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Annales historiques

compiégnoises

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèques de la Ville de Compiègne


Société d'histoire moderne et contemporaine (Compiègne, Oise).
Auteur du texte. Annales historiques compiégnoises. 1981-07.

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ANNALES HISTORIQUES
CCMPIECNCISES
ETUDES PICARDES ÎTODHRNIHS ET CONTEMPORAINES

CRISES FRUMENTAIRES &


« EMOTIONS w POPULAIRES

EN PICARDIE - 16 0-18
AMIENS, COMPIEGNE OISE, AISNE , ...

I4«ANNEE
ORGANE ÎE LA SOCIETE ÎTUSTOIRE M.& C.) J)E COMPIEGNE
JUIL.- SEPT 81 1SSK.0182-546-1
N" 15 - 16 F
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SOCIETE D'HISTOIRE DE COMPIEGNE

MODERNE ET CONTEMPORAINE

SIEGE : Secrétariat - Jacques BERNET- 82bis, rue de Paris


60200 COMPIEGNE - Tél. 420.26.52
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Professeur à l'Université de Paris I
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Secrétaire Général : M. Jacques BERNET
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M. Jacques DEMARCQ, M. Olivier KOVAL, Mlle Elisabeth
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M. Bernard VINOT (relations avec l'Aisne), M. Daniel
GUERIN (à titre d'honneur).
C.C.B. de la Société : à l'ordre de la Société : B.N.P. 020.766/59 COMPIEGNE

Créée en octobre 1977, la


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est affiliée à la SOCIETE DES ETUDES ROBESPIERRISTES, fondée par Albert MATHIEZ et
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ANNALES HISTORIQUES COMPIEGNOISES


modernes et contemporaines
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COPYRIGHT A.H.C. m. et c. - Tous droits de reproduction réservés.
Commission paritaire N° 61934
ETUDES PICARDES MODERNES ET CONTEMPORAINES

N° 15 juillet - septembre 81

SOMMAIRE

- EDITORIAL : par J. BERNET p. 3

CRISES FRUMENTAIRES ET "EMOTIONS POPULAIRES" EN PICARDIE ( 16° - 18° )


- ETUDE :
Amiens, Compiègne, Oise, Aisne ...
.
Une crise de subsistances à Amiens ( 1586
- 1587 ) par M.L. PELUS p. 5

.
BI-CENTENAIRE TURGOT : La guerre des farines dans l'Oise (1775 )
par G. IKNI p. 13

.
Documents sur la guerre des farines dans l'Aisne ( mai - juin 1775 )
( Arch. Dep. Aisne ) p. 33

.
L'émeute frumentaire du 24 janvier 1795 à Compiègne par J. BERNET p. 37

- DIVERS :


Un exemple de racisme religieux : l'affaire d'incendie de Crévecoeur
( été 1790 ) par J. BERNET p. 47

.
Exécution de Prunier à Beauvais ( Echo de l'Oise - 18 novembre 1879 ) p. 51
" Pour trancher ", postface de J. DEMARCQ p. 54

.
La crise des années 30 dans le Beauvaisis, par J. GANIAGE p. 56

- RUBRIQUES HABITUELLES :


Bibliographies et ouvrages reçus par la Société p. 61

.
Vie de la Société ( avril - juin 1981 ) p. 64
.
Bulletin d'adhésion et d'abonnement p. 69

NOTRE COUVERTURE : célèbre gravure de l'émeute survenue à la manufacture Réveillon


à Paris en janvier 1789.

Directeur de Publication : J. BERNET Imp. CIR. COP COMPIEGNE


Commission paritaire : N° 61.934 Dépôt légal : 3ème trim. 1981

Publié avec le concours du Conseil Général de l'Oise et de la Municipalité de Compiègne


EDITORIAL :

Avec ce n° 15, achevant les activités de la saison 1980-81 et préparant celles la prochaine, no-
de
tre revue revient à un thème et à une période qui ont déjà fait l'objet d'autres publications de la
Société d'Histoire de Compiègne : les temps modernes et un de ses aspects majeurs, à savoir le pro-
blème du pain, cause de la plupart des mouvements populaires, de ces émeutes frumentaires que l'on
appelait alors des "émotions". Dans une France donM'écrasante majorité de la population travaillait
la terre, le système et les moyens de production étaient tels que l'agriculture fournissait, en pé-
riode "normale", tout juste de quoi nourrir la vingtaine de millions de Français et Françaises de 1'
époque ; qu'il survînt, pour diverses raisons, une série de mauvaises récoltes, et c'était la catas-
trophe : la pénurie, amplifiée par l'accaparement et la spéculation, entrainait la disette, voire la
famine, souvent accompagnée d'épidémies et de grandes mortalités. Jusqu'au début du XVIIIe siècle -
la famine de 1709 étant considérée comme la dernière véritable grande crise de ce type, - ce mécanis-
me a joué de manière chronique, entrainant des troubles périodiques, faisant stagner la population à
un niveau qui n'excédait guère celui du XIIIe siècle, sommet de la courbe démographique française au.
Moyen Age. De cette première période des temps modernes, nous retiendrons plus particulièrement la fin
du XVIe siècle, avec la grave crise frumentaire de 1585-87, dont les causes, les modalités et les ef-
fets à Amiens, nous sont ici présentés par Marie Louis PELUS, maitre assistante d'histoire moderne à
l'Université d'Amiens, spécialiste du commerce en Europe du Nord à l'époque moderne. Pour le XVIIe
siècle, dont la première moitié surtout connut de terribles périodes de pénurie et de misère - pen-
sons aux scènes très réalistes évoquées par A. Mnouchkine dans son film "Molière" - nous renverrons
nos lecteurs aux travaux classiques de Pierre GOUBERT sur le Beauvaisis, où ils puiseront maints exem-
ples développés, illustrant la réalité économique et sociale du "grand siècle" dans nos régions.
Le XVIIIe siècle vit peu à peu disparaitre les grandes hécatombes et le temps de Louis XV fut celui
d'une prospérité relative, qui permit le début d'un véritable décollage démographique, lequel posa à
son tour de nouveaux problèmes sociaux. Mais la question du pain n'était pourtant pas définitivement
réglée, et la seconde moitié de ce siècle connut, sinon de véritables catastrophes meurtrières, du
moins de sérieuses difficultés, une ou deux années par décennie : ces crises contribuèrent d'ailleurs
largement à accroitre les contradictions du système monarcho-féodal et furent en partie à l'origine
de la Révolution Française, dont le déclenchement coïncida, non fortuitement, avec la crise de la fin
des années 80. Mêmes causes fondamentales, mêmes mécanismes, mêmes remèdes proposés que dans les
siècles précédents, mais les circonstances étaient cette fois différentes, facilitant une remise en
question globale du système politique, économique et social, que l'on peut encore qualifier alors,
grossièrement, de féodal. C'est pourquoi les disettes des années 1760, 70 et 80, tout en amenant les
mêmes réactions, les mêmes réflexes populaires, prirent aussi une autre tournure, se politisèrent.
Nous en aurons ici une excellente illustration avec l'étude approfondie de Guy IKNI sur-la "guerre
des farines" de 1775, qui fut particulièrement spectaculaire dans nos régions ; le bi-centenaire de
la mort de Turgot était pour nous une raison supplémentaire de faire connaitre cette affaire, dont 1'
importance et le sens historiques restent très discutés. L'étude de Guy IKNI sur l'Oise sera complé-
tée par une série de lettres du Dr de la manufacture de St Gobain, aimablement transmises par M. Ber-
nard VINOT, documents qui nous donneront un écho très concret de la même crise à l'autre bout de la
Picardie.
Nous complèterons enfin ces articles par un document exceptionnel qui, avec le même sujet, nous trans-
porte au coeur de la Révolution Française, en l'an III, période la plus noire, au point de vue ali-
mentaire, de cette fin du siècle : le récit détaillé de la grande émeute frumentaire du 14 janvier
1795 à Compiègne, première du genre dans le Bassin Parisien en l'an III, qui eut pour principale con-
séquence de balayer définitivement de la scène politique l'administration révolutionnaire de la vil-
le.
Ainsi composée::ette revue de vacances et de rentrée revêt une unité historique, tout en traversant
trois siècles d'histoire sociale et en touchant presque toutes les régions de la Picardie. Elle com-
plète en l'élargissant l'étude ébauchée dans notre n° 5 de janvier 79 ; nous espérons qu'elle inté-
ressera pareillement nos lecteurs.

J. Bernet
UNE CRISE DE SUBSISTANCES

A AMIENS ( 1.586 -1587 )

M.L. Pelus
crises de subsistances, élément typique des économies d'"Ancien
Les
Régime", ont déjà fait l'objet de nombreux travaux (1). Les mieux connues
sont celles du XVIIe siècle ( crises de la Fronde, de l'avènement en 1661-
1662, crises de 1693-94, de 1709-10 ... ). Celles du XVI° siècle, tout aussi
graves, sinon plus, ont été moins bien explorées, pour des raisons documen-
taires évidentes. Les Archives municipales d'Amiens, très riches en documents
du XVIo siècle, permettent une étude détaillée de ces crises, en particulier
de la plus grave d'entre elles, celle de 1586-87 (2).
Avant d'aborder la crise en elle- même, il n'est peut-être pas inutile
de faire rapidement le point sur la situation religieuse et politique à
Amiens en cette époque. Depuis 1562, date à laquelle la "fournée" d'échevins
nouveaux décidée par Catherine de Médicis a fait basculer le conseil munici-
pal du coté catholique, le calvinisme ne progresse plus à Amiens, et tend
même à perdre du terrain. Malgré cette remontée des forces catholiques, la
ville, objet de nombreuses sollicitations, n'adhère pas encore à la Ligue,
qu'elle ne rejoindra qu'en 1588. En 1587, elle essaye toujours de maintenir
sa neutralité, position difficile à tenir et d'autant plus dangereuse que les
armées des deux camps rôdent dans la campagne environnante (3). C'est donc
sur ce fond de guerre civile que s'inscrit à Amiens la crise européenne de
1586-87. Nous en évoquerons tout d'abord le déroulement au jour le jour, à
l'aide des registres de l'échevinage, afin de mettre en lumière les divers
phénomènes qui l'accompagnent. Puis nous développerons un des aspects ori-
ginaux de la documentation : les implications commerciales de cette crise,
avec un achat de grains à Dantzig.

I) LE DEROULEMENT DE LA CRISE :

Les premiers signes en apparaissentdès la récolte de 1585, qui. s'annonce


médiocre. Début juillet, l'échevinage ordonne un contrôle armé du transport
des grains aux portes de la ville, et interdit aux blatiers d'exporter hors
d'Amiens. Ceux-ci protestent "... attendu qu'il n'y a aucune disette, au
contraire ... leur blé se gâte, et ils vont être contraints d'en jeter beau-
coup à la rivière". L'échevinage autorise donc à nouveau le libre passage
des grains, mais fait néanmoins enquêter sur les réserves de la ville. Une
émeute à l'une des portes entraîne la reprise du contrôle, et l'interdiction
de transporter hors de la ville plus d'un setier (4) par personne, ce qui
valut à des paysans, qui emportaient chez eux un ou deux setiers pour leur
consommation personnelle, d' être molestés par des habitants de la ville.
A ce moment ( juillet 1585 ), le setier de "bon blé" vaut 28 sols, celui de
seigle 20 sols.

(1) cf. en particulier la mise au point récente de F. LEBRUN : les crises démographiques en France aux XVIIe
& XVIIIo siècles, Annales E.S.C.,
1980, PP. 205-234.
(2) Archives Municipales d'Amiens ( Bibliothèque de la ville ) : séries AA ( ordonnances de police, en par-
ticulier AA 17 ) ; BB ( délibérations de l'échevinage, en particulier BB 47 & 48 ) ; CC ( comptabilité ) ;
GG (établissements hospitaliers, épidémies )
; HH ( comptes d'achat de blé, mercuriale, en particulier
HH 4, HH 5, HH 10 ).
(3) cf. A. de CALONNE : Histoire de la ville d'Amiens, 1899 1906, 3. vol.
-
(4) Le setier de Paris équivalait à la fin du XVIe siècle à 1,56 H1 ; sachant que le setier de Paris vaut
mesure d'Amiens, le setier d'AMens équivalait alors 34,6 1.
à la même époque quatre setiers et demi,
( cf. M. BAULANT & J. MEUVRET Prix des céréales extraits de la Mercuriale de Paris ( 1520 1698 )
: - -
Paris 1960, vol. 1, pp. 18-19. )
Si les prix baissent légèrement d'août à octobre, ils montent ensuite ré-
gulièrement à partir de novembre : le setier de "bon blé" est coté à 31 sols
au marché du novembre, à 38 sols le 30 décembre, alors qu'il se tenait à
4
27 sols l'année précédente aux mêmes dates.
La situation s'aggrave du fait de la réapparition, à l'automne 1585, du
" danger de peste maladie qui sévissait régulièrement à Amiens au rythme
d'un an sur deux environ. (5) D'où les mesures de police ordonnées par la
municipalité en date du 12 octobre 1585 : ordre à tous ceux qui résident
dans des maisons touchées par la peste de porter un bâton blanc ; contrôle
sévère de tous les déménagements et transports de meubles, pour lesquels un
certificat de non contagion devient obligatoire ; interdiction de nourrir
dans la ville "... porcs, conins, oizons, pigeons ... ne aultre bestial en-
gendrant infection " ; ordre à tous les habitants de balayer et laver à
grande eau le devant de leurs maisons ; interdiction aux pâtissiers de jeter
dans la rue les tripailles de volailles, aux chirurgiens et maréchaux d'y
verser le sang des malades ou des chevaux ; médecins et chirurgiens seront
tenus de signaler tous les cas de peste.
La crise se confirme au cours de l'hiver 1585-86. Le 19 décembre 1585,
l'échevinage décide d'appliquer l'ordonnance royale interdisant l'exportation
de blé hors du royaume, tandis que les forains sont invités à exposer leurs
grains dans la ville. En janvier 1586 apparaissent les premières allusions
au phénomène de mendicité massive, caractéristique des crises d'ancien type :
ainsi le 9 janvier, " ... pour ce que Ion voit à present par la ville grand
nombre de paouvres mendiants tant habitants que forains, il est ordonné que
l'on retirera les ordonnances interdisant les aumônes et la mendicité."
A la fin du mois de mars, la pénurie persistante fait monter le setier de
"bon blé" jusqu'à 40 sols, tandis que celui de seigle atteint 28 sols. C'est
surtout à partir du mois de mai, début de la "soudure", que la situation com-
mence à prendre une tournure dramatique. Les registres ne cessent d'évoquer
" la grande cherreté et disette de bled ". Le 5 mai, le setier de bon blé est
passé à 50 sols ; celui de seigle à 38 sols ; le 12 mai, les deux catégories
atteignent respectivement 58 et 48 sols.
A la misère et à la mendicité déjà évoquées s'ajoutent maintenant un
chômage généralisé dans la sayetterie, et la menace d'une révolte populaire,
phénomènes eux aussi classiques en temps de crise. Citons une fois de plus
les registres de l'échevinage : " ... les paouvres gens murmurent et se mu-
tinent fort, spécialement quand il ny a du blé en suffisance au marché." ( 8
mai 1586 ) ; ce même jour, les échevins insistent sur la nécessité de trouver
" des moyens comme l'on pourra appaiser et rompre les esmotions populaires
au cas qu'il en survienne aucune comme il est fort à: craindre, le paouvre
peuple estant quasy en desespoir pour la cherreté du bled et le peu de gai-
gnage qu'il a ... ,"à cause de la disette et cherreté du bled, joint la
cessation du mestier de saietterie ...". Le 24 mai, les registres signalent
de nouveau cette conjonction entre mendicité et révolte : " ... plusieurs
mendient le long du jour, même du soir, entre maison et maison, s'assemblans
ensemble, et en diverses trouppes, jusques à vouloir forcer les habitants de
leur faire aulmosne en troublant le repos public." A cette date, le setier
de "bon blé" se vend 66 sols, tandis que le seigle n'est même plus coté.
Bien sur la municipalité ne reste pas inactive face à ces difficultés.
Le problème le plus urgent est évidemment celui du ravitaillement. Dès le
mois de février 1586, quelques échevins sont chargés d'aller voir " aux
champs ", en Santerre ou ailleurs, où l'on peut acheter du blé. Le 27 mars,
" a esté proposé, comme autrefois, que le bled renchery fort et tout mesmes
qu'il y en a1 disette en Normandie et qu'il s'y en transporte beaucoup, comme
aussy il s'en transporte beaucoup au pais bas du Roy catholique secrettement
en sorte qu'il est à craindre quil n'y en ait disette et que la cherreté nen

(5) cf. P. DEYON : Etude sur la société urbaine au XVII0 siècle : Amiens, capitale provinciale, Paris 1967,
pp. 17-33 ; J.M. BIRABEN : Les hommes & la peste, Paris, T. 1, pp. 384-385.
soit beaucoup plus grande vers la fin de l'année, de faire achapt et provi-
sion de 4 à 500 muids ".(6) Après des recherches infructueuses, nos échevins
réussissent tout de même en mai 1586 à passer quelques marchés, entre autres
avec un marchand nommé Claude MALLET, qui se fait fort de fournir 350 muids
de blé mesure d'Amiens, provenant des terres de M. de MESVILLERS, et avec le
Comte de CHAULNES pour 120 muids mesure de Roye. Mais très vite viennent les
deceptions : le blé du Comte de Chaulnes arrive endommagé, tandis qu'on ap-
prend le 24 mai que les habitants de Mesvillers ont empêché Claude Mallet d'
amener à Amiens les grains promis. Ceci donne d'ailleurs une idée de la si-
tuation des paysans en temps de crise. Le 26 juin suivant, l'échevinage d'
Amiens est saisi des plaintes des pauvres paysans contre les laboureurs "qui
ont du blé chez eux et le leur vendent 20 ou 25 sols pour chacun sestier
plus qu'il ne vaut à Amiens." La hausse des prix est donc encore plus forte
à la campagne qu'en ville du fait de l'égolsme des riches et de l'absence de
contr'ole, d'où l'atmosphère de révolte latente et les attaques de convois
de grains.
A défaut de pouvoir acheter des grains, la municipalité organise dès le
printemps 1586 un contr-ole sévère du commerce des subsistances et de la
fabrication du pain. Dès le 8 mai, elle ordonne la présence au marché de 3
échevins " ... assistés de quelques sergeans du guet de nuict affin qu'il ny
ait aucun désordre, et s'ils voient qu'il y ait peu de bled envoyeront chez
les fermiers et aultres qui ont une grande quantité de bled affin quilz ay-
dent à y envoier ung muy ... mesmes Messieurs du Chappitre et les Celestins
quy en ont nombre seront priés den envoier chacun jour ung muy ou deux audit
marché." Ces premières mesures de réquisition, accompagnées d'un effort de
recensement de tous les stocks des particuliers et des institutions, s'ac-
compagnent de l'interdiction faite aux boulangers et pâtissiers " de fabriquer
à Amiens et faulx bourgs ou banlieue pains blancs, crasquelins et pains
despice, tartes, poulelains ny aultre semblable blanche viande." Il est
également interdit aux brasseurs de vendre "aucun brémart".
Pour essayer de réduire le chômage, on décide d'employer à l'entretien et
à la réparation des fortifications tous les hommes valides, à l'exclusion
toutefois des "forains", qui reçoivent d'ailleurs l'ordre de quitter la ville.
Quant aux pauvres invalides, ils recevront une aumône, ce qui amène un ac-
croissement de la "cottisation des habitants".
En ce mois de mai 1586, la principale préoccupation de la municipalité
semble toutefois consister dans le maintien de l'ordre à tout prix. Le 19, il
est décidé " ... que l'on informera en diligence contre ceulx qui ont tenu
et tiendront propos séditieux, tendans à émotion populaire et qu'il en sera
fait punition exemplaire" ..."On élira dans chaque quartier bon nombre d'ha-
bitans, des plus zeles et affectionnes au bien de la ville et repos public,
lesquels en cas d'esmotion populaire ... devront se trouver dans leur quar-
tier lesdites esmotions et sy besoing
pour soudainement rompre et appaiser
est prendre prisonnier les séditieux, mesmes en cas que aulcuns en viennent
aux armes ... dy resister par tous les moiens avec discrétion et faire en
sorte que la force leur demeure et à la justice, à quelque péril que ce
soit." Tandis que se mettent en place ces "quarteniers", on tient aux portes
des halles " quarante hommes armez et embastonnez en cas desmotion."
La suite des évènements, tels que les relatent les registres de l'échevi-
nage, est à la fois monotone et tragique.
Les prix des subsistances, après une brève chute au moment de la récolte,
en août 1586, retrouvent très vite le niveau atteint lors de la soudure, car
la récolte de 1586 n'est pas meilleure que la précédente. Au printemps 1587,
la hausse prend des proportions inouies : alors que, durant tout l'hiver, le
setier de "bon blé" s'est tenu aux alentours d'un écu, 20 sols (80 sols), et
celui du seigle autour d'un écu (60 sols), les deux céréales grimpent res-
pectivement jusqu'à 3 écus 20 sols (200 sols) et 2 écus 30 sols (150 sols)
en mai-juin 1587. La baisse, consécutive à une bonne récolte, s'amorce début

(6) A Paris le muid vaut 12 setiers ; à Amiens le muid de blé représentait alors la nourriture quotidienne
d'un millier de pauvres assistés. cf. E. MAUGIS : Recherches sur les transformations du régime politique et
social de la ville d'Amiens, des origines de la commune à la fin du XVlo siècle. Paris 1906, p. 536, n. 1.
juillet fin août, le setier de froment est tombé à 38 sols, celui de seigle
;
à 24. Si l'on essaye de mesurer l'amplitude de cette hausse, l'on constate
qu'entre le 24 juin 1585, début de la crise, et le 29 juin 1587, fin de celle-
ci, le prix du froment a été plus que multiplié par 7, celui du seigle plus
que par 8 Cette crise d'Amiens de 1586-87 fut donc largement aussi grave
!

que celle qui devait survenir un siècle plus tard, en 1693-94, dont l'ampleur
est restée célèbre. (7)
Les registres signalent bien sur sans cesse les corollaires inévitables de
cette hausse vertigineuse des prix : la famine, la misère, la mendicité, ac-
crues encore par le marasme industriel et commercial.
Pour remédier à la situation, les échevins reprennent sans cesse les mesu-
res déjà signalées pour le printemps 1586, signe que ces dernières n'avaient
guère été efficaces. Au printemps 1587, ils renforcent le contrôle du marché
des grains ( interdiction de faire ce commerce en dehors du marché, d'acheter
le grain "en vert", d'aller au devant des convois de grain ... ), et organi-
sent le rationnement ainsi qu'une distribution hebdomadaire de grains aux
chefs de famille sur présentation de bons, délivrés contre une somme d'argent
correspondant au prix des grains consommés.
La situation était alors d'autant plus dramatique que la peste sévissait
de plus belle. En août 1586, on reprend les mesures déjà appliquées à l'au-
tomne précédent, en y ajoutant la défense faite aux habitants "... de jecter
es rues par les fenestres ... ordures et infections, et de souffrir leurs en-
fants ou aultres de leur mesnie faire leurs nécessités es rues ", sous peine
d'amende ; les propriétaires reçoivent l'ordre de faire établir des latrines
dans toutes les maisons. Cette peste se prolonge sur toute l'année 1587, jus-
qu'en novembre. (8)

II) L'EXPEDITION EN BALTIQUE :

Cefut la seule mesure vraiment originale, décidée par la municipalité d'


Amiens, pour trouver un remède à la crise. A vrai dire une telle décision re-
présentait pour ces bourgeois, peu versés dans le commerce international, et
encore moins dans le commerce maritime, quelque chose d'extraordinaire, d'ir-
réalisable, d'où l'idée primitive de prendre comme intermédiaires quelques
négociants des ports les plus proches. C'est ainsi que le 28 août 1586, " a
esté avisé que l'on parlera à Me Nicole MACHART dans Saint Valéry, et a quel-
ques marchans de la ville de Rouen, et que l'on fera marché avec eulx pour
en aller achepter ( des grains ) en loingtain pais, a la charge de le rendre
en ceste ville a leurs périls et fortunes." Le 4 septembre suivant, trois
échevins se rendent donc à Dieppe, St Valéry et Le Tréport, où on leur donne
le conseil de freter eux-m~emes des navires pour le compte de la ville. Le
conseil envisage donc " de fretter 3 ou 4 divers vaisseaulx pour aller achep-
;
ter et charger bled à Auscbourg en Allemagne (9) quelques jours plus tard,
les notions géographiques de nos échevins s'affinent, puisqu'il est question
de "Ambourg". On parle alors d'employer à l'achat des grains une somme de
6000 écus "prinse a constitution de rente et à raison du denier douze". Cette
rente, gagée sur la recette des aides de la ville, est effectivement émise en
octobre. Trois échevins se mettent alors en route " vers Rouen et aultres
lieux", dans l'espoir de trouver des navires et des assurances. Mais ceci
était moins facile qu'ils ne l'imaginaient !

(7) cf. P. DEYON, op. cité, pp. 45-48.


(8) cf. Archives municipales d'Amiens, GG 1117 : compte de la subvention des pestiférés rendu par Guillaume
CADOT pour l'année 1587.
(9) G. DURAND, Département de la Somme, ville d'Amiens, Inventaire sommaire des archives communales anté-
rieures à 1790, T. III, série BB ( 39 à 323 Amiens, 1897, p. 120, adopte comme transcription Ansebourg,
qui serait un amalgame entre Hambourg & la Hanse. Toutefois la graphie "Auscbourg" semble paléographique-
ment plus juste, & il est tout à fait possible que nos bourgeois d'Amiens, qui n'avaient qu'une idée fort
vague de la géographie de l'Allemagne & des pays du Nord en général, aient imaginé qu'Augsbourg, célèbre
place commerciale & bancaire, était une ville maritime, tout comme Rouen ou Anvers !
A Rouen " ils n'ont
jamais trouvé personne quy ayt vouleu asseurer pour
bled ny pour le voiage dambourg encores quilz leur ayent fait entendre quils
avaient passeport du Roy, lettres de faveur de Sa Majesté a la Royne dangle-
terre et au Milor destre (10) ainsi quaux Estats généraux des Pais Bas, et
quils aient faict offre auxdits asseureurs de vingt pour cent ..." ; ils ont
en outre appris " ... quil y a bien cent cinquant vaisseaulx qui sont partis
pour aller au ble soit a Ambourg, Danzinck et en Pologne, tellement quils
nont peu fere aucune chose en ladite ville de Rouen", d'autant plus qu'aucun
des marchands de Rouen ne consent à leur promettre des grains avant le retour
des navires. Toutefois, " un Angloix qui a grand nombre de ble en vaisseaulx
sur mer" a promis de les avertir " sytot que ledit ble sera en Somme" et de
leur en vendre une partie. A Dieppe, mêmes déboires : ils trouvent " tous les
vaisseaulx partis pour aller en Ambourg et aultres lieux charger bleds". Cet-
te impression n'était pas fausse : les registres du péage du Sund (11) révè-
lent en effet que les années 1586-87 furent marquées par une pointe excep-
tionnelle de la navigation française en Baltique, avec une prédominance des
navires domiciliés dans les ports picards ou boulonnais, ainsi que par une
quantité particulièrement forte de grains déclarés comme "marchandise fran-
çaise" .
Rentrés bredouilles à Amiens en octobre 1586, nos échevins pensent alors à
une autre solution : le marché des Pays Bas. Ils dépèchent donc Jehan DANNES,
bourgeois et marchand d'Amiens, muni de passeports, mais celui-ci rentre fin
décembre en disant " quil na pu obtenir permission den pouvoir achepter et en
lever une partie en Hollande ny Zelande parce quilz en ont disette", et de
fait les autorités des Pays Bas, tant au Nord qu'au Sud, interdisaient ces
années-là les exportations de grains.
Il faut donc attendre le printemps pour l'expédition en Baltique. L'hiver
se passe en tractations entre la municipalité et les marchands d'Amiens, en
vue de la constitution d'une société. Un contrat est finalement passé le 3
février 1587, entre " ... les Maieur, prevost et escheveins de la ville et
cité damyens " et deux marchands, Guillaume DELATTRE et Lois BRUYANT, pour la
fondation d'une "association et compagnie" au capital de 8000 écus, dans le
but "d'envoyer en Danzik achepter bled, seigle ou orge pour la provision de
la ville" ; le capital est fourni pour moitié par ses deux partenaires, enco-
re que Guillaume DELATTRE et Lois BRUYANT servent en fait de prête noms à
tout un syndicat de bailleurs de fonds recrutés parmi les marchands d'Amiens.
La direction technique des opérations est confiée à deux autres marchands,
Anthoine de HALLOY et Charles POULLAIN, qui recevront chacun une rétribution
de 100 écus, outre le remboursement de leurs frais. Pour fournir sa part de
capital, la ville émet une nouvelle rente au denier 12, assise comme la pré-
cédente sur les recettes du bureau des aides. Il faut noter au passage le ca-
ractère exceptionnel d'une telle société dans le cadre du commerce amiénois,
où prédominent les petites entreprises familiales. En revanche cette société
n'est pas en soi un cas unique : on en voit fleurir de semblables dans toutes
les villes importantes en cas de crise, et à Amiens même, elle n'est pas la
seule, puisqu'une autre association du même type, réunissant quatre marchands
d'Amiens, est fondée au même moment et dans le même but ; l'échevinage l'au-
torise, malgré les protestations de ses associés DELATTRE et BRUYANT ; on ne
sait malheureusement rien de plus sur cette seconde société. (12)
On peut, gràce au compte rendu fait par Antoine de HALLOY et Charles POUL-
LAIN, suivre le déroulement des opérations. La société réussit tout d'abord
à affréter 13 navires, 9 de Dieppe, 2 de Saint Valéry, 1 d'Abbeville, et un
navire écossais. Ces navires, qui ne transportent guère plus de 20 lasts

(lû)LEICESTER, Lieutenant général & représentant de


la Reine Elisabeth en Hollande & Zelande. Elisabeth a
conclu en août 1585 une alliance avec les provinces révoltées contre le Roi d'Espagne, & leur envoie des
troupes. LEICESTER devait rester aux Pays Bas -jusQU'en décembre 1587.
(11) Aux Archives d'Etat de Copenhague, cf. aussi N.E. BANG, Tables de la navigation & du transport des mar-
chandises passant par le Sund, 1497 - 1660, 3 vol., Copenhague Gvldendal. 1906 1933.
(12) Pour des sociétés semblables, fondées - -
au même moment et dans le même but, cf. en particulier les Re-
gistres de délibérations du Bureau de la Ville de Paris. (Coll. Histoire générale de la ville de Paris ),
T. IX, 1902, p. 51.
,
chacun (13), n'étaient sans doute pas accoutumés à faire le voyage en Balti-
que, le navire écossais mis à part. Peut être étaient-ils pour certains de
simples bateaux de pêche, d'où la nécessité d'employer la force : c'est ainsi
que Pierre PERCEVAL, maitre de navire d'Abbeville, ne consentit à partir que
sur une sommation de sa municipalité.
Après l'affrètement des navires, le second problème à résoudre est le
transport des fonds d'Amiens à Danzig. Trois cents "ducats millerets" parvi-
ennent en espèces à Jehan DARRAS par l'intermédiaire de Jehan LEFEBVRE, "en-
voié esprès en Danzik". Le reste de la somme est envoyé à Danzik sous la for-
me de lettres de change, en deux étapes. La première consiste à remettre l'
argent à Luc REMON, correspondant de la société à Anvers ; pour cefaire, fau-
te de relations importantes dans la cité brabançonne, nos marchands durent
s'adresser à des négociants de Rouen, Lille et Arras, qui leur fournirent des
lettres de change sur Anvers contre argent comptant. Luc REMON fit à son tour
parvenir l'argent à Jehan DARRAS sous forme de lettres de change sur Danzig.
Jehan DARRAS achète à Danzig avec cet argent 63 lasts de froment et 174,5
lasts de seigle, pour une somme totale équivalent à 7400 écus. Les 13 navires
que l'on voit pénétrer en Baltique sur lest entre le 22 mars et le 5 avril
1587, sont de nouveau enregistrés dans le Sund au retour avec leurs cargai-
sons de grain entre le 19 avril et le 10 mai. Passé le Sund, le retour ne
manque pas de péripéties : deux des navires sont retenus quelque temps pri-
sonniers à Douvres, et la société doit payer pour les récupérer une rançon
de 223 écus ; tous les navires sont ensuite arrétés à leur arrivée dans les
ports de Boulogne, Calais ou Dieppe, et retenus par les autorités de ces
ports, qui ne les relâchent que sur production de lettres du gouverneur de
Picardie.
A la mi-juin enfin, les 13 navires se trouvent tout de même à St Valéry,
alors prêts à être déchargés. On constate alors qu'une partie du seigle a
été avariée, " ... tellement ... quil nestoyt digne d'entrer dans le corps
humain" ; une soiçantaine de setiers ont également disparu, sans doute vo-
lés sur les navires. Les grains restants sonttransbordés sur 27 gribennes,
sortes de barques qui faisaient les transports de marchandises sur la Somme.
Quatre de ces gribennes sont arrétées par les autorités d'Abbeville qui se
saisissent de la cargaison et en vendent une partie aux habitants de la ville.
Ce nouveau déboire coûta aux autorités d'Amiens de multiples démarches auprès
du Roi et du gouverneur, pour obtenir le remboursement des grains vendus et
la main levée du reste des grains saisis, qui arrivent enfin à Amiens début
juillet 1587.
les grains sont vendus dès leur arrivée dans la ville, à un cours
Tous
fixé par les autorités en dessous de celui du marché : 2 écus le setier de
froment, 1 écu 20 sols le setier de seigle, alors que les cours rééls attei-
gnaient en juillet respectivement 3 écus 20 sols et 2 écus 20 sols. Malgré
ce prix de vente modéré, en dépit des frais très élevés occasionnés par les
difficultés du voyage, l'opération s'était avérée très profitable pour la
société, qui réalisa un bénéfice de 17600 écus, soit 123 % du prix de revient.

Si maintenant l'on essaye tirer quelques conclusions de l'étude de


de
cette crise de 1586-87 à Amiens, il faut insister tout d'abord sur son carac-
tère particulièrement grave, dû à la conjonction de trois fléaux classiques ;
deux mauvaises récoltes successives, liées à des accidents météorologiques,
en relation avec le début du "petit âge glaciaire" ; la peste, qui sévit à
Amiens à l'état endémique, favorisée par l'insalubrité du climat et l'absence
d'hygiène, la guerre civile et étrangère qui endommage les récoltes, détruit
le potentiel de production dans la campagne environnante, désorganise les
relations commerciales terrestres et maritimes.

(13) Le last équivalait environ tonnes métriques. Les auteurs du compte précisent que " le laest est
à deux

revenu à Amyens, scavoir le blé a(90) S(eptiers) au laest, et le seigle a (89) S(eptiers) et demy au mieulx"
( Archives municipales d'Amiens, HH 5, FO 5, en marge )
La gravité de cette crise fut encore amplifiée par le fait qu'Amiens,
située au centre d'une région ordinairement exportatrice de céréales, se trou-
vait encore plus démunie que les autres villes lorsque la nécessité se faisait
sentir d'acheter à l'étranger, d'autant que les bourgeois d'Amiens ne prati-
quaient guère le grand commerce ; s'ils avaient des relations avec Anvers et
Rouen, c'était surtout pour écouler les produits de la sayetterie ; on ne les
voit guère faire du commerce au delà de ces deux grands pôles. D'où la lenteur
de la prise de décision et de l'exécution : peu au fait de la géographie du
commerce des grains, des problèmes et des techniques du commerce maritime, les
marchands d'Amiens ont au moins six mois de retard sur ceux de Rouen ou de
Dieppe dans la course aux subsistances, retard dramatique pour les plus pau-
vres, qui ont eu le temps de mourir de faim.
Cette crise ne toucha pas en effet de la même façon toutes catégories
sociales. Il faut distinguer entre les victimes de la crise, soit l'ensemble
du prolétariat du textile et de l'agriculture (compagnons sayettiers, manou-
vriers ... ), peut être aussi les maitres sayetteurs, touchés comme leurs
ouvriers par le marasme industriel, ceux qui en patissent plus ou moins ( la
moyenne et petite bourgeoisie, touchée par le surcroit des "cottisations" et
la Hausse des prix ), ceux enfin qui en profitent : les bénéficiaires de la
crise sont d'abord tous ceux qui possèdent des stocks de grains, des surplus
commercialisables ( gros laboureurs et fermiers, seigneurs, institutions re-
ligieuses ), ensuite ceux qui ont des capitaux disponibles et peuvent les in-
vestir dans ces entreprises éminemment profitables qu'étaient alors les so-
ciétés commerciales constituées pour l'achat des "blés du Nord", ou encore
dans les rentes émises par la ville ; dans cette catégorie entrent les gros
marchands, la robe et certaines familles nobles de la région.
Cette grande inégalité entre les masses qui souffrent et la petite couche
des profiteurs, étroitement liée à l'échevinage, explique l'atmosphère de ré-
volte latente qui règne au sein des classes populaires. Cette révolte ne sem-
ble pourtant pas avoir éclaté véritablement dans la ville en 1586-87. Peut-
être fut-elle contenue par la force dissuasive des armes, ou encore par l'ef-
fet des mesures de charité ; elle put aussi être contrecarrée par l'épidémie
de peste. Il resterait à savoir ce qui s 'est passé à la campagne.
Il convient en tout cas de conclure sur le caractère EXEMPLAIRE de cette
crise d'Ancien Régime, qui apparait comme le type même de la crise "complexe",
réunissant en un sinistre trio la faim, la peste et la guerre ; crise dont l'
extrème gravité apparait autant comme une conséquence de l'archaïsme des
structures économiques et sociales que comme le résultat d'une mauvaise
conjoncture économique et politique.
BI - CENTENAIRE TURGOT :

LA GUERRE DES FARINES

DANS L'OISE
- 1 775
Guy IKNI

L'idée de cet exposé : bien sûr le bicentenaire de la mort de TURGOT qui


eut à affronter ces troubles 3 d'autre part la rencontre de conduites po-
pulaires identiques pendant la Révolution Française qui m'ont donné l'
idée de m'interroger sur le lien, les rapports qui pouvaient exister en-
tre ces deux séries d'événements. J'ajouterai que l'idée de cet exposé
remontant déjà à plusieurs années, je ne me doutais pas à l'époque que
ce sujet reviendrait au premier plan de l'actualité. C'est bien le cas
aujourd'hui non seulement en France, où se pose toujours le problème de
la coexistence de l'abondance et de la consommation insuffisante de cer-
taines catégories de la population, mais bien sûr encore plus cruciale-
ment dans les pays du Tiers Monde, plus récemment encore avec l'utilisa-
tion politique de l'arme verte.
Je précise de suite que je ne suis pas spécialiste de TURGOT et que mon
point de vue reflète plutôt les interrogations suggérées par l'étude du
mouvement populaire à la fin du 18ème siècle. Ma démarche consiste au-
jourd'hui à rappeler3 très vite les faits, en signalant au passage l'im-
pact de ces événements dans notre région, de rappeler les querelles his-
tographiques qu'ils suscitèrent et les points qui à mon sens ont été né-
gligés, du point de vue des conditions économiques de l'époque, particu-
lièrement de la signification sociale et politique de ces troubles.

BREF RAPPEL DES FAITS ET DE L'HISTORIOGRAPHIE

Je m'appuierai pour ce rappel sur l'un des récits les plus classi-
ques, celui de G. SCHELLE dans sa biographie de TURGOT, parue en 1909.
Tout commence avec l'arrivée de TURGOT au contrôle général. L'an-
cien intendant de Limoges écrit, dans sa lettre publique à LOUIS XVI, le
24 août 1774 :

" J'entre en place dans une conjoncture fâcheuse par les inquiétu-
" des répandues sur Zes subsistances3 inquiétudes fortifiées par la
" fermentation des esprits depuis quelques années ; par la varia-
" tion dans les principes des administrateurs3 par quelques opéra-
" tions imprudentes et surtout par une récolte qui parait avoir été
" médiocre ".

C'est pour répondre à cette difficile conjoncture que TURGOT reprit


dans l'arrêt du conseil du 13 septembre les principes qu'il avait énoncés
quelques mois auparavant, auxquels le nouveau roi donna immédiatement son
aval. Il s'agissait simplement de la "réactivation" de l'édit de 1763 (de
lq déclaration de mai) établissant la LIBERTE DU COMMERCE DES GRAINS, su-
jet particulièrement épineux et controversé au 18° siècle. Dans la querel-
le opposant les "sullistes" et les "colbertistes", les premiers voulaient
la liberté indispensable à l'essor de l'agriculture comme base de l'accu-
mulation - il s'agissait de ceux que l'on appelait les physiocrates - ;
les néo-colbertistes, d'autre part, s'attachant plus à l'intérêt des
manufactures ou plus attentifs aux nécessités de la Raison d'Etat, qui
défendaient plutôt le maintien de la règlementation.
La solution TURGOT était somme toute assez modérée ; pragmatique,
ennemi de l'esprit de secte, comme on l'a dit, marqué par le double hé-
ritage de QUESNAY et de VINCENT DE GOURNAY, le nouveau contrôleur géné-
ral des finances libéralisa prudemment, abandonnant notamment l'idée
d'une totale liberté d'exportation, dont le roi déciderait seul de l'
opportunité.
Cette modération de .TURGOT lui valut d'ailleurs d'être plutôt as-
similé à un disciple et praticien des thèses de l'abbé GALIANI, auteur
d'un célèbre dialogue sur le commerce des blés, ennemi des "économistes",
que l'on ne manqua pas de féliciter d'avoir gagné un tel émule. ( D.DAL-
KIN, p. 179 ).
Cependant la cherté s'étendait partout, au delà même des frontières
en Europe ; les importations étaient faibles. En avril 1775 une émeute
éclata à Dijon, déjà précédée de troubles à Ervy en Champagne méridiona-
le. Mais TURGOT ne s'inquiétait pas outre mesure ; il suspendit la per-
ception des droits d'octroisur les marchés, encouragea l'achat à l'é-
tranger en promettant une prime de 18 sols par quintal aux importateurs.
Il déclarait dans le même temps :

"Nul pouvoir humain ne saurait empêcher, quand les blés sont rares,
" qu 'ils ne soient chers ? Cette cherté est un remède, amer sans
" doute mais nécessaire contre la disette. Elle tend à se diminuer
" elle-même en appelant par l'appâct du gain, les secours étran-
" gers aux nationaux, des endroits qui en ont le moins de besoins,
" à ceux qui en ont le plus. La seule chose à faire est de laisser
" à ces secours toute la liberté et toute la facilité possible pour
" arriver et en outre. d'aider les véritables pauvres par des ate-
" liers de charité ". (G. SCHELLE p. 182)
A peine avait-il envoyé
une circulaire
aux Inten-
dants, recommandant la cré-
ation de ces ateliers, l'
émeute qui allait devenir
" la guerre de Jean Farine"
éclatait.
le cours de l'Oise,
Sur
entre l'Isle-Adam et Beau-
mont, à Stors, une péniche
fut pillée le 27 avril ; ra-
pidement les troubles s'é-
tendirent à Pontoise, Poissy,
St Germain et bientôt à Ver-
sailes, le gouverneur,

le Prince de Poix, crut bon
de recommander aux boulan-
gers de vendre le pain à 2
sols ( très au dessous du
cours normal ). Cela encou-
ragea peut être le peuple,
qui gagna le Palais. Louis
XVI avertit aussitôt TURGOT,
en lui annonçant que les
troupes avaient calmé l'émeu-
te. TURGOT fit annuler la
baisse du pain et verser
50 000 b de dédommagement au
marinier pillé.
Cependant, loin de s'éteindre, les troubles ne firent que se raviver ;
dans la nuit du 2 au 3 mai, 4 à 500 personnes, dont beaucoup venues des
campagnes, entrèrent dans Paris et pillèrent les boulangeries. En province
aussi le mouvement tendit à faire tâche d'huile dans les généralités voi-
sines de la capitale : Rouen, Amiens - assez peu -, Soissons ... ; les
troubles remontaient par les vallées, courant de marché en marché, mais dé-
bordant vite vers les abbayes, les maisons de marchands et de bourgeois,
les meuniers, les gros fermiers et laboureurs. Sur le territoire du futur
département de l'Oise les troubles furent particulièrement sérieux.
M. SAMSON, en se fondant sur l'étude des papiers de la maréchaussée de
Beauvais, a noté que les marchés de Beaumont, Méru, Mouy, Pontoise, Noail-
les, Marines avaient été attaqués. G. RUDE signale aussi Nanteuil, Senlis,
Crépy, Clermont, Montdidier ... G. SCHELLE avait quant à lui noté Noyon. On
peut y ajouter Chantilly, Précy, Compiègne, Pont Ste Maxence, Ressons sur
Matz, Attichy, sans compter Blérancourt dans l'Aisne.
A Senlis, par exemple, le registre de délibérations de la ville note
que la place avait été envahie par un grand nombre d'"étrangers", 1000 à
1200 personnes munies de bâtons et de sacs, venant de différentes paroisses,
même de Monchy St Eloi, située à plus de 4 lieues de la ville. La plupart
de ces gens n'avaient pas coutume de s'approvisionner à Senlis. Les labou-
reurs firent savoir qu'ils laisseraient le blé à 30 livres ; le peuple ré-
pondit que l'on en avait donné 12 à Gonesse et qu'il le voulait au même
prix ; et à l'instant il se jeta sur les sacs, sans attendre la réponse des
laboureurs.
Pour notre région nous disposons de l'intéressant témoignage d'un nommé
TONON, dans une lettre adressée à l'Intendant de Soissons, le 6 mai 1775 :
"
... Noyon vient d'avoir son tour ce matin et d'éprouver l'effet de la
fermentation générale sur la cherté des bleds par une REDUCTION FORCEE au
tiers et à la moitié de leur prix courant ... Sans le secours de la premiè-
re division du régiment de Chartres, destiné pour Mantes, l'approvisionne-
ment des marchés et greniers étaient la proie d'une populace extrèmement
nombreuse ... "
TONON ajoutait
ensuite que les auteurs de ces tumultes étaient les mê-
mes qui venaient d'opérer les révoltes de Compiègne et de Ressons : les
trois quarts de cette foule venait des environs de Compiègne et au delà, n'
avaient jamais paru sur le marché de Noyon. Un grand nombre était sans ar-
gent ; il réclame des troupes et ajoute qu'il vient d'apprendre du Marquis
de Barbançon, marquis de Varense, l'arrivée de 150 hommes du Régiment de La
Fère, pour couvrir la ville et le port de Pont L'Evèque, alors essentiel
pour le ravitaillement de Paris.
Cetémoignage est corroboré par celui de GELLE, procureur fiscal de
Blérancourt ( celui là même dont la fille faillit épouser SAINT JUST ... ),
dans une lettre à l'Intendant, datée du 8 mai 1775 ; il y déplore les " tris-
tes révolutions qui sont arrivés dans le courant de la semaine dernière tant
ès marchés des villes de Noyon et d'Attichy qu'il avait fixé avec la maré-
chaussée le prix à 7 h le setier de Blérancourt et 8 h le setier de Soissons
mais que beaucoup murmuraient haut qu'ils paieraient que 4 livres. Un mutin
ayant été arrêté, la foule armée de pierres, bâtons, de couteaux a redou-
blé de désordre ( et de menaces ). "Ce témoignage signale enfin que non
seulement les villes ont été attaquées, mais aussi les fermes ( l'auteur
parle de " l'affreux aveuglement des peuples des campagnes qui ont pillé les
fermes " des alentours de Blérancourt. Ceci correspond tout à fait aux ren-
seignements recueillis par M. SAMSON dans le Beauvaisis, où il a noté l'at-
taque de 9 moulins, 8 fariniers, 31 laboureurs, 14 fermiers - dont la famil-
le d 'ISORE, le futur Conventionnel de l'Oise - ; on s'en prit même à 2 cou-
vents et 2 curés. J'ai trouvé moi-même une autre attaque d'envergure, narrée
par la maréchaussée de Clermont, dans le marquisat de Liancourt ( la ferme
de Pierre VACHETTE à Cauffry, qui fut également pillée ).
C'est dire l'importance qu'a eue la "guerre des farines" dans l'Oise,
comme d'ailleurs aussi en même temps dans l'Aisne.
Pendant ce temps, à Paris, TURGOT prenait des mesures énergiques :
dans la nuit du mercredi 3 au jeudi 4 mai 1775, deux armées furent consti-
tuées, dont le commandement fut confié au maréchal de BIRON. Le contrôleur
général des finances avait exigé une repression aussi dure que rapide ;
les prévenus seraient jugés de manière expéditive par des commisions des
cours prévotales, " selon les usages du temps de guerre " ( Ouvrage d'Ed-
gar FAURE, p. 269 ). Les Parisiens se moquèrent de l'emphase du commandant
en chef et le traitèrent de " Jean Farine ". Le lendemain TURGOT fit tout
pour briser dans l'oeuf les vélléités de résistance du Parlement de Paris,
lequel voulait publier un arrété annonçant la baisse du prix des grains et
farines. Par lit de Justice du 5 mai 1775, le Roi fit accepter aux Parle-
mentaires la juridiction des Prévôts généraux de la maréchaussée.
Plusieurs centaines d'arrestations eurent lieu les jours suivants :
G. RUDE en a noté 260 en Brie et en Ile de France, 145 pour les affaires
parisiennes. M. SAMSON pour sa part, en faisant l'étude exhaustive des pa-
piers de la maréchaussée de la lieutenance de Beauvais, n'en a pas moins
relevé 500 dans le Beauvaisis - ce qui tend à prouver que faute d'une étu-
de plus poussée des sources, on a eu jusqu'ici tendance à minimiser les
chiffres de la repression, dans les synthèses parues à ce jour. A Paris
la commission prévôtale condamna deux émeutiers à être pendus ; ils le
furent le jour même, à trois heures de l'après midi enplace de Grève.
A partir du 6 mai, note Edgar FAURE, la guerre prit la forme d'une
guerilla qui s'éteignit peu à peu ; mais comme le remarque l'auteur lui-
même, nous sommes encore très mal renseignés sur ce qu'il appelle les
"troubles excentriques", notamment dans les actuels départements de la
Somme, de l'Aisne, de l'Eure, de la Seine maritime. Quelques indications
sommaires sont fournies par Edgar FAURE sur Vernon, Reims, Sens ...
Dans l'étude publiée en 1963 par Guy LEMARCHAND sur les troubles survenus
dans la Généralité de Rouen, on trouve une esquisse géographique des in-
cidents en Normandie entre le 1er et le 29 mai 1775 : Vexin normand, fo-
rêt de Lyons, partie orientale du Bray, pays de Caux et même les abords im-
médiats de Rouen, sans compter quelques localités de la rive gauche de la
Seine.
LES INTERPRETATIONS

Au moment même où se déroulaient les évènements est née la thèse du COM-


PLOT, laquelle domina l'explication du phénomène jusqu'à une époque relati-
vement récente.
Cette thèse apparut en effet dès les troubles de Versailles, dans les or-
dres du Roi. Elle fut largement reprise également dans le discours du Garde
des Sceaux au Parlement de Paris, le 4 mai 1775. La presse de l'époque s'en
fit immédiatement l'écho : on peut ainsi lire dans le N° XL des "Nouvelles
extraordinaires" ( daté du vendredi 19 mai 1775 ), que les Gardes Françaises
et les mousquetaires avaient arrété parmi les paysans des vagabonds et des
journaliers de la ville, dont plusieurs auraient eu sur eux plus d'argent
que ne le promettait leur état ( jusque 5 à 6 louis ! ), ce qui visait à
accréditer l'idée très tôt diffusée, que ces séditions avaient été fomentées
par des gens plus puissants. On vit aussi dans la simultanéité des troubles
une confirmation de la thèse du complot ; plusieurs contemporains, et non
des moindres, tels VOLTAIRE ou CONDORCET reprirent ouvertement cette idée ;
le second raconte ainsi l'évènement dans sa vie de TURGOT :
Il Bientôt après les brigands criant qu'ils manquaient de pain, et payant
Il avec de l'or le bled qu'ils forçaient de leur donner à vil prix et qu'
3

" ils revendaient ensuite, ameutant le peuple avec de faux arrêts du con-
Il seil imprimés3 tratnant après eux la populace du village, pillèrent
Il successivement les marchés le long de la Basse Seine et de l'Oise
1/ Monsieur de TURGOT poursuit
; il vit dans les circonstances de cette
...
1/ émeute
un plan d'affamer Paris ... l'or, la destruction des comestibles,
Il la taxation, tout annonçait
un système suivi de rebellion et de pillage
n
... tous les pouvoirs semblaient suspendus ; lui seul agissait dans ces
Il circonstances
... 1/

Même son de cloche chez l'abbé MORELLET , dont G. SCHELLE cite dans son
ouvrage une lettre à Lord SHELBURN datée du 17 mai 1775 : " ... sans croire
qu'il y ait à tout cela une première et unique cause, un complot formé et
dirigé à un seul but, on ne peut se dissimuler que le premier mouvement une
fois donné a été soigneusement entretenu ... " ( Cité pp. 195-96 )
Furent successivement accusés d'avoir fomenté ce complot les Anglais, la
maison d'Orléans, les fermiers généraux, les monopoleurs, l'abbé.Terray, an-
cien contrôleur général des finances ou ses ci-devant agents, le Clergé -
plus particulièrement les Jésuites -, MAUPEOU et ses Parlementaires, les
Francs Maçons, les Jacobins, la secte des Illuminés, cette dernière étant re-
crutée par le Prince de CONTI, lequel était particulièrement hostile à la
politique de TURGOT et ne perdait pas un instant pour le faire savoir. ( Co-
Incidence supplémentaire, c'est près de son domaine de l'Isle Adam qu'avaient
éclaté les premiers troubles ... ). On accusa enfin le parti de CHOISEUL.
Or cette thèse du complot a été reprise non seulement par d'illustres con-
temporains, mais aussi par plusieurs générations d'historiens aux XIX° et
XX0 siècles. FONCIN, VOLTAIRE la diffusèrent à plaisir ; ce dernier écrivait
dans sa diatribe à l'auteur des Ephémérides, le 10 mai 1775, empruntant le
style de relation du journaliste, le récit suivant, purement fictif :

" Quand nous approchâmes de Pontoise" nous fûmes tout étonnés de voir
il environ dix à quinze mille paysans qui couraient
comme des fous en
" hurlant et qui criaient : les blés, les marchés., les marchés, les blés.
" Nous remarquâmes qu'ils s'arrêtaient à chaque moulin qu'ils démollis-
n saient en un moment et qu'ils-jetaient blé3 farines et
sacs dans la ri-
vière.... J'entendis un petit prêtre qui, avec une voix de stentor lui
disait : saccageons tout, mes anris3 Dieu le veut Ce prêtre avoue en
...
outre avoir reçu de l'argent pour cette bonne oeuvre ... "
( Cité par LOUBLINSKI )
L'idée de complot, ou du moins de pillage organisé, a encore été reprise
par Philippe SAGNAC, par Lavisse Afanassive, ce dernier distinguant entre
les troubles de Dijon, spontanés, et ceux de Paris, qui auraient été l'oeu-
vre d'une bande organisée dans le but d'affamer la capitale ... Plus près
de nous encore, l'historien anglais DAKIN dans " Turgot and the ancien re-
gime " ( Publié à Londres en 1929 ), fait des troubles de Dijon le résultat
d'un complot (p. 182).
Or cette thèse du "complot" comporte des contradictions criantes, qui ne
peuvent resister à un sérieux examen historique : comment admettre, par exem-
ple, que la "populace", comme disaient les auteurs contemporains, parmi les-
quels se trouvaient de nombreux manouvriers, ait pu, même en étant "payée",
détruire du grain, alors que l'on souffrait notoirement de malnutrition, que
la disette remémorait des tristes souvenirs de pénurie comme celles de 1709,
1725, 1740, 1757, 1768 - cette dernière crise ne s'étant produite que 7 ans
auparavant - ? Au reste les soi-disant scènes de "pillage" et destruction de
subsistances ne sont nullement attestées par les archives.
Il fallut pourtant attendre les années 50 de ce siècle pour que le mythe
du complot fomenté par des forces obscures, utilisant le concours de bandes
armées, fut définitivement écarté. Nous le devons principalement à deux his-
toriens, le Canadien Georges RUDE, d'une part, qui publia deux articles sur
la question, en 1956 et 1959, dans les Annales Historiques de la Révolution
Française ; le soviétique LUBLINSKI, d'autre part, lequel écrivit une impor-
tante étude dès 1955 ( en russe ). puis la compléta en 1959. Dans l'ensemble
ces deux auteurs ont proposé, dans des termes différents, une interprétation
SOCIALE des troubles, en insistant particulièrement sur leur caractère popu-
laire. C'est aussi ce point de vue qui fut adopté à leur suite par Edgar
FAURE dans un ouvrage célèbre publié en 1961, " La disgràce de Turgot", étude
faite dans un tout autre esprit, toutefois. Depuis peu un certain nombre de
nouvelles recherches sont venues s'ajouter, notamment celles de Guy LEMAR-
CHAND pour les troubles survenus dans la généralité de Rouen ( article pu-
blé en 1963 ) ; plus récemment, en 1980, a été publiée la traduction fran-
çaise des travaux complétés et remis à jour de l'historien soviétique LUBLINS-
KI, cité plus haut. On assiste d'ailleurs à un renouveau des études sur cet-
te importante affaire, avec des recherches en cours de la part de chercheurs
français et américains, notamment, annonçant de prochaines publications de
synthèse.
C'est maintenant sur l'apport de l'interprétation sociale de la guerre
des farines que je voudrais m'arréter plus longuement. Quels en sont l'inté-
rêt et les limites ? Quelles incertitudes, quelles questions demeurent ?
L'interprétation sociale écarte d'abord définitivement la thèse du complot
et en particulier le mythe des "brigands stipendiés" ; le caractère purement
spontané sinon inorganisé des troubles a été amplement prouvé par l'étude des
pièces d'archives dans diverses régions.
Les apports positifs de cette nouvelle thèse concernent d'abord le mouve-
ment populaire, sa composition, ses modalités d'action, ses buts, ses effets
dans le reste de la société. Par ailleurs on peut ainsi mieux replacer cet
évènement historique dans le cadre de la fin de l'Ancien Régime, du point de
vue des troubles typiques des crises de subsistances de l'époque moderne, d'
autre part en considérant la guerre des farines comme une affaire qui a pré-
cédé de peu la Révolution Française, dont elle n'est éloignée que d'une
vingtaine d'années.
C'est dans l'analyse de la composition du mouvement populaire que l'inter-
prétation sociale a fait le plus avancer nos connaissances historiques :avec
en premier lieu la distinction, longtemps ignorée, de l'existence d'un double
mouvement, comportant une composante urbaine, parisienne, pourrait-on dire,
d'une part, et une composante rurale, qui fut longtemps seule 'remarquée.(1)

(1) Toutefois le problème n'est pas posé aussi clairement dans l'ouvrage de V.S. LUBLINSKI (pp. 48-49 )
En ce qui concerne la première, LUBLINSKI s'est appuyé sur une liste conser-
vée à Leningrad, qu'il compare avec les données d'autres sources ; il s'agit
de listes de gens arrétés et jugés à la suite des troubles. L'auteur constate
que parmi les noms clairement identifiés, un tiers des personnes sont décla-
rées sans revenus fixes, 53 % sont des salariés, le reste étant constitué d'
artisans. Parmi les salariés dominent les métiers du textile, les gagne-de-
niers, les porteurs d'eau, les forts de la halle, les journaliers alors très
nombreux à Paris même ; chez les artisans les plus qualifiés, on trouve bien
plus de compagnons que de patrons. On trouve enfin quelques badauds, de sim-
ples passants.
Pour les participants en dehors de Paris, LUBLINSKI, s'appuyant essentiel-
lement sur RUDE, constate qu'il n'y a pratiquement pas de paysans sur les
102 noms recensés, mais 21 "bourgeois" ou artisans, des représentants du
personnel féodal, un échevin, un meunier, quelques marchands, un directeur de
la poste ( aux Andelys ), un brigadier de maréchaussée. Pour le reste, des
vignerons, batteurs en grain, journaliers, manouvriers, ouvriers maçons, ou-
vriers du textile, cordonniers, colporteurs, des femmes, quelques personnes
employées dans les manufactures : ainsi au marché de Mouy (Oise) les ouvriers
en laine avaient joué un rôle moteur, se réunissant dans une auberge pour
organiser leur action, faire baisser les prix et obliger les cultivateurs de
Bresles à livrer leurs blés au marché.
Ces indications sociales sont bien recoupées par le résultat des recher-
ches de Guy LEMARCHAND dans la généralité de Rouen. Celui-ci a en effet noté
dans les villes la prédominance des métiers du textile, en particulier le
rôle des tisserands pour les localités non manufacturières ; également celui
des artisans et commerçants et dans les campagnes, surtout la participation
des bûcherons et vignerons ; il a cependant noté un faible nombre de journa-
liers - indication quelque peu surprenante, mais en réalité trompeuse, si l'
on s'appuie sur le résultat des travaux de M. SAMSON dans l'Oise.
Ce dernier a en effet réalisé le travail le plus minutieux de comptabilité
des séditieux, dans le Beauvaisis, à partir des papiers de la maréchaussée.
Cette recherche très importante, dont il a eu l'amabilité de me communiquer
les résultats, a permis de relever les noms de 537 inculpés, dans la seule
lieutenance de la maréchaussée de Beauvais, parmi lesquels on connait les
professions de 433 personnes ; on y relève une masse de vignerons (145),
puis 58 manouvriers et journaliers, 19 métiers du textile, 13 cordonniers,
18 employés dans les ports et marchés, des personnes enfin relevant des mé-
tiers du bois, de l'artisanat de village, du petit commerce local ( marchands
fariniers, de serge, de harengs, de boucles ; aubergistes et cabaretiers,
professionnels du grain ... ) ; les femmes inculpées sont au nombre de 132.
Mais M. SAMSON a relevé plusieurs fois cette précieuse indication dans les
rapports de la maréchaussée : on a souvent libéré aussitôt les gens les plus
pauvres, incapables de rembourser les grains "pillés", si bien que nous échap-
pe à coup sûr toute une frange de population des plus modestes.
Notons que tous ces auteurs attestent également la présence dans le mouve-
ment de bourgeois et de curés, chose qui a pu accréditer à l'époque des opi-
nions comme celle de Voltaire sur cette affaire. ( Dans l'Oise, notons plus
particulièrement le nom de TIREL DE LA MARTINIERE, curé d'Auger St Vincent,
près de Crépy en Valois ). Il n'est pourtant pas besoin de recourir à l'ex-
plication du "complot" pour comprendre leur présence ; on sait d'ailleurs
bien le rôle local important joué un peu plus tard sous la Révolution fran-
çaise par certains prêtres patriotes.
En ce qui concerne les modalités d'action et les buts, tous ces historiens
concordent pour reconnaitre la spontanéité 'du mouvement, l'absence de plan d'
ensemble ; il n'est cependant pas surprenant de retrouver certaines constan-
tes, des directions privilégiées, les mêmes causes produisant les mêmes effets,
d'autant que la spontanéité du mouvement n'exclue pas des formes d'organisa-
tion. Tout le problème est en effet celui de l'organisation, de ses condi-
tions, de son sens.
De ce point de vue, les actions de pillage pur et simple, encore fréquen-
tes, rappelent plutôt les troubles frumentaires de type ancien, remontant par-
fois très loin dans notre histoire. ( cf. l'ouvrage classique d'U.P. USHER )
On est cependant frappé par l'apparition de certains signes d'organisation,
voire de préparation de caractère parfois très moderne. L'on discute avant
dans les auberges ou dans les bois, l'on se concerte pour préparer l'action.
On établit un prix de taxation qui peut varier ici et là, mais l'on retrouve
souvent un taux identique, de l'ordre de la moitié du prix du marché. ( cf.
RUDE, op. cité, p. 319 ; on a souvent taxé à 2 sous la livre de pain, à 12
livres le setier de blé, ou encore 18, 20, 24 b au lieu de 30, 32 fc.
Dans l'ensemble cependant le caractère avant tout spontané du mouvement ne
saurait être mis en doute ; RUDE y insiste plus spécialement dans son second
article, davantage consacré aux éléments conjoncturels comme facteur de dé-
clenchement des troubles.
Se pose ensuite le problème plus large des liens de l'affaire avec la si-
tuation politique et sociale globale au début du règne de Louis XVI. Ici les
avis sont assez partagés, tant sur le problème des alliances sociales révélées
par le mouvement que sur les clivages et les oppositions. On souligne d'abord
que le mouvement est encore par certains cotés de type ancien, sur le modèle
des révoltes récurrentes. Mais on note en même temps des éléments nouveaux :
G. RUDE insiste sur l'opposition à la liberté du commerce. Sur le problème
des alliances sociales, on souligne en l'occurrence l'absence d'unité du
Tiers Etat, à la grande différence de 1789, et ce serait la cause de la dé-
faite du mouvement. Pas de caractère vraiment anti-féodal, selon cet auteur,
c'est moins la haine des privilégiés que la lutte contre la bourgeoisie com-
merçante, urbaine et rurale, dit RUDE ; " menée subjectivement d'abord contre
une fraction du Tiers, cette lutte atteint également les catégories féodales"
écrit LEMARCHAND dans son étude de 1963.
A l'inverse LUBLINSKI y voit la première manifestation de l'alliance entre
les couches populaires de la campagne et de Paris. En clair il s'agit déjà
par certains cotés d'un véritable mouvement révolutionnaire, qui " marque
la borne de l'Ancien Régime ", comme l'a écrit E. FAURE, mais auquel il a
manqué chez les couches populaires une claire conscience sociale, un program-
me précis, un sens tactique et des alliances. Dans les formes il exprime ce-
pendant une étape décisive dans la maturation de cette conscience ; dans le
type d'actions, d'organisation des masses, il marque un bond en avant, car,
comme l'a
noté RUDE, il y a quelquefois " une ressemblance avec les journées
du printemps 92, de février et septembre 93 " et " de manière plus halluci-
nante encore avec la grande peur et les mouvements ruraux qui l'ont précédé."
( article de 1956, p. 178 )

A ces aspects importants concernant le mouvement populaire lui-même, V.S.


LUBLINSKI ajoute, dans l'ouvrage récemment publié en français, une reflexion
sur la situation du mouvement d'un point de vue historique plus global, en
considérant sa signification dans la transition du féodalisme au capitalisme,
touchant là une problématique devenue très familière pour les historiens de
la Révolution française. Plus précisément il cherche à dégager les contra-
dictions qui existaient entre plusieurs types de capitalisme en voie de for-
mation et pénétrant la société féodale ; il s'appuie pour cela sur la clas-
sification de TAYLOR et, partant de ces contradictions, cherche à comprendre
la signification de la politique royale et en particulier celle de TURGOToll
v a là des pages extrèmement fécondes, qui posent d'ailleurs plus de problèmes
qu'elles n'en résolvent, mais ont le mérite d'ouvrir la voie à une reflexion
tout à fait fondamentale. L'auteur souligne d'ailleurs à juste titre que bien
des aspects, bien des faits restent mal connus ou mal étudiés. Les recherches
en cours devraient permettre de progresser et d'éliminer maintes zones d'om-
bre, sur les évènements eux-mêmes. Je voudrais cependant en attendant faire
quelques remarques sur un certains nombres de problèmes soulevés par les in-
terprétations les plus récentes, souligner quelques points qui me paraissent
avoir été jusqu'ici trop négligés, bref suggérer quelques nouvelles pistes de
recherches, en m'appuyant plus particulièrement sur les trouvailles faites
dans les régions de l'Oise.
DE PAR LE ROI.
Î
L cfl défendu, fous
. 41»»
peine de la vie, à toutes perfonnes
de quelque qualité qu'elles. foient, de former aucun
attroupement.
D'entrer de force dans la Maifon ou Boutique d'aucun
Boulanger, ni dans aucun Dépôt de Grains, Grainer,
Farine & Pain.
On ne pourra acheter aucunes des Denrées fu.fdites,
que dans les Rues ou Places.
Il eft défendu de même, fous peine de la vie, d'exiger
que le Pain ou la Farine foient donnés dans aucun Marché
au-(lcffolIS Clll Prix courant.
Toutes les Troupes ont reçu du Roi, l'ordre formel de
faire obferver les détentes ci-defTus avec la plus grande
rigueur, & de faire feu en cas de violence.
Les contrevenans feront arrêtés & jugés prévôtalement
fur le champ. •
'
DE NOUVELLES PISTES DE RECHERCHES

Je mebornerai ici à l'analyse de la composante essentiellement rurale


du mouvement, n'ayant pas mené d'enquête sur Paris, mais m'étant cependant
intéressé aux villes de province. Je regroupperai les prblèmes abordés en
trois thèmes fondamentaux, qui me paraissent avoir été trop insuffisamment
examinés dans l'historiographie classique : d'abord les conditions matériel-
les du commerce des grains, sur lesquelles les historiens français n'ont guè-
re été prolixes, comme d'ailleurs pour tout ce qui touche les conditions
techniques de la production. ( Il y a certes des travaux importants, mais
nous vivons encore largement en France sur le seul apport de J. MEUVRET, qui
a d'ailleurs surtout étudié le XVIII° siècle ; or pour la compréhension des
pratiques commerciales, l'étude des voies de communications, des moyens de
transport, de stockage me parait être de la première importance. )
Le deuxième axe, pourtant fondamental, qui me parait très négligé lui
aussi, se rattache à cette évidence trop souvent oubliée dans cette affaire :
on se situe toujours alors dans une société encore féodale, où la monarchie
représente d'abord les intérêts des privilégiés ; or on lit très peu de cho-
ses dans les études à ce sujet. Il convient de ce point de vue de ne pas se
laisser trop aller à l'empirisme, d'éviter d'analyser les évènements en sur-
face, sans les rattacher à leur contexte global. Je citerai un seul exemple de
la carence des analyses en ce domaine : on parle de pillage des marchés, de
dizaines de marchés, mais l'on ne pose pratiquement nulle part le problème de
savoir comment fonctionnait un marché à la fin de l'Ancien Régime, qui le
contrôlait ... Or ce fonctionnement fait justement apparaitre immédiatement
la notion de prélèvement féodal.(l)
Enfin je m'attacherai, à propos du marché, à l'analyse des contradictions
sociales révélées par ce mouvement, à ses effets nouveaux ainsi qu'à sa si-
gnification politique d'ensemble.
Le niveau technique des communications et du système de transports de l'
époque s'explique par des éléments naturels, technologiques et sociaux. On
serait tenté de dire, en première analyse, que les conditions naturelles sont
les principales responsables de certaines difficultés : l'hiver rigoureux, par
exemple, bloque la circulation sur les rivières - et le fonctionnement des
moulins à eau - ; les inondations et les intempéries entravent l'acheminement
des bateaux et des charrois sur les chemins ; mais ces obstacles climatiques
indéniables étaient particulièrement aggravés par l'insuffisance du niveau
technologique. De ce point de vue la capacité de transport rencontrait de nom-
breux problèmes : la taille des bateaux, très variable, restait trop limitée
( le tonnage ne dépassait guère 7 à 800 milliers pesants sur la Seine, l'Oise
et l'Aisne ; le port en lourd atteignait au mieux 130 muids de grains, ou
1200 sacs, soit 3600 setiers ou le plus souvent 1200 setiers ( d'1,80 Hl ) ;
ces bateaux mesuraient au maximum 18 à 20 toises de long, 24 à 25 pieds de
large) Les plus gros nécessitaient une force de traction importante : il fal-
lait ainsi 12 chevaux sur la Seine. Nais les plus forts tonnages ne pouvaient
être utilisés partout, imposant parfois des ruptures de charge et des trans-
bordements ; le moindre remou, le moindre haut fond pouvait être fatal. Aussi
n'utilisait-on le plus souvent que des bateaux de faible capacité : sur la
Seine des allèges de 75 à 88 tonneaux ; sur l'Oise des "bachots" de 400, 500,
600, 700, voire 800 sacs. L'écluse de Sempigny, près de Noyon, par exemple,
ne pouvait recevoir de bateaux dépassant 20 toises de longueur - d'où le pro-
jet d'une écluse au port d'Ourscamp pour les plus grands bateaux. Entre Pont
l'Evèque et Ourscamp se trouvait le passage redouté des Grands Cornets, où
souvent les bateaux atterissaient. Pour l'écluse de Sempigny, large de 20
pieds, il en aurait fallu 6 de plus Dans ces conditions les frais comme les
!

temps de transport se trouvaient lourdement pénalisés.

(1) Il faut cependant reconnaitre que certains auteurs ont tout de même effleuré la question : G. LEMARCHAND,
de manière indirecte, en disant que ces mouvements mettaient finalement en cause tout le système social de
l'époque ; cela reste cependant un peu vague. V.S. LUBLINSKI évoque aussi rapidement ce problème.
Les étaient très lourds ; par exemple entre Chauny et Pont l'
frais (1)
Evèque, les marchands payaient aussi cher qu'entre ce dernier port et Paris,
car ils chargeaient sur deux bateaux et devaient "rinser" à Sempigny, c'est
à dire fusionner les deux charges en une seule après le passage de l'écluse.
On comprend dans ces conditions la lenteur des transports de l'époque ; ainsi
les gros bateaux mettaient 18 à 20 jours pour aller de Rouen à Paris, les al-
lèges au moins 12 à 14 jours.
Mais ces conditions techniques et naturelles difficiles ne peuvent être
considérées, comme l'a rappelé récemment Ch. PARAIN, en dehors du contexte
social et nous avons ici une confirmation remarquable de l'importance de
cette appréciation. Prenons l'exemple de la portion de l'Oise la plus déli-
cate, entre Chauny et Pont l'Evèque : les marchands réclamaient depuis long-
temps son aménagement ; en 1732 le sieur CROZAT avait obtenu l'autorisation
de placer une chaine au pertuis de Sempigny en échange d'améliorations ; or
depuis 1735 le péage au pertuis avait sensiblement augmenté, sans que l'on
ait fait pour autant aucune amélioration : on comprend mieux pourquoi les
entrepreneurs refusaient d'agrandir les écluses pour permettre le passage de
plus gros bateaux ; en effet le péage était perçu par bateau, quelque soit
sa taille et les bénéficiaires n'avaient pas intérêt à permettre l'augmen-
tation du tonnage des bateaux, au détriment de leur nombre Bien entendu le !

débit de grains sur la rivière s'en trouvait entravé.


Voici donc un "obstacle naturel" qui se révèle en fait intimement lié
aux rapports sociaux et au mode de production. Ce type d'entrave, typique-
ment féodale, se retrouve de manière encore plus nette dans le fonctionne-
ment des marchés à grain de l'époque ; placés sous la juridiction féodale,
ceux-ci dépendaient presque entièrement de son contrôle, et c'est là un as-
pect fondamental, représentant une limite bien plus essentielle au commerce
- et à la production - que toutes les réglementations royales.
En premier lieu tous les marchés sont pretexte à perception de droits
très variés et complexes, parfois peu élevés, mais qui, pour peu que les
quantités vendues soient assez importantes, produisent des sommes non négli-
geables, au titre du prélèvement féodal : droits de strage, d'estérage, de
minage, de mesurage, de stellage ... A Soissons par exemple, le droit de
stellage s'élève à 1/24° soit l'essein par muid de grain, au profit du Duc
d'Orléans. A Crépy en Valois le droit de " strage, mesurage, minage " a été
réuni à l'apanage en 1756 et est devenu domanial ; il a été fixé à 1/108°
soit 1 écuellée comble au setier pour les domiciliés, 2 écuellées au setier
pour les forains, toujours au profit du même prince. (2). Il se lève ici non
seulement sur le blé, mais aussi sur l'avoine, les fèves, les haricots frais,
les féverolles, les légumes. Le droit est payé par les vendeurs. Le Duc d'Or-
léans lève encore des droits pour la navigation à La Ferté Milon et Nanteuil
le Haudouin à raison de 2 sols par sac. Le Prince de Condé lève 1 sol par sac
à Clermont pour le blé, 2 sols pour l'avoine, 2 pour l'orge, 4 pour les len-
tilles, hivernaches, féverolles - ce qui donne un produit annuel de quelques
5000 1 à S.A.S., sans compter 1 sol par sac à Gournay (négligeable), et à AU-
sauvillers 1 sol 6 deniers de mesurage par sac d'avoine ou de blé, ce qui a-
joute encore 300 et 600 livres par an. A Noyon le droit uniforme est de 1/100°
stellage, mesurage, dû à l'Evèque Comte et Pair de France : cela lui rappor-
tait plus de 9000 t par an ; à Nanteuil le Haudouin, le droit de hallage ( 2
sols par setier pour le vendeur et 1 sol pour l'acheteur ) rapportait 4 à 5000
fc par an au Prince de Condé
... Ces sommes n'étaient certes pas négligeables.
En échange de ces droits le Seigneur ou ses fermiers s'engagent à assurer le
respect de la qualité des grains.
(1) A titre
d'exemple, à la fin de l'année 1790, DORTU, marinier à Noyon, convoie 975 setiers de grains à
Paris à raison de 35 sols par setier ( mesure de Paris ). ( cf. E. CREVEAUX, pp. 108-109 ).
(2) 1 écuellée correspondait alors à 1/144° de setier ou encore 1/72° de mine. ( Pour la correspondance
entre les mesures d'Ancien Régime et celles d'aujourd'hui, on peut consulter le "Comparateur de l'Oise", ou-
vrage édité à Beauvais sous la Restauration et accessible dans les Archives départementales.
A ces droits levés sur les échanges marchands - et qui touchent donc con-
sommateurs comme vendeurs -, s'ajoutent ceux de banalités de moulin, parti-
culièrement lourds dans des villes comme Crépy en Valois ( 1/16° au profit
du meunier du Duc d'Orléans ). Sans compter les droits payés par les marchands
et les laboureurs qui n'ont pas vendu et resserent dans les greniers à la fin
du marché ( 6 deniers par sac à Nateuil le Haudouin ) ; enfin les droits de
péage, de travers, de navigation ... sur les chemins et rivières.
Outre la perception de ces droits, les Seigneurs avaient à charge l'organi-
sation et le contrôle du marché, Ils en nommaient et appointaient le person-
nel, dans des conditions que nous connaissons encore assez mal. Pour donner
un exemple : Afanassiev qui a étudié de près ces problèmes, estimait, d'après
ses recherches, qu'en dehors de Paris, on ne trouvait des porteurs qu'à Rouen
et Gonesse ; or l'enquête menée dans l'Oise prouve que cette pratique était
certainement beaucoup plus généralisée on en trouve ainsi à Nanteuil le Hau-
:
douin, où porteurs et mesureurs étaient appointés par le Prince de Condé à
raison de 33 l par mois. A Noyon c'était l'évèque qui nommait aux offices de
porteurs et mesureurs des grains. Ceux-ci étaient rémunérés sur le droit sei-
gneurial de mesurage d'1 sol 6 deniers par sac, dont les 2/3 revenaient au
Seigneur - évèque et 1/3 aux titulaires de cet office, à titre de salaire.
Le règlement par ordonnance du marché en fixait l'heure d'ouverture pour
les marchands et les particuliers ; les opérations de mesurage, les règles de
fonctionnement du marché, tout cela était très strict : on ne pouvait acheter
du blé avant midi ; il était interdit d'en serrer dans les greniers sans pas-
ser au marché, pour les chargements. Les marchands devaient obligatoirement
recourir aux voituriers et charretiers assermentés au greffe de police sei-
gneuriale ; leurs horaires de travail, les conditions de chargement étaient
fixés de manière très rigide un seul marchand à la fois - si bien que les
:
vendeurs devaient s'inscrire 8 jours à l'avance au greffe pour prendre rang !

- ; le bateau ne peut être chargé que s'il réclame au moins trois bandes de
7 à 8 porteurs ; pour éviter la confusion entre voituriers, ces derniers se
présentent selon un rang déterminé, tiré au sort, par quartier de la ville ;
ils ne peuvent voiturer de front, ni faire vacarme, ni utiliser - pour cause
d'indécence - femme ou enfant comme charretier. Une fois chargée dans la ville,
la cargaison est conduite vers le port ( de Pont l'Evèque, pour Noyon ) ; là
aussi le chargement est réglé précisément : 1'"engrénage" - ou chargement -
ne peut se faire qu'un bateau à la fois par marchand, même si plusieurs se
regroupent en bande. On ne peut en principe charger le Samedi ...
Ces détails très précis, que l'on pourrait multiplier à plaisir, montrent
bien une vérité élémentaire, trop souvent omise lorsque l'on analyse les trou-
bles frumentaires de la fin de l'Ancien Régime : ce ne sont pas les masses
paysannes ou salariées des villes qui entravent la liberté du commerce, mais
bien avant tout les multiples réglementations seigneuriales.
Ce carcan féodal s'inscrit par ailleurs lui-même dans le système comme l'
un des rouages d'un contrôle qui a tendu à devenir étatique avec l'absolutis-
point de remonter jusqu'à l'époque médiévale ( qui serait
me. De ce vue, sans
d'ailleurs sans doute éclairante ), on peut faire commencer les choses au XVI°
siècle, époque de la crise de l'Eglise, institution qui jusqu'alors légitimait
le pouvoir royal : l'éclatement du monde chrétien contribua à obliger l'Etat
féodal à enraciner sa légitimité politique dans la société civile ; plus pré-
cisément l'Etat s'efforça d'apparaitre progressivement comme un espace neutra-
lisé, garant de la stabilité sociale. C'est ce que théorise déjà J. BODIN au
XVIIo siècle, époque où fleurit le mercantilisme, dont l'aspect social colnci-
de nettement avec l'affirmation de l'absolutisme. Il s'agissait d'assurer le
maximum de stabilité sociale tout en sauvegardant les rapports sociaux féo-
daux. Sur le plan de la police des grains, cela s'est traduit par une politi-
que dont A. PARIS a résumé les grandes lignes : contrôle des réserves et des
stocks par des déclarations obligatoires des récoltants ; contrôle du commer-
ce sur le marché, tant du point de vue des qualités que des prix, contrôle,
enfin de la récolte à venir. En ce qui concerne les marchands, depuis la dé-
claration du 21 août 1699, on avait exclu de leurs corps les laboureurs, les
gentilshommes, les officiers, les receveurs et fermiers des droits ou commis
des recettes ainsi que toutes personnes intéressées dans le maniement de nos
finances, les officiers des marchés ... ; seuls meuniers et boulangers étai-
ent également autorisés à vendre.
En contrepartie du maintien strict des droits féodaux, on s'efforçait de
garantir l'approvisionnement des marchés et particulièrement celui de Paris,
pour lequel avait été définie une législation spécifique de caractère excep-
tionnel. On avait d'abord délimité un cercle de 10 lieues autour de la capi-
tale, au sein duquel certains marchés étaient autorisés et d'autres interdits
aux négociants ( parmi ces derniers CONESSE, BEAUMONT, PONTOISE, LUZARCHES.)
En effet une fois introduit dans ce cercle le grain n'en pouvait plus sortir.
Pour rappeler un mot célèbre de l'abbé GALIANI, " le pain n'était plus une
affaire de commerce mais de police Une taxe assurait aux pauvres un pain
à moindre coût dès que le prix du grain avait monté à plusieurs marchés de
suite. Enfin en période de véritable pénurie on mettait en place tout un ar-
senal de mesures diverses, destinées à limiter les effets catastrophiques de
la crise : suspensions des droits sur l'importation, sur la circulation des
grains ( péages, octrois ... ), suspension des droits levés sur les marchés ...
de manière à faire jouer la solidarité sociale des riches envers les pauvres.
On pouvait aller jusqu'à assigner dans les villes, à chaque bourgeois, un ou
deux pauvres à nourrir, à raison de 14 livres de pain par semaine.
Cette réglementation apparemment très contraignante n'était en fait appli-
quée que très épisodiquement, contrairement à ce qu'en pensent encore maints
historiens, qui commettent sur ce point de fréquents contresens. Il est cer-
tain en revanche que certains aspects de cette réglementation et du prélève-
ment féodal, confrontés à l'évolution économique et sociale des XVIIo ° XVIIIo
siècles, plus particulièrement l'essor des rapports marchands, allaient pro-
voquer une grave crise du système.
Pour échapper à la réglementation féodale, tout d'abord, il est certain
que depuis longtemps ( probablement le XVI° siècle voire mime avant ), beau-
coup de marchands, de laboureurs ou de vendeurs locaux avaient pris l'habi-
tude de ne plus passer par le marché, échappant ainsi au paiement des droits
et gagnant un temps précieux - nous avons de nombreux témoignages de cette
pratique dans le département de l'Oise. En outre l'essor considérable de Pa-
ris avait donné naissance à un commerce des grains d'ampleur régionale, et
.il en était de même, à moindre échelle, avec les grandes villes de province,
pourvues de manufactures ; de toutes façons le développement très inégal ca-
ractérisait alors une France encore morcelée et mal unifiée ; les marchands
du Midi étaient tentés de s'approvisionner dans le Nord à des prix plus bas
pour revendre plus cher chez eux, surtout les années de haut prix. Le dévelop-
pement de telles pratiques ne faisait qu'aggraver les aspects évoqués plus
haut car le grand négoce du grain, qui s'affirmait peu à peu dans ce système,
ne s'embarassait guère des réglementations et des protections théoriques. Lui
aussi achetait ou faisait acheter hors des marchés, directement dans les gran-
des fermes, chez les bourgeois ; on ne montrait mime plus la marchandise,
mais seulement des échantillons ; la "vente sur montre " se développait aussi
sur les marchés locaux et de ce fait ces derniers étaient irrégulièrement et
souvent insuffisamment approvisionnés, au rythme des spéculations multiples
qui s'y développaient. L'économie dirigée théorique devenait en fait une éco-
nomie de spéculation, de rareté endémique.
Cette spéculation offrait plusieurs aspects. On pouvait spéculer sur la
différence de prix entre plusieurs villes ; faire monter les prix sur place
en ne livrant pas. En 1740 le subdélégué de Noyon signala que les marchands
ne chargeaient pas de grains pour Paris car ils y étaient meilleur marché qu'
à Noyon. USHER signale que dès le XVIIo siècle les marchands de Noyon ache-
taient sur le marché et emmagasinaient jusqu'à ce qu'il devînt intéressant d'
embarquer le grain. On ne s'embarassait guère de principes: ainsi, en 1740,
les blatiers du Santerre, du Vermandois et autres lieux, à qui on venait d'in-
terdire de venir à Noyon, s'entendirent avec les meuniers qui, sous pretexte
d'acheter pour les pauvres du lieu de leur résidence, ne faisaient cette opé-
ration que pour les blatiers ... N'oublions pas non plus, parmi les vendeurs,
tous ceux qui disposaient de grains par le prélèvement féodal ( ainsi les com-
munautés religieuses, abbayes et chapitres, qui n'hésitaient pas à s'enrichir
en revendant le blé leurs fermiers lors des chertés. ( Notons aussi que cer-
à
tains spéculaient en conservant tout simplement des grains de l'année précé-
dente : le subdélégué de Gournay, cité par RUDE,déclarait ainsi que l'on ven-
dait au prix de 1775 des blés de 1774 ) .
L'organisation d'une véritable compagnie de marchands à privilèges, à l'é-
poque du contrôle général des finances de l'abbé TERRAY, devait être dénoncée
en 1791 comme étant à l'origine d'une véritable pacte de famine ; même si ce-
la n'était pas son but, cette organisation a incontestablement contribué à
aggraver la spéculation sur cette denrée de première nécessité. NECKER qui s'
y connaissait en la matière, déclara, parlant du commerce des grains, que c'
était " la plus vaste table de jeu qu'on puisse établir ". (1)
Dans ces conditions on peut se demander qui ne spéculait pas : le peuple
bien sur ; celui des campagnes, dont une part croissante, avec la différenci-
ation sociale et l'aggravation de la crise agraire, ne pouvait assurer sa
subsistance et devait avoir recours au marché ; celui des villes, non pro-
ducteur de denrées alimentaires. Mais, et cela nous parait important, comme
la chose a été soulignée par plusieurs contemporains, de VOLTAIRE à MABLY,
les éléments populaires, petits producteurs, ménagers, petits cultivateurs,
même modestes laboureurs, sont seuls à devoir vendre, car ils n'ont ni les
moyens matériels (magasins, voitures pour livrer), ni des quantités commerci-
alisables suffisantes , ni les ressources financières suffisantes pour atten-
dre le meilleur moment de vente. D'autre part, pour voir clair dans cet en-
chevètrement de spéculations, il importe de faire des différences quantitati-
ves et même qualitatives entre spéculateurs ; on trouverait sans doute des
contradictions sensibles entre grands négociants, le capital financier de
Cour, d'une part, et les marchands locaux, qui peuvent être en même temps ex-
ploitants de terres.
Pour l'immédiat nous retiendrons que cette spéculation avait pour résultat,
lors des mauvaises années, de provoquer le "vuide des marchés", c'est à dire
d'accentuer une tendance qui existait depuis longtemps. Un tel phénomène se
répéta et s'accentua dans les années 1709, 1725, 1740, 1757, 1768, 1775, 1789,
correspondant aux 7 grandes chertés de Louis XIV à la Révolution.
Lors de ces années le peuple, comme au siècle précédent, se déchainait,
pillait, allait chercher le grain là où il se cachait. La répétition de ces
crises et le danger qu'elles représentaient pour l'ordre monarchique firent
naitre l'idée d'une libération des échanges intérieurs. Que signifiait cette
revendication d'un point de vue historique ?
Si l'on considère les choses d'une manière étroite, l'on peut dire, bien
sur que cette affaire fut une lutte de clans autour de la Cour ; mais tout ré-
duire à des intrigues, comme l'ont fait certains historiens, risque d'occulter
le plus fondamental. Ce sont bien plutôt les nécessités du développement démo-
graphique et économique qu'a connu le XVIII° siècle qui, réclamant une aug-
mentation de la production de grains, poussèrent à une meilleure circulation.
Dans ce cadre il est évident que les privilégiés devaient faire développer par
leurs porte paroles les conceptions qui leur étaient les plus favorables. Du
point de vue de l'Etat et des nécessités de sa défense, tout un courant popu-
lationniste réfléchissait aussi aux mesures à adopter pour augmenter la popu-
lation française, que l'on estimait tombée à un niveau très bas au début du
XVIIIe siècle. Tout ceci conduisit à mettre en cause les solutions mercanti-
listes du siècle précédent et l'on en vint à l'idée de développer de manière
urgente et prioritaire l'agriculture. Le point de départ pour les grains fut
probablement la publication du livre d'HERBERT, " Essai sur la police généra-
le des grains " ( 1754 ), ouvrage qui fut suivi d'un arret autorisant la libre
circulation de cette marchandise entre les provinces. (2)

(1) cf. Georges WEULERSSE : La physiocratie sous Turgot et Necker ( passage cite p. 174 ;
(2) La pression se fit évidemment plus forte avec le courant physiocratique, lequel, comme on sait, tout en
accordant une priorité au développement de l'agriculture, réclamait avec force la liberté absolue de circu-
tion. ( cf. G. WEULERSSE ).
Libéraux et physiocrates remportèrent une première victoire avec la Décla-
ration du 25 mai 1763, qui autorisait officiellement, pour la première fois,
la libre circulation des grains dans tout le royaume. Ce texte contenait par
ailleurs une grande innovation en permettant à TOUS LES SUJETS, de quelques
qualités et conditions qu'ils fussent, même nobles, de faire le commerce des
grains, d'avoir magasin. Ainsi que le note G. AFANASSIEV dans son ouvrage :
" Les laboureurs pouvaient dès lors entrevoir le temps où la liberté leur se-
rait laissée de disposer à leur gré des fruits de leur travail. "
En fait il n'en était rien ; cette législation restait bien marquée du
sceau du PRIVILEGE et du cortège d'entraves que cela entrainait ; ainsi les
règlements étaient maintenus pour Paris ; les droits seigneuriaux sur les mar-
chés, les règlements locaux, nombreux et compliqués, n'étaient même pas évo-
qués !
Même sous cette forme tout à fait édulcorée, la tentative de réformer par
le haut cet aspect essentiel du commerce échoua, puisqu'en 17 70 ( arrèt du
Conseil du 23 décembre abrogea la déclaration de 1763. On revint alors
) on
aux vieilles interdictions ; toute personne désirant faire le commerce des
grains était à nouveau obligée de se faire enregistrer au greffe de la juri-
diction royale du lieu et certaines catégories de gens étaient à nouveau ex-
clues ( justice, police, fermiers, laboureurs ... ) ; on inter-
officiers de
disait enfin les transactions hors des marchés, des halles et des ports, l'
achat en vert, les arrhes ... Dans le même temps se développa la société SO-
RIN - DOUMENC, dont les agissements furent à l'origine de ce que l'on sait
être aujourd'hui le mythe du "pacte de famine" ; celle-ci en tout cas signifia
à nouveau l'avantage donné aux marchands COMMISSIONES de Paris, avec qui la
concurrence était pratiquement impossible.
C'est dans ce contexte, beaucoup plus complexe que ne l'ontvu la plupart
des historiens - à l'exception toutefois de V.S. LUBLINSKI qui a vu l'essen-
tiel -, que s'inscrivit la politique de TURGOT et c'est dans ce cadre qu'il
est possible de l'apprécier. Quels furent en effet les mérites et les faibles-
ses de la ligne suivie par ce disciple non dogmatique des "économistes" ?
Comme l'a montré K. MARX dans de nombreuses analyses, la doctrine des phy-
siocrates et de ceux qui s'en inspirèrent, si elle fut une des premières ten-
tatives de théorisation de l'économie bourgeoise, restait encore dans une en-
veloppe féodale. Dans cet ordre d'idées, il est certain que TURGOT est allé
le plus loin possible pour promouvoir une politique de réforme éclairée. Dans
le domaine précis des grains, il a en effet nettement dépassé ses prédéces-
seurs, en particulier les auteurs de l'ordonnance de 1763. Non seulement il
établit la libre circulation des grains, mais en même temps il tente de briser
le cercle magique des 10 lieues autour de Paris, déclarant à ce propos que
cette réglementation empêchait la Bourgogne ou la Champagne surchargées de
grains de venir secourir la Normandie, sous pretexte que la Seine traversait
Paris. La déclaration de TURGOT contient aussi la suppression des interdicti-
ons d'exercer le commerce des grains pour les producteurs ( fermiers, labou-
reurs ) ; elle s'en prend en même temps aux marchands commissionnés du type
SORIN - DOMENC, en précisant - art. III - qu'à l'avenir aucun achat de grains
ou de farines ne serait effectué au nom de Sa Majesté.
De plus TURGOT entreprend - encore timidement, il est vrai - de mettre en
cause l'organisation seigneuriale des marchés, en supprimant certains offices,
comme ceux des porteurs et chargeurs à Rouen. Allant plus loin il évoqua même
l'éventualité d'une suppression des droits féodaux levés sur les marchés et
créa d'ailleurs une commission pour en étudier les modalités ; il prévoyait
aussi de rendre la réglementation étatique enfin plus efficace et uniforme,
en abolissant tous les règlements locaux. On sait enfin que TURGOT ne s'inté-
ressa pas seulement aux échanges : il tenta aussi de réformer les conditions
de la production par la suppression des corporations. Son point de vue était
donc celui d'une réforme éclairée relativement hardie, ainsi qu'il l'écrivait
à la duchesse d'Envielle lors des troubles de subsistances : "
... il faut sa-
crifier quelque chose ...
Toutefois TURGOT dans le cadre d'une politique de COMPROMIS ; il
restait
ne libéra pas l'exportation, qui restait subordonnée à une déclaration royale
lors de temps propices ; il conserva l'expédient d'un dépôt de réserve pour
Paris ( à Corbeil ), sous le contrôle du Lieutenant de police ; enfin il ac-
corda des primes à l'importation.
Il est incontestable que si une telle politique avait été appliquée, elle
eut contribué à favoriser l'essor des cultures ; elle aurait en tout cas por-
té un rude coup à cette tendance du capital financier de Cour et des gros né-
gociants à limiter les points de vente pour créer un monopole de fait par ré-
duction de la concurrence. La politique de TURGOT défendait donc indirecte-
ment les intérêts de certains producteurs, principalement les gros fermiers
et entrepreneurs de culture. C'est justement pourquoi, même sous cette forme
encore voilée, la ligne de TURGOT se heurta à une résistance acharnée, au sein
même du Conseil royal, dans la grande noblesse - et pas seulement chez le
Prince de Conti, comme l'a retenu superficiellement la thèse du "complot" ;
également chez les Parlementaires de Paris et de province ( à Rouen notamment)
Mais peu après les événements de la guerre des farines, tout un pan de la
construction de TURCOT s'écroule : il n'est plus question de la suppression
des droits seigneuriaux sur les marchés, ni des règlements locaux.

PORTEE HISTORIQUE DE I.'EVENEMENT

Tous les auteurs se situant dans la ligne de l'interprétation sociale ont


noté, bien sur, la référence à la Révolution française, en signalant la portée
de la rencontre entre masses paysannes et urbaines ; pour Rl'DE c'était aussi
une limite de la guerre des farines : son échec fut, selon lui celui de la
division du Tiers Etat ; par ailleurs cette lutte n'était pas anti-féodale.
Pour LEMARCHAND, au contraire, elle mit en cause globalement le système social
et donc le féodalisme.
Que peut-on répondre à ces questions ?
Sur le problème de l'anti-féodalisme ou non, jl" ferai d'abord remarquer
que nous ne sommes pas encore assez avancés sur certains points pour répondre.
Par exemple nous ne savons pas si, tout en taxant le pain, les émeutiers re-
fusaient de payer les droits seigneuriaux - mais ils y a de grandes chances
que oui. D'autre part je dirai que le fait d'aller chercher le blé dans les
greniers d'abbayes, chez les gros fermiers fortement compromis dans le prélè-
vement féodal, chez les meuniers ... représentait un acte effectivement anti-
féodal ; c'était imposer de manière révolutionnaire l'accès direct aux subsis-
tances, selon une conception de la liberté qui n'était certes pas celle de
TURCOT En outre la guerre des farines ne peut s'apprécier isolément, par l'
!

alternative habituellement présentée chez les historiens : répétition des


troubles anciens ou répétition générale avant la Révolution ? Une telle con-
ception est statique et a-historique. C'est en fait dans un contexte de trou-
bles globaux, de luttes plus vastes, qu'il faut l'envisager : car en même
temps qu'elles se battent pour imposer leur droit à la subsistance, les mas-
ses urbaines et rurales luttent sur plusieurs autres fronts. Peut-on dire qu'
il n'y eut alors aucun lien entre la guerre des farines et les troubles de
braconnage collectif dans les forêts, à même époque ? C'est bien souvent le
même Seigneur qui contrôle le marché et la forêt.
Du point de vue des classes sociales, d'autre part : on a dit qu'il n'y a-
vait pas d'alliance du Tiers Etat, pas d'unité ; il est vrai que dans la ré-
gion parisienne, la structure des villages était tout à fait particulière.
Si l'on en croit l'étude faite par LOUTCHISKY, particulièrement pour les bail-
lages qui ont été le théâtre des troubles, l'essentiel de la population était
privée de propriété ; de ce fait la polarisation sociale y était extrème ; les
gros fermiers pouvaient apparaitre aux yeux de certains comme l'ennemi princi-
pal, surtout lorsqu'ils cumulaient à la fois les fermes et le commerce des
grains. Ainsi pourrait-on peut être expliquer en cette circonstance, ce type
d'expression du mouvement populaire, dans un cadre qui ne reflétait pas exac-
tement les rapports sociaux dominants à l'échelle nationale.
Soulignons enfin, que si les évènements n'ont pas manifesté globalement une

M
du Tiers, il ne fait petits marchands et arti-
pas de doute que de nombreux
sans locaux ont pris part aux troubles, aux cotés des salariés. Si cette uni-
té ne s'est pas réalisée complètement sur le moment, on n'en avait pas moins
posé clairement d'une autre façon la question de savoir si les classes privi-
légiées seraient aptes à réformer de monstrueux abus. Or de ce point de vue
la suite des évènements témoigne à merveille de l'aveuglement de celles-ci.
Une bonne partie de l'oeuvre de TURGOT allait vite tomber dans l'oubli - on
abandonna ainsi bien vite la commission sur les droits seigneuriaux des mar-
chés. Dans les années postérieures à la chute de TURGOT certains possesseurs
de ces droits cherchèrent même probablement à les confirmer, voire les éten-
dre, dans le cadre de la réaction nobiliaire ; en tout cas l'étude des archi-
ves de l'Oise montre amplement que les nobles n'hésitèrent pas à multiplier
les procès pour les faire respecter, et ce jusqu'à la veille de la Révolution.
J'en prendrai pour preuve la banale affaire TOURNEBROCHE, jugée en 1778,
soit 3 ans après nos évènements. Ce personnage, marchand de blé et de farine
à Rouen, avait acheté du blé chez Jacques CARVILLE, laboureur à Guiseniers,
le 28 octobre 1778 ; celui-ci était livrable au port des Andelys où S.A.S. le
Prince de Condé percevait un droit que l'acheteur refusa d'acquitter, en sou-
lignant que la vente avait eu lieu chez le laboureur et non au port. Il avait
d'ailleurs plusieurs fois empêché les officiers de S.A.S. de percevoir les
droits en déclarant : " En vain le gouvernement aura-t-il affranchi le commer-
ce des grains des entraves qui peuvent le géner et le contraindre, si ce sys-
tème a lieu - il cite à son appui l'arrêt du 13 septembre 1774-en y incluant
la suppression des droits de pinage, hallage et mesurage ". A cette argumenta-
tion reflétant le point de vue de la petite bourgeoisie marchande, répondit
le chancelier de la maison de Condé, LEMOYNE de BELLISLE : " ... Tournebroche
cherche comme on le voit à se prévaloir des lois qui depuis 15 ou 20 ans ont
affranchi le commerce des grains de la plupart des entraves qui le gênaient
et l'embarrassaient dans son cours. 11ais pourquoi ne pas reconnaitre ici, com-
me il le fait ailleurs, que le législateur, par ces lois, n'a point voulu
porter atteinte aux anciennes propriétés des Seigneurs ? ". On ne saurait
mieux marquer les limites de la politique de liberté vue par la noblesse et
l'intérêt objectif qui liait alors ce petit bourgeois aux masses paysannes.
Paradoxe, répondra-t-on, car les masses paysannes voulaient en fait revenir à
la vieille réglementation. A cela je répondrai que c'est avoir des revendica-
tions populaires une conception très simplificatrice, découlant elle-même d'
une vision aristocratique de l'histoire, enfermant les masses rurales dans la
routine et l'archaïsme. La suite a montré que les masses étaient partisanes
de tout autre chose que la vieille réglementation ; les cahiers de do-
léances de 1789 réclamèrent la suppression de tous ces droits qui se levaient
sur les marchés - sans parler des autres droits féodaux. Lorsque les classes
populaires imposèrent le MAXIMUM en 1793, il ne s'agissait pas non plus de re-
venir purement et simplement à l'ancienne règlementation, car entre temps la
féodalité avait été abattue ; c'était plutôt une sorte d'impôt sur la spécu-
lation.
Je dirai, en conclusion, que la guerre des farines a posé clairement le
problème de l'irruption des masses paysannes et urbaines salariées sur la scè-
ne de l'histoire. De cette apparition, les privilégiés etl l'entourage du roi
ne retirèrent, sauf exception, qu'un jeu de coteries, de clans, l'idée d'un
complot, réduit à l'horizon de leurs chat eaux. Peu de gens, à l'instar de MA-
BLY, saisirent la portée réelle de l'événement. Aussi les luttes anti-féodales
continuèrent de plus belle dans les années qui suivirent. Si la lutte pour les
subsistances sembla passer au second plan, c'est que l'on eut dans l'ensemble
des prix plus bas. C'est justement cet aveuglement prolongé des privilégiés
qui permit à tous les adversaires de la féodalité de se regrouper le moment
venu, c'est à dire lors de la cherté suivante, en 1789,
" François Bretouy Cavalier de maréchaussée de la Généralité de Paris a la résidence de Beaumont y demeurant âgé de
quarante deux ans témoin assigné (...)
a déposé que le vingt deux avril dernier un nommé Lecompte chasse monnée du moulin
près de Mafflier a pensé élever
une sédition en se saisissant d'un sacq de seigle pour 26 livres, qu'une fille
de Mours avait aporté au marché, par-
ce que des personnes qui voulaient l'avoir ont peût estre irrités de ce que ledit Lecompte leur dit que s'ils vou-
laient l'avoir ils le payeraient 27 livres ; que le portefaix et plusieurs femmes de la populace se jettèrent sur le-
il
dit Lecompte et si Tessier son camarade ne si fust mis auroit été maltraité et se seroit trouvé exposé à leur fu-
reur, que le jeudi vingt sept, la plus grande partie des portefaix, ainsi que plusieurs femmes de la populace élevè-
rent une sédition que lesdits portefaix prirent le nommé Daseroix qui faisait son bled trente quatre livres, et le
portèrent à la fontaine où ils voulaient le baigner, qu'ensuites le trainant chez le sieur bailli notaire en cette
ville, et ensuite ils revinrent sur la place, où ils vendirent le bled du laboureur qui s'était sauvés et qui avoient
abandonné leurs sacqs, et criant ce bled à 24 livres, ensuitte à 20, ensuitte à 18, ensuite à 15 k ; que lesdits
portefaix rçcurçot, l'argent d'un chacun, et le remirent à ceux à qui appartenait le bled, que led. jour 27 lui dépo-
sant voulant empecher que ledit Deseroix fût trainé à la fontaine par les portefaix, Bertrand le prit au collet et
que le nommé Gérard fit
quitter Bertrand an disant de laisser lui déposant tranquille, que le lendemain vingt huit
des paysans ou même des gens de Beaumont de l'Isle Adam et villages des environs furent piller un bateau qui était
sur la rivière par flots , dans lequel il
y avait dix neuf septiers de bled ; que le vingt neuf lesdits séditieux
dont la plupart étaient de Beaumont (?) pillèrent un autre batteau de blé sur la rivière de Beaumont appartenant au
sieur Laurent de Bresle, sur lequel il
y avait plus de quatre vingt un septiers dont on lui a dit qu'on lui en avait
reporté une partie en nature et une autre partie en argent, qu'il a connus parmis ceux qui ont pillé le bled vis à vis
Beaumont le nommé Claude Nève, Louis Letronc, Charles Couteat, Joachim Lecocq, Louis Lestoy dit tout blanc, lequel est
plus coupable que les autres parce qu'il est laboureur, pierre Le Comte dit Gateau, Claude Lecomte, Devaucheux, Louis
Nève, Pierre Maillart ou Charles, la veuve Blanchart, François Bormain dit le Cavalier, tous de Beaumont ; que lesdits
jours vingt neuf et trete avril, ainsi que les premier et deux may présent mois il
a appris, parce qu'il a
été aussi
un des témoins, que plus de trois cents personnes de la campagne, tant hommes que femmes et enfants, avaient fait
fournir de force à plusieurs fermiers et laboureurs du bled et de la farine, et même fait contribuer par argent et
pain diverses laboureurs et fermiers qui demeurent dans les villages de asnières, preslles, maffliers, monssoux,
Belloy, Baillet, Trianon, Fayel, Chauvry, Moissel et autres villages ; ajoute le déposant que ce jourd'huy, quatre
may le nommé Pierre hammelin demeurant à Nèle a monté sur des sacqs lors du marché, s'est mis à invectiver les la-
boureurs en leur disant, MESSIEURS LES LABOUREURS, VOUS NE SEREZ PLUS LES MAITRES DE VENDRE VOTRE BLED COMME VOUS
VOUDREZ, VOUS AVEZ FOULLE LE PAUVRE MONDC -ET ON VOUS qu'un officier des grenadiers royaux dont
FOULERA A VOTRE TOUR,
ilne se souvient pas du nom a arrêté sur le champ ledit hammelin et l'a remis sur le champ ès mains de (?) ... et
qu'il a été trouvé audit hammelin un pistolet bien chargé et amorcé avec du plomb et de la poudre dans ses poches.
et est ce qu'il a dit savoir lecture à lui faite de sa déposition il a dit qu'elle contenait vérité qu'il y per-
siste a requis taxe que nous lui avons faite de trois livres et a signé "
...
( cf. original de ce texte, reproduit ci - après )
DOCUMENT SUR LA GUERRE DES FARINES

DANS L'AISNE mai-juin 1775


.
( A.D. Aisne )

(M. Bernard VINOT a eu transmettre cet-


la très grande amabilité de nous
te liasse de lettres, trouvée dans un carton de la série C des archives
de Laon ; la plupart ont pour auteur le Dr de la manufacture de glaces
de St Gobain DESLANDES et sont adressées au premier secrétaire de l'In-
tendance de Soissons, HARDY. En effet DESLANDES avait fait importer des
grains de l'étranger (Hollande et Russie) pour nourrir ses ouvriers ;
la sécurité des convois de grains arrivés par le port d'Abbeville devait
être assurée par la force publique, elle-même du ressort de l'Intendant;
par ailleurs DESLANDES fit vendre une partie de ses surplus de grains
sur les marchés voisins, surtout Chauny et Coucy ; les incidents dont il
témoigne dans cette correspondance, les références précises à la situa-
tion alimentaire et sociale, sont pour nous de précieuses indications
sur la géographie des troubles, leurs circonstances, l'état de l'esprit
public ... et tous autres aspects qui confirment l'importance historique
de la crise de 177 5, laquelle anticipa à bien des égards sur les évène-
ments de la Révolution).
La Rédaction

LETTRE N° 1 : (adressée à HARDY, premier secrétaire de l'Intendance


de Soissons)
St Gobain3 ce 19 mai 1775
Il paraît mon cher frère que tout est tranquille dans nos cantons.
Les marchés de La Fère et de Chauny sont bien fournis de blé, mais il
est toujours cher. Celuy que nous faisons venir de Hollande est -actuel-
lement en route, et je compte en avoir à la fin du mois. M. LE PELLE-
TIER (1) a eu la bomté de m'écrire de m1 adresser à M. DE BARBASON (2)
pour avoir une escorte en cas de besoin, mais je crois que cet officier
ne commande pas dans le pais ae M. VALENCY (3), Amiens et même en deça3
il vous prie de vouloir bien demander à M. L'Intendant à qui je dois m'
adresser pour cela. Les laboureurs de nos environs ne tremblent plus
tant et je leur avois dit que si on allait les piller3 d'amuser les gail-
lards et de me faire avertir, j 'aurais envoyé de mes ouvriers qui les
auraient bien délivrés3 mais toùt a été tranquille dans nos villages.
J'ay des ouvriers de tous les villages à plusieùrs lieues à la ronde.
J'ai choisi les plus sages et les plus intelligens pour en faire des mis-
sionnaires. Je les ai envoyés chez eux pour faire entendre à leurs voi-
sins combien les émeutes et les pillages leur étaient préjudiciables3
que tout annonce de bonnes moissons3 des pommes et du vin, je me suis
servi avantageusement de ces espérances pour tranquilliser le peuple ;
nous avons du mal cette année, leur disais-je3 mais l'année prochaine
se passera tout cela. Voyez les blés, voyez les pommiers fleuris. For-
san et haec olim meminisse juvabit. (4)
(1) LE PELLETIER DE MORTEFONTAINE, Intendant de la Généralité de Soissons.
(2) Il s'agit probablement d'un officier de l'armée ou de la maréchaussée.
(3) Vraisemblablement l'Intendant de la généralité d'Amiens.
(4) "Peut-être un jour ces souvenirs, eux aussi, auront pour nous des charmes" (citation de Virgile)
Bonsoir mon cher frère. Mrs de Prémontré (1) m'ont prété du blé que
je leur rendray de mon blé hollandois, ce que je leur emprunte étant sur
leur approvisionnement avec cela je fournis du blé à mes gens, et ils
ne vont point faire la presse sur les marchés.
Votre serviteur, DESLANDES

LETTRE N° 2 : (adressée par Vigny, premier secrétaire de l'Inten-


dance d'Amiens, à son collègue de Soissons).
Le 28 may 1775
J'ai regû, Monsieur et cher confrère, la lettre que vous m'aves
fait l 'honneur de m 'écrire le 24 de ce mois, au sujet du transport des
bleds que M. Deslandes Directeur de la manufacture des Glaces de St Go-
bain fait venir de hollande pour la nourriture des ouvriers de cette ma-
nufacture.
Dès le 11 du courant j'ai donné des ordres à mes subdélégués de
St Vallery et d'Abbeville pour faire protéger et assurer le transport
de ces grains par la rivière de la Somme, depuis son Embouchure jusqu 'à
Amiens, lorsqu'ils seront arrivés dans cette ville, je verrai avec le
commissionaire de M. Deslandes les mesures qu'il conviendra de prendre
pour assurer les transports par terre.
J'ai l'honneur ...

LETTRE N° 3 : (de Deslandes à Hardy)

St Gobain ce 11 juin 1775


J'ai reçu mon cher frère votre billet, j'ai envoyé sur le champ à
M. Lambert, à Fargnier, à Coucy, et d Chauny. Si on m'apporte du pois-
son, vous l'aurez ce vendredi au plus tard, à 8 heures du matin. Si à
cette heure, vous ne voyez rien, c'est que j'aurai été malheureux.
Nos blés de Russie, partis sont de ces pats, arriveront à force,
nous n'en avons encore que 699 sacs, et nos greniers sont déjà très
beaux. Notre cargaison est de 3300 sacs, ces blés passent par Chauny et
ne peuvent rester en route, ce ne sont pas mes arrangemens, mais mardi
prochain, un quart d'heure avant l'ouverture du marché de chauny, j'y
arriveray avec une voiture attelée de quatre bons chevaux de la manu-
facture, et qui portera de nos blés.
Jeudi prochain je feray la même chose à lafère et vendredy à Coucy,
mais je ne le diray à personne auparavant.
Je rendray compte à la fin de la semaine de M. I 'Intendant de ce
qui se sera passé dans ces marchés, en attendant portez-vous bien. Votre
serviteur très humble, Deslandes.

LETTRE N° 4 : (de Deslandes à Hardy)

St Gobain ce 13 juin 177i


Ce que j 'ay, je vous le donne, mon cher frère, c 'est ce que disoient
les apotres, et c 'est tout ce que peuvent dire nos filles et nos dames
de Soissons, que je.devoient nommer les premières. Je n'ai point pu
avoir des brochets. Ils nous envoyent deux carpes et deux perches, c'est
tout ce que j 'ay pu avoir du Sr Lambert.
J'ay été aujoud'huy à Chauny, j'ay fait metre 20 sacs de blé sur le
marché, ce qui a fait baisser la main des blatiers. Je ne vois qu'un mal
aujourd 'huy, c'est qu'il n'y a pas un laboureur qui aporte des blés
(1) Les religieux occupant l'abbaye de Prémontré, située dans la forêt de Saint Gobain ( actuel hôpital
psychiatrique du département de l'Aisne ). Percevant leurs droits en nature, les abbayes disposaient de
grains, servant le échéant à alimenter les marchés, voire à spéculer...
grosses ressources en cas
aux marchés3 ce sont tous blatiers 3 qui achetant cher, sont forcés de
vendre cher. Bonsoir mon cher frère portez vous bien toto corde votre
serviteur très humble Deslandes.

LETTRE N° 5 : (de Deslandes à Hardy)

St Gobain ce 9 juillet 177t


Les gens de Chauny, mon cher frère, sont
de vilaines gens puisque
à présent j'ay fait porter du blé sur ce marché, et je l'ai toujours
fait vendre à un prix plus bas que le courant, et ces gens ne sont pas
contens, vendredy dernier j'y envoyai 32 sacs. Une bande de canaille s'
écria qu'il fallait piller le blé des laboureurs et le notre, les com-
mis que j 'avoient pour débiter ce blé furent insultés, on leur avoient
donné 4 fusilliers d'artillerie qui les abandonnèrent dans ce moment,
je vais vous dire le motif de cet abandon, que il ne dis pas dans ma
letre à M. Lepelletier, mais vous aurez la bonté de l'en informer.
A Amiens on nous a donné sur le port pendant 15 jours un sergent
avec un détachement pour veiller sur nos blés, on leur a donné 24 L3
et ils ont été très contens. La Légion qui est à Roye a veillé avec le
plus grand soin sur le passage de nos blés. à chaque convoy ils mon-
toient à cheval, alloient au devant des convois et les escortoient
encore à leur départ. on leur a donné un Louis, et ils ont été très
contens.
Les canoniers de chauny n'ont presque rien parceque je croyois n'
avoir rien à craindre à chauny. on 'leur a donné 15 L en différentes
fois. les derniers 6 b les ont fort mécontentés et on dit qu 'ils les
ont donné à un pauvre3ae mécontentement les a engagé à abandonner mes
commis lorsqu'on les insultoient. dans mon premier mouvement, je vou-
lois en écrire à M. Le Mal du Muy. mais j'ai
cru qu'il valloit mieux
en informer M. l'Intendant. cette semaine lafère et coucy continuera
d'avoir autant àe blé qu'il en faudra, mais chauny n'en aura pas de
nous, attendu qu'on ne va pas ou il
n'y a pas de sureté. bonsoir et
bonne santé ; votre serviteur très humble Deslandes.
Voulez-vous bien remettre cette lettre au docteur. elle est allée
le chercher à noyon et après beaucoup de tems elle m'est revenué.

LETTRE N° 6 : (de Deslandes à Hardy)

St Gobain ce 16 juillet 1775


La nouvelle que vous m'aprenez, mon cher frère, m'afflige beau-
coup, parce que je suis cordialement attaché à la partie soufrante.
j 'ay beaucoup aimé jadis les planteuses de baliveaux, mais je ne les
aime plus tant.
Je continue de ne point envoyer de blé à chauny, mais je double
ce que j 'envoyais à coucy et à Laferre. le peuple pousse des cris de
joie dans ces deux villes3 lorsqu'il voit arriver nos voitures. pour
ne pas écarter les blatiers et laboureurs nous leur laissons faire le
prix, et alors nous donnons le notre à 10 S ou environ au-dessous, sous
prétexte que le grain est moins gros et comme le peuple le connoit et
qu'il sait qu'il donne plus de farine que les blés de france, tout le
monde en prend, et je suis très aise que le public en soit content, je
serois bien faché contre vous si vous ne veniez pas me voir pendant l '
absence de Mr Lepelletier, il ne vous faut qu'une journée pour cela, si
vous pouviez m 'en donner deux, cela serait encore plus chrétien. si
vous alliez à prémontré ou à anizy diner d'ici à terme, faites le mois
savoir et je m'y rendrais aussi, en attendant portez vous bien. votre
serviteur très humble Deslandes.
L'EMEUTE FRUMENTAIRE DU

24 JANVIER 1 795 A COMPIEGNE

J. BERNET

La de subsistances de 1788-89 a joué un rôle essentiel


grave crise
et bien connu dans le déclenchement de la Révolution française : pour
reprendre une formule lapidaire célèbre d'Arthur YOUNG : " le déficit
(des finances royales) n'aurait pas produit la Révolution sans le haut
prix du pain " (1). Le problème alimentaire demeura une constante des
préoccupations au cours de toute la période révolutionnaire ; il s'ac-
crut considérablement avec la guerre déclarée en avril 17 92 et c'est la
résistance des Girondins à des mesures draconniennes, destinées à assu-
rer le droit du peuple à l'existence - et ce au nom de la liberté écono-
mique -, qui provoqua leur chute l'année suivante. Poussée par un for-
midable mouvement populaire, placée dans la situation exceptionnelle
de la mobilisation de toutes les forces de la Nation pour l'effort de
guerre, la Convention montagnarde finit par adopter une législation éco-
nomique autoritaire, sans laquelle n'aurait jamais pu être résolu le
problème majeur de l'approvisionnement des soldats, des villes et de la
majorité de la population rurale : un système de réquisitions des den-
rées de première nécessité, de répartition égalitaire des subsistances,
avec un prix taxé selon la loi du maximum général de l'automne 93, fonc-
tionna assez efficacement en l'an II, entravant l'accaparement et la
spéculation, protégeant le peuple de la pénurie et de la disette. Cette
"terreur économique" fut étroitement associée à l'oeuvre du gouvernement
révolutionnaire dirigé par Robespierre et Saint-Just, qui se dota d'ins-
titutions employant de nombreux agents, comme la Commission des appro-
visionnements de la République, où le Conventionnel clermontois Jacques
ISORE joua un rôle essentiel. (2)
La chute de Robespierre, avec le coup d'Etat du 9 Thermidor an II
(27 Juillet 1794), entraina la fin de la Terreur, non seulement dans le
domaine politique, mais aussi en matière économique et sociale. Le des-
serement de la coercition gouvernementale eut pour conséquence de déman-
teler progressivement le système économique de l'an II, encourageant la
résistance aux réquisitions, la floraison du marché noir, les infrac-
tions ouvertes au maximum. A partir de l'automne 94, l'accaparement et
la spéculation prirent une telle ampleur, que la législation de l'an II,
toujours officiellement en vigueur, était devenue pratiquement lettre
morte. Les conséquences sociales en furent dramatiques.
Sillonnant les départements de l'Oise et de l'Aisne pour y opérer
l'épuration des administrations locales, le Conventionnel PERARD (3) dé-

(1) A. YOUNG, 3° voyage en France (été 1789). Sur la crise


de 1788-89 à Compiègne nous renvoyons nos
lecteurs à notre étude, parue dans le tome 26 des Mémoires de la Sté Historique de Compiègne (1979)
(2) Jacques ISORE (1758-1839), cultivateur à Rue St Pierre, élu Conventionnel de l'Oise en septembre
1792, vint plusieurs fois en mission à Compiègne (printemps 93 avec MAUDUYT et automne de la même
année avec COLLOT D'HEBOIS); au cours de l'hiver et du printemps 1794 il fut chargé de visiter
les départements de l'Oise, de l'Aisne et de la Seine et Marne pour surveiller l'approvisionnement
de Paris, tâche dont il s'acquitta avec zèle et efficacité.
(3) Charles François Jean PERARD (1760-1833), Conventionnel Montagnard du Maine et Loir, fut envoyé en
mission dans l'Aisne et dans l'Oise par la Convention le 18 fructidor an II (4septembre 1794) ; il
n'eut pas le temps de venir épurer les administrations compiègnoises, malgré les sollicitations
des modérés locaux, notamment après la scission dans la Société Populaire de Compiègne.
crivit ainsi la situation dans son rapport de fin de mission du 25 fri-
maire an III (15 décembre 1794) :

" Convention est adorée du peuple et la République est ché-


" ... La
rie, mais les citoyens souffrent d'un renchérissement excessif &
" de la rareté effrayante des denrées ; l'aristocrate les entoure
" et leur dit : que le gouvernement, s'il était paternel, veille-
" rait à leurs besoins ..." (PERARD évoque la rareté de l'huile,
" du savon, de l'eau de vie, du fer ...)
" Le maximwn est un mot dont l'honnête homme souffre doublement
" (C'est au gouvernement à examiner - très consciencieusement -
" s'il faut qu'il subsiste, et dans ce cas le faire exécuter) ...
" L'existence est presque devenu impossible pour le pauvre ... Si
" l'on n'y prend garde, la contre-révolution s opérera: par la las-
" situde du besoin et le peuple malheureux se déchirera lui-même ;
" ce tableau est effrayant, mais il est réel. " (1)
Les modérés dominant désormais la Convention, prétendant que la pé-
nurie et la cherté des subsistances tenait au maintien des contraintes
légales, que le rétablissement de la liberté économique totale ramène-
rait l'abondance, décidèrent d'abroger le maximum le 4 nivose an III
(24 décembre 94). Loin de rétablir la situation, cette mesure eut pour
conséquence, en quelques semaines,d'amener une véritable catastrophe
économique et monéraire, aux lourdes implications sociales. A cet égard
les troubles du 24 nivose à Compiègne, survenus donc 10 jours après l'
abandon officiel de la législation économique de l'an II (2), furent une
des premières manifestations spectaculaires du contre coup populaire à
cette loi, dans le Bassin Parisien, avant Amiens, St Germain en Laye &
Paris (3). Mais cette émeute frumentaire n'eut pas que des causes et
des conséquences à caractère social : étroitement liée aux conflits po-
litiques aigus qui agitaient la ville, elle fut l'occasion de balayer
définitivement de la scène locale les hommes qui avaient tenu les admi-
nistrations en l'an II : avec le concours du mouvement populaire, les
modérés, déjà maitres de la Société Populaire de Compiègne depuis Sep-
tembre 94, prirent ainsi totalement le pouvoir.

LA DEFAITE DU JACOBINISME COMPIEGNOIS :

L'émeute du janvier 95 constitue un événement majeur dans l'


14
histoire révolutionnaire compiègnoise, dont la portée serait incompré-
hensible sans une connaissance élémentaire des circonstances économi-
ques, sociales et politiques de la période 17 93-94, dans une ville qui
était un des neuf chefs lieux de district de l'Oise, alors forte de
quelques 8000 habitants (la 2de commune du département après Beauvais).
Si à Noyon les leaders Jacobins et "terroristes" furent éliminés très
précocement, à la faveur de leurs fautes politiques dans l'affaire de

(1) Archives Nationales - D III - 356.


(2) Les réquisitions de grains restaient toutefois maintenues pour approvisionner les marchés urbains;
une nouvelle commission des approvisionnements garda un droit de préemption au service de l'Etat,
si bien qu'à Compiègne, par exemple, le maintien des réquisitions pour Paris ne fit qu'accroitre
la pénurie locale.
(3) Pour citer les cas les mieux connus, étudiés notamment par R. COBB dans son ouvrage "Terreur et
subsistances -1793-95". Pour Paris ce furent les célèbres émeutes de Germinal et Prairial an III,
dernière tentative et échec du mouvement populaire parisien et de ce qu'il restait de Montagnards
à la Convention, (cf. E. TARLE : "Germinal et Prairial").
la déchristianisation - dès janvier (1), à Compiègne leurs homolo-
- jusqu'en 94
gues parvinrent à s'accrocher au pouvoir janvier 95, autour de
la puissante personnalité de BERTRAND, imprimeur de Compiègne, vérita-
ble ténor de la Révolution dans le district, dont il fut le Procureur
syndic puis l'agent national de novembre 17 92 au début de 17 95.
C'est avec la mise en place de la Terreur, au cours de l'automne
93, après le passage en mission des Conventionnels COLLOT D'HERBOIS et
ISORE (août - septembre) surtout d'André DUMONT (novembre) (2), que
&
furent mises en place les institutions du gouvernement révolutionnaire
à Compiègne : en plus des conseils permanents du district et de la Mu-
nicipalité, sérieusement épurés, fonctionnèrent le Comité de surveil-
lance, organe essentiel de la Terreur (3) et la Société Populaire, club
des Jacobins locaux ayant alors un rôle quasi officiel. (4) Toutes ces
instances étaient contrôlées par BERTRAND et ses amis, des personnages
appartenant tous à la petite bourgeoisie locale, intellectuelle ou ar-
tisanale, tels le charpentier margnotin BOULEE, le maitre de pension
MOSNIER, le Dr de la poste CHAMBON, le bonnetier T. LECLERC, le labou-
reur compiègnois le négociant SCELLIER (maire de Compiègne)...
ROGER,
On trouvait même quelques transfuges de l'aristocratie, comme le ci-
devant Comte Rémi d'AUGER, ou de l'Eglise, tels l'ex-diacre DE PRON-
NAY, l'ex-Bénédictin J.J. RENARD, le ci-devant curé J.N. QUINQUET,
placé à la présidence du district par son beau-frère BERTRAND.

exercèrent le pouvoir local sans partage, au cours de


Ces hommes
l'an II, coincés entre les exigences des instances supérieures, qu'ils
servaient avec conformisme et opportunisme, et leurs administrés, avec
qui ils prenaient leur revanche, en voulant leur imposer des rapports d'
autorité tout aussi serviles, les mesures du gouvernement révolution-
naire - qui n'étaient certes pas toujours populaires -, comme des mou-
vements aussi impolitiques qu'absurdes, telle la déchristianisation.(5)
Petits bourgeois "moyens", ayant peu d'expérience et encore moins de

(1) cf. Notre étude Il Faits et hommes de la Terreur à Noyon", à paraftre prochainement dans les Mémoi-
res de la Société d'Histoire de Noyon.
(2) Conventionnel de la Somme, avocat amiénois, d'abord en mission dans la Somme, puis dont la tâche
fut étendue à l'Oise en octobre 93 ; il est surtout connu pour avoir été un des initiateurs de la
déchristianisation en France, en forçant les curés à abdiquer leurs fonctions et fermer les égli-
ses ; il eut de ce point de vue une grande influence à Compiègne, où BERTRAND en fut l'admirateur
inconditionnel et le client.
(3) Créés au printemps 93, les Comités de surveillance révolutionnaire furent profondément réorgani-
sés dans l'Oise, fin août 93, par COLLOT D'HERBOIS et ISORE, sous le nom de Comités de Salut Public
(ils reprirent peu après leur ancien nom pour éviter des confusions avec le célèbre comité de la
Convention). Formés des patriotes les plus chauds, ces Comités procédèrent surtout à la confection
des listes de suspects, dont plusieurs charrettes furent arrêtées en septembre - octobre 93, pour
être détenues dans le château de Chantilly pendant plus d'un an ; ils s'occupaient de toutes les
infractions aux lois - notamment dans le domaine économique -, délivrèrent les certificats de ci-
visme, sans lesquels ont pouvait être jugé comme suspect. Quelques comités de surveillance fonction-
nèrent dans les communes rurales du district, notamment à Pierrefonds, Arsy, Gournay/Aronde Mais
...
ces derniers n'eurent qu'un rôle très limité et peu répressif.
(4) Créé en mars 1791 le Club des Jacobins de Compiègne (Société des Amis de la Constitution) disparut
provisoirement l'année suivante ; BERTRAND le reconstitua en septembre 92 sous le nom de Société
des Amis de la République, rebaptisée Société Populaire au printemps 93 ; cette instance peuplée
de tous les leaders Jacobins locaux eut un rôle essentiel en l'an II, dans tous les domaines. Quel-
ques clubs ruraux se fondèrent également à cette époque dans le district (Pierrefonds, Antheuil-
Portes, Cuise La Motte, Rethondes, Rémy ...)
(5) cf. notre étude "Recherches sur la déchristianisation dans le district de Compiègne (1789-95)
-
Thèse de 1110 cycle de l'Université de Paris I.
sens politique, méprisant trop souvent les masses, qualifiées d' "ar-
riérées" (notamment dans le domaine religieux), contestés sur leur gau-
che par les rares sans culottes locaux et les soldats de l'armée révolu-
tionnaire parisienne (1), ces personnages incarnaient le gouvernement
révolutionnaire aux yeux de la masse ; à leur engagement politique sin-
cère se mêla trop souvent l'arrivisme, une soif et un goût du pouvoir,
qui tendirent à en faire des tyranneaux locaux, plus que de fidèles
agents d'éxécution du gouvernement révolutionnaire au service du peuple.
L'itinéraire et la position d'un BERTRAND représente assez typiquement
le Jacobinisme moyen de province, d'extraction petite bourgeoise, mélan-
ge de sincérité courageuse et d'opportunisme, d'ambition personnelle et
d'énergie, de bonne volonté comme de manque de moyens et de finesse po-
litique ; émule de l'arriviste DUMONT, le "Mirabeau Compiègnois" fit une
"belle carrière" locale de 1790 à 1794, pour sombrer dans la plus totale
impopularité à l'époque thermidorienne. Il fut en même temps une image
et une caricature du Jacobinisme, un "terroriste" plus verbal que réel,
mais dont l'itinéraire fut interrompu par les contre coups du 9 thermi-
dor, évènement qu'il avait pourtant approuvé dans un premier temps. (2)
surtout les nouvelles circonstances économiques, so-
Mais ce sont
ciales et politiques de la période thermidorienne qui précipitèrent ir-
rémédiablement la chute de BERTRAND et ses amis.
L'abandon de la Terreur, au lendemain du 9 thermidor, ramenant à
Compiègne plusieurs dizaines de suspects libérés en septembre-octobre
94, se heurta à une résistance croissante des "terroristes" locaux,
craignant des représailles ou considérant la chose comme politiquement
dangeureuse. Une très vive bataille s'engagea au sein de la Société Po-
pulaire de Compiègne, où les modérés parvinrent à prendre le bureau dès
le 23 août 94 (6 fructidor an II) ; pendant un mois le conflit fut très
aigu, les Jacobins évincés tentant même d'opérer une scission dans le
Club, autour d'une adresse "anti-modérantiste" envoyée à la Convention
début septembre ; finalement la tentative échoua ; le courant Jacobin
se désagrégea rapidement, à la suite de nombreuses défections ; le no-
yau dur des "têtes chaudes" se trouva complètement isolé et préféra
quitter le club à la fin septembre. Il s'ensuivit une situation insoli-
te : les modérés détenaient complètement le club, tandis que les admi-
nistrateurs restaient "terroristes" ; cette situation de
aux mains des
"double pouvoir" ne pouvait se prolonger ; les thermidoriens locaux ré-
clamaient à grands cris l'épuration des administrations, mais légalis-
tes, ils attendaient la venue à Compiègne du représentant en mission
PERARD pour y procéder - ce dernier n'eut pas le temps de le faire ou
ne le voulut. (3) Découragés BERTRAND et ses amis réclamaient d'ailleurs
aussi ce renouvellement des autorités, mais en attendant ils détenaient
toujours la responsabilité du pouvoir, tout en étant moralement et poli-
tiquement très affaiblis.

(1) janvier 94 un vif conflit politique et social opposa les administrations compiègnoises d'une
En
part, les officiers du détachement de soldats révolutionnaire parisien d'autre part, présents
dans le district depuis novembre 93, avant tout pour surveiller le bon acheminement des réquisi-
tions pour Paris. Qualifiés publiquement de "tas de procureurs, de muscadins, de modérés et de
feuillants" par les seconds, les premiers réussirent à faire arrêter ces turbulents militants,
devenus très impopulaires du fait de leurs propos et leurs méthodes expéditives. (cf. R. COBB,
"Les armées révolutionnaires, instrument de la Terreur dans les départements").
(2) Le 11 Thermidor, à la nouvelle des événements parisiens, les instances compiègnoises et la So-
ciété Populaire furent unanimes à approuver "la chute du tyran Robespierre et de ses infâmes
complices" - qu'ils encensaient deux jours avant 1 Mais les Jacobins se rendirent compte quelques
semaines plus tard de leur erreur d'appréciation sur la "Révolution du 9 Thermidor".
(3) cf. A.D. Oise L 4 - Délibérations de la Société Populaire de COMPIEGNE (Rg. 3)
L'assombr issement rapide de la situation alimantaire locale les
acheva. La récolte de l'été 94, sans être catastrophique, avait été pré-
coce, mais un peu déficitaire, surtout du fait des problèmes de main d'
oeuvre, dans la conjoncture de guerre. L'abandon de la terreur économi-
que précipita les choses : dès septembre se manifestaient d'inquiétants
signes de pénurie sur les marchés urbains ; les réquisitions se faisaient
de plus en plus mal dans les villages ; or le district, déjà rappelé plu-
sieurs fois à l'ordre pour ses retards en l'an II, devait d'abord livrer
prioritairement la capitale ; malgré l'envoi de commissaires dans les
campagnes, faute de forces répressives suffisantes et dans un climat nou-
veau de liberté, ces livraisons rencontraient des difficultés croissan-
tes ; comme l'on servait d'abord le "magasin de Paris", la ville se trou-
va rapidement en situation de pénurie absolue : on en conclut que l'ad-
ministration "affamait le district" et BERTRAND devint vite la tête de
turc dans cette affaire ; les modérés, qui n'avaient pu obtenir la sus-
pension des livraisons pour Paris auprès du Conventionnel ROUX (1), lais-
saient courir complaisamment le bruit, quand ils ne l'encourageaient
pas. Les grondements populaires se firent sentir dès novembre 94 : le 14
brumaire an III (4 novembre 94) une manifestation d'un "grand nombre
d'individus de tout sexe" entra "tumultueusement" dans les locaux du
district pour réclamer du pain " ... à grands cris, avec tous les ac-
cens du désespoir ..." (2). On réussit cette fois à les calmer, mais la
nouvelle du refus de suspendre les réquisitions de la capitale, fin no-
vembre, la disette aggravée en décembre par un froid exceptionnel (3), la
flambée des prix consécutive à l'abandon officiel du maximum, tout cela
accumula en deux mois une formidable colère populaire, laquelle éclata
violemment le 24 nivose an III, dans des circonstances dont le document
suivant, provenant des délibérations du district de Compiègne, nous
fournit un récit aussi vivant que détaillé.
Cette émeute provoqua la fuite de BERTRAND pour Paris ; l'agent na-
tional, dont les jours étaient sérieusement menacés, ne remettra jamais
les pieds à Compiègne, même après avoir été blanchi par l'entreprise
de DUMONT, devenu un des réacteurs les plus en vue. Au lendemain de l'
émeute, le Conventionnel DRULHE, récemment arrivés à Senlis pour y épu-
rer les administrations et calmer des troubles frumentaires croissants,
fut aussitôt prévenu : il vint à Compiègne à marches forcées et procéda,
le 18 janvier à un renouvellement complet des autorités compiègnoises,
donnant ainsi le pouvoir total aux modérés - dont beaucoup ne se sen-
taient guère chauds pour l'exercer dans de telles circonstances. (4)
Il faudra en effet attendre la récolte de 1795 pour souffler un peu :
le printemps et le début de l'été 95 connurent une situation alimentai-
re des plus dramatiques, génératrice de surmortalités effrayantes, de
nouveaux troubles, à la ville comme dans les campagnes ; ce phénomène
faillit d'ailleurs emporter complètement le régime républicain, mais
c'est là une autre affaire.
(1) Louis Félix Conventionnel de la Haute Marne, envoyé en mission dans l'Aisne et dans l'Oise
ROUX,

pour s'occuper des problèmes de subsistances. Il passa à Compiègne le 26 Novembre, mais refusa
de suspendre les réquisitions du district pour Paris comme de modifier les administrations. (A.D.
Oise L 2 - délib. dist. Cpgne)
(2) Même source 4 novembre 94
-
(3) L'hiver 94-95 fut si froid que les rivières gelèrent, ce qui fit arrêter l'activité des moulins
;
à la faim s'ajouta le problème de trouver des moyens de chauffage ; on pilla
encore plus la fo-
rêt de Compiègne ; l'on mourut souvent de froid autant que de faim.
(4) cf., reproduite en annexe à cet article, l'affiche de DRULHE annonçant le renouvellement des épu-
rations compiègnoises. Le drapier HERBET, personnage effacé, qui était agent national de la com-
mune de Compiègne, remplaça BERTRAND au district ; DEVISME, suspect libéré, prit la place du mai-
re de Compiègne SCELLIER. Toutefois l'éclipsé de gens comme MOSNIER, SCELLIER, CHAMBON ... fut de
courte durée.
AU NOM DE LA
ARRÊTÉ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

Du Repréfentant du Peuple, D RU L H E, délégué dans le


Département de lOife,
(2 Que le Peuple délire le remplacement de plufieurs Fonélionnaires publics du Dit
ON SIDÉRANT 10.
trict & de la Commune de Compiegne;
2,°. Que dans un état républicain l'autorité ne doit pas réfider toujours dans les mêmes mains, & qu'un long
exercice du pouvoir corrompt les hommes ;
3*. Que le moyen le plus sûr de donner au peuple des Magillrats en faveur defquels Ton opinion le foit
fortement prononcée ;
4°. Enfin qu'il importe de maintenir la tranquillité publique qui a parut troublée un inftant, par Je défaut
de confiance dans les hommes en place, ou par le concours de quelques autres circonftances.
Après avoir confulté le peuple réuni en Afl'emblée, arrête que les Autorités conftituées du Diftriâ & de la
Commune de Compiegne feront composées ainfi quil fait :
DISTRICT. •
Arachequesne
,
Marchand de Draps. TRIBUNAL
R.yer. Let Juges actuellement en place sou muimmdt
D I RECTO IRE. *

Bauoa.
m il—— — -— g'i dans lews frnettonu
NO IA F LES. —a————
Millet Linci^r ie.
1 s SA 1RE
-

-
Alix Fils. Lemaire, Chaudcronnier.
C ,) '\'1 H N AT / Q N A L.
Carlier, de Compiegne. Louis-André POULAIN.
HlaiE T,Agent National.
Cardon Pere, Plâtrier.
Guyot
*

Duchemin, Marchand de Draps. SUPPLÉANS.


CONSEIL. •
WandorfF. ' Béra.
Mottet. Desmarets - Dumont Quin.
seget. Gay. Delaplace, Receveur.
Boitte).

Ménard.
-
-
La vallée <:CI.ail.
L&ttrc, d'Errées. Lavande Pere.


Ducbawflwtir. COMITÉ DE SURVEILLANCE,
1ùP4 Delaplace de Frenoy. Rad<t.
,
Lalouette, d'Aguisy. Jean Maréchal. BAILLET dit LEBLOMD.
Dufey, de Gournay. B abois. Huyard, Marchand de Fer.
Firmin Fils. Pepin.
Monel. de Margny. Gorju, Tailleur.
M U N I C 1 P A L IT É. Bicheron. Capeaumont.
DEV Pere Maire. Bourgeois, Vitrier.
I s M E
BRAC HET
,
Agent National. JUSTICE DE PAIX. Normand, de Jaux.
Canlers, de Margny.
,
•THIRIAL, ci-devant Greffier du Tribunal. Chevalier, de Frenel.
OFFICIERS MUNICIPAUX. RON DEL Greffier. Cologne.
-
Berger Vitry.
,
ASSESSEURS.
Jarry.
Courtois. Possoi.
Martin Pharmacien.
Rivière. Mathieu, Pere.
Desmarets, Culotier. Lecouvé. DIRECTEUR DES POSTES AUX LETTRES.
Raguet rainé. Longpont. LEROUX.
Tous les citoyens ci-deflus défignés font provifoirement pour l'exercice des places auxquelles
mis en réquifition
il$ font appellés par le voeu du peuple & par le préfent Arrêté; ils font tenus d'entrer en fondions dans le délai
de 24 heures, après la notification qui leur en fera faite par l'Adminiftration actuelle du Diftri&.qui en demeure
Spécialement chargée, aijifi que de 1 'iiiiprellion & promulgation du préfent Arrêté.
CITOYENS,
Vous avez maintenant des Fon&ionnaiics publics de votre choix; j'aime à croire qu'ils travailleront à fe
rendre tous les jours plus dignes de la confiance dont vous les avez honorés ; je vous invite à les entourer du ref-
ped qui eft dû aux organes des Loix; ils vont s'occuper de votre bonheur, des moyens daiïurer votre fubfU-
tance; foyez calmes & conhans dans leur patriotisme, dans leur activité, dans leurs lumières. Tenez-vous en
garde contre la malveillance qui cherche à nous agiter, pour nous ramener par la divifion au regne de la
terreur & du defpotifme.
Votre amour pour la Patrie faura déjouer les infâmes complots des ennemis de la Liberté publique.
La Loi n'aura pas à punir parmi vous des coupables, mais la Patrie y trouvera des enfans réfignés à des
Sacrifices pour l'afFermiffement de la République.
A Compiegne, 1J 28 Nivôle, lan 3e. de la République françaife. une & indivifible.
Signé. LE REPRÉSENTANT DU PEUPLE D R U L H E.
pour Copie conforme à Ij minute, délivrée par moi Secrétaire dll DiflriH de Compiegne. HENNEQUIN.
"24 nivose an III
Le Conseil assemblé au lieu ordinaire de ses séances, est entré
le maire de la commune du chef lieu, lequel a dit qu'il y avoit peu de
grains sur le marché, que les esprits paraissoient beaucoup fermenter
et qu'il n'était pas sans inquiétude sur le succès de la journée, que
les ordres les plus stricts étoient donnés pour le maintien de la tran-
quillité et du bon ordre et qu'il rendrait compte de moment en moment
de ce qui se passeroit. (il étoit alors onze heures passé.)
Vers le midi sont arrivés dans le plus grand des désordres des ci-
toyens en nombre immense de tout sexe et de tout âge, demandant du pain
à grands cris et avec tous les accens de la fureur et du desespoir, pro-
férant les imprécations les plus vives contre les administrateurs et no-
tamment l'agent national (1), les accusant tous et plus particulièrement
ce dernier d'avoir envoyé à Paris tous les grains du district a dessein
de les affamer.
On essaya en vain de les calmer d'abord, mais les cris ne faisaient
que redoubler quand la municipalité de Compiègne pouvant à peine se fai-
re jour et portée par la foule est entrée.
Elle a dit tous ses efforts et ceux de la force armée pour mainte-
nir l'ordre, avaient été inutiles ; elle a perçu l'effervescence du peu-
ple sur la place au moment où il s 'est porté vers le district ; ce sen-
timent violent et. terrible, produit par le besoin, avait encore acquit
de nouvelles forces.
Alors plusieurs membres prirent la parole et essayèrent encore d '
adoucir les esprits, peine inutile ; les clameurs recommencèrent3 on s '
écrie qu'on va chercher l'agent national qu 'on assure être à un mariage
et qu'on saura bien l'amener.
Il étoit dans son bureau et cherchait des mesures pour parer aux
malheurs dont tous étaient menacés3 il s 'élance dans la salle du con-
seil et malgré les menaces, les injures, il cherche à ramener les coeurs
à des sentiments plus doux ; il promet que dans le jour on allait faire
venir des subsistances des campagnes3 que des commissaires pris dans le
conseil s'y transporteraient à l'instant avec la force armée qu'en at-
tendant les citoyens devaient se retirer paisiblement et se reposer sur
la sollicitude du district.
Ces paroles loin d'appaiser le peuple redoublèrent sa fureur. Un
cri simultané fit
entendre : DONNEZ NOUS DU BLED AU MAGASIN DE PARIS,
se
OU VOS TETES. Il se répète vingt fois3 c 'est en vain3 on leur rappelle
et les lois et leurs droits et leurs devoirs, c'est en vain que l'agent
national menacé offre son sang ; DU PAIN, répond-on, DU PAIN OU VOS TE-
TES, IL NOUS FAUT DES GRAINS A L'INSTANT, NOUS NE POUVONS PLUS SOUFFRIR3
NOUS SOMMES PRETS A TOUT.
Pendant que l'administration délibérait et que l'agent national
cherchait encore, sinon à rétablir le calme, au moins à appaiser les es-
prits 3 le tocsin se fait entendre ; on annonce le feu dans la commune.
Le peuple rassemblé s'écrie : qJE LES DRAGONS L'ETEIGNENT, IL NOUS FAUT
DU PAIN ET NOUS NOUS PORTONS SUR LES MAGASINS DE PARIS.
Le conseil était
loin d'admettre cette mesure mais la fureur s'ac-
crut à un tel point que les voies de fait commencèrent. Divers usten-
siles furent brisés et le sang allait couler3 quand l'administration
navrée de douleur moins touchée des dangers personnels qu'elle encour-
rait que des maux qu'allait entrainer le pillage du magasin de Paris, ce
qui devenait inévitable puisqu'une partie du peuple s'y étoit déjà por-
tée, voulant éviter au peuple un grand crime, arrète que les grains exis-
tans dans le dit magasin seront empruntés au sieur CANIS, agent de la
(1) du district, i.e. BERTRAND
commission (1), charge un administrateur, le maire de la commune, quel-
ques officiers municipaux et six citoyens pris parmi le peuple et nommés
par lui, de faire la distribution et recevoir les recouvrements.
La foule se porte alors au magasin ; les grains y existans à la
quantité d 'environ soiçante dix à quatre vingt quitaux sont livrés et
vendus.
Pendant cette sorte de marché le conseil est encore une fois assail-
li aussi vivement par les habitans de la campagne, on leur donne des bil-
lets pour se pourvoir dans diverses communes, et ils se retirent paisi-
blement et aussi satisfaits qu 'on peut l 'être quand on reçoit des espé-
rances au lieu de denrées évidemment nécessaires.
Vers les six heures du soir arrive encore au district une quantité
immense de citoyens qui n'avoient pu recevoir des grains au magasin de
Paris, demandant à grands cris du bled, de la farine ou du pain ; cette
scène ne fut pas plus tranquille que les autres, les administrateurs y
furent injuriés avec plus de violence encore, l'agent national surtout,
et tous n'opposèrent à ce désespoir violent que des paroles de paix et
de consolation ; celui-ci surtout fut prévenu plusieurs fois que S'il
fût sorti dans la journée il n'existerait plus.
Le conseil parvint enfin à se faire entendre et arrête qu'il y au-
rait marché extraordinaire le vingt huit de ce mois pour la commune de
Compiègne, fit inscrire les noms des citoyens présents qui enfin de dé-
terminèrent à se retirer.
Alors sur la réquisition de l'agent national et conformément à la
loi du 14 frimaire de l'an dernier qui autorise la réunion des autorités
constituées dans des cas pressans imprévus et qui peuvent faire courir
des risques, soit pour la tranquillité générale et celle des particu-
liers,
le conseil arrète que la municipalité et le conseil général de la
commune seroient mandés sur le champ pour, réunis à l 'administration,
prendre connaissance de ce qui s 'est passé et délibérer sur les mesures
ultérieures.
après sont entrés les officiers municipaux et les no-
Peu de momens
tables ; il leur a été donné connaissance des présentes et l'on a mis
en discussion les moyens à employer dans la circonstance critique et
dangereuse où se trouve le district de Compiègne.
Lecture faite de ce qui dessus les autorités réunies ont reconnu
qu'il contenait exacte vérité et tous atteste que le bruit répandu mé-
chamment et à dessein que les administrateurs et surtout l'agent natio-
nal avoient offert des grains à Paris au détriment de ce district étoit
la cause principale des troubles de ce jour, et qu'il était constant
que led. agent national court les plus grands risques, qu'il est certain
cependant que l 'administration lors de l'arrivée des réquisitions n 'a
cessé de représenter la pénurie du district et a compté sur les promes-
ses de la commission.
Le conseil ensuite après débats et discussions a arrêté ce qui
suit :

désirant depuis longtemps le renouvellement des auto-


1) Le peuple
rités constituées, le péril étant pressant, il sera à l'instant envoyé
deux commissaires à Senlis près le représentant du Peuple Drulhe pour l'
inviter à se rendre ici sans délai3 lui peindre le danger où se trouvent
les autorités constituées, l 'impossibilité pour elles de rester à leurs
postes dans les circonstances actuelles, s'il ne vient promptement à
leur secours.

(1) J.O. CANIS, agent de la commission des approvisionnements de la République, résidant a Compie-
gne pour surveiller les réquisitions destinées a la capitale.
2) Il sera
envoyé un autre commissaire près les comités de salut
public et de sûreté générale pour les instruire de ce qui s 'est passé ;
à ce commissaire se joindra un des deux envoyés à Senlis ; d'où il
résulte qu'il n'en reviendra qu'un seul de Senlis à ici avec le repré-
sentant 3
3) Les commissaires pour Senlis sont les citoyens Millet et Desmou-
lins s
4) Le commissaire pour Paris est le citoyen Lefebvre auquel s'ad-
joindra led. Desmoulin3
commissaires n 'oublieront aucun des évènements du jours ci-
5) Les
teront le prix excessif auquel le pain se vend ici et ils développeront
tous les moyens qui sont en leur pouvoir pour tirer le district de Com-
piègne de la crise affreuse où il se trouve.
réserve le conseil des autorités réunies de prendre de nouvelles
Se
mesures3 s'il est nécessaire et toutes autres que nécessiteront les
circonstances dans la séance de demain neuf heures du matin3 et ont si-
gné
,
BICHERON DESMAREST, GUYOT, LOY3 LAMBIN3 DEMEAUX3 QUINQUET3 HERBET,
3
NORMAND, BERTIN3 POSSOZ3 MESNARD3 MOTTET, QUINQUET3 HENNEQUIN3 HAMEL,
r?;, (?). "

ANNALES HISTORIQUES COMPIEGNOISES


études picardes modernes & contemporaines

Revue trimestrielle de la SOCIETE D'HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE DE COMPIEGNE, affiliée à la Société
des Etudes Robespierristes & à la Fédération des Sociétés savantes de Paris & l'Ile de France.

Les N°s 1 à 9 de la revue ( Janvier 1978 à janvier 1980 ) sont totalement épuisés.
Publications encore disponibles :

+ Suppléments au N'O 9 ( Janvier 1980 ) : ( publications parues hors abonnement )

- Tramways de Picardie (
p. avec photos4)
- 4 F.

- Si Nogent / Oise m
était conté - ( cartes postales anciennes ) par J.M. TOURNEBIZE
50 F ( *t0 F pour les sociétaires & les abonnés )

+ N° 10
- avril 1980 : GOURNAY / ARONDE ( XVlo
- XVIII" - XXO )
- 90 p. offset - 15 F.

- juillet 1980 : PATRIMOINE (I) : CHEMINS FER, CUISINE PICARDE, EDUCATION 84 p. offset
+ N° 11
( N' presque épuisé )
DE
...
15 F

+ N° 12 spécial - octobre 1980 : PATRIMOINE (II) : LES ORGUES DE COMPIEGNE ET DE SA REGION 102 p. offset
-
12 pl. photos H.T. 20 F ( envoi franco 25 F )
-
+ N° 13
- janvier 1981 : LUTTES SOCIALES ET MOUVEMENT OUVRIER EN PICARDIE
- XVIIIe - XXO
- 80 p. offset
16 F ( No presque épuisé )

+ N° 14
- avril 1981 : PATRIMOINE (III) : ARCHEOLOGIE INDUSTRIELLE & COMMUNICATIONS
- 85 p. offset - 16 F

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Un exemple de racisme religieux
l'affaire d'incendie de Crevecœur
été 1790 J.Bernet
Nous avons déjàl'occasion de souligner, dans la rubrique archivistique
eu
de notre revue la richesse exceptionnelle de la série L ( administration de
l'époque révolutionnaire ) des Archives départementales de l'Oise. (1). Une
bonne nouvelle à son propos : ce riche fondées! enfin en cours de classement
définitif, ce qui permettra d'en utiliser vraiment toutes les possibilités.
Or dans cette vaste série, une des sources les plus fondamentales, permettant
d'avoir une vue d'ensemble des faits révolutionnaires dans notre département,
est constituée par la succession des registres de délibérations de l'adminis-
tration du département de l'Oise ( Conseil et Directoire ) (2) ; ces volumes,
fort bien tenus, d'une lecture aisée - on leur avait même adjoint à l'époque
un répertoire alphabétique par matières - couvrent toute la période révolution-
naire du printemps de 1790 à la fin du Directoire. S'ils ont été maintes fois
compulsés et exploités par les historiens locaux et nationaux, ils n'en recè-
lent pas moins une foule de richesses inédites, qui feront encore longtemps
les beaux jours des amateurs ( et professionnels ) de l'histoire ; soulignons
que cette source capitale, complétée par les registres de délibérations et pa-
piers des 9 districts oisiens de l'époque, permet bien souvent de compenser
les pertes nombreuses et irrémédiables que l'on a trop souvent dans les déli-
bérations des communes pour la même période.
C'est justement en compulsant ces registres que nous avons fait maintes dé-
couvertes passionnantes : nous voudrions ici en faire connaître une parmi d'
autres. Il s'agit au départ d'une anecdote, d'un fait divers assez courant
pour l'époque, puisqu'il s'agit d'un incendie dans une petite ville - mais l'
affaire eut un prolongement particulièrement révélateur aux plans idéologique
et politique : le sinistre survint en juillet 1790 à Crévecoeur le Grand, bourg
situé au Nord Ouest du département, alors dans le district de Grandvilliers.
Les incendies étaient fréquents à l'époque, souvent destructeurs et fort diffi-
ciles à combattre, dans des petites villes aux maisons serrées, faites de bois
et de torchis, couvertes de chaume - et l'on n'avait guère de moyens efficaces
pour les maitriser. L'étude des incendies peut d'ailleurs fournir.des pistes
intéressantes pour la connaissance de l'habitat et de l'urbanisme anciens (3),
sans compter des indications à caractère plus social, voire politique, dans la
mesure où certains d'entre eux avaient pour origine des vengeances : on peut en
citer un exemple notoire dans le district de Compiègne sous la Révolution fran-
çaise avec l'incendie probablement volontaire de la grosse ferme de Portes sur
le territoire de la commune d'Antheuil, au printemps de 1794. (4)
Mais l'affaire de l'incendie de Crévecoeur est intéressante à un autre titre,
puisqu'elle fut l'occasion d'une explosion de haine populaire à l'encontre d'
un habitant du village, dans la maison duquel le feu avait eu le malheur de
prendre, mais qui surtout, servit de bouc émissaire à la population - et à la
Municipalité du lieu qui emboita le pas - pour des raisons religieuses ; en ef-
fet le malheureux Jean DOUDEL avait non seulement perdu tous ses biens dans le
sinistre, mais il était aussi un "NON CATHOLIQUE" - le plus probablement un
protestant - et de ce fait vit monter contre lui une grave cabale illustrant de
manière flagrante la méfiance, l'ostracisme, pour ne pas dire le racisme popu-
laire à l'égard des minorités religieuses.
(1) cf. la rubrique archivistique du N° 6 de la revue ( printemps 1979 ).
(2) La réforme administrative de 1790 ayant créé les départements & les districts, en avait confié la direction
à des Conseils élus au suffrage censitaire - la décentralisation au profit des notables - qui tenaient au
moins deux sessions par an, et dans l'intervalle desquelles siégeait un Directoire, formé d'une bureau et d'
administrateurs charqés de la qestion des affaires courantes.
(3) Signalons la prochaine parution au CDDP Oise d'une étude d'A.J.M. BERNARD sur l'habitat traditionnel dans
l'Oise, s'appuyant notamment sur des indications fournies par les dossiers " incendies".
(4) L'enquête du district, sur t'ordre du Comité de Sûreté Générale, fit soupçonner des salariés agricoles.
Il est très significatif que dans cette affaire, survint un conflit entre l'
administration du département de l'Oise, formée d'une élite sociale fusionnant
aristocratie éclairée et bourgeoisie urbaine, d'une part, et la municipalité de
Crévecoeur, reflétant le point de vue d'une grande partie des habitants, d'au-
tre part, conflit où la première adopta contre la seconde le parti de la tolé-
rance. (1)
Ceci corrobore en effet les indications fournies en ce domaine par les ca-
hiers de doléances de 1789 dans nos régions : ceux de la noblesse libérale et
de la bourgeoisie intellectuelle prônent bien plus volontiers la tolérance reli-
gieuse et la liberté de conscience que les textes émanant des milieux populai-
res, particulier les communautés rurales. Nous en avons des exemples très
en
probants dans le bailliage de Clermont en Beauvaisis. (2)
Il s'agit là d'un paradoxe apparent, incompréhensible si l'on ne fait pas
l'effort d'appréhender la réalité et la signification profondes du catholicis-
me dans les milieux populaires, surtout ruraux, à la fin de l'Ancien Régime.
Une conception et une pratique religieuses intimement liées à la vie quotidien-
ne, représentant d'abord un ciment idéologique et pratique de la communauté,
une sorte de sécurité en même temps que le moyen de conforter et perpétuer un
mode de vie ancestral ; d'où la méfiance, à caractère souvent social, à l'égard
de toute forme de marginalité religieuse - ou autre. Il est à cet égard révéla-
teur que la Municipalité de Crévecoeur ait pris en l'occurrence un arrété ( il-
légal ) BANNISSANT de la cité le nommé DOUDEL. En revanche il est assez logique
qu'une fraction des élites cultivées - aristocratique ou bourgeoise - dégagée
des soucis quotidiens qui étaient le lot des classes populaires, libérée de
cette mentalité refermée sur elle même, dont la masse était prisonnière, se
soit, en quelque sorte payé le luxe de la tolérance, sensible à la propagande
des philosophes du XVIII° siècle. Il convient toutefois de ne pas généraliser
ce point de vue à toutes les catégories de la classe dominante du système mo-
narcho-féodal de la fin de l'Ancien Régime. (3)
Mais ne nous y trompons pas ; il serait facile de regarder de haut la menta-
lité "arriérée", conservatrice, traditionnelle des éléments populaires au XVIII°
siècle, notamment en matière religieuse ; il convient en effet d'abord de s'in-
terroger sur ses causes profondes, son sens historique, d'une part ; d'autre
part l'on pourrait s'interroger sur le résultat de sondages récents, notamment
à propos du vote éventuel des travailleurs étrangers en France : ne retrouve-
t-on pas les mêmes formes d'ostracisme dans des milieux plus populaires, et
pourquoi ? Ceci invite à la reflexion, surtout lorsque l'on songe que la Révo-
lution française, ignorant la notion de "citoyenneté", permit à des étrangers
réfugiés en France de participer entièrement à la vie politique, et même que
les électeurs de l'Oise envoyèrent à la Convention en septembre 1792 l'Améri-
cain Thomas PAYNE et l'Allemand Anacharsis CLOOTS comme leurs députés.

(1) Le premier Président de l'administration du département de l'Oise, élu en 1790, fut le jeune Louis Xavier
Stanislas de GIRARDIN, Seigneur d'Ermenonville, qui avait été ami de JJ. ROUSSEAU.
(2) On peut citer, pour le premier type de cahiers, celui de la noblesse du bailliage de Clermont, dont la
rédaction fut d'ailleurs très influencée par la forte personnalité du Duc de Liancourt, prototype d'aristo-
crate libéral, qui fut élu député de son ordre pour le bailliage ; on peut en effet y lire cet article :
" La noblesse, persuadée que la différence des opinions religieuses ne doit jamais désunir les hommes,
...
pourvu que la morale et les principes sociaux soient les mêmes, croit devoir demander qu'il soit donné plus
d'étendue à la loi en faveur des non-catholiques, & que l'on assure entièrement leur état civil en les as-
similant aux autres citoyens... " ; en revanche le cahier de la communauté rurale de Villers St Sépulchre,
village situé près de Clermont écrit : " ... Que le Roi sera très humblement supplié de maintenir et protéger
la religion catholique, apostolique et romaine, comme devant être la seule et unique dominante en France. "
( Arch. Dep. de l'Oise Beauvais Série B. Cahiers de doléances de 1789, bailliage de Clermont )
- -
C3N C'était évidemment un point de vue tout à fait différent dans toute une partie de l'aristocratie tradi-
t'onnellé et en particulier dans le haut Clergé ; on peut citer à titre d'exemple, à partir de la même source,
le cahier du Clergé de Clermont, dont la rédaction a été très influencée par l'évèque de Beauvais, LA ROCHE-
FOUCAULT BAYERS, prélat aristocratique, qui fut aussi élu
- de justesee - député de son ordre ; on trouve en
effet, dans un Nota Bene des " instructions au député " le passage suivant : " de pétition aux E-
... en cas
tats Généraux de l'extension de l'Etat en faveur des non catholiques, il s'oppose, au nom de ses commettants,
à tout ce qui pourrait à cet égard être fait au préjudice de la religion "
...
DENONCIATION DE LA MUNICIPALITE DE CREVECOEUR A L PASSEMBLEE NATIONALE

( Arch. Dep. Oise - 1 L 97 - 8 août 1790 )

Messieurs,
"
Un incendie considérable vient de détruire une partie du bourg de Crevecoeur.
Le feu a pris dans la maison du nommé Jean DOUDEL, non catholique. L'infortuné
particulier a tout perdu, il a été en plus jetté dans un cachot les fers aux
pieds et aux mains par ordonnance de la Municipalité de Crevecoeur sur le rap-
port verbal d'un garde messier qui a dit que Doudel avait passé avec une voi-
ture à travers champs. Le lendemain de cet emprisonnement et après son interro-
gation, autre ordonnance de la Municipalité qui condamne de nouveau le même
Doudel à garder la prison pendant huit jours, malgré ses offres de payer les
dommages et intérests qui pourraient être dûs. Il s'est pourvu au Bailliage de
Beauvais et il a obtenu son élargissement provisoire. La sentence a été signée
et la Municipalité n'en a tenu aucun compte. Le bailliage informé du mépris
que la Municipalité de Crevecoeur faisait de la sentence, a envoyé main forte
pour la faire exécuter, mais dans le laps de temps qui s 'est écoulé depuis la
première signiffication de l'élargissement provisoire, la Municipalité, en ver-
tu d'une autre ordonnance ou délibération rendue, cependant la seconde dont
nous venons de parler avait déjà disposé de juger Dondel en le bannissant à
perpétuité de Crévecoeur et en déclarant ses biens meubles et immeubles acquis
et confisqués au profit des incendiés.
On peut assurer que la Municipalité de Crévecoeur ne fait pas un pas qu'elle
ne s 'égare, un des fils Dondel après s'être inutilement présenté au greffe de
la Municipalité pour avoir une copie en forme de la délibération, dont il vou-
lait appeler et qui lui a été refusée, a retiré un des placards affichés de la
délibération, pour le produire au bailliage de Beauvais. Il a été sur le champ
appréhendé au corps et enfermé dans le même cachot que son père venait de quit-
ter.
On ne le plus ou de la facilité avec laquelle la
sait lequel doit frapper
Municipalité de Crévecoeur donne des ordres pour emprisonner ses concitoyens,
ou de celle avec laquelle elle trouve des personnes pour faire éxécuter de pa-
reils ordres. Il n'est pas hors de propos de remarquer, 1° que ce n'étoit pas
Jean Doudel père, mais l'un de ses fils qui a passé avec sa charette,à travers
les grains désignant un chemin étroit qui ne doit pas être de passage aux voi-
tures, qui ny pouvaient passer sans endommager les grains qui le bordaient d'
un et d'autre, 2° enfin que la seconde ordonnance, celle en vertu de laquelle
Jean Doudel a été banni, ne parle pas du passage à travers les grains, mais de
l'incendie.
Jean Doudel n'ignore pas qu'il est en but aux soupçons de quelques personnnes,
mais il assure que beaucoup d'autres témoins des commencemens de l'incendie lui
rendent plus de justice et attestent qu'il a été éveillé par des personnes ac-
courues au feu, lorsque les flammes avaient déjà consumé plus de la moitié de
ses bâtiments, que seul peut être de tous les incendiés, il n'a rien sauvé, bes-
tiaux, grains, meubles et bâtiment, tout a périt.
Dans cette conduite dénaturée d'une administration envers ses commettants,
le Directoire du département de l'Oise, voit un abus d'autorité, tel qu'il en
existe à peine d'exemple dans les tems les plus renommés pour la tyrannie du
despotisme, il croiroit qu'il seroit juste qu'il seroit instant de destituer
,
une Municipalité que ses pouvoirs ont pervertie et de donner aux habitants de
Crévecoeur des administrateurs qui soient leurs pères et non leurs oppresseurs.
Il croirait que la garde nationale de ce bourg mériteroit une égale réforme, au
moins de ses chefs, mais pénétré de la haute sagesse de l'auguste assemblée, à
laquelle il reporte cette affaire il se borne à dénoncer les faits et à faire
passer les actes qui en fournissent la preuve. "
EXÉCUTION DE PRUNIER Cinq heures et demie sonnent, et, au 'tin-
tement de l'horloge, répond celui d'une
A BEALVAW cloche argentine. C'est la cloche de la prison,
située à deux cents mètres de là. On va dire
la messe au condamné à mort.
Il est cinq heures du matin. Le temps est Prunier ne sait rien du sort qui l'attend.
sec mais glacial. La nuit est sombre, malgré La. situation de Martin et d'Hinard est assez
les innombrables étoiles dont la lueur vive curieuse. Chacun d'eux a été averti par son
scintille au ciel. De tous côtés, à travers les défenseur que deux des condamnés sont gra-
rues, des piétons se dirigent vers la place du ciés et sait qu'il fait partie de ces deux ; mais
Franc-Marché, où doit avoir lieu 1 exécution il ignore qui est le second. Aussi lorsque,
du condamné Prunier. extraits de leurs cettutcs, les trois condamnés
Sur la place, deux mille personnes sont arrivent à l'église, revêtus de la camisole de
déjà rangées autour de l'échafaud, qu achè- force, il se regardent en dessous, comme pour
le nouvel exécuteur, M. Dei- lire sur la ligure les uns des autres le H01U
vent de dresser de
bler et ses aides. Quelques hommes troupe de celui que la grâce n'a pas atteint.
et une dizaine de sergents de ville, comman- La messe est dite par l'aumônier de la
dés par le commissaire central, M. Plemdoux, prison, Mgr Claverie, protonotaire aposto-
tiennent les curieux à distance. Au milieu lique, neveu de Mgr Gignoux, autrefois
du cercle, les lanternes des aides qui vont et évêque de Beauvais. L'évêque actuel, Mgr
viennent, terminant leurs lugubres prépara- Hasley, > assiste.
tifs, semblent de loin autant de feux follets A la fin de l'officié, M. Demange, gar-
en promenade. dien chef de la prison, agissant aux heu et
Voilà quinze jours déjà que les curieux, place de M. Boisard, directeur, retenu à
lasser, reviennent chaque nuit a la Clermont par son service, se rend dans la
Uns se cellule de Prunier.
môme place. lis espéraient d'abord la triple m'avez promis d'avoir du cou-
Vous
exécution de Martin, dHluard et de Prunier, —
Ils sa vent maintenant que les deux premiers rage, Prunier, lui dit-il. Eh bien, le moment
ont eu leur peine commuée. Maison de plus i*t venu...
pour ne pas manquer Prunier. Aussi, la — Ah c'est pour aujourd'hui y demanda
!

Teille au soir, à sept heures, quand M. Dei- Prunier avec calme.


bter est arrivé par lo train de Méru, avec ses — Oui, il faut descendre au greffe.
aides et son matériel, son entrée en ville — Hien.
a-t-elle fait sensation. Toute la nuit, on l'a Et Prunier se lève tranquillement, prêt à
guetté devant l'hôtel des Tvois-Piliers, où il marcher.
logeait par réquisition, on attendait le On descend au greffe. En route, on ren-
moment de sa sortie, et jusqu'à l'heure de la contre Mgr Hasley. Il adresse quelques pa-
fermeture du télégraphe, des dépêches de rois d'encouragement au condamné qui s'in-
Beauvais ont été lancées dans les environs, cline. Dans !a salle du greffe sont Mgr Cla-
avertissant les amis de la banlieue que cette verie, lo greffier de la Cour d'assises,
fois c'était sérieux. M* Gossin, défenseur de Prunier, le docteur
A quelques pas, sur la route qui borde la Evrard, médecin des prisons, deux gendar-
place, une devanture est edaircc. C'est le mes, et M.Deibler, et ses trois aides.
café Bataillou, qui, depuis quinze jours, lait Deibler demande un tabouret pour faire
des allaires d'or, grâce à sa proximité du y
asseoir le condamné, et procéder à la toi-
lieu du supplice. Non-seulement ou peut lette. On apporte. On enlève à Prunier la
1

aller s'y réchauffer, mais on y retrouve un camisole de force et le greffier ht l'arrêt


souvenir tout d'actualité. C'est I*a., en effet, d'exécution.
queProsper Martin, l'un des trois condamnés La toilette commence. Elle dure long--
à mort, eut l'idée de son crime, Il s'y trou- :PUIPS et très pénible. Contrairement à la
vait en même temps que le père Harthélerny manière de M. Roch, qui passait la même
Toutain, et vit les cent quarante francs que corde aux bras, aux jambes et derrière le
le vieux portait à la Caisse d'Epargne. Martin dos, presque sans serrer,M.Deib!er se sert de
courut chercher une fourche et alla attendre plusieurs morceaux de cordes de diverses
sur la route le pauvre veillard, qu'il assomma grosseurs et serre de toutes forces. A deux
et dépouilla. reprises, le patient s'écrie :
Vous me faites mal, oh ! vous me faites Le jeune défenseur accède à son désir. On

mal ! descend les cinq ou six marches qui condui-
Il y a une différence notable, du reste, sent du greffe dans la cour de la prison, où
entre Deibler et son prédécesseur. L'un est le fourgon attend. Au moment où Prunier
i'antthese vivante de l'autre. Roch, assez met le pied sur la première marche de l'é-
grand, de forte corpulence, et pourtant chelle pour monter dans le fourgon, il de-
alerte, vif, comme UM montagnard de la mande timidement :
Lozère ; Deibler, homme du Nord, petit, Je pourrais pas fumer une cigarette?

lourd, géné dans ses mouvements, indécis,% M. Démangé hésite. Mu Gossin en prend
empotr, pour dire te vrai mot. une, qu'il allume, et la passe à Prunier, qui

Entre temps, Prunier se plaint d'avoir tire trois à quatre bouffées et la rejette en
froid aux pieds. On pousse le tabouret vers murmurant :
un petit poêle qui se trouve là. Non, ça ne me dit plus !
remercie bien, dit-il à M. De- —
— Je vous Les deux portes de la prison s'ouvrent et
mange, vous avez toujours été très bon laissent voir le grand séminaire qui est en
moi voulez serrer la
pour ; - vous me face.
main ? On part.
M. Demange lui serre la main, ainsi que Il y a, ai-je dit, deux cents mètres de la
les gardiens de la prison. Prunier demande prison au Franc Marché. C'est donc trois à
aussi à embrasser l'aumônier, et enfin, quatre minutes qu'il faut pour arriver au
comme sœur la chargée de l'infirmerie se lieu de l'exécution, par la rue Verte, la rue
présente, il rappelle et lui dit : Neuve-de-la-Prison, et la route de Calais.
Et vous, ma bonne mère, vous ne vou- Prunier semble indifférent. Pendant que
— tète
driez pas me dire adieu ? Mgr Clavi-rie lui parle, il tourne la
La sœur s'approche toute émue et lui qui entoure la place
donne une poignée de main. Il est très pour regarder la foule
ligures de connais-

il semble chercher des


pâte. Redoutant une défaillance, le gardien-
chef lui demande s'il veut prendre quelque sance.
chose : Le grand jour est venu. Quatre-vingts
— Oui, je boirais bien une goutte, ré- hommes dIl Si' de ligne et deux brigades
pond il. de gendarmerie ont fait ranger la foule en
— De l eau-de-vte ? un immense cercle de vingt-cinq mètres de
Non, pas de l'eau-de-vie, du rhum. rayon. M, le lieutenant-colonel Edon, major

On lui apporte un verre de rhum, qu'il de place, et M. de Nonancourt, adjudant-
boit d'un trait. A ce moment, M. le docteur major, ont pris le commandement de la force

tions à minute..
Evrard lui tâte le pouls et constate 8-1 pulsa-
Cependant, la toilette est terminée. Le col
armée.
Le fourgon entre dans le cerJe. L'aumô-
nier et le condamné descendent. Ils s'arrê-
de la chemise du condamné vient de sauter tent ,i un mètre de la bascule. Deibler s'ap-
sons les ciseaux d'un aide. On présente à proche pour s'emparer de son patient. Mais
l'exécuteur le registre d écrou. non, Mgr Ciaverie n'a pas fini. Il continue à
En face du nom Théolïme Prunier, âge de exhorter à la résignation le condamné, qui
vingt-trois ans, etc., le greffier vient d'écrire tressaille et commence à s'enener.
la mention suivante : Celte scène se prolonge pcnihU'mpnt. Nous
Kemis à Deibler, exécuteur des hautes-œuvres, dirons noire montre. Une, deux, trois mi-
le 13 novembre, a (j h. nutes s't"cuult'nl..... Jamais nous n'avons vu
pareil intervutic entre la descente du four-
L't'\t''('uteur prend plume et signe avec
gon et la chute du couteau.
1:.1

une certaine difficulté : Prunier regarde a droite et à gauche.


DF:I 111.1.IL
Que demande-t-il ? Si le» gendarmes qui
Pendant ce temps, s'adressant art" (iossin, l'ont arrêté sont là. On lui dit que non.
son défenseur qui, lui aussi, ne a pas quitté
l Encore une minute... soixante siècles. Le
d'un instant et depuis deux mois a remue groupe ne bouge pas. Deibler est pâle, d'une
ciel et terre pour It,- sauver, Prunier de- pâleur que fait ressortir encore sa barbe
mande ; noire en fer à cheval. L'aumônier, ligure
Et vous, mon avocat, >oulez-vous m'em- ascétique, est pâle aussi. Des trois, Prunier

brasser ? semble faire encore la meilleure conte-
nance...
Pour le corps, même résultat. Intact, il
Ali ! enfin. Le prêtre embrasse le con- était insensible. On l'a ouvert. On a coupé
damné, lui présente le christ, et le bénit en les côtes, on a enlevé le cœur, le foie, les
lui imposant la main droite sur la tête. Le
patient passe de mains dans celles de poumons... et alors, au contact de la pile,
ses les bras, les jambes ont eu des mouve-
l'exécuteur qui, loin de le jeter sur la bas- ments... A ce moment, \i. le docteur Evrard
cule avec cet emportement, cette brutalité m'a demandé l'heure, et a constaté qu'il y
apparente qui, chez M. Roch, n étaient que avait quarante minutes que la décollation
de riiumanilé, le place au contraire toui avait eu lieu.
doucement, et non moins doucement fait Entin, expérience concluante : sous 1 ac-
1

jouer le déclic. tion de la pile, un lambeau de peau pen-


La tôle de Prunier tombe enfin. Il est sept dant, à la suite d'une recherche dans la poi-
heures et quelques minutes. trine, s'est redressé, a oscillé et est venu
On place corps et tête dans le panier, et violemment se replacer à l'endroit d'où il
on conduit le tout au cimetière. avait été détaché.
La, attendent MM. les docteurs Evrard et La conclusion des docteurs est donc que les
Lesa«'v, de lleauvais; Chevallier et Lesguil- mouvements observés sur ies corps des guil-
1011, de Compièinie ; HoelJu, de 1\'t'uill)-t'n- lotinés, sous l'action de la pile, sont abso-
ThptJe, et Dpeaisne, membre de rinsïitut, lument mécaniques et ne démontrent ni vie
de Paris. M. Evrard a demandé et obtenu le persistante, ni sensibilité. Ce sera, du reste,
cadavre du supptici.', pour des expériences l'objet d'un mémoire qui sera présenté pro-
auxquelles il a convie ses confrère chainement à l'Académie de médecine par
Nous avons suivi ces expériences avec un M. Evrard, et dans lequel il compte démon-
véritable interrt, car, (Ill dehors du caractère trer que LCLmort par la décollation est ins-
scientifique, elles touchaient cette question
,-.'t tantanée.
tant de fois discutée: La vie survit-elfe lt la Au point de vue de l'autopsie, le coeur
décollation ? était mou, graisseux, encore rempli de l'air
Il y avait cinq minutes que la tête était aspiré au moment de la chute du couteau.
séparée du tronc Quand on l'a placée sur une Le cerveau, très volumineux, présentait quel-
pierre en plein air, devant la petite cha- ques adhérences avec les méninges qui en- 1

pelle du cimetière. Bien que le supplicié eût veloppes : altération due certainement à l'al-
coolisme. Prunier avait dit en effet à son
rendu relativement peu de sang, quelques défenseur* « pour avoir cela, il fWtoit
gouttes perlaient encore aux carotides. que je soye bien saoul !9 et à M. le docteur
Mien que le cou lut très court, la section Evrard : « Depuis quelque temps, je buvais
avan, consiatous-le, eié très nettement faite. de l'eau-de-vie et de l'absinthe. Le jour de la
Le couteau avait passe, cotre le maxillaire
in- fête, j'avais bu beaucoup, et je me disais :
térieur et la peau LIU menton, qui restait il n'y a pas à dire, faut que je fasse un
pendante au cou. coup! i
Eh bien, pincée, piquée avec des aiguilles, Etait-ce donc un fou que cet homme qu'on
soumise aux expériences les Plus doulou- a guillotiné, tandis qu'on a gracié quatre
reuses, cette tête n'a pas bougé, la face est autres criminels raisonnables et raisonnant?
restée impassible, pas un muscle n'a tres- A neuf heures, on a jeté pèlc-Inêle dans
sailli. On a calciné entièrement l'oreille gau- une fosse creusée dans un coin réservé aux
che à la flamme d'une bougie sans obtenir suppliciés les restes sanglantset morcelés du
la moindre apparence de sensibilité. misérable... Il a été mis là, sans bière, sans
Uri a alors fendu en quatre la peau du rien.
crflne, on a enlevé avec le marteau, le scal- Contraste qu'on croirait ne trouver que
pel et la scie, la partie supérieure de la botte dans les romans : Taudis que, dans ce cime-
osseuse; on a retiré le cerveau. Cela a pris tière, sur une pierre tombale, transformée
dix bonnes minutes. Soumis à la pile élec-
trique, ce reste de tête a éprouvé des con- eu dalle d'anatomie, nous élions là huit ou
dix à examiner ces morceaux de chair hu-
tractions nerveuses. Les dents ont claqué, la maine... le soleil brillait clair et joyeux, et
bouche s'est refermée. L'œil et la joue ont
fait ces grimaces qu'on peut observeriez les petits oiseaux perchés dans les cyprès
les gens qui dorment et qu'on chatouille chantaient au dessus de nos tôles.
GEOHGKS GRISOU.
avec une barbe de plume.
POCRTBaNCH
54

L'article qui précède est paru le ma. 18 nov. 1879 dans le n°108 du
bihebdomadaire L'ECHO DE L'OISE, édité à Compiègne. Je suis tombé dessus
alors que j'effectuais quelques recherches sur l'histoire de Pierrefonds,
son château et ses bains, la construction de sa ligne de ch. de fer, pour
un n° des A.H.C. consacré au patrimoine. Cet article, pour le moins, tran-
chait avec les nouvelles locales que je dépouillais : par son contenu bien
sûr, mais aussi par le soin apporté à sa rédaction, et par le fait qu'il
était signé.
Dans les journaux locaux de l'époque, et dans l'E.d.O., on compilait,
voire recopiait la presse parisienne pour les informations nationales, et
le directeur, aidé d'un ou deux collaborateurs, rédigeait entièrement les
nouvelles locales. Aussi n'étaient signés que les prises de position des
notables au moment des élections, et parfois, pendant l'été, un récit de
promenade obtenu d'un "homme de lettres parisien" venu prendre l'air de
nos forêts.
;
Georges Grison n'était sûrement pas écrivain c'était plus probable-
ment l'un des chroniqueurs judiciaires alimentant les journaux de l'Oise.
Seulement, pour une fois, il donne à son intervention un cadre explicite-
ment littéraire : voir son prologue sur le ciel étoilé et son final sur
"le soleil clair et joyeux, les petits oiseaux au-dessus de nos têtes".
Ces petites notations, "qu'on croirait ne trouver que dans les romans",
comme les dialogues rapportés, les remarques sur Deibler et quantité d'au-
tres "détails vrais", sont absents du bref compte-rendu, présenté pudique-
ment comme venant d'un témoin, que publie l'E.d.O. dès le v. 14 nov., lende-
main de l'exécution. Le plan, toutefois, et l'esprit des deux versions
sont identiques. L'auteur est émù d'assister à "l'horrible spectacle",
jusqu'à s'apitoyer sur le sort du "misérable", mais "Prunier avait payé
sa dette à la justice des hommes", précise le premier article.
Grison ne militant visiblement pas contre la peine de mort (moi non
plus), on peut alors se demander pourquoi il passé son week end à rédiger
un second récit, tout à fait dans le style d'une nouvelle populo-réaliste,
avec son décor bien planté, ses personnages portraiturés, ses petites re-
marques d'auteur. Car l'affaire, dont cette exécution est le dénouement,
n'avait rien qui eut pu la rendre retentissante : un crime plutôt banal
pour l'époque, un procès pour ainsi dire sans histoire.
Prunier est l'exemple même du pauvre type, affreusement fruste. Ses
emportements d'alcoolique l'avaient fait renvoyer maintes fois. Le 2 juil-
let 187 9 il était employé depuis 2 mois comme charretier par le meunier de
Trye-la-Ville, près de Gisors. Ce dimanche-là, c'est la fête du village ;
Prunier passe évidemment la journée au cabaret. Vers 19 h. il revient au
moulin pour tourner autour de la petite bonne mais "la dame Jobin", belle-
mère du patron, est également là ; il repart furieux. A 21 h. il revient,
et se dirige vers l'écurie où la dame Jobin le suit, craignant, vu son
état, qu'il ne se fasse blesser par les chevaux. Il répond à ses répriman-
des en l'assomant de plusieurs coups de bâton et la viole alors par 2 fois.
Ensuite, il la transporte agonisantejusquà la rivière et la noie. Il s'é-
loigne, va jusqu'au moulin, mais revient, sort le cadavre de l'eau, et à
nouveau le viole. Puis il rentre chez ses parents où il s'effondre de
sommeil.
procès a lieu un mois et demi plus tard, le Il sept. 1879, en fin
Le
d'a.m. L'E.d.O. en rend compte le 16 sept. Hinard a été comdamné à mort le
matin pour tentative (plutôt incestueuse) de meurtre ; Martin, pour crime
crapuleux, le sera le sam. suivant. Onze crimes capitaux sont inscrits à
la session. Le 11 sept. à 17 h. "un bourdonnement joyeux emplit la salle".
En 2 h. l'accusé est interrogé, les témoins entendus. Suspension de séance
pour dlner, réquisitoire, plaidoirie, 10 mn de délibération, et à 22 h 30
tout est terminé. Simple formalité que ce procès !
Le déroulement de l'exécution, plus grandiose, n'est pas moins proto-
colaire. Toilette du condamné, dernière verre, présence jusqu'au bout de
l'aumônier, place grouillante de monde font partie du cérémonial maintes
fois décrit : relire Hugo ou cet épisode de FANTOMAS dans lequel officie
le Deibler, ou encore, plus proche de nous, LA VEUVE de Claude Hodin.
même
Avec ses épisodes aussi exceptionnels qu'inscr itsau programme, sordides
autant que solennels, le sujet est trop beau pour que, dès le XIXe s., le
roman-feuilleton puis la nouvelle fantastico-réaliste ne s'en soient empa-
ré. La guillotine appartient à la tradition littéraire nationale, et ce
n'est pas le témoignage de Grison, aussi vériste soit-il, qui la renouvel-
le : il ne nous apprend rien.
le corps des suppliciés sont
Les expériences médicales pratiquées sur
presque aussi connues. Elles sont en tout cas d'usage, voire de droit, cela
depuis longtemps, et peut-être encore à ce jour. Qu'on se reporte simple-
ment aux "leçons d'anatomie" du XVIIe s. hollandais, notamment à celles
qu'à peintes Rembrandt (1632 et 1656). Elles avaient lieu chaque hiver, sur
le cadavre resté frais d'un condamné, dans une salle publique prévue à cet
effet, le Theatrum Anatomicum à Amsterdam, dont le billet d'entrée coûtait
35 centimes.
qui surprend et fait de prime abord tout l'intérêt du texte de
Ce
Georges Grison est cette description dans la foulée de l'exécution elle-
même et des expériences médicales qui s'ensuivent. La question à laquelle
ces dernières prétendent répondre invite certes à les relier, et l'autopsie
du cerveau incite le narrateur-témoin à s'interroger en retour sur le bien-
fondé de cette exécution précise. Mais ce n'est pas suffisant pour justifier
la forme littéraire ni le ton adoptés.
Au-delà de la vérité anecdÓtique des faits rapportés, un logique tex-
tuelle ressort de cet article qui oblige au moins autant le récit à aller
jusqu'au bout. Cette logique repose sur les stéréotypes implacables de
l'époque : des manies, symptômes idéologiques qui ne s'apaisent qu'à force
d'être grattés en cachette, insidieusement. Ainsi le mépris sous-jacent de
l'auteur pour le plaisir pris par la foule à ce spectacle a-t-il pour corol-
laire, et contre-poids, son admiration déclarée pour MM. les docteurs. Le
petit bricolage auquel ceux-ci se livrent avec leur bougie, leur scie, leur
pile électrique, est pourtant révélateur des colifichets scientistes que la
2e moitié du XIXe s. a tellement adorés, au point de partir en croisade
colonialiste pour les répandre sous l'étiquette "civilisation" t... La scien-
:
ce, toujours est-il, apporte au texte de Georges Grison ce supplément d'âme
après lequel il court c'est Homais, autre face de la Bovary.
Depuis le début en effet, les clichés littéraires, et la corde sensible
qu'en amateur Grison ne sait réprimer, accentuent tout naturellement, sans
même y penser, la tonalité religieuse de la cérémonie. Ce sont-les notations
très romantiques sur la beauté du ciel, cette remarque peu utile au récit
sur les portes de la prison qui "s'ouvrent et laissent voir le grand sémi-
naire qui est en face", quatre paragraphes palpitants sur les exhortations
ultimes de l'aumônier qui se prolongent à en devenir apocalyptiques : "une
minute... soixante siècles", et pour finir, devant la petite chapelle du
cimetière, ce cerveau hypertrophié dont la révélation (mais très scientifi-
que) met fin au supplice par un coup de la grâce (si je puis dire) qui avait
oublié le condamné Prunier. C'est là, sur une pierre tombale transformée en
dalle d'anatomie, qu'a lieu le vrai procès : un jugement dernier où, pour
sa seule gloire, la Science rachète le criminel, en son corps !
L'auteur se croit simplement charitable, mais ses effets littéraires,
1 ' entraînent insensiblement, hypnotisé qu'il est par ces stéréotypes, sur
la pente d'une vérité qu'il ignore et qui dépasse de beaucoup le modeste
cas Prunier : l'exécution capitale n'est qu'an sacrifice que la société ac-
complit rituellement au nom de ses propres mythes. C' est pourquoi dans le
récit de Georges Grison le supplice n'a de fin, le calice n'est bu jusqu'à
l'hallali, que losque la science et ses chiens savants se jettent sur le
corps qui leur est offert pour le dépecer puis laisser entendre qu'on a
peut-être exagéré. Il fallait établir que la dette envers la société avait
été un peu trop chèrement payée : le sacrifice suppose un minimum de perte,
sinon : inutile d'en parler Pourquoi Georges Grison aurait-il passé son
!

week end à écrire ce récit ?


JACQUES DEMARCQ
La crise des années 30
dans le Beauvaisis
J. G aniage

Le texte que nous présentons ici a été rédigé, en 1933 vraisembla-


blement, par Robert Pimienta (1887-1957), un professeur d'histoire dont
le nom est longtemps resté célèbre dans la ville de Beauvais.
Après une brillante campagne dans les chasseurs alpins qui lui va-
lut légion d'honneur, croix de guerre et médaille militaire, il fut re-
çu à l'agrégation en 1925 et normé au Lycée Félix Faure en octobre 1927.
Il ne tarda pas à s'engager dans la politique locale. Venu de l'extrême
gauche, il avait été converti par la guerre au nationalisme le plus in-
transigeant et milita bientôt dans les rangs de l'U.R.D. de Louis Marin.
C'est à ce titre qu'il fut désigné comme candidat de l'Union nationale
en 1932, pour disputer le siège du radical J. Schmidt dans la 1ère cir-
conscription de Beauvais. Battu à l'issue d'une campagne des plus ani-
mées, il n'en continua pas moins de défrayer la chronique locale. Au
lycée Félix Faure en effet, les cours "du Pim" faisaient la joie des
élèves et le désespoir de l'administration. Aussi, en 1936, fut-il écar-
té de la compétition électorale par ses amis politiques.
Dès la déclaration de guerre, Robert Pimienta s 'engagea dans les
corps francs où il paya vaillamment de sa personne. Ses exploits dans la
résistance lui valurent un siège à l'Assemblée consultative provisoire,
où ses interventions alimentèrent la chronique humoristique de la pres-
se. R. Pimienta ne devait plus revenir au Palais Bourbon, bien qu'il
eût tenté sa chance électorale aux Antilles, et mourut à Paris, _en mai
1957. Commandant de réserve, chevalier de la Légion d'Honneur, il était
l'auteur d'un ouvrage consacré à la 66ème Division de chasseurs alpins :
La belle épopée de l'Alsacienne (1914-1919) paru en 1932.

L'intérêt texte ne réside certes pas dans ces considérations


de ce
assez banales sur la crise économique. La virulence des attaques portée
à juste titre, semble-t-il - contre les autorités locales apparait
-
surtout comme l'écho de la campagne malheureuse de 1932. En revanche,
l'étude des problèmes de population mérite de retenir davantage l'atten-
tion, comme cet effort pour définir une petite région, cernée de façon
précise à l'aide d'une série de recoupements. On remarquera également
cette allusion prophétique à l 'emploi massif des avions et des chars,
bien avant que l'Allemagne eut commencé son réarmement, plusieurs mois
avant la publication de Vers l'armée de métier (1). Et que dire du pro-
blème des autoroutes ? dans ce domaine, on peut trouver matière à des
considérations amères que les Beauvaisiens d'aujourd'hui auraient encore
le loisir de méditer.
Jean Ganiage,
Professeur à la Sorbonne

(1) Ouvrage dans lequel le colonel de Gaulle préconisait la constitution de grandes unités blin-
dées (1934).
Le Beauvaisis en crise

Comme toute la France, le Beauvaisis est aujourd'hui plongé dans


la crise : usines qui ferment leurs portes, faillites en cascade, chô-
mage partout en progression. Pourtant, le marasme des affaires ne sem-
ble guère affecter la sérénité des princes qui nous gouvernent. Mais le
petit peuple commence à murmurer contre la politique du Cartel et l'in-
curie de politiciens ayant trop vite oublié leurs promesses électorales.
Cependant, on ne saurait méconnaitre l'ampleur de la crise qui af-
fecte aujourd'hui toute l'Europe, la plus grave qu'ait jamais connue l'
économie mondiale. Il serait injuste en la circonstance d'accuser les
hommes ou les partis. Dans le cas de Beauvais et de sa région, le mal
est plus ancien. La crise n'a fait qu'aggraver une décadence dont les
origines remontent au siècle dernier, lente asphyxie d'une région autre-
fois prospère, déclin d'une ville qui pouvait prétendre un rôle de ca-
pitale régionale et qui, faute d'avoir su s'adapter, végète aujourd'hui
à l'écart des grandes voies de communications et se vide de sa substan-
ce sans pouvoir se défendre contre l'attraction inexorable d'une capi-
tale dévorante.
Avec ses quatre faubourgs, le grand Beauvais (27.000 habitants)
n'est pas plus peuplé aujourd'hui qu'il y a trente ans. Or l'aggloméra-
tion comptait déjà 16.000 ames en 1831, presque autant que Béziers et
Perpignan, qui sont aujourd'hui des villes de 70 à 75.000 habitants. Dé-
clin plus significatif encore, si l'on considère l'aire de rayonnement
de la ville. Géographiquement, ce domaine ne cesse de se réduire, sur
une campagne qui se vide de ses habitants.
Nous avons tenu à faire le point, aidé en cela par nos excellents
amis de la Tribune de l'Oise. A partir des listes d'abonnés, dés li-
vraisons aux dépositaires, nous avons pu recenser, commune par commune,
les lecteurs de la presse beauvaisienne, Tribune et République de l'Oi-
se , en pointant sur la carte les limites de sa diffusion, face à ses
concurrents de Compiègne, de Senlis, de Rouen et d'Amiens. Les chefs
de gare de Beauvais, de Creil Clermont, Méru et Saint-Just en Chaussée
,
ont bien voulu répondre à notre questionnaire concernant le trafic des
voyageurs. Grace aux renseignements obligeamment fournis par les compa-
gnies d'autocars qui desservent le Beauvaisis, nous avons pu établir,
selon la méthode des géographes, des schémas très significatifs. Enfin
nous avons tenu compte de l'origine des élèves au Lycée Félix Faire et
à l'E.P.S., nous avons interrogé les associations d'anciens combat-
tants, ainsi que les maires de 25 chefs-lieux de canton.
Or partout les résultats concordent. La zone d'attraction de la
ville de Beauvais se réduit aujourd'hui à la valeur d'une douzaine de
cantons, 240 villages compris dans un rayon de 24/25 km à vol d'oiseau,
parfois moins, rarement bien davantage. C'est le rectangle grossière-
ment compris entre Feuquières, Crèvecoeur, Ansauvillers, Clermont-en-
Beauvaisis, Bornel et les limites du département de l'ouest, entre Séri-
fontaine et Canny-sur-Thérain. Au Nord, à peu près la frontière entre
Ile de France et Picardie, à l'ouest celle de Normandie, au sud, un
pays de Thelle rogné à ses deux extrémités, à l'est, le chemin de fer
d'Amiens.
peut mesurer le déclin en se référant à ce que représentait le
On
Beauvaisis dans le passé. Sans remonter à l'Antiquité ni au Moyen Age,
où le pays confondait avec le diocèse, considéré comme le domaine du
se
vaillant peuple bellovaque, on peut comparer la situation actuelle à
celle du siècle dernier. Pour les sujets de Charles X et de Louis-Phi-
lippe, le Beauvaisis, c'était à peu de chose près les deux arrondisse-
ments de Beauvais et de Clermont. Selon une note manuscrite que nous a
obligeamment communiquée M. Béreux, Louis Graves, l'auteur des célèbres
notices cantonales, évaluait à 300 communes avant 1830 le rayon d'in-
fluence de Beauvais. Il précisait ainsi : l'arrondissement de Beauvais
moins les 3/4 des cantons de Formerie et de Grandvilliers, orientés res-
pectivement vers Rouen et vers Amiens, l'arrondissement de Clermont,
moins le canton de Breteuil et le nord (de ceux) de Crèvecoeur et Mai-
gnelay, ainsi que quelques communes à l'est de St Just (dont il propo-
sait le rattachement à Estrées-St-Denis) et de Liancourt, tournées vers
Compiègne. Il y ajoutait le canton de Neuilly-en-Thelle, dépendant de
l'arrondissement de Senlis.
Si nos calculs sont exacts, le Beauvaisis était peuplé de 175.000
habitants en 1831, dont 16.000 pour Beauvais et ses faubourgs, et près
de 160.000 pour le p.lat pays? Un siècle plus tard, nous tombons à moins
de 130.000 à 27.000 habitants pour la ville, 100.000 pour la campa-
gne. (1)
La situation est la même sans doute dans le reste de l'Ile de
France et dans tout le Bassin Parisien. Dans les Alpes, le Massif Cen-
tral et le Bassin Aquitain, elle est en train de devenir dramatique.
Les remèdes peuvent varier selon les régions, mais on retrouve partout
les mêmes principes. La proximité même de Paris doit fournir à Beauvais
les moyens de lutter contre l'impérialisme de la capitale. Mais il ne
fait pas attendre que le pays ait fini de se vider de ses habitants.
le chômage, il faut une politique de grands travaux
Pour résorber
qui occuperaient les sans travail d'aujourd'hui en préparant le redres-
sement de demain. Assurément, il
ne s'agit pas de recommencer l'expé-
rience des Ateliers nationaux de 1348, comme semblent le suggérer cer-
taines propositions socialistes. Ce qu'il nous faut, ce sont des tra-
vaux utiles, des autostrades et des terrains d'aviation, ainsi que des
usines modernes pour développer les techniques d'avant-garde. Les pro-
chaines guerres seront l'affaire de l'aviation et des tanks, utilisés
en masses profondes. Mais avant tout, il
faut songer aux besoins des
Français qui voudront bientôt rouler en auto comme les Américains. Le
jour viendra où nos lignes de paquebots seront remplacées par des ser-
vites d'hydravions ou de dirigeables.

(1) Mais R. Pimienta compare ici des régions de dimensions inégales. Si son raisonnement est juste,
dans la mesure où iltémoigne d'un rétrécissement effectif de l'influence de Beauvais, l'oppo-
sition des chiffres tend à exagérer le déclin de la population. Nous avons abordé nous-même
ces problèmes de délimitation du Beauvaisis, mais pour le XVIIIème siècle. Les limites que nous
avons retenues (297 paroisses de 1750 correspondant à 303 communes de 1960 couvrant 248.505 ha)
sont très proches de celles qui sont indiquées pour 1830, ce qui n'a rien que de très naturel,
puisque c'est après l'établissement des chemins de fer que se sont produites les transformations
décisives. Voici ce que donnent pour le même territoire les résultats des recensements exploités
par R. Pimienta, titre
avec, à de comparaison, ceux de 1975 :

-
-
1831 : 173.912 habitants dont 15.700 environ )
1931 ' 167.166 habitants dont 27.000 environ
i; pour Beauvais
D ..
et ses faubourgs

1975 231.918 habitants dont 54.089 pour la ville de Beauvais.


- :
On retrouverait le chiffre de 130.000 en retranchant une soixantaine de communes, ainsi qu'il
est indiqué.
Il ne faut laisse échapper sa chance, comme ce fut
pas que Beauvais
le cas pour le rail, au siècle dernier. Beauvais doit devenir un des car-
refours de notre futur réseau d'autostrades, sur le grand axe Paris-Ca-
lais, au croisement de l'autostrade de Champagne en Normandie. Il faut
qu'elle construise un grand aérodrome et qu'elle accueille des industries
nouvelles. Mais, où sont les projets de la mairie, ceux des élus du Car-
tel, l'hippocampe de Crèvecoeur (1) et son fidèle valet ? Ils distribuent
des décorations en ressassant éternellement les mêmes discours. Grâce à
l'initiative de certains de nos compatriotes, il était question d'établir
ici une grande usine Ford. Ces Messieurs ont réussi à décourager les Amé-
ricains. Si l'on n'y prend garde, ils laisseront échapper la chance de
1 'autostrade au profit de Clermont ou de Compiègne, comme leurs prédé-
cesseurs ont laissé échapper le chemin de fer qui fait aujourd'hui la
fortune de Creil; Et quand, après ses dernières usines, Beauvais aura
perdu sa garnison et sa préfecture, que restera-t-il de la vaillante ci-
té de Jeanne Hachette ?
Que ces MM. pour lutter contre 1 a dénatalité, le
font également
chancre qui ronge notre pays depuis près d'un siècle et qui le conduit
tout droit à application plus sérieuse de la loi dë
la catastrophe ? Une
1920, conjuguée avec une politique hardie d'allocations aux pères de fa-
milles nombreuses permettrait de relever une natalité qui s'effondre.
L'immigration étrangère n'est qu'une solution de fortune, un remède qui
risque d'être bientôt plus dangereux que le mal. C'est l'existence mê-
me du pays qui est en jeu à l'heure actuelle. Une sève nouvelle ne ré-
veillerait pas seulement le pays et ses énergies assoupies ; elle provo-
querait une reprise des affaires en donnant le coup de pouce nécessaire
à nos fabriquants en difficulté.
Si l'on veut retenir les derniers habitants de nos campagnes, il
faut multiplier les travaux d'équipement, améliorer les routes et les
chemins vicinaux, organiser des tournées de dispensaires dans les villa-
ges, distribuer l'eau partout et lutter contre l'alcoolisme. Mais sur-
tout il faut encourager l'installation de petites industries. Si les
derniers vestiges de l'artisanat sont en train de disparaître, que l'on
attire des activités nouvelles dans ces régions tranquilles où la main
d'oeuvre est moins exigeante. Pourquoi choisir Saint-Denis, Puteaux ou
Levallois, alors qu'on pourrait s'installer à Noailles, à Crèvecoeur
ou à Saint-Just en Chaussée ? Il faut que les élus de l'Oise songent à
faire de la réclame pour le département, et pas seulement pour la ma-
nufacture de tapisserie ou l'asile de fous de Clermont.
Il faut surtout
dépasser les positions partisanes, entreprendre
une politique de salut public dans un grand élan d'union nationale.
C'est à ce prix que nous sauverons la France et que nous rendrons au
Beauvaisis la vie et la prospérité.

Robert Pimienta
Agrégé d'Histoire et Géographie
Professeur au Lycée Félix Faure

(1) J. Schmidt, député maire de Crèvecoeur, et, sans doute, Raoul Aubaud, élu de la 2eme circons-
cription de Beauvais.
+ Le livre vivant de Compiègne au début du XXe siècle : 60 F

(Cahiers de la Sauvegarde juin 81)


de Compiègne, n° 5
-
Souvenirs recueillis par
M. Louis DUQUESNAY
- 137 p.
- Préface de M. F.CALLAIS

Edité dans le cadre de l'année du Patrimoine, avec le concours des Séries de Compiègne, cet
important ouvrage, dont une suite doit être publiée, est le fruit du patient et méticuleux travail de
M. Louis DUQUESNAY qui,
avec la Sauvegarde de Compiègne, a accumulé et mis en forme de nombreux témoi-
gnages de vieux Compiègnois. Il
s'agit donc de ce que l'on appelle aujourd'hui de l'histoire orale,
dont les matériaux constituent des contributions inégales mais toujours intéressantes pour reconsti-
tuer un passé dont le souvenir sera bientôt effacé. Cette entreprise était donc urgente et utile et 1'
on ne peut qu'en féliciter
ses promoteurs.
Ces témoignages évoquent le début de ce siècle et la guerre 14-18, c'est-à-dire cette époque
qui ne fut belle qu'au regard des suivantes et qui a avant tout pour elle l'attrait de rappeler leur
jeunesse aux personnes interrogées. Le choix de celles-ci conditionne évidemment en grande partie le
contenu des souvenirs et la vision historique de cette époque : l'enquêteur s'est efforcé de diversi-
fier les témoins, mais n'a pu éviter de privilégier les notables locaux, ayant bénéficié d'une plus
grande longévité ou plus faciles à contacter. On pourra aussi trouver que l'ouvrage laisse une trop
grande place aux anecdotes - certaines étant d'ailleurs très significatives - et offre de ce fait une
vision particulière des événements ou de la société au début du siècle ; en fait ne s'agit pas il
vraiment d'une étude historique rigoureuse, mais d'une série de visions partielles, voire partiales,
qu'il reste nécessaire de confronter avec d'autres types d'études faites avec recul et souci de globa-
lité historique ; mais ces témoignages, lus avec esprit critique, bien sûr, n'en sont pas moins suscep-
tibles de colorer, d'humaniser notre vision "objective" de cette époque. En cela ils nous sont pré-
cieux.
Ajoutons que l'ouvrage, fort bien présenté, est muni de tout un appareil iconographique (photos
anciennes, provenant souvent de collections particulières, dessins dus au talent graphique de Monsieur
DUQUESNAY). Il intéressera bien
sur, d'abord les Compiègnois, qui ont répondu d'ailleurs massivement
à l'appel de souscription pour cet ouvrage, mais aussi ceux qui s'intéressent à l'histoire de la socié-
té française contemporaine.

+ Petite histoire du pont de Creil : (J.M. TOURNEBIZE)


- 14 p. 25 F

Exploitant le fruit de ses vastes recherches et mettant à profit sa très riche collection de
cartes postales, M. TOURNEBIZE a réalisé cette petite plaquette qui retrace, brièvement, dessins et
photos à l'appui, l'histoire de ce pont stratégique reliant les deux rives du bassin creillois. Une
lecture bien agréable et de fort intéressants documents, dont on peut seulement regretter qu'ils n'
aient pas été tramés pour la reproduction offset. Problème, hélas, de finances, que nous connaissons
bien !

+ Sentier d'observation du Mont Ganelon : (dossier de 21 fiches) 10 F

Réalisé par le CES Gaétan Denain de Compiègne, sous la direction de M. A. FOUCHE

Il s'agit là
encore d'une publication liée à l'année du Patrimoine, encouragée par les Séries

de Compiègne. Reprenant une idée qui a déjà été appliquée l'an passé avec le sentier du Mont Saint-
Pierre en forêt de Compiègne, ce document propose un itinéraire pédestre, escaladant le Mont Ganelon,
au dessus du très joli village de Clairoix situé sur l'Oise, en amont de Compiègne. Les fiches propo-
sent une série de points d'observation en mettant l'accent sur divers aspects historiques, géographi-
ques et économiques ; de fait le Mont Ganelon est un lieu privilégié pour les géologues, les
archéolo-
gues et les historiens ; il
permet d'autre part de belles vues du confluent de l'Aisne et de l'Oise,
de la zone industrielle et de l'agglomération compiègnoise, excellent moyen d'apprécier concrètement
les problèmes d'aménagement du territoire.
+ L'archéologie industrielle en France :

(Publication périodique du Centre de Documentation de l'Histoire des Techniques)

N* 1 : article-
méthodologique de M. M.DAUMAS (mars 76)
N° 2 : quelques problèmes de méthodes ; les manufactures royales (M.DAUMAS) (avril 1977)
N* 3 : l'histpire non écrite ; les fours à chaux de Cruas (M.DAUMAS) (mars 1978)
N° 4 : présentation du CILAC ; colloque d'archéologie industrielle de Bordeaux (avril 1979) (M.DAUMAS)
(Sept. 1978)
N° 5 ' l'archéologie du monde moderne et contemporain. à l'Université de Paris - Sorbonne ; le moulin
Cordier de Béziers (M.DAUMAS) (mars 79)
N* 6 : Colloque d'archéo. indus. de Caen (avril 80) ; le musée de la mine de Littry ; enquête sur l'uti-
lisation de la force hydraulique du Thérain (Oise) (J.CARTIER) (déc. 1979)
N° 7 : - les anciennes installations de pompage du service des eaux de la ville de Paris. (P.BEGUINOT) -
Colloque d'archéo. indus. de Perpignan (avril 81) (décembre 1980)

+ MILIEUX - N° 6 (revue trimestrielle de l'Eco-Musée du Creusot)


(Juin - septembre 1981) (35 F)

Outre les rubriques habituelles concernant les activités de l'Eco-Musée du Creusot, ce N° contient
surtout un copieux dossier à la mémoire de Bertrand GILLE, un des pionniers de l'archéologie indùstriel-
le en France, récemment décédé.
A noter aussi une étude sociologique sur les motards au Creusot (F. PORTET), un document présenté

par D. PUYMEGES,.intitulé "les mauvais pauvres" et une copieuse rubrique bibliographique, qui évoque
notamment un récent ouvrage de J.M. SCHMITT sur les origines de la Révolution industrielle en Alsace.

+ L'ECONOMIE EN QUESTIONS
- N° 17 (juin-sept. 1981) (10 F)

noter, dans ce N°, outre le commentaire habituel sur la conjoncture, des dossiers sur l'indus-
A

trie automobile, la télévision, la vente des armes dans le monde ; comment suivre votre pouvoir d'achat;
les nouveaux protectionnistes et lectures de vacances.

+ BOLLETINO STORICOper la PROVINCIA DI NOVARRA :


(Publication de la Société Historique de Novarre (Italie)
C'est à la suite des contacts étroits entre le Lycée Pierre d'Ailly de Compiègne et le liceo

classico d'Arona, ville jumelée avec Compiègne, qu'il a été convenu de procéder à l'avenir à un échan-
ge de publication entre la Société d'histoire moderne et contemporaine de Compiègne et notre consoeur
de Novarre, dont M. LOMAGLIO, proviseur du liceo classico d'Arona, est un membre très actif.
Ce copieux bulletin parait deux fois par an ; nous en avons reçu les N° s de 1980 et du 1er se-
mestre de 1981, au contenu très varié, accessible seulement à nos lecteurs connaissant l'italien.
A noter parmi les nombreux articles, dans le domaine de l'histoire moderne et contemporaine,

une étude de G. BARBERO : "en marge de la première guerre d'indépendance" (1848) (N° 2 de
1980) ; "un
exemple de régime démographique ancien : le département d'Agogna 1801 1814" (G. MORREALE) (N°
- - 1

de 1981).

AU SOMMAIRE DES REVUES HISTORIQUES ET REGIONALES :

+ Mémoires de la Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie de l'Aisne : T. XXVI - - 192p.


1981

bulletin annuel, qui nous a été


Ce aimablement transmis par la Société Historique de Villers-
Cotterêts, contient, comme à l'ordinaire, un écho des séances des sociétés de ce département (Chauny,
Château Thierry, Laon, St Quentin, Soissons, Vervins, Villers-Cotterêts), le compte rendu du Congrès
départemental annuel tenu mai 80 à Chauny et divers mémoires émanant de ces sociétés. A noter
- en -,
parmi les articles concernant l'histoire moderne et contemporaine la suite de l'étude de M. P.LEFEBVRE
sur l'occupation de Laon par les Allemands en 1914-18 ^ le témoignage de M. P. ROMAGNY sur la guerre
14-18 dans la région de Guise. (1ère partie).

+ Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie - Amiens - (trimestriel)


N° 4 de 1980 : ce bulletin est entièrement
la publication d'une importante étude de M. Harvey
consacré à
CHISICK sur l'éducation élémentaire à Amiens aux XVIIe et XVIIIe siècles, traduite par l'UER d'anglais
de l'Université d'Amiens, avec la collaboration de D. JULIA et E. WALTER. C'est dire l'intérêt de ce
travail universitaire, fondé sur une solide recherche dans les archives, qui fournit des éléments très
concrets sur le système éducatif primaire dans un contexte urbain à l'époque moderne, la fréquentation
des écoles, le contenu de l'enseignement, non sans pourfendre certains mythes, comme l'avaient déjà fait
JULIA et COMPERE dans leur synthèse sur l'éducation en France à l'époque moderne.
N° 1 de 1981 : Fin de l'étude sur l'éducation à Amiens aux XVIIe et XVIIIe siècles ; note
de M. CHISICK
de M. F. BEAUCOUR sur la sauvegarde des restes du château de Ham de 1959 à 1980.

+ Documents et recherches - bulletin trimestriel de la Société de Creil - N° 113


- juillet 1981
-
14 p. 12 F
-
Les fouilles archéologiques au lieu "Le Houy" en forêt de la Haute Pommeraie (P.DURVIN) ; la
dit
DURVIN) ; Hydronomie du département de l'Oise (E. LAMBERT) et suite du
passerelle du parc de Creil (P.
feuilleton du même auteur sur la toponymie régionale (Montlognon, Condé, Conflans).

+ Bulletin d'information des professeurs d'histoire-qéoqraphie de Picardie.


Amiens CRDP
- 1981.
-
N° 29 : Le charbon en la reprise (E. FLAMENT) ; les relations navigables entre
France, de l'abandon à
(1870-1914)
Paris et les bassins houillers du Nord et du Pas de Calais par M. MERGER ; rôles de la tail-
le de la paroisse de Cinqueux pour 1749 (A. TRIOU) ; rubriques bibliographique et pédagogique.

N° 30 ' Archéologie industrielle Picardie : Nous avions donné le sommaire de ce très intéressant N°
en
dans notre revue 14 ; malheureusement cette publication n'a pas pu sortir avant le début de cet été.

J. BERNET

+ Florentin LEFILS, Géographie historique et populaire des communes de l'arrondissement d'Abbeville


Cet ouvrage, publié en 1868, vient d'être, heureusement, réédité. (Laffite, reprints à Marseille).
Florentin LEFILS, chercheur et historien passionné de sa petite patrie, le Marquenterre, a publié à par-
tir de 1854 divers ouvrages sur la Baie de Somme, sur Saint-Valéry, l'histoire du Crotoy, et celle de
Rue. Ces livres provoquèrent des discussions animées avec Ernest Prarond. Dans une longue introduction,
l'auteur définit la Picardie maritime, sa géologie, l'hydrographie, la météorologie, l'agriculture, la
pêche, la chasse, les oiseaux de mer, le climat, le dialecte
... consacre ensuite une notice aux Il
400 communes et aux moindres hameaux de l'arrondissement d'Abbeville, cette région agricole et manufac-
turière. Le lecteur peut trouver quantité de détails intéressants sur la vie des picards d'alors, dé-
tails que l'on ne pourrait trouver ailleurs maintenant.
C'est un almanach complet, "historique et populaire", présentant la vie quotidienne en 1868.
C'est d'études plus savantes, publiées auparavant ; à ce titre,
un condensé il sera indispensable à

ceux qui voudront l'étudier, ou mieux connaître la Picardie maritime.


Robert LEGRAND

+ IN'HUI n° 15, POESIE ET ARCHEOLOGIE

Les disciplines ne devraient pas s'ignorer, n'est-ce pas ? IN'HUI - j'avais rendu compte dans
ces A.H.C. 10 de son n° 10, Les Picards Sont Transparents, où histoire, géographie, écriture colla-
boraient - récidive. Cette fois, pour son n° 15 IN'HUI est bien la seule revue picarde importante
-
à paraître
avec la même régularité que les A.H.C. -, c'est Poésie et Archéologie - et assez j'ai dit
dans A.H.C. 14, Guide Fer, etc l'apport de la langue-pensée, la poésie, Homère mettons, à
..., l'ar-
chéologie - je n'insiste pas.
On lira dans ce numéro beaucoup d'interventions scripturales (poétiques ?) que sans doute les
amateurs d'archéologie archéologique, ou d'histoire dûment certifiée (notes en pas de page
s.v.p.),
n'apprécieront guère. Mais les mêmes apprendront tout sur l'histoire, les méthodes, les découvertes
(et régionales !) de l'archéologie aérienne en lisant la longue interview de Roger Agache, spécialis-
te reconnu.
(IN'HUI, 3 rue laënnec, 80000 AMIENS, ce n° 25 F)

+ T X T, TOUJOURS PLUS FORT !

Compiègne capitale de l'Europe TXT, eh oui ! Un mémorable comité de rédaction y a


répondu aux
attaques récentes, et beaubouriennes, réalisme oblige ! contre les avant-gardes qui font table rase
de l'Histoire, dites donc, et de la culture,et qui s'inféodent à la politique, donc à l'Histoire,
etc Avec, dans ce même N°, la suite du cours d'éducation sexuelle (par Prigent), et tout sur la
... nucléaire
centrale de Penly, Picardie (par Demarcq), et touche, touche autre litanie (par Ver-
... une
heggen). Avec un dossier sur Claude Minière (par Claude Minière) et Clément Marot, les chiffonniers
à l'Opéra, TXT. Prononcez té-ix-té. En vente chez Daelmann.

(TXT n° 13, "Au-delà du principe d'avant-garde", Christian Bourgois éditeur)

Jacques DEMARCQ
+ Excursion du Samedi 16 Mai 1981 (14 H 30 - 19 H)
Sur les traces de la voie ferrée Compiègne
- Villers Cotterêts
Les incertitudes du temps ont fait craindre jusqu'au bout des difficultés pour cette promena-
de, prévue en bicyclette pour sa première partie, avec retour en autocar d'Eméville à Compiègne. Heu-
reusement les nuages menaçants nous ont épargnés et la vingtaine de cyclistes réunis à 14 H 30 place
de la gare de Compiègne a pu prendre la route à travers la forêt de Compiègne, en empruntant la très
belle piste cyclable récemment aménagée, depuis le carrefour Napoléon. A proximité de Vieux Moulin le
groupe a fait une première halte devant l'ancienne station du village, établie là à des fins touristi-
ques et maintenant transformée en maison forestière. Puis la piste des vélos se confond avec l'ancien-
ne emprise ferroviaire, établie sur un large talus, prévu à l'origine pour la double voie ; çà et là
un petit pont de pierre, un puits ou une maison de garde barrière démolie, rappellent que de 1883 à
1966 ce magnifique trajet forestier fut celui de convois ferroviaires, qui glissaient allègrement sur
les rails à 35 km/h maxi, guère plus vite que les cyclistes. Arrivée à Pierrefonds en passant sous un
très beau pont de chemin de fer refait après la dernière guerre ; on reprend l'emprise ferroviaire
dans la tranchée du Volliard, large percée dans la colline qui avait imposé d'énormes terrassements
afin d'établir la gare sur des déblais, au dessus du lac, à la sortie du bourg. L'opulence de ce bâti-
ment, tout en pierre de taille, aux toits ornés de dentelles de plomb, le panneau encore visible,
"Pierrefonds les Bains" nous indiquent la fonction avant tout touristique de cette gare, construite
avec une munificence calculée par la Cie du Nord au siècle dernier. Avec son château néo-médiéval re-
fait par Viollet le Duc, son établissement thermal, son casino , Pierrefonds attirait une clientèle
de luxe bien avant l'époque des congés payés. Le bâtiment encore solide mais dévasté, comportant pres-
que intact son environnement ferroviaire, maintenant inscrit à l'inventaire des monuments.historiques,
sera, ilfaut l'espérer, prochainement restauré.
Il est impossible de continuer à bicyclette sur l'emprise de l'ancienne voie vers Palesne et
Morienval : on la suit depuis la route par les ponts enjambant la voirie, puis une sorte de rampe es-
caladant le rebord du plateau, où s'essoufflaient les locomotives. L'emplacement de la voie sortait
par une grande courbe de la forêt de Compiègne pour rejoindre la forêt de Retz après quelques km dans
les riches terres de culture ; elle reste bien visible par une ligne de taillis, un ex-passage à niveau
et l'ancienne halte de Morienval, beau petit bâtiment de briques, bien conservé, maintenant résiden-
à l'entrée
ce privée. On peut reprendre l'emprise de la voie à partir du premier chemin sur la droite
de la forêt de Retz et la suivre sur 5 km, par une belle voie aménagée par les chasseurs, comportant
toute une série de ponts et passages supérieurs, dont la présence est si insolite au milieu d'une
nature qui a vite repris ses droits. L'itinéraire s'achève devant l'ancienne halte d'Eméville, bâ-
timent de briques semblable à celui de Morienval, dernier arrêt de la ligne dans l'Oise, habité par
M. Triqueneaux, ancien chef de gare de Villers Cotterêts, qui a été responsable du trafic marchan-
dises sur cette ligne dans ses 20 dernières années de fonctionnement ; ce dernier ne manquera pas
de vous évoquer les souvenirs de son activité et d'exprimer ses regrets de sa disparition. Quel
dommage en effet de ne pas avoir conservé cette section, qui supportait encore un trafic notable,

au moins à des fins touristiques, car de Compiègne à Villers Cotterêts, en passant par Rethondes,
Pierrefonds, Eméville, Haramont avait là un magnifique trajet, qui permettait de découvrir
... on
de très beaux paysages forestiers sur plus de la moitié du parcours, autrefois franchi en 1 heure
pour 35 km.
Cette promenade aura permis aux participants de découvrir les vestiges de cette ligne fermée
à tout trafic
en 1966 et déposée peu après, grâce aux explications historiques et techniques de M.
DEMARCQ, qui a aussi réalisé un guide de cette excursion, paru dans le N° 14 des ANNALES HISTORIQUES
COMPIEGNOISES, ou que l'on peut se procurer séparément au siège de la Société d'Histoire (12 p. avec
photos et cartes - 6 F)

+ Réunion du bureau de la Société - Samedi 20 Juin 1981 (14 H)

Présents : Mme JOUHET, Mlle LAVECOT, MM. BERNET, DEMARCQ, FRUIT, GRIMAL, KOVAL, LECURU, MAX ET
VINOT.
Absents excusés : Mme DELAMOTTE, Mlle F. GAUTHIER, M. BERNARD.

bureau, après avoir entendu un compte rendu de la correspondance reçue depuis la dernière
Le
séance, a fait le bilan de la saison écoulée : la Société a organisé 8 conférences publiques et une
excursion, publié trois N°s de revue, dont un spécial de 1100 exemplaires ; le nombre d'abonnés a
continué de progresser, tandis que l'assistance aux réunions a été variable, suivant les sujets et les
conférenciers.
trésorier a fait un rapport sur la situation financière de la société, toujours précaire,
Le
du fait de l'insuffisance des aides publiques reçues cette année, par rapport à nos activités. Certes
ces difficultés ne sont pas nouvelles, mais elles risquent de mettre en cause à terme la publication
de la revue dans sa forme actuelle ; nos espoirs demeurent donc dans la fidélité de nos lecteurs et
adhérents, tandis que de nouvelles demandes d'aides publiques seront formulées, notamment auprès du
Conseil Régional pour le colloque Jules Ferry d'octobre 81.
Le bureau a arrêté ensuite le sommaire du N° 15, à paraitre au cours de l'été 81 : celui-ci
reviendra à l'époque moderne (XVIe - XVIIIe siècle), avec la publication d'études sur les troubles
liés aux crises frumentaires, à des périodes diverses et en des lieux très variés de la Picardie
(Amiens, Compiègne, Oise, Aisne ...) ; le N° 16 sera plus spécialement consacré au Soissonnais à la
fin du XVIIIe siècle (grande peur de 1789, origines du Conventionnel Saint-Just ...) ; le N° 17,
à paraître
au début de l'année 82, sera un N° spécial entièrement consacré au centenaire des lois
Jules Ferry. Le tirage du N° 15 sera limité à 600 exemplaires ; ceux des N°s suivants seront établis
en fonction de la situation des finances et des abonnés.
Le bureau a arrêté également les grandes lignes du colloque Jules Ferry, prévu au Lycée Pierre
d'Ailly le Samedi 17 Octobre 81, qui comprendra la projection-débat du film "L'école buissonnière"
de J.P. Le Chanois, des interventions de spécialistes de l'histoire et de la psychologie de l'école,
pour les aspects locaux et régionaux, (cf. programme ci-dessous).
Il a enfin été débattu des grandes lignes de la prochaine saison, qui commencera avec le col-
loque Jules Ferry en octobre ; de ce fait l'Assemblée Générale de la Société sera exceptionnellement
retardée à la fin novembre, accompagnée en principe d'une projection commentée de diapositives sur
l'habitat dans l'Oise par le C.A.U.E. Un effort particulier sera entrepris pour faire mieux connaitre
l'histoire locale contemporaine des XIXe et XXe siècles, avec des interventions de M. MAITRON (mou-
vement ouvrier), de M. LEPRETRE sur la seconde guerre mondiale, de Mlle HENRY sur l'industrialisa-
tion de la vallée de l'Oise au XIXe siècle ; le thème du socialisme utopique sera développé avec St
Simon et J.B. GODIN, en collaboration avec l'Association des amitiés-franco-internationales de Com-
piègne (Conférence et excursion à Guise) ; le XVIIIe siècle et la période révolutionnaire ne seront
pas oubliés
(conférences sur Saint-Just révolutionnaire dans l'Aisne par M. VINOT et sur BABEUF en
Picardie par M. LEGRAND); les chercheurs littéraires apporteront aussi leur contribution sur le
XVIIIe siècle (MM. MASSEAU ET LECURU).

+ Séance publique du 20 Juin 1981


- 16 H

"Peut-on aborder de manière sereine et objective l'histoire de la France pendant la seconde guerre
mondiale."
par M. Jean-Pierre AZEMA, professeur à l'Institut des Sciences Politiques de Paris.
C'est devant une assistance très nombreuse que M. AZEMA, spécialiste bien connu de l'histoire
française sous le Ille République, et auteur de nombreux ouvrages sur cette période, a fait une com-
munication de caractère avant tout historiographique, illustrée d'exemples concrets et développés.
Orateur de grand talent, M. AZEMA a tenu en haleine le public pendant près de deux heures, en lui
fournissant une information à la fois riche, très à jour et accessible.
L'orateur a d'abord montré les difficultés matérielles énormes que rencontee en France l'his-
torien des "années noires" : absence de sources classiques (parlementaires et journalistiques) ;
obstacles à la consultation des archives, malgré la loi de 1979 qui les ouvre au delà de 30 ans. Mais
le chercheur doit surtout se défier des passions politiques qui continuent d'opposer les Français
sur cette période, au risque de tomber dans des visions schématiques et partisanes, plaidoyers jus-
tificatifs inconsidérés ou réquisitoires sans nuances. Développant plus particulièrement l'historio-
graphie concernant la collaboration en France de 1940 à 1944, il a
montré l'évolution de celle-ci en
fonction de la conjoncture politique, des témoignages, des archives rendues publiques : ses parti-
sans, rendus muets par l'épuration, ont d'abord cherché à plaider les circonstances atténuantes ; dans
les années 50, la conjoncture de guerre froide, conduisant à de nouveaux rapprochements politiques,
a engendré la position dite de l'école révisionniste, dont Robert ARON s'est fait le champion : on
opposait ainsi un bon Vichy à un mauvais, Pétain à Laval, le premier bouclier de la France, tandis
que De Gaulle en était l'épée à Londres ; le maréchal aurait été une sorte de super agent secret,
de connivence avec la Résistance extérieure, obligé par les Allemands de faire des concessions aux
vrais collaborateurs : cette idée du double jeu fut à l'origine d'une campagne pour la réhabilitation
de Pétain, s'appuyant sur quelques textes d'archives ambigus ou tronqués. Le retour du gaullisme au
pouvoir en 1958 fut l'occasion d'une contre offensive des partisans de la résistance. Puis vint la
mode rétro dans les années 60, la sortie du film "Le Chagrin et la Pitié", destiné à la télévision
-
mais qui n'y a jamais été programmé - ; l'idée de démystifier certaines images pieuses sur l'attitu-
de du peuple français en cette période fut facilitée par la publication de fonds d'archives alleman-
des, saisis par les Américains à la libération, (cf. l'ouvrage de PAXTON sur la France de Vichy); La
réalité de la volonté de collaboration, d'un Vichy qui crut longtemps à la victoire militaire totale
de l'Allemagne, put ainsi être établie par les textes, en sorte que les Allemands, peu désireux de
s'allier avec un pays affaibli et réputé turbulent, obtinrent souvent davantage et plus facilement
qu'ils nel'escomptaient, sans demander (cf. de problème des Juifs français).
Bien d'autres questions restent mystérieuses et ne se découvrent que très progressivement,
au fil des témoignages et des nouveaux textes : ainsi l'importance de la résistance dans les premiè-
res années de l'occupation, le rôle des communistes avant l'entrée en guerre de l'URSS, l'étendue
de l'épuration de 1944-45. (On a longtemps parlé de 100.000 victimes, alors qu'il est aujourd'hui
prouvé que le chiffre ne saurait dépasser 11.000) Face à ces problèmes, l'historien doit garder
...
beaucoup de sang froid, savoir d'abord trier au milieu de l'avalanche des livres et des essais, se
défier des reconstitutions (par exemple des "faux dialogues" historiques inventés par certains au-
teurs qui veulent "faire vrai"), déjouer les pseudo-ruses de "l'histoire secrète" (voir le mythe
de La Cagoule), n'admettre que les chiffres prouvés (les communistes ont-ils vraiment eu 75.000 fu-
sillés ? combien y eut-il de déportés ?). C'est par un travail minutieux et patient au niveau local-
et à ce titre nombre de bonnes monographies sont sorties ces dernières années - que l'on pourra
avancer à pas sûrs. Pour conclure M. AZEMA s'est fait l'apôtre de ce qu'il a appelé une sorte de
"néo-positivisme" pour l'histoire de cette période, permettant d'établir solidement les faits,
sans lesquels toute interprétation serait hasardeuse. (A titre d'exemple, les réponses précises de
VIDAL-NAQUET aux allégations de FAURISSON, niant l'existence de chambres à gaz dans les camps na-
zis, constituent un modèle de la rigueur nécessaire en histoire).
Ce passionnant exposé, à la fois très vivant et pédagogique, a ouvert de nombreuses pistes

pour une riche discussion, que l'heure nous a obligés à abréger. Des personnes ayant connu cette
époque ont apporté leur témoignage et montré qu'à 40 ans de distance, l'histoire de la guerre reste
d'une actualité brûlante.
PROCHAINES SEANCES DE LA SOCIETE :

° Samedi 17 octobre 1981 : de 09 H. à 18 H 30 - Lycée Pierre d'Ailly


136 Bd des Etats Unis - COMPIEGNE.
COLLOQUE ORGANISE A L'OCCASION DU CENTENAIRE DES LOIS SCOLAIRES J. FERRY
Programme : 09 Haccueil des participants, visite de l'exposition sur
:
100 ans d'école dans l'Oise.
10 H à 12 H 30 : Projection r débat du film " L'école
buissonnière " de J.P. LE CHANOIS.
12 H 30 : repas au lycée ( inscription obligatoire )
14 H - 18 H 30 : Cent ans d'école Jules Ferry : avec des
interventions suivies de débats, animés par MM. A. PROST,
B. LE CHEVALIER, PLENEL, J.P. BESSE, J. BERNET, C. GRIMAL,
J. DESACHY
...
Inscription OBLIGATOIRE ( utiliser le bulletin ci-dessous )
Participation aux frais : 25 F ( 20 F pour' les sociétaires et abonnés )
( non compris le repas éventuel au lycée )
° Samedi 21 novembre 1981 : 14 H 30 - Lycée Pierre d'Ailly - COMPIEGNE
ASSEMBLEE GENERALE DE LA SOCIETE D'HISTOIRE
Rapports moral et financier ; élection du nouveau bureau 1981-82
( Ouverte à tous les membres ayant réglé leur cotisation 80-81 ou 81-82 )
La séance sera suivie d'un exposé et d'une projection de diapositives
sur l'habitat rural traditionnel dans l'Oise.
000000
INFORMATION : Le secrétaire
la Société, J. BERNET informe ses collègues
de
et amis que la séance publique de sa thèse de Doctorat de IIIo
cycle en histoire, aura lieu le Samedi 14 novembre 1981 à 9H30
à l'Université de Paris I ( 15 rue de la Sorbonne, esc. C, 30
étage J, sous la présidence de M. B. PLONGERON ; le sujet en
est : " Recherches sur la déchristianisation dans le district
de Compiègne - 1789 - 1795 ".

COLLOQUE CENTENAIRE DES LOIS J. FERRY


organisé par la Société d'Histoire moderne et contemporaine de Compiègne,
SAMEDI 17 OCTOBRE 1981 - Lycée P. d'Ailly 136 Bd des Etats Unis COMPIEGNE

M., Mme, Melle profession


Adresse
désire participer au Colloque J. FERRY du 17 octobre 1981 à Compiègne, et verse mon
inscription de F au trésorier de la Société. ( 25 F ; 20 F pour les so-
ciétaires et/ou abonnés ). ( Chèques à libeller à l'ordre de la Société d'Histoire de
Compiègne )

Je souhaite - je ne souhaite pas ( biffer la mention inutile ) prendre part au


déjeuner prévu au lycée à 12 H 30 et qui sera réglé sur place.
A le SIGNATURE

( Bulletin à renvoyer d'urgence au siège de la Société, 82 bis rue de Paris


60200 - COMPIEGNE - Tel. (4) 420.26.52, avant le 5 octobre 1981 )
^rm CIR.COP
II^HF 6, RUE SAINT-JOSEPH
^

oPIAN
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S. A R. L. eu capital dm 25 000 F
60200 COMPIÈGNE
Tél. 420.37.34
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TEL
:
440.91.02 60410
SOCIETE D'HISTOIRE DE COMPIEGNE

MODERNE ET CONTEMPORAINE

AFFILIEE A LA SOCIETE VES ETUDES ROBESPIERRISTES


ET A LA FEDERATION DES SOCIETES SAVANTES VILE DE FRANCE

" La Société d' kistoiAe locale, modeane et contemporaine de Compiègne a pOUII. buts :

- I' encou,-tagement aux AecheAches historiques, locales et régionale*.


- t'organisation de débats donnant l'occasion a de6 historiens d'expo4et leà
résultats de leurs recherche*.
- ta publication d' un bulletin " [art. 1)
(...)
" Sont membre* de la Société toutes ta personnes qui en font ta demande au buAe.au
et paient une cotisation ... " [art. 4)
( EXTRAITS DES STATUTS DE LA SOCIETE )

A VECOUPER

BULLETIN D'AVHESION :

Je, soussigné
Pl(06U.6.4...0n
Adre*se

désire adhérer la SOCIETE D'HISTOIRE DE COMPIEGNE


à modeane et contemporaine, afâl-
llée a la Société du Etude* Robe*pleAAl*te*.
VA TE : SIGNATURE :

Je verse ta cotisation suivante [rayesi lu mentions inutile*) :

- membre acti bienfaiteur ( 50 F et plus)


- membte 6( 25 F)

- étudiant, lycéen chômeur, personne âgée : 15 F


(a renvoyer au trésorier : J. LECURU - C.C.P. 14.146.10 A PARIS
Lycée PieAAe d'AÆlly - 736 boulevard des Etats-Unis - 60208 COMPIEGNf)

BULLETIN V'ABONNEMENT AUX ANNALES HISTORIQUES COMPIEGNOISES


(Revue trime* trleJL le - 4 numéros pall an - prix unitaire du n° 15 F
- N° Spécial 20 F)

ABONNEMENT D'UN AN (4 N° 4) : 55 F - (45 F pouA les sociétaire*)


ABONNEMENT VE SOUTIEN : 70 F - ETRANGER : 70 F
(La cotisation d*adhésion ut distincte de l'abonnement)
Je, soussigné
Profession
AdIr..e.6.6e

souscAl* un abonnement d'un an (4 N° 4.) aux A.H.C. m.et c. et verse au trésorier


ta somme de
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