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LOS OLVIDADOS

Luis Buñuel

L’essentiel
• Le film de la renaissance artistique de Buñuel • Une peinture de la misère des enfants au Mexique 
• Un récit d’aventures picaresque entre réalisme et cauchemar

CONTEXTES

Los Olvidados (aussi connu, en France, sous le titre Los Olvidados. Pitié pour eux)
commence par la fuite de Jaibo de la maison de redressement dans laquelle il se trouvait.
Cet adolescent devient le chef de bande de son quartier et se met en tête de se venger de
Julián, celui qui l’a dénoncé. À l’aide de Pedro, un jeune garçon au bon cœur, il le retrouve
et le tue. Pedro se retrouve au pied du mur, complice d’un meurtre auquel il ne s’attendait
pas. Il décide de rentrer dans le droit chemin et de devenir un bon garçon. Jaibo le surveille
et le laisse se faire accuser d’un vol dont il est lui-même coupable, envoyant ainsi Pedro
en maison de redressement. Plusieurs histoires parallèles s’imbriquent et le spectateur
découvre ainsi la vie difficile des enfants et des adultes de ce quartier pauvre mexicain.
Luis Buñuel est né et a étudié en Espagne. Pendant la guerre civile d’Espagne (1936-
1939), il quitte la péninsule. Il reste en exil durant une grande partie de la dictature de
Franco et il réalise de nombreux films à l’étranger, au Mexique notamment, parmi lesquels
Los Olvidados (1962) et El Ángel exterminador (1950). Il ne reviendra en Espagne qu’en
1969, pour tourner Tristana.
Durant ses études à Madrid, Buñuel fait la connaissance du peintre Salvador Dalí et du
poète Federico García Lorca. En 1928-1929, il réalise avec Dalí un film muet et surréaliste :
Un chien andalou, dans lequel Buñuel est lui-même acteur. On retrouve des passages
surréalistes dans Los Olvidados tels que le cauchemar de Pedro, tourné au ralenti, ainsi
que la présence récurrente et étrange de poules tout au long du film.

© Films sans Frontières

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QUESTIONS DE CINÉMA
Le producteur mexicain Óscar Dancigers est à l’origine du film. Après avoir travaillé avec
Buñuel sur des films dits commerciaux, il permet à celui-ci de réaliser un film plus personnel
et lui conseille «  un film sur le thème de l’enfance livrée à elle-même qui glisse vers la
délinquance » (Antxon Salvador, Le Cinéma espagnol, Gremese, 2011). Auparavant, Luis
Buñuel avait déjà envisagé de filmer la face cachée d’une métropole, celle de Los Angeles.
Pour la rédaction du scénario, Luis Buñuel collabore avec Luis Alcoriza  ; ils avaient
déjà travaillé ensemble en 1949 sur El Gran Calavera (Le Grand Noceur) qui fut un gros
succès commercial. Le réalisateur s’entoure également de Gabriel Figueroa (directeur de
la photographie) – qui a été l’élève du légendaire Gregg Toland, la « lumière » dans Citizen
Kane. Pour le fond, il s’inspire de la noirceur et du réalisme de Sciuscia de Vittorio De
Sica, qui met en scène des gamins des rues de Rome. Ce pessimisme lui sera reproché. Le
tournage se déroule en 18 jours en février 1950. Il a été très bien préparé par le réalisateur
qui ne dépasse pas plus de deux prises par scène.
Le film est présenté dans un premier temps à un cercle d’amis qui l’accueillent assez
froidement. Le film sort un jeudi de novembre. Le samedi suivant, il est retiré suite aux
réactions violentes des spectateurs. Certains vont même jusqu’à exiger l’expulsion du pays
du réalisateur. Après une projection privée organisée par Buñuel à Paris, le poète Octavio
Paz, alors secrétaire à l’ambassade du Mexique, écrit un texte pour défendre le film. Il
sera présenté au festival de Cannes et remportera le prix de la mise en scène. Suite à sa
bonne réception aux États-Unis, le producteur remet le film à l’affiche pendant plusieurs
semaines au Mexique, où les esprits se calment. Les avis changent et le film obtiendra en
1951 onze Ariel qui correspondent aux récompenses cinématographiques décernées par
l’Académie mexicaine des arts et sciences cinématographiques. Il obtient notamment
l’Ariel du meilleur réalisateur ainsi que l’Ariel du meilleur sujet original. Un revirement de
situation par rapport à l’année précédente !

PARTI PRIS

« J’allais dans les bas quartiers de Mexico […] je marchais dans


les ruelles au hasard, liant d’amitié avec des gens, observant
les physiques, visitant les maisons. […] Je me promenais à Nonoalco,
sur la place de Romita, un bidonville de Tacubaya. Ces lieux
sont apparus ensuite dans le film […] Ce qui m’intéressait c’était
de trouver des personnages et des histoires. J’ai étudié des détails
au tribunal des mineurs […]. Des faits divers publiés dans la presse
m’ont servi également. J’ai lu par exemple que l’on avait trouvé
dans une décharge le cadavre d’un garçon d’une douzaine d’années,
et cela m’a donné l’idée de la fin du film. »
Tomás Pérez Turrent, José de La Colina,
Conversations avec Luis Buñuel. Il est dangereux
de se pencher au-dedans, Les Cahiers du cinéma, 1993, p. 112.

MATIÈRE À DÉBAT

Le titre du film
Los Olvidados, « les oubliés » de la société, presque tous oubliés de leurs familles. « Ma
mère, si je rentre, elle me tue », dit le Tondu. « Moi aussi elle me frappe, c’est pour ça que
je suis parti », lui répond son compère. Dans la famille de Julián, les rôles sont inversés :
le père ne travaille pas, c’est Julián qui travaille comme ouvrier sur un chantier. Le père
dépense l’argent dans les bars et son fils doit même le ramener ivre à la maison. Ces enfants
des rues s’en sortent par le vol ou par le travail : cireurs de chaussures, apprentis, d’autres
font tourner (littéralement) le manège. Le choix du titre en France, Los Olvidados. Pitié
pour eux, donne l’impression que les enfants ne sont pas mauvais, à l’image de Meche,
jeune fille harcelée par Jaibo et l’aveugle, et d’Ojitos, « Petits Yeux », le jeune garçon naïf
amené à la ville puis abandonné par son père… Le pauvre l’attendra jusqu’à la fin du film.
Certains personnages, comme Pedro, ont bon cœur, mais sont influençables. On peut
ainsi se demander pourquoi ils basculent dans la délinquance. Est-ce la méchanceté de

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certains adultes qui les transforme ? Est-ce la faim ? le manque d’attention et d’amour
comme Pedro ? le manque de repères familiaux ? ou bien la misère ambiante du bidonville
comme le sous-entendent les premiers mots du film ? Est-ce la fatalité du destin ?

Pedro et Marta
À l’image des autres enfants, les relations familiales sont complexes entre Pedro et sa
mère Marta. Pas de tendresse, pas de gestes affectueux, mais des mots durs. Pedro
cherche tout au long du film l’amour et la reconnaissance de sa mère, mais ne les trouve
pas. Lors de leur première apparition ensemble, elle lui refuse un morceau de pain. Elle
lui reproche d’être un mauvais garçon et de traîner dans les rues. « Tu ne m’aimes plus ?
C’est de ta faute. » Le passage du cauchemar est le seul moment de tendresse entre les
deux personnages. La mère apparaît protectrice, souriante, aimante, mais ce n’est qu’un
rêve… Par la suite, il décide de rentrer dans le droit chemin et trouve du travail comme
apprenti. Après le vol du couteau, Marta n’hésite pas à le livrer à la police et veut qu’il soit
puni. Le personnage de Marta a été critiqué par les spectateurs et les personnes présentes
sur le tournage, provoquant même la démission de certains collaborateurs.

PROLONGEMENTS PÉDAGOGIQUES

Éducation à la citoyenneté
À partir de la première apparition de Jaibo, étudier avec les élèves comment ce personnage
est mis en valeur par l’image d’un plan américain en légère contre-plongée. Celle-ci est
reprise lorsqu’il raconte son expérience de l’école de redressement tout en se faisant cirer
les chaussures par un autre jeune.
Ensuite, l’enseignant peut aborder les mécanismes de la popularité du personnage, et
la manière dont il parvient à exercer son influence sur le groupe. Les élèves relèvent les
caractéristiques marquantes de l’effet de groupe et de son meneur.

Espagnol
• Les pícaros

Les enfants du film rappellent la tradition picaresque espagnole du xvie  siècle et les
enfants mendiants. Étudier avec les élèves les caractéristiques de ce genre et montrer en
quoi le personnage d’Ojitos, « Petits Yeux », rappelle le premier pícaro de la littérature,
Lazarillo de Tormes : tous les deux deviennent guides d’aveugles (dans le premier chapitre
pour Lazarillo). Ces derniers sont méchants, les deux enfants doivent se débrouiller pour
manger et font preuve d’ingéniosité et de moins en moins de naïveté au fil du temps.
• La représentation de la ville

Pour que le film soit diffusé et pour contrer les critiques qui l’accusent de noircir la vision
de Mexico, Buñuel a dû ajouter un avertissement au début : « Les grandes villes modernes,
New-York, Paris, Londres, cachent derrière leurs magnifiques édifices des foyers de misère
qui abritent des enfants sous-alimentés, qui ne connaissent ni l’hygiène ni l’école, des
pépinières de futurs délinquants. »
A-t-il raison de proposer une vision si sombre des grandes villes ? Qu’en est-il de ces
grandes villes et de ces bidonvilles au xxie siècle ? Peut-on dire que l’accroissement des
grandes villes représente une forme de progrès ? Mettre en parallèle les enfants du film
avec la situation « d’enfants de la rue » de nos jours. L’école et l’éducation ne peuvent-
elles pas sauver ces enfants ?

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ARRÊT SUR IMAGE

© Films sans Frontières


00:27:49 La scène du cauchemar de Pedro combine à la fois la violence, l’espoir, la
vie, la mort et les souhaits du personnage (être aimé, nourri et pardonné pour le meurtre
qu’il n’a pas commis, mais qu’il a facilité). C’est un moment à part dans le film. La façon
de filmer est différente et qualifiée de surréaliste par de nombreux critiques. C’est le
subconscient de Pedro qui parle à travers ce cauchemar. Tous les mouvements sont au
ralenti et accompagnés d’une musique étrange.
Il fait nuit, Pedro entre discrètement dans la pièce où sa mère et ses frères et sœurs
dorment. Il se glisse dans son lit. Il entend des poules et se réveille. La pièce devient
plus lumineuse. Il semble sortir de son propre corps lorsqu’il se redresse. On voit alors
deux Pedro  : celui qui dort à poings fermés et celui qui se réveille. Les deux corps sont
transparents et s’entremêlent. Une poule blanche tombe du plafond en battant des ailes.
Sa mère, les yeux ouverts, se redresse dans son lit alors que, sur le plan suivant, elle est
endormie. Sous le lit, Pedro voit, horrifié, celui qui le hante  : Julián, allongé, le visage
ensanglanté, les yeux fermés et la bouche ouverte… Des plumes de poules tombent.
Pedro se relève ; sa mère lui demande ce qu’il fait, mais ses lèvres ne bougent pas. Il se
recouche. Sa mère se lève, marche sur les lits et vient s’agenouiller sur celui de Pedro.
Après un instant de tendresse, un orage éclate et le cauchemar reprend avec un gros plan
sur la main de Jaibo, le meurtrier, qui sort de sous le lit et vole à Pedro ce que sa mère vient
de lui donner à manger. ●

À VOIR
El Lazarillo de Tormes
de César Fernández
Ardavín (1959) et Soy
un delincuente de
Clemente de la Cerda
(1976).
Ces deux films se basent
sur des romans et ont
pour point commun
la mise en lumière
de l’enfance difficile
de jeunes gens Auteur : Delphine Plouhinec
qui tentent de survivre Fiche pédagogique éditée par Réseau Canopé, en partenariat avec France Télévisions,
et de sortir de la pauvreté. pour la plateforme Cinéma Lesite.tv, 2018. Tous droits réservés.

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