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Susan MADISON
ISBN : 978-2-266-15535-9
N° 12635
Prix : 7,10
Prologue
J’attends le grand amour… écrivit Melissa Hart sur la page un de son journal intime. C’était le
premier janvier de l’année de ses quinze ans.
Relié en cuir et doré sur tranche, le volume de parchemin ivoire était son cadeau de Noël. Un
présent de grande valeur : nul besoin d’être spécialiste en papeterie de luxe pour voir que sa
grand-mère ne s’était pas moquée d’elle. La petite merveille qu’elle tenait entre ses mains était
d’une qualité exceptionnelle. Naturellement, à cette époque, Melissa n’appréciait peut-être pas à
sa juste valeur le raffinement du papier marbré décoré à la cuve. Cependant, ce présent revêtait
pour elle une signification particulière. Mais laquelle ? Avec application, elle tourna et retourna
la question dans sa tête.
Je voudrais tant être aimée… Voilà ce qu’elle avait envie d’écrire – mais l’idée que son père
puisse ouvrir ce cahier et tomber sur une telle confidence la paralysait. Finalement – et tant pis si
elle se sentait à la fois solennelle et prétentieuse –, Melissa rejeta en arrière ses cheveux blond
cendré et se pencha sur la page pour calligraphier avec soin : J’attends l’amour avec un grand A.
L’amour de ma vie, l’amour qui durera toujours.
Oh, elle ne s’imaginait pas qu’un beau jour son prince charmant paraîtrait sur le seuil de sa
chambre de jeune fille, une pantoufle de vair à la main. Il ne franchirait pas non plus la barrière
de ronces de son « bois dormant » pour affronter le dragon paternel et venir la réveiller d’un
baiser. Mais, tandis que la voix cassante de son père montait du rez-de-chaussée, contrastant avec
les intonations soumises de sa mère, Melissa éprouva la conviction, mieux : l’absolue certitude
qu’il lui serait donné, à elle, de vivre un conte de fées.
Oui, quelque chose de magique, quelque part, lui était réservé. Ailleurs qu’ici. Cet endroit n’était
pas la maison du bonheur. Dès son plus jeune âge, elle avait deviné des zones d’ombre dans le
couple que formaient ses parents.
« Dis, papa…
— Quoi encore ? »
Maple Street. Mel Sherman remonta la petite allée qui conduisait à sa maison, coupa le contact et
ouvrit la portière. Mais, avant de sortir de sa voiture, elle resta immobile un moment, prêtant
l’oreille aux bruits des premiers beaux jours. Les cris joyeux montant de la cour de récréation de
l’école toute proche, le roucoulement des pigeons ramiers dans les arbres, les jets d’eau des
arroseurs automatiques tournant à toute vitesse sur les pelouses…
Perché sur son échelle, sur le trottoir d’en face, le colonel à la retraite Brian Stiller réparait sa
gouttière en sifflotant un air militaire. Le regard de Mel revint à sa propre maison, dorée sous le
soleil de cette radieuse fin de matinée.
Une pimpante façade blanc et rouge, avec des volets noirs. Sur la véranda, une paire de vieux
fauteuils à bascule en rotin clair invitait au farniente ou à une petite pause dans l’écrin rouge que
formait la haie de cognassiers du Japon en fleur. L’air embaumait la rose, le lilas et la lavande.
Mel rentrait rarement chez elle sans se remémorer la première fois qu’elle avait vu cette maison,
qui allait devenir la sienne. Le jour où elle s’était engagée dans Butterfield en voiture, elle n’avait
rien d’autre en tête que d’y faire halte le temps d’avaler un café et un sandwich. Et puis, au lieu
de reprendre sa route, elle s’était mise à flâner sans but dans les rues de la petite cité. Souvent,
par la suite, elle s’était demandé ce qui l’avait retenue ici. Pourquoi ce lieu précis ? Elle avait
pourtant visité d’autres étapes pittoresques au cours des jours précédents sans éprouver le besoin
de s’y attarder, a fortiori d’y rester.
Quelle qu’en soit la raison, le fait est qu’elle avait brusquement suspendu son voyage pour
s’installer ici. Comme si le destin lui avait soufflé à l’oreille : Butterfield… terminus, tout le
monde descend ! Et c’est ainsi qu’elle avait descendu la grand-rue, dépassé le portique de la
mairie et le vieux cimetière dont les pierres tombales en ardoise étaient gravées à la main, passé
les bâtiments de l’école communale et la librairie vieillotte, passé la petite église méthodiste, pour
se retrouver dans un quartier résidentiel.
Là, elle avait découvert le havre de paix, le sanctuaire presque, auquel elle aspirait. Elle avait
longé de belles demeures avant de tomber en arrêt, dans Maple Street, sur une maison – celle-ci –
qui portait une pancarte « À vendre » à moitié dissimulée par une haie en fleur. Moins d’une
heure plus tard, Mel faisait le tour du propriétaire.
La responsable de l’agence immobilière, une grosse dame patronnesse, avait été quelque peu
troublée par sa jeunesse et son évidente inexpérience.
« Avez-vous déjà investi dans l’immobilier, mademoiselle ?
— Non. C’est mon premier coup de foudre.
— Je comprends, mais il est de mon devoir d’attirer votre attention sur le fait que vous ne pourrez
vivre sous ce toit sans procéder à de conséquentes modernisations…
— Oh, mais la maison me plaît comme ça », avait répondu Mel qui n’avait d’yeux que pour les
corniches des plafonds, les cheminées, les boiseries et les lambris des murs.
« Je voulais parler de travaux de rénovation. Toute la plomberie est à refaire, de même que