soubresauts de cette bestiole
toute velue

Et c’est seulement quand ma collègue libère enfin mon bureau de sa


présence bien trop aiguë
Que l’araignée s’immobilise
Délicatement
Je retourne mon pot à stylos transparent sur son cadavre
Je pose un Post-it à côté pour interdire qu’on jette la bête dans les
toilettes
Et je pars chercher Z dans son foyer
Pour l’amener à Besançon en attente de son expulsion
Vers l’Allemagne
Vu qu’il nous avait menti sur son âge
Il n’était pas question d’attendre un jour de plus

Z est afghan et je ne me souvenais plus de son histoire


On en lit tellement on ne peut pas se souvenir de tout
Alors quand on les voit ma collègue et moi on utilise des techniques
pour savoir si les parents sont morts ou vivants
Par exemple
À peine entrés dans la voiture je tente une ou deux questions
“Tu voudrais prévenir quelqu’un ?
Un oncle ?
Un ami ?”
Et c’est là que Z se met à parler
Mais pas un mot sur ses parents
Il me parle de l’oncle de son ami bambara
Celui qui est devenu araignée

11
Cette histoire l’a rendu sceptique
Alors il m’explique toutes ses recherches sur les araignées
Leurs filières
Leurs glandes à venin ou séricigènes
Leurs toiles orbitèles ou irrégulières
Et surtout leurs fils de soie qui servent aussi bien à emmailloter leurs
proies qu’à protéger leurs petits

Pendant tout le trajet de Montbéliard à Besançon Z parle et parle et


parle comme s’il n’avait pas peur
Ou plutôt pour conjurer la peur

Mon boulot vous comprenez


J’ai toujours fait en sorte de le faire bien
De le faire au mieux
Monsieur mon N + 1 pouvait en témoigner
Jusqu’à ce que
Ce qu’ils m’ont reproché ensuite ça j’ai encore du mal à l’avaler
Mais ce soir-là dans le miroir je n’avais rien à me reprocher

5 - La pétition

Ils ont lancé une pétition en moins de trois semaines


La Cimade est sur le coup
Une avocate est sur le coup
Les profs du lycée Viette sont sur le coup
Les éducs de son foyer sont sur le coup
Un juriste du foyer rival est sur le coup
Des anonymes sont sur le coup
Même le théâtre municipal est sur le coup

À croire que Z est devenu une figure locale

12
On a une pétition sur le dos
32 000 signatures en tout
Tout le monde est contre moi
Contre l’ASE
Mais c’est moi qui suis référente
Alors je me sens mise en défaut
Et ça ne fait pas plaisir

J’ai rien pu dire à mes deux gosses


Je n’ai rien dit de la soirée
J’ai raté la cuisson du riz que j’ai arrosé de ketchup pour leur faire
passer la couleuvre
Et je les ai laissés piailler jusque très tard en me gavant d’une plâtrée
de riz spongieux

Dans le miroir ce soir-là je n’arrive pas à me reconnaître


Dans le miroir ce que je vois devant moi
C’est une étrangère

“Ça n’est que du travail”


D mon amant doux vient de rentrer de sa garde à l’hôpital
Il a couché les enfants tard mais en douceur
Et il appuie bien sur les mots
Sagement
Posément
“C’est un travail et il faut le faire bien
Il faut le faire à distance
Ne pas mélanger les choses
Ne pas s’identifier à sa fonction”
D est psychologue
Mais les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés

13
D est mon psy sur l’oreiller
Il me répète pour m’endormir
Pour m’apaiser
“Il ne faut pas s’identifier à un rôle dans la société
On est bien plus que ça”
D mon psy sur l’oreiller voit juste
Mais D mon homme ne voit pas lui que notre petit monde est en
train de se fissurer

6 - La nuit l’ASE fait des silhouettes

La nuit l’ASE fait des MNA des silhouettes en OFPRA CADA CAMNA
AS de HCR à l’UNICEF pour qu’un éduc de prév passe à la PAF et
dégomme la préf
La nuit le DEMIE te berce en APJM pour SDF tes gosses tes MIE MNA
devenus SDF et tu te dis non pas le CHU pas le
Il faut appeler l’ONPE pour Z pour S pour eux
Tu sais plus
La nuit je ne sais plus
Et dans le café le matin c’est un peu salé
Pourtant je n’ai pas pleuré
Et encore moins dans mon café
Je ne crois pas
PARTIE 2

1 - La résurrection

Quand j’arrive au bureau


L’araignée
Qui était morte devant moi
Qui avait agonisé devant moi et mon N + 1
Sa carcasse toute velue que j’avais tenté de garder à tout prix en jetant
toutes les femmes de ménage à la porte
En refusant pendant trois semaines que quiconque vienne nettoyer
mon bureau ma moquette devenue linceul
Cette carcasse a recommencé à bouger
Renée est re-née
D’où son nom
C’est quand même mieux que Jésus “Renée” pour une telle résurrection

Peut-être que les araignées sont capables de faire semblant de mourir


devant un danger imminent ?
Si seulement je pouvais faire ça de temps en temps
Me mettre en pause

Avec S il y avait ça parfois


Des pauses

2 - Les nouvelles baskets

Vous avez des enfants vous ?


Avoir des enfants c’est
Ça donne du sens

15
Moi j’ai pas réussi
À donner du sens je veux dire
Des enfants j’en ai
Mais ça ne suffit pas
Avec S c’était différent

S est malien
Pas bambara malheureusement
Cette histoire d’araignée qui élèverait l’esprit il ne la connaît pas
S est soninké
C’est plus important pour lui de dire soninké que malien
Je vais le voir souvent
De plus en plus souvent
Avec les autres gosses qui attendent des mois durant d’avoir une
place en foyer
Des mois durant à attendre à l’hôtel à Belfort Montbé ou Besançon
On pourrait croire que c’est Byzance parce qu’ils ont le petit déj à
volonté et le WiFi même Canal+ dans chaque chambre
Mais de toute la journée ils ne font rien
Ils sont tout seuls et loin de tout

S ce jour-là a de nouvelles baskets


Et c’est pas avec l’argent de la vêture qu’il a pu se payer ça
Personne n’a l’air de le remarquer autour de moi
Même pas le gérant de l’hôtel
Ce n’est pas son “boulot de vérifier”
Lui il “gère l’hôtel” comme l’indique son nom

Il y a deux mois S avait une nouvelle veste


Et depuis
Chaque fois que je lui rends visite

16
Je découvre sur son corps ou dans ses yeux une nouvelle trace de ce
réseau de passe qui l’entraîne à des milliers de kilomètres de son
projet de vie ici

S aujourd’hui sourit dans ses nouvelles baskets


Et me demande avec un air enfantin si le foyer va bientôt l’accepter
“Leele”
Je m’entends dire “leele”
S me reprend
“Leele c’est la tortue madame
Pour dire ça traîne c’est leelene
Vous voulez dire que ça traîne encore pour le foyer ?
– Je n’y peux rien
Ce n’est pas moi qui détermine les chiffres dans le Doubs”
“Dukku” il me dit
C’est pour m’apprendre le verbe attendre
“Et doome
– Oui doome”
Ensemble

Il va à l’école au lycée
Depuis bientôt deux semaines
J’ai négocié ça très officieusement
Avec le voisin du beau-frère de ma sœur
Qui est CPE là-bas

Tous les jours S prend le train


À 6 heures du matin
Et puis encore le bus
Et puis il marche un peu
Il traverse la ZUP pour rejoindre la ZEP

17
Et le lycée technique

S sera chef
Un très grand cuisinier
Si les réseaux de drogue et de prostitution cessent enfin de le détourner
de son projet de vie

J’ai appris ça avec lui


C’est le premier qui m’a appris ça
Par son silence et par le mien
Aucun MNA ne demande secours
Quand il est en danger
Aucun
Et nous on est là à voir sans rien dire
Parce qu’on ne peut rien faire
Tant qu’on n’a pas de place en foyer pour les en éloigner

Je regarde encore ses nouvelles baskets


Et je lui propose de venir chez moi ce week-end
Ça sera déjà ça

Pour me remercier S me dit Na moula


Et je fais semblant de ne pas comprendre
S est un enfant s’il est vraiment mineur
Et moi je suis comme sa maman
Sauf que je ne le touche pas
Je ne l’ai jamais touché
Moi
Jamais
Je ne l’ai jamais pris dans mes bras
Je ne lui ai même jamais pris la main

18
Je lui souris et je dis à samedi
“Xunbane” il répond
À demain
“D’accord
À demain”

3 - Une erreur

Je crois que c’est le lendemain


Précisément
Que je découvre à l’entrée de mon bureau
Une tripotée de marrons
Bien alignés
Dans mon dos ma collègue m’explique
“C’est la chef de service qui les a mis là”
Et devant mon regard éberlué elle m’explique encore
“Ça éloigne les araignées”
Je ne connaissais pas cette technique mais visiblement ça fonctionne
Renée s’est réfugiée dans le coin droit de mon bureau
Le plus loin possible de l’entrée
Et des marrons
Elle est tout affairée à tisser une toile sublime
“C’est vraiment solitaire les araignées” je me dis en la regardant
Et je la comprends de plus en plus
Je n’ai aucune envie de parler à ma collègue de l’ASE
“Pour Z on n’avait pas fait attention
Il avait pris l’avion pour venir en Europe”
Sa voix stridente fait rebondir Renée et toute sa toile
“Pour prendre l’avion il lui fallait un passeport attestant qu’il était
majeur”

19
Ça marche vite une araignée
“Qu’est-ce qui te prend Renée enfin ?”
“Elles vont finir par entoiler tout ton bureau ces araignées
– Il n’y en a qu’une
D’ailleurs tu veux prendre les marrons pour tes gosses ?
Ça se cuit non ?
– Non c’est des châtaignes qu’il faudrait
Les marrons c’est pas comestible
Et puis ça n’est pas la saison
On peut en revenir au dossier Z ?
Je pense que c’est une erreur
De notre part
Z est peut-être un vrai mineur”

J’ai très chaud là devant ma collègue et tous ces dossiers en attente


Je n’ai pas pris le temps de tout vérifier avant de sortir Z de son foyer
Ma N + 2 passe la tête pour me saluer
J’ai envie de lui renvoyer tous ses marrons à la figure

“Pour Z” ma collègue à la voix aiguë reprend


En jonglant avec les marrons
Et Renée se carapate dans les fissures du plafond
“Pour Z une avocate a saisi le tribunal
Maintenant ce n’est plus nous qui décidons
Seulement la justice
Et la préfecture”
Oui mais à l’appui de mes erreurs

“Allez Renée pas sur mon ordinateur


J’ai pas envie moi de te faire de mal
J’ai pas non plus envie que tu m’en fasses

20
Alors comme on partage toutes les deux le même bureau
Je veux dire il n’y a pas mon bureau et ta moquette
Il y a un seul bureau
Mon bureau c’est ton bureau
Ta moquette c’est ma moquette
Alors puisqu’on partage la même moquette
Juste juste
Ne te mets pas là sous mes doigts
Pas au moment où je tape cette lettre”
J’ai essayé de rédiger une lettre de démission
“J’ai besoin de me concentrer tu vois
Il faut que je me concentre sur ça”
Mais je n’ai pas réussi
Ça n’est quand même pas de ma faute
Je veux dire c’est au nom de l’ASE
Pas en mon nom
Que j’ai agi

Le soir quand je me regarde dans le miroir de ma salle de bain


J’ai du mal je dois l’avouer

Mes gosses hurlent j’ai encore raté la cuisson du riz


C’est quand même pas compliqué à cuire du riz blanc
Et là je me surprends à dire
“Je vais vous amener un migrant ce week-end
Vous allez voir que vous êtes nés avec une cuillère en argent dans la
bouche”
Et ils la ferment
Leur bouche
Les miens de mômes

21
Je continue
Ce soir-là rien ne peut m’arrêter
Même pas le goût vinaigré du vin ouvert il y a trois jours et complètement
éventé
“Vous feriez mieux de vous estimer heureux d’avoir une mère”
Bien que franchement le mot de mère sonne à ce moment franchement
mais franchement creux
Comme de l’avoir trop dit le mot fuit se répand dans la sauce tomate
au thon en boîte

“Bouffez votre riz et fermez-la”


Mes enfants se taisent
Ce soir-là j’ai besoin de silence

4 - L’anniversaire de Z

Pour les 18 ans officiels de Z je suis allée à son hôtel où il attendait


depuis six mois le jour de son audience au TA
“Il est sorti” le gérant me dit
Je retrouve Z tout seul au Flunch
Je n’ose pas lui dire “joyeux anniversaire”
D’abord il a peut-être 22 ans
Ça n’est pas proprement joyeux
Et puis ensuite il y a des tas de MNA pour qui fêter l’anniversaire n’est
pas courant

S avait rigolé quand il m’avait vue arriver avec un gros gâteau au chocolat
et 16 bougies
“Ils sont mignons vos rites ici
Mais je ne comprends pas à quoi ça vous sert vraiment”
Pour lui c’était un peu “idiot”

22
“Souffler sur des bougies et se faire applaudir pour avoir réussi à les
éteindre
C’est pas si difficile
Sauf si vous êtes vraiment très vieux
Mais pour les anciens vous ne mettez quand même pas toutes les
bougies ?”

Z mange ses frites avec plaisir


Elles sont imbibées de ketchup
De temps en temps il tente la mayonnaise et me propose de partager
Dans ses yeux je ne vois aucune trace de tristesse
Peut-être une résignation

Z soutient mon regard


“Je vous avais pas dit pour l’Allemagne
Mais je ne pensais pas”
Évidemment
Comment il aurait pu imaginer cette loi de Dublin III ?
“Et pour mon âge”
Il reprend une frite
Une autre
“Je vous assure que je ne savais pas”

Certains le savent que pour passer les frontières en avion


Ils doivent passer pour des majeurs
D’autres ne savent même pas que les passeurs
Fabriquent des faux pour les aider à traverser
Droit dans les yeux et dans un français parfait il ajoute
“Ici tout le monde prend les faux papiers pour les plus vrais
Et refuse les papiers qui eux sont vrais”
Il m’explique tout ça

23
Tout ce qu’il a compris grâce à l’avocate
Et je ne peux pas m’empêcher de penser
“Si ce gosse comprend tout si bien
C’est qu’il n’est pas si petit
Il doit avoir 21 ans
Ce soir même 22
Et il me ment
Il me ment encore”
Mais je ne sais pas
Je ne saurai peut-être jamais

Je plante une bougie dans sa part individuelle de tarte aux pommes


Au Flunch j’en ai trouvé une en forme de Happy Birthday
Ça passe beaucoup mieux en anglais
Et puis ça évite de compter le nombre d’années

Il souffle et j’applaudis
Je vois dans son regard un vide
Un vide extrême
Ou peut-être c’est le mien
De vide au fond
Je le raccompagne à l’hôtel et lui offre une cigarette
Puis le paquet entier
Quoi qu’il en soit à partir d’aujourd’hui il est majeur
Il n’est plus sous la responsabilité de l’ASE
Plus sous la mienne
En tout cas

Z comme la plupart des MNA continuera à se battre


Il y arrivera
J’en suis sûre

24
Mais ça ne sera pas grâce à moi
Ça c’est sûr

5 - Vous enregistrez là ?

Vous ne m’avez pas répondu


Vous enregistrez ou vous n’enregistrez pas ?

Parce que moi je veux bien vous parler


Mais je préfère que nous n’enregistriez pas
On sait jamais maintenant ça circule partout

Vous comprenez
Je ne voudrais pas perdre encore mon boulot
Si ça ne vous dérange pas

6 - Je t’aime en soninké

“Sanbameranjala
– Non ça c’est la toile d’araignée madame
L’araignée c’est juste sanbameraana”
Tous les week-ends S nous apprend des mots
Seliné la poule
“Seli-gné gné
Et muusine le chat”
C’est joli muusine
J’apprends comme une enfant les noms des animaux
Des fois il nous fait la cuisine
Les miens de gosses adorent
Et moi aussi
Au grand dam de D qui voudrait goûter un mafé S travaille sa spécialité

25
La blanquette de veau
Et en dessert
Il emporte l’adhésion collective avec ses tiramisus

Avec S j’ai 5 ans


Mais lui je ne sais pas
Il est grand et beau
Il n’a pas l’air d’avoir
Je ne sais pas
Je ne veux pas savoir
S’il avait plus de 18 ans ?

On ne va pas dénoncer quand même ?


On n’est pas à Vichy on est dans le Doubs
Dans ce doux département du Doubs
Dans ce bled que je commence à détester
Ta moula le Doubs je ne t’aime pas
“Ta moula” il a dit pour dire je ne t’aime pas
Na moula j’ai appris à dire je t’aime en soninké
“Na moula” il répète quand je le dépose à l’hôtel
Et je ne réponds pas

7 - S apprend l’allemand - Als das Kind

Un samedi S a eu des devoirs d’allemand


Pour le lycée
Je préférais nos cours de soninké
Mais il fallait bien l’aider
C’était mon rôle aussi
Mon métier

26
Moi l’allemand c’était pas
Je veux dire une langue c’est du désir
Et moi j’ai pas vraiment grandi dans ce désir-là
Mais ce poème
Dans sa bouche à lui
Est d’une douceur
Qui m’a fait aimer cette langue

“Als das Kind Kind war”

Je l’ai enregistré pour l’aider à apprendre


Et pour garder un souvenir de ce moment passé avec lui sans les
enfants
Je n’aurais jamais dû faire écouter à ma collègue
Sur le moment j’ai oublié qu’accueillir un gamin chez soi est illégal
Quand on bosse dans l’aide sociale
À l’enfance

Elle sort son téléphone portable pour faire écouter l’enregistrement de S.


On entend sa voix qui dit des extraits du poème de Peter Handke en
allemand 2 .
Elle traduit.

“Lorsque l’enfant était enfant,


Il marchait les bras ballants,
Il voulait que le ruisseau soit une rivière
Et la rivière un fleuve,
Et que cette flaque d’eau soit la mer.

Lorsque l’enfant était enfant,


Il ne savait pas qu’il était enfant,
Pour lui, tout avait une âme
Et toutes les âmes n’en faisaient qu’une.

27
Lorsque l’enfant était enfant, vint le temps des questions comme
celles-ci :
Pourquoi est-ce que je suis moi et pourquoi est-ce que je ne suis pas
toi ?
Quand a commencé le temps et où finit l’espace ?
La vie sous le soleil n’est-elle rien d’autre qu’un rêve ?
Ce que je vois, ce que j’entends, ce que je sens, n’est-ce pas simplement
l’apparence d’un monde devant le monde ?
Est-ce que le mal existe véritablement ?
Est-ce qu’il y a des gens qui sont vraiment mauvais ?
Comment se fait-il que moi qui suis moi, avant que je le devienne, je
ne l’étais pas,
Et qu’un jour moi qui suis moi, je ne serai plus ce moi que je suis ?

Lorsque l’enfant était enfant,


Il s’est réveillé un jour dans un lit qui n’était pas le sien
Et maintenant, ça lui arrive souvent.
Beaucoup de gens lui paraissaient beaux
Et maintenant, avec beaucoup de chance, quelques-uns.
Il se faisait une image précise du paradis
Et maintenant, c’est tout juste s’il l’entrevoit.
Il ne pouvait imaginer le néant
Et maintenant, il l’évoque et tremble de peur.

Lorsque l’enfant était enfant, il a lancé un bâton contre un arbre,


comme un javelot
Et il y vibre toujours.”

Ce jour-là
J’ai enfin pu dire à S qu’il allait avoir une place en foyer
C’est le seul jour où je l’ai pris dans mes bras

28
Quand il a dit
Na moula
Pour me remercier
C’est la seule fois

8 - La lettre de démission

“Tu t’impliques un peu trop”


Mon homme me dit en me voyant les yeux émus
“Je ne crois pas que ce soit bien pour les enfants
Il faut qu’ils gardent espoir quand même
Et maintenant il a un foyer
Reprends de la distance
Pour toi aussi”

“Non Renée pas sur mon ordinateur


Ne te mets pas là sous mes doigts
Pas au moment où je tape cette lettre”
J’ai tapé une lettre de démission
Mais mon N + 1 lui n’en a rien su
La lettre ne lui est jamais parvenue
C’est mon psy sur l’oreiller
Mon mari qui l’a ouverte
L’enveloppe
Devant moi
Pas un mot ne sortait de moi
Son regard noir
Il a ça aussi mon homme doux
J’en tremblais avant de son regard
Mais là rien du tout
“Tu es folle qu’est-ce que c’est que ça ? Tu es folle”

29
“Cher D
Je démissionne de la charge de responsabilité des enfants pour une
période indéterminée
Je reviendrai quand je pourrai
Ne le prends pas mal
Ne le prends pas contre toi
Je reviendrai
Mais pour l’instant je prends le large”

“Qu’est-ce que tu entends par ‘prendre le large’ ?


Tu aurais pu choisir une autre image”
D donne de l’importance aux formulations
Il a raison
“Je vais prendre un studio en ville pendant quelque temps”
J’ai du mal à articuler
“Après je verrai
Tu sauras cuire le riz bien mieux que moi
Version pilaf
Sinon ketchup
C’est ce que les gosses préfèrent
Les nôtres comme ceux de l’ASE
C’est toujours bon quand c’est sucré”

9 - La nuit je rêve

La nuit je rêve d’une maison au Sénégal


Ou au Mali
Près de la falaise de Bandiagara
Ou ailleurs
Lala 3 ma fille lala

30
Viens dormir
Kiye nta rjaalini mullen biren rja
Le soleil ne brille pas pendant le froid
“La go 4 tu t’es pris dans la sanbameranjala” chuchotent S et Z en chœur
Renée s’approche elle me fait peur
Elle écrit TS dans les mailles de sa toile
Ses mandibules coulent de fils blancs et je crie Ta moula
Ta moula D
Ta moula ASEANFC
Na moula muusine
Na moula MNA du PEC du Doubs
Je ne veux pas de la PJJ
Je ne veux pas de la HUDA
Et RATATA et RATATA
Je tremble de froid
DAMNA CAMNA AMNA
AS ASE AE
CADA CASNAV HUDA
OFPRA CNDA
NINA TA et RATATA
Et UPE2 A

MNA MNA
MNA MNA

OPP PJJ
Et PEC et SDRIP ITEP
SDF HCR SOLMIRE UNICEF
Et MEF et MFR et MECS ODPE FLE PEAD APJM
JE CJM CNIL et CRA

31
CAP CFA
CHU HCR parce que CNDA

MNA MNA
MNA MNA

GISTI OQTF
CIO CDI
CPE CIDE et CAOMI
MIE DELF donc IRTF

MNA MNA
MNA MNA 
PARTIE 3

1 - Z a gagné

Elle commençait plutôt bien cette nouvelle vie pourtant


Dans mon nouveau studio du centre-ville

Z venait de gagner son recours contre la préfecture du Doubs


Et contre nous

Z venait de rentrer à Montbéliard pour reprendre sa formation


Il n’avait pas été expulsé finalement en Allemagne
Il allait pouvoir faire sa demande d’asile ici

S de son côté était au chaud dans un foyer tout près de Montbé


Depuis déjà deux mois
Encadré
Soutenu pour préparer son CAP de cuisine
Et sa demande de titre de séjour

Je ne sais pas ce qui s’est passé


Je ne sais pas ce que j’ai raté pour que ça ait lieu

2 - Le caprice de S

La dernière fois que j’ai vu S au foyer il faisait une crise


Je n’ai pas compris
Il parlait français hein
Pas un mot de soninké
Mais ses récriminations
“Là non non je ne te suis pas”

33
S reprend son calme et m’explique point par point
“1. il n’y a pas de croissants au petit déjeuner
2. il n’y a pas Canal+
3. il n’y a pas le WiFi dans ma chambre
4. et conclusion c’était mieux à l’hôtel
Sortez-moi de là”

L’éducateur du foyer m’incite à partir en m’expliquant que ma présence


fragilise tout le processus pédagogique qu’il tente tant bien que mal
de mettre en place
“Je comprends
Mais je ne peux pas partir comme ça
Pas avant que S ne se soit calmé”
J’essaye encore

“Écoute-moi”
Il n’écoute pas
Putain d’ado
“Écoute-moi”
Il court dans sa chambre
“Putain d’adolescent”

Son éducateur tente de plaisanter


“Avec ce genre de caprices on n’a plus besoin de radio du poignet pour
prouver la minorité des gosses
Tu as des enfants toi ?”
Ce n’est pas vraiment le moment pour moi de répondre à une question
comme ça
Je hoche la tête
Mais lui visiblement a besoin de parler
“Les miens sont en plein dans la phase ingrate”

34
Il me raconte comment il s’occupe d’eux
Fait tout pour eux
Parfois n’en dort pas
Pour s’entendre encore reprocher de n’être pas assez à la maison
“Le pire c’est quand ils font des crises parce que j’interdis les écrans
après 9 heures du soir
Des enfants pourris-gâtés”
Il en rit tendrement de ça
De ses enfants
Mais pour les MNA franchement il ne comprend pas comment ces
gosses
“Qui pour la plupart fuient des guerres ont traversé la mer
Parfois la Libye les camps de tortures
Qui sont partis pour des raisons toutes différentes
Mais toutes très dures
Comment ces gamins peuvent se révolter pour si peu ?
Pour du WiFi et des croissants
Et je vais te dire
Ils n’en foutent pas une pour récupérer leurs papiers
Et constituer leurs dossiers de demande d’asile”

S visiblement n’était pas le seul dans ce cas

L’éduc avait trouvé la parade


Inventé une technique imparable
“Tu veux des croissants ? Je te donnerai des croissants mais je ne
t’aiderai pas pour tes papiers
Si tu veux que je t’aide pour tes papiers tu ne me parles plus du WiFi
et encore moins de Canal+”
J’ai validé en souriant

35
Je me disais que l’épée de Damoclès de la préfecture permettrait au
moins de faire filer droit les MNA
Vous avez des enfants vous ?
Le chantage est un principe d’éducation comme un autre non ?

Il a dû s’écouler je ne sais pas


Deux semaines ?
Ou trois ?
Quelque chose comme ça
Pas plus en tout cas

3 - La tentative de suicide de S

J’étais dans mon studio en train de prendre un bain


Quand le téléphone a sonné
Il y a des événements comme ça
On se souviendra toute sa vie de là où on les a appris

J’ai répondu
C’était le CPE du lycée de S
Il avait été alerté par la prof d’UPE2 A
Elle-même alertée par une gamine de l’internat

“Dis à ma mère que j’abandonne mon projet de vie”

À mon tour j’appelle le foyer


C’est une éduc qui me répond
Connement
Je ne peux pas le dire autrement
Que “ce n’est pas son secteur”
Et sur mon insistance

36
Sur mon accusation de “non-assistance à personne en danger”
Elle finit par appeler le directeur du foyer

Le message que S a envoyé à cette gamine de l’internat est on ne peut


plus clair
“Dis à ma mère que j’abandonne mon projet de vie”

Je suis bien trop loin du foyer là dans ma salle de bain


Toute seule avec mon téléphone
J’entends encore mon homme le doux dire “démissionne et protège-toi
Lâche”
“Mais Hakuru tais-toi !”
Je hurle à l’absent dans cette langue que je ne connais même pas

Au foyer S s’est enfermé à double tour


Le directeur enfin arrivé force la porte
Et force encore
Défonce la porte et tombe sur S
Ou plus exactement sur son couteau
Prêt à déchirer les veines du poignet radiographié deux ans plus tôt
En se battant pour empêcher S de passer à l’acte
Le directeur s’est retrouvé avec le couteau dans le bras
Le sien de bras
S a planté son couteau dans le bras du directeur du foyer

Ça pourrait être drôle


Et pour vous dire la vérité
J’en ai ri là toute seule dans ma baignoire
C’était nerveux
Et puis finalement
Il n’y avait aucun mort

37
Mais en moins de temps qu’il ne faut pour le dire
S est devenu coupable
S qui risquait de perdre la vie
A vu effectivement son projet de vie s’effondrer
Quand la police est venue pour l’emmener

“Dis à ma mère que j’abandonne mon projet de vie”


C’est moi qui vais m’occuper d’appeler sa mère au pays
Pour lui dire qu’il est bien en vie
Mais que son projet
“C’est un métier
C’est un travail
Je suis éduc de formation
Éducatrice spécialisée
Ça n’est qu’un métier
Un travail”
J’ai beau dire ça
Me le répéter
Le lendemain je suis en arrêt
“Surmenage” me dit mon médecin

4 - Je suis en arrêt - Au lycée

“Je suis en arrêt”


Cette expression n’a jamais été aussi juste
Je suis arrêtée dans ma salle de bain
J’observe les fissures du carrelage blanc
En espérant y voir apparaître Renée
Mais Renée est à l’ASE
Sûrement occupée à tisser une toile dans un coin de notre bureau

38
L’éducateur n’était plus au foyer au moment où
Il était parti une demi-heure plus tôt pour retrouver les siens de
gosses
Lui sait seulement que S avait été contrarié dans la journée
Il m’écrit ça par SMS “contrarié pour une broutille”
Voilà la raison invoquée

Le lendemain je suis encore en arrêt et j’erre entre mes chiottes et


ma baignoire

Ce n’est pas entre mes mains


C’est la loi la justice qui décidera
Mais l’asile
Ou n’importe quel titre de séjour
Quand on a un casier judiciaire
Ça me semble perdu d’avance

J’erre de mes chiottes à ma baignoire


De ma baignoire à mes chiottes
Et puis je sors
Je prends ma bagnole
Je passe devant l’ASE
Devant le foyer
Et de fil en aiguille je me retrouve dans son lycée
Le lycée technique de S

Je m’assieds dans une grande salle vide complètement vitrée ouverte


sur la cour et les couloirs
La proviseure me voit de loin et me rejoint en me disant
“C’était un gosse à problèmes
Vous saviez qu’il était sous psychotropes ? Des médocs forts

39
– Mais tous mes gosses sont sous psychotropes connasse tous !
Parce qu’ici il n’y a pas un seul psy foutu de travailler avec des gamins
étrangers
Il leur faut du français à ces psychologues de pacotille
Alors ils les mettent sous médocs parce qu’ils arrivent traumatisés
Et s’ils ne le sont pas déjà
Traumatisés
Ils vont le devenir vu la manière dont on les traite”
Elle me laisse là

“Qu’elle se casse
Connasse”
Elle m’entend de loin et revient me dire
Fermement
De partir
Elle me parle comme si j’étais une gosse à problèmes
“Connasse”
Je reste en place

Le CPE passe “Calme-toi” il me dit gentiment


Mais d’un ton légèrement paternaliste
Ça m’excède
C’est le voisin du beau-frère de ma grande sœur
Il est gentil mais un peu con
“Comment tu veux que je me calme ?”
Il me sourit
Pauvre con
Pour lui je pète les plombs ça passera il en a vu d’autres avec tous ces
ados en section technique
Il pointe du doigt une gamine qui crapote dans la cour en m’observant

40
“C’est elle
La gamine qui nous a prévenus”
Il lui fait signe de venir d’un geste de la main toujours aussi paternaliste
Pauvre con
Il a raison je pète les plombs

Elle s’assied à côté de moi


On ne parle pas
On est arrêtées toutes les deux
“Il est au CRA” je finis par dire
Elle répond “C’est quoi ça ?”
“Le Centre de Rétention Administrative”
Elle ne dit rien
C’est tout juste si elle réagit
“C’est la PJJ qui l’a pris
– C’est quoi ça ?” elle répond encore
“La Protection Judiciaire de la Jeunesse
– O.K.”
Elle marque un court silence
“Alors ils vont le protéger”
Là c’est moi qui marque un silence
“Tu sais nous c’est l’ASE
– C’est quoi ça ?
– C’est l’Aide Sociale à l’Enfance
– O.K.
Et alors ?
– Alors aider je ne sais pas si on le fait
– O.K.” et elle laisse un silence

Ça devait être sympa entre S et elle les soirées option silence

41
La récréation est finie
Les couloirs se vident à vitesse grand V
On voit un retardataire courir dans un sens et revenir encore plus vite
en sens inverse pour aller au bureau du CPE et repartir vers sa salle de
classe encore plus vite et tout dégoulinant de sueur

Silence
Et tout à coup elle dégomme le silence
Elle se met à parler
Elle repeint la salle entière de sa langue
Qu’est-ce qu’elle cause
Comme Z dans la voiture elle ne s’arrête plus
Elle ne me laisse plus dire un mot
Et je n’ai rien à dire d’autre que “hum hum”
Je suis adulte c’est mon travail
C’est à mon tour de prendre sur moi toute cette histoire
L’histoire de S
Qu’il ne m’a jamais racontée
Qu’il n’a racontée à personne
À aucun de ses éducateurs et encore moins à celui qui l’avait interrogé
pour établir sa minorité
Il l’a seulement racontée à cette fille
Mineure comme lui
Qui elle ne l’a pas jugé
Qui n’a écouté que pour écouter et a juré de ne rien dire
Jamais
À personne
Mais qui doit raconter cette fois pour expulser
C’est trop lourd à porter pour une gosse
Bien trop lourd

42
J’écoute
Et dans ma poche je triture les fils de mon porte-clefs
Nerveusement

Vous n’enregistrez pas hein ?


Faites comme vous voulez
De toute façon je préfère
Ne pas vous raconter S
Elle ne sert à rien cette vérité
Sauf à pleurer

On se met à marcher de couloir en couloir dans le lycée


J’erre avec cette gamine
Elle voudrait travailler dans le social mais elle hésite encore et je la
dissuade
De toutes mes forces
Elle me coupe la parole
“Vous m’emmenez ?
– Où ça ?
– Vous allez bien au foyer non ?
– Non enfin oui je ne sais pas
– Moi je n’ai jamais vu où il dormait
Et puis j’aimerais rencontrer son éduc
Vous m’emmenez ?”
Je ne crois pas avoir le choix mais quand même je pose la question
Mécaniquement
Comme un vieux reste de mon métier
“Tu as le droit ?
De sortir du lycée ?
Tu n’as pas cours avec les autres ?

43
– Si
Si j’ai cours
Mais on s’en fout non ?”
Oui
On s’en fout
Cette gosse est magnifique
Je me demande s’ils ont eu une histoire elle et S
Et je n’ose pas poser de questions
De toute façon j’arrête
De poser des questions
J’ai fini par comprendre qu’on n’apprenait qu’en se taisant
Avec elle
Avec S
Il faut ouvrir des silences pour qu’ils remplissent la pièce

5 - Je suis en arrêt - Au foyer

Il n’y a personne au foyer


“On attendra”
On n’a rien d’autre à faire qu’attendre après tout elle et moi
Je l’écoute parler
Elle repeint de sa langue la façade entière du foyer
Elle repeint l’horizon de ses mots
Je l’envierais presque elle est vivante elle a de l’espoir et elle parle et
elle parle pour s’en donner encore et encore

Quand l’éduc arrive il n’est pas étonné de me voir là


Lui aussi il avait fini par “bien l’aimer
Mais c’était un gosse à problèmes” il nous dit à toutes les deux
“Il ne supportait pas d’être contrarié”

44
Trois ados débarquent au foyer très bruyamment
“Et eux ?” dit la gamine
“C’est ta fille ?” il demande
Légère vexation liée à mon âge
“Non la mienne est bien plus petite
– Et eux ?” elle reprend “ce ne sont pas des gosses à problèmes ?
– Si bien sûr et c’est pour ça qu’ils sont là
– Donc votre boulot c’est de savoir gérer les problèmes des jeunes qui
sont là ?”
J’ai envie de disparaître
“En effet”, il répond, “mais eux ce sont des placements classiques
Les MNA sont plutôt là pour être logés nourris et accompagnés dans
leurs demandes de papiers
– Donc ils n’ont pas le droit d’avoir des problèmes ?”
Je sens la haine monter dans la gorge de cette belle gosse
“Si ce n’est pas ta fille alors c’est qui ?
– Ne parle pas de moi à la troisième personne s’il te plaît”
Elle continue en tutoyant l’éducateur
“Là je suis devant toi et j’attends que tu me répondes
Pourquoi tous les matins il arrivait épuisé au lycée ?
Pourquoi sa veste en cuir et ses baskets neuves avaient disparu ?
Et même ses chaussettes ?
Et qu’est-ce que c’était tous ces bleus sur ses bras ?”

Je tombe des nues


Pas l’éducateur
“Il n’y peut rien”
Il le dit et le redit
“Que les autres gamins
Les placements classiques

45
Ils ont des problèmes
Des sacrés problèmes
Familiaux et éducatifs
Et des fois la nuit c’est la merde
On n’arrive pas à les gérer
Et ça gêne les autres
Les MNA
Qui essayent de dormir
C’est clair maintenant ?”
Il se tourne vers moi
“Allez-vous-en
Vous n’avez pas le droit de me reprocher quoi que ce soit
De me mettre la culpabilité d’une TS sur le dos
Mais qu’est-ce que j’y peux moi si on n’a pas les moyens qu’on voudrait ?
On est 2 pour 30 gosses
MNA et placements classiques tout ça mélangé
C’est du travail à la chaîne
On fait de notre mieux
Mais c’est du travail à la chaîne
On n’a pas le temps
D’écouter leurs histoires
D’écouter toutes leurs peines de cœur
Et encore moins leurs jérémiades ou leurs caprices
Je fais mon travail moi et je le fais bien”

Ses mots
Ce sont les miens de mots
Dans sa bouche à lui

46
“Avant ces gamins ils disaient merci
Maintenant ils arrivent en exigeant leur argent de poche leurs croissants
le WiFi comme si tout leur était dû
Tu le sais bien ça toi aussi”
Il me prend à partie mais rien ne sort de ma bouche
Tous ses mots sont les miens
“Avant ils disaient merci
Maintenant ils arrivent en connaissant leurs droits
Et ils croient que nous on est là pour se mettre à leur service
Non mais des fois je te dis j’ai envie de retourner chez Peugeot pour
faire mes 400 pièces à la journée sans réfléchir
– Le repos”
C’est sorti de moi comme un cri du cœur
“Le repos”
Il sourit tristement et acquiesce
Et la gamine nous regarde complètement atterrée
“Tu comprendras un jour” je m’entends dire
“Tu comprendras plus tard” dit l’éduc dans un écho insupportable
Elle est atterrée
Je me tais
Je laisse un silence j’aimerais qu’elle le remplisse mais
Rien
Elle ne dit rien
Plus rien
Elle s’en va
“Je te raccompagne ?
Au lycée à l’internat ?”
Elle ne se retourne même pas

47
6 - La lettre à la présidence du département

Je ne me souviens pas avoir salué l’éduc


Ni être montée dans ma voiture
Et encore moins avoir décidé d’aller à l’ASE ce soir-là

Mais il se trouve que quelques heures plus tard j’y suis


Tout est fermé
Il n’y a plus personne
Mon bureau est vide
Seule Renée est là
Heureusement Renée est là
Et je peux presque lire sa joie quand j’allume mon ordinateur
Et qu’elle s’affaire sur les touches comme à son habitude

“Non Renée
Ne te mets pas là
Pas sous mes doigts”

Cette fois c’est moi la pétition cette fois c’est moi qui écrirai
Je ne vais pas encore être la cible des autres alors que je fais tout ce
qui est en mon pouvoir pour mes mômes
Mes MNA
Je commence à taper
Il faut tout raconter de ce qui s’est passé
Tout reporter
Tout ce que d’habitude on n’écrit pas
On ne fait que dire comme ça
En off

“Pousse-toi Renée”
Je n’écris plus mineur

48
J’écris enfant
Je n’écris plus S
J’écris son prénom Souleymane
Je n’écris plus Z
J’écris son vrai nom et son nom de famille Zekrollah Hosseini
J’en pleurerais si je pouvais encore pleurer

Vous voulez enregistrer


Cette lettre ?
Je peux vous la lire

Je n’ai plus rien à cacher


Tout ça maintenant c’est du passé

7 - Tu es folle

“Tu es folle”
Elle me dit ma collègue
On prend un café juste avant qu’elle aille à l’ASE
“Complètement cinglée”
Je ne vois là rien de cinglé
“Je n’ai fait que décrire la situation
– Tu vas nous attirer des ennuis” elle me dit
Elle a sans doute raison
Il faut édulcorer

Ma collègue barre “Travail à la chaîne”


“C’est l’économie
Il n’y a pas assez d’argent simplement pour engager plus d’éducateurs”
Elle rature “Réseaux de drogue et de prostitution”
“Ça n’est quand même pas de notre faute si ces hôtels cachent des réseaux
de passe”

49
Et elle s’arrête sur “maltraitance”
Elle me dit sagement posément
“Quand on travaille dans l’enfance c’est un mot
Qu’on doit utiliser à propos
Et pas comme ça pour faire effet
Ça va discréditer ton propos si tu mets des gros mots comme ça”
Ma collègue est la voix de la raison
“Tu es folle
Ici au moins il y a une aide à l’enfance
Il y a des pays où ça n’existe pas
Et on peut s’estimer heureux”
Elle a raison

“Tu devrais partir la tête haute”


Et voilà qu’elle s’y met elle aussi
Voilà qu’elle m’incite à la démission
“Mais les gamins ont besoin de moi”
Ma collègue désapprouve du regard
“Qu’est-ce que je ferais à la place ?
– Rentre chez toi pour commencer et repose-toi”

Mais je ne peux pas


Je tourne en rond
Je n’ai même pas le droit de voir S pendant son incarcération

Je remets maltraitance travail à la chaîne réseaux de drogue et de


prostitution
Et j’ajoute
Abandon racisme incompétence

Je reprends mon fil et je dessine cette immense toile d’araignée


dans laquelle les gosses sont pris comme des mouches

50
Au lieu d’être accueillis comme des mioches

J’écris
Je raconte tout

Je ne mets pas la lettre à la poste


Je l’apporte directement à la présidence du Doubs
Je précise à l’accueil
“Je reste là tant que vous n’avez pas mis cette lettre sur le bureau de
la présidente”

Et je rentre
Dans mon nouveau studio
Avec un énième arrêt maladie
Et les 10 messages en absence de mes gosses

Pas les miens


Ceux de l’ASE
Mais c’est tout comme

Je m’occuperai d’eux à distance

8 - Lettre morte

Au matin pas de réponse de la présidence du Doubs


Dans l’après-midi non plus
Le lendemain non plus
La semaine suivante non plus
Pas de réponse
Un mois sans réponse
Jusqu’à ce que ma collègue m’appelle
Elle sort d’une réunion de direction

51
“Alors ?
– Ils n’ont pas parlé de ta lettre
– Quoi ?
– Ils n’ont pas parlé de la lettre”
Ils n’ont rien dit
Ma lettre est restée morte

“Ils ont seulement parlé de toi


Ils parlent d’un problème de posture
Tu t’impliquerais un peu trop
– Mais je suis en arrêt depuis trois semaines !
– Je sais mais
Tu es proche
Bien trop proche d’eux
Des gosses
– Quoi ?
– Tu es trop proche des gamins”
Elle répète cette phrase qui n’a absolument aucun sens
“Mais ! Il faut bien que je m’en occupe ?
C’est notre rôle
Notre métier ?”
Elle ne répond pas
Ma collègue est un bon petit soldat
Elle est parfaite pour la fonction publique
Parfaite pour l’ordre tel qu’il doit être

“Tu as couché avec Souleymane ?


– Quoi ?!
– Dis-moi la vérité” elle m’ordonne comme si j’étais un gosse en
évaluation de minorité

52
“Qu’est-ce qui s’est passé avec Souleymane ?
J’ai besoin de savoir
Que tu me dises exactement ce qui s’est passé entre vous
Quand tu l’as enregistré”

“Als das Kind Kind war”

“Quand tu l’as enregistré”

“Wusste es nicht, dass es Kind war ”

“C’était chez toi ?


Tu l’as emmené chez toi ?”

“Ist das Leben unter der Sonne nicht bloß ein Traum ?”

“Réponds-moi
Tu le voyais en dehors du travail ?
Qu’est-ce que tu as foutu ?”

“Als das Kind Kind war ”

“C’est un gamin
C’est un enfant !”

“Lorsque l’enfant était enfant,


Il ne pouvait imaginer le néant
Et maintenant il l’évoque et tremble de peur”

“C’est un enfant”
Elle me dit ça
Elle reprend mes mots
Mes propres mots écrits sur cette lettre restée morte
“Souleymane est un enfant
Tu n’as pas le droit de faire ça”

53
Je pense à mon mari qui est connu dans la région
Je pense à mes enfants
À leur humiliation
À Souleymane

À moi je ne sais pas


J’aurais pu crier de rage ou verser une larme
Mais là rien du tout
Je suis soupçonnée de coucher avec S
Ma collègue reprend son inquisition “Et les autres ?”
Je suis soupçonnée de coucher avec S et avec le vivier entier de MNA
du département
250
C’est pas beaucoup pour tout le Doubs 250
Mais pour moi seule

“Ils parlent d’un problème de posture


Tu as toujours été trop maternelle
Mais
En plus
Tu
Tu te comportes comme une femme face à ces garçons”

“Lorsque l’enfant était enfant,


Il ne savait pas qu’il était enfant”

“Je ne sais pas ce qu’ils vont faire


Peut-être une mise à pied ?
Je ne sais pas”

Je ne peux pas attendre comme ça entre ma baignoire et mes chiottes


Je ne peux pas faire autrement

54
Je prends ma bagnole et je fonce à l’ASE
Directement

Dans mon bureau


Ce n’est plus 6 ni 10 marrons
C’est un panier rempli à ras bord de marrons
Ou de châtaignes je n’ai jamais su faire la différence
Renée a disparu

“Vous n’auriez pas vu mon araignée ?”

Je vais vers les toilettes en regardant partout


Par terre aux murs même au plafond
Je passe
Dans le silence des regards
Ma collègue est là devant le miroir à se débarbouiller la face de cette
chaleur continentale
“Je colle” elle me dit
Et me dévisage
“Tu devrais rentrer chez toi tu es en arrêt
Si tu restes c’est sur moi que ça va retomber
Je ne suis pas censée te l’avoir dit
Tu ne peux pas me faire ça à moi”

Ils m’ont enlevé Renée


Les salauds
Ils m’ont enlevé ma seule camarade de bureau
Ma seule et unique collègue de bureau

Je croise mon N + 1
Il ne dit rien

55
Je croise ma N + 2 et son air revanchard
Elle ne pipe pas un mot

9 - La nuit S profère des mots

La nuit S profère des mots


Une cérémonie tribale
Les tambours grondent je n’entends rien je ne comprends plus rien
En soninké en bambara dioula wolof
On me regarde avec dégoût
On m’observe avec dégoût les tambours grondent
La musique d’attente de l’ASE devient plus forte plus forte encore
que les tambours
Mes pattes s’allongent et s’affinent autour de moi
Je suis complètement empêtrée je ne peux plus mais absolument
plus bouger
À quel moment je me suis empêtrée dans tous ces fils ?
Je ne sais plus
Warum bin ich ich und warum nicht du ?
Wann begann die Zeit und wo endet der Raum ?
Ist das Leben unter der Sonne nicht bloß ein Traum ?
Ce que je vois ce que j’entends ce que je sens
N’est-ce pas simplement l’apparence d’un monde devant le monde ?
Je deviens une araignée
Je deviens l’ASE à moi toute seule
Une immense toile d’araignée
Tout le maillage institutionnel
Les cocons pour protéger
Les cocons qui enserrent et étouffent les proies
Je deviens une araignée et toute sa toile

56
Renée disparaît dans les mailles de mon filet
Je ne vois plus rien
Je n’entends plus rien
Je suis en sueur 
PARTIE 4

1 - 10 heures - Un mail

10 heures Chez moi


Mail de ma N + 2 en copie à mon N + 1
Objet Récupérer les dossiers sortis
Ils veulent que ma collègue les traite en mon absence

Toujours aucune réponse de la présidence du Doubs


Ou bien une non-réponse
Une réponse par le silence
À force d’apprendre d’autres langues
On comprend aussi le silence

2 - 11 heures - L’avocate

11 heures J’appelle l’avocate en charge du dossier de Souleymane


On se connaît elle a défendu Zekrollah et un grand nombre de MNA
“Elle est en pause” on me répond
11 h 30 Je rappelle “Elle est occupée”
Je rappelle encore à midi
À 14 heures
“Elle ne peut pas vous prendre désolée
– Mais bon sang ça n’est pas possible
Elle le sait non que c’est important ?
– Vous savez c’est secret professionnel
Rappelez dans quelques semaines”

58
3 - 14 h 05 - Zekrollah

14 h 05 Je sors
Devant chez moi je trouve Zekrollah

Ses yeux je ne les avais pas oubliés


Il me regarde avec douceur
Et il est fier
Il est si fier sur sa bécane
“Vous avez eu peur ?”
Il sourit
“Je ne m’attendais pas à te voir
Mais je suis contente” je bafouille
Il est en stage de mécanique juste à côté de mon appart

Zekrollah a beaucoup d’amis


Tout un réseau de gens
Qui l’hébergent en ce moment

Tous n’ont pas cette chance


Son ami Réza qui attend sagement derrière lui
Lui aussi afghan mais plus timide
Lui n’a pas toutes ces connaissances
Chaque soir il appelle le 115
Il est devenu SDF en attendant que la préfecture lui délivre enfin
le droit d’asile
Qu’il finira bien par avoir

Je propose à Réza de venir dormir chez moi quelques soirs


Mais il fait non de la tête
Zekrollah parle à sa place “il refuse l’aumône
Il veut s’en sortir par lui-même”
Ma gorge se serre

59
J’espère que ce n’est pas
Moi
Pas contre moi
J’insiste un peu
“Tu verras chez moi c’est petit
Mais au moins c’est un refuge
Un cocon”
Il fait non de la tête

J’espère que ce n’est pas moi


Pas cette histoire

4 - 15 heures - Le lycée

15 heures La grille du lycée est fermée


Je sonne
3 fois
Aucun pion cette fois ne vient m’ouvrir
Je vois la proviseure au loin sermonner un lycéen
Sans jeter le moindre regard vers moi
Elle m’ignore
Je ne suis pas censée être là
Je suis arrêtée
Je ne suis plus censée être là

5 - 17 heures - Au foyer

17 heures Au foyer
Ils arrivent
Les premiers Mineurs Non Accompagnés
Et les placements classiques

60
Ceux-là ne me disent pas bonjour
Mais au fond on ne se connaît pas
Alpha-Diallo El-Hadj et Mody passent devant moi
“Bonjour”
Mais rien
Alpha passe la main sur son bras comme pour éloigner un moustique
El-Hadj chantonne
Mody avance silencieusement
Ils ont faim
“Bonjour Alpha”
Mais rien
Ils ne me voient plus je suis devenue transparente
L’annonce a fait le tour de tout le Doubs
D’autres MNA rentrent au foyer
Je ne dis pas bonjour
Je ne dis rien
Et eux ne me regardent pas je suis devenue transparente

6 - 18 heures - Chez moi

18 heures Je suis chez moi


Dans ma salle de bain
Et là dans le miroir
Je ne vois rien
Seulement Renée
Elle a dû s’enfuir de l’ASE
Se cacher dans mon sac
Quand je suis passée au bureau et que j’ai vu tous ces marrons
Je la suis des yeux sur la glace
Mais je ne vois pas mes propres yeux

61
Une silhouette vague
Seulement une silhouette vague

Quand tu vis seul quand tu es seul tu cours le risque de mourir seul


Sans que personne ne te trouve

19 heures Texto de mon homme


“Je préfère qu’on demande le divorce”

La nuit est devenue silencieuse

7 - Coup de fil avec la N + 2

“Vous connaissez Simone Baney ?


– Non ?
– Vous ne l’avez jamais croisée ?
– Non pas du tout mais
– Même à son pot de départ pour la retraite ?
– Non mais je suis heureuse de vous entendre
Je voulais vous appeler pour vous parler d’une chose
– Écoutez j’ai peu de temps
Le poste de Simone est vacant depuis bientôt quatre mois
J’ai pensé à vous pour le reprendre
– Oui ?
– Vous m’entendez ?
– Pour reprendre quoi ?
– Quand vous reviendrez de votre arrêt maladie vous pourrez tout
récupérer
Son poste et son bureau
Beaucoup plus confortable que le dernier
Il a été repeint jeudi

62
Ça vous soulagera après les mineurs étrangers
Je pense de plus en plus qu’on ne peut bosser avec les MNA que de
manière provisoire
On essaye de penser à un poste tournant pour ne plus épuiser les
prétendants
Qu’en pensez-vous ?
– De tourner ?
– Non du poste de Simone Baney
– Ce n’est pas pour les MNA ?
– C’est pour vous c’est pour votre bien entendez bien
Après ces arrêts maladie on peut se dire que c’est un bien
– Mais qui va s’occuper des MNA ?
– Je vous ai dit ça va tourner entre les référents du Pôle Enfant Confié
Vous travaillerez pour les enfants du Doubs
Côté activités sportives
C’est un redémarrage
Vous allez reprendre des forces à votre retour
Une nouvelle page
Ça vous fera du bien je pense”

Pas un mot sur la réunion de direction


Pas un mot sur la lettre
J’ai appris la langue du silence

Elle est contente pour moi ma N + 2


Je ne dis rien
Je suis en arrêt
J’ai le droit de ne rien dire

J’ai un nouveau bureau


Il vous plaît ?

63
Il faut seulement que je le décore
Il sera beau

11 - Elle enregistre les noms

Souleymane est rentré dans son foyer


Il est retourné au lycée
Il a obtenu haut la main son CAP
Il a réuni ses papiers
Demandé un titre de séjour
Qu’il attend encore aujourd’hui

Zekrollah a trouvé une place dans un garage


Il a obtenu l’asile provisoire
Pour cinq années

Réza a trouvé une chambre qu’il paye lui-même avec fierté


Il a obtenu l’asile provisoire pour une année

Alpha travaille dans un restau à Porte-Maillot


El-Hadj chante encore au foyer
Mody crie encore au foyer

Hamid est en fac de langue arabe


Luisa a été dublinée
Pas en Allemagne
Au Portugal
Fatou a été exploitée par ses employeurs en alternance
Mais elle a fini par obtenir son titre de séjour
Seikou a obtenu un des rares Accueil Provisoire Jeune Majeur

64
Imran vient d’arriver dans un hôtel de Besançon
Zihiroun vient d’arriver dans un hôtel de Belfort
Fahad vient d’arriver dans un hôtel de Montbéliard
Et il y aura aussi Kawtar Bamba Mamadou Farzaneh Diakhite etc.
etc. etc.
Notes et référence bibliographique

1 La liste de tous les sigles avec leur signification est page suivante.

2 HANDKE (Peter), LeWebPédagogique, Extraits du poème du film de Wim Wenders


Der Himmel über Berlin (Les Ailes du désir), 1987.

3 Lala signifie “viens dormir” en lingala. Le lingala est une langue bantoue parlée
en République démocratique du Congo et en République du Congo.

4 La go signifie “la fille” en nouchi. Le nouchi est une forme d’argot en Côte d’Ivoire
et en Afrique de l’Ouest.
Sigles

AE : Assistance éducative


AMNA : Accueil pour mineurs non accompagnés
APJM : Accueil provisoire jeune majeur
AS de Secteur : Assistante sociale de secteur
ASE : Aide sociale à l’enfance
ASEANFC : Association de sauvegarde de l’enfant à l’adulte Nord Franche-Comté

CADA : Centre d’accueil pour demandeurs d’asile


CAMNA : Cellule d’accompagnement pour les mineurs non accompagnés
CAOMI : Centre d’accueil et d’orientation pour mineurs isolés
CAP : Certificat d’aptitude professionnelle
CASNAV : Centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement
arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs
CDI : Centre de documentation et d’information (et Contrat à durée indéterminée)
CFA : Centre de formation d’apprentis
CHU : Centre hospitalier universitaire
CIDE : Convention internationale des droits de l’enfant
CIMADE : Comité inter-mouvements auprès des évacués
CIO : Centre d’information et d’orientation
CJM : Contrat jeune majeur
CNDA : Cour nationale du droit d’asile
CNIL : Commission nationale de l’informatique et des libertés
CPE : Conseiller principal d’éducation
CRA : Centre de rétention administrative

DAMNA : Dispositif d’accueil pour les mineurs non accompagnés


DELF : Diplôme d’étude en langue française
DEMIE : Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers

FLE : Français langue étrangère

GISTI : Groupe d’information et de soutien des immigrés

HCR : Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés


HUDA : Hébergement d’urgence des demandeurs d’asile

IRTF : Interdiction de retour sur le territoire français


ITEP : Institut thérapeutique éducatif et pédagogique

JE : Juge des enfants


MECS : Maison d’enfants à caractère social
MEF : Maison de l’enfance et de la famille (Vesoul)
MFR : Maison familiale et rurale
MIE : Mineur isolé étranger
MNA : Mineur non accompagné

NINA : Numéro d’identification nationale (pour les Maliens)

ODPE : Observatoire départemental de la protection de l’enfance


OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides
ONPE : Observatoire national de la protection de l’enfance
OPP : Ordonnance de placement provisoire (au titre de la minorité)
OQTF : Obligation de quitter le territoire français

PAF : Police aux frontières


PEAD : Placement éducatif à domicile (placement classique hors MNA)
PEC : Pôle enfant confié
PJJ : Protection judiciaire de la jeunesse

RATATA : Refus d’admission sur le territoire au titre de l’asile

SDF : Sans domicile fixe


SDRIP : Service départemental de recueil des informations préoccupantes
SOLMIRE : Solidarité migrants réfugiés

TA : Tribunal administratif


TS : Tentative de suicide

UNICEF : United Nations International Children’s Emergency Fund (Fonds des


Nations unies pour l’enfance)
UPE2A : Unité pédagogique pour élève allophone arrivant

ZEP : Zone d’éducation prioritaire


ZUP : Zone à urbaniser en priorité
Itinéraire de l’auteur

Charlotte Lagrange est née en 1984.


Autrice, metteuse en scène et dramaturge, elle a été formée à l’école
du Théâtre national de Strasbourg après des études de philosophie
à la Sorbonne et un master professionnel mise en scène et dramaturgie
à Nanterre.
En 2011, elle crée la compagnie La Chair du Monde, implantée dans
le Grand Est, en Alsace.
Elle est l’autrice de plusieurs textes, qu’elle met elle-même en scène.
En 2013, elle monte L’Âge des poissons, librement inspiré du roman
Jeunesse sans dieu d’Ödön von Horváth, puis, en 2015, Aux Suivants
et Je suis nombreuse.
En octobre 2017, elle crée Tentative de disparition au Nouveau Relax,
Scène conventionnée de Chaumont.
En 2018, elle écrit Désirer tant. La pièce est lauréate de l’aide à
la création d’Artcena en 2018, accessit du Prix Café Beaubourg 2019,
est sélectionnée par le comité de lecture ALT (Auteurs Lecteurs Théâtre)
et par le festival Impatience en 2019. Elle est créée en novembre 2018
dans une mise en scène de l’autrice, à La Filature, Scène nationale à
Mulhouse.
En 2019, elle écrit Les Petits Pouvoirs à la Chartreuse de Villeneuve-
lès-Avignon. La pièce est présentée à Théâtre Ouvert lors du festival
Jamais Lu-Paris, en octobre.
La même année, elle écrit L’Araignée. La pièce bénéficie, à Théâtre
Ouvert, d’une session de l’École pratique des auteurs de théâtre en
décembre 2019 et janvier 2020. Elle crée le spectacle en mars 2020,
à Théâtre Ouvert Hors les murs, à la MC93 à Bobigny.

Elle a mené de nombreuses créations participatives, notamment sur


le territoire de Montbéliard avec MA scène nationale.
Ces créations, les rencontres qu’elle a faites avec des étrangers
mineurs, et les personnes chargées de leur accueil, ainsi que les
entretiens qu’elle a menés sur le territoire l’ont nourrie pour l’écriture
de L’Araignée.
Elle est également intervenante à la faculté des arts du spectacle à
Strasbourg et elle a régulièrement écrit pour le Temporairement
Contemporain, revue du festival d’écritures contemporaines de la
Mousson d’été.
Dramaturge, elle a travaillé auprès de Frédéric Fisbach, Lukas Hemleb,
Joël Jouanneau, David Lescot, Arnaud Meunier, Laurent Vacher et
Jean-Paul Wenzel.

L’Araignée est sa première pièce publiée.


Collection
Théâtre Ouvert
TA P U S C R I T

1 Rue du Temple de Michel Quint


2 Les Incertains de Jean-Paul Wenzel
3 Fugue en mineur(e) de Pierre Léaud
4 Un balcon sur les Andes de Eduardo Manet
5 Les Sables mouvants de Jacques-Pierre Amette
6 Voici Solange, Paris ou ailleurs de Cosmas Koroneos
7 Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès
8 Détruire l’image de Louise Doutreligne
9/10 Voyage de Madame Knipper vers la Prusse orientale et Carthage encore
de Jean-Luc Lagarce

11 Paroles de voyage dans la maison immobile de Claude Vercey


12 Point sublime de Michel Boudon
13 Laura dans l’olivette de Philippe Minyana
14 Leçons de bonheur de Liliane Atlan
15 Toutes les îles se touchent… de Gérard Le Cam
16 Stravaganza de Claude Prin
17 Partage de Michel Deutsch
18 Fin d’été à Baccarat de Philippe Minyana
19 Regarde les femmes passer de Yves Reynaud
20 Bibi le Kid de Yves-Fabrice Lebeau

21 Madame Sarah de Madeleine Laïk


22 Ern (possession en neuf temps) de Serge Ganzl
23 Entrevue au parloir de Fernand Seltz
24 Vagues souvenirs de l’année de la peste… de Jean-Luc Lagarce
25 Noises de Enzo Cormann
26 Dîner de Laurent Renou
27 Le Coin d’ombre de Corinne Atlas
28 Usinage de Daniel Lemahieu
29/30 Cabale et Temporalia de Enzo Cormann
31 Dodéca ou De l’audition - Céladon - Métisse - Figures de Gérard Lépinois
32 Face de carême de Jacques Kraemer
33 Mendoza, en Argentine… de Eduardo Manet
34 Images de Mussolini en hiver de Armando Llamas
35 Retour à la citadelle de Jean-Luc Lagarce
36 Surtout quand la nuit tombe… de Arlette Namiand
37/38 Double Commande et Les Voyageurs de Madeleine Laïk
39 Les Autres de Emmanuel Loi
40 Les Guetteurs de Bernard Sarrut

41 Soleil nuit de Judith Gershman


42 L’Annexe de Agnès Mallet
43 Paroli de Jean-Claude Mouyon
44 Tohu-Bohu de Claude Prin
45 Les Deux Frères de André Gunthert
46 Effacement de Colette Fayard
47 Les Chiennes de Eduardo Manet
48/49 Rose, la nuit australienne et L’Entre-deux de Noëlle Renaude
50 Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce

51 Remarques sur l’horizon et ses habitants de Yves Nilly


52 Tonkin-Alger de Eugène Durif
53 Le Voyage à Arezzo de Anne Barbey
54 Toute ressemblance de Madeleine Laïk
55 Un peu d’effroi de Josanne Rousseau
56 Les Corps simples de Yves Nilly
57 Le Renard du Nord de Noëlle Renaude
58 L’Arbre de Jonas de Eugène Durif
59 Lisbeth est complètement pétée de Armando Llamas
60 Meurtres de la princesse juive de Armando Llamas

61 Djurdjura de François Bourgeat


62 Après nous de Jacques-Pierre Amette
63 Corps et tentations de Didier-Georges Gabily
64 Le Maître de fabrique de Serge Ganzl
65 Gustave n’est pas moderne de Armando Llamas
66 L’Arbre de Jonas (version bilingue franco-allemande) de Eugène Durif
67/68 Petits Rôles et Blanche Aurore Céleste de Noëlle Renaude
69 Inaccessibles amours de Paul Emond
70 Corps plongés dans un liquide de Christine Angot
71 Les Petites Heures de Eugène Durif
72 Chemin de feux de Jacques Doazan
73 Celle-là de Daniel Danis
74 Passage des lys de Joseph Danan
75 Kammerspiel de René Fix
76 Les Nuages de terre de Daniel Danis
77 De quelques choses vues la nuit de Patrick Kermann
78 Trop loin une île de Jean-Marie Prevel
79 Nous, les héros de Jean-Luc Lagarce
80 Caprices d’images de Paul Emond

81 J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne de Jean-Luc Lagarce


82 Opéra savon de Jean-Daniel Magnin
83 Le Chant du Dire-Dire de Daniel Danis
84 L’Excuse du temps de Jacques Doazan
85 Nefs et naufrages de Eugène Durif
86 Onysos le furieux de Laurent Gaudé
87 Comment cela est-il arrivé ? de Joris Lacoste
88 Meurtres hors champ de Eugène Durif
89 Pluie de cendres de Laurent Gaudé
90 La Gelée d’arbre de Hervé Blutsch

91 Badier Grégoire de Emmanuel Darley


92 La Langue des chiens de roche de Daniel Danis
93 Qui se déchire de François Bon
94 Gouaches de Jacques Serena
95 Bruit de François Bon
96 Anne-Marie de Philippe Minyana
97 Une ombre de Emmanuel Darley
98 Un épisode du monde moderne de Ivan Grinberg
99 Souterrains de Emmanuel Darley
100 Rimbaud sur les bords de l’Oder de Andreas Marber

101 Eddy, F. de pute de Jérome Robart


102 Ervart ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche de Hervé Blutsch
103 R. S/Z. Impromptu Spectre de Joseph Danan
104 Deux morceaux de verre coupant et Le Petit frère des pauvres de Mario Batista
105 Disparu(e)(s) de Frédéric Sonntag
106 Les Habitants de Frédéric Mauvignier
107 Intrusion de Frédéric Sonntag
108 Choses tendres de Marie de Beaumont
109 Maman est folle de Frédéric Mauvignier
110 C’est ma maison de Frédéric Vossier
111 Langue Fourche de Mario Batista
112 Rêve de jardin de Frédéric Vossier
113 Art’Catastrophe de Jalie Barcilon
114 Faire de Frédéric Mauvignier
115 Toby ou le saut du chien de Frédéric Sonntag
116 Alta Villa - Contrepoint de Lancelot Hamelin
117 Dépaysage de Guillermo Pisani
118 La Séparation des songes de Jean Delabroy
119 Le Problème de François Bégaudeau
120 Tout doit disparaître de Eric Pessan

121 Ciel ouvert à Gettysburg de Frédéric Vossier


122 Cancrelat de Sam Holcroft
123 Fractures de Linda McLean
124 Les Inaboutis de Eric Pessan
125 Le Foie de François Bégaudeau
126 Choco Bé de Laura Tirandaz
127 Je pars deux fois et Jour de Nicolas Doutey
128 Des idiots nos héros suivi de De la blessure de Moreau
129 Au bout du couloir à droite d’Aurore Jacob
130 La Fusillade sur une plage d’Allemagne de Simon Diard

131 L’Incroyable Matin de Nicolas Doutey


132 Seuls les vivants peuvent mourir d’Aurore Jacob
133 Des territoires (Nous sifflerons la Marseillaise…) de Baptiste Amann
134 L’Ennemi intérieur de Marilyn Mattei
135 Paranoid Paul (You stupid little dreamer) de Simon Diard
136 Convulsions d’Hakim Bah
137 Des territoires (…D’une prison l’autre…) de Baptiste Amann
138 Le Moment psychologique de Nicolas Doutey
139 A PARTÉ de Françoise Dô
140 Pour ton bien (Per il tuo bene) de Pier Lorenzo Pisano
141 Les Inamovibles de Sèdjro Giovanni Houansou
142 Des territoires (... Et tout sera pardonné ?) de Baptiste Amann
143 La Truite de Baptiste Amann

Tapuscrits épuisés
1 à 38, 42, 45, 47 à 61, 63 à 74, 76, 77, 79,
80, 81, 83, 85, 86, 88, 89, 90, 92, 93, 95.

Les titres épuisés sont disponibles


en photocopies avec participation aux frais,
renseignements au 01 42 55 74 40.
Et aussi,
collection Théâtre Ouvert / Enjeux

Transat de Madeleine Laïk


Avec les témoignages de Anne Laurent Variations,
Michelle Marquais La Spiritualisation, André Marcon L’intuition,
Christiane Cohendy L’éphémère, Brigitte Lauber L’ailleurs,
Michel-Charles Gaffier L’espace-temps, Alain Marchal La subtilité,
Madeleine Laïk La séduction

Vater Land de Jean-Paul Wenzel et Bernard Bloch


Avec des textes de Arlette Namiand De pères allemands
et Sous les décombres, Jean-Paul Wenzel Des nuits sans sourires,
Bernard Bloch Une errance calculée et comprenant Vater Land,
récit de Jean-Paul Wenzel et Vater Land, théâtre de Jean-Paul Wenzel
et Bernard Bloch

La Waldstein de Jacques-Pierre Amette


et Les Orphelins de Jean-Luc Lagarce

Le Mal du pays et Les Sables mouvants, de Jacques-Pierre Amette


Avec le témoignage de Dominique Nores, Ecrire

Usinage, Amours de famille de Daniel Lemahieu


Suivi de Préludes et figures

L’Etalon Or de Daniel Lemahieu


Comprenant Pour la comédie de Daniel Lemahieu (extraits d’un article
publié dans Loisir, périodique de la Comédie de Caen) et un témoignage
de Michel Dubois, metteur en scène, Bilan et dépôt de bilan

Radiodrames
Maison d’hôtes de Eugène Durif, Delft de Joël Jouanneau,
Ce qui s’appelle crier de Joris Lacoste et Lit de Gilles Saoud
avec les témoignages de Christine Bernard-Sugy, Claude Guerre
et Blandine Masson
Diptyque
Comment cela est-il arrivé ? et Nouvelles révélations sur le jeune homme
de Joris Lacoste
Préface de François Bon
Proposition dramaturgique de la compagnie Coué
Interview de l’auteur

Prologue, Entente cordiale, Anne-Marie de Philippe Minyana


suivis de Paroles d’auteurs avec Michel Azama, François Bon, Enzo Cormann,
Magnus Dahlström, Eugène Durif, Roland Fichet, Jon Fosse, Rodrigo Garcia,
Christophe Huysman, Joël Jouanneau, Daniel Lemahieu, Philippe Minyana,
Gregory Motton, Lars Norén, Jean-Marie Piemme, Noëlle Renaude,
Alejandro Tantanian

Par les routes de Noëlle Renaude


Textes et témoignages sur le thème “Des écritures dans l’espace”
de Hervé Blutsch, Robert Cantarella, Damien Chaîne, Rodolphe Congé,
Céline Hersant, Frédéric Maragnani, François Raffinot et Noëlle Renaude

Entre les murs de François Wastiaux


Théâtre-récit d’après le roman de François Bégaudeau
Entretiens avec François Bégaudeau et François Wastiaux

Meurtres de la princesse juive de Armando Llamas (nouvelle édition)


Entretien avec Micheline Attoun
Parcours d’auteur, 20 ans avec Théâtre Ouvert, vol. 1

Images de Mussolini en hiver et Comment te le dire ? de Armando Llamas


Correspondance avec l’auteur
Portrait par Olivier Goetz
Parcours d’auteur, 20 ans avec Théâtre Ouvert, vol. 2

J’ai 20 ans, qu’est-ce qui m’attend ?


de François Bégaudeau, Arnaud Cathrine, Aurélie Filippetti,
Maylis de Kerangal, Joy Sorman
Entretiens avec les auteurs
Témoignage de Cécile Backès et Maxime Le Gall
Conception graphique
Atelier ter Bekke & Behage
Achevé d’imprimer en mars 2020
Média Graphic, Rennes

Dépôt légal : mars 2020

Vous aimerez peut-être aussi