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compiégnoises
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EN PICARDIE - 16 0-18
AMIENS, COMPIEGNE OISE, AISNE , ...
I4«ANNEE
ORGANE ÎE LA SOCIETE ÎTUSTOIRE M.& C.) J)E COMPIEGNE
JUIL.- SEPT 81 1SSK.0182-546-1
N" 15 - 16 F
[texte_manquant]
SOCIETE D'HISTOIRE DE COMPIEGNE
MODERNE ET CONTEMPORAINE
N° 15 juillet - septembre 81
SOMMAIRE
.
BI-CENTENAIRE TURGOT : La guerre des farines dans l'Oise (1775 )
par G. IKNI p. 13
.
Documents sur la guerre des farines dans l'Aisne ( mai - juin 1775 )
( Arch. Dep. Aisne ) p. 33
.
L'émeute frumentaire du 24 janvier 1795 à Compiègne par J. BERNET p. 37
- DIVERS :
•
Un exemple de racisme religieux : l'affaire d'incendie de Crévecoeur
( été 1790 ) par J. BERNET p. 47
.
Exécution de Prunier à Beauvais ( Echo de l'Oise - 18 novembre 1879 ) p. 51
" Pour trancher ", postface de J. DEMARCQ p. 54
.
La crise des années 30 dans le Beauvaisis, par J. GANIAGE p. 56
- RUBRIQUES HABITUELLES :
•
Bibliographies et ouvrages reçus par la Société p. 61
.
Vie de la Société ( avril - juin 1981 ) p. 64
.
Bulletin d'adhésion et d'abonnement p. 69
Avec ce n° 15, achevant les activités de la saison 1980-81 et préparant celles la prochaine, no-
de
tre revue revient à un thème et à une période qui ont déjà fait l'objet d'autres publications de la
Société d'Histoire de Compiègne : les temps modernes et un de ses aspects majeurs, à savoir le pro-
blème du pain, cause de la plupart des mouvements populaires, de ces émeutes frumentaires que l'on
appelait alors des "émotions". Dans une France donM'écrasante majorité de la population travaillait
la terre, le système et les moyens de production étaient tels que l'agriculture fournissait, en pé-
riode "normale", tout juste de quoi nourrir la vingtaine de millions de Français et Françaises de 1'
époque ; qu'il survînt, pour diverses raisons, une série de mauvaises récoltes, et c'était la catas-
trophe : la pénurie, amplifiée par l'accaparement et la spéculation, entrainait la disette, voire la
famine, souvent accompagnée d'épidémies et de grandes mortalités. Jusqu'au début du XVIIIe siècle -
la famine de 1709 étant considérée comme la dernière véritable grande crise de ce type, - ce mécanis-
me a joué de manière chronique, entrainant des troubles périodiques, faisant stagner la population à
un niveau qui n'excédait guère celui du XIIIe siècle, sommet de la courbe démographique française au.
Moyen Age. De cette première période des temps modernes, nous retiendrons plus particulièrement la fin
du XVIe siècle, avec la grave crise frumentaire de 1585-87, dont les causes, les modalités et les ef-
fets à Amiens, nous sont ici présentés par Marie Louis PELUS, maitre assistante d'histoire moderne à
l'Université d'Amiens, spécialiste du commerce en Europe du Nord à l'époque moderne. Pour le XVIIe
siècle, dont la première moitié surtout connut de terribles périodes de pénurie et de misère - pen-
sons aux scènes très réalistes évoquées par A. Mnouchkine dans son film "Molière" - nous renverrons
nos lecteurs aux travaux classiques de Pierre GOUBERT sur le Beauvaisis, où ils puiseront maints exem-
ples développés, illustrant la réalité économique et sociale du "grand siècle" dans nos régions.
Le XVIIIe siècle vit peu à peu disparaitre les grandes hécatombes et le temps de Louis XV fut celui
d'une prospérité relative, qui permit le début d'un véritable décollage démographique, lequel posa à
son tour de nouveaux problèmes sociaux. Mais la question du pain n'était pourtant pas définitivement
réglée, et la seconde moitié de ce siècle connut, sinon de véritables catastrophes meurtrières, du
moins de sérieuses difficultés, une ou deux années par décennie : ces crises contribuèrent d'ailleurs
largement à accroitre les contradictions du système monarcho-féodal et furent en partie à l'origine
de la Révolution Française, dont le déclenchement coïncida, non fortuitement, avec la crise de la fin
des années 80. Mêmes causes fondamentales, mêmes mécanismes, mêmes remèdes proposés que dans les
siècles précédents, mais les circonstances étaient cette fois différentes, facilitant une remise en
question globale du système politique, économique et social, que l'on peut encore qualifier alors,
grossièrement, de féodal. C'est pourquoi les disettes des années 1760, 70 et 80, tout en amenant les
mêmes réactions, les mêmes réflexes populaires, prirent aussi une autre tournure, se politisèrent.
Nous en aurons ici une excellente illustration avec l'étude approfondie de Guy IKNI sur-la "guerre
des farines" de 1775, qui fut particulièrement spectaculaire dans nos régions ; le bi-centenaire de
la mort de Turgot était pour nous une raison supplémentaire de faire connaitre cette affaire, dont 1'
importance et le sens historiques restent très discutés. L'étude de Guy IKNI sur l'Oise sera complé-
tée par une série de lettres du Dr de la manufacture de St Gobain, aimablement transmises par M. Ber-
nard VINOT, documents qui nous donneront un écho très concret de la même crise à l'autre bout de la
Picardie.
Nous complèterons enfin ces articles par un document exceptionnel qui, avec le même sujet, nous trans-
porte au coeur de la Révolution Française, en l'an III, période la plus noire, au point de vue ali-
mentaire, de cette fin du siècle : le récit détaillé de la grande émeute frumentaire du 14 janvier
1795 à Compiègne, première du genre dans le Bassin Parisien en l'an III, qui eut pour principale con-
séquence de balayer définitivement de la scène politique l'administration révolutionnaire de la vil-
le.
Ainsi composée::ette revue de vacances et de rentrée revêt une unité historique, tout en traversant
trois siècles d'histoire sociale et en touchant presque toutes les régions de la Picardie. Elle com-
plète en l'élargissant l'étude ébauchée dans notre n° 5 de janvier 79 ; nous espérons qu'elle inté-
ressera pareillement nos lecteurs.
J. Bernet
UNE CRISE DE SUBSISTANCES
M.L. Pelus
crises de subsistances, élément typique des économies d'"Ancien
Les
Régime", ont déjà fait l'objet de nombreux travaux (1). Les mieux connues
sont celles du XVIIe siècle ( crises de la Fronde, de l'avènement en 1661-
1662, crises de 1693-94, de 1709-10 ... ). Celles du XVI° siècle, tout aussi
graves, sinon plus, ont été moins bien explorées, pour des raisons documen-
taires évidentes. Les Archives municipales d'Amiens, très riches en documents
du XVIo siècle, permettent une étude détaillée de ces crises, en particulier
de la plus grave d'entre elles, celle de 1586-87 (2).
Avant d'aborder la crise en elle- même, il n'est peut-être pas inutile
de faire rapidement le point sur la situation religieuse et politique à
Amiens en cette époque. Depuis 1562, date à laquelle la "fournée" d'échevins
nouveaux décidée par Catherine de Médicis a fait basculer le conseil munici-
pal du coté catholique, le calvinisme ne progresse plus à Amiens, et tend
même à perdre du terrain. Malgré cette remontée des forces catholiques, la
ville, objet de nombreuses sollicitations, n'adhère pas encore à la Ligue,
qu'elle ne rejoindra qu'en 1588. En 1587, elle essaye toujours de maintenir
sa neutralité, position difficile à tenir et d'autant plus dangereuse que les
armées des deux camps rôdent dans la campagne environnante (3). C'est donc
sur ce fond de guerre civile que s'inscrit à Amiens la crise européenne de
1586-87. Nous en évoquerons tout d'abord le déroulement au jour le jour, à
l'aide des registres de l'échevinage, afin de mettre en lumière les divers
phénomènes qui l'accompagnent. Puis nous développerons un des aspects ori-
ginaux de la documentation : les implications commerciales de cette crise,
avec un achat de grains à Dantzig.
I) LE DEROULEMENT DE LA CRISE :
(1) cf. en particulier la mise au point récente de F. LEBRUN : les crises démographiques en France aux XVIIe
& XVIIIo siècles, Annales E.S.C.,
1980, PP. 205-234.
(2) Archives Municipales d'Amiens ( Bibliothèque de la ville ) : séries AA ( ordonnances de police, en par-
ticulier AA 17 ) ; BB ( délibérations de l'échevinage, en particulier BB 47 & 48 ) ; CC ( comptabilité ) ;
GG (établissements hospitaliers, épidémies )
; HH ( comptes d'achat de blé, mercuriale, en particulier
HH 4, HH 5, HH 10 ).
(3) cf. A. de CALONNE : Histoire de la ville d'Amiens, 1899 1906, 3. vol.
-
(4) Le setier de Paris équivalait à la fin du XVIe siècle à 1,56 H1 ; sachant que le setier de Paris vaut
mesure d'Amiens, le setier d'AMens équivalait alors 34,6 1.
à la même époque quatre setiers et demi,
( cf. M. BAULANT & J. MEUVRET Prix des céréales extraits de la Mercuriale de Paris ( 1520 1698 )
: - -
Paris 1960, vol. 1, pp. 18-19. )
Si les prix baissent légèrement d'août à octobre, ils montent ensuite ré-
gulièrement à partir de novembre : le setier de "bon blé" est coté à 31 sols
au marché du novembre, à 38 sols le 30 décembre, alors qu'il se tenait à
4
27 sols l'année précédente aux mêmes dates.
La situation s'aggrave du fait de la réapparition, à l'automne 1585, du
" danger de peste maladie qui sévissait régulièrement à Amiens au rythme
d'un an sur deux environ. (5) D'où les mesures de police ordonnées par la
municipalité en date du 12 octobre 1585 : ordre à tous ceux qui résident
dans des maisons touchées par la peste de porter un bâton blanc ; contrôle
sévère de tous les déménagements et transports de meubles, pour lesquels un
certificat de non contagion devient obligatoire ; interdiction de nourrir
dans la ville "... porcs, conins, oizons, pigeons ... ne aultre bestial en-
gendrant infection " ; ordre à tous les habitants de balayer et laver à
grande eau le devant de leurs maisons ; interdiction aux pâtissiers de jeter
dans la rue les tripailles de volailles, aux chirurgiens et maréchaux d'y
verser le sang des malades ou des chevaux ; médecins et chirurgiens seront
tenus de signaler tous les cas de peste.
La crise se confirme au cours de l'hiver 1585-86. Le 19 décembre 1585,
l'échevinage décide d'appliquer l'ordonnance royale interdisant l'exportation
de blé hors du royaume, tandis que les forains sont invités à exposer leurs
grains dans la ville. En janvier 1586 apparaissent les premières allusions
au phénomène de mendicité massive, caractéristique des crises d'ancien type :
ainsi le 9 janvier, " ... pour ce que Ion voit à present par la ville grand
nombre de paouvres mendiants tant habitants que forains, il est ordonné que
l'on retirera les ordonnances interdisant les aumônes et la mendicité."
A la fin du mois de mars, la pénurie persistante fait monter le setier de
"bon blé" jusqu'à 40 sols, tandis que celui de seigle atteint 28 sols. C'est
surtout à partir du mois de mai, début de la "soudure", que la situation com-
mence à prendre une tournure dramatique. Les registres ne cessent d'évoquer
" la grande cherreté et disette de bled ". Le 5 mai, le setier de bon blé est
passé à 50 sols ; celui de seigle à 38 sols ; le 12 mai, les deux catégories
atteignent respectivement 58 et 48 sols.
A la misère et à la mendicité déjà évoquées s'ajoutent maintenant un
chômage généralisé dans la sayetterie, et la menace d'une révolte populaire,
phénomènes eux aussi classiques en temps de crise. Citons une fois de plus
les registres de l'échevinage : " ... les paouvres gens murmurent et se mu-
tinent fort, spécialement quand il ny a du blé en suffisance au marché." ( 8
mai 1586 ) ; ce même jour, les échevins insistent sur la nécessité de trouver
" des moyens comme l'on pourra appaiser et rompre les esmotions populaires
au cas qu'il en survienne aucune comme il est fort à: craindre, le paouvre
peuple estant quasy en desespoir pour la cherreté du bled et le peu de gai-
gnage qu'il a ... ,"à cause de la disette et cherreté du bled, joint la
cessation du mestier de saietterie ...". Le 24 mai, les registres signalent
de nouveau cette conjonction entre mendicité et révolte : " ... plusieurs
mendient le long du jour, même du soir, entre maison et maison, s'assemblans
ensemble, et en diverses trouppes, jusques à vouloir forcer les habitants de
leur faire aulmosne en troublant le repos public." A cette date, le setier
de "bon blé" se vend 66 sols, tandis que le seigle n'est même plus coté.
Bien sur la municipalité ne reste pas inactive face à ces difficultés.
Le problème le plus urgent est évidemment celui du ravitaillement. Dès le
mois de février 1586, quelques échevins sont chargés d'aller voir " aux
champs ", en Santerre ou ailleurs, où l'on peut acheter du blé. Le 27 mars,
" a esté proposé, comme autrefois, que le bled renchery fort et tout mesmes
qu'il y en a1 disette en Normandie et qu'il s'y en transporte beaucoup, comme
aussy il s'en transporte beaucoup au pais bas du Roy catholique secrettement
en sorte qu'il est à craindre quil n'y en ait disette et que la cherreté nen
(5) cf. P. DEYON : Etude sur la société urbaine au XVII0 siècle : Amiens, capitale provinciale, Paris 1967,
pp. 17-33 ; J.M. BIRABEN : Les hommes & la peste, Paris, T. 1, pp. 384-385.
soit beaucoup plus grande vers la fin de l'année, de faire achapt et provi-
sion de 4 à 500 muids ".(6) Après des recherches infructueuses, nos échevins
réussissent tout de même en mai 1586 à passer quelques marchés, entre autres
avec un marchand nommé Claude MALLET, qui se fait fort de fournir 350 muids
de blé mesure d'Amiens, provenant des terres de M. de MESVILLERS, et avec le
Comte de CHAULNES pour 120 muids mesure de Roye. Mais très vite viennent les
deceptions : le blé du Comte de Chaulnes arrive endommagé, tandis qu'on ap-
prend le 24 mai que les habitants de Mesvillers ont empêché Claude Mallet d'
amener à Amiens les grains promis. Ceci donne d'ailleurs une idée de la si-
tuation des paysans en temps de crise. Le 26 juin suivant, l'échevinage d'
Amiens est saisi des plaintes des pauvres paysans contre les laboureurs "qui
ont du blé chez eux et le leur vendent 20 ou 25 sols pour chacun sestier
plus qu'il ne vaut à Amiens." La hausse des prix est donc encore plus forte
à la campagne qu'en ville du fait de l'égolsme des riches et de l'absence de
contr'ole, d'où l'atmosphère de révolte latente et les attaques de convois
de grains.
A défaut de pouvoir acheter des grains, la municipalité organise dès le
printemps 1586 un contr-ole sévère du commerce des subsistances et de la
fabrication du pain. Dès le 8 mai, elle ordonne la présence au marché de 3
échevins " ... assistés de quelques sergeans du guet de nuict affin qu'il ny
ait aucun désordre, et s'ils voient qu'il y ait peu de bled envoyeront chez
les fermiers et aultres qui ont une grande quantité de bled affin quilz ay-
dent à y envoier ung muy ... mesmes Messieurs du Chappitre et les Celestins
quy en ont nombre seront priés den envoier chacun jour ung muy ou deux audit
marché." Ces premières mesures de réquisition, accompagnées d'un effort de
recensement de tous les stocks des particuliers et des institutions, s'ac-
compagnent de l'interdiction faite aux boulangers et pâtissiers " de fabriquer
à Amiens et faulx bourgs ou banlieue pains blancs, crasquelins et pains
despice, tartes, poulelains ny aultre semblable blanche viande." Il est
également interdit aux brasseurs de vendre "aucun brémart".
Pour essayer de réduire le chômage, on décide d'employer à l'entretien et
à la réparation des fortifications tous les hommes valides, à l'exclusion
toutefois des "forains", qui reçoivent d'ailleurs l'ordre de quitter la ville.
Quant aux pauvres invalides, ils recevront une aumône, ce qui amène un ac-
croissement de la "cottisation des habitants".
En ce mois de mai 1586, la principale préoccupation de la municipalité
semble toutefois consister dans le maintien de l'ordre à tout prix. Le 19, il
est décidé " ... que l'on informera en diligence contre ceulx qui ont tenu
et tiendront propos séditieux, tendans à émotion populaire et qu'il en sera
fait punition exemplaire" ..."On élira dans chaque quartier bon nombre d'ha-
bitans, des plus zeles et affectionnes au bien de la ville et repos public,
lesquels en cas d'esmotion populaire ... devront se trouver dans leur quar-
tier lesdites esmotions et sy besoing
pour soudainement rompre et appaiser
est prendre prisonnier les séditieux, mesmes en cas que aulcuns en viennent
aux armes ... dy resister par tous les moiens avec discrétion et faire en
sorte que la force leur demeure et à la justice, à quelque péril que ce
soit." Tandis que se mettent en place ces "quarteniers", on tient aux portes
des halles " quarante hommes armez et embastonnez en cas desmotion."
La suite des évènements, tels que les relatent les registres de l'échevi-
nage, est à la fois monotone et tragique.
Les prix des subsistances, après une brève chute au moment de la récolte,
en août 1586, retrouvent très vite le niveau atteint lors de la soudure, car
la récolte de 1586 n'est pas meilleure que la précédente. Au printemps 1587,
la hausse prend des proportions inouies : alors que, durant tout l'hiver, le
setier de "bon blé" s'est tenu aux alentours d'un écu, 20 sols (80 sols), et
celui du seigle autour d'un écu (60 sols), les deux céréales grimpent res-
pectivement jusqu'à 3 écus 20 sols (200 sols) et 2 écus 30 sols (150 sols)
en mai-juin 1587. La baisse, consécutive à une bonne récolte, s'amorce début
(6) A Paris le muid vaut 12 setiers ; à Amiens le muid de blé représentait alors la nourriture quotidienne
d'un millier de pauvres assistés. cf. E. MAUGIS : Recherches sur les transformations du régime politique et
social de la ville d'Amiens, des origines de la commune à la fin du XVlo siècle. Paris 1906, p. 536, n. 1.
juillet fin août, le setier de froment est tombé à 38 sols, celui de seigle
;
à 24. Si l'on essaye de mesurer l'amplitude de cette hausse, l'on constate
qu'entre le 24 juin 1585, début de la crise, et le 29 juin 1587, fin de celle-
ci, le prix du froment a été plus que multiplié par 7, celui du seigle plus
que par 8 Cette crise d'Amiens de 1586-87 fut donc largement aussi grave
!
que celle qui devait survenir un siècle plus tard, en 1693-94, dont l'ampleur
est restée célèbre. (7)
Les registres signalent bien sur sans cesse les corollaires inévitables de
cette hausse vertigineuse des prix : la famine, la misère, la mendicité, ac-
crues encore par le marasme industriel et commercial.
Pour remédier à la situation, les échevins reprennent sans cesse les mesu-
res déjà signalées pour le printemps 1586, signe que ces dernières n'avaient
guère été efficaces. Au printemps 1587, ils renforcent le contrôle du marché
des grains ( interdiction de faire ce commerce en dehors du marché, d'acheter
le grain "en vert", d'aller au devant des convois de grain ... ), et organi-
sent le rationnement ainsi qu'une distribution hebdomadaire de grains aux
chefs de famille sur présentation de bons, délivrés contre une somme d'argent
correspondant au prix des grains consommés.
La situation était alors d'autant plus dramatique que la peste sévissait
de plus belle. En août 1586, on reprend les mesures déjà appliquées à l'au-
tomne précédent, en y ajoutant la défense faite aux habitants "... de jecter
es rues par les fenestres ... ordures et infections, et de souffrir leurs en-
fants ou aultres de leur mesnie faire leurs nécessités es rues ", sous peine
d'amende ; les propriétaires reçoivent l'ordre de faire établir des latrines
dans toutes les maisons. Cette peste se prolonge sur toute l'année 1587, jus-
qu'en novembre. (8)
(13) Le last équivalait environ tonnes métriques. Les auteurs du compte précisent que " le laest est
à deux
revenu à Amyens, scavoir le blé a(90) S(eptiers) au laest, et le seigle a (89) S(eptiers) et demy au mieulx"
( Archives municipales d'Amiens, HH 5, FO 5, en marge )
La gravité de cette crise fut encore amplifiée par le fait qu'Amiens,
située au centre d'une région ordinairement exportatrice de céréales, se trou-
vait encore plus démunie que les autres villes lorsque la nécessité se faisait
sentir d'acheter à l'étranger, d'autant que les bourgeois d'Amiens ne prati-
quaient guère le grand commerce ; s'ils avaient des relations avec Anvers et
Rouen, c'était surtout pour écouler les produits de la sayetterie ; on ne les
voit guère faire du commerce au delà de ces deux grands pôles. D'où la lenteur
de la prise de décision et de l'exécution : peu au fait de la géographie du
commerce des grains, des problèmes et des techniques du commerce maritime, les
marchands d'Amiens ont au moins six mois de retard sur ceux de Rouen ou de
Dieppe dans la course aux subsistances, retard dramatique pour les plus pau-
vres, qui ont eu le temps de mourir de faim.
Cette crise ne toucha pas en effet de la même façon toutes catégories
sociales. Il faut distinguer entre les victimes de la crise, soit l'ensemble
du prolétariat du textile et de l'agriculture (compagnons sayettiers, manou-
vriers ... ), peut être aussi les maitres sayetteurs, touchés comme leurs
ouvriers par le marasme industriel, ceux qui en patissent plus ou moins ( la
moyenne et petite bourgeoisie, touchée par le surcroit des "cottisations" et
la Hausse des prix ), ceux enfin qui en profitent : les bénéficiaires de la
crise sont d'abord tous ceux qui possèdent des stocks de grains, des surplus
commercialisables ( gros laboureurs et fermiers, seigneurs, institutions re-
ligieuses ), ensuite ceux qui ont des capitaux disponibles et peuvent les in-
vestir dans ces entreprises éminemment profitables qu'étaient alors les so-
ciétés commerciales constituées pour l'achat des "blés du Nord", ou encore
dans les rentes émises par la ville ; dans cette catégorie entrent les gros
marchands, la robe et certaines familles nobles de la région.
Cette grande inégalité entre les masses qui souffrent et la petite couche
des profiteurs, étroitement liée à l'échevinage, explique l'atmosphère de ré-
volte latente qui règne au sein des classes populaires. Cette révolte ne sem-
ble pourtant pas avoir éclaté véritablement dans la ville en 1586-87. Peut-
être fut-elle contenue par la force dissuasive des armes, ou encore par l'ef-
fet des mesures de charité ; elle put aussi être contrecarrée par l'épidémie
de peste. Il resterait à savoir ce qui s 'est passé à la campagne.
Il convient en tout cas de conclure sur le caractère EXEMPLAIRE de cette
crise d'Ancien Régime, qui apparait comme le type même de la crise "complexe",
réunissant en un sinistre trio la faim, la peste et la guerre ; crise dont l'
extrème gravité apparait autant comme une conséquence de l'archaïsme des
structures économiques et sociales que comme le résultat d'une mauvaise
conjoncture économique et politique.
BI - CENTENAIRE TURGOT :
DANS L'OISE
- 1 775
Guy IKNI
Je m'appuierai pour ce rappel sur l'un des récits les plus classi-
ques, celui de G. SCHELLE dans sa biographie de TURGOT, parue en 1909.
Tout commence avec l'arrivée de TURGOT au contrôle général. L'an-
cien intendant de Limoges écrit, dans sa lettre publique à LOUIS XVI, le
24 août 1774 :
" J'entre en place dans une conjoncture fâcheuse par les inquiétu-
" des répandues sur Zes subsistances3 inquiétudes fortifiées par la
" fermentation des esprits depuis quelques années ; par la varia-
" tion dans les principes des administrateurs3 par quelques opéra-
" tions imprudentes et surtout par une récolte qui parait avoir été
" médiocre ".
"Nul pouvoir humain ne saurait empêcher, quand les blés sont rares,
" qu 'ils ne soient chers ? Cette cherté est un remède, amer sans
" doute mais nécessaire contre la disette. Elle tend à se diminuer
" elle-même en appelant par l'appâct du gain, les secours étran-
" gers aux nationaux, des endroits qui en ont le moins de besoins,
" à ceux qui en ont le plus. La seule chose à faire est de laisser
" à ces secours toute la liberté et toute la facilité possible pour
" arriver et en outre. d'aider les véritables pauvres par des ate-
" liers de charité ". (G. SCHELLE p. 182)
A peine avait-il envoyé
une circulaire
aux Inten-
dants, recommandant la cré-
ation de ces ateliers, l'
émeute qui allait devenir
" la guerre de Jean Farine"
éclatait.
le cours de l'Oise,
Sur
entre l'Isle-Adam et Beau-
mont, à Stors, une péniche
fut pillée le 27 avril ; ra-
pidement les troubles s'é-
tendirent à Pontoise, Poissy,
St Germain et bientôt à Ver-
sailes, le gouverneur,
où
le Prince de Poix, crut bon
de recommander aux boulan-
gers de vendre le pain à 2
sols ( très au dessous du
cours normal ). Cela encou-
ragea peut être le peuple,
qui gagna le Palais. Louis
XVI avertit aussitôt TURGOT,
en lui annonçant que les
troupes avaient calmé l'émeu-
te. TURGOT fit annuler la
baisse du pain et verser
50 000 b de dédommagement au
marinier pillé.
Cependant, loin de s'éteindre, les troubles ne firent que se raviver ;
dans la nuit du 2 au 3 mai, 4 à 500 personnes, dont beaucoup venues des
campagnes, entrèrent dans Paris et pillèrent les boulangeries. En province
aussi le mouvement tendit à faire tâche d'huile dans les généralités voi-
sines de la capitale : Rouen, Amiens - assez peu -, Soissons ... ; les
troubles remontaient par les vallées, courant de marché en marché, mais dé-
bordant vite vers les abbayes, les maisons de marchands et de bourgeois,
les meuniers, les gros fermiers et laboureurs. Sur le territoire du futur
département de l'Oise les troubles furent particulièrement sérieux.
M. SAMSON, en se fondant sur l'étude des papiers de la maréchaussée de
Beauvais, a noté que les marchés de Beaumont, Méru, Mouy, Pontoise, Noail-
les, Marines avaient été attaqués. G. RUDE signale aussi Nanteuil, Senlis,
Crépy, Clermont, Montdidier ... G. SCHELLE avait quant à lui noté Noyon. On
peut y ajouter Chantilly, Précy, Compiègne, Pont Ste Maxence, Ressons sur
Matz, Attichy, sans compter Blérancourt dans l'Aisne.
A Senlis, par exemple, le registre de délibérations de la ville note
que la place avait été envahie par un grand nombre d'"étrangers", 1000 à
1200 personnes munies de bâtons et de sacs, venant de différentes paroisses,
même de Monchy St Eloi, située à plus de 4 lieues de la ville. La plupart
de ces gens n'avaient pas coutume de s'approvisionner à Senlis. Les labou-
reurs firent savoir qu'ils laisseraient le blé à 30 livres ; le peuple ré-
pondit que l'on en avait donné 12 à Gonesse et qu'il le voulait au même
prix ; et à l'instant il se jeta sur les sacs, sans attendre la réponse des
laboureurs.
Pour notre région nous disposons de l'intéressant témoignage d'un nommé
TONON, dans une lettre adressée à l'Intendant de Soissons, le 6 mai 1775 :
"
... Noyon vient d'avoir son tour ce matin et d'éprouver l'effet de la
fermentation générale sur la cherté des bleds par une REDUCTION FORCEE au
tiers et à la moitié de leur prix courant ... Sans le secours de la premiè-
re division du régiment de Chartres, destiné pour Mantes, l'approvisionne-
ment des marchés et greniers étaient la proie d'une populace extrèmement
nombreuse ... "
TONON ajoutait
ensuite que les auteurs de ces tumultes étaient les mê-
mes qui venaient d'opérer les révoltes de Compiègne et de Ressons : les
trois quarts de cette foule venait des environs de Compiègne et au delà, n'
avaient jamais paru sur le marché de Noyon. Un grand nombre était sans ar-
gent ; il réclame des troupes et ajoute qu'il vient d'apprendre du Marquis
de Barbançon, marquis de Varense, l'arrivée de 150 hommes du Régiment de La
Fère, pour couvrir la ville et le port de Pont L'Evèque, alors essentiel
pour le ravitaillement de Paris.
Cetémoignage est corroboré par celui de GELLE, procureur fiscal de
Blérancourt ( celui là même dont la fille faillit épouser SAINT JUST ... ),
dans une lettre à l'Intendant, datée du 8 mai 1775 ; il y déplore les " tris-
tes révolutions qui sont arrivés dans le courant de la semaine dernière tant
ès marchés des villes de Noyon et d'Attichy qu'il avait fixé avec la maré-
chaussée le prix à 7 h le setier de Blérancourt et 8 h le setier de Soissons
mais que beaucoup murmuraient haut qu'ils paieraient que 4 livres. Un mutin
ayant été arrêté, la foule armée de pierres, bâtons, de couteaux a redou-
blé de désordre ( et de menaces ). "Ce témoignage signale enfin que non
seulement les villes ont été attaquées, mais aussi les fermes ( l'auteur
parle de " l'affreux aveuglement des peuples des campagnes qui ont pillé les
fermes " des alentours de Blérancourt. Ceci correspond tout à fait aux ren-
seignements recueillis par M. SAMSON dans le Beauvaisis, où il a noté l'at-
taque de 9 moulins, 8 fariniers, 31 laboureurs, 14 fermiers - dont la famil-
le d 'ISORE, le futur Conventionnel de l'Oise - ; on s'en prit même à 2 cou-
vents et 2 curés. J'ai trouvé moi-même une autre attaque d'envergure, narrée
par la maréchaussée de Clermont, dans le marquisat de Liancourt ( la ferme
de Pierre VACHETTE à Cauffry, qui fut également pillée ).
C'est dire l'importance qu'a eue la "guerre des farines" dans l'Oise,
comme d'ailleurs aussi en même temps dans l'Aisne.
Pendant ce temps, à Paris, TURGOT prenait des mesures énergiques :
dans la nuit du mercredi 3 au jeudi 4 mai 1775, deux armées furent consti-
tuées, dont le commandement fut confié au maréchal de BIRON. Le contrôleur
général des finances avait exigé une repression aussi dure que rapide ;
les prévenus seraient jugés de manière expéditive par des commisions des
cours prévotales, " selon les usages du temps de guerre " ( Ouvrage d'Ed-
gar FAURE, p. 269 ). Les Parisiens se moquèrent de l'emphase du commandant
en chef et le traitèrent de " Jean Farine ". Le lendemain TURGOT fit tout
pour briser dans l'oeuf les vélléités de résistance du Parlement de Paris,
lequel voulait publier un arrété annonçant la baisse du prix des grains et
farines. Par lit de Justice du 5 mai 1775, le Roi fit accepter aux Parle-
mentaires la juridiction des Prévôts généraux de la maréchaussée.
Plusieurs centaines d'arrestations eurent lieu les jours suivants :
G. RUDE en a noté 260 en Brie et en Ile de France, 145 pour les affaires
parisiennes. M. SAMSON pour sa part, en faisant l'étude exhaustive des pa-
piers de la maréchaussée de la lieutenance de Beauvais, n'en a pas moins
relevé 500 dans le Beauvaisis - ce qui tend à prouver que faute d'une étu-
de plus poussée des sources, on a eu jusqu'ici tendance à minimiser les
chiffres de la repression, dans les synthèses parues à ce jour. A Paris
la commission prévôtale condamna deux émeutiers à être pendus ; ils le
furent le jour même, à trois heures de l'après midi enplace de Grève.
A partir du 6 mai, note Edgar FAURE, la guerre prit la forme d'une
guerilla qui s'éteignit peu à peu ; mais comme le remarque l'auteur lui-
même, nous sommes encore très mal renseignés sur ce qu'il appelle les
"troubles excentriques", notamment dans les actuels départements de la
Somme, de l'Aisne, de l'Eure, de la Seine maritime. Quelques indications
sommaires sont fournies par Edgar FAURE sur Vernon, Reims, Sens ...
Dans l'étude publiée en 1963 par Guy LEMARCHAND sur les troubles survenus
dans la Généralité de Rouen, on trouve une esquisse géographique des in-
cidents en Normandie entre le 1er et le 29 mai 1775 : Vexin normand, fo-
rêt de Lyons, partie orientale du Bray, pays de Caux et même les abords im-
médiats de Rouen, sans compter quelques localités de la rive gauche de la
Seine.
LES INTERPRETATIONS
" ils revendaient ensuite, ameutant le peuple avec de faux arrêts du con-
Il seil imprimés3 tratnant après eux la populace du village, pillèrent
Il successivement les marchés le long de la Basse Seine et de l'Oise
1/ Monsieur de TURGOT poursuit
; il vit dans les circonstances de cette
...
1/ émeute
un plan d'affamer Paris ... l'or, la destruction des comestibles,
Il la taxation, tout annonçait
un système suivi de rebellion et de pillage
n
... tous les pouvoirs semblaient suspendus ; lui seul agissait dans ces
Il circonstances
... 1/
Même son de cloche chez l'abbé MORELLET , dont G. SCHELLE cite dans son
ouvrage une lettre à Lord SHELBURN datée du 17 mai 1775 : " ... sans croire
qu'il y ait à tout cela une première et unique cause, un complot formé et
dirigé à un seul but, on ne peut se dissimuler que le premier mouvement une
fois donné a été soigneusement entretenu ... " ( Cité pp. 195-96 )
Furent successivement accusés d'avoir fomenté ce complot les Anglais, la
maison d'Orléans, les fermiers généraux, les monopoleurs, l'abbé.Terray, an-
cien contrôleur général des finances ou ses ci-devant agents, le Clergé -
plus particulièrement les Jésuites -, MAUPEOU et ses Parlementaires, les
Francs Maçons, les Jacobins, la secte des Illuminés, cette dernière étant re-
crutée par le Prince de CONTI, lequel était particulièrement hostile à la
politique de TURGOT et ne perdait pas un instant pour le faire savoir. ( Co-
Incidence supplémentaire, c'est près de son domaine de l'Isle Adam qu'avaient
éclaté les premiers troubles ... ). On accusa enfin le parti de CHOISEUL.
Or cette thèse du complot a été reprise non seulement par d'illustres con-
temporains, mais aussi par plusieurs générations d'historiens aux XIX° et
XX0 siècles. FONCIN, VOLTAIRE la diffusèrent à plaisir ; ce dernier écrivait
dans sa diatribe à l'auteur des Ephémérides, le 10 mai 1775, empruntant le
style de relation du journaliste, le récit suivant, purement fictif :
" Quand nous approchâmes de Pontoise" nous fûmes tout étonnés de voir
il environ dix à quinze mille paysans qui couraient
comme des fous en
" hurlant et qui criaient : les blés, les marchés., les marchés, les blés.
" Nous remarquâmes qu'ils s'arrêtaient à chaque moulin qu'ils démollis-
n saient en un moment et qu'ils-jetaient blé3 farines et
sacs dans la ri-
vière.... J'entendis un petit prêtre qui, avec une voix de stentor lui
disait : saccageons tout, mes anris3 Dieu le veut Ce prêtre avoue en
...
outre avoir reçu de l'argent pour cette bonne oeuvre ... "
( Cité par LOUBLINSKI )
L'idée de complot, ou du moins de pillage organisé, a encore été reprise
par Philippe SAGNAC, par Lavisse Afanassive, ce dernier distinguant entre
les troubles de Dijon, spontanés, et ceux de Paris, qui auraient été l'oeu-
vre d'une bande organisée dans le but d'affamer la capitale ... Plus près
de nous encore, l'historien anglais DAKIN dans " Turgot and the ancien re-
gime " ( Publié à Londres en 1929 ), fait des troubles de Dijon le résultat
d'un complot (p. 182).
Or cette thèse du "complot" comporte des contradictions criantes, qui ne
peuvent resister à un sérieux examen historique : comment admettre, par exem-
ple, que la "populace", comme disaient les auteurs contemporains, parmi les-
quels se trouvaient de nombreux manouvriers, ait pu, même en étant "payée",
détruire du grain, alors que l'on souffrait notoirement de malnutrition, que
la disette remémorait des tristes souvenirs de pénurie comme celles de 1709,
1725, 1740, 1757, 1768 - cette dernière crise ne s'étant produite que 7 ans
auparavant - ? Au reste les soi-disant scènes de "pillage" et destruction de
subsistances ne sont nullement attestées par les archives.
Il fallut pourtant attendre les années 50 de ce siècle pour que le mythe
du complot fomenté par des forces obscures, utilisant le concours de bandes
armées, fut définitivement écarté. Nous le devons principalement à deux his-
toriens, le Canadien Georges RUDE, d'une part, qui publia deux articles sur
la question, en 1956 et 1959, dans les Annales Historiques de la Révolution
Française ; le soviétique LUBLINSKI, d'autre part, lequel écrivit une impor-
tante étude dès 1955 ( en russe ). puis la compléta en 1959. Dans l'ensemble
ces deux auteurs ont proposé, dans des termes différents, une interprétation
SOCIALE des troubles, en insistant particulièrement sur leur caractère popu-
laire. C'est aussi ce point de vue qui fut adopté à leur suite par Edgar
FAURE dans un ouvrage célèbre publié en 1961, " La disgràce de Turgot", étude
faite dans un tout autre esprit, toutefois. Depuis peu un certain nombre de
nouvelles recherches sont venues s'ajouter, notamment celles de Guy LEMAR-
CHAND pour les troubles survenus dans la généralité de Rouen ( article pu-
blé en 1963 ) ; plus récemment, en 1980, a été publiée la traduction fran-
çaise des travaux complétés et remis à jour de l'historien soviétique LUBLINS-
KI, cité plus haut. On assiste d'ailleurs à un renouveau des études sur cet-
te importante affaire, avec des recherches en cours de la part de chercheurs
français et américains, notamment, annonçant de prochaines publications de
synthèse.
C'est maintenant sur l'apport de l'interprétation sociale de la guerre
des farines que je voudrais m'arréter plus longuement. Quels en sont l'inté-
rêt et les limites ? Quelles incertitudes, quelles questions demeurent ?
L'interprétation sociale écarte d'abord définitivement la thèse du complot
et en particulier le mythe des "brigands stipendiés" ; le caractère purement
spontané sinon inorganisé des troubles a été amplement prouvé par l'étude des
pièces d'archives dans diverses régions.
Les apports positifs de cette nouvelle thèse concernent d'abord le mouve-
ment populaire, sa composition, ses modalités d'action, ses buts, ses effets
dans le reste de la société. Par ailleurs on peut ainsi mieux replacer cet
évènement historique dans le cadre de la fin de l'Ancien Régime, du point de
vue des troubles typiques des crises de subsistances de l'époque moderne, d'
autre part en considérant la guerre des farines comme une affaire qui a pré-
cédé de peu la Révolution Française, dont elle n'est éloignée que d'une
vingtaine d'années.
C'est dans l'analyse de la composition du mouvement populaire que l'inter-
prétation sociale a fait le plus avancer nos connaissances historiques :avec
en premier lieu la distinction, longtemps ignorée, de l'existence d'un double
mouvement, comportant une composante urbaine, parisienne, pourrait-on dire,
d'une part, et une composante rurale, qui fut longtemps seule 'remarquée.(1)
(1) Toutefois le problème n'est pas posé aussi clairement dans l'ouvrage de V.S. LUBLINSKI (pp. 48-49 )
En ce qui concerne la première, LUBLINSKI s'est appuyé sur une liste conser-
vée à Leningrad, qu'il compare avec les données d'autres sources ; il s'agit
de listes de gens arrétés et jugés à la suite des troubles. L'auteur constate
que parmi les noms clairement identifiés, un tiers des personnes sont décla-
rées sans revenus fixes, 53 % sont des salariés, le reste étant constitué d'
artisans. Parmi les salariés dominent les métiers du textile, les gagne-de-
niers, les porteurs d'eau, les forts de la halle, les journaliers alors très
nombreux à Paris même ; chez les artisans les plus qualifiés, on trouve bien
plus de compagnons que de patrons. On trouve enfin quelques badauds, de sim-
ples passants.
Pour les participants en dehors de Paris, LUBLINSKI, s'appuyant essentiel-
lement sur RUDE, constate qu'il n'y a pratiquement pas de paysans sur les
102 noms recensés, mais 21 "bourgeois" ou artisans, des représentants du
personnel féodal, un échevin, un meunier, quelques marchands, un directeur de
la poste ( aux Andelys ), un brigadier de maréchaussée. Pour le reste, des
vignerons, batteurs en grain, journaliers, manouvriers, ouvriers maçons, ou-
vriers du textile, cordonniers, colporteurs, des femmes, quelques personnes
employées dans les manufactures : ainsi au marché de Mouy (Oise) les ouvriers
en laine avaient joué un rôle moteur, se réunissant dans une auberge pour
organiser leur action, faire baisser les prix et obliger les cultivateurs de
Bresles à livrer leurs blés au marché.
Ces indications sociales sont bien recoupées par le résultat des recher-
ches de Guy LEMARCHAND dans la généralité de Rouen. Celui-ci a en effet noté
dans les villes la prédominance des métiers du textile, en particulier le
rôle des tisserands pour les localités non manufacturières ; également celui
des artisans et commerçants et dans les campagnes, surtout la participation
des bûcherons et vignerons ; il a cependant noté un faible nombre de journa-
liers - indication quelque peu surprenante, mais en réalité trompeuse, si l'
on s'appuie sur le résultat des travaux de M. SAMSON dans l'Oise.
Ce dernier a en effet réalisé le travail le plus minutieux de comptabilité
des séditieux, dans le Beauvaisis, à partir des papiers de la maréchaussée.
Cette recherche très importante, dont il a eu l'amabilité de me communiquer
les résultats, a permis de relever les noms de 537 inculpés, dans la seule
lieutenance de la maréchaussée de Beauvais, parmi lesquels on connait les
professions de 433 personnes ; on y relève une masse de vignerons (145),
puis 58 manouvriers et journaliers, 19 métiers du textile, 13 cordonniers,
18 employés dans les ports et marchés, des personnes enfin relevant des mé-
tiers du bois, de l'artisanat de village, du petit commerce local ( marchands
fariniers, de serge, de harengs, de boucles ; aubergistes et cabaretiers,
professionnels du grain ... ) ; les femmes inculpées sont au nombre de 132.
Mais M. SAMSON a relevé plusieurs fois cette précieuse indication dans les
rapports de la maréchaussée : on a souvent libéré aussitôt les gens les plus
pauvres, incapables de rembourser les grains "pillés", si bien que nous échap-
pe à coup sûr toute une frange de population des plus modestes.
Notons que tous ces auteurs attestent également la présence dans le mouve-
ment de bourgeois et de curés, chose qui a pu accréditer à l'époque des opi-
nions comme celle de Voltaire sur cette affaire. ( Dans l'Oise, notons plus
particulièrement le nom de TIREL DE LA MARTINIERE, curé d'Auger St Vincent,
près de Crépy en Valois ). Il n'est pourtant pas besoin de recourir à l'ex-
plication du "complot" pour comprendre leur présence ; on sait d'ailleurs
bien le rôle local important joué un peu plus tard sous la Révolution fran-
çaise par certains prêtres patriotes.
En ce qui concerne les modalités d'action et les buts, tous ces historiens
concordent pour reconnaitre la spontanéité 'du mouvement, l'absence de plan d'
ensemble ; il n'est cependant pas surprenant de retrouver certaines constan-
tes, des directions privilégiées, les mêmes causes produisant les mêmes effets,
d'autant que la spontanéité du mouvement n'exclue pas des formes d'organisa-
tion. Tout le problème est en effet celui de l'organisation, de ses condi-
tions, de son sens.
De ce point de vue, les actions de pillage pur et simple, encore fréquen-
tes, rappelent plutôt les troubles frumentaires de type ancien, remontant par-
fois très loin dans notre histoire. ( cf. l'ouvrage classique d'U.P. USHER )
On est cependant frappé par l'apparition de certains signes d'organisation,
voire de préparation de caractère parfois très moderne. L'on discute avant
dans les auberges ou dans les bois, l'on se concerte pour préparer l'action.
On établit un prix de taxation qui peut varier ici et là, mais l'on retrouve
souvent un taux identique, de l'ordre de la moitié du prix du marché. ( cf.
RUDE, op. cité, p. 319 ; on a souvent taxé à 2 sous la livre de pain, à 12
livres le setier de blé, ou encore 18, 20, 24 b au lieu de 30, 32 fc.
Dans l'ensemble cependant le caractère avant tout spontané du mouvement ne
saurait être mis en doute ; RUDE y insiste plus spécialement dans son second
article, davantage consacré aux éléments conjoncturels comme facteur de dé-
clenchement des troubles.
Se pose ensuite le problème plus large des liens de l'affaire avec la si-
tuation politique et sociale globale au début du règne de Louis XVI. Ici les
avis sont assez partagés, tant sur le problème des alliances sociales révélées
par le mouvement que sur les clivages et les oppositions. On souligne d'abord
que le mouvement est encore par certains cotés de type ancien, sur le modèle
des révoltes récurrentes. Mais on note en même temps des éléments nouveaux :
G. RUDE insiste sur l'opposition à la liberté du commerce. Sur le problème
des alliances sociales, on souligne en l'occurrence l'absence d'unité du
Tiers Etat, à la grande différence de 1789, et ce serait la cause de la dé-
faite du mouvement. Pas de caractère vraiment anti-féodal, selon cet auteur,
c'est moins la haine des privilégiés que la lutte contre la bourgeoisie com-
merçante, urbaine et rurale, dit RUDE ; " menée subjectivement d'abord contre
une fraction du Tiers, cette lutte atteint également les catégories féodales"
écrit LEMARCHAND dans son étude de 1963.
A l'inverse LUBLINSKI y voit la première manifestation de l'alliance entre
les couches populaires de la campagne et de Paris. En clair il s'agit déjà
par certains cotés d'un véritable mouvement révolutionnaire, qui " marque
la borne de l'Ancien Régime ", comme l'a écrit E. FAURE, mais auquel il a
manqué chez les couches populaires une claire conscience sociale, un program-
me précis, un sens tactique et des alliances. Dans les formes il exprime ce-
pendant une étape décisive dans la maturation de cette conscience ; dans le
type d'actions, d'organisation des masses, il marque un bond en avant, car,
comme l'a
noté RUDE, il y a quelquefois " une ressemblance avec les journées
du printemps 92, de février et septembre 93 " et " de manière plus halluci-
nante encore avec la grande peur et les mouvements ruraux qui l'ont précédé."
( article de 1956, p. 178 )
(1) Il faut cependant reconnaitre que certains auteurs ont tout de même effleuré la question : G. LEMARCHAND,
de manière indirecte, en disant que ces mouvements mettaient finalement en cause tout le système social de
l'époque ; cela reste cependant un peu vague. V.S. LUBLINSKI évoque aussi rapidement ce problème.
Les étaient très lourds ; par exemple entre Chauny et Pont l'
frais (1)
Evèque, les marchands payaient aussi cher qu'entre ce dernier port et Paris,
car ils chargeaient sur deux bateaux et devaient "rinser" à Sempigny, c'est
à dire fusionner les deux charges en une seule après le passage de l'écluse.
On comprend dans ces conditions la lenteur des transports de l'époque ; ainsi
les gros bateaux mettaient 18 à 20 jours pour aller de Rouen à Paris, les al-
lèges au moins 12 à 14 jours.
Mais ces conditions techniques et naturelles difficiles ne peuvent être
considérées, comme l'a rappelé récemment Ch. PARAIN, en dehors du contexte
social et nous avons ici une confirmation remarquable de l'importance de
cette appréciation. Prenons l'exemple de la portion de l'Oise la plus déli-
cate, entre Chauny et Pont l'Evèque : les marchands réclamaient depuis long-
temps son aménagement ; en 1732 le sieur CROZAT avait obtenu l'autorisation
de placer une chaine au pertuis de Sempigny en échange d'améliorations ; or
depuis 1735 le péage au pertuis avait sensiblement augmenté, sans que l'on
ait fait pour autant aucune amélioration : on comprend mieux pourquoi les
entrepreneurs refusaient d'agrandir les écluses pour permettre le passage de
plus gros bateaux ; en effet le péage était perçu par bateau, quelque soit
sa taille et les bénéficiaires n'avaient pas intérêt à permettre l'augmen-
tation du tonnage des bateaux, au détriment de leur nombre Bien entendu le !
- ; le bateau ne peut être chargé que s'il réclame au moins trois bandes de
7 à 8 porteurs ; pour éviter la confusion entre voituriers, ces derniers se
présentent selon un rang déterminé, tiré au sort, par quartier de la ville ;
ils ne peuvent voiturer de front, ni faire vacarme, ni utiliser - pour cause
d'indécence - femme ou enfant comme charretier. Une fois chargée dans la ville,
la cargaison est conduite vers le port ( de Pont l'Evèque, pour Noyon ) ; là
aussi le chargement est réglé précisément : 1'"engrénage" - ou chargement -
ne peut se faire qu'un bateau à la fois par marchand, même si plusieurs se
regroupent en bande. On ne peut en principe charger le Samedi ...
Ces détails très précis, que l'on pourrait multiplier à plaisir, montrent
bien une vérité élémentaire, trop souvent omise lorsque l'on analyse les trou-
bles frumentaires de la fin de l'Ancien Régime : ce ne sont pas les masses
paysannes ou salariées des villes qui entravent la liberté du commerce, mais
bien avant tout les multiples réglementations seigneuriales.
Ce carcan féodal s'inscrit par ailleurs lui-même dans le système comme l'
un des rouages d'un contrôle qui a tendu à devenir étatique avec l'absolutis-
point de remonter jusqu'à l'époque médiévale ( qui serait
me. De ce vue, sans
d'ailleurs sans doute éclairante ), on peut faire commencer les choses au XVI°
siècle, époque de la crise de l'Eglise, institution qui jusqu'alors légitimait
le pouvoir royal : l'éclatement du monde chrétien contribua à obliger l'Etat
féodal à enraciner sa légitimité politique dans la société civile ; plus pré-
cisément l'Etat s'efforça d'apparaitre progressivement comme un espace neutra-
lisé, garant de la stabilité sociale. C'est ce que théorise déjà J. BODIN au
XVIIo siècle, époque où fleurit le mercantilisme, dont l'aspect social colnci-
de nettement avec l'affirmation de l'absolutisme. Il s'agissait d'assurer le
maximum de stabilité sociale tout en sauvegardant les rapports sociaux féo-
daux. Sur le plan de la police des grains, cela s'est traduit par une politi-
que dont A. PARIS a résumé les grandes lignes : contrôle des réserves et des
stocks par des déclarations obligatoires des récoltants ; contrôle du commer-
ce sur le marché, tant du point de vue des qualités que des prix, contrôle,
enfin de la récolte à venir. En ce qui concerne les marchands, depuis la dé-
claration du 21 août 1699, on avait exclu de leurs corps les laboureurs, les
gentilshommes, les officiers, les receveurs et fermiers des droits ou commis
des recettes ainsi que toutes personnes intéressées dans le maniement de nos
finances, les officiers des marchés ... ; seuls meuniers et boulangers étai-
ent également autorisés à vendre.
En contrepartie du maintien strict des droits féodaux, on s'efforçait de
garantir l'approvisionnement des marchés et particulièrement celui de Paris,
pour lequel avait été définie une législation spécifique de caractère excep-
tionnel. On avait d'abord délimité un cercle de 10 lieues autour de la capi-
tale, au sein duquel certains marchés étaient autorisés et d'autres interdits
aux négociants ( parmi ces derniers CONESSE, BEAUMONT, PONTOISE, LUZARCHES.)
En effet une fois introduit dans ce cercle le grain n'en pouvait plus sortir.
Pour rappeler un mot célèbre de l'abbé GALIANI, " le pain n'était plus une
affaire de commerce mais de police Une taxe assurait aux pauvres un pain
à moindre coût dès que le prix du grain avait monté à plusieurs marchés de
suite. Enfin en période de véritable pénurie on mettait en place tout un ar-
senal de mesures diverses, destinées à limiter les effets catastrophiques de
la crise : suspensions des droits sur l'importation, sur la circulation des
grains ( péages, octrois ... ), suspension des droits levés sur les marchés ...
de manière à faire jouer la solidarité sociale des riches envers les pauvres.
On pouvait aller jusqu'à assigner dans les villes, à chaque bourgeois, un ou
deux pauvres à nourrir, à raison de 14 livres de pain par semaine.
Cette réglementation apparemment très contraignante n'était en fait appli-
quée que très épisodiquement, contrairement à ce qu'en pensent encore maints
historiens, qui commettent sur ce point de fréquents contresens. Il est cer-
tain en revanche que certains aspects de cette réglementation et du prélève-
ment féodal, confrontés à l'évolution économique et sociale des XVIIo ° XVIIIo
siècles, plus particulièrement l'essor des rapports marchands, allaient pro-
voquer une grave crise du système.
Pour échapper à la réglementation féodale, tout d'abord, il est certain
que depuis longtemps ( probablement le XVI° siècle voire mime avant ), beau-
coup de marchands, de laboureurs ou de vendeurs locaux avaient pris l'habi-
tude de ne plus passer par le marché, échappant ainsi au paiement des droits
et gagnant un temps précieux - nous avons de nombreux témoignages de cette
pratique dans le département de l'Oise. En outre l'essor considérable de Pa-
ris avait donné naissance à un commerce des grains d'ampleur régionale, et
.il en était de même, à moindre échelle, avec les grandes villes de province,
pourvues de manufactures ; de toutes façons le développement très inégal ca-
ractérisait alors une France encore morcelée et mal unifiée ; les marchands
du Midi étaient tentés de s'approvisionner dans le Nord à des prix plus bas
pour revendre plus cher chez eux, surtout les années de haut prix. Le dévelop-
pement de telles pratiques ne faisait qu'aggraver les aspects évoqués plus
haut car le grand négoce du grain, qui s'affirmait peu à peu dans ce système,
ne s'embarassait guère des réglementations et des protections théoriques. Lui
aussi achetait ou faisait acheter hors des marchés, directement dans les gran-
des fermes, chez les bourgeois ; on ne montrait mime plus la marchandise,
mais seulement des échantillons ; la "vente sur montre " se développait aussi
sur les marchés locaux et de ce fait ces derniers étaient irrégulièrement et
souvent insuffisamment approvisionnés, au rythme des spéculations multiples
qui s'y développaient. L'économie dirigée théorique devenait en fait une éco-
nomie de spéculation, de rareté endémique.
Cette spéculation offrait plusieurs aspects. On pouvait spéculer sur la
différence de prix entre plusieurs villes ; faire monter les prix sur place
en ne livrant pas. En 1740 le subdélégué de Noyon signala que les marchands
ne chargeaient pas de grains pour Paris car ils y étaient meilleur marché qu'
à Noyon. USHER signale que dès le XVIIo siècle les marchands de Noyon ache-
taient sur le marché et emmagasinaient jusqu'à ce qu'il devînt intéressant d'
embarquer le grain. On ne s'embarassait guère de principes: ainsi, en 1740,
les blatiers du Santerre, du Vermandois et autres lieux, à qui on venait d'in-
terdire de venir à Noyon, s'entendirent avec les meuniers qui, sous pretexte
d'acheter pour les pauvres du lieu de leur résidence, ne faisaient cette opé-
ration que pour les blatiers ... N'oublions pas non plus, parmi les vendeurs,
tous ceux qui disposaient de grains par le prélèvement féodal ( ainsi les com-
munautés religieuses, abbayes et chapitres, qui n'hésitaient pas à s'enrichir
en revendant le blé leurs fermiers lors des chertés. ( Notons aussi que cer-
à
tains spéculaient en conservant tout simplement des grains de l'année précé-
dente : le subdélégué de Gournay, cité par RUDE,déclarait ainsi que l'on ven-
dait au prix de 1775 des blés de 1774 ) .
L'organisation d'une véritable compagnie de marchands à privilèges, à l'é-
poque du contrôle général des finances de l'abbé TERRAY, devait être dénoncée
en 1791 comme étant à l'origine d'une véritable pacte de famine ; même si ce-
la n'était pas son but, cette organisation a incontestablement contribué à
aggraver la spéculation sur cette denrée de première nécessité. NECKER qui s'
y connaissait en la matière, déclara, parlant du commerce des grains, que c'
était " la plus vaste table de jeu qu'on puisse établir ". (1)
Dans ces conditions on peut se demander qui ne spéculait pas : le peuple
bien sur ; celui des campagnes, dont une part croissante, avec la différenci-
ation sociale et l'aggravation de la crise agraire, ne pouvait assurer sa
subsistance et devait avoir recours au marché ; celui des villes, non pro-
ducteur de denrées alimentaires. Mais, et cela nous parait important, comme
la chose a été soulignée par plusieurs contemporains, de VOLTAIRE à MABLY,
les éléments populaires, petits producteurs, ménagers, petits cultivateurs,
même modestes laboureurs, sont seuls à devoir vendre, car ils n'ont ni les
moyens matériels (magasins, voitures pour livrer), ni des quantités commerci-
alisables suffisantes , ni les ressources financières suffisantes pour atten-
dre le meilleur moment de vente. D'autre part, pour voir clair dans cet en-
chevètrement de spéculations, il importe de faire des différences quantitati-
ves et même qualitatives entre spéculateurs ; on trouverait sans doute des
contradictions sensibles entre grands négociants, le capital financier de
Cour, d'une part, et les marchands locaux, qui peuvent être en même temps ex-
ploitants de terres.
Pour l'immédiat nous retiendrons que cette spéculation avait pour résultat,
lors des mauvaises années, de provoquer le "vuide des marchés", c'est à dire
d'accentuer une tendance qui existait depuis longtemps. Un tel phénomène se
répéta et s'accentua dans les années 1709, 1725, 1740, 1757, 1768, 1775, 1789,
correspondant aux 7 grandes chertés de Louis XIV à la Révolution.
Lors de ces années le peuple, comme au siècle précédent, se déchainait,
pillait, allait chercher le grain là où il se cachait. La répétition de ces
crises et le danger qu'elles représentaient pour l'ordre monarchique firent
naitre l'idée d'une libération des échanges intérieurs. Que signifiait cette
revendication d'un point de vue historique ?
Si l'on considère les choses d'une manière étroite, l'on peut dire, bien
sur que cette affaire fut une lutte de clans autour de la Cour ; mais tout ré-
duire à des intrigues, comme l'ont fait certains historiens, risque d'occulter
le plus fondamental. Ce sont bien plutôt les nécessités du développement démo-
graphique et économique qu'a connu le XVIII° siècle qui, réclamant une aug-
mentation de la production de grains, poussèrent à une meilleure circulation.
Dans ce cadre il est évident que les privilégiés devaient faire développer par
leurs porte paroles les conceptions qui leur étaient les plus favorables. Du
point de vue de l'Etat et des nécessités de sa défense, tout un courant popu-
lationniste réfléchissait aussi aux mesures à adopter pour augmenter la popu-
lation française, que l'on estimait tombée à un niveau très bas au début du
XVIIIe siècle. Tout ceci conduisit à mettre en cause les solutions mercanti-
listes du siècle précédent et l'on en vint à l'idée de développer de manière
urgente et prioritaire l'agriculture. Le point de départ pour les grains fut
probablement la publication du livre d'HERBERT, " Essai sur la police généra-
le des grains " ( 1754 ), ouvrage qui fut suivi d'un arret autorisant la libre
circulation de cette marchandise entre les provinces. (2)
(1) cf. Georges WEULERSSE : La physiocratie sous Turgot et Necker ( passage cite p. 174 ;
(2) La pression se fit évidemment plus forte avec le courant physiocratique, lequel, comme on sait, tout en
accordant une priorité au développement de l'agriculture, réclamait avec force la liberté absolue de circu-
tion. ( cf. G. WEULERSSE ).
Libéraux et physiocrates remportèrent une première victoire avec la Décla-
ration du 25 mai 1763, qui autorisait officiellement, pour la première fois,
la libre circulation des grains dans tout le royaume. Ce texte contenait par
ailleurs une grande innovation en permettant à TOUS LES SUJETS, de quelques
qualités et conditions qu'ils fussent, même nobles, de faire le commerce des
grains, d'avoir magasin. Ainsi que le note G. AFANASSIEV dans son ouvrage :
" Les laboureurs pouvaient dès lors entrevoir le temps où la liberté leur se-
rait laissée de disposer à leur gré des fruits de leur travail. "
En fait il n'en était rien ; cette législation restait bien marquée du
sceau du PRIVILEGE et du cortège d'entraves que cela entrainait ; ainsi les
règlements étaient maintenus pour Paris ; les droits seigneuriaux sur les mar-
chés, les règlements locaux, nombreux et compliqués, n'étaient même pas évo-
qués !
Même sous cette forme tout à fait édulcorée, la tentative de réformer par
le haut cet aspect essentiel du commerce échoua, puisqu'en 17 70 ( arrèt du
Conseil du 23 décembre abrogea la déclaration de 1763. On revint alors
) on
aux vieilles interdictions ; toute personne désirant faire le commerce des
grains était à nouveau obligée de se faire enregistrer au greffe de la juri-
diction royale du lieu et certaines catégories de gens étaient à nouveau ex-
clues ( justice, police, fermiers, laboureurs ... ) ; on inter-
officiers de
disait enfin les transactions hors des marchés, des halles et des ports, l'
achat en vert, les arrhes ... Dans le même temps se développa la société SO-
RIN - DOUMENC, dont les agissements furent à l'origine de ce que l'on sait
être aujourd'hui le mythe du "pacte de famine" ; celle-ci en tout cas signifia
à nouveau l'avantage donné aux marchands COMMISSIONES de Paris, avec qui la
concurrence était pratiquement impossible.
C'est dans ce contexte, beaucoup plus complexe que ne l'ontvu la plupart
des historiens - à l'exception toutefois de V.S. LUBLINSKI qui a vu l'essen-
tiel -, que s'inscrivit la politique de TURGOT et c'est dans ce cadre qu'il
est possible de l'apprécier. Quels furent en effet les mérites et les faibles-
ses de la ligne suivie par ce disciple non dogmatique des "économistes" ?
Comme l'a montré K. MARX dans de nombreuses analyses, la doctrine des phy-
siocrates et de ceux qui s'en inspirèrent, si elle fut une des premières ten-
tatives de théorisation de l'économie bourgeoise, restait encore dans une en-
veloppe féodale. Dans cet ordre d'idées, il est certain que TURGOT est allé
le plus loin possible pour promouvoir une politique de réforme éclairée. Dans
le domaine précis des grains, il a en effet nettement dépassé ses prédéces-
seurs, en particulier les auteurs de l'ordonnance de 1763. Non seulement il
établit la libre circulation des grains, mais en même temps il tente de briser
le cercle magique des 10 lieues autour de Paris, déclarant à ce propos que
cette réglementation empêchait la Bourgogne ou la Champagne surchargées de
grains de venir secourir la Normandie, sous pretexte que la Seine traversait
Paris. La déclaration de TURGOT contient aussi la suppression des interdicti-
ons d'exercer le commerce des grains pour les producteurs ( fermiers, labou-
reurs ) ; elle s'en prend en même temps aux marchands commissionnés du type
SORIN - DOMENC, en précisant - art. III - qu'à l'avenir aucun achat de grains
ou de farines ne serait effectué au nom de Sa Majesté.
De plus TURGOT entreprend - encore timidement, il est vrai - de mettre en
cause l'organisation seigneuriale des marchés, en supprimant certains offices,
comme ceux des porteurs et chargeurs à Rouen. Allant plus loin il évoqua même
l'éventualité d'une suppression des droits féodaux levés sur les marchés et
créa d'ailleurs une commission pour en étudier les modalités ; il prévoyait
aussi de rendre la réglementation étatique enfin plus efficace et uniforme,
en abolissant tous les règlements locaux. On sait enfin que TURGOT ne s'inté-
ressa pas seulement aux échanges : il tenta aussi de réformer les conditions
de la production par la suppression des corporations. Son point de vue était
donc celui d'une réforme éclairée relativement hardie, ainsi qu'il l'écrivait
à la duchesse d'Envielle lors des troubles de subsistances : "
... il faut sa-
crifier quelque chose ...
Toutefois TURGOT dans le cadre d'une politique de COMPROMIS ; il
restait
ne libéra pas l'exportation, qui restait subordonnée à une déclaration royale
lors de temps propices ; il conserva l'expédient d'un dépôt de réserve pour
Paris ( à Corbeil ), sous le contrôle du Lieutenant de police ; enfin il ac-
corda des primes à l'importation.
Il est incontestable que si une telle politique avait été appliquée, elle
eut contribué à favoriser l'essor des cultures ; elle aurait en tout cas por-
té un rude coup à cette tendance du capital financier de Cour et des gros né-
gociants à limiter les points de vente pour créer un monopole de fait par ré-
duction de la concurrence. La politique de TURGOT défendait donc indirecte-
ment les intérêts de certains producteurs, principalement les gros fermiers
et entrepreneurs de culture. C'est justement pourquoi, même sous cette forme
encore voilée, la ligne de TURGOT se heurta à une résistance acharnée, au sein
même du Conseil royal, dans la grande noblesse - et pas seulement chez le
Prince de Conti, comme l'a retenu superficiellement la thèse du "complot" ;
également chez les Parlementaires de Paris et de province ( à Rouen notamment)
Mais peu après les événements de la guerre des farines, tout un pan de la
construction de TURCOT s'écroule : il n'est plus question de la suppression
des droits seigneuriaux sur les marchés, ni des règlements locaux.
M
du Tiers, il ne fait petits marchands et arti-
pas de doute que de nombreux
sans locaux ont pris part aux troubles, aux cotés des salariés. Si cette uni-
té ne s'est pas réalisée complètement sur le moment, on n'en avait pas moins
posé clairement d'une autre façon la question de savoir si les classes privi-
légiées seraient aptes à réformer de monstrueux abus. Or de ce point de vue
la suite des évènements témoigne à merveille de l'aveuglement de celles-ci.
Une bonne partie de l'oeuvre de TURGOT allait vite tomber dans l'oubli - on
abandonna ainsi bien vite la commission sur les droits seigneuriaux des mar-
chés. Dans les années postérieures à la chute de TURGOT certains possesseurs
de ces droits cherchèrent même probablement à les confirmer, voire les éten-
dre, dans le cadre de la réaction nobiliaire ; en tout cas l'étude des archi-
ves de l'Oise montre amplement que les nobles n'hésitèrent pas à multiplier
les procès pour les faire respecter, et ce jusqu'à la veille de la Révolution.
J'en prendrai pour preuve la banale affaire TOURNEBROCHE, jugée en 1778,
soit 3 ans après nos évènements. Ce personnage, marchand de blé et de farine
à Rouen, avait acheté du blé chez Jacques CARVILLE, laboureur à Guiseniers,
le 28 octobre 1778 ; celui-ci était livrable au port des Andelys où S.A.S. le
Prince de Condé percevait un droit que l'acheteur refusa d'acquitter, en sou-
lignant que la vente avait eu lieu chez le laboureur et non au port. Il avait
d'ailleurs plusieurs fois empêché les officiers de S.A.S. de percevoir les
droits en déclarant : " En vain le gouvernement aura-t-il affranchi le commer-
ce des grains des entraves qui peuvent le géner et le contraindre, si ce sys-
tème a lieu - il cite à son appui l'arrêt du 13 septembre 1774-en y incluant
la suppression des droits de pinage, hallage et mesurage ". A cette argumenta-
tion reflétant le point de vue de la petite bourgeoisie marchande, répondit
le chancelier de la maison de Condé, LEMOYNE de BELLISLE : " ... Tournebroche
cherche comme on le voit à se prévaloir des lois qui depuis 15 ou 20 ans ont
affranchi le commerce des grains de la plupart des entraves qui le gênaient
et l'embarrassaient dans son cours. 11ais pourquoi ne pas reconnaitre ici, com-
me il le fait ailleurs, que le législateur, par ces lois, n'a point voulu
porter atteinte aux anciennes propriétés des Seigneurs ? ". On ne saurait
mieux marquer les limites de la politique de liberté vue par la noblesse et
l'intérêt objectif qui liait alors ce petit bourgeois aux masses paysannes.
Paradoxe, répondra-t-on, car les masses paysannes voulaient en fait revenir à
la vieille réglementation. A cela je répondrai que c'est avoir des revendica-
tions populaires une conception très simplificatrice, découlant elle-même d'
une vision aristocratique de l'histoire, enfermant les masses rurales dans la
routine et l'archaïsme. La suite a montré que les masses étaient partisanes
de tout autre chose que la vieille réglementation ; les cahiers de do-
léances de 1789 réclamèrent la suppression de tous ces droits qui se levaient
sur les marchés - sans parler des autres droits féodaux. Lorsque les classes
populaires imposèrent le MAXIMUM en 1793, il ne s'agissait pas non plus de re-
venir purement et simplement à l'ancienne règlementation, car entre temps la
féodalité avait été abattue ; c'était plutôt une sorte d'impôt sur la spécu-
lation.
Je dirai, en conclusion, que la guerre des farines a posé clairement le
problème de l'irruption des masses paysannes et urbaines salariées sur la scè-
ne de l'histoire. De cette apparition, les privilégiés etl l'entourage du roi
ne retirèrent, sauf exception, qu'un jeu de coteries, de clans, l'idée d'un
complot, réduit à l'horizon de leurs chat eaux. Peu de gens, à l'instar de MA-
BLY, saisirent la portée réelle de l'événement. Aussi les luttes anti-féodales
continuèrent de plus belle dans les années qui suivirent. Si la lutte pour les
subsistances sembla passer au second plan, c'est que l'on eut dans l'ensemble
des prix plus bas. C'est justement cet aveuglement prolongé des privilégiés
qui permit à tous les adversaires de la féodalité de se regrouper le moment
venu, c'est à dire lors de la cherté suivante, en 1789,
" François Bretouy Cavalier de maréchaussée de la Généralité de Paris a la résidence de Beaumont y demeurant âgé de
quarante deux ans témoin assigné (...)
a déposé que le vingt deux avril dernier un nommé Lecompte chasse monnée du moulin
près de Mafflier a pensé élever
une sédition en se saisissant d'un sacq de seigle pour 26 livres, qu'une fille
de Mours avait aporté au marché, par-
ce que des personnes qui voulaient l'avoir ont peût estre irrités de ce que ledit Lecompte leur dit que s'ils vou-
laient l'avoir ils le payeraient 27 livres ; que le portefaix et plusieurs femmes de la populace se jettèrent sur le-
il
dit Lecompte et si Tessier son camarade ne si fust mis auroit été maltraité et se seroit trouvé exposé à leur fu-
reur, que le jeudi vingt sept, la plus grande partie des portefaix, ainsi que plusieurs femmes de la populace élevè-
rent une sédition que lesdits portefaix prirent le nommé Daseroix qui faisait son bled trente quatre livres, et le
portèrent à la fontaine où ils voulaient le baigner, qu'ensuites le trainant chez le sieur bailli notaire en cette
ville, et ensuite ils revinrent sur la place, où ils vendirent le bled du laboureur qui s'était sauvés et qui avoient
abandonné leurs sacqs, et criant ce bled à 24 livres, ensuitte à 20, ensuitte à 18, ensuite à 15 k ; que lesdits
portefaix rçcurçot, l'argent d'un chacun, et le remirent à ceux à qui appartenait le bled, que led. jour 27 lui dépo-
sant voulant empecher que ledit Deseroix fût trainé à la fontaine par les portefaix, Bertrand le prit au collet et
que le nommé Gérard fit
quitter Bertrand an disant de laisser lui déposant tranquille, que le lendemain vingt huit
des paysans ou même des gens de Beaumont de l'Isle Adam et villages des environs furent piller un bateau qui était
sur la rivière par flots , dans lequel il
y avait dix neuf septiers de bled ; que le vingt neuf lesdits séditieux
dont la plupart étaient de Beaumont (?) pillèrent un autre batteau de blé sur la rivière de Beaumont appartenant au
sieur Laurent de Bresle, sur lequel il
y avait plus de quatre vingt un septiers dont on lui a dit qu'on lui en avait
reporté une partie en nature et une autre partie en argent, qu'il a connus parmis ceux qui ont pillé le bled vis à vis
Beaumont le nommé Claude Nève, Louis Letronc, Charles Couteat, Joachim Lecocq, Louis Lestoy dit tout blanc, lequel est
plus coupable que les autres parce qu'il est laboureur, pierre Le Comte dit Gateau, Claude Lecomte, Devaucheux, Louis
Nève, Pierre Maillart ou Charles, la veuve Blanchart, François Bormain dit le Cavalier, tous de Beaumont ; que lesdits
jours vingt neuf et trete avril, ainsi que les premier et deux may présent mois il
a appris, parce qu'il a
été aussi
un des témoins, que plus de trois cents personnes de la campagne, tant hommes que femmes et enfants, avaient fait
fournir de force à plusieurs fermiers et laboureurs du bled et de la farine, et même fait contribuer par argent et
pain diverses laboureurs et fermiers qui demeurent dans les villages de asnières, preslles, maffliers, monssoux,
Belloy, Baillet, Trianon, Fayel, Chauvry, Moissel et autres villages ; ajoute le déposant que ce jourd'huy, quatre
may le nommé Pierre hammelin demeurant à Nèle a monté sur des sacqs lors du marché, s'est mis à invectiver les la-
boureurs en leur disant, MESSIEURS LES LABOUREURS, VOUS NE SEREZ PLUS LES MAITRES DE VENDRE VOTRE BLED COMME VOUS
VOUDREZ, VOUS AVEZ FOULLE LE PAUVRE MONDC -ET ON VOUS qu'un officier des grenadiers royaux dont
FOULERA A VOTRE TOUR,
ilne se souvient pas du nom a arrêté sur le champ ledit hammelin et l'a remis sur le champ ès mains de (?) ... et
qu'il a été trouvé audit hammelin un pistolet bien chargé et amorcé avec du plomb et de la poudre dans ses poches.
et est ce qu'il a dit savoir lecture à lui faite de sa déposition il a dit qu'elle contenait vérité qu'il y per-
siste a requis taxe que nous lui avons faite de trois livres et a signé "
...
( cf. original de ce texte, reproduit ci - après )
DOCUMENT SUR LA GUERRE DES FARINES
J. BERNET
(1) cf. Notre étude Il Faits et hommes de la Terreur à Noyon", à paraftre prochainement dans les Mémoi-
res de la Société d'Histoire de Noyon.
(2) Conventionnel de la Somme, avocat amiénois, d'abord en mission dans la Somme, puis dont la tâche
fut étendue à l'Oise en octobre 93 ; il est surtout connu pour avoir été un des initiateurs de la
déchristianisation en France, en forçant les curés à abdiquer leurs fonctions et fermer les égli-
ses ; il eut de ce point de vue une grande influence à Compiègne, où BERTRAND en fut l'admirateur
inconditionnel et le client.
(3) Créés au printemps 93, les Comités de surveillance révolutionnaire furent profondément réorgani-
sés dans l'Oise, fin août 93, par COLLOT D'HERBOIS et ISORE, sous le nom de Comités de Salut Public
(ils reprirent peu après leur ancien nom pour éviter des confusions avec le célèbre comité de la
Convention). Formés des patriotes les plus chauds, ces Comités procédèrent surtout à la confection
des listes de suspects, dont plusieurs charrettes furent arrêtées en septembre - octobre 93, pour
être détenues dans le château de Chantilly pendant plus d'un an ; ils s'occupaient de toutes les
infractions aux lois - notamment dans le domaine économique -, délivrèrent les certificats de ci-
visme, sans lesquels ont pouvait être jugé comme suspect. Quelques comités de surveillance fonction-
nèrent dans les communes rurales du district, notamment à Pierrefonds, Arsy, Gournay/Aronde Mais
...
ces derniers n'eurent qu'un rôle très limité et peu répressif.
(4) Créé en mars 1791 le Club des Jacobins de Compiègne (Société des Amis de la Constitution) disparut
provisoirement l'année suivante ; BERTRAND le reconstitua en septembre 92 sous le nom de Société
des Amis de la République, rebaptisée Société Populaire au printemps 93 ; cette instance peuplée
de tous les leaders Jacobins locaux eut un rôle essentiel en l'an II, dans tous les domaines. Quel-
ques clubs ruraux se fondèrent également à cette époque dans le district (Pierrefonds, Antheuil-
Portes, Cuise La Motte, Rethondes, Rémy ...)
(5) cf. notre étude "Recherches sur la déchristianisation dans le district de Compiègne (1789-95)
-
Thèse de 1110 cycle de l'Université de Paris I.
sens politique, méprisant trop souvent les masses, qualifiées d' "ar-
riérées" (notamment dans le domaine religieux), contestés sur leur gau-
che par les rares sans culottes locaux et les soldats de l'armée révolu-
tionnaire parisienne (1), ces personnages incarnaient le gouvernement
révolutionnaire aux yeux de la masse ; à leur engagement politique sin-
cère se mêla trop souvent l'arrivisme, une soif et un goût du pouvoir,
qui tendirent à en faire des tyranneaux locaux, plus que de fidèles
agents d'éxécution du gouvernement révolutionnaire au service du peuple.
L'itinéraire et la position d'un BERTRAND représente assez typiquement
le Jacobinisme moyen de province, d'extraction petite bourgeoise, mélan-
ge de sincérité courageuse et d'opportunisme, d'ambition personnelle et
d'énergie, de bonne volonté comme de manque de moyens et de finesse po-
litique ; émule de l'arriviste DUMONT, le "Mirabeau Compiègnois" fit une
"belle carrière" locale de 1790 à 1794, pour sombrer dans la plus totale
impopularité à l'époque thermidorienne. Il fut en même temps une image
et une caricature du Jacobinisme, un "terroriste" plus verbal que réel,
mais dont l'itinéraire fut interrompu par les contre coups du 9 thermi-
dor, évènement qu'il avait pourtant approuvé dans un premier temps. (2)
surtout les nouvelles circonstances économiques, so-
Mais ce sont
ciales et politiques de la période thermidorienne qui précipitèrent ir-
rémédiablement la chute de BERTRAND et ses amis.
L'abandon de la Terreur, au lendemain du 9 thermidor, ramenant à
Compiègne plusieurs dizaines de suspects libérés en septembre-octobre
94, se heurta à une résistance croissante des "terroristes" locaux,
craignant des représailles ou considérant la chose comme politiquement
dangeureuse. Une très vive bataille s'engagea au sein de la Société Po-
pulaire de Compiègne, où les modérés parvinrent à prendre le bureau dès
le 23 août 94 (6 fructidor an II) ; pendant un mois le conflit fut très
aigu, les Jacobins évincés tentant même d'opérer une scission dans le
Club, autour d'une adresse "anti-modérantiste" envoyée à la Convention
début septembre ; finalement la tentative échoua ; le courant Jacobin
se désagrégea rapidement, à la suite de nombreuses défections ; le no-
yau dur des "têtes chaudes" se trouva complètement isolé et préféra
quitter le club à la fin septembre. Il s'ensuivit une situation insoli-
te : les modérés détenaient complètement le club, tandis que les admi-
nistrateurs restaient "terroristes" ; cette situation de
aux mains des
"double pouvoir" ne pouvait se prolonger ; les thermidoriens locaux ré-
clamaient à grands cris l'épuration des administrations, mais légalis-
tes, ils attendaient la venue à Compiègne du représentant en mission
PERARD pour y procéder - ce dernier n'eut pas le temps de le faire ou
ne le voulut. (3) Découragés BERTRAND et ses amis réclamaient d'ailleurs
aussi ce renouvellement des autorités, mais en attendant ils détenaient
toujours la responsabilité du pouvoir, tout en étant moralement et poli-
tiquement très affaiblis.
(1) janvier 94 un vif conflit politique et social opposa les administrations compiègnoises d'une
En
part, les officiers du détachement de soldats révolutionnaire parisien d'autre part, présents
dans le district depuis novembre 93, avant tout pour surveiller le bon acheminement des réquisi-
tions pour Paris. Qualifiés publiquement de "tas de procureurs, de muscadins, de modérés et de
feuillants" par les seconds, les premiers réussirent à faire arrêter ces turbulents militants,
devenus très impopulaires du fait de leurs propos et leurs méthodes expéditives. (cf. R. COBB,
"Les armées révolutionnaires, instrument de la Terreur dans les départements").
(2) Le 11 Thermidor, à la nouvelle des événements parisiens, les instances compiègnoises et la So-
ciété Populaire furent unanimes à approuver "la chute du tyran Robespierre et de ses infâmes
complices" - qu'ils encensaient deux jours avant 1 Mais les Jacobins se rendirent compte quelques
semaines plus tard de leur erreur d'appréciation sur la "Révolution du 9 Thermidor".
(3) cf. A.D. Oise L 4 - Délibérations de la Société Populaire de COMPIEGNE (Rg. 3)
L'assombr issement rapide de la situation alimantaire locale les
acheva. La récolte de l'été 94, sans être catastrophique, avait été pré-
coce, mais un peu déficitaire, surtout du fait des problèmes de main d'
oeuvre, dans la conjoncture de guerre. L'abandon de la terreur économi-
que précipita les choses : dès septembre se manifestaient d'inquiétants
signes de pénurie sur les marchés urbains ; les réquisitions se faisaient
de plus en plus mal dans les villages ; or le district, déjà rappelé plu-
sieurs fois à l'ordre pour ses retards en l'an II, devait d'abord livrer
prioritairement la capitale ; malgré l'envoi de commissaires dans les
campagnes, faute de forces répressives suffisantes et dans un climat nou-
veau de liberté, ces livraisons rencontraient des difficultés croissan-
tes ; comme l'on servait d'abord le "magasin de Paris", la ville se trou-
va rapidement en situation de pénurie absolue : on en conclut que l'ad-
ministration "affamait le district" et BERTRAND devint vite la tête de
turc dans cette affaire ; les modérés, qui n'avaient pu obtenir la sus-
pension des livraisons pour Paris auprès du Conventionnel ROUX (1), lais-
saient courir complaisamment le bruit, quand ils ne l'encourageaient
pas. Les grondements populaires se firent sentir dès novembre 94 : le 14
brumaire an III (4 novembre 94) une manifestation d'un "grand nombre
d'individus de tout sexe" entra "tumultueusement" dans les locaux du
district pour réclamer du pain " ... à grands cris, avec tous les ac-
cens du désespoir ..." (2). On réussit cette fois à les calmer, mais la
nouvelle du refus de suspendre les réquisitions de la capitale, fin no-
vembre, la disette aggravée en décembre par un froid exceptionnel (3), la
flambée des prix consécutive à l'abandon officiel du maximum, tout cela
accumula en deux mois une formidable colère populaire, laquelle éclata
violemment le 24 nivose an III, dans des circonstances dont le document
suivant, provenant des délibérations du district de Compiègne, nous
fournit un récit aussi vivant que détaillé.
Cette émeute provoqua la fuite de BERTRAND pour Paris ; l'agent na-
tional, dont les jours étaient sérieusement menacés, ne remettra jamais
les pieds à Compiègne, même après avoir été blanchi par l'entreprise
de DUMONT, devenu un des réacteurs les plus en vue. Au lendemain de l'
émeute, le Conventionnel DRULHE, récemment arrivés à Senlis pour y épu-
rer les administrations et calmer des troubles frumentaires croissants,
fut aussitôt prévenu : il vint à Compiègne à marches forcées et procéda,
le 18 janvier à un renouvellement complet des autorités compiègnoises,
donnant ainsi le pouvoir total aux modérés - dont beaucoup ne se sen-
taient guère chauds pour l'exercer dans de telles circonstances. (4)
Il faudra en effet attendre la récolte de 1795 pour souffler un peu :
le printemps et le début de l'été 95 connurent une situation alimentai-
re des plus dramatiques, génératrice de surmortalités effrayantes, de
nouveaux troubles, à la ville comme dans les campagnes ; ce phénomène
faillit d'ailleurs emporter complètement le régime républicain, mais
c'est là une autre affaire.
(1) Louis Félix Conventionnel de la Haute Marne, envoyé en mission dans l'Aisne et dans l'Oise
ROUX,
pour s'occuper des problèmes de subsistances. Il passa à Compiègne le 26 Novembre, mais refusa
de suspendre les réquisitions du district pour Paris comme de modifier les administrations. (A.D.
Oise L 2 - délib. dist. Cpgne)
(2) Même source 4 novembre 94
-
(3) L'hiver 94-95 fut si froid que les rivières gelèrent, ce qui fit arrêter l'activité des moulins
;
à la faim s'ajouta le problème de trouver des moyens de chauffage ; on pilla
encore plus la fo-
rêt de Compiègne ; l'on mourut souvent de froid autant que de faim.
(4) cf., reproduite en annexe à cet article, l'affiche de DRULHE annonçant le renouvellement des épu-
rations compiègnoises. Le drapier HERBET, personnage effacé, qui était agent national de la com-
mune de Compiègne, remplaça BERTRAND au district ; DEVISME, suspect libéré, prit la place du mai-
re de Compiègne SCELLIER. Toutefois l'éclipsé de gens comme MOSNIER, SCELLIER, CHAMBON ... fut de
courte durée.
AU NOM DE LA
ARRÊTÉ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
Bauoa.
m il—— — -— g'i dans lews frnettonu
NO IA F LES. —a————
Millet Linci^r ie.
1 s SA 1RE
-
-
Alix Fils. Lemaire, Chaudcronnier.
C ,) '\'1 H N AT / Q N A L.
Carlier, de Compiegne. Louis-André POULAIN.
HlaiE T,Agent National.
Cardon Pere, Plâtrier.
Guyot
*
(1) J.O. CANIS, agent de la commission des approvisionnements de la République, résidant a Compie-
gne pour surveiller les réquisitions destinées a la capitale.
2) Il sera
envoyé un autre commissaire près les comités de salut
public et de sûreté générale pour les instruire de ce qui s 'est passé ;
à ce commissaire se joindra un des deux envoyés à Senlis ; d'où il
résulte qu'il n'en reviendra qu'un seul de Senlis à ici avec le repré-
sentant 3
3) Les commissaires pour Senlis sont les citoyens Millet et Desmou-
lins s
4) Le commissaire pour Paris est le citoyen Lefebvre auquel s'ad-
joindra led. Desmoulin3
commissaires n 'oublieront aucun des évènements du jours ci-
5) Les
teront le prix excessif auquel le pain se vend ici et ils développeront
tous les moyens qui sont en leur pouvoir pour tirer le district de Com-
piègne de la crise affreuse où il se trouve.
réserve le conseil des autorités réunies de prendre de nouvelles
Se
mesures3 s'il est nécessaire et toutes autres que nécessiteront les
circonstances dans la séance de demain neuf heures du matin3 et ont si-
gné
,
BICHERON DESMAREST, GUYOT, LOY3 LAMBIN3 DEMEAUX3 QUINQUET3 HERBET,
3
NORMAND, BERTIN3 POSSOZ3 MESNARD3 MOTTET, QUINQUET3 HENNEQUIN3 HAMEL,
r?;, (?). "
Revue trimestrielle de la SOCIETE D'HISTOIRE MODERNE & CONTEMPORAINE DE COMPIEGNE, affiliée à la Société
des Etudes Robespierristes & à la Fédération des Sociétés savantes de Paris & l'Ile de France.
Les N°s 1 à 9 de la revue ( Janvier 1978 à janvier 1980 ) sont totalement épuisés.
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+ N° 10
- avril 1980 : GOURNAY / ARONDE ( XVlo
- XVIII" - XXO )
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+ N° 11
( N' presque épuisé )
DE
...
15 F
+ N° 12 spécial - octobre 1980 : PATRIMOINE (II) : LES ORGUES DE COMPIEGNE ET DE SA REGION 102 p. offset
-
12 pl. photos H.T. 20 F ( envoi franco 25 F )
-
+ N° 13
- janvier 1981 : LUTTES SOCIALES ET MOUVEMENT OUVRIER EN PICARDIE
- XVIIIe - XXO
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Un exemple de racisme religieux
l'affaire d'incendie de Crevecœur
été 1790 J.Bernet
Nous avons déjàl'occasion de souligner, dans la rubrique archivistique
eu
de notre revue la richesse exceptionnelle de la série L ( administration de
l'époque révolutionnaire ) des Archives départementales de l'Oise. (1). Une
bonne nouvelle à son propos : ce riche fondées! enfin en cours de classement
définitif, ce qui permettra d'en utiliser vraiment toutes les possibilités.
Or dans cette vaste série, une des sources les plus fondamentales, permettant
d'avoir une vue d'ensemble des faits révolutionnaires dans notre département,
est constituée par la succession des registres de délibérations de l'adminis-
tration du département de l'Oise ( Conseil et Directoire ) (2) ; ces volumes,
fort bien tenus, d'une lecture aisée - on leur avait même adjoint à l'époque
un répertoire alphabétique par matières - couvrent toute la période révolution-
naire du printemps de 1790 à la fin du Directoire. S'ils ont été maintes fois
compulsés et exploités par les historiens locaux et nationaux, ils n'en recè-
lent pas moins une foule de richesses inédites, qui feront encore longtemps
les beaux jours des amateurs ( et professionnels ) de l'histoire ; soulignons
que cette source capitale, complétée par les registres de délibérations et pa-
piers des 9 districts oisiens de l'époque, permet bien souvent de compenser
les pertes nombreuses et irrémédiables que l'on a trop souvent dans les déli-
bérations des communes pour la même période.
C'est justement en compulsant ces registres que nous avons fait maintes dé-
couvertes passionnantes : nous voudrions ici en faire connaître une parmi d'
autres. Il s'agit au départ d'une anecdote, d'un fait divers assez courant
pour l'époque, puisqu'il s'agit d'un incendie dans une petite ville - mais l'
affaire eut un prolongement particulièrement révélateur aux plans idéologique
et politique : le sinistre survint en juillet 1790 à Crévecoeur le Grand, bourg
situé au Nord Ouest du département, alors dans le district de Grandvilliers.
Les incendies étaient fréquents à l'époque, souvent destructeurs et fort diffi-
ciles à combattre, dans des petites villes aux maisons serrées, faites de bois
et de torchis, couvertes de chaume - et l'on n'avait guère de moyens efficaces
pour les maitriser. L'étude des incendies peut d'ailleurs fournir.des pistes
intéressantes pour la connaissance de l'habitat et de l'urbanisme anciens (3),
sans compter des indications à caractère plus social, voire politique, dans la
mesure où certains d'entre eux avaient pour origine des vengeances : on peut en
citer un exemple notoire dans le district de Compiègne sous la Révolution fran-
çaise avec l'incendie probablement volontaire de la grosse ferme de Portes sur
le territoire de la commune d'Antheuil, au printemps de 1794. (4)
Mais l'affaire de l'incendie de Crévecoeur est intéressante à un autre titre,
puisqu'elle fut l'occasion d'une explosion de haine populaire à l'encontre d'
un habitant du village, dans la maison duquel le feu avait eu le malheur de
prendre, mais qui surtout, servit de bouc émissaire à la population - et à la
Municipalité du lieu qui emboita le pas - pour des raisons religieuses ; en ef-
fet le malheureux Jean DOUDEL avait non seulement perdu tous ses biens dans le
sinistre, mais il était aussi un "NON CATHOLIQUE" - le plus probablement un
protestant - et de ce fait vit monter contre lui une grave cabale illustrant de
manière flagrante la méfiance, l'ostracisme, pour ne pas dire le racisme popu-
laire à l'égard des minorités religieuses.
(1) cf. la rubrique archivistique du N° 6 de la revue ( printemps 1979 ).
(2) La réforme administrative de 1790 ayant créé les départements & les districts, en avait confié la direction
à des Conseils élus au suffrage censitaire - la décentralisation au profit des notables - qui tenaient au
moins deux sessions par an, et dans l'intervalle desquelles siégeait un Directoire, formé d'une bureau et d'
administrateurs charqés de la qestion des affaires courantes.
(3) Signalons la prochaine parution au CDDP Oise d'une étude d'A.J.M. BERNARD sur l'habitat traditionnel dans
l'Oise, s'appuyant notamment sur des indications fournies par les dossiers " incendies".
(4) L'enquête du district, sur t'ordre du Comité de Sûreté Générale, fit soupçonner des salariés agricoles.
Il est très significatif que dans cette affaire, survint un conflit entre l'
administration du département de l'Oise, formée d'une élite sociale fusionnant
aristocratie éclairée et bourgeoisie urbaine, d'une part, et la municipalité de
Crévecoeur, reflétant le point de vue d'une grande partie des habitants, d'au-
tre part, conflit où la première adopta contre la seconde le parti de la tolé-
rance. (1)
Ceci corrobore en effet les indications fournies en ce domaine par les ca-
hiers de doléances de 1789 dans nos régions : ceux de la noblesse libérale et
de la bourgeoisie intellectuelle prônent bien plus volontiers la tolérance reli-
gieuse et la liberté de conscience que les textes émanant des milieux populai-
res, particulier les communautés rurales. Nous en avons des exemples très
en
probants dans le bailliage de Clermont en Beauvaisis. (2)
Il s'agit là d'un paradoxe apparent, incompréhensible si l'on ne fait pas
l'effort d'appréhender la réalité et la signification profondes du catholicis-
me dans les milieux populaires, surtout ruraux, à la fin de l'Ancien Régime.
Une conception et une pratique religieuses intimement liées à la vie quotidien-
ne, représentant d'abord un ciment idéologique et pratique de la communauté,
une sorte de sécurité en même temps que le moyen de conforter et perpétuer un
mode de vie ancestral ; d'où la méfiance, à caractère souvent social, à l'égard
de toute forme de marginalité religieuse - ou autre. Il est à cet égard révéla-
teur que la Municipalité de Crévecoeur ait pris en l'occurrence un arrété ( il-
légal ) BANNISSANT de la cité le nommé DOUDEL. En revanche il est assez logique
qu'une fraction des élites cultivées - aristocratique ou bourgeoise - dégagée
des soucis quotidiens qui étaient le lot des classes populaires, libérée de
cette mentalité refermée sur elle même, dont la masse était prisonnière, se
soit, en quelque sorte payé le luxe de la tolérance, sensible à la propagande
des philosophes du XVIII° siècle. Il convient toutefois de ne pas généraliser
ce point de vue à toutes les catégories de la classe dominante du système mo-
narcho-féodal de la fin de l'Ancien Régime. (3)
Mais ne nous y trompons pas ; il serait facile de regarder de haut la menta-
lité "arriérée", conservatrice, traditionnelle des éléments populaires au XVIII°
siècle, notamment en matière religieuse ; il convient en effet d'abord de s'in-
terroger sur ses causes profondes, son sens historique, d'une part ; d'autre
part l'on pourrait s'interroger sur le résultat de sondages récents, notamment
à propos du vote éventuel des travailleurs étrangers en France : ne retrouve-
t-on pas les mêmes formes d'ostracisme dans des milieux plus populaires, et
pourquoi ? Ceci invite à la reflexion, surtout lorsque l'on songe que la Révo-
lution française, ignorant la notion de "citoyenneté", permit à des étrangers
réfugiés en France de participer entièrement à la vie politique, et même que
les électeurs de l'Oise envoyèrent à la Convention en septembre 1792 l'Améri-
cain Thomas PAYNE et l'Allemand Anacharsis CLOOTS comme leurs députés.
(1) Le premier Président de l'administration du département de l'Oise, élu en 1790, fut le jeune Louis Xavier
Stanislas de GIRARDIN, Seigneur d'Ermenonville, qui avait été ami de JJ. ROUSSEAU.
(2) On peut citer, pour le premier type de cahiers, celui de la noblesse du bailliage de Clermont, dont la
rédaction fut d'ailleurs très influencée par la forte personnalité du Duc de Liancourt, prototype d'aristo-
crate libéral, qui fut élu député de son ordre pour le bailliage ; on peut en effet y lire cet article :
" La noblesse, persuadée que la différence des opinions religieuses ne doit jamais désunir les hommes,
...
pourvu que la morale et les principes sociaux soient les mêmes, croit devoir demander qu'il soit donné plus
d'étendue à la loi en faveur des non-catholiques, & que l'on assure entièrement leur état civil en les as-
similant aux autres citoyens... " ; en revanche le cahier de la communauté rurale de Villers St Sépulchre,
village situé près de Clermont écrit : " ... Que le Roi sera très humblement supplié de maintenir et protéger
la religion catholique, apostolique et romaine, comme devant être la seule et unique dominante en France. "
( Arch. Dep. de l'Oise Beauvais Série B. Cahiers de doléances de 1789, bailliage de Clermont )
- -
C3N C'était évidemment un point de vue tout à fait différent dans toute une partie de l'aristocratie tradi-
t'onnellé et en particulier dans le haut Clergé ; on peut citer à titre d'exemple, à partir de la même source,
le cahier du Clergé de Clermont, dont la rédaction a été très influencée par l'évèque de Beauvais, LA ROCHE-
FOUCAULT BAYERS, prélat aristocratique, qui fut aussi élu
- de justesee - député de son ordre ; on trouve en
effet, dans un Nota Bene des " instructions au député " le passage suivant : " de pétition aux E-
... en cas
tats Généraux de l'extension de l'Etat en faveur des non catholiques, il s'oppose, au nom de ses commettants,
à tout ce qui pourrait à cet égard être fait au préjudice de la religion "
...
DENONCIATION DE LA MUNICIPALITE DE CREVECOEUR A L PASSEMBLEE NATIONALE
Messieurs,
"
Un incendie considérable vient de détruire une partie du bourg de Crevecoeur.
Le feu a pris dans la maison du nommé Jean DOUDEL, non catholique. L'infortuné
particulier a tout perdu, il a été en plus jetté dans un cachot les fers aux
pieds et aux mains par ordonnance de la Municipalité de Crevecoeur sur le rap-
port verbal d'un garde messier qui a dit que Doudel avait passé avec une voi-
ture à travers champs. Le lendemain de cet emprisonnement et après son interro-
gation, autre ordonnance de la Municipalité qui condamne de nouveau le même
Doudel à garder la prison pendant huit jours, malgré ses offres de payer les
dommages et intérests qui pourraient être dûs. Il s'est pourvu au Bailliage de
Beauvais et il a obtenu son élargissement provisoire. La sentence a été signée
et la Municipalité n'en a tenu aucun compte. Le bailliage informé du mépris
que la Municipalité de Crevecoeur faisait de la sentence, a envoyé main forte
pour la faire exécuter, mais dans le laps de temps qui s 'est écoulé depuis la
première signiffication de l'élargissement provisoire, la Municipalité, en ver-
tu d'une autre ordonnance ou délibération rendue, cependant la seconde dont
nous venons de parler avait déjà disposé de juger Dondel en le bannissant à
perpétuité de Crévecoeur et en déclarant ses biens meubles et immeubles acquis
et confisqués au profit des incendiés.
On peut assurer que la Municipalité de Crévecoeur ne fait pas un pas qu'elle
ne s 'égare, un des fils Dondel après s'être inutilement présenté au greffe de
la Municipalité pour avoir une copie en forme de la délibération, dont il vou-
lait appeler et qui lui a été refusée, a retiré un des placards affichés de la
délibération, pour le produire au bailliage de Beauvais. Il a été sur le champ
appréhendé au corps et enfermé dans le même cachot que son père venait de quit-
ter.
On ne le plus ou de la facilité avec laquelle la
sait lequel doit frapper
Municipalité de Crévecoeur donne des ordres pour emprisonner ses concitoyens,
ou de celle avec laquelle elle trouve des personnes pour faire éxécuter de pa-
reils ordres. Il n'est pas hors de propos de remarquer, 1° que ce n'étoit pas
Jean Doudel père, mais l'un de ses fils qui a passé avec sa charette,à travers
les grains désignant un chemin étroit qui ne doit pas être de passage aux voi-
tures, qui ny pouvaient passer sans endommager les grains qui le bordaient d'
un et d'autre, 2° enfin que la seconde ordonnance, celle en vertu de laquelle
Jean Doudel a été banni, ne parle pas du passage à travers les grains, mais de
l'incendie.
Jean Doudel n'ignore pas qu'il est en but aux soupçons de quelques personnnes,
mais il assure que beaucoup d'autres témoins des commencemens de l'incendie lui
rendent plus de justice et attestent qu'il a été éveillé par des personnes ac-
courues au feu, lorsque les flammes avaient déjà consumé plus de la moitié de
ses bâtiments, que seul peut être de tous les incendiés, il n'a rien sauvé, bes-
tiaux, grains, meubles et bâtiment, tout a périt.
Dans cette conduite dénaturée d'une administration envers ses commettants,
le Directoire du département de l'Oise, voit un abus d'autorité, tel qu'il en
existe à peine d'exemple dans les tems les plus renommés pour la tyrannie du
despotisme, il croiroit qu'il seroit juste qu'il seroit instant de destituer
,
une Municipalité que ses pouvoirs ont pervertie et de donner aux habitants de
Crévecoeur des administrateurs qui soient leurs pères et non leurs oppresseurs.
Il croirait que la garde nationale de ce bourg mériteroit une égale réforme, au
moins de ses chefs, mais pénétré de la haute sagesse de l'auguste assemblée, à
laquelle il reporte cette affaire il se borne à dénoncer les faits et à faire
passer les actes qui en fournissent la preuve. "
EXÉCUTION DE PRUNIER Cinq heures et demie sonnent, et, au 'tin-
tement de l'horloge, répond celui d'une
A BEALVAW cloche argentine. C'est la cloche de la prison,
située à deux cents mètres de là. On va dire
la messe au condamné à mort.
Il est cinq heures du matin. Le temps est Prunier ne sait rien du sort qui l'attend.
sec mais glacial. La nuit est sombre, malgré La. situation de Martin et d'Hinard est assez
les innombrables étoiles dont la lueur vive curieuse. Chacun d'eux a été averti par son
scintille au ciel. De tous côtés, à travers les défenseur que deux des condamnés sont gra-
rues, des piétons se dirigent vers la place du ciés et sait qu'il fait partie de ces deux ; mais
Franc-Marché, où doit avoir lieu 1 exécution il ignore qui est le second. Aussi lorsque,
du condamné Prunier. extraits de leurs cettutcs, les trois condamnés
Sur la place, deux mille personnes sont arrivent à l'église, revêtus de la camisole de
déjà rangées autour de l'échafaud, qu achè- force, il se regardent en dessous, comme pour
le nouvel exécuteur, M. Dei- lire sur la ligure les uns des autres le H01U
vent de dresser de
bler et ses aides. Quelques hommes troupe de celui que la grâce n'a pas atteint.
et une dizaine de sergents de ville, comman- La messe est dite par l'aumônier de la
dés par le commissaire central, M. Plemdoux, prison, Mgr Claverie, protonotaire aposto-
tiennent les curieux à distance. Au milieu lique, neveu de Mgr Gignoux, autrefois
du cercle, les lanternes des aides qui vont et évêque de Beauvais. L'évêque actuel, Mgr
viennent, terminant leurs lugubres prépara- Hasley, > assiste.
tifs, semblent de loin autant de feux follets A la fin de l'officié, M. Demange, gar-
en promenade. dien chef de la prison, agissant aux heu et
Voilà quinze jours déjà que les curieux, place de M. Boisard, directeur, retenu à
lasser, reviennent chaque nuit a la Clermont par son service, se rend dans la
Uns se cellule de Prunier.
môme place. lis espéraient d'abord la triple m'avez promis d'avoir du cou-
Vous
exécution de Martin, dHluard et de Prunier, —
Ils sa vent maintenant que les deux premiers rage, Prunier, lui dit-il. Eh bien, le moment
ont eu leur peine commuée. Maison de plus i*t venu...
pour ne pas manquer Prunier. Aussi, la — Ah c'est pour aujourd'hui y demanda
!
tions à minute..
Evrard lui tâte le pouls et constate 8-1 pulsa-
Cependant, la toilette est terminée. Le col
armée.
Le fourgon entre dans le cerJe. L'aumô-
nier et le condamné descendent. Ils s'arrê-
de la chemise du condamné vient de sauter tent ,i un mètre de la bascule. Deibler s'ap-
sons les ciseaux d'un aide. On présente à proche pour s'emparer de son patient. Mais
l'exécuteur le registre d écrou. non, Mgr Ciaverie n'a pas fini. Il continue à
En face du nom Théolïme Prunier, âge de exhorter à la résignation le condamné, qui
vingt-trois ans, etc., le greffier vient d'écrire tressaille et commence à s'enener.
la mention suivante : Celte scène se prolonge pcnihU'mpnt. Nous
Kemis à Deibler, exécuteur des hautes-œuvres, dirons noire montre. Une, deux, trois mi-
le 13 novembre, a (j h. nutes s't"cuult'nl..... Jamais nous n'avons vu
pareil intervutic entre la descente du four-
L't'\t''('uteur prend plume et signe avec
gon et la chute du couteau.
1:.1
pelle du cimetière. Bien que le supplicié eût veloppes : altération due certainement à l'al-
coolisme. Prunier avait dit en effet à son
rendu relativement peu de sang, quelques défenseur* « pour avoir cela, il fWtoit
gouttes perlaient encore aux carotides. que je soye bien saoul !9 et à M. le docteur
Mien que le cou lut très court, la section Evrard : « Depuis quelque temps, je buvais
avan, consiatous-le, eié très nettement faite. de l'eau-de-vie et de l'absinthe. Le jour de la
Le couteau avait passe, cotre le maxillaire
in- fête, j'avais bu beaucoup, et je me disais :
térieur et la peau LIU menton, qui restait il n'y a pas à dire, faut que je fasse un
pendante au cou. coup! i
Eh bien, pincée, piquée avec des aiguilles, Etait-ce donc un fou que cet homme qu'on
soumise aux expériences les Plus doulou- a guillotiné, tandis qu'on a gracié quatre
reuses, cette tête n'a pas bougé, la face est autres criminels raisonnables et raisonnant?
restée impassible, pas un muscle n'a tres- A neuf heures, on a jeté pèlc-Inêle dans
sailli. On a calciné entièrement l'oreille gau- une fosse creusée dans un coin réservé aux
che à la flamme d'une bougie sans obtenir suppliciés les restes sanglantset morcelés du
la moindre apparence de sensibilité. misérable... Il a été mis là, sans bière, sans
Uri a alors fendu en quatre la peau du rien.
crflne, on a enlevé avec le marteau, le scal- Contraste qu'on croirait ne trouver que
pel et la scie, la partie supérieure de la botte dans les romans : Taudis que, dans ce cime-
osseuse; on a retiré le cerveau. Cela a pris tière, sur une pierre tombale, transformée
dix bonnes minutes. Soumis à la pile élec-
trique, ce reste de tête a éprouvé des con- eu dalle d'anatomie, nous élions là huit ou
dix à examiner ces morceaux de chair hu-
tractions nerveuses. Les dents ont claqué, la maine... le soleil brillait clair et joyeux, et
bouche s'est refermée. L'œil et la joue ont
fait ces grimaces qu'on peut observeriez les petits oiseaux perchés dans les cyprès
les gens qui dorment et qu'on chatouille chantaient au dessus de nos tôles.
GEOHGKS GRISOU.
avec une barbe de plume.
POCRTBaNCH
54
L'article qui précède est paru le ma. 18 nov. 1879 dans le n°108 du
bihebdomadaire L'ECHO DE L'OISE, édité à Compiègne. Je suis tombé dessus
alors que j'effectuais quelques recherches sur l'histoire de Pierrefonds,
son château et ses bains, la construction de sa ligne de ch. de fer, pour
un n° des A.H.C. consacré au patrimoine. Cet article, pour le moins, tran-
chait avec les nouvelles locales que je dépouillais : par son contenu bien
sûr, mais aussi par le soin apporté à sa rédaction, et par le fait qu'il
était signé.
Dans les journaux locaux de l'époque, et dans l'E.d.O., on compilait,
voire recopiait la presse parisienne pour les informations nationales, et
le directeur, aidé d'un ou deux collaborateurs, rédigeait entièrement les
nouvelles locales. Aussi n'étaient signés que les prises de position des
notables au moment des élections, et parfois, pendant l'été, un récit de
promenade obtenu d'un "homme de lettres parisien" venu prendre l'air de
nos forêts.
;
Georges Grison n'était sûrement pas écrivain c'était plus probable-
ment l'un des chroniqueurs judiciaires alimentant les journaux de l'Oise.
Seulement, pour une fois, il donne à son intervention un cadre explicite-
ment littéraire : voir son prologue sur le ciel étoilé et son final sur
"le soleil clair et joyeux, les petits oiseaux au-dessus de nos têtes".
Ces petites notations, "qu'on croirait ne trouver que dans les romans",
comme les dialogues rapportés, les remarques sur Deibler et quantité d'au-
tres "détails vrais", sont absents du bref compte-rendu, présenté pudique-
ment comme venant d'un témoin, que publie l'E.d.O. dès le v. 14 nov., lende-
main de l'exécution. Le plan, toutefois, et l'esprit des deux versions
sont identiques. L'auteur est émù d'assister à "l'horrible spectacle",
jusqu'à s'apitoyer sur le sort du "misérable", mais "Prunier avait payé
sa dette à la justice des hommes", précise le premier article.
Grison ne militant visiblement pas contre la peine de mort (moi non
plus), on peut alors se demander pourquoi il passé son week end à rédiger
un second récit, tout à fait dans le style d'une nouvelle populo-réaliste,
avec son décor bien planté, ses personnages portraiturés, ses petites re-
marques d'auteur. Car l'affaire, dont cette exécution est le dénouement,
n'avait rien qui eut pu la rendre retentissante : un crime plutôt banal
pour l'époque, un procès pour ainsi dire sans histoire.
Prunier est l'exemple même du pauvre type, affreusement fruste. Ses
emportements d'alcoolique l'avaient fait renvoyer maintes fois. Le 2 juil-
let 187 9 il était employé depuis 2 mois comme charretier par le meunier de
Trye-la-Ville, près de Gisors. Ce dimanche-là, c'est la fête du village ;
Prunier passe évidemment la journée au cabaret. Vers 19 h. il revient au
moulin pour tourner autour de la petite bonne mais "la dame Jobin", belle-
mère du patron, est également là ; il repart furieux. A 21 h. il revient,
et se dirige vers l'écurie où la dame Jobin le suit, craignant, vu son
état, qu'il ne se fasse blesser par les chevaux. Il répond à ses répriman-
des en l'assomant de plusieurs coups de bâton et la viole alors par 2 fois.
Ensuite, il la transporte agonisantejusquà la rivière et la noie. Il s'é-
loigne, va jusqu'au moulin, mais revient, sort le cadavre de l'eau, et à
nouveau le viole. Puis il rentre chez ses parents où il s'effondre de
sommeil.
procès a lieu un mois et demi plus tard, le Il sept. 1879, en fin
Le
d'a.m. L'E.d.O. en rend compte le 16 sept. Hinard a été comdamné à mort le
matin pour tentative (plutôt incestueuse) de meurtre ; Martin, pour crime
crapuleux, le sera le sam. suivant. Onze crimes capitaux sont inscrits à
la session. Le 11 sept. à 17 h. "un bourdonnement joyeux emplit la salle".
En 2 h. l'accusé est interrogé, les témoins entendus. Suspension de séance
pour dlner, réquisitoire, plaidoirie, 10 mn de délibération, et à 22 h 30
tout est terminé. Simple formalité que ce procès !
Le déroulement de l'exécution, plus grandiose, n'est pas moins proto-
colaire. Toilette du condamné, dernière verre, présence jusqu'au bout de
l'aumônier, place grouillante de monde font partie du cérémonial maintes
fois décrit : relire Hugo ou cet épisode de FANTOMAS dans lequel officie
le Deibler, ou encore, plus proche de nous, LA VEUVE de Claude Hodin.
même
Avec ses épisodes aussi exceptionnels qu'inscr itsau programme, sordides
autant que solennels, le sujet est trop beau pour que, dès le XIXe s., le
roman-feuilleton puis la nouvelle fantastico-réaliste ne s'en soient empa-
ré. La guillotine appartient à la tradition littéraire nationale, et ce
n'est pas le témoignage de Grison, aussi vériste soit-il, qui la renouvel-
le : il ne nous apprend rien.
le corps des suppliciés sont
Les expériences médicales pratiquées sur
presque aussi connues. Elles sont en tout cas d'usage, voire de droit, cela
depuis longtemps, et peut-être encore à ce jour. Qu'on se reporte simple-
ment aux "leçons d'anatomie" du XVIIe s. hollandais, notamment à celles
qu'à peintes Rembrandt (1632 et 1656). Elles avaient lieu chaque hiver, sur
le cadavre resté frais d'un condamné, dans une salle publique prévue à cet
effet, le Theatrum Anatomicum à Amsterdam, dont le billet d'entrée coûtait
35 centimes.
qui surprend et fait de prime abord tout l'intérêt du texte de
Ce
Georges Grison est cette description dans la foulée de l'exécution elle-
même et des expériences médicales qui s'ensuivent. La question à laquelle
ces dernières prétendent répondre invite certes à les relier, et l'autopsie
du cerveau incite le narrateur-témoin à s'interroger en retour sur le bien-
fondé de cette exécution précise. Mais ce n'est pas suffisant pour justifier
la forme littéraire ni le ton adoptés.
Au-delà de la vérité anecdÓtique des faits rapportés, un logique tex-
tuelle ressort de cet article qui oblige au moins autant le récit à aller
jusqu'au bout. Cette logique repose sur les stéréotypes implacables de
l'époque : des manies, symptômes idéologiques qui ne s'apaisent qu'à force
d'être grattés en cachette, insidieusement. Ainsi le mépris sous-jacent de
l'auteur pour le plaisir pris par la foule à ce spectacle a-t-il pour corol-
laire, et contre-poids, son admiration déclarée pour MM. les docteurs. Le
petit bricolage auquel ceux-ci se livrent avec leur bougie, leur scie, leur
pile électrique, est pourtant révélateur des colifichets scientistes que la
2e moitié du XIXe s. a tellement adorés, au point de partir en croisade
colonialiste pour les répandre sous l'étiquette "civilisation" t... La scien-
:
ce, toujours est-il, apporte au texte de Georges Grison ce supplément d'âme
après lequel il court c'est Homais, autre face de la Bovary.
Depuis le début en effet, les clichés littéraires, et la corde sensible
qu'en amateur Grison ne sait réprimer, accentuent tout naturellement, sans
même y penser, la tonalité religieuse de la cérémonie. Ce sont-les notations
très romantiques sur la beauté du ciel, cette remarque peu utile au récit
sur les portes de la prison qui "s'ouvrent et laissent voir le grand sémi-
naire qui est en face", quatre paragraphes palpitants sur les exhortations
ultimes de l'aumônier qui se prolongent à en devenir apocalyptiques : "une
minute... soixante siècles", et pour finir, devant la petite chapelle du
cimetière, ce cerveau hypertrophié dont la révélation (mais très scientifi-
que) met fin au supplice par un coup de la grâce (si je puis dire) qui avait
oublié le condamné Prunier. C'est là, sur une pierre tombale transformée en
dalle d'anatomie, qu'a lieu le vrai procès : un jugement dernier où, pour
sa seule gloire, la Science rachète le criminel, en son corps !
L'auteur se croit simplement charitable, mais ses effets littéraires,
1 ' entraînent insensiblement, hypnotisé qu'il est par ces stéréotypes, sur
la pente d'une vérité qu'il ignore et qui dépasse de beaucoup le modeste
cas Prunier : l'exécution capitale n'est qu'an sacrifice que la société ac-
complit rituellement au nom de ses propres mythes. C' est pourquoi dans le
récit de Georges Grison le supplice n'a de fin, le calice n'est bu jusqu'à
l'hallali, que losque la science et ses chiens savants se jettent sur le
corps qui leur est offert pour le dépecer puis laisser entendre qu'on a
peut-être exagéré. Il fallait établir que la dette envers la société avait
été un peu trop chèrement payée : le sacrifice suppose un minimum de perte,
sinon : inutile d'en parler Pourquoi Georges Grison aurait-il passé son
!
(1) Ouvrage dans lequel le colonel de Gaulle préconisait la constitution de grandes unités blin-
dées (1934).
Le Beauvaisis en crise
(1) Mais R. Pimienta compare ici des régions de dimensions inégales. Si son raisonnement est juste,
dans la mesure où iltémoigne d'un rétrécissement effectif de l'influence de Beauvais, l'oppo-
sition des chiffres tend à exagérer le déclin de la population. Nous avons abordé nous-même
ces problèmes de délimitation du Beauvaisis, mais pour le XVIIIème siècle. Les limites que nous
avons retenues (297 paroisses de 1750 correspondant à 303 communes de 1960 couvrant 248.505 ha)
sont très proches de celles qui sont indiquées pour 1830, ce qui n'a rien que de très naturel,
puisque c'est après l'établissement des chemins de fer que se sont produites les transformations
décisives. Voici ce que donnent pour le même territoire les résultats des recensements exploités
par R. Pimienta, titre
avec, à de comparaison, ceux de 1975 :
-
-
1831 : 173.912 habitants dont 15.700 environ )
1931 ' 167.166 habitants dont 27.000 environ
i; pour Beauvais
D ..
et ses faubourgs
Robert Pimienta
Agrégé d'Histoire et Géographie
Professeur au Lycée Félix Faure
(1) J. Schmidt, député maire de Crèvecoeur, et, sans doute, Raoul Aubaud, élu de la 2eme circons-
cription de Beauvais.
+ Le livre vivant de Compiègne au début du XXe siècle : 60 F
Edité dans le cadre de l'année du Patrimoine, avec le concours des Séries de Compiègne, cet
important ouvrage, dont une suite doit être publiée, est le fruit du patient et méticuleux travail de
M. Louis DUQUESNAY qui,
avec la Sauvegarde de Compiègne, a accumulé et mis en forme de nombreux témoi-
gnages de vieux Compiègnois. Il
s'agit donc de ce que l'on appelle aujourd'hui de l'histoire orale,
dont les matériaux constituent des contributions inégales mais toujours intéressantes pour reconsti-
tuer un passé dont le souvenir sera bientôt effacé. Cette entreprise était donc urgente et utile et 1'
on ne peut qu'en féliciter
ses promoteurs.
Ces témoignages évoquent le début de ce siècle et la guerre 14-18, c'est-à-dire cette époque
qui ne fut belle qu'au regard des suivantes et qui a avant tout pour elle l'attrait de rappeler leur
jeunesse aux personnes interrogées. Le choix de celles-ci conditionne évidemment en grande partie le
contenu des souvenirs et la vision historique de cette époque : l'enquêteur s'est efforcé de diversi-
fier les témoins, mais n'a pu éviter de privilégier les notables locaux, ayant bénéficié d'une plus
grande longévité ou plus faciles à contacter. On pourra aussi trouver que l'ouvrage laisse une trop
grande place aux anecdotes - certaines étant d'ailleurs très significatives - et offre de ce fait une
vision particulière des événements ou de la société au début du siècle ; en fait ne s'agit pas il
vraiment d'une étude historique rigoureuse, mais d'une série de visions partielles, voire partiales,
qu'il reste nécessaire de confronter avec d'autres types d'études faites avec recul et souci de globa-
lité historique ; mais ces témoignages, lus avec esprit critique, bien sûr, n'en sont pas moins suscep-
tibles de colorer, d'humaniser notre vision "objective" de cette époque. En cela ils nous sont pré-
cieux.
Ajoutons que l'ouvrage, fort bien présenté, est muni de tout un appareil iconographique (photos
anciennes, provenant souvent de collections particulières, dessins dus au talent graphique de Monsieur
DUQUESNAY). Il intéressera bien
sur, d'abord les Compiègnois, qui ont répondu d'ailleurs massivement
à l'appel de souscription pour cet ouvrage, mais aussi ceux qui s'intéressent à l'histoire de la socié-
té française contemporaine.
Exploitant le fruit de ses vastes recherches et mettant à profit sa très riche collection de
cartes postales, M. TOURNEBIZE a réalisé cette petite plaquette qui retrace, brièvement, dessins et
photos à l'appui, l'histoire de ce pont stratégique reliant les deux rives du bassin creillois. Une
lecture bien agréable et de fort intéressants documents, dont on peut seulement regretter qu'ils n'
aient pas été tramés pour la reproduction offset. Problème, hélas, de finances, que nous connaissons
bien !
Il s'agit là
encore d'une publication liée à l'année du Patrimoine, encouragée par les Séries
de Compiègne. Reprenant une idée qui a déjà été appliquée l'an passé avec le sentier du Mont Saint-
Pierre en forêt de Compiègne, ce document propose un itinéraire pédestre, escaladant le Mont Ganelon,
au dessus du très joli village de Clairoix situé sur l'Oise, en amont de Compiègne. Les fiches propo-
sent une série de points d'observation en mettant l'accent sur divers aspects historiques, géographi-
ques et économiques ; de fait le Mont Ganelon est un lieu privilégié pour les géologues, les
archéolo-
gues et les historiens ; il
permet d'autre part de belles vues du confluent de l'Aisne et de l'Oise,
de la zone industrielle et de l'agglomération compiègnoise, excellent moyen d'apprécier concrètement
les problèmes d'aménagement du territoire.
+ L'archéologie industrielle en France :
N* 1 : article-
méthodologique de M. M.DAUMAS (mars 76)
N° 2 : quelques problèmes de méthodes ; les manufactures royales (M.DAUMAS) (avril 1977)
N* 3 : l'histpire non écrite ; les fours à chaux de Cruas (M.DAUMAS) (mars 1978)
N° 4 : présentation du CILAC ; colloque d'archéologie industrielle de Bordeaux (avril 1979) (M.DAUMAS)
(Sept. 1978)
N° 5 ' l'archéologie du monde moderne et contemporain. à l'Université de Paris - Sorbonne ; le moulin
Cordier de Béziers (M.DAUMAS) (mars 79)
N* 6 : Colloque d'archéo. indus. de Caen (avril 80) ; le musée de la mine de Littry ; enquête sur l'uti-
lisation de la force hydraulique du Thérain (Oise) (J.CARTIER) (déc. 1979)
N° 7 : - les anciennes installations de pompage du service des eaux de la ville de Paris. (P.BEGUINOT) -
Colloque d'archéo. indus. de Perpignan (avril 81) (décembre 1980)
Outre les rubriques habituelles concernant les activités de l'Eco-Musée du Creusot, ce N° contient
surtout un copieux dossier à la mémoire de Bertrand GILLE, un des pionniers de l'archéologie indùstriel-
le en France, récemment décédé.
A noter aussi une étude sociologique sur les motards au Creusot (F. PORTET), un document présenté
par D. PUYMEGES,.intitulé "les mauvais pauvres" et une copieuse rubrique bibliographique, qui évoque
notamment un récent ouvrage de J.M. SCHMITT sur les origines de la Révolution industrielle en Alsace.
+ L'ECONOMIE EN QUESTIONS
- N° 17 (juin-sept. 1981) (10 F)
noter, dans ce N°, outre le commentaire habituel sur la conjoncture, des dossiers sur l'indus-
A
trie automobile, la télévision, la vente des armes dans le monde ; comment suivre votre pouvoir d'achat;
les nouveaux protectionnistes et lectures de vacances.
une étude de G. BARBERO : "en marge de la première guerre d'indépendance" (1848) (N° 2 de
1980) ; "un
exemple de régime démographique ancien : le département d'Agogna 1801 1814" (G. MORREALE) (N°
- - 1
de 1981).
N° 30 ' Archéologie industrielle Picardie : Nous avions donné le sommaire de ce très intéressant N°
en
dans notre revue 14 ; malheureusement cette publication n'a pas pu sortir avant le début de cet été.
J. BERNET
Les disciplines ne devraient pas s'ignorer, n'est-ce pas ? IN'HUI - j'avais rendu compte dans
ces A.H.C. 10 de son n° 10, Les Picards Sont Transparents, où histoire, géographie, écriture colla-
boraient - récidive. Cette fois, pour son n° 15 IN'HUI est bien la seule revue picarde importante
-
à paraître
avec la même régularité que les A.H.C. -, c'est Poésie et Archéologie - et assez j'ai dit
dans A.H.C. 14, Guide Fer, etc l'apport de la langue-pensée, la poésie, Homère mettons, à
..., l'ar-
chéologie - je n'insiste pas.
On lira dans ce numéro beaucoup d'interventions scripturales (poétiques ?) que sans doute les
amateurs d'archéologie archéologique, ou d'histoire dûment certifiée (notes en pas de page
s.v.p.),
n'apprécieront guère. Mais les mêmes apprendront tout sur l'histoire, les méthodes, les découvertes
(et régionales !) de l'archéologie aérienne en lisant la longue interview de Roger Agache, spécialis-
te reconnu.
(IN'HUI, 3 rue laënnec, 80000 AMIENS, ce n° 25 F)
Jacques DEMARCQ
+ Excursion du Samedi 16 Mai 1981 (14 H 30 - 19 H)
Sur les traces de la voie ferrée Compiègne
- Villers Cotterêts
Les incertitudes du temps ont fait craindre jusqu'au bout des difficultés pour cette promena-
de, prévue en bicyclette pour sa première partie, avec retour en autocar d'Eméville à Compiègne. Heu-
reusement les nuages menaçants nous ont épargnés et la vingtaine de cyclistes réunis à 14 H 30 place
de la gare de Compiègne a pu prendre la route à travers la forêt de Compiègne, en empruntant la très
belle piste cyclable récemment aménagée, depuis le carrefour Napoléon. A proximité de Vieux Moulin le
groupe a fait une première halte devant l'ancienne station du village, établie là à des fins touristi-
ques et maintenant transformée en maison forestière. Puis la piste des vélos se confond avec l'ancien-
ne emprise ferroviaire, établie sur un large talus, prévu à l'origine pour la double voie ; çà et là
un petit pont de pierre, un puits ou une maison de garde barrière démolie, rappellent que de 1883 à
1966 ce magnifique trajet forestier fut celui de convois ferroviaires, qui glissaient allègrement sur
les rails à 35 km/h maxi, guère plus vite que les cyclistes. Arrivée à Pierrefonds en passant sous un
très beau pont de chemin de fer refait après la dernière guerre ; on reprend l'emprise ferroviaire
dans la tranchée du Volliard, large percée dans la colline qui avait imposé d'énormes terrassements
afin d'établir la gare sur des déblais, au dessus du lac, à la sortie du bourg. L'opulence de ce bâti-
ment, tout en pierre de taille, aux toits ornés de dentelles de plomb, le panneau encore visible,
"Pierrefonds les Bains" nous indiquent la fonction avant tout touristique de cette gare, construite
avec une munificence calculée par la Cie du Nord au siècle dernier. Avec son château néo-médiéval re-
fait par Viollet le Duc, son établissement thermal, son casino , Pierrefonds attirait une clientèle
de luxe bien avant l'époque des congés payés. Le bâtiment encore solide mais dévasté, comportant pres-
que intact son environnement ferroviaire, maintenant inscrit à l'inventaire des monuments.historiques,
sera, ilfaut l'espérer, prochainement restauré.
Il est impossible de continuer à bicyclette sur l'emprise de l'ancienne voie vers Palesne et
Morienval : on la suit depuis la route par les ponts enjambant la voirie, puis une sorte de rampe es-
caladant le rebord du plateau, où s'essoufflaient les locomotives. L'emplacement de la voie sortait
par une grande courbe de la forêt de Compiègne pour rejoindre la forêt de Retz après quelques km dans
les riches terres de culture ; elle reste bien visible par une ligne de taillis, un ex-passage à niveau
et l'ancienne halte de Morienval, beau petit bâtiment de briques, bien conservé, maintenant résiden-
à l'entrée
ce privée. On peut reprendre l'emprise de la voie à partir du premier chemin sur la droite
de la forêt de Retz et la suivre sur 5 km, par une belle voie aménagée par les chasseurs, comportant
toute une série de ponts et passages supérieurs, dont la présence est si insolite au milieu d'une
nature qui a vite repris ses droits. L'itinéraire s'achève devant l'ancienne halte d'Eméville, bâ-
timent de briques semblable à celui de Morienval, dernier arrêt de la ligne dans l'Oise, habité par
M. Triqueneaux, ancien chef de gare de Villers Cotterêts, qui a été responsable du trafic marchan-
dises sur cette ligne dans ses 20 dernières années de fonctionnement ; ce dernier ne manquera pas
de vous évoquer les souvenirs de son activité et d'exprimer ses regrets de sa disparition. Quel
dommage en effet de ne pas avoir conservé cette section, qui supportait encore un trafic notable,
au moins à des fins touristiques, car de Compiègne à Villers Cotterêts, en passant par Rethondes,
Pierrefonds, Eméville, Haramont avait là un magnifique trajet, qui permettait de découvrir
... on
de très beaux paysages forestiers sur plus de la moitié du parcours, autrefois franchi en 1 heure
pour 35 km.
Cette promenade aura permis aux participants de découvrir les vestiges de cette ligne fermée
à tout trafic
en 1966 et déposée peu après, grâce aux explications historiques et techniques de M.
DEMARCQ, qui a aussi réalisé un guide de cette excursion, paru dans le N° 14 des ANNALES HISTORIQUES
COMPIEGNOISES, ou que l'on peut se procurer séparément au siège de la Société d'Histoire (12 p. avec
photos et cartes - 6 F)
Présents : Mme JOUHET, Mlle LAVECOT, MM. BERNET, DEMARCQ, FRUIT, GRIMAL, KOVAL, LECURU, MAX ET
VINOT.
Absents excusés : Mme DELAMOTTE, Mlle F. GAUTHIER, M. BERNARD.
bureau, après avoir entendu un compte rendu de la correspondance reçue depuis la dernière
Le
séance, a fait le bilan de la saison écoulée : la Société a organisé 8 conférences publiques et une
excursion, publié trois N°s de revue, dont un spécial de 1100 exemplaires ; le nombre d'abonnés a
continué de progresser, tandis que l'assistance aux réunions a été variable, suivant les sujets et les
conférenciers.
trésorier a fait un rapport sur la situation financière de la société, toujours précaire,
Le
du fait de l'insuffisance des aides publiques reçues cette année, par rapport à nos activités. Certes
ces difficultés ne sont pas nouvelles, mais elles risquent de mettre en cause à terme la publication
de la revue dans sa forme actuelle ; nos espoirs demeurent donc dans la fidélité de nos lecteurs et
adhérents, tandis que de nouvelles demandes d'aides publiques seront formulées, notamment auprès du
Conseil Régional pour le colloque Jules Ferry d'octobre 81.
Le bureau a arrêté ensuite le sommaire du N° 15, à paraitre au cours de l'été 81 : celui-ci
reviendra à l'époque moderne (XVIe - XVIIIe siècle), avec la publication d'études sur les troubles
liés aux crises frumentaires, à des périodes diverses et en des lieux très variés de la Picardie
(Amiens, Compiègne, Oise, Aisne ...) ; le N° 16 sera plus spécialement consacré au Soissonnais à la
fin du XVIIIe siècle (grande peur de 1789, origines du Conventionnel Saint-Just ...) ; le N° 17,
à paraître
au début de l'année 82, sera un N° spécial entièrement consacré au centenaire des lois
Jules Ferry. Le tirage du N° 15 sera limité à 600 exemplaires ; ceux des N°s suivants seront établis
en fonction de la situation des finances et des abonnés.
Le bureau a arrêté également les grandes lignes du colloque Jules Ferry, prévu au Lycée Pierre
d'Ailly le Samedi 17 Octobre 81, qui comprendra la projection-débat du film "L'école buissonnière"
de J.P. Le Chanois, des interventions de spécialistes de l'histoire et de la psychologie de l'école,
pour les aspects locaux et régionaux, (cf. programme ci-dessous).
Il a enfin été débattu des grandes lignes de la prochaine saison, qui commencera avec le col-
loque Jules Ferry en octobre ; de ce fait l'Assemblée Générale de la Société sera exceptionnellement
retardée à la fin novembre, accompagnée en principe d'une projection commentée de diapositives sur
l'habitat dans l'Oise par le C.A.U.E. Un effort particulier sera entrepris pour faire mieux connaitre
l'histoire locale contemporaine des XIXe et XXe siècles, avec des interventions de M. MAITRON (mou-
vement ouvrier), de M. LEPRETRE sur la seconde guerre mondiale, de Mlle HENRY sur l'industrialisa-
tion de la vallée de l'Oise au XIXe siècle ; le thème du socialisme utopique sera développé avec St
Simon et J.B. GODIN, en collaboration avec l'Association des amitiés-franco-internationales de Com-
piègne (Conférence et excursion à Guise) ; le XVIIIe siècle et la période révolutionnaire ne seront
pas oubliés
(conférences sur Saint-Just révolutionnaire dans l'Aisne par M. VINOT et sur BABEUF en
Picardie par M. LEGRAND); les chercheurs littéraires apporteront aussi leur contribution sur le
XVIIIe siècle (MM. MASSEAU ET LECURU).
"Peut-on aborder de manière sereine et objective l'histoire de la France pendant la seconde guerre
mondiale."
par M. Jean-Pierre AZEMA, professeur à l'Institut des Sciences Politiques de Paris.
C'est devant une assistance très nombreuse que M. AZEMA, spécialiste bien connu de l'histoire
française sous le Ille République, et auteur de nombreux ouvrages sur cette période, a fait une com-
munication de caractère avant tout historiographique, illustrée d'exemples concrets et développés.
Orateur de grand talent, M. AZEMA a tenu en haleine le public pendant près de deux heures, en lui
fournissant une information à la fois riche, très à jour et accessible.
L'orateur a d'abord montré les difficultés matérielles énormes que rencontee en France l'his-
torien des "années noires" : absence de sources classiques (parlementaires et journalistiques) ;
obstacles à la consultation des archives, malgré la loi de 1979 qui les ouvre au delà de 30 ans. Mais
le chercheur doit surtout se défier des passions politiques qui continuent d'opposer les Français
sur cette période, au risque de tomber dans des visions schématiques et partisanes, plaidoyers jus-
tificatifs inconsidérés ou réquisitoires sans nuances. Développant plus particulièrement l'historio-
graphie concernant la collaboration en France de 1940 à 1944, il a
montré l'évolution de celle-ci en
fonction de la conjoncture politique, des témoignages, des archives rendues publiques : ses parti-
sans, rendus muets par l'épuration, ont d'abord cherché à plaider les circonstances atténuantes ; dans
les années 50, la conjoncture de guerre froide, conduisant à de nouveaux rapprochements politiques,
a engendré la position dite de l'école révisionniste, dont Robert ARON s'est fait le champion : on
opposait ainsi un bon Vichy à un mauvais, Pétain à Laval, le premier bouclier de la France, tandis
que De Gaulle en était l'épée à Londres ; le maréchal aurait été une sorte de super agent secret,
de connivence avec la Résistance extérieure, obligé par les Allemands de faire des concessions aux
vrais collaborateurs : cette idée du double jeu fut à l'origine d'une campagne pour la réhabilitation
de Pétain, s'appuyant sur quelques textes d'archives ambigus ou tronqués. Le retour du gaullisme au
pouvoir en 1958 fut l'occasion d'une contre offensive des partisans de la résistance. Puis vint la
mode rétro dans les années 60, la sortie du film "Le Chagrin et la Pitié", destiné à la télévision
-
mais qui n'y a jamais été programmé - ; l'idée de démystifier certaines images pieuses sur l'attitu-
de du peuple français en cette période fut facilitée par la publication de fonds d'archives alleman-
des, saisis par les Américains à la libération, (cf. l'ouvrage de PAXTON sur la France de Vichy); La
réalité de la volonté de collaboration, d'un Vichy qui crut longtemps à la victoire militaire totale
de l'Allemagne, put ainsi être établie par les textes, en sorte que les Allemands, peu désireux de
s'allier avec un pays affaibli et réputé turbulent, obtinrent souvent davantage et plus facilement
qu'ils nel'escomptaient, sans demander (cf. de problème des Juifs français).
Bien d'autres questions restent mystérieuses et ne se découvrent que très progressivement,
au fil des témoignages et des nouveaux textes : ainsi l'importance de la résistance dans les premiè-
res années de l'occupation, le rôle des communistes avant l'entrée en guerre de l'URSS, l'étendue
de l'épuration de 1944-45. (On a longtemps parlé de 100.000 victimes, alors qu'il est aujourd'hui
prouvé que le chiffre ne saurait dépasser 11.000) Face à ces problèmes, l'historien doit garder
...
beaucoup de sang froid, savoir d'abord trier au milieu de l'avalanche des livres et des essais, se
défier des reconstitutions (par exemple des "faux dialogues" historiques inventés par certains au-
teurs qui veulent "faire vrai"), déjouer les pseudo-ruses de "l'histoire secrète" (voir le mythe
de La Cagoule), n'admettre que les chiffres prouvés (les communistes ont-ils vraiment eu 75.000 fu-
sillés ? combien y eut-il de déportés ?). C'est par un travail minutieux et patient au niveau local-
et à ce titre nombre de bonnes monographies sont sorties ces dernières années - que l'on pourra
avancer à pas sûrs. Pour conclure M. AZEMA s'est fait l'apôtre de ce qu'il a appelé une sorte de
"néo-positivisme" pour l'histoire de cette période, permettant d'établir solidement les faits,
sans lesquels toute interprétation serait hasardeuse. (A titre d'exemple, les réponses précises de
VIDAL-NAQUET aux allégations de FAURISSON, niant l'existence de chambres à gaz dans les camps na-
zis, constituent un modèle de la rigueur nécessaire en histoire).
Ce passionnant exposé, à la fois très vivant et pédagogique, a ouvert de nombreuses pistes
pour une riche discussion, que l'heure nous a obligés à abréger. Des personnes ayant connu cette
époque ont apporté leur témoignage et montré qu'à 40 ans de distance, l'histoire de la guerre reste
d'une actualité brûlante.
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