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Maloria

Cassis
Gun Cake
« Ne prenez pas ma gentillesse pour une faiblesse, je suis aimable
avec tout le monde, mais lorsque quelqu’un ne l’est pas avec moi,
“faible” n’est pas le mot dont vous vous souviendrez à propos de
moi. »
Al Capone
Citation préférée d’Adriano Alario.
1

Adriano Alario

Je descends les escaliers menant à la cave de l’usine désaffectée et


rejoins mes hommes qui m’attendent. Arrivé devant la porte en fer, avant
même de le voir, je sens cette odeur de transpiration mêlée à celle du
sang. Dommage que j’ai été trop occupé ces deux derniers jours, je me
serais bien amusé moi aussi avec Jérémy. Mes sbires me saluent et
s’écartent pour me laisser entrer.
Le flic a les bras en l’air au-dessus de la tête. Ses poignets sont
attachés par des chaînes fixées au plafond. Sa tête tombe sur son torse
tel un pantin désarticulé. Il a du sang séché un peu partout sur le haut du
corps. Je prends son visage dans ma main droite et le soulève pour bien
le regarder dans les yeux.
– T’as vraiment une sale gueule Jérémy, déclaré-je négligemment.
– Tu ne t’en sortiras pas cette fois-ci Adriano, me crache-t-il, dessus
de façon hachée.
Il doit avoir quelques côtes cassées, peut-être même un poumon
perforé, car il a beaucoup de mal à respirer.
– Si je suis là, c’est pour passer un marché, lui proposé-je, d’une voix
détendue.
Je relâche sa tête et il tente, tant bien que mal, de la tenir droite pour
m’affronter. Je dois avouer qu’il a des couilles d’être venu s’infiltrer dans
mon cercle. Et là encore, il veut me montrer qu’il restera fier jusqu’à la fin.
Tant mieux, je déteste quand ils me supplient de les épargner.
– Si tu me donnes les noms des personnes faisant partie du groupe
d’élite qui cherche à me faire tomber, je peux envisager de me montrer
raisonnable.
Ce con se met à rire. Vraiment dommage qu’il soit de l’autre côté de
la barrière qui délimite le bien du mal. Il a du cran. D’habitude, quand
j’arrive, les mecs se chient dessus et jurent pouvoir encore me servir à
quelque chose.
– Arrête ton baratin Adriano. On sait toi et moi que je ne sortirai pas
d’ici vivant, estime-t-il clairvoyant.
Je lui souris encore une fois de façon glaciale, et avance une chaise.
C’est sûrement le moment que je préfère. Celui qui fera bien plus mal que
tous les coups qu’il a pu recevoir jusqu’ici. Une simple menace qui
l’atteindra en plein cœur. Je décide de m’asseoir en face de lui pour lui
asséner le coup final.
– Tu as raison. Tu es un homme mort. Mais c’est à toi de décider
pour ta femme et ton petit garçon, l’achevé-je, froidement.
Voilà, elle est là cette étincelle de colère et de peur que j’aime faire
naître aux fonds des pupilles de mon ennemi. Je veux qu’il me haïsse et
qu’il rêve de se détacher de ses chaînes pour me tuer de ses propres
mains. Il s’agite pour tenter de les défaire bien qu’il a déjà dû essayer
plus d’une fois, depuis qu’il est là.
– Espèce de fils de pute ! Vous ne touchez pas à la famille, jamais !
M’insulte-t-il, dans un excès de rage.
Il a raison sur ce point. Je n’ai aucune règle, sauf celle-ci. C’est mon
père qu’il l’a instaurée avec ses adversaires, il y a plus de vingt ans,
quand il a fait de Centori son territoire. Tous les coups sont permis sauf
le cercle proche. Ainsi, chaque chef de gang sait que sa femme et ses
enfants ne courent aucun risque.
– Jérémy, réfléchis un peu, s’il te plaît. Cette règle fonctionne entre
malfrats, lui indiqué-je pour qu’il comprenne bien que je ne plaisante pas.
Je me lève et me plante devant lui.
– Pas avec la flicaille. Alors, fais ton choix et vite. Tu peux encore
sauver les tiens.
Les turbines de son cerveau sont en marche se demandant si je
tiendrai parole. Il n’en saura jamais rien puisqu’il va crever. Je jubile
d’avance de remettre les pendules à l’heure avec cette unité d’élite, qui a
été créée pour faire exploser les gangs qui sévissent dans la région.
– J’te dirai rien du tout. Va crever en enfer Adriano Alario, m’adjure-t-il
avec une lueur de dégoût au fond des yeux.
– Comme tu veux, c’est toi qui vois. Tony se fera un plaisir de dire à ta
femme et à ton gosse que tu as eu une occasion de les épargner, mais
que tu as préféré sauver des potes.
– Ma femme sera fière de…
Je ne supporte pas de les entendre se galvaniser avant de crever. Sa
femme sera morte de peur, mais certainement pas fière de son mari qui
ne l’a même pas protégée. Pour mettre fin à sa tirade, je lui tire une balle
avec mon silencieux en pleine tête.
Voilà, le dossier « flic infiltré » est terminé. Enfin, pour moi.
– Allez livrer son corps à sa bande de super-héros, ordonné-je à mes
gars.
Il ne faudrait pas que la rumeur coure qu’un poulet a pu intégrer notre
famille. Et, si ça se sait déjà, vu l’état dans lequel il est, le prochain à
vouloir s’y risquer n’est pas près d’arriver.
Je grimpe rapidement les escaliers pour sortir de ce trou à rats. Je
suis ébloui par la lumière extérieure lorsque je sors de l’usine
abandonnée.
Voilà deux mois qu’il était parmi nous. Certes en bas de l’échelle,
mais il avait attiré mon attention en faisant cracher le fric que nous
devait Pablo, le pizzaïolo, depuis pas mal de temps.
Ce qui me met hors de moi, c’est qu’il a fallu que ce soit une
gonzesse qui le confonde. La fille du maire est en phase de rébellion et
tente d’attirer mon attention juste pour énerver son paternel. Alors que
nous étions au bar, où nous nous réunissons, elle m’a confié avoir déjà
croisé ce mec chez elle. Il ne m’en fallait pas plus pour comprendre que
c’était un putain de condé.
Comment est-ce qu’on a pu passer à côté, tout ce temps ? Giacomo
va morfler. C’est son taf de vérifier d’où sortent les gars qui veulent faire
partie de mes hommes.
Arrivé à la maison familiale, je vais directement voir ma mère pour la
rassurer sur la situation. Elle a angoissé toute sa vie de voir mon père
partir en prison. Maintenant, c’est pour moi aussi qu’elle doit s’inquiéter.
Comme d’habitude, elle est en cuisine et se prépare à recevoir notre clan
ce soir, pour fêter l’anniversaire de ma sœur, Aurélia.
– C’est réglé.
Elle sursaute en m’entendant et me râle déjà dessus, en italien.
Beaucoup de monde vous dira que si les jeunes deviennent des
délinquants c’est parce qu’ils ont manqué d’amour et tout un baratin de
psychologie à deux balles. Ce n’est pas mon cas. Mes parents m’ont
aimé et choyé depuis ma naissance. Je suis simplement né dans une
famille de gangsters. J’ai ça dans le sang depuis toujours. Et je reprends
avec fierté le flambeau de mon père qui lutte contre le seul ennemi dont il
ne peut pas avoir la peau.
– Les autres arrivent à vingt heures. Sois prêt s’il te plaît, m’exhorte
ma mère en souriant.
– Capisce !
Ma mère ne veut pas savoir ce que nous faisons. Elle sait, bien sûr,
que nous sommes dans l’illégalité la plus totale. Mais elle l’a accepté en
épousant mon père, il y a bien des années.
Être le chef d’un gang, c’est devoir se méfier de toute nouvelle
personne voulant s’approcher de vous. Il n’y a vraiment que deux
hommes, en plus de mon père, bien évidemment, en qui j’ai toute
confiance.
Anthony dit Tony, ancien boxeur catégorie poids lourd. Je me déplace
rarement sans lui. Il est mon ombre et connaît mon esprit sombre mieux
que personne. Il faut dire que nous avons grandi ensemble. Ses parents
étaient des camés qui se fournissaient auprès du clan. Voyant qu’ils ne
venaient plus payer leur dette, mon paternel s’était déplacé chez eux et
les avait trouvés raide morts dans leur salon. Tony regardait des dessins
animés assis à côté d’eux dans le canapé. À l’époque, il avait quatre ans.
Mon père avait décidé de le ramener chez nous et il n’en est plus jamais
reparti. Il est comme un frère pour moi.
Batista, mon cousin et trésorier. Il est le fils de la sœur de ma mère.
Ce n’est pas un Alario de sang, mais sa loyauté a fait de lui mon bras
droit. Il m’a sauvé la mise, il y a sept ans, en prenant deux ans de tôle
pour coups et blessures à ma place. Il gère les finances du clan et
s’organise pour blanchir l’argent. Je lui fais une confiance aveugle.
Mon père m’a préparé à ce rôle de chef. Je pratique les sports de
combat depuis que j’ai cinq ans et j’ai tué pour la première fois à l’âge de
mes quinze ans. Il m’a appris à ne faire confiance qu’à très peu de gens,
tout en m’expliquant que c’était une nécessité. Je dois pouvoir m’appuyer
sur certaines personnes.
Mon autre cousin, Giacomo, est lui responsable de vérifier qui veut
bosser pour nous. C’est pour ça qu’il est dans mon bureau, en train de se
pisser dessus, de ne pas avoir fait son boulot correctement.
– Je t’écoute, énoncé-je tout en continuant de lire les papiers empilés
devant moi.
– Adriano, j’te jure qu’il était clean, se défend-il, apeuré. C’est cette
unité spéciale, ils ont dû pouvoir lui créer un faux casier et…
– Bien sûr qu’ils lui ont inventé un passé merdique, lui crié-je dessus.
Ils sont flics, pas débiles.
– Mais, y’a un gars aussi qui refourgue de la came pour nous, qui m’a
juré qu’il venait bien de Rastori, et qu’il avait fait de la tôle là-bas,
m’explique-t-il pour que je ne le tienne pas pour unique responsable.
Cette bande de flics veut ma peau avant que je ne m’installe
officiellement à la place de mon père. Ils se montrent rusés pour
m’atteindre.
– Tu sais ce qu’il te reste à faire, m’assuré-je, en levant un œil dans sa
direction.
– C’est déjà fait, se réjouit-il fièrement, d’avoir déjà buté celui qu’il l’a
mal renseigné.
– Bien, acquiescé-je.
Il attend un instant et comme je ne parle plus, il comprend que la
discussion est close. Il se lève et quitte mon bureau. Juste avant qu’il
n’ouvre la porte, je le mets en garde,
– Giacomo, la prochaine fois, cousin ou pas cousin, je te tue, lui
assuré-je d’un ton glaçant.
C’est uniquement ce qui le sauve aujourd’hui et il le sait. Personne n’a
le droit à l’erreur dans la Famille. Il hoche la tête et sort de la pièce.
Je termine de faire disparaître le dossier du flic dans la broyeuse à
papier quand Aurélia déboule dans mon bureau.
– C’est quand tu veux pour ramener tes fesses à ma fête, me
reproche-t-elle.
Je me lève et viens l’embrasser.
– Bon anniversaire, la félicité-je.
Je la prends dans mes bras et nous restons quelques instants
comme ça.
Nous rejoignons les invités dans le grand jardin de la maison
familiale. Anthony est déjà derrière le barbecue en train de faire griller de
la viande, tandis que sa femme prépare le buffet avec toutes sortes de
salades.
Heureusement pour nous, il fait beau. Les enfants des uns et des
autres courent dans tous les sens, jouent au foot et font de la balançoire.
Ces instants sont précieux. Je côtoie tous les jours le milieu de la rue
avec ses règles et ses coups bas. Ici, c’est notre havre de paix. On ne
parle pas affaires en dehors de mon bureau, qui était celui de mon père,
avant.
Il est assis à l’ombre, sous la tonnelle blanche installée pour
l’occasion. La maladie le consume à petit feu et ça me déchire le cœur de
le voir ainsi. Il est amaigri et ne se balade pratiquement jamais sans sa
bouteille d’oxygène. Lui, le grand Falco tant redouté, doit sa vie à un petit
chariot à roulettes qu’il trimballe partout.
– Mon fils, tu es arrivé. Viens t’asseoir avec moi, s’il te plaît,
m’accueille-t-il, joyeux de voir tout le monde réuni.
Je prends place à ses côtés et regarde l’endroit où se posent ses
yeux.
– Tu devras prendre soin d’elles Adriano, me glisse-t-il en posant une
main sur mon épaule.
Ma mère et ma sœur sont en train de rire ensemble en aidant Hélena,
la femme de Tony.
– Ne t’inquiète pas papa, le rassuré-je, car je ne veux pas qu’il
s’inquiète.
Il se tourne vers moi et me lance son regard de Chef.
– Tu as toute ma confiance, tu le sais. Je savais que tu étais prêt. Les
anciens ne me croyaient pas, mais tu leur as prouvé que tu étais capable
de me remplacer.
– J’aurais préféré que tu puisses continuer à être notre chef, lui fais-
je remarquer.
Mon père était parfait dans son rôle. Il a pris le contrôle de la ville, il y
a vingt ans. Depuis, rien ne s’y passait sans qu’il ne soit au courant ou
sans qu’il n’ait donné son accord. Il était redouté de certains et aimé
d’autres. Au moindre faux pas, vous finissiez une balle entre les deux
yeux. C’est ainsi qu’on instaure son autorité. En contrepartie, il a toujours
su se montrer généreux envers ses hommes loyaux et s’occuper de leur
famille quand ils étaient dans le besoin.
– Je suis heureux de te voir à l’œuvre. Tony m’a dit pour le flic, tu as
bien géré la situation, me félicite-t-il.
– Merci papa.
Comme un enfant, j’aime savoir que mon père est en accord avec
mes choix. Il n’est pas évident d’être à la hauteur d’un homme de sa
pointure. Batista arrive et vient s’incliner devant mon père.
– J’aurais besoin de te parler Adriano, me salue-t-il, en me serrant la
main.
– Après le repas, lui indiqué-je, voulant passer du bon temps,
maintenant, avec ma famille.
Je ne veux pas penser aux affaires pendant quelques heures. J’aspire
à profiter du dernier anniversaire de ma sœur auquel sera présent mon
père.
Tout le monde est là et profite du repas en extérieur. Carolina, une
amie d’Hélena, s’est assise à côté de moi. Elle cherche à capter mon
attention depuis quelque temps, déjà. C’est devenu courant depuis que je
suis à la tête du gang. Les femmes qui gravitent autour de nous tentent
leur chance. Il faut dire qu’être avec moi, signifie être hissée au plus haut
rang de la hiérarchie de notre clan. Les plus jolies ont droit à un tour dans
mon lit, mais aucune ne m’intéresse plus que ça.
Je veux vivre le même amour que mes parents, puissant et sans
condition. Celui qui devient plus fort au fur et à mesure des années et des
épreuves. Celui qui vous fait oublier les autres femmes. Je veux qu’une
femme m’aime pour tout ce que je suis. Pas uniquement parce que je
suis le Chef du clan Alario et que je possède cette ville.
Le repas se termine et je vois ma mère arriver avec un immense
gâteau. Il fait trois étages et est rose et blanc avec des perles disposées
tout autour pour donner un effet matelassé. Il est surmonté par un
escarpin au talon fin. Ce gâteau est raffiné et très féminin. Parfait pour
ma sœur accro aux chaussures. Aurélia est d’ailleurs en pleurs pendant
qu’elle souffle ses bougies, impressionnée par sa hauteur et sa beauté.
– Il est magnifique Maman, merci beaucoup, pleurniche-t-elle, en
l’étreignant fort.
– C’est la jeune femme qui a repris le salon de thé qui l’a fait. Elle a
entièrement transformé l’endroit en une jolie pâtisserie fine. Tout est
coloré et très cosy, papote ma mère en pleine promotion pour la nouvelle
commerçante.
Je me souviens que Batista m’avait prévenu que quelqu’un s’installait
à la place de Rosa. Mais, je ne savais pas que l’endroit avait déjà ouvert.
Il faudra que je lui souhaite la bienvenue à Centori.
2

Adriano Alario

N’ayant pas eu le temps de discuter avec Batista à l’anniversaire


d’Aurélia, nous avons décidé de nous rejoindre à la fameuse nouvelle
pâtisserie. Comme ça, nous faisons d’une pierre deux coups. Lorsque
j’arrive sur place avec Tony, le salon de thé est bondé. Il y a du monde qui
attend pour prendre des pâtisseries à emporter et quelques personnes
aux tables sont déjà servies. L’endroit est un peu trop coloré à mon goût,
mais il est tendance.
Nous rejoignons mon cousin qui est déjà là et la jeune femme qui
tient la boutique nous fait signe qu’elle arrive avec un grand sourire. Elle
est plutôt jolie et un brin sexy avec sa tenue de serveuse des années
sixties. Je réponds à son sourire, en même temps que je serre la main de
mon cousin.
– De quoi tu voulais me parler l’autre jour ? Ça avait l’air important,
interrogé-je Batista.
– On rencontre un souci d’effectif. Les petites mains ne sont plus
assez nombreuses pour récolter le fric, m’explique-t-il, soucieux.
– Et comment en est-on arrivé là ? M’étonné-je de la situation.
– Trop de gars sont en prison depuis que ce groupe spécial a été mis
en place. Ils leur mettent la pression, soit ils balancent, soit ils vont en
tôle, m’éclaire-t-il.
Putain de flics de merde, ils me font vraiment chier ceux-là, depuis
quelque temps.
– Avant tout, je veux être certain qu’on prenne bien en charge les
familles de ceux qui sont sous les barreaux, pour avoir tenu leur langue,
ordonné-je à mon cousin.
Si un de mes gars est en prison, nous prenons en charge
financièrement sa femme et ses enfants, si nécessaire. Ils le savent et
nous avons toujours tenu parole. On assure également leur sécurité au
sein de l’établissement pénitencier. Les membres de mon clan sont
parmi les prisonniers les plus redoutés.
– Je vérifierai moi-même, me promet-il.
C’est ce que j’aime chez lui. Il contrôle tout et ne s’en remet qu’à son
jugement. Je sais que lorsqu’il me transmet une information, il en est sûr
à cent pour cent.
– Pour le manque d’effectif, on va revoir les équipes. Au lieu de
circuler par trois, ils vont faire des équipes de deux. Uniquement le temps
que Giacomo engage de nouvelles recrues solides, décidé-je, pour pallier
au manque d’effectif.
– Ok, obtempère Batista.
– Tu le préviens que c’est urgent. Je n’aime pas les savoir en duo,
vociféré-je mes ordres.
Pour avoir été moi-même un récolteur durant quelques années
pendant mon adolescence, je sais qu’il n’y a que par équipe de trois que
l’on est sûr de ne pas se faire prendre. Deux gars rentrent, l’un empoche
l’argent pendant que l’autre surveille l’intérieur. Le troisième sert à faire le
guet dehors. Ils vont devoir se passer d’un guetteur pendant quelque
temps et je n’aime pas ça.
– Sinon, c’est ouvert depuis quand ici ? Questionné-je Tony.
– Depuis une semaine, se réjouit joyeusement une voix féminine.
Je me retourne et vois de plus près la jeune femme de tout à l’heure.
Elle est dans le rush, mais garde le sourire. Pas sûre qu’elle le conserve
longtemps, maintenant que j’ai fait mon entrée.
– Une semaine. Voyez-vous ça. Vous êtes la patronne ? La flatté-je
avec un sourire en retour.
Je suis un peu en retard sur mon planning habituel pour me
présenter. Encore une fois, la faute à ces flics qui ne me lâchent pas et
me donnent toujours plus urgent à traiter.
– Oui, j’ai racheté l’endroit à Rosa, vous la connaissez, peut-être ?
S’enquiert-elle, curieuse.
– La question est qui ne connaît pas Rosa, ici ? C’était une figure
emblématique de cette ville, comme une mamie pour nous tous, résumé-
je, d’un ton chaleureux.
– Elle n’est pas morte, juste à la retraite, me taquine-t-elle. Vous en
parlez au passé, mais elle est toujours là.
Elle est plutôt marrante cette nana, mais elle va devoir apprendre à
maîtriser son flot de paroles avec moi.
– Vous avez raison, au temps pour moi, lui rétorqué-je en observant
Tony et Batista qui ont le nez plongé dans la carte du salon de thé. Que
nous conseillez-vous ? Vous avez une spécialité ?
Toujours se montrer courtois avant toute transaction. Ainsi, elle ne se
méfie pas de moi et l’effet de surprise joue en ma faveur.
– Ma spécialité, ce sont les cupcakes, mais je doute que ça vous
convienne, ajoute-t-elle. Je vous propose un café avec un assortiment de
macarons ?
– Va pour les macarons et un café bien serré, lui accordé-je.
Alors qu’elle nous reprend les cartes et repart vers son étal, mon
regard s’attarde sur ses longues jambes fines. Cette tenue fait des
merveilles sur son corps. Elle a trouvé comment faire venir des hommes
dans son petit salon de thé girly.
– Plutôt pas mal la nouvelle, me tire de ma contemplation, Batista.
– Elle a des arguments, rigolé-je avec mes hommes.
– Hélena m’a dit qu’elle avait rénové toute seule, le salon de thé en
une semaine. Quand je vois le résultat, plus le travail qu’elle doit sans
doute fournir pour préparer ses trucs à bouffer, je me dis que cette jeune
femme n’est pas à prendre à la légère, nous indique Tony.
Mon frère de cœur vous analyse une personne en moins de temps
qu’il ne faut pour le dire. Il détermine rapidement si elle est dangereuse
ou pas. Sa première impression est souvent la bonne, alors je me fie
toujours à ses analyses.
Elle revient à notre table, avec son plateau à bout de bras, pour nous
servir.
– S’il vous faut quoi que ce soit d’autre, n’hésitez pas à m’appeler,
complète-t-elle en disposant le tout sur la table.
– D’accord. – Puis, je lui attrape le poignet avant qu’elle ne parte. –
Mais donnez-nous au moins votre prénom, lui demandé-je d’une voix que
se veut douce.
Je relâche ma poigne de suite, pour ne pas l’effrayer plus que ça. Ce
n’est pas encore le moment.
– Angela, se contente-t-elle de répondre, un peu troublée.
– Bien, on vous appelle si besoin, Angela, insisté-je sur son prénom
avec un regard qui se fait un brin trop insistant.
Elle retourne derrière son comptoir et enchaîne de servir les clients. Si
sa boutique fonctionne bien, il y a de quoi se faire un bon paquet de fric
avec elle. Ça tombe bien puisque nos dépenses augmentent du côté de
la caisse pour les familles des prisonniers. Nous dégustons chaque
parfum de ses macarons et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils sont
délicieux. Celui à la pistache est une pure merveille. Cette fille va
vraiment nous faire joindre l’utile à l’agréable.
Nous ne nous attardons pas outre mesure. Tony et Batista sortent les
premiers. Je me dirige en direction de la caisse pour lui régler la note. La
seule et l’unique que je compte bien lui payer.
– J’espère que ça vous a plu ? S’enquiert-elle.
– Nous reviendrons si c’est cela qui vous inquiète, ne puis-je
m’empêcher de lui répondre sarcastique.
– Vous m’en voyez ravie, tant mieux, se réjouit-elle. Ça vous fera dix-
huit euros, s’il vous plaît.
Je règle en espèces comme toujours et je lui tends ma carte de visite
quand elle me rend la monnaie.
– J’ai une entreprise de surveillance et de protection, lui expliqué-je,
devant son air incrédule. Je me permets de vous proposer mes services.
– Oh, c’est gentil, s’étonne-t-elle, mais je ne pense pas que ce soit
nécessaire.
– Vous êtes une jeune femme seule ici, on ne sait jamais ce qu’il peut
arriver, insisté-je en fixant ses jolis yeux.
Elle ne se doute pas de la menace que renferme ma phrase.
– Ne vous inquiétez pas pour moi, je sais me défendre, m’assure-t-
elle, en ne détournant pas son regard du mien.
Tony a encore vu juste, il ne va pas falloir sous-estimer la « Miss
Diner ». Elle continue de servir ses clients et je pars rejoindre mes deux
hommes de confiance qui m’attendent près de ma berline.
– Batista, je veux que ce soit les frères Tagliani qui s’occupent d’elle,
ordonné-je.
– D’accord, je les appelle tout de suite.
Ça fait déjà une semaine qu’elle est sur mon territoire peinard. Il est
temps de lui montrer chez qui elle est à Centori.
3

Angela Alessi

Je savais que les habitants seraient curieux de venir dès les premiers
jours d’ouverture, mais j’étais loin d’imaginer que la fréquentation ne
ferait qu’augmenter. J’ai mal à la mâchoire de sourire à longueur de
journée. Tous les jours, je crains d’en faire trop et contre toute attente je
suis toujours dévalisée. En cette fin de première semaine, je suis claquée,
mais sur un petit nuage qui ne fait que prendre de la hauteur.
J’entends le bruit de la petite sonnette qui me prévient de l’arrivée
d’un client. Je n’ai pas fermé la porte d’entrée alors que le salon de thé
est fermé depuis une demi-heure. Quelle idiote je fais. Je me précipite à
l’avant de la boutique pour voir qui est là.
– Rosa, vous m’avez fait peur, bafouillé-je en apercevant la vieille
femme.
– Oh pardon, je ne voulais vraiment pas, s’excuse-t-elle, confuse.
– C’est de ma faute, j’aurais dû fermer à clé, lui indiqué-je, en
m’empressant de le faire.
– Je suis venue voir comment se passaient les affaires, précise-t-elle.
Rosa est l’ancienne propriétaire des lieux. Elle possédait ce salon de
thé depuis plus de dix ans. L’endroit avait connu de beaux jours, mais les
dernières années avaient été un peu chaotiques. Elle avait rencontré
quelques soucis de santé et avait préféré vendre son affaire avant de
faire faillite. C’était une belle opportunité car elle bradait sa boutique. Elle
souhaitait procéder rapidement à la vente, ce qui était vraiment idéal
encore une fois pour moi, qui souhaitait partir au plus vite de Rastori. Je
m’étais laissée à peine une semaine pour refaire une beauté à cet endroit,
et ouvrir la pâtisserie de mes rêves d’enfant. J’avais repeint les murs en
blanc et avais accroché un peu partout des images très colorées de
cupcakes, de macarons et des gâteaux démentiels. Maintenant, il fallait
que je renfloue les caisses, et rapidement, sinon j’étais bonne pour
fermer dans l’année.
– La semaine a été éreintante ! Je suis crevée, mais c’était génial de
voir autant de monde venir découvrir la boutique, me réjouis-je auprès de
ma seule amie.
– J’ai vu qu’il y avait même eu la queue, dehors à un moment,
s’étonne-t-elle, ravie pour moi.
– Oui, c’est parce que la dame qui m’avait commandé le gâteau
d’anniversaire pour sa fille est venue le récupérer. Il a fait son petit effet
dans la boutique et tout le monde voulait le voir.
Je suis une spécialiste du cake design et j’adore personnaliser le
gâteau que je réalise pour quelqu’un. La maman de cette jeune fille, qui
fêtait ses dix-huit ans, m’avait expliqué qu’elle était une fashionista et
raffolait des chaussures. Il ne m’en fallait pas plus pour lui réaliser un
escarpin en pâte à sucre noire qui trônait fièrement sur le dernier étage
d’un gâteau gigantesque. La maman m’avait expliqué vouloir quelque
chose de grand et de tape-à-l’œil. Ça tombait bien, j’avais besoin d’une
première commande pour faire parler de moi dans le coin et faire de la
pub gratuitement.
– Tu as réussi à tout gérer, toute seule ? S’inquiète-t-elle.
J’ai l’impression de m’entraîner pour courir le prochain marathon, à
part ça, tout va bien. Entre les six tables du salon de thé et le comptoir
des ventes à tenir, ça a été difficile de tenir la barque correctement.
– Je pense que certains clients ont trop attendu. Il faudrait que je
puisse me couper en deux, me lamenté-je, fatiguée.
– Ou il faudrait que tu prennes quelqu’un avec toi pour t’aider ? Me
conseille l’ancienne propriétaire.
– Je ne sais pas, Rosa. Avoir un employé, alors que je ne sais pas du
tout si la pâtisserie va fonctionner. Ça ne me paraît pas raisonnable, lui
fais-je remarquer.
– Tu peux être sûre que si les clients s’impatientent, tu ne les reverras
plus, m’assène-t-elle.
– Ce n’est pas faux, ne puis-je m’empêcher de penser à voix haute.
– Écoute, ma petite Angela, je t’aime bien. J’ai envie que tu y arrives.
Je ne veux pas voir cet endroit vide et abandonné. Tu lui as donné une
nouvelle âme, alors ne fais pas de bêtises, s’il te plaît. Servir les clients
convenablement, c’est essentiel pour les faire revenir. Prends quelqu’un à
mi-temps au moins au départ.
– Je vais y réfléchir, lui certifié-je.
Rosa est tellement gentille depuis qu’elle m’a vendu la pâtisserie.
Nous nous sommes prises d’affection l’une pour l’autre et ça me fait
chaud au cœur qu’elle soit venue prendre de mes nouvelles, ce soir. Ses
conseils et son amitié me sont précieux. Je n’ai pas pour habitude d’être
rassurée et encouragée dans ce que j’entreprends.
Nous bavardons encore un petit peu avant que Rosa ne retourne chez
elle. Elle me parle de ses belles années et ne manque jamais de me
donner une petite recette de grand-mère. Je finis de nettoyer les tables et
le sol pour que tout soit prêt demain matin.
Je monte dans mon petit appartement qui est juste au-dessus. C’était
aussi un des avantages du salon de Rosa. Il était vendu avec un deux-
pièces meublé. Cela m’évitait d’avoir à chercher un appartement. Certes,
il n’est pas moderne et les peintures sont défraîchies, mais je suis chez
moi. Et ça, ça n’a pas de prix.
J’ai besoin d’une douche bien chaude pour ôter le poids de cette
journée difficile. J’enlève ma tenue de travail et file sous le jet d’eau, qui
ne coule pas régulièrement dans ma cabine exiguë.
Au fil des jours, j’avais remarqué que les hommes avaient du mal à se
concentrer sur le choix des parfums qu’ils souhaitaient pour leurs
macarons, lorsque je venais prendre la commande. Il faut dire que pour
mon uniforme, j’avais opté pour une robe identique à celles des
serveuses dans les « diners » américains de l’époque. Le premier jour, il
s’agissait d’une robe rose clair avec des boutons noirs sur le devant. Elle
était courte et se portait avec un cerceau qui élargissait son diamètre. Le
col et les retours de manches étaient en damiers noirs et blancs. J’avais
aussi lacé le petit tablier style soubrette autour de ma taille. Je portais
fièrement le petit chapeau rose avec une queue de cheval bien haute.
C’est simple, il ne me manquait plus que les rollers pour être
complètement fidèle à l’image de ces dames d’autrefois. Le site sur
lequel j’avais trouvé cette petite merveille en vendait de toutes sortes, j’en
arborais donc une différente tous les jours.
Si mon père me voyait dans cette tenue, je passerais un sale quart
d’heure. Il me reprocherait de vouloir attirer l’attention. Il me dirait que je
devrais savoir depuis le temps qu’en étant sa fille, je suis censée me
montrer irréprochable et ne pas faire dans l’extravagant.
Je m’installe dans mon canapé et regarde une émission à la télé en
grignotant un sandwich. Je finis par m’endormir plus heureuse que je ne
l’ai jamais été. Je vis seule et je suis enfin libre de faire ce que je veux.
J’ai tout laissé derrière moi pour démarrer une nouvelle vie. Je fais ce
que j’aime le plus au monde et j’ai même ouvert ma propre boutique. Je
suis à Centori, bien loin de mon père et de toutes ses règles drastiques.
Personne ne viendra me dicter mon comportement ou me dire ce que je
dois faire, ici. Ce temps-là est révolu.
Après une matinée de folie, et la confection de dizaines de macarons
et pâtisseries diverses, je profite du calme du début d’après-midi pour
aller distribuer les flyers que j’ai conçus de mes petites mains, la veille.
Je dois absolument promouvoir mes gâteaux d’anniversaire pour
augmenter mon chiffre d’affaires, et le plus tôt sera le mieux. Mes Vans
violettes au pied, je gambade dans les rues du centre-ville et commence
mon interminable partie de boîtes aux lettres. J’en profite pour repérer
les lieux. Depuis que je suis ici, soit deux semaines, je suis calfeutrée
entre quatre murs à bosser non-stop. Le soleil se tient fièrement dans le
ciel et nous fait plisser les yeux. La chaleur environnante ne va pas me
faciliter la tâche. Je n’aurais pas pu choisir pire moment pour distribuer
des tracts. Je repère plus loin, un magasin d’alimentation avec un grand
parking. Finalement, je vais peut-être opter pour déposer mes affiches
sur les pare-brise des voitures. Ça ira certainement plus vite.
Je veille à bien faire attention aux essuie-glaces, je ne voudrais pas
qu’un automobiliste m’engueule en me voyant toucher à sa voiture. Après
une heure de placardage, j’entre dans l’enseigne pour acheter une San
Pellegrino pour me réhydrater, sous peine de finir toute sèche comme
une vieille pêche, restée trop longtemps au soleil.
Je ressors en buvant de grandes gorgées et j’aperçois du coin de l’œil
une bande de jeunes en train de s’amuser à retirer tous mes flyers des
voitures. Ils les mettent en boule et se les balancent à travers le parking
en rigolant. Sans plus réfléchir, je me rue vers eux.
– Hé ! Arrêtez de retirer mes pubs des voitures ! Leur hurlé-je dessus.
Les jeunes se regroupent rapidement autour de moi et je n’avais pas
soupçonné qu’ils étaient si nombreux. Ils m’entourent, mais je tente de
faire bonne figure au milieu de cet attroupement. Ne pas montrer sa peur,
première règle d’autodéfense. Je cherche du regard les gens qui
déambulent à côté de nous pour avoir un soutien, mais les passants font
mine de ne pas remarquer qu’il se trame quelque chose.
– Je ne crois pas que vous ayez eu l’autorisation de faire de la
distribution de pub sur ce parking, s’adresse à moi, de façon sournoise,
celui qui doit être le chef de la meute.
– Je suis désolée, m’excusé-je, sans me démonter, j’ignorais qu’il en
fallait une.
– Vous voilà prévenue maintenant, se contente-t-il en retour. Allez les
gars, au boulot.
La troupe se disperse et ils reprennent leurs activités, réduisant à
néant les efforts que je viens de faire. Certains déchirent en mille
morceaux mes impressions et les lancent en l’air comme si c’étaient de
simples confettis. D’autres reprennent leur bataille de boules de papier et
ont l’air de s’amuser, tels des gamins en culotte courte.
– Vous êtes vraiment obligés de retirer mes affiches ? Pesté-je, en
colère contre le donneur d’ordres.
Entre le temps passé sur l’élaboration du tract, et mes efforts pour la
distribution sur ce parking, ils sont en train d’anéantir quasiment une
journée entière de boulot. Si je compte combien m’ont coûté le papier
glacé et les cartouches d’encre, ils balancent plus d’une centaine d’euros
à la poubelle. Et, impossible d’estimer les pertes de ce qu’aurait pu
m’apporter mon action.
– Que ça vous serve de leçon, et estimez-vous chanceuse qu’on se
contente de ne faire que ça, me menace-t-il, juste avant de s’en aller
rejoindre ses copains, pour leur donner un coup de main.
Non, mais je rêve ! Pour qui se prend ce morveux ? Ils sont en
surnombre et je ne peux donc absolument rien faire. Une belle bande de
lâches. Voyant l’heure tourner sur ma montre Cerutti, chinée par ma sœur
dans un marché aux puces, je m’avoue vaincue et retourne à la pâtisserie
passablement énervée. Je me sens humiliée et en position de faiblesse,
tout ce que je ne voulais plus jamais ressentir.
De retour à la boutique, l’adrénaline retombe et l’énervement s’infiltre
dans mes membres. Je me brûle à chaque sortie du four, ce qui n’est pas
dans mes habitudes. Je garde espoir qu’il s’agisse d’un acte isolé d’une
bande d’idiots n’ayant rien de mieux à faire, et que je sois passée sur leur
chemin au mauvais moment.
Je viens de finir de glacer cinquante cupcakes dans trois coloris
différents et, pas une seule fois, je n’ai entendu la cloche de l’entrée
tinter. Un coup d’œil à l’horloge m’indique qu’il est pourtant l’heure où les
gens rentrent du travail et j’ai souvent pas mal de monde à cette heure-ci.
Je me lave les mains en faisant attention à mes quelques petites
brûlures et vais jeter un coup d’œil à l’avant du magasin.
La scène qui se joue me cloue sur place dans un premier temps. Je
reconnais certains jeunes du parking. Ils sont devant ma pâtisserie et en
bloquent l’accès. Ils sont tous debout et ils empêchent la lumière du jour
d’entrer par les vitrines, tellement ils sont nombreux. Ils plaisantent entre
eux en s’exclamant fortement, ils fument et boivent des « Bira Del
Borgo ». Je ne sais pas trop comment réagir. J’ai bien trop peur de sortir
et, appeler la maréchaussée, non merci. Si c’est pour qu’ils m’envoient
deux flics bedonnants à la veille de la retraite, ils ne me seront pas d’une
grande utilité. Finalement, c’est celui qui s’est adressé à moi tout à
l’heure qui prend une décision en entrant. Il paraît avoir tout juste la
vingtaine. Le tintement tant attendu se fait entendre et le son me paraît
maintenant un brin angoissant.
– Qu’est-ce que vous voulez ? L’interrogé-je en lissant mon tablier
correctement pour m’occuper les mains.
Le jeune homme prend son temps et fait mine de réfléchir à ce qu’il
pourrait bien acheter. Le silence me prend à la gorge et je me dis que je
devrais essayer de me saisir d’un couteau, au cas où.
– Rien de particulier, se cantonne-t-il à me répondre, c’est juste un
petit avertissement.
– Je ne comprends pas, m’agacé-je à voix haute, alertée par le dernier
mot de sa phrase, qui n’augure rien de bon.
– Quelqu’un se chargera de vous expliquer les choses plus en détail,
ce n’est pas mon rôle, me confie-t-il, mais à ce moment-là, repensez à
nous. On s’est montré courtois jusqu’ici et ça serait dommage que les
choses s’enveniment.
Abasourdie, je le regarde s’emparer d’un cupcake Redvelvet et sortir
de ma boutique. Je reste là sans bouger et les observe squatter mon
trottoir quelques instants. Le chef de la bande me jette un regard à
travers la vitrine, tend sa bière dans ma direction et boit à ma santé.
Toute la bande déguerpit peu après, mais le mal est fait. L’heure du rush
est passée et vu l’état de la devanture de ma boutique, personne ne
viendra encore acheter quelque chose aujourd’hui. Des débris de
canettes jonchent le sol, accompagnés de papiers en tout genre et de
mégots de cigarette.
Tout en nettoyant ce bordel, je repense à la phrase du chef qui me
disait que quelqu’un viendrait m’expliquer les choses. Je redoute cette
entrevue et ce qui va m’être demandé. Il est fort possible que la mafia
sévisse dans le coin, auquel cas, je suis dans de beaux draps. La police
ne pourra ou ne voudra rien faire. Il ne me reste plus qu’à espérer que ce
ne soit pas un clan trop violent.
Alors que je range ce qui me reste d’achalandage, passablement
énervée, une jeune femme entre dans la boutique.
– Mince, vous fermez ? Me questionne-t-elle, déçue.
Finalement, je vais peut-être terminer cette journée sur une note
positive avec une cliente de dernière minute.
– Je commence à peine à ranger, je vous en prie, entrez, l’encouragé-
je en essayant de sourire, même si, ni le cœur, ni l’envie, ne sont présents,
vu la journée que je viens de passer.
– Je reçois quelques amis ce soir et ce n’était pas prévu. Qu’est-ce
qu’il vous reste encore ? Me questionne-t-elle, en balayant des yeux le
comptoir.
J’entreprends d’ouvrir à nouveau quelques boîtes que j’allais ranger
dans le réfrigérateur pour la nuit.
– Vous avez de la chance, pour une fois, il me reste du choix, lui
indiqué-je. Vous serez combien en tout ?
Le malheur des uns fait le bonheur des autres, ironisé-je en pensée.
– Nous serons une petite vingtaine, me précise la jeune femme.
– Très bien, je peux vous confectionner un assortiment de macarons
de plusieurs parfums. J’ai encore chocolat, citron, fraise, menthe et
pistache. Je vous en mets quatre de chaque sorte et vous aurez un
macaron par personne.
– Ça me semble une bonne idée, bredouille-t-elle, sans plus.
– Vous désiriez autre chose, peut-être ? L’interrogé-je, pour avoir son
avis.
Je veux finir cette journée par une vente pour me remonter un peu le
moral.
– Le gâteau que vous avez derrière vous, dans la vitrine.
Elle pointe du doigt ma dernière création.
Il est affiché à 50 euros pour 8 à 10 personnes. C’est un cake au
citron et à la crème. Il est nappé d’un glaçage blanc recouvert de crème
fouettée rose flashy coulant sur le dessus. Pour finir l’effet, j’ai ajouté une
boule de pâte à sucre rose comme s’il s’agissait d’une boule de glace à la
fraise et un cornet en biscuit dessus renversé. Ça donne l’impression que
la glace de quelqu’un est tombée gracieusement sur le gâteau et que le
tout dégouline de manière suggestive. Je ne pensais pas le vendre
aujourd’hui et l’aurais bradé demain à moitié prix, alors c’est peu dire que
j’ai envie de sautiller sur place. Je prépare une grande boîte à emporter et
ouvre la vitre pour sortir le dessert.
– Vous prenez les macarons avec ? Tenté-je, puisque le gâteau ne
suffira pas.
– Oui s’il vous plaît, merci.
Le tout emballé dans mes boîtes à dessert et mes sacs à l’effigie de
ma boutique, j’enregistre ses achats dans la caisse.
– Ça vous fera soixante-dix euros, s’il vous plaît, lui indiqué-je,
contente de cette dernière vente.
La jeune femme s’empare des sacs, que je lui ai préparés, et quelque
chose dans son visage angélique change tout à coup.
– Pour le règlement, ça sera à voir avec mes amis qui vous ont rendu
une petite visite tout à l’heure, articule-t-elle, moqueuse.
Je rêve ou ils pensent pouvoir venir se servir dans ma boutique quand
ils organisent une petite soirée. C’en est trop pour une journée ! Je me
suis laissé faire sur le parking, puis dans la pâtisserie quelques heures
plus tôt. À chaque fois, ils étaient en surnombre. Là, elle semble être
venue toute seule, alors c’est équilibré.
– Je te conseille de reposer ces sacs tout de suite, lui ordonné-je
sans plus de politesse, les dents serrées en sortant de derrière le
comptoir pour lui barrer le passage vers la porte.
– Et moi, je vous conseille de ne pas faire d’histoires et de me laisser
partir, me menace-t-elle.
– Tu vas laisser ce gâteau et ces macarons ici. Tu diras à ton chef,
pas celui qui était sur le parking et qui est venu ensuite, non, à celui qui
vous envoie tous me faire chier, que s’il a un problème, qu’il vienne lui-
même au lieu de se comporter comme un lâche en envoyant des gens à
sa place.
– Vous allez le regretter, rigole-t-elle, en faisant tomber les pâtisseries
à ses pieds.
– C’est toi qui va regretter d’être restée ici, si tu es encore là dans
deux minutes, lui balancé-je, hors de moi.
Pour l’instant, je suis trop en colère pour ressentir la peur et
l’angoisse de la venue prochaine de l’homme qui se cache derrière cette
bande. Mais là, c’était la visite de trop. Je referme la porte derrière elle à
double tour et baisse le store, pour qu’on ne puisse plus voir l’intérieur de
la boutique. Je ramasse ce que j’avais préparé et me remets à la tâche de
rangement. Le cake design façon glace à l’envers est foutu. Je décide de
l’emporter à l’étage dans mon appartement pour en faire mon repas du
soir. Rien de mieux qu’une overdose de sucre pour finir une journée aussi
merdique.
Il est minuit passé et je suis avachie dans mon canapé avec la télé
allumée tout en somnolant. Le fait d’avoir faire déguerpir la petite idiote
m’a calmé les nerfs, dans un sens. Je suis fière de ne pas m’être laissé
faire, au bout du compte. Par contre, je suis complètement hors service,
ce soir. Je me lève aux aurores pour pâtisser tous les desserts
nécessaires. Je prévois de plus en plus de sortes différentes pour
essayer de faire venir le maximum de monde. Mais le reste de la journée,
j’ai du mal à tenir le rythme soutenu.
Si je commence à avoir quelques commandes de gâteaux
d’anniversaire, je ne sais pas quand je vais pouvoir les réaliser sans
m’aménager un moment dans la journée pour m’y consacrer et délaisser
le salon de thé. Ces gâteaux spéciaux sont mes commandes les plus
importantes, car financièrement, elles me permettent de rentrer
beaucoup d’argent, en une seule fois. Je ne dois pas les négliger en les
prenant à la légère.
Je vais donc écouter Rosa. Après tout, elle a géré cette boutique
pendant plusieurs années et connaît mieux que moi les attentes des
habitants de cette ville. Dès demain, une annonce sera accrochée sur la
devanture de la pâtisserie. J’espère trouver quelqu’un de sérieux,
rapidement. Le bouche-à-oreille a l’air de commencer à fonctionner, je le
ressens à la fréquentation. Alors, je prends un risque modéré en
embauchant une personne à mi-temps.
J’entends des motos passer dans la rue, mais il me semble qu’elles
s’arrêtent en laissant le moteur allumé. Alors que je me lève pour voir de
qui ou de quoi il s’agit, j’entends un énorme bruit de verre qui éclate. Je
prends peur et je fonce à la fenêtre. Je vois un type assis sur une moto.
Un autre homme avec une capuche sur la tête frappe encore et encore la
vitrine de ma boutique jusqu’à ce qu’elle cède sous la puissance de ses
coups de batte de base-ball. J’ouvre la fenêtre et hurle comme une
dingue. Je ne sais pas ce que j’espère en faisant ça, mais ça permet à ma
peur de s’exprimer. Je dévale les escaliers menant à la boutique à toute
vitesse, mais une fois arrivée, je ne peux que voir ces deux connards s’en
aller.
Le vent s’engouffre dans la pâtisserie. Le type n’y est pas allé de main
morte. L’immense vitrine avec ces décors de cupcakes est en mille
morceaux, dispersée sur le macadam du trottoir. Mon cœur est dans le
même état sur le sol de la pâtisserie. Les larmes me montent aux yeux et
je ne peux pas les empêcher de couler abondamment. Pourquoi s’en
prennent-ils à moi de la sorte ? Qu’est-ce que je leur ai fait pour mériter
ça ? Il n’aura fallu que d’une minute pour que ces deux hommes
massacrent l’entrée de la boutique.
Deux heures de balai plus tard, tous les morceaux de verre ont
disparu, au prix de coupures aux doigts et d’un mal de dos phénoménal. Il
y en avait dans tous les recoins. J’ai finalement mis la main sur le
numéro vert de l’assurance, que j’ai pu joindre au milieu de la nuit.
Moyennant un gâteau d’anniversaire gratuit pour sa petite fille, un artisan
verrier m’a fait passer en priorité ce matin, et est déjà en train de changer
ma vitrine. Je jubile à l’idée que cette bande de petits cons repasse par
ici pour voir que tout est déjà réparé.
– Bonjour, me chantonne une jolie voix, me sortant ainsi de mes
pensées. Une amie qui est passée ce matin m’a dit que vous cherchiez
une vendeuse ?
Elle est très souriante ce qui lui fait tout de suite gagner des points.
– Oui effectivement, mais seulement à mi-temps, lui indiqué-je.
– Ben, ça m’arrangerait en fait. Je suis étudiante donc un temps
partiel serait parfait pour moi, m’explique-t-elle, en gardant son air joyeux.
Je vois déjà la file s’agrandir alors que nous parlons seulement
depuis trente secondes. Je suis crevée et je n’ai pas envie, ni la force de
passer son CV au crible. De toute façon, son parcours ne doit pas être
bien conséquent vu qu’elle est encore étudiante.
– Vous pouvez commencer quand ? Lui demandé-je en lui offrant
mon premier vrai sourire de la matinée.
– Dès que vous voulez, m’assure-t-elle, surexcitée, ayant compris
implicitement que c’était dans la poche.
– Alors tout de suite, venez derrière le comptoir avec moi, votre
formation commence sur-le-champ.
La jeune femme en sautille presque sur place et ça me redonne la
pêche. J’enchaîne les ventes de macarons, de cupcakes et distribue à
chacun un petit dépliant montrant l’étendue de ce que je propose. Il me
faut impérativement plus de commandes de gâteaux spéciaux
maintenant que j’ai une employée. Une fois tout le monde servi, je me
tourne vers la jeune femme que je viens d’engager sans même connaître
son prénom.
Ici, je peux enfin être impulsive et prendre mes décisions, toute seule.
Si j’avais ouvert mon affaire à Rastori, mon père aurait voulu tout
contrôler. Par exemple, il aurait voulu vérifier les antécédents de ma
recrue, avant toute chose. Et mon choix ne lui aurait certainement pas plu
et il m’aurait imposé quelqu’un d’autre.
Je tends, enfin, la main à la jeune femme,
– Je m’appelle Angela Alessi, soit la bienvenue, me présenté-je, en lui
serrant la main.
– Aurélia Alario, enchantée et ravie de travailler pour vous, rigole-t-elle
en répondant à ma main tendue.
– As-tu un peu d’expérience ? M’intéressé-je, tout de même.
– Non, pas vraiment. Je suis en première année de médecine à la fac.
C’est beaucoup de travail, mais j’ai besoin de me vider l’esprit et de
penser à autre chose de temps en temps. Alors, j’ai pensé que me trouver
un petit job serait une bonne solution et apporterait une touche de
sérieux à mon CV.
– C’est une bonne idée, selon moi. On s’occupe d’organiser tes
horaires et tu reviens demain. Je ferai préparer un contrat par le
comptable. Je te propose de te prendre à l’essai un mois et si à la fin ça
nous convient à toutes les deux, c’est parti.
En vrai, si je n’ai pas au moins deux commandes spéciales d’ici là, je
ne la garderai pas, mais inutile de lui dire.
– C’est parfait, merci beaucoup, se réjouit-elle.
Après avoir vu ensemble comment aménager son emploi du temps
pour faire coïncider les moments où j’ai besoin d’elle ici et les cours
qu’elle ne doit surtout pas manquer, j’informe le comptable et Aurélia
repart chez elle.
C’est vraiment plaisant d’avoir quelqu’un avec qui travailler. Ça m’a
plu de tout lui expliquer et elle a pris beaucoup de notes. Elle m’a semblé
très intéressée et sérieuse. Elle avait souvent des questions pertinentes.
C’est une bonne fée qui a dû m’envoyer cette fille. Elle m’en a fait oublier
mes soucis de la veille.
En fin de journée, je monte les chaises du salon de thé sur les tables.
Je passe l’aspirateur et nettoie les sols. Quand, petite fille, je m’imaginais
à la tête de ma propre boutique qui serait, bien entendu, magnifique, je
n’avais pas pensé que je ferais autant de ménage. La pâtisserie n’occupe
pas autant mon temps que je le souhaiterais et ça m’embête. J’espère
que la venue d’Aurélia changera la donne et me permettra de me
consacrer à ma passion.
Alors que je m’apprête à fermer la porte d’entrée, l’homme de l’autre
jour la pousse pour être certain que je le laisse entrer. Je ne me sens pas
rassurée avec lui. Il a quelque chose dans son regard qui me met mal à
l’aise.
– La boutique est fermée, lui indiqué-je espérant qu’il s’en aille.
– Ça tombe bien, je ne viens pas pour acheter, me rétorque-t-il
sèchement.
Je crois que le grand chef s’est décidé à se présenter de manière
officielle cette fois-ci.
4

Adriano Alario

Après avoir fait deux heures de sport avec Anthony et mis KO Batista
à la boxe ce matin, je suis resté enfermé dans mon bureau toute la
journée. J’ai revu en détail avec Giacomo quels hommes pouvaient
rejoindre les équipes des récolteurs pour en repasser le plus possible en
trio. Il m’a semblé contrarié que je veuille tout vérifier, mais je m’en
balance. Il a été prudent en vérifiant plusieurs fois les informations qu’il
avait sur les différents gars qui souhaitent rejoindre mon clan. Il sait qu’il
a perdu ma confiance depuis qu’il a laissé s’infiltrer un flic et que je vais
avoir du mal à oublier ça. Sa connerie aurait pu nous coûter cher, enfin
surtout à moi. Jérémy aurait pu tous nous faire tomber avec un peu de
temps.
Le rendez-vous avec notre fournisseur de cocaïne est confirmé. Nous
attendons une grosse livraison et sommes donc tous à cran. C’est une
transaction dangereuse à chaque fois, et il nous faut avoir tout anticipé.
Anthony a prévu une équipe de six hommes pour assurer ma sécurité. Ça
me fait chier, mais je sais que s’il estime cela nécessaire, c’est que ça
l’est. Des rumeurs circulent que le clan du sud du pays aimerait prendre
une partie de notre territoire. Il faut dire que Centori est une ville très
lucrative. Rien qu’avec la faculté de médecine, on fait des bénéfices
énormes en revendant la came. Il y a aussi le business des paris sur les
combats de boxe clandestins qui nous rapporte pas mal. Et ensuite
viennent les commerçants de la ville qui doivent tous payer leur taxe de
sécurité auprès du clan : le pizzo.
Ça me fait repenser que les frères Tagliani m’ont dit avoir dû
employer les grands moyens chez la petite pâtissière. Madame a décidé
de se la jouer rebelle. Nul doute que ses belles vitrines en mille morceaux
vont fragiliser son excès de confiance. Et, puisqu’elle l’a demandé si
poliment, je vais me faire un plaisir de lui rendre une nouvelle petite visite.
J’enfile mes gants en cuir et me mets au volant de ma Cadillac LTS et
prends la route de sa boutique. Je me gare sur le trottoir d’en face et
remarque de suite que les dégâts ont été réparés. Elle est efficace la
petite, moins d’une journée pour la remise en état, elle a battu le record
de rapidité que détenait l’ancien pizzaïolo.
Je m’empresse de m’engouffrer à l’intérieur, voyant qu’elle s’apprête
à verrouiller l’accès.
– La boutique est fermée, m’accueille-t-elle, froidement.
– Ça tombe bien, je ne viens pas pour acheter, lui rétorqué-je, en
refermant la porte derrière moi. J’ai appris que vous aviez eu des ennuis
dernièrement.
– Si par ennuis, vous voulez dire qu’une bande de petites frappes s’en
prend à moi sans raison et sont même allés jusqu’à casser mes vitres,
alors oui, vous êtes bien renseigné, s’énerve-t-elle.
– Rien n’arrive jamais par hasard, Angela, lui indiqué-je en circulant
entre les tables de son salon thé et en faisant mine d’observer le décor.
– Ce n’était pas grand-chose au final, m’assure-t-elle en haussant les
épaules. Un coup de fil et tout était réparé dans la matinée.
Je me dirige vers elle d’un pas décidé pour raccourcir la distance qui
nous sépare. Je n’apprécie pas trop sa désinvolture face aux premières
attaques du gang.
– Pour cette fois-ci, c’était suffisant. Mais la prochaine fois ?
L’interrogé-je suspicieux.
Elle a reculé à mesure que j’avançais, jusqu’à buter contre le
comptoir, l’empêchant de continuer sa progression. Je réduis encore
l’espace entre nous et plante mes yeux dans les siens.
– Parce que je peux vous assurer qu’il y aura bien une prochaine fois,
et que les choses ne vont aller qu’en empirant.
Elle ravale sa salive et pose la question qui lui brûle les lèvres d’une
petite voix.
– Comment pouvez-vous le savoir ?
– J’ai des hommes partout dans les rues de Centori. Ils peuvent
s’assurer que rien ne vous arrive de jour comme de nuit, lui indiqué-je,
comme pour la rassurer.
– Pourquoi ai-je comme l’impression que c’est tout le contraire, que
vos hommes sont justement ceux qui me font vivre un enfer, s’agace-t-
elle, en prenant une voix assurée.
Cupcake sort les dents. Je suis habitué aux pleurs et je trouve que ça
la rend diablement sexy de me tenir tête.
– Peut-être parce que vous avez un bon instinct, concédé-je avec un
demi-sourire.
Elle tremble un peu, mais affronte tout de même mon regard noir qui
la transperce.
– Qu’est-ce que vous voulez ? Conclut-elle, courageusement.
Je jubile de la faire plier. Ça fait déjà plus de dix jours qu’elle est là. La
plupart n’ont pas eu sa tranquillité si longtemps. Elle devrait s’estimer
heureuse.
– Les commerçants de Centori doivent tous s’acquitter du pizzo*.
Deux mille euros par mois, précisé-je. Payables d’avance, bien entendu.
Je vous laisse deux jours pour m’apporter le premier versement en
liquide.
Quelques secondes de silence s’éternisent, le temps pour elle
d’assimiler ce que je viens de lui dire.
– Et ne vous permettez plus jamais d’insinuer que je me cache
derrière mes gars ou que je suis un lâche, la réprimandé-je, comme une
enfant.
J’attrape une mèche de ses cheveux et joue avec. D’un geste
brusque, elle frappe ma main avec la sienne pour la retirer. Plus rapide
qu’elle, je lui agrippe le poignet fermement. Ses yeux sont écarquillés
face à la brutalité de mon geste et elle tente de se reculer, sans résultat.
– Vous regretteriez de me faire déplacer une seconde fois, lui
murmuré-je, tout près de son oreille, en m’enivrant des effluves de son
doux parfum aux touches sucrées.
Je ressors de sa boutique sans un mot de plus et retourne dans le
confort de ma berline de luxe. J’espère que ma visite convaincra notre
nouvelle arrivante qu’il est dans son intérêt de payer sa taxe. Je dois
avouer qu’elle est plutôt jolie et ça m’embêterait que les choses
déraillent. Elle n’imagine pas le calvaire que je peux lui faire vivre, si elle
refuse de se soumettre. Briser ses vitrines et le reste n’était qu’un amuse-
gueule.
À peine ai-je franchi le seuil de la maison que j’entends Aurélia débiter
un flot de paroles.
– Elle est vraiment super sympa comme patronne, bavarde-t-elle, aux
anges.
– Je ne suis pas sûre que ce soit raisonnable que tu travailles
pendant tes études, estime notre mère tout en mangeant.
– On en avait parlé et tu avais donné ton accord, boude Aurélia.
Qu’est-ce qu’elle est chiante avec ses caprices quand elle s’y met,
celle-là ! J’entre dans la salle à manger et vais embrasser mon père et ma
mère.
Je m’assois à ma place et fixe ma sœur qui fait mine de se
concentrer sur ce qui se trouve dans son assiette.
– Il ne me semble pas que tu m’en aies parlé à moi ? M’impatienté-je.
C’est quoi cette histoire de job ?
– Maman m’a dit que je pouvais prendre un petit boulot si j’en avais
envie, se défend-elle avec véhémence.
– Et pourquoi voudrais-tu travailler alors que tu dois te concentrer sur
tes études et que tu n’as besoin de rien ? M’agacé-je qu’elle ne
comprenne pas qu’elle va compliquer la vie de tout le monde.
Elle est butée et n’en fait qu’à sa tête. Sa sécurité est gérée sur le
campus et à Centori. Elle a tout ce qu’elle veut, alors pourquoi veut-elle se
faire chier à bosser ?
– Adriano, intervient ma mère en posant sa main sur la mienne pour
me calmer, laisse ta sœur. Elle étudie beaucoup et elle a de très bons
résultats. Elle mérite de faire autre chose de temps en temps.
– Et tu n’as rien trouvé d’autre comme passe-temps que d’avoir un
boulot ? M’étonné-je de sa nouvelle lubie.
– Pour ne pas te créer d’ennuis, j’ai trouvé un emploi à Centori.
Comme ça, les garçons sont toujours dans le coin en cas de problème,
me rassure-t-elle pour contrecarrer toutes objections de ma part.
Elle a un peu réfléchi, au moins. C’est sûr que c’est plus arrangeant
qu’elle travaille sur mon territoire. Tout le monde la connaît et sait qu’il ne
vaut mieux pas y toucher. Je me demande d’ailleurs qui a eu le culot de
l’embaucher sans venir demander mon autorisation. Je vais me faire un
plaisir de lui rappeler qui est le chef ici et qu’aucune décision, surtout qui
implique ma famille, ne se prend sans moi.
Je vois dans le regard d’Aurélia qu’elle attend en silence mon accord.
Elle sait que si je m’y oppose, elle devra obéir. Elle n’aura pas d’autres
choix.
– Chez qui tu travailles ? Capitulé-je en haussant les sourcils, vaincu
par son regard de chien battu.
– Chez Angela, tu sais celle qui vient d’ouvrir une pâtisserie. C’est une
nana hyper cool. Je l’adore déjà, fanfaronne-t-elle.
Elle sort de table et vient vite m’embrasser sur la joue et me glisse un
merci à l’oreille. Oui, je reviens à peine de sa boutique alors, je sais très
bien qui est Angela. La seule et unique personne devant de l’argent au
clan actuellement. Il y a quelque chose dans sa manière de s’être tenue
droite face à moi et dans son regard qui n’a pas flanché, qui me fait
penser qu’elle est du genre plus coriace qu’il n’y paraît. Avoir Aurélia entre
nous m’énerve davantage. J’espère pour elle qu’elle viendra payer parce
que sinon, je ne réponds plus de rien. 1
1. * Pizzo : forme de racket pratiqué par les mafias italiennes envers les commerçants
locaux, une protection dans le jargon.
5

Angela Alessi

Ce matin, à l’aube de cette nouvelle journée, je suis éreintée. Après


que cet Adriano soit venu m’intimider, j’ai eu toutes les peines du monde
à m’endormir. Dès que j’entendais un bruit dans la rue, je paniquais et me
précipitais à la fenêtre pour vérifier que personne ne s’arrêtait en bas de
chez moi. Il n’a pas l’air d’être le genre d’homme à avoir de la patience et
il m’a semblé plus que sérieux sur le versement, que je dois lui faire tous
les mois.
Pour être certaine de savoir à qui j’avais à faire, j’ai téléphoné à Rosa
ce matin pensant qu’elle pourrait m’en dire plus au sujet de ce pizzo.
Bizarrement, elle n’a pas été bavarde sur le sujet et est restée très
évasive sur ses réponses. Elle m’a dit qu’elle connaissait Adriano de nom
simplement et qu’elle n’avait jamais eu affaire à lui. Je n’ai pas insisté,
comprenant que je ne tirerais pas plus d’informations de sa part. Alors
que j’allais raccrocher, elle m’a sommée d’être prudente et a rajouté que
parfois, il fallait savoir mettre sa fierté de côté pour éviter les problèmes.
J’ai perçu dans cette phrase comme un avertissement et un conseil à
la fois. Qu’allais-je faire ? Je ne sais pas exactement à quoi je m’expose
en refusant de payer. Vont-ils continuer à m’intimider en me faisant vivre
un enfer jusqu’à ce que je cède ? C’est probable. La véritable question est
vont-ils monter d’un niveau de cruauté et de violence envers ma boutique
si je continue à camper sur mes positions ? La mafia sévit par ici, mais
est-ce que j’accorde trop d’importance à cet Adriano ?
C’est injuste de me demander une telle somme et je ne suis pas
certaine de savoir quoi faire. Je l’ai regardé partir tranquillement de ma
boutique après qu’il m’ait sournoisement menacée. Il est monté dans son
énorme voiture aux vitres teintées. Avec son costard italien sur mesure et
ses gants en cuir, il a tout du parfait gangster.
Manque de bol pour lui, je me suis promis une seule chose en venant
à Centori. Ne plus me laisser dicter mon comportement par qui que ce
soit. Aussi charmant et énigmatique soit-il. Alors ces deux mille euros, il
peut se les mettre où je pense. Je ne compte pas me laisser faire. Ma
décision est prise.
La première réaction de n’importe qui serait d’aller porter plainte
auprès de la police. Dans mon cas, c’est impensable. Je n’ai absolument
aucune confiance en eux. En plus, si Adriano a vraiment une espèce
d’autorité dans le coin, il a forcément un ripou qui le renseigne sur qui
vient baver dans son dos. Je crois qu’il m’a suffisamment dans son
collimateur, alors je vais éviter de rajouter balance à mon pedigree.
Aurélia arrive un peu en avance et je la sens de bonne humeur.
– Bonjour patronne, entonne-t-elle, en fonçant dans les vestiaires.
Je la rejoins et décide de percer l’abcès concernant la tenue. Je vois
bien à sa façon de s’habiller qu’elle suit la mode.
– Salut, et appelle-moi Angela, s’il te plaît. Le « patronne » me met
mal à l’aise. Et je préférerais qu’on se tutoie aussi, si ça te va ?
– Oh oui, bien sûr, m’accorde-t-elle en enfilant des Converses à la
place de ses talons aiguilles. C’est comme tu veux, Angela.
Je l’adore déjà. Elle me transmet sa joie de vivre et son dynamisme.
Et c’est un euphémisme de dire que j’en ai plus que besoin, aujourd’hui.
– Il y a un sujet que nous n’avons pas abordé hier, lui annoncé-je.
J’aimerais que l’on porte la même tenue de travail.
Elle m’examine de la tête aux pieds. Aujourd’hui, je porte le modèle
rouge de la robe style serveuse américaine. Je ne la forcerai pas si elle
ne veut pas, mais je serai déçue. Elle pousse un cri et saute sur place en
même temps.
– Oh la la, j’espérais vraiment que tu me le proposes. J’adore le
concept de l’uniforme qui sort de l’ordinaire. Et puis, c’est plutôt sexy.
Mon frère va en être malade et juste pour ça, ça vaut le coup.
Elle a parlé tellement vite que je ne retiens que le fait qu’elle accepte.
– Pour aujourd’hui, tu prends la robe jaune, lui suggéré-je en
examinant les différents choix dans la penderie. Note-moi ta taille sur le
bloc-notes à côté de l’ordinateur. Je passerai commande pour toi ce soir
sur le site.
Qu’est-ce que ça fait du bien d’avoir un coup de main ! Aurélia a géré
comme un chef toute l’après-midi me laissant le temps de créer une page
Facebook pour la boutique. De nos jours, c’est impossible de ne pas
communiquer via les réseaux sociaux et je doute que la bande de
demeurés sache pirater un site web.
– Tu devrais organiser un jeu-concours pour faire connaître ta page,
me recommande ma jeune employée.
– Comment ça ? L’interrogé-je, ne comprenant pas où elle veut en
venir.
– Tu proposes de gagner un truc qui vaut le coup. Pour participer au
tirage au sort qui désignera le gagnant, les gens doivent partager ta
publication, te laisser en commentaire le nom d’un ami qu’ils invitent à
participer, et surtout liker ta page.
– C’est une bonne idée ça, tu remarqueras très vite que je ne suis pas
très à l’aise avec les réseaux sociaux, plaisanté-je, en m’étirant sur ma
chaise de bureau.
– Tu verras avec ça, tu vas avoir du monde rapidement sur ta page.
Les gens sur Facebook raffolent des jeux de ce genre, m’assure-t-elle,
sûre de son idée.
Elle repart, car des clients viennent d’entrer dans la boutique. J’ai pu
remarquer au cours de la journée qu’elle connaît beaucoup de monde, ici.
Je devrais peut-être lui demander si elle connaît Adriano. C’est important
de bien connaître ses ennemis et là, je pars de zéro.
En attendant de lui poser la question, je poste ma première
publication sur la page en proposant de gagner un gâteau d’anniversaire,
pour huit personnes, sur un thème, aux choix du gagnant. Je rajoute
quelques photos de mes réalisations et énonce les conditions de
participation. On verra bien ce que ça donne. Je referme le site et file
donner un coup de main à Aurélia.
– Je sors avec des copines ce soir, ça te dirait de te joindre à nous ?
Me propose-t-elle, alors que nous nettoyons les tables.
– Oulà, c’est très gentil de ta part, mais je ne suis pas sûre que tes
copines ont envie de voir arriver une vieille à leur soirée, énoncé-je en
plaisantant à moitié.
– Arrête, tu n’as pas trente ans non plus, me balance-t-elle, sérieuse.
Donc, passé la trentaine on est vieux pour elle, c’est bon à savoir.
– Mon dieu non, lui rétorqué-je avec des yeux horrifiés, je n’ai que
vingt-cinq ans.
Nous rigolons quelques instants et elle m’oblige pratiquement à me
joindre à elle et ses amies. Après réflexion, je me dis que c’est ça ou
rester toute seule dans mon petit deux-pièces, à me morfondre et avoir
peur qu’il m’arrive à nouveau quelque chose. Et puis, j’ai bien mérité de
me changer les idées.
Je ferme la boutique rapidement et monte prendre une douche. Je
prends soin de me préparer convenablement. Je ne tiens pas à faire
tache à côté du groupe de filles que je m’apprête à rejoindre. Aurélia m’a
donné rendez-vous au « Cabaret ». Elle m’a dit que c’était une sorte de
bar à l’ancienne et que ce soir c’était une soirée piano-bar. Je m’étais
imaginée qu’elle m’emmènerait en boîte de nuit danser sur de la house.
J’avais tout faux.
J’ai pris soin de sécher mes cheveux et je décide de les laisser
lâchés. Je ne le fais que très rarement, car mon père voulait toujours que
je les attache. C’est donc devenu une habitude et il est temps que je m’en
débarrasse. Il me reprochait d’attirer trop l’attention sur moi avec mes
longs cheveux blonds qui tombent jusque dans le bas de mon dos. Par
chance, j’ai la tenue parfaite pour aller à ce genre de soirée. J’enfile ma
petite robe noire à fines bretelles. Elle a plusieurs bandes de franges
perlées qui s’agitent au moindre de mes mouvements. Je rajoute mon
hair-band dans les cheveux avec la plume noire et je suis pile dans le
style charleston. J’adore les modes anciennes et ici, je suis libre de sortir
habillée comme je le veux. Quitte à faire un peu déguisée, je m’en fous.
Je vis ma vie comme bon me semble, peu importe l’avis des autres.
Je suis enfin libre de porter ce qui me plaît et de faire ce que je souhaite.
Ce soir, je me sens forte et ma décision est prise. Je ne capitulerai pas
face à ce bel italien.
6

Adriano Alario

Notre quartier général, « Le Cabaret », se situe sur l’artère principale


de Centori. C’est un petit restaurant qui compte une vingtaine de tables.
Une cuisine typiquement italienne concoctée par notre Chef Massimo qui
refuse de mettre en place une carte. Tous les jours, nous dégustons ses
menus en fonction de son humeur du jour.
Mes parents se sont rencontrés ici. Ma mère y passait sa soirée avec
des amies. Mon père aime raconter qu’il a eu un coup de foudre, ce soir-
là, dès qu’il a posé les yeux sur elle. Je n’en sais pas plus sur comment il
a réussi à lui passer la bague aux doigts alors qu’il était un bandit notoire
et elle, une jeune femme de bonne famille.
Mon père lui a offert « Le Cabaret » comme cadeau de mariage et il
est devenu, au fil des années, un lieu important pour notre famille, au sein
duquel nous aimons nous retrouver et célébrer nos heureux événements.
J’y ai installé mon bureau d’affaires en coulisse, car sa situation au
cœur de Centori me permet d’être toujours au centre de la ville. Une fois
par mois, une soirée « scène ouverte » est organisée et permet aux
clients de prendre le micro pour devenir la vedette, le temps de quelques
minutes.
C’est l’occasion pour mes hommes, peu importe leur rang dans le
gang, de venir me parler librement sans passer par leur référent. Je me
rends disponible en restant seul dans un coin du bar. Généralement, ils
ne viennent jamais pour cracher sur un autre membre, mais plutôt pour
un coup de main financier ou encore pour régler un léger différend avec
un gang adverse.
Je fais jouer mes glaçons dans mon whisky lorsque ma sœur arrive
avec ses copines. Les étudiantes affectionnent particulièrement cette
opportunité de se prendre pour Laura Pausini. Elles prennent place à leur
table habituelle et je remarque une belle blonde aux cheveux très longs
en plus dans leur groupe. Elle est de dos et je ne peux qu’admirer ses
courbes mises en valeur dans une petite robe noire, qui rappelle les
années vingt, perchée sur des talons vertigineux.
Je m’abreuve d’une gorgée de mon alcool, en réfléchissant s’il est
judicieux de me taper une amie de ma sœur, lorsque la jeune femme en
question se retourne vers les autres. Putain de merde, c’est la pâtissière !
J’en cracherais presque ma boisson. J’avais remarqué qu’elle avait du
charme, mais là, elle est carrément bandante. Au salon de thé, elle porte
ses cheveux bien attachés et ce soir, ils tombent dans son dos comme
un rideau couleur or, attirant tous les regards sur elle. Elle me fait penser
à cette princesse dont ma mère contait l’histoire à Aurélia petite, celle qui
tombe amoureuse d’un bandit. Raiponce en version plus sexy.
Aurélia me salue d’un petit signe de la main, accompagné d’un sourire
discret, car elle sait que malgré les apparences, je bosse. Ma sœur ne
sort que rarement de Centori, surtout le soir. Et si elle y est obligée, un
gars l’accompagne toujours. Elle a arrêté de s’en plaindre avec le temps
et s’est résignée à l’accepter, comprenant que c’est uniquement pour sa
sécurité.
Je fais signe à Ricardo, notre barman, de me servir à nouveau un
verre. Il vaut mieux avoir une bonne dose d’alcool dans le sang pour
supporter les cordes vocales de certains participants. Puis, je lui
demande d’aller offrir du champagne à Angela, en lui souhaitant de
passer une bonne soirée au « Cabaret ».
Le serveur lui apporte sa coupe et lui indique ma direction en lui
disant les quelques mots que j’ai transmis. Je tends mon bras en l’air
avec mon verre en main pour faire comme si nous trinquions, mais la
jolie blonde reste de marbre. Je distingue d’ici la colère qui danse au fond
de ses prunelles. Elle a dans le regard cette petite lueur de défi qui me
fait penser qu’elle ne compte peut-être pas se laisser faire facilement. Si
elle veut le prendre comme ça, c’est son choix. On peut utiliser la manière
douce ou la manière forte. Aucun de nous ne rompt ce lien visuel. Elle se
mord les lèvres, mais lutte pour ne pas faiblir. Je suis sûr que je lui plais,
j’en mettrais ma main à couper. Et ça doit la rendre dingue. Je hausse les
épaules et me marre. C’est elle qui choisit si ça se passe bien ou pas.
Aurélia claque des doigts devant son visage pour la ramener sur terre.
J’espère sincèrement qu’elle viendra payer le pizzo demain au clan
parce que je n’hésiterai pas à faire d’elle un exemple, si elle m’y oblige. Si
je laisse un petit bout de bonne femme me rembarrer, je peux dire adieu à
ma réputation. Et si elle pense qu’en jouant à la copine avec ma sœur, ça
lui offrira une porte de sortie, elle se trompe lourdement.
Quelques personnes sont déjà montées sur scène pour nous
interpréter quelques classiques. Je remarque de l’agitation à la table
d’Aurélia. Angela se lève sous les encouragements de ses nouvelles
amies. Putain, elle va aller chanter. Je suis curieux de voir ça. Elle est
perchée sur de hauts talons et tous les mâles de ce cabaret vont être sur
son dos après son show. Peu importe si elle chante bien ou mal. Elle sort
du lot ce soir, il n’y a pas à dire. Elle a l’air sûre d’elle en murmurant au
pianiste la chanson qu’elle a choisi de chanter et il a l’air d’apprécier le
choix. J’en profite pour laisser mon regard courir sur elle. Elle rejoint le
micro fixé sur pied et ses yeux de braise s’agrippent à nouveau aux
miens. Sa tenue un peu courte nous laisse voir ses jambes fuselées et sa
petite plume dans les cheveux la rend diablement attirante. Plusieurs de
mes gars ne se gênent pas non plus pour la reluquer, et je présume déjà
qu’ils lancent les paris sur qui la ramènera avec lui, après. Je me
demande si elle a conscience de se mettre en avant de la sorte, en
montant sur scène.
Durant les premières secondes de cette douce mélodie où elle ne
chante pas encore, chaque personne dans ce cabaret la regarde. Alors
qu’elle, elle ne regarde que moi. Ses yeux sont sombres et sa bouche est
droite et fermée. Pas de sourire qui pointe à l’horizon.

And you got me let go (Et tu m’as fait oublier)


What you want from me (Ce que tu attendais de moi)
What you want from me (Ce qui tu attendais de moi)
I tried to buy your pretty heart, but the price too high (J’ai
essayé d’acheter ton petit cœur, mais le prix était trop
élevé)

La mélodie de « Love on the Brain » de Rihanna démarre. Putain de


merde, la voix de déesse qu’elle a. Je ne m’attendais pas à ça. En plus,
elle chante pour moi, cela ne fait aucun doute. Elle pose une main sur le
haut du micro et l’autre le long du pied. Les premiers mots sortent de sa
bouche dans un son parfait. Sa voix est sûre et confiante. Elle a oublié les
gens autour. Me fait-elle passer un message ? Si elle a oublié ce que
j’attendais d’elle, je vais lui rafraîchir la mémoire avec plaisir. Elle me
sourit effrontément en me disant vouloir acheter mon cœur, mais que le
prix est trop élevé. Elle lance une négociation ici ? Devant mon gang et
les habitants de Centori ? Elle n’a pas froid aux yeux.

Oh, and baby, I’m fist fighting with fire (Et, bébé, je combats
à main nue contre le feu)
Just to get close to you (Juste pour être proche de toi)
Can we burn something babe ? (Et si on brûlait quelque
chose, Bébé ?)
Elle a plus parlé que chanté sur ces phrases avec une voix grave en
haussant un peu ses sourcils. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle chante
aussi bien. Elle me cherche là, devant tout le monde. Tout Centori ne
parlera que de ça, demain. De la gentille petite pâtissière qui défie leur
chef sur scène. Elle n’a peur de rien ou elle ne sait pas à quoi elle
s’expose, en me mettant dans une situation pareille. Certains me jettent
déjà des regards pour tenter de comprendre ce qu’il est en train de se
passer entre nous. D’autres comprennent que c’est foutu pour eux.

No matter what I do (Peu importe ce que je fais)


I’m no good without you (Je ne peux être bien sans toi)
And I can’t get enough (Et je ne m’en lasse pas)
Must be love on the brain (Ça doit être un amour plutôt
cérébral)

Elle n’a rien à envier à certaines chanteuses célèbres. Je dois lui


laisser ça. Sa voix est sublime et elle maîtrise ses graves et ses aigus.
Elle pousse au bon moment et se montre douce quand il faut.
Il n’y avait qu’elle et moi au milieu du cabaret bondé. Je n’ai pas su
regarder ailleurs. Je me suis noyé dans l’océan de ses yeux et me suis
perdu dans les tonalités de sa voix. J’aperçois déjà ma sœur l’engueuler
et sûrement la prévenir qu’elle est allée au-devant d’emmerdes plus
grandes qu’elle. Tout le monde a assisté à cet échange subliminal où elle
se fout divinement de ma gueule. Elle me prévient par cette chanson
qu’elle est forte, a déjà remporté des batailles par le passé et qu’elle ne
se laissera pas faire. Qu’elle veut la paix et que l’on quoi ? Qu’on s’aime ?
Même pas en rêve ma belle. Mon cœur est en titane et personne ne peut
pas l’atteindre.
L’ambiance dans la salle est suspicieuse, les gens font comme si de
rien n’était, mais je sens qu’ils guettent ma réaction. Vais-je laisser une
bonne femme me prendre de haut sur mon territoire et dans mon QG ? Si
je ne réagis pas, demain les ragots sur ma faiblesse face à la jolie blonde
feront le tour de tout Centori.
Je me lève tranquillement de mon tabouret et me dirige vers la table
de ma sœur. Aurélia ne dit rien sachant déjà que je dois probablement
être passablement contrarié.
– Bonsoir mesdemoiselles, salué-je l’assemblée féminine, je vous
enlève juste quelques instants votre amie.
J’attrape fermement le coude d’Angela qui descend de sa chaise de
manière peu élégante et me suis, malgré elle. Je l’emmène sans
ménagement, à l’arrière, et ouvre la porte de mon bureau, où je reçois
mes hommes. Je la jette dans la pièce et claque la porte derrière moi
dans un bruit assourdissant.
– À quoi crois-tu jouer exactement ? L’interrogé-je, froidement.
– À rien, j’ai simplement chanté, minaude-t-elle en haussant les
épaules.
– Ne te fous pas de moi ou tu pourrais le regretter ! Éructé-je qu’elle
continue son petit manège.
Pour toute réponse, elle croise les bras sur sa poitrine et arbore un air
supérieur qui m’échauffe le sang.
– On passe au tutoiement, ça me va, rétorque-t-elle insolemment, en
me pointant du doigt. Tu as semé le trouble dans ma boutique, je viens
juste te rendre la pareille dans ton établissement.
Je la balance contre le mur et pose mon avant-bras gauche sur sa
gorge en exerçant une pression dessus. Ses mains se posent dessus et
elle tente de le retirer. Je pose ma main droite sur le mur juste à côté de
son visage. Elle essaie de contenir les premières larmes qui menacent de
couler sur son joli visage. Je n’apprécie jamais de m’en prendre à une
femme, mais c’est elle qui est venue me chercher.
– Ne t’avise plus de me parler sur ce ton ! La menacé-je. Et qu’est-ce
que tu crois faire en embauchant ma sœur ? Tu penses qu’elle va te venir
en aide ?
– Aurélia est ta sœur ? Articule-t-elle, difficilement en essayant
encore de se dégager de mon bras.
– Tu veux me faire croire que tu ne le savais pas ? Tu veux jouer à ce
petit jeu de la fille qui ne comprend rien ?
Ses larmes ont percé le barrage de ses yeux et font couler son
maquillage. Nos corps sont tellement collés l’un contre l’autre que je
sens son cœur battre à un rythme effréné.
– Pourquoi tu résistes ? C’est à cause de toi si nous en sommes là, lui
fais-je remarquer. Et encore, là ce n’est rien, crois-moi. Tu es seule et tu
n’as personne pour t’aider. Je ne comprends pas pourquoi tu n’as pas
encore payé ?
J’ôte mon avant-bras et pose ma grande main sur la base de son cou.
Elle tousse un peu et essuie ses larmes d’un revers de main.
– Je refuse de te payer le pizzo, s’insurge-t-elle, en colère.
Merde, cette garce est butée. Quand elle a une idée en tête, elle ne l’a
pas ailleurs. Je ris jaune face à son insouciance.
– Tu n’imagines même pas ce dont je suis capable, la préviens-je en
rapprochant mon corps du sien, pour la bloquer des pieds à la tête contre
le mur.
– Tu ne me fais pas peur, renchérit-elle alors que nous ne sommes
qu’à quelques millimètres l’un de l’autre.
La bonne blague. Le truc à ne surtout pas dire. Je crois que la jolie
demoiselle n’a encore jamais été réellement confrontée à la dure réalité
de la vie. Le pire, c’est que je suis persuadé qu’elle le pense. Elle croit
pouvoir s’en sortir. Mais d’où sort-elle ? Il va falloir lui faire comprendre
qu’on ne négocie pas avec les Alario. Je tire de la poche arrière de mon
pantalon mon précieux couteau, que je ne quitte plus depuis mes seize
ans. Le déclic de l’ouverture qui résonne dans la pièce la fait sursauter.
Je pose la pointe aiguisée de l’arme sur sa tempe et la fais glisser
jusqu’à sa joue. Elle retient son souffle et se fige.
– Tu devrais apprendre à la fermer. Tu n’as pas le choix. Je veux deux
mille euros pour demain matin, dix heures. Tu me les remettras ici, dans
ce bureau, lui ordonné-je.
Qu’est-ce qu’elle croit ? Que je vais simplement lâcher l’affaire et lui
foutre la paix ? Il est temps qu’elle comprenne que je ne lui laisse pas le
choix.
– Tu as intérêt à ramener tes petites fesses et à l’heure, sinon je te
montrerai à quel point je manie bien mes armes blanches.
Elle n’ose plus bouger et respire à peine. Je dessine les courbes de
son visage avec la lame crantée et l’enfonce un peu dans le creux de sa
gorge. Ses yeux sont rivés sur le métal qui se balade sur son visage. Elle
est tétanisée et ses larmes n’ont pas cessé. Je pense pouvoir dire que le
message est passé, cette fois-ci. Pour m’en assurer, je lui prends le
visage dans la main et le soulève pour qu’elle me regarde.
– Compris ? M’assuré-je.
Ma poigne creuse ses joues et défigure un peu son visage. Elle ne me
répond pas de vive voix, mais cligne des yeux pour me faire comprendre
que c’est bon. Je la relâche complètement et m’éloigne d’elle. Elle en
profite pour s’enfuir immédiatement.
Cette nana a quand même du cran. J’ai vu plus d’un type me supplier
de ne rien lui faire, face à mon couteau. Elle, elle n’a pas prononcé un seul
mot, malgré sa peur. Sa dignité était plus importante pour elle. Dommage
que les choses démarrent si mal entre nous, il est indéniable qu’elle a
certaines qualités qui ne me laisseraient pas indifférent.
Je m’assois à mon bureau quand Tony passe la porte.
– Je viens de croiser la pâtissière dans le couloir. Elle n’avait pas l’air
dans son assiette, rigole-t-il en s’asseyant en face de moi.
– Je ne sais pas d’où elle sort, mais elle n’a pas froid aux yeux,
concédé-je.
– Quoi ? Elle ne veut toujours pas payer ? S’étonne-t-il.
– J’ai dû me montrer un brin plus persuasif qu’avec d’autres
commerçants plus costauds qu’elle, mais c’est réglé maintenant. Elle
versera son pizzo demain, crois-moi.
Il se marre en pensant sûrement à certains tête-à-tête que nous
avons eus à nos débuts avec certains patrons. Putain, c’était le bon
temps. Ça me manque parfois de ne pas pouvoir faire le sale boulot, moi-
même. Mais, je dois me montrer discret à cause des flics, si je veux
m’assurer le siège de mon père.
– Tu veux que je me renseigne sur elle ? M’interroge Tony.
– Non laisse, je vais demander à Giacomo, c’est son job.
– Comme tu veux. J’ai un message pour toi : Aldo, du gang des
motards, sollicite une entrevue discrète avec toi.
– Qu’est-ce qu’il veut ?
– Je n’en sais rien, il ne veut parler qu’à toi, m’indique-t-il, un peu
inquiet.
– Fait chier, je n’aime pas ces bikers, m’agacé-je.
Aldo fait partie d’un gang rival qui possède plusieurs petites villes aux
alentours de Centori. Leur chef, Marco, ne respecte rien ni personne et
est réputé pour ses violences gratuites. Lui et son clan représentent tout
ce que je déteste dans ce milieu.
– Qu’est-ce que tu en penses ? Interrogé-je mon bras droit.
– Que ça ne sent pas bon, mais qu’il doit avoir quelque chose
d’important à te dire, suppose-t-il, après avoir examiné la situation.
Tony a raison, cette demande d’entrevue ne me dit rien qu’y vaille,
mais je dois l’accepter, si je veux en savoir plus.
– Pour le rendez-vous, tu décides où et quand. S’il n’est pas d’accord
avec tes choix, il va se faire foutre, conclus-je cette histoire.
Tony hoche la tête pour signifier son accord lorsqu’une personne
toque à la porte de mon bureau.
– Oui ?
– C’est moi, Aurélia, résonne la douce voix de ma sœur.
– Entre.
Elle ouvre et je constate tout de suite qu’elle est contrariée.
– Je suis venue te dire salut, je rentre, grommelle-t-elle.
– Déjà ? Mais il est un peu tôt, non ? Remarqué-je en regardant l’heure
sur ma montre.
– Disons que quelqu’un a gâché ma soirée en foutant les jetons à ma
patronne ! M’enguirlande-t-elle, fâchée.
Je ris avec Tony face à l’énervement de ma sœur, et ça me rappelle
toutes les fois, où nous l’avons embêtée, quand nous étions enfants.
– Arrêtez, vous deux ! Elle est gentille cette fille, s’agace-t-elle, face à
notre hilarité.
Elle prend la défense d’Angela et ça me fait marrer. Elle la connaît
depuis quoi ? Une semaine maximum ?
– Stop, ça suffit ! Ça ne te regarde pas Aurélia !
Elle opte pour une moue chagrinée, mais je m’en fous. Le business ne
la concerne pas. Personne n’est en dehors des règles du clan. Si je dois
faire de sa patronne un exemple, comme elle dit, je le ferai. C’est comme
ça et ce n’est pas près de changer. 1
1. ** Chanson de Rihanna — Love On The Brain **
7

Angela Alessi

Attablée dans ma cuisine, mon café ne passe pas. Rien que l’odeur
me donne envie de vomir. Pourtant, j’ai conscience que c’est la peur qui
me noue l’estomac. La même angoisse que lorsque j’appréhendais
l’humeur de mon père. La tasse m’échappe des mains alors que je
voulais la nettoyer. Elle s’écrase sur le sol en se brisant à plusieurs
endroits. Adriano a réalisé la même chose sur moi, hier soir, dans son
bureau. Mes plaies intérieures étaient encore à vif et il a déversé son
venin dessus, réduisant à néant mes efforts, pour ne plus me sentir
comme une pauvre petite proie apeurée.
Le voir si haut perché sur son tabouret au bar, siégeant tel le roi de la
jungle sur ses disciples, m’a écœurée. Mais, le verre de champagne offert
a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Mon cerveau a vrillé et je
me suis efforcée de trouver une solution pour le faire redescendre de son
piédestal. Le voir savourer mon malaise et constater à travers son air
supérieur, qu’il suppose pouvoir me faire capituler sans plus d’efforts,
m’a mise hors de moi. Il a une haute estime de lui et se pense tout
puissant, alors j’ai voulu le remettre à sa place, du moins celle que je
pense qu’il mérite.
Je suis sûre que tout se sait à Centori. Les habitants doivent être au
fait que je ne me suis pas encore acquittée du pizzo. Les personnes
présentes ont été les témoins de ma folie, prouvant à Adriano que je ne le
crains pas. J’avais envie de semer le doute parmi ses partisans et qu’ils
le pensent faible face au charme de la pâtissière. Les paroles étaient,
bien entendu, à prendre au second degré. Je ne l’aime pas et je ne veux
pas qu’il m’aime. Je veux juste avoir la paix et faire mes gâteaux,
tranquille.
Pourquoi le destin se joue de moi en m’envoyant sur son territoire ?
J’ai toujours bénéficié de la protection de mon père. Personne n’aurait
osé s’en prendre à un membre de sa famille. Cette sécurité m’a coûté
cher, puisque j’ai dû faire bon nombre de sacrifices, pour être à la hauteur
de l’image parfaite que voulait mon paternel.
J’ai enfin eu le courage et l’audace de briser mes chaînes en venant à
Centori. Et voilà qu’un autre homme me force à me plier à ses règles.
Lorsqu’il a sorti son couteau, une flopée d’émotions est remontée à la
surface. Tous ces sentiments que je ne voulais plus jamais ressentir. La
terreur et l’angoisse qui s’infiltrent à l’intérieur de mon corps et accélèrent
mon rythme cardiaque, ma respiration qui se trouve bloquée à cause de
la peur et menace de me faire perdre connaissance. Voilà, dans son
bureau, j’ai à nouveau été cette petite fille qui redoute la douleur des
coups reçus, alors qu’elle n’a rien fait.
J’aimerais posséder l’aplomb et la force nécessaire pour honorer la
promesse que je m’étais faite en quittant Rastori. Mais je dois me rendre
à l’évidence, je ne fais pas le poids. L’agneau contre le loup. Je ne suis
pas de taille à affronter Adriano, et encore moins un gang, à moi toute
seule.
Je pourrais les dénoncer à la police et porter plainte. Si seulement
j’avais confiance en l’autorité. Si le passé ne m’avait pas montré l’autre
visage de ceux censés veiller sur nous. Au final, ils ne se protègent
qu’entre eux en fermant les yeux sur le sort de familles victimes de leurs
propres abus.
Je suis passée de l’euphorie à l’épouvante lors de cette soirée au
cabaret. Je me suis sentie puissante et fière en chantant au nez
d’Adriano. Cela faisait tellement longtemps que je n’avais plus laissé ma
voix s’approprier des notes pour jouer avec mes tonalités. Je jubilais sur
cette scène en le regardant, et en lui précisant par cette chanson que je
ne suis pas facile à impressionner.
Sa mise au point dans son bureau a fait redescendre le baromètre de
mon plaisir au plus bas. Je suis fière de lui avoir dit, tout haut, ce que je
pensais tout bas, que je ne paierai pas.
Et pourtant, me voilà devant le cabaret, à l’heure demandée, avec à
peu près la somme qu’il me réclame. La menace de son couteau a eu
raison de mon affront. Soyons sérieux un instant, je ne fais pas le poids.
Je dois être réaliste, si je tiens à la vie.
Lorsque j’entre dans son antre, le vide m’accueille. Le silence
contraste avec l’ambiance joyeuse d’hier. J’avance, les jambes
tremblantes et l’angoisse au paroxysme. Je rendrais ma tasse de café si
seulement j’avais réussi à l’avaler. L’endroit paraît désert et ça ne me
rassure pas de savoir que je vais me retrouver seule avec ce sale type. Je
frappe à la porte du bureau dans lequel je n’ai absolument aucune envie
de me retrouver à nouveau.
– Entrez ! L’entends-je crier.
Ma main hésite sur la poignée, mais je m’exécute et fais quelques
pas à l’intérieur, le cœur battant.
– Referme la porte derrière toi, m’ordonne-t-il, sans même m’accorder
un regard.
Je ne veux pas être encore enfermée ici avec lui. Une sensation de
claustrophobie pointe le bout de son nez. Mais je n’ai pas le choix. Je ne
dois pas faillir. Je ne souhaite plus que ma vie soit contrôlée et Adriano
m’en empêche. Il me faut régler cela au plus vite.
– Je vois que tu as décidé d’être enfin raisonnable, se gargarise-t-il.
Il ne me regarde toujours pas et son insolence m’insupporte. J’ai
envie de lui hurler dessus, lui dire qu’il n’est qu’un homme ignoble et que
je me demande comment il fait pour se contempler dans un miroir.
– Je n’ai pas toute la somme demandée, lui indiqué-je, d’une voix
tremblante.
J’angoisse qu’il ressorte son couteau pour m’entailler, cette fois-ci,
réellement. Ça a le mérite de lui faire relever la tête.
– Me prendrais-tu pour un marchand de tapis ? Plaisante-t-il en
s’adossant confortablement contre le dossier de son fauteuil en cuir.
– Je viens juste d’ouvrir ma pâtisserie, plaidé-je ma cause, j’ai juste
besoin d’un peu plus de temps.
Je me sens tellement pathétique. J’ai l’impression d’entendre les
répliques d’un accro aux jeux face à son bookmaker qui vient lui péter les
deux genoux parce qu’il ne rembourse pas sa dette. Il croise les bras sur
sa poitrine et me jauge du regard. Il réfléchit quelques secondes en
m’observant de la tête au pied. Je me félicite d’avoir choisi un jean noir
banal associé à un sweat léger large. S’il pensait que j’allais me faire jolie
pour lui rendre visite, il s’est fourvoyé.
– Et combien as-tu rapporté avec toi ? S’enquit-il curieux de compter
ses billets.
C’est l’instant qui déterminera la suite des événements.
– Mille euros, articulé-je, en ravalant difficilement ma salive.
Ça passe ou ça casse. Je ne peux pas faire plus. Ce sont toutes mes
économies. Celles réservées en cas de coups durs. Et je crois pouvoir
dire qu’Adriano rentre dans cette catégorie. Il sourit en posant ses index
sur ses lèvres.
– Que proposes-tu pour les mille manquants ? M’interroge-t-il, en
plissant les yeux.
Je n’en sais rien. Il n’imagine pas le nombre de macarons, cupcakes
ou gâteaux que je dois vendre pour disposer d’une telle somme. Il se lève,
fait le tour de son bureau et s’assoit sur le bord de celui-ci. Il croise ses
longues jambes et pose les mains dessus. Sa posture ne me dit rien qu’y
vaille.
– J’ai un rendez-vous important ce soir, auquel je ne souhaite pas
aller seul. En contrepartie de la somme manquante, tu m’y
accompagneras, décide-t-il comme si je n’avais pas mon mot à dire.
Il exige un rencard, il est sérieux là ? Plutôt me faire écraser par un
train que de sortir avec lui. Je dépose le sac contenant les billets par
terre, près de lui.
– Je ne paie pas autrement qu’avec de l’argent ce que tu me
réclames, que les choses soient bien claires, lui fais-je remarquer.
Son regard s’obscurcit et il s’approche de moi à une vitesse
surprenante. Sa main se pose dans ma nuque avant que je ne puisse
esquisser le moindre mouvement. Nos corps se retrouvent à nouveau
bien trop près l’un de l’autre. Mon palpitant s’affole et les larmes pointent
déjà sous mes paupières. Je retiens mon souffle et ma supplique de ne
pas revoir son couteau. Je devine l’odeur agréable de son après-rasage.
Bizarrement, ce parfum boisé et délicat apaise mes sens et me donne le
courage nécessaire pour affronter son regard.
– Je n’ai pas pour habitude de forcer une femme. J’ai conscience que
tu débarques et que tu ne sais pas où tu as mis les pieds. Je suis prêt à
oublier ton ardoise, mais à une condition.
– Laquelle ? Bredouillé-je timidement en affrontant ses yeux azur
déstabilisants.
– Je te l’ai dit. Tu m’escortes ce soir à un rendez-vous d’affaires et tu
cerneras mieux les raisons pour lesquelles tu paies une protection à mon
clan.
– Merci, mais je crois avoir déjà eu un avant-goût de ce que je risque,
lui balancé-je, acerbe, en tentant vainement de me dépêtrer sa prise.
Mon comportement me vaut l’effet inverse. Sa main toujours dans
ma nuque, il m’attrape la taille de l’autre pour m’empêcher de reculer.
Dans l’élan, mon visage se retrouve niché entre son cou et son épaule.
Mes mains se retrouvent sur son torse contre sa chemise impeccable, je
sens les muscles de ses pectoraux saillants sous mes doigts.
– Tu n’as pas idée de ce à quoi tu t’exposes en ne payant pas, me
murmure-t-il à l’oreille. Ce n’est pas uniquement de moi dont tu dois te
méfier.
La colère qu’il m’inspire se tasse sous la caresse de son souffle
chaud.
– Tu me jures que si j’accepte, tu fais une croix sur les mille euros
manquants, l’exhorté-je.
– Je n’ai qu’une parole, me promet-il les yeux dans les yeux.
– Je t’accompagne juste, rien de plus, insisté-je, essayant de
m’affirmer.
– Ne me fais pas me répéter, s’impatiente-t-il en retrouvant une main
de fer. J’ai assez de femmes à mes pieds pour ne pas avoir à forcer qui
que ce soit.
– C’est d’accord alors, concédé-je, comme si j’avais le choix.
Il prend ses distances en me projetant loin de lui. Je manque de
tomber, mais je retrouve l’équilibre de justesse. Il retourne s’asseoir et se
replonge dans ses papiers.
– Je passerai te chercher pour vingt heures. On va dans un endroit
chic, sois présentable, exige-t-il, sans y mettre les formes.
J’aimerais l’envoyer se faire voir tellement il est hautain. Lui dire qu’il
peut crever pour que je fasse la belle à son bras. Lui sortir d’un chapeau
magique les billets manquants et les lui balancer à la figure. Mais, je ne
peux pas me permettre de refuser son offre. Je ne suis même pas
certaine d’avoir les deux mille euros pour le mois prochain, alors je ne
fais pas la fine bouche. J’espère juste qu’il est sincère sur le fait de ne
m’obliger à rien de plus, que de faire la plante verte.
8

Adriano Alario

J’enfile ma veste de smoking quand je reçois le message de Tony me


prévenant qu’il est arrivé. Ponctuel comme à son habitude. Il m’attend
dans ma Cadillac, car il fera office de chauffeur ce soir. Mon téléphone
portable en poche, je descends d’un pas décidé les escaliers pour le
rejoindre. J’entends quelqu’un siffler d’admiration derrière moi. Aurélia
est en pyjama, un pot de glace à la vanille dans la main.
– Où vas-tu comme ça, beau gosse ? me lance-t-elle en scrutant mon
costard haute-couture d’un œil expert.
– Rendez-vous d’affaires, rigolé-je, face à son enthousiasme.
– Avec une femme, j’en mettrais ma main à couper, me taquine-t-elle.
– Pas du tout, la contredis-je.
– Ouais c’est ça, ricane-t-elle en s’en allant vers le salon, je ne sais
pas pourquoi, mais je ne te crois pas.
Ma sœur est une des personnes que j’aime le plus. Je suis prêt à tout
pour elle. Elle sait qu’elle peut compter sur moi, peu importe ce dont elle
a besoin. Elle a été élevée dans une famille de hors-la-loi et elle sait où
est sa place. Elle ne cherche pas à se mêler des affaires du clan. Au
contraire, elle souhaite mener sa propre vie en devenant médecin. Je sais
qu’elle devra, pour ça, quitter un jour ou l’autre Centori. Elle ne pourra pas
exercer ici, dans une ville où les gens pourraient redouter des représailles
de la part de sa famille. Je pense que ma mère la suivra. Je n’ai pas
besoin d’elles ici pour les affaires et je pourrai toujours aller leur rendre
visite à l’occasion. En attendant, je profite de sa présence et de sa bonne
humeur à toute épreuve, un maximum.
Tony m’ouvre la portière en me voyant arriver et je m’engouffre à
l’arrière de ma voiture. Alors qu’il prend place côté conducteur, je me
rends compte que je ne l’ai pas prévenu qu’Angela serait de la partie.
– Il faut aller chercher la pâtissière, elle m’accompagne, lui précisé-je.
Il émet un souffle de mécontentement, sûrement dû au fait qu’il
déteste les imprévus. Tony évalue les dangers et calcule les possibilités
d’une embuscade ou d’attaques dans tous mes déplacements. Il prend
ma sécurité très au sérieux. Il ne cesse de me répéter que tout est une
question de timing et de plan. Toujours s’en tenir à ce qui est prévu, au
départ. Donc je comprends qu’il soit contrarié d’être prévenu à la dernière
minute.
– Ça marche, grogne-t-il.
Mais, comme à son habitude, il ne dit rien et gère la situation. Il sait
qu’il ne sert à rien de batailler avec moi. Alors, il économise son énergie à
parlementer sur le fait que je dois le prévenir de tous changements ou
toutes modifications sur mon programme, pour qu’il puisse s’organiser
en conséquence.
Quelques minutes plus tard, nous arrivons devant le salon de thé.
Angela a beaucoup changé la décoration, mais elle est parvenue à
préserver l’âme de cet endroit. Je sors de la voiture pour aller frapper à
l’arrière de la boutique. Angela ouvre immédiatement et s’empresse de
me rejoindre dehors. Le message est passé, elle ne veut pas de moi chez
elle. Elle me tourne le dos et referme la porte à clé. Elle me fait à nouveau
face et mes yeux la convoitent durant quelques instants, car elle est
magnifique. Elle a torsadé ses cheveux en un chignon bas de côté avec
quelques mèches relâchées sur le devant de son visage. La robe rose
clair qu’elle a revêtue souligne sa taille et s’arrête juste au-dessus des
genoux. Le haut en dentelle recouvre entièrement son buste et les perles
éparpillées ici et là, la font briller dans la pénombre du clair de lune. Son
grain de peau blanc comme du lait me donne envie d’y poser les lèvres.
Son look est très classe et plus classique comparé à la veille au cabaret.
Je me rends compte qu’elle attend, mal à l’aise, que je dise ou fasse
quelque chose. Alors, je pose ma main dans le bas de son dos et
l’emmène vers la voiture où Tony nous attend. Je la sens se crisper à
cause de mon geste. Je pourrais lui dire que je la trouve ravissante dans
cette tenue, mais c’est hors de question. Elle m’a coûté mille balles cette
soirée alors je méritais bien un minimum d’effort.
Assise à l’arrière de la voiture, elle n’a toujours pas prononcé un seul
mot. J’espère qu’elle ne compte pas sur moi pour détendre l’atmosphère
parce qu’elle peut toujours attendre.
– Tu as décidé de ne pas parler ? L’interrogé-je.
– Tu m’as demandé de t’accompagner, pas de te faire la
conversation, m’assène-t-elle, sèchement du tac au tac.
Quelle peste cette fille, ce n’est pas croyable. Ça ne m’étonne pas
qu’elle s’entende si bien avec Aurélia. Après un quart d’heure de route,
nous sommes pratiquement arrivés à destination. Il est temps de donner
quelques directives à la reine du silence.
– Écoute-moi bien, l’interpellé-je durement, tu ne fais que
m’accompagner. Tu restes près de moi et tu ne parles pas, sauf si une
question directe t’est posée. Capisce ?
Elle hoche la tête. Putain, elle a vraiment décidé de rester muette, ce
soir. Je sors de la voiture et elle n’attend pas que je vienne lui ouvrir. Bien,
faudrait pas qu’elle pense que je puisse être galant, même si, j’allais venir
la lui ouvrir sa foutue portière. Je passe mon bras autour de sa taille et
l’attire contre moi. Elle se tend encore plus et tente de remettre de la
distance entre nous. Son comportement me fait marrer. Elle a encore
peur que j’adopte un rapport de force contre son gré. Je resserre d’un
cran mon étreinte pour qu’elle comprenne bien qu’elle ne peut pas
s’enfuir.
– Il est plus prudent pour toi qu’Aldo pense que tu es « chasse
gardée ». Les membres de son gang ne sont pas réputés pour être des
enfants de chœur, lui précisé-je en lui faisant un clin d’œil, alors mieux
vaut éviter qu’ils apprennent qu’un petit bout de femme comme toi n’est
protégé par personne à Centori.
Je ne pense pas l’avoir grandement rassurée et je m’en tape. Lorsque
nous entrons dans le bar du casino, je repère Aldo dans une alcôve et
nous le rejoignons à sa table. Je le salue d’un simple signe de tête et lui
présente rapidement Angela. Je peux voir son œil aiguisé de prédateur la
détailler et la trouver à son goût. En même temps, il faudrait être difficile
pour ne pas s’apercevoir de sa beauté. Elle semble gênée et se dépêche
de s’asseoir pour ne pas supporter davantage son regard vicieux qui la
déshabille.
La serveuse arrive à notre table et je la congédie sans rien
commander. Une entrevue rapide, comme prévu préalablement avec
Tony. Je ne veux pas risquer de me montrer avec Aldo qui ne fait pas
partie de mon clan.
– Pourquoi voulais-tu me rencontrer ? Avisé-je mon ennemi pour en
finir au plus vite.
– Tu sembles bien pressé, Adriano ? Devine Aldo en continuant de
dévorer des yeux la demoiselle à mes côtés. Laisse-moi faire
connaissance avec ton amie d’abord. Angela, c’est ça ?
Je pivote ma tête vers elle et la laisse se débrouiller. C’est
exactement pour ça que je l’ai emmenée, pour qu’elle sache à quoi elle
peut être confrontée. Je dois admettre qu’elle arrive à cacher sa peur.
Elle semble détendue, même.
– Oui, c’est bien ça, lui sourit-elle.
– Et que faîtes-vous dans la vie Angela… je veux dire, à part
accompagner Adriano à ses rendez-vous, se moque Aldo.
Elle fait mine de pouffer et donne le change comme si tout était
normal. Elle a conscience que si elle lui montre qu’il l’effraie, il aura
gagné. Elle s’en sort plutôt bien.
– Je viens d’ouvrir une pâtisserie à Centori, c’est comme ça que j’ai
rencontré Adriano, explique-t-elle d’un ton léger.
– Vous m’en direz tant. Votre présence ici veut-elle dire que vous
payez autrement qu’avec de l’argent votre cotisation au clan Alario, se
renseigne ce sale type qui ne voit qu’un bout de viande en Angela.
Elle le regarde droit dans les yeux et lui sourit effrontément.
– On ne peut rien vous cacher. Ne jamais sous-estimer le pouvoir
d’addiction d’un macaron à la pistache, plaisante-t-elle. Nous nous
sommes mis d’accord sur une grosse quantité à livrer tous les mois,
mais ça reste entre nous.
Un ricanement m’échappe face à son culot, mais Aldo n’est pas le
genre d’homme à laisser une femme lui rabattre le caquet. Et il a compris
que c’est exactement ce que vient de faire la blonde, à mes côtés, avec
sa vanne. Encore une fois, elle m’étonne par son aplomb. Mais, je crains
le pire pour Angela, si elle décide de continuer à le défier.
– Intéressant. Si Adriano s’est laissé convaincre, ils doivent
effectivement avoir un parfum particulier. Dans ce cas, j’ai envie d’y
goûter également.
Aldo continue ce langage codé, et je ne suis pas certain qu’elle
comprenne, qu’il la menace, lui aussi, de passer à sa pâtisserie. Elle s’est
mise dans la merde toute seule avec ces métaphores, faut qu’elle s’en
sorte de la même manière.
– Je crains malheureusement de ne pas pouvoir honorer de
commandes en plus de celle d’Adriano, temporise-t-elle.
Voilà, invite-le gentiment à aller se faire foutre. Je prends la parole
avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit.
– C’est bon, tu as fini de parler sucreries ? On peut enchaîner sur la
raison de ma venue parce qu’il te reste exactement dix minutes avant
que je ne me casse, lui indiqué-je froidement.
Il fixe enfin son attention sur moi et décide de faire comme si Angela
ne venait pas de l’envoyer balader. Je la sens se détendre, sûrement
soulagée de ne plus être au centre de la conversation.
– Je prends de gros risques en te parlant aujourd’hui, Adriano, me
confie-t-il.
– Et moi j’en prends en t’écoutant, m’impatienté-je.
– Tu sais que les gens discutent, ils disent que tu n’es, peut-être pas,
à la hauteur pour prendre la place de ton père, vu qu’un flic a pu s’infiltrer
chez vous.
Je n’accepterai pas que l’on puisse remettre en doute ma capacité à
diriger le clan Alario. J’y travaille depuis mon plus jeune âge, et je ne
laisserai personne prendre ma place. Ma fierté s’indigne et mon sang
bout dans mes veines.
– Pourquoi viens-tu me dire ça ? M’énervé-je. Tu trahis les tiens en
faisant ça.
– Je viens d’avoir un fils, Adriano. Il a trois mois, précise-t-il, alors que
j’entrevois ses intentions.
Il me dit donc ça uniquement dans son intérêt. Si je comprends son
choix pour sa famille, je ne peux pas le respecter par contre.
– Je ne prends pas dans mon clan un mec qui plante un couteau
dans le dos de son gang, lui assuré-je.
Je n’aurai jamais confiance en lui. S’il le fait aux bikers aujourd’hui, il
nous le fera à nous demain.
– Même si je te dis que j’ai une info fiable très importante qui pourrait
t’intéresser ? Me questionne-t-il.
S’il croit que je vais mordre à l’hameçon aussi facilement, il rêve.
– Soit tu parles, soit je te tue, déclaré-je en toute simplicité.
Angela se tourne subitement vers moi, choquée par mes propos. Je
ressens son angoisse et elle doit savoir maintenant que je ne bluffe pas.
– Ta menace ne me fait pas peur Adriano. Je sais qu’il y a peu de
chance pour que je sorte vivant de tout ça. Je veux juste me dire au
dernier moment que j’ai fait mon maximum pour mettre ma femme et
mon fils à l’abri, m’explique-t-il, pour justifier les raisons de sa trahison.
Sa motivation est légitime. Le gang auquel il appartient, est sans pitié
et connu pour sa violence gratuite.
– Donc tu veux échanger des infos, dont je pourrais avoir besoin,
contre une entrée dans mon clan pour ta famille ?
– Tu as besoin de ces informations Adriano, crois-moi. Je ne
prendrais pas le risque de trahir mon équipe pour de la merde.
Il est possible qu’il dise vrai et qu’il a vraiment un truc capital à me
révéler. Mais je n’ai aucune confiance en lui, donc je ne veux pas qu’il
intègre mon clan. Après tout, il l’a dit lui-même, la chance qu’il reste en
vie après avoir balancé est infime. Par contre, je peux accepter le deal
pour sa femme et son gosse. Ils sont innocents, après tout, dans cette
affaire.
– Je t’écoute, conclus-je simplement pour acter notre deal.
Il sait maintenant qu’il peut parler. J’ai la même réputation que mon
père. Chez les Alario, nous n’avons qu’une parole et ne revenons jamais
dessus.
– Tu as un traître chez toi parmi tes hommes proches. Ils sont en
train de monter un plan avec mon chef pour te faire tomber et
s’approprier Centori, me révèle-t-il en se penchant sur la table.
– J’ai toute confiance en mon cercle rapproché. Ils ne me trahiraient
pas, j’en ai l’intime conviction.
– Je ne connais pas les hommes en qui tu as confiance, et je n’ai
jamais vu celui qui complote contre toi. Je peux juste te dire qu’il est au
courant de beaucoup de choses et qu’il t’en veut, renchérit-il.
Angela est toujours tournée vers moi. Elle tente de déchiffrer si je
crois cet homme. Je ne suis pas sûr de pouvoir lui faire confiance, mais
le fait qu’il souhaite protéger la chair de sa chair me laisse à penser qu’il
n’est pas dans son intérêt de me mentir. Je vais devoir trouver
rapidement le coupable, si effectivement une personne de mon propre
clan veut me faire tomber.
Je prends une serviette en papier sur la table et note un numéro de
téléphone dessus, avec mon stylo.
– Dis à ta femme d’appeler ce numéro tout de suite. On s’occupera
d’elle et de ton môme. Toi, par contre, tu te charges de découvrir qui va
voir ton chef. Tu ne seras sous notre protection que lorsque tu me
donneras son nom. Compris ?
Ma partenaire d’un soir à l’air d’avoir peur pour lui, alors qu’il y a à
peine cinq minutes, elle lui en aurait bien collé une. Je me lève pour partir
sans plus de formalités. Angela suit le mouvement et passe son bras
sous le mien pour me suivre. Son geste traduit sa nervosité et son
angoisse sous-jacente. Je réalise qu’elle a connaissance d’une
information compromettante, dorénavant. Savoir qu’un traître circule
parmi mon cercle fermé peut être un pion à jouer pour elle. Mais, en a-t-
elle conscience ? Arrivés dans la voiture, Tony ne parle pas. Il sait que je
débrieferai avec lui dans mon bureau tout à l’heure.
– Tu vas vraiment protéger sa femme et son garçon ? S’inquiète-t-
elle.
Tiens, elle a enfin décidé de me parler.
– Ça ne te regarde pas, lui balancé-je, contrarié de cette soirée.
– Si ça ne me regarde pas, il ne fallait pas m’emmener à ce rendez-
vous avec toi, s’énerve-t-elle.
Elle a le visage tourné vers la vitre pour ne pas m’affronter. Je ne
supporte plus qu’elle me snobe depuis que je l’ai récupérée. Je lui saisis
le bras brutalement et la fais pivoter vers moi.
– Je t’ai fait venir pour que tu rencontres Aldo et que tu comprennes
à qui tu aurais à faire, si tu ne me paies pas tous les mois. Ce sont de
mecs comme lui et de son genre de gang que l’on vous protège à Centori.
Des hommes sans foi ni loi qui n’obéissent à aucune règle. Leurs propres
membres ont peur d’eux alors ça devrait t’aider à réfléchir à ton
comportement.
– Donc, pour résumer, j’ai le choix entre la peste et le choléra ? C’est
bien ça que tu me dis ? Me rabroue-t-elle, en me dévisageant.
Elle est en colère et je préfère ça à son indifférence.
– Il te faudra choisir le moindre mal, Angela. Mais sache qu’à Centori,
tu es sur mon territoire. Soit tu es avec moi, soit tu es contre moi.
Je la mets en garde alors qu’elle pousse un cri, qui reste à l’intérieur
de sa gorge, en serrant les poings de rage. Je mettrais ma main à couper
qu’elle a envie de m’étrangler, là, tout de suite.
– Je veux rentrer chez moi, exige-t-elle en fixant sur moi des yeux
désabusés.
Je fais signe à Tony par le rétroviseur intérieur et il prend la route. Elle
regarde à nouveau dehors et comme à l’aller, elle ne dit rien. Arrivée
devant chez elle, elle saute presque de la voiture en marche. Je me
dépêche de la rejoindre et la retourne en tirant sur son bras. La gravité la
propulse contre mon corps. Elle relève la tête vers moi et mes yeux sont
attirés par le rose pâle de ses lèvres. Mes mains se fraient un chemin,
l’une sur sa taille de guêpe et l’autre dans l’enchevêtrement de son
chignon. Mon envie de l’embrasser, là tout de suite, est décuplée par le
fait que sa poitrine monte et descend à un rythme effréné. Le tissu de sa
robe vient caresser ma chemise et me fait fantasmer sur la caresse de sa
peau contre la mienne. Douceur contre rugosité. Elle ne me repousse
pas, mais ses yeux me lancent des éclairs. Elle a été claire sur le fait
qu’elle ne faisait que m’accompagner et je lui ai donné ma parole que je
ne lui ferais rien. De rage de devoir me contenir, je tire sur son chignon en
le serrant dans le creux de ma main. Mon geste lui tire une grimace et
elle retient son souffle.
– Le premier du mois prochain, je veux les deux mille euros. Il n’y aura
plus de passe-droit, lui assuré-je afin qu’elle n’ait aucun doute là-dessus.
Et comme ce matin dans mon bureau, je la relâche en la repoussant
sans ménagement. Cette fois-ci par contre, c’est moi qui m’en vais, plus
frustré que jamais.
9

Angela Alessi

Adossée contre la porte d’entrée à l’intérieur de mon appartement, je


glisse sur le sol et me mets à sangloter. Je ne parviens pas à calmer ma
respiration, sous les assauts des sanglots qui font trembler mon corps.
Cet Aldo m’a fichu la trouille avec son regard de pervers. C’en est trop
des hommes qui se croient tout permis alors j’ai joué à la maline avec lui.
Il a quand même insinué que je couchais pour payer le clan d’Adriano.
Une folle envie de lui en coller une m’est venue à l’esprit, mais les
recommandations de mon cavalier d’un soir ont refréné mon impulsion.
La pression commence à redescendre maintenant que je suis en
sécurité chez moi. Mais le contrecoup de la soirée me fait tomber dans
un puits d’angoisse et de désespoir. Je pressens que me retrouver au
milieu de deux gangs mafieux n’augure absolument rien de bon pour moi.
Quoique je décide de faire.
Lorsque j’ai rejoint Adriano, j’étais stressée de me retrouver seule
avec lui. Nos tête-à-tête n’ont jamais rien de réjouissant. Il m’attendait sur
le pas de ma porte, remplissant tout l’espace par son charisme et sa
force. J’ai eu l’impression d’être une petite souris à côté de lui. Je me
suis rendu compte que j’avais fait une grave erreur en acceptant cet
arrangement. Qu’aurais-je fait s’il avait voulu plus ? Je ne suis pas en
mesure de lutter physiquement.
Ma stupidité m’arrache quelques larmes aussi. Je n’ai pas pu
m’empêcher de le trouver très élégant dans son smoking sombre. Son
aplomb mélangé à son charme m’ont troublée. Comment puis-je
seulement poser ce regard sur lui après tout ce qu’il m’a fait ? Je dois
perdre la tête avec toutes ces intimidations, je ne vois pas d’autres
explications.
En l’ignorant dans la voiture, je me suis rappelée qu’enfant, je rêvais
qu’un chevalier vole à mon secours et me délivre des griffes de mon
père. Adriano est le genre d’homme qui ne se laisserait pas
impressionner par mon géniteur. Il a l’air de ne craindre personne. Quand
Aldo lui a révélé qu’un de ses proches élaborait un plan contre lui, je n’ai
vu aucune peur dans ses yeux. Juste de la colère et de la détermination.
Je ne sais pas qui est le fou qui se mesure à lui, mais je pressens que les
choses vont mal tourner. J’aimerais avoir sa force de caractère, sa
confiance en lui et ne craindre personne. Mais je ne suis qu’une peureuse
qui a attendu qu’il soit trop tard pour trouver le courage de partir de chez
elle.
Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est pourquoi Aldo a balancé
des informations à son ennemi. Pourquoi souhaite-t-il aider Adriano ?
Pourquoi le prévient-il qu’une personne de son entourage cherche à le
faire tomber ? Il a mis sa vie en jeu en lui révélant ces détails. Sa femme
et son fils m’ont semblé en danger, mais là aussi, je m’interroge. Il a l’air
de faire assez confiance à Adriano pour lui accorder l’entière protection
de sa famille, alors qu’ils ne font pas partie du même gang. C’est le
monde à l’envers !
Je sais pourtant que dans la vie, on ne peut pas se fier aux membres
de sa propre famille. Ils profitent de l’ascendant qu’ils ont sur vous et
vous manipulent, pour vous obliger à faire ce dont ils ont envie. Ils y
parviennent facilement parce qu’ils connaissent vos points faibles.
Mon père savait toujours sur quel bouton appuyer pour que je lui
obéisse. Comment me mater, comme il disait, pour que je le respecte.
J’avais horreur de ça, mais je n’avais pas le choix. C’était obtempérer ou
il mettait ses menaces à exécution.
Mes pensées font remonter de douloureux souvenirs à la surface. Le
soir de sa remise de la médaille du mérite, par exemple. Il nous obligeait
à assister à ces cérémonies ennuyeuses, et j’en avais plus qu’assez
d’être toujours là, pour faire la poupée à son papa bien élevée et qui filait
droit.
Je savais que je n’y échapperais pas. Alors j’ai voulu me rebeller. Je
me suis habillée avec des vêtements qu’il n’approuverait pas. Une de
mes jupes qui descendaient jusqu’aux chevilles a eu droit à un coup de
ciseau pour la raccourcir. J’ai mis un chemisier dont je n’ai pas refermé
tous les boutons et me suis un peu maquillée. Je me rappelle qu’en me
regardant dans le miroir ce soir-là, je me suis sentie jolie pour la première
fois de ma vie. J’avais seize ans. Avec le recul, je comprends que mon
comportement a marqué un tournant dans ma vie et celle de mon père. Il
a pris conscience que ses coups de ceinture ne m’atteignaient plus.
J’en avais déjà tellement reçus que j’étais immunisée. Je ne
ressentais plus la brûlure du cuir sur ma peau. Mon esprit s’envolait loin
du bruit cinglant sur mon épiderme lorsqu’il me battait. J’arrivais à
m’extraire de mon corps par la pensée et plus rien ne pouvait m’atteindre.
Ma bulle me permettait de voyager et le plus souvent, je m’imaginais être
une chanteuse célèbre qui partait en tournée dans toute l’Italie. Lorsqu’il
cessait de me brutaliser, je redescendais de mon petit nuage éphémère
et le retour à la réalité était parfois plus douloureux que le picotement
pénible de mon sang, qui affluait sous ma peau aux endroits marqués.
Par contre, ce soir-là, mon mental n’a pas su faire abstraction des cris
de ma petite sœur qui recevait ses premiers coups de ceinturon par ma
faute et à ma place. La haine que je vouais à mon père est passée à un
degré encore supérieur. Il n’a cessé de la frapper que lorsque je m’étais
totalement changée et démaquillée.
Je chasse ces mauvais souvenirs en essuyant mes larmes avec le
revers de ma main. Je ne veux plus penser à ça, à lui et à tout ce qu’il
nous a fait. Je suis ici pour tenter d’effacer les brimades du passé et
prendre un nouveau départ.
Je file dans la salle de bain et en ôtant ma robe, je prends conscience
qu’Adriano m’a utilisée exactement de la même manière que mon père. Il
m’a demandé de me faire chic et de faire la plante verte à son bras. Sois
jolie, souris et tais-toi.
Allongée dans mon lit, mes pensées noires m’empêchent de
m’endormir. Un excès de rage s’insinue en moi en rejouant la soirée. Je
hais Adriano de me refaire vivre ce sentiment de n’être rien et de n’avoir
aucun droit.

*
* *
Je me réveille de mauvaise humeur ayant eu du mal à trouver le
sommeil. Après un passage rapide pour faire un brin de toilette, je choisis
d’enfiler la chemise noire à encolure blanche, style veste de basket-ball,
avec un short en jean.
Après avoir ingurgité ma dose de caféine minimum, je descends à ma
boutique pour m’atteler à la tâche. M’occuper l’esprit en pâtissant m’a
toujours fait du bien et aujourd’hui n’échappe pas à la règle. C’est d’un
pas plus léger que je vais déverrouiller la porte d’entrée de la boutique à
quelques minutes de l’ouverture. Je vois la voiture d’Adriano garée
devant. Il en sort immédiatement, frais et tiré à quatre épingles comme
toujours. Il ne compte donc me laisser aucun répit. Je me rue derrière le
comptoir pour l’utiliser comme un rempart et continue ma mise en place
dans la vitrine.
– Bonjour Angela, me salue-t-il, de façon enjouée.
Je ne relève même pas la tête et fais mine d’être occupée.
– Qu’est-ce que tu veux ? L’accueillé-je, sèchement.
– J’aimerais une dizaine de macarons à la pistache, me commande-t-
il, d’un naturel déconcertant.
Mes mains tremblent alors que je dépose délicatement les
pâtisseries dans une petite boîte à emporter. Je me rapproche de lui en
allant à la caisse pour enregistrer son achat.
– Tu n’as rien à craindre de moi, Angela, lâche-t-il en posant une main
sur la mienne. J’ai conscience que les choses sont allées loin, mais je ne
te veux aucun mal.
Il se moque de moi à jouer les girouettes. Il ose me dire qu’il ne me
veut rien de mal. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
– Tu veux dire que tant que je te paie une somme astronomique tous
les mois, tu ne me feras rien. Tu es peut-être le chef ici et je ne peux rien
contre toi, mais tu ne m’empêcheras pas de penser ce que je veux. Tu es
un homme ignoble et méchant. Ce n’est pas la peine de m’envoyer tes
gars me faire chier, puis de me foutre la trouille en personne et revenir le
lendemain la bouche en cœur avec de bonnes intentions, m’emporté-je
d’un ton hargneux en ôtant ma main de la sienne, d’un mouvement sec.
Ça te fera dix euros pour les macarons.
J’avance son paquet sur le comptoir où il dépose un billet pour me
payer. Son regard me cloue sur place et il semble faire des efforts pour
ne pas me remettre à ma place. Je ne comprends pas sa démarche de ce
matin. Croit-il sérieusement qu’un simple mot d’excuse va effacer tout ce
qu’il m’a fait subir ? Les tracts jetés, l’intimidation devant ma boutique, la
casse de mes vitrines et son agression au couteau. Ce type est cinglé s’il
pense qu’il suffit de quelques macarons pour acheter mon pardon.
Il sort de la boutique sans un mot de plus et j’espère sincèrement être
débarrassée de lui. Du moins, jusqu’à la prochaine échéance.
10

Adriano Alario

Deux semaines se sont écoulées depuis mon entrevue avec Aldo.


Quinze jours que Miss Cupcake m’a rembarré dans les règles, le
lendemain de ce rendez-vous. Je suis chez moi où Giacomo me rejoint
dans mon bureau. Sa mission consistait à passer en revue les troupes et
à débusquer le traître parmi nous.
– J’ai vérifié les gars et ils sont clean, Adriano. Personne ne trafique
quoique ce soit avec les motards, m’assure-t-il.
– Tu as dû passer à côté de quelque chose. Je suis sûr de mon info,
m’agacé-je qu’il n’ait aucun résultat.
Je me lève et j’enrage de rester dans l’ignorance. Je ne supporte pas
de savoir que quelqu’un se joue de moi. Giacomo surveille les quelques
hommes qui seraient susceptibles d’avoir des informations qui
pourraient servir éventuellement contre moi.
– Si tu me confiais enfin qui t’a renseigné, je pourrais vérifier s’il est
fiable, me fait-il remarquer.
– Non, je te dis que je suis certain que les bikers cherchent à
s’emparer de Centori. Je me suis déjà assuré de la véracité de ses
propos.
– Alors, laisse-moi enquêter sur ton cercle rapproché, persiste-t-il
dans son idée.
Il insiste tellement sur ce point, depuis que je lui ai demandé de
vérifier si aucun de ses gars ne serait une balance, que je prends le
temps d’y réfléchir, cette fois-ci. Je me rassois dans mon confortable
siège en cuir et l’observe en jouant avec mon Mont-Blanc.
– Tu penses à quelqu’un en particulier ? L’interrogé-je pour connaître
le fond de sa pensée.
– Je ne veux accuser personne. Mais pour oser s’en prendre à toi, cet
homme doit être sûr de lui et de la confiance que tu lui portes, concède-t-
il.
– Je ne peux pas croire qu’un membre de la famille nous trahisse,
m’offusqué-je.
Rien que d’y penser, j’ai envie de cogner dans quelque chose. Les
valeurs du clan priment sur tout le reste. Nous y sommes fermement
attachés et je n’imagine pas qu’une personne de confiance puisse me
poignarder dans le dos.
– Écoute Adriano, je n’apprécie pas de pointer le doigt sur quelqu’un
en particulier, mais parmi tes hommes de confiance, tout le monde n’est
pas exactement de la famille, s’exprime-t-il, mal à l’aise.
Je sais de qui il parle et ça me fout en rogne.
– Tu penses à Tony, résumé-je.
Il hausse les épaules et tire une sale gueule. Les querelles entre ces
deux-là ne datent pas d’hier. Leur rivalité a toujours été palpable, surtout
à notre adolescence. Je pensais qu’ils avaient dépassé tout ça, mais il
faut croire que non.
– Je sais que tu aimes dire que c’est ton frère, mais il ne l’est pas,
s’agace-t-il avec de grands gestes.
– Arrête tes conneries, tu veux, il n’y a pas plus loyal que Tony, le
coupé-je avant qu’il n’aille trop loin dans ses propos.
– Alors, tu ne crains rien si j’enquête sur lui, tente-t-il, changeant de
tactique pour aboutir à ses fins.
– Si je te donne mon accord, je trahis sa confiance et c’est hors de
question, conclus-je pour mettre fin à notre discussion.
– Putain, Adriano ! Y’a pas de confiance dans ce milieu. C’est tous
des requins et ils veulent leur part du gâteau, s’énerve mon cousin.
Le fait qu’il parle de gâteau oriente mes pensées vers Angela. Je ris
intérieurement de ma stupidité d’être allé la voir l’autre jour. Première fois
de ma vie que je tente un mea culpa. Je me suis bien fait remettre à ma
place et je dois dire que je ne l’ai pas volé. Il ne faut pas se demander de
qui venait cette brillante idée d’aller rassurer la jolie pâtissière.
– Qu’est-ce que je fais, alors ? S’impatiente Giacomo.
Ce qu’il ne sait pas c’est que si c’était Tony la balance, je serais déjà
au courant. C’est sa femme qui s’est occupée de mettre à l’abri sa famille
en Sicile. Donc, si mon frère de cœur était la taupe, Aldo serait déjà mort.
Ce qui n’est pas le cas.
– Ma confiance n’est pas quelque chose que j’accorde facilement. Si
je devais remettre ma vie entre les mains de Tony, je le ferais les yeux
fermés et sans une seconde d’hésitation. Donc, tu ne fais rien. Est-ce que
c’est bien compris ou tu as besoin que je le répète ? Le menacé-je,
ouvertement.
Je passe ma colère sur lui parce que j’ai l’impression qu’il remet en
question ma capacité de discernement. Mon humeur est exécrable, alors,
il vaut mieux pour lui qu’il ne me cherche pas trop.
– C’est toi le chef Adriano, obtempère-t-il en hochant la tête.
– Ouais, tu fais bien de le rappeler parce que j’ai eu comme
l’impression que tu l’avais oublié.
Je le congédie d’un geste brusque de la main et il quitte mon bureau
contrarié. Aurélia en profite pour s’y faufiler, l’air de rien, avec un
immense sourire scotché sur son doux visage.
– Salut frangin, tu me fais encore la gueule pour Angela ? Plaisante-t-
elle.
Je fais mine d’être concentré sur mes dossiers et ne la regarde pas.
Accaparé par les affaires, je ne l’ai vue qu’entre deux portes, ces derniers
jours.
– Oh allez ! Ce n’est pas la fin du monde. Elle méritait des excuses et
surtout, elle n’était pas obligée de les accepter, s’évertue-t-elle à vouloir
avoir raison.
– Je me demande encore comment tu as réussi à me convaincre que
c’était une bonne idée, soufflé-je en rigolant.
En fait, elle m’a tellement saoulé que j’ai préféré céder pour avoir la
paix. Et aussi, parce que j’ai du mal à refuser quoique ce soit à ma sœur.
– Qu’est-ce que j’aurais aimé être là pour la voir te remballer ! Se
moque-t-elle en pouffant comme une dinde.
– N’abuse pas Aurélia, ou je pourrais avoir envie de me venger, la
menacé-je, gentiment.
– D’accord, j’arrête, capitule-t-elle en levant les paumes de ses mains.
Maman m’a demandé de te faire sortir de ta grotte pour déjeuner avec
nous.
– J’arrive tout de suite.
Aurélia sort et je ne peux m’empêcher de ricaner tout seul. Première
fois de ma vie que j’ai laissé quelqu’un m’insulter sans rien faire. Et il
fallait que ce soit cette maudite pâtissière !
Je rejoins mes parents et ma sœur dans la cuisine. La bonne odeur
des spaghettis à la carbonara me met l’eau à la bouche.
– Ton cousin avait l’air contrarié en sortant, m’interpelle ma mère en
posant le parmesan sur la table.
– S’il faisait son job correctement, il ne le serait pas, déclaré-je d’une
voix neutre.
– Il n’a toujours pas trouvé qui est le traître ? m’interroge mon père,
inquiet.
Je ne veux pas qu’il se fasse du souci alors qu’il doit garder ses
forces pour lutter contre son cancer. Ma mère le fusille du regard, car il
lui a promis de ne plus se mêler des affaires quand son état s’est
aggravé, il y a un an.
– C’est juste une question de temps, Papé, le rassuré-je.
Il hoche la tête en picorant dans son assiette. La maladie l’a tellement
amaigri que j’ai du mal, parfois, à le regarder. Ça m’est trop douloureux
de le voir dans cet état. Dans ces moments-là, je me remémore
rapidement une image de lui du passé. Le Falco que tout le monde
craignait. Mon héros. Je sais que je ne suis pas de la même trempe que
lui. Il a dû se montrer impitoyable pour faire de Centori son territoire. Il a
sur la conscience des actes certainement impardonnables. Les années
ont prouvé à ceux lui réglant le pizzo qu’il prenait soin des siens et de
ceux qui se rangeaient de son côté. Le clan Alario est réputé aujourd’hui
pour être loyal envers ses membres et les habitants lui font confiance
pour assurer leur sécurité. Je prends son relais et sous l’influence de ma
mère, je veux faire plus encore et venir en aide aux familles qui résident
ici et qui sont dans le besoin. Mais mes plans sont retardés par cette
histoire avec les bikers, maintenant.
– Fils, ne perds pas ton temps maintenant à chercher parmi nous qui
veut prendre ta place. Tu es certain que les motards veulent Centori ?
S’enquiert-il.
– Oui.
– Alors, n’attends pas qu’ils passent à l’action, s’emporte-t-il. Sois le
premier à agir.
Les visages de ma mère et de ma sœur pâlissent face à la
véhémence de mon père.
– Si je fais ça, je déclare la guerre, précisé-je pour être certain d’avoir
compris ce qu’il me demande.
– Oui, mais tu as l’effet de surprise. Ils veulent ce qui est à toi, alors
prends-leur d’abord ce qui leur appartient, crache-t-il, en se mettant à
tousser fortement juste après, à cause de la colère qui le ronge
intérieurement.
Ma mère s’accroupit près de lui et lui tend un verre d’eau avec
tendresse malgré qu’elle soit énervée contre lui, qu’il s’emporte de la
sorte. Je sais qu’il doit être enragé d’être cloué dans son fauteuil et de ne
rien pouvoir faire.
– Terminez de manger pendant que je m’occupe de votre père, nous
ordonne notre mère, en poussant son fauteuil roulant hors de la pièce,
alors que sa quinte de toux n’en finit plus.
Je remarque bien que son état s’aggrave, et je me sens tellement
impuissant, face à cette saloperie de maladie, qui lui bouffe petit à petit
son oxygène et ses forces.
Aurélia me fixe de ses grands yeux accusateurs alors que je fais mine
de reprendre une bouchée dans mon assiette.
– Quoi ? Fais-je semblant de ne pas comprendre son regard.
– Dis-moi que tu ne vas pas déclencher une guerre de gangs ?
S’inquiète-t-elle.
– Je ne te dirai rien du tout, pour la simple et bonne raison que ça ne
te regarde pas, lui rétorqué-je, plus sèchement que je ne l’aurais voulu.
– C’est n’importe quoi, s’emporte-t-elle, soudainement. Si tu fais ça et
que tu y parviens, tu ne sauras jamais qui a voulu te trahir.
– Crois-moi, j’arriverai à faire cracher le morceau aux membres du
clan adverse. Quand tu veux la vie sauve, tu deviens rapidement une
balance, lui affirmé-je avec un clin d’œil.
– J’ai peur Adriano, me confie-t-elle en serrant fort sa serviette de
table.
Je lui prends la main et tente de l’apaiser, mais je ne suis pas très
doué dans ce domaine.
– Tu n’as aucune raison de t’en faire. Je serai prudent et tu es
toujours accompagnée. Il ne peut rien t’arriver, lui assuré-je.
Surtout, nous avons un code d’honneur et Marco ne peut pas s’en
prendre à un membre de ma famille directe. C’est interdit par nos règles
de gangs. Mon père voudrait sûrement que je l’écoute, mais je ne pense
pas que cela soit judicieux de foncer tête baissée dans le tas. Je préfère
la jouer plus fine. L’effet de surprise peut aussi me servir sur mon
territoire. S’ils le veulent, il faudra venir m’affronter sur mes terres. Ils
n’imaginent pas une seconde que je les attends impatiemment à Centori
pour en découdre.
11

Angela Alessi

Je ne remercierai jamais assez Rosa de m’avoir poussée à


embaucher quelqu’un. Depuis qu’Aurélia est là, je me concentre enfin sur
ce que j’aime le plus, pâtisser. Je renoue avec ma passion et passe des
heures au laboratoire à confectionner plein de nouvelles créations. J’ai le
temps de proposer plus de choix au niveau des pâtisseries fines. Chaque
client a sa préférence allant du simple biscuit individuel aux cupcakes
colorés ou cake design pour impressionner ses invités. Je m’amuse et
prends enfin réellement du plaisir depuis mon installation. Alors que je
pose le glaçage rose bonbon sur les cupcakes pour la baby shower de
ma cliente, Aurélia me sort de mes pensées en entrant dans la cuisine.
– Dis, tu m’apprendrais à faire des macarons à l’occasion ? Me
demande-t-elle, avec la voix d’une gosse de cinq ans, qui rêve de lécher la
cuillère sur laquelle le chocolat a fondu.
– Je vais en faire maintenant, lui indiqué-je. Reste un peu, tant qu’il n’y
a personne, et aide-moi.
– C’est vrai ? Tu veux bien ? S’étonne-t-elle, toute excitée. Je veux
dire, ce n’est pas une recette de famille à garder secrète ou je ne sais
quoi ?
– Aurélia, gloussé-je, tu vas sur internet et tu auras la recette. Mais, je
peux te donner quelques conseils pour être sûre de ne pas les rater.
– Attends une minute, m’interrompt-elle en allant vers son petit casier
dans le couloir.
Elle fouille à l’intérieur et revient avec un cahier et une trousse
d’écolière. Elle en extirpe un stylo avec un pompon en fourrure rose fluo,
sur le dessus. L’imaginer prendre des notes avec, durant ses cours, me
tire un sourire.
– C’est bon, je t’écoute, m’indique-t-elle, sérieusement comme si c’est
elle qui attendait.
– Les ingrédients : Sucre en poudre, sucre glace, poudre d’amande et
des blancs d’œufs.
– Il existe deux types de sucres différents ? Me questionne-t-elle,
étonnée, en mâchouillant son stylo.
– La consistance du sucre en poudre ressemble à celle du sable,
alors que le sucre glace est plus farineux, expliqué-je, un peu déconcertée
qu’elle ne le sache pas.
Je vois à sa tête que je l’ai déjà perdue avec mes explications. Ce
n’est pas gagné.
– Je vais te donner les quantités pour réaliser une vingtaine de
macarons, complété-je, alors qu’elle écrit toujours dans son cahier. Il te
faudra 140 grammes de blancs d’œufs pour 180 grammes de sucre en
poudre, 160 grammes de sucre glace et la même quantité de poudre
d’amande.
Je profite du temps qu’elle prend pour tout noter pour sortir lesdits
ingrédients.
– Mais comment tu fais pour savoir combien pèse un blanc dans un
œuf ? Se renseigne-t-elle, perplexe.
Aurélia a une tendance incroyable à me faire rire facilement, et sa tête
déconfite face à mes indications, est à inscrire dans les annales de la
boutique.
– Il te faut séparer les jaunes de tes blancs et les peser après les
avoir versés petit à petit dans ton récipient doseur. La première règle très
importante à savoir lorsque tu confectionnes des macarons, c’est que les
quantités sont à respecter au gramme près. C’est primordial pour être
sûre de ne pas les rater.
Elle hoche la tête, un peu fébrile et prend note de la règle avec son
stylo rouge, cette fois-ci. Elle sort une petite règle de sa trousse et la
souligne. Je me pince les lèvres pour ne pas partir dans un fou rire.
– Ensuite, petit secret reçu d’un chef pâtissier de mon école
d’apprentissage : préparer ses blancs d’œufs la veille et les laisser
reposer dans une boîte hermétiquement fermée au réfrigérateur toute
une nuit. Puis, les sortir au moins une heure avant la confection de tes
macarons.
– Ça ne s’improvise pas, en fait ? Se plaint-elle en plaisantant. Si j’ai
une envie subite de macarons, je ne peux pas me lancer à l’arrache.
– Non, mais tu peux venir en acheter ici, gloussé-je, en lui donnant un
coup de coude qui la fait déraper sur son cahier.
Un trait rouge barre maintenant sa feuille au milieu.
– Oh, mais non ! Je dois recommencer à cause de toi.
Le tintement de la porte d’entrée nous avertit de l’arrivée d’un client.
– En fait, laisse tomber. On n’a même pas commencé que je trouve
ça déjà trop chiant, raille-t-elle. Je préfère garder le plaisir de les savourer
uniquement.
Elle repart d’un pas léger dans la salle, me laissant seule avec mes
ingrédients et ses affaires d’étudiante. J’entame la recette en multipliant
chacune des quantités par trois. Je pense tenir la journée en rajoutant
encore cent vingt macarons pour aujourd’hui. C’est « la douceur » phare
de ma boutique et les quantités vendues ne cessent d’augmenter chaque
semaine.
Je ne regrette pas mon choix d’avoir gardé Aurélia, même si elle est
la sœur de mon tortionnaire. Après mon escapade au Casino avec
Adriano et la rencontre avec Aldo, il ne faisait aucun doute que je devais,
malheureusement, me séparer d’elle. Mais, c’était sans compter sur sa
ténacité et ses arguments. Elle a su me convaincre en m’expliquant
qu’Adriano n’était pas pour cette histoire de job et que personne d’autre à
Centori ne voudrait l’embaucher. Rien que le simple fait de savoir qu’il
puisse être contrarié, un tant soit peu, à cause de moi, a fait pencher la
balance en sa faveur. Elle a catégoriquement refusé de parler des
transactions de son frère et de ce qu’il me réclame. Elle m’a confié ne
jamais se mêler des affaires de sa famille. Aurélia déplore que je juge
son frère uniquement sur son statut et non pas sur l’homme qu’il est en
dehors. En même temps, difficile de passer outre ma première
impression et je trouve ça un peu facile de me le reprocher, alors qu’elle
ignore tout de la situation. Comment pourrais-je oublier ce qu’il m’a fait ?
Pire, comment ne pas penser à ce que je risque encore, si je ne paie pas
la prochaine échéance ?
– La maman qui a gagné le concours sur la page Facebook souhaite
un gâteau Minnie pour sa fille qui fêtera ses quatre ans. Par contre, c’est
pour le mois prochain, ça ne te pose pas de souci ? Me questionne-t-elle,
mettant fin à mes pensées alarmantes.
Aurélia s’occupe de gérer les réseaux sociaux de la pâtisserie et je
dois dire que depuis qu’elle a pris ça en main, les commandes de cakes
design s’enchaînent et gonflent le chiffre d’affaires de la boutique. Je me
suis demandé si elle ne s’investissait pas autant, car elle sait que je dois
verser de l’argent à son frère d’ici peu, à nouveau. J’hésite entre la
remercier et l’étrangler.
– Aucun soucis, note-le bien dans le carnet des commandes avec les
ganaches choisies et à quelle heure elle vient le récupérer, précisé-je
même si je sais qu’elle n’oublie jamais.
– C’est déjà fait, patronne ! Rigole-t-elle. Est-ce que tu as pu préparer
la commande que je t’ai rajoutée en arrivant ?
Adriano, en plus de me pourrir la vie en me rackettant, me passe des
commandes de dernière minute par l’intermédiaire de sa sœur. Je
demande toujours aux clients de me prévenir quarante-huit heures à
l’avance pour une grosse quantité. Mais lui, bien sûr, n’est pas capable de
respecter cette petite règle de rien du tout, alors que nous, nous devons
filer droit. J’ai été tentée de refuser sa demande d’assortiment d’une
cinquantaine de macarons par pur plaisir. Après réflexion, j’ai préféré
l’honorer pour éviter qu’il déboule dans ma boutique.
– Oui, ma biche, ne t’inquiète pas, ton frère aura son dessert, ricané-je
en lui faisant un clin d’œil.
– En réalité, Adriano a passé cette commande pour ma mère. Ces
derniers temps, l’état de mon père s’est aggravé. Elle est très inquiète et
fatiguée. Il a pensé lui remonter un peu moral avec du chocolat.
Je ne peux m’empêcher de penser que c’est touchant qu’il prenne
autant soin de sa maman. Mon jugement sévère s’est étiolé, depuis qu’il
est passé au salon de thé, après le rendez-vous avec Aldo. Sur le coup, je
n’ai pas réfléchi sur les raisons de sa venue, et je l’ai envoyé sur les roses,
mais il semblait être venu en paix. Peut-être pour discuter d’un
arrangement. J’aurais dû l’écouter.
– L’idée de l’assortiment est de moi, bien entendu. C’est plus raffiné
que simplement des macarons au chocolat, mais ça, Adriano n’y a pas
pensé, plaisante-t-elle pour dissimuler sa peine.
Cela aurait été plus simple et plus rapide pour moi de n’en faire
qu’une seule sorte, mais je ne veux pas la faire culpabiliser du travail
supplémentaire qu’elle m’a donné. Je lui suis tellement reconnaissante
de tout ce qu’elle fait déjà pour moi. Et pas seulement à la pâtisserie. Elle
a un bienfait sur ma personne. Elle me rend souriante et j’attends tous les
jours sa venue avec impatience. Elle a toujours une anecdote à me
raconter sur le déroulement de ses cours et les histoires farfelues des
professeurs. Notre amitié est récente, mais sa sincérité la rend bien plus
forte que d’autres que j’ai pu avoir dans le passé.
Heureusement que je n’ai pas cédé à mon envie d’empoisonner les
macarons avec un laxatif puisque, finalement, ce n’est même pas
Adriano qui les mangera.
– C’est beaucoup mieux, tu as raison, confirmé-je en reprenant mon
travail.
Juste avant de sortir du laboratoire, elle se retourne vers moi.
– Angela ?
Je lève mon visage vers elle, dans l’attente de sa question.
– Une de mes cousines se marie ce week-end. Dans ma famille, la
tradition veut que chaque invité vienne accompagné d’une personne n’en
faisant pas partie.
C’est une drôle d’idée qu’ils ont là. J’aurai tout entendu avec eux.
– Normalement, pour ce jour spécial, on souhaite s’entourer de ses
proches et des gens qu’on aime. Pas d’inconnus.
– Nous pensons que le fait de partager notre bonheur avec le plus
grand nombre porte chance aux futurs mariés.
– Vous croyez à ces choses-là ? M’étonné-je, incrédule.
– On s’en fout de savoir si c’est vrai ou pas, râle-t-elle, tu veux bien
m’accompagner ?
– Tu sais qu’il serait plus logique que tu invites un jeune homme ?
– Pour que mon frère l’étripe dès notre arrivée ?
– Je ne suis pas sûre qu’il me réserve un autre sort, plaisanté-je à
moitié.
– Oh arrête, tu veux. J’en ai marre de vous entendre jacasser l’un sur
l’autre. Vous ne vous connaissez pas et vous êtes pleins de préjugés.
Tournez la page, c’est du passé. Vous êtes partis du mauvais pied, c’est
vrai. Mais vois le bon côté des choses : votre relation ne peut que
s’améliorer.
Aurélia, toujours positive. Sa naïveté est parfois fatigante.
– Sincèrement, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, confessé-
je.
Voyant qu’elle ne compte pas s’arrêter là, je reprends la parole
immédiatement.
– Aurélia, s’il te plaît, n’insiste pas. Ça serait complètement ridicule
que j’aille à ce mariage, alors que ton frère me…
– Laisse tomber, me coupe-t-elle, je pensais juste que tu n’étais pas le
genre de nana à accepter qu’un mec t’empêche d’aller quelque part.
Elle repart déçue dans le salon de thé. Elle est gonflée de me balancer
ça à la tête alors qu’elle ignore nos antécédents communs avec son
frère. Mais, Aurélia commence à me connaître et elle sait sur quelle
ficelle tirer pour me faire réagir. Moins je vois Adriano, mieux je me porte.
Ces deux dernières semaines se sont déroulées sans problème. Je ne
veux pas lui rappeler mon existence avant la prochaine échéance.
D’ailleurs, je n’aurai pas les deux mille euros. Je ne sais pas ce qu’il
s’imagine, mais je ne peux pas lui donner autant d’argent tous les mois,
avec mon petit salon de thé. Il n’a pas dû faire des études de commerce,
lui, c’est certain.
Je suis navrée de faire de la peine à Aurélia. Sa gentillesse est à la
hauteur de la mesquinerie de son frère. Je me sens attachée et reliée à
elle. J’ai conscience qu’elle me rappelle ma petite sœur. Dans un sens,
depuis que je la connais, elle comble le vide laissé par son absence.
Exception faite de Rosa qui doit avoir dans les soixante-dix ans, elle est
aussi ma seule amie à Centori.
Elle mérite bien un effort de ma part pour tout ce qu’elle m’apporte.
Je m’essuie les mains sur mon tablier et la rejoins dans la boutique.
– C’est bon tu as gagné, tu peux compter sur moi pour
t’accompagner, souris-je à son attention.
Elle me regarde étonnée et me saute dessus, toute joyeuse, en
sautillant sur place. J’apprécie énormément la complicité que nous
partageons et je ne veux pas la mettre en péril à cause d’Adriano. S’il y a
une chose dont je suis certaine à propos de ce type, c’est qu’il aime sa
sœur. Je pense donc qu’il sera d’accord, pour que nous prenions chacun
sur nous, le temps d’une soirée pour faire plaisir à Aurélia.
12

Angela Alessi

Et nous y voilà. Rappelez-moi pourquoi j’ai accepté d’aller à ce


mariage ? Après avoir écouté mon cœur, mon cerveau s’est mis en
marche, avec un train de retard. Durant cette cérémonie, toute la famille
d’Aurélia sera présente. Donc, celle d’Adriano. C’est-à-dire que je vais me
retrouver au beau milieu d’un gang. Ce fameux gang que je ne peux pas
voir en peinture !
Après avoir tressé mes cheveux en une natte relâchée de côté, j’enfile
ma robe longue légère à imprimé feuilles tropicales bleu ciel. Ses fines
bretelles seront parfaites pour le soleil qui cogne déjà en cette fin de
matinée. Ce vêtement a une valeur symbolique puisqu’il s’agit d’un de
mes premiers achats sans me soucier du « quand dira-t-on ». Un coup de
cœur à cause des échancrures en forme de triangle sur les hanches et
dans le bas de mon dos. Elles laissent apparaître ma peau sans trop en
montrer. Un coup d’œil au cadran de l’horloge me fait accélérer le
mouvement. Aurélia doit passer me prendre dans cinq minutes. Mes
sandales plates aux pieds, pour ne pas souffrir le martyre toute la soirée,
et ma pochette blanche à la main, il ne me reste plus qu’à m’armer de
courage pour affronter la horde de malfrats qui règne sur Centori.
** Changement de prog : ( peux pas passer te chercher, rejoins-moi direct

à l’Église ;) Dsl **

Non, non et non ! Je refuse d’arriver toute seule à un mariage alors


que je ne connais même pas les futurs mariés. La main sur la poignée de
ma porte d’entrée, je réfléchis sérieusement à rester chez moi quand je
reçois un nouveau message.

** Tu as intérêt de ramener tes fesses sinon je demande à mon frère de

venir te chercher **

Elle sort l’artillerie lourde, là. Résignée, je me rends à l’église à pied, en


prévoyant un plan de vengeance à l’encontre de mon employée.
Heureusement que l’Église n’est pas très loin de la pâtisserie. Mon
appréhension grimpe à mesure que je m’en approche. Je donne
l’impression d’être essoufflée comme si j’avais couru pour venir. Mais ce
n’est que la peur qui accélère mon rythme cardiaque. Arrivée devant cette
imposante bâtisse, les portes sont ouvertes et un couple accueille les
invités, avec des courbettes.
– Bonjour, vous êtes de la famille du marié ou de la mariée ? me
demande la jeune femme vêtue d’une somptueuse robe vert émeraude
en me voyant approcher.
J’ai l’impression d’être un paillasson à côté d’elle, malgré les efforts
déployés pour m’apprêter dignement pour ce grand événement.
– Je suis invitée par Aurélia Alario, lui précisé-je d’une voix timide
– Famille de la mariée, c’est les bancs de gauche.
– Oh, euh, bégayé-je, elle m’a prévenue qu’elle m’attendait ici.
– Aurélia ? Ça m’étonnerait, elle est bien trop occupée avec la mariée,
à l’heure qu’il est.
Elle me tend un petit carnet et je m’avance, bien malgré moi, dans
l’église en maudissant mon amie de ne pas être là pour me guider. J’ai la
sensation d’avoir une cible dessinée dans le dos et d’être la personne à
abattre. Je n’arrive pas à la repérer parmi la foule. Je décide donc de
m’asseoir sur le premier banc à ma portée, soit le plus au fond de l’église.
Je ne tiens pas à me balader au milieu de l’allée à la recherche d’une
place. Avec la chance que j’ai, je m’assiérais pile à côté de la personne
qu’il ne faut pas. Je survole le feuillet du déroulement de la célébration
pour m’occuper l’esprit, mais j’ai l’air d’une cruche toute seule sur ce
banc. Je regarde autour de moi et passe au crible les invités. Tout le
monde est très chic et a l’air heureux. C’est l’effet mariage, on oublie ses
soucis et on se concentre sur les aspects positifs de la vie.
Pour ma part, je n’en ai pas beaucoup à me remémorer ou ils sont
très anciens. J’espérais qu’ici à Centori, je me construirais une belle vie et
que je serais heureuse. C’est en partie le cas, mais bien entendu, tout
n’est pas tout rose, il y a toujours une ombre, plus ou moins foncée, qui
vient ternir le tableau.
– Bonjour Angela, me chuchote une voix, que je ne connais que trop
bien, derrière moi.
Tiens, quand on parle du loup, il montre sa queue.
– Aurélia a dû aller rassurer notre cousine qui panique dans les
coulisses, plaisante Adriano l’air de rien, elle m’a confié la mission de
t’escorter à ta place.
Je jure que je vais virer Aurélia dès que je la vois. Je commence à la
connaître et je suis sûre qu’elle manigance pour que son frère et moi
parlions un peu ensemble. Son plan devait être prêt depuis le départ. Elle
n’accepte pas que l’on puisse ne pas s’apprécier. Et encore, c’est un
euphémisme. Je pense que l’on se déteste prodigieusement, chacun de
notre côté. Elle devra finir par se faire une raison.
– Je te remercie, mais je suis très bien ici, lui balancé-je en croisant
les jambes et en me replongeant dans la lecture du déroulement de la
cérémonie.
– Oh arrête, tu veux, s’agace-t-il, toujours un demi-ton en dessous de
la norme. On dirait que tu te planques sur ton banc au fond de l’église
parce que tu viens t’incruster dans un mariage, sans y avoir été invitée.
Je lui offre un sourire crispé en guise de réponse. J’ai une folle envie
de lui lever mon majeur au visage, mais je me retiens, vu l’endroit.
– Bon, ça ne me plaît pas plus que toi, cette situation avec ma sœur
au milieu, s’impatiente-t-il, mais on pourrait, peut-être, faire une exception
aujourd’hui. Après tout, tout le monde met ses querelles de famille de
côté le temps d’un mariage ?
Monsieur veut faire preuve de sagesse, vous m’en direz tant.
– C’est bon, je te suis, abdiqué-je en lui pestant dessus.
J’attrape mon sac et me lève du banc. Il me détaille sans bouger et
ses yeux s’arrêtent sur mes hanches dénudées. Il me rejoue la scène d’en
bas de chez moi quand il est venu me chercher pour rejoindre Aldo. Je lui
claque les doigts devant son visage pour le ramener à l’instant présent.
Bien entendu, Monsieur sourit, fier de lui, et ça me fait lever les yeux au
ciel. Je le suis docilement à un banc beaucoup plus proche de l’autel.
Nous dérangeons les premières personnes se trouvant dans la rangée,
mais elles mettent tout en œuvre pour laisser Adriano passer
tranquillement. Je me faufile rapidement derrière lui, profitant de
l’ouverture, et ne cesse de m’excuser dès que je dépasse une personne.
Je prends place à côté de lui. J’observe les personnes qui
m’entourent. Mauvaise idée. Derrière moi, la petite bande, m’ayant fait
vivre une journée en enfer il y a quelques semaines, attend sagement que
la cérémonie commence. Je reconnais la jeune femme qui voulait mon
gravity cake « Cornet Glace » gratuitement. Cette garce me fait un signe
de la main avec un grand sourire de pétasse. À côté d’Adriano, j’identifie
les deux hommes qui l’accompagnaient lors de sa première visite
cordiale à la boutique. Ils me saluent d’un petit signe de tête que je leur
rends aussi discrètement. Plus loin, je repère plusieurs femmes,
certaines avec des enfants.
Je ne suis absolument pas à mon aise. J’ai les mains moites et mes
jambes tressautent sans que je ne puisse les contrôler. Aurélia, si tu ne
rappliques pas fissa, je profite du moment de l’hostie pour me faire la
malle en douce. Je n’aime pas cette proximité avec Adriano alors que lui
a l’air comme un poisson dans l’eau. Sa cuisse est bien trop près de la
mienne. Il est si sûr de lui et arrogant. C’est le genre d’homme qui en
impose en étant lui, tout simplement. Il dégage un charisme qui supprime
tout l’oxygène autour de lui. Je repense à notre altercation dans son
bureau, au moment où il a sorti son couteau et qu’il l’a fait glisser sur
mon visage et au creux de mon cou. Je me rappelle sa force quand il me
maintenait contre le mur. Je suis prise de tremblements et ma gorge se
serre. Je dois me calmer. Il faut que je sorte d’ici, que je m’éloigne de lui.
Je me lève pour partir, mais une main attrape mon poignet.
– Où crois-tu aller, comme ça ? Me glisse-t-il à l’oreille.
Adriano tire sur mon bras pour me faire rasseoir. La musique
commence à résonner contre les murs de pierres de ce lieu de culte.
– Ce n’était pas une bonne idée de venir, tu m’excuseras auprès de ta
sœur, chuchoté-je.
Il se rapproche de moi et parle plus près de mon oreille pour couvrir
les notes de l’orgue m’empêchant de l’entendre.
– Tu ne vas pas remonter l’allée centrale alors que le marié va faire
son entrée ? Ironise-t-il.
Ma peau réagit à son souffle chaud et je me maudis intérieurement
de ressentir une attraction physique pour lui. En même temps, s’il était
laid, ça serait plus facile pour moi. Mais non, il faut que Monsieur Tout
Puissant soit canon, en plus.
– Je peux prendre la contre-allée, côté gros malin, me moqué-je de
lui.
– Et tu crois que mes hommes et moi, on va te laisser passer ?
Argumente-t-il contre moi.
– S’il te plaît Adriano, laisse-moi partir, le supplié-je.
– S’il te plaît Angela, reste, énonce-t-il d’une voix qui se veut plus
douce.
La cérémonie autour de nous débute, je vois les ombres du marié et
de sa mère, qui passent dans mon dos, alors que lui et moi confrontons
nos regards. Je ne sais pas ce que je vois dans le sien. Il veut que je reste
pour sa sœur. Il doit savoir à quel point elle voulait que je l’accompagne.
Je dois garder à l’esprit que je suis là pour Aurélia, parce qu’elle est la
seule personne que me fasse rire dans ma nouvelle vie, que je ne peux
plus me passer de sa joie et de sa bonne humeur à la pâtisserie tous les
jours. Je ne veux pas lui causer de la peine en partant, même si je suis
fâchée qu’elle m’ait collé son frère aux basques.
Alors, je m’installe correctement sur ce banc et plaque mon dos
dessus. Je fixe la grande croix où Jésus est cloué. Je puise dans le peu
de foi qu’il me reste pour trouver le courage de rester assise aux côtés
d’Adriano. Il tient toujours mon poignet dans sa main et je sens son
regard son mon profil. Il hésite sur mes intentions. Délicatement, je le
sens me relâcher, tout doucement, comme lorsque l’on apprend à un
bébé à faire ses premiers pas et que l’on a peur qu’il tombe.
L’orgue se fait plus puissant sous la traditionnelle chanson d’entrée
de la mariée. Je la vois avancer au bras d’un homme qui doit être son
père. La cousine d’Aurélia ressemble à une énorme meringue qui aurait
trop gonflé. Mais bien entendu, tout le monde sera hypocrite et lui dira
que sa robe est exceptionnelle.
Je sens un remue-ménage derrière moi, des gens que l’on dérange au
moment le plus inopportun. C’est ma cavalière qui s’infiltre, sans
discrétion, sur le banc pour venir s’asseoir. Je suis soulagée de la voir
enfin apparaître. Cette chipie ne s’immisce pas entre son frère et moi,
mais prend place à mon côté opposé.
– Excuse-moi, j’ai dû gérer une crise d’angoisse pré-mariage,
m’indique-t-elle sans ressentir le moindre remords.
13

Adriano Alario

Cette cérémonie est interminable et je me retiens de courir pour sortir


de cette église. Mais, je dois d’abord féliciter les mariés qui attendent en
bas de l’autel. Il fait une chaleur étouffante et j’ai besoin d’une brise d’air
frais rapidement. Après avoir dépassé quelques personnes sans
ménagement, puis embrassé ma cousine et son époux, je repère une
sortie de côté et me dépêche de l’emprunter. Que ça fait du bien de sentir
le vent sur mon visage. Il me faut un alcool fort maintenant et tout sera
parfait.
Alors que je me dirige vers l’endroit où a lieu le vin d’honneur,
j’aperçois mon père un peu plus loin en train de plaisanter avec Angela.
Elle s’est enfuie aussitôt le signal donné par le prêtre, une sortie digne
d’une athlète bloquée dans les starting-blocks lorsqu’elle entend le coup
de feu donné par l’arbitre. Putain, cette fille attire les membres de ma
famille comme un aimant, même ceux dans l’incapacité de se déplacer
tout seul.
– Merci beaucoup, vous êtes vraiment très gentille, lui sourit mon
père.
Angela m’a vu arriver et son visage s’assombrit.
– Papa, je vois que tu as fait la connaissance d’Angela, les présenté-
je.
– Oh, vous êtes la petite pâtissière ? S’étonne-t-il en l’analysant d’un
peu plus près, maintenant qu’il sait que la jolie demoiselle a donné du fil à
retordre à son fils.
Elle lui tend la main avec un visage avenant.
– Angela Alessi, précise-t-elle avec un brin officiel dans la voix.
– Je suis Falco Alario, le père d’Aurélia et d’Adriano, je suis enchanté
d’enfin vous rencontrer. J’entends tellement parler de vous, sous mon
toit.
Puis, il se tourne vers moi pour capter mon attention qui est, à
nouveau, fixée sur la taille de la jolie blonde.
– Adriano, figure toi que je me suis encore emmêlé avec ses fils qui
me suivent partout et que cette jeune femme est venue à ma rescousse.
– Ce n’est rien, je vous en prie, concède-t-elle, mal à l’aise.
Aurélia m’avait prévenu qu’Angela avait d’abord décliné son
invitation. Je dois dire que je la comprends. Ses raisons sont légitimes,
après tout. Alors, démarrer l’apéritif en apprenant qu’elle vient de venir en
aide à mon géniteur ne doit pas la réjouir.
Ma mère nous rejoint avec une bouteille d’eau fraîche, qu’elle donne
immédiatement à mon père. Avec la chaleur qu’il fait, je ne suis pas
certain qu’ils vont rester très longtemps.
– Bonjour Angela, la salue-t-elle en lui serrant la main, j’étais ravie
d’apprendre que vous aviez accepté l’invitation d’Aurélia. Ça nous fait
plaisir de vous avoir parmi nous.
– Merci, se contente-t-elle de répondre.
– Chérie, s’il te plaît, j’aimerais saluer quelques personnes, si tu veux
bien, l’interrompt mon père.
– Dis-moi qui et je t’y emmène, lui demande-t-elle en le poussant déjà.
Mes parents s’en vont me laissant seul avec Angela. Elle serre fort
son petit sac à main entre ses doigts, tout en regardant partout ailleurs,
sauf dans ma direction. Si seulement je n’avais jamais sorti ma lame
contre elle, les choses seraient plus faciles aujourd’hui. Je m’en veux un
peu de m’être laissé emporter de la sorte avec une femme. Ce n’est pas
dans mes habitudes. Je comprends donc sa haine à mon égard, mais je
ne la tolère pas. Si elle ne m’avait pas défié devant tout le monde au
cabaret, je n’aurais pas eu à employer les grands moyens.
Je la couve du regard et mes yeux, comme l’autre soir, admirent son
grain de peau. Elle est diablement sexy dans sa robe longue qui vole au
rythme des quelques bribes d’air. L’aperçu des quelques centimètres de
peau est un appel au touché. Je lui pose la question qui me brûle les
lèvres depuis qu’Aurélia nous a dit qu’elle était son invitée.
– Pourquoi as-tu accepté de venir ?
C’est vrai après tout, elle fait une tête de six pieds de long en ma
présence. Il lui suffisait de refuser si elle ne souhaitait pas me voir.
Voyant qu’elle ne saisit pas le sens profond de ma question, je
m’explique.
– Tu ne respires pas la joie donc je me demande pourquoi tu es
venue ?
La colère embrase ses prunelles caramel. Elle a un air hautain que
j’aimerais bien lui effacer, là tout de suite. Elle m’attire autant qu’elle
m’énerve.
– De la joie ? Bizarrement, quand tu es dans les parages, cette
émotion disparaît comme par enchantement, me balance-t-elle d’un ton
dédaigneux. Si je suis là, c’est pour Aurélia, figure-toi. Et tu devrais me
remercier d’ailleurs, en plus.
– Te remercier ? Et pourquoi ?
– Parce que c’était moi ou un garçon, Monsieur je sais tout.
Je me marre parce que le type qui osera accompagner ma sœur à un
événement familial n’est pas encore né.
– Encore aurait-il fallu qu’un mec ait assez de couilles pour venir, la
fustigé-je. Bref, je sais que tu apprécies ma sœur et ça nous fait au moins
un point commun. Alors, je te propose que pour aujourd’hui, on oublie
nos antécédents. Qu’en penses-tu ?
Elle fait mine de réfléchir en jouant avec ses lèvres.
– Je te propose mieux que ça, Adriano. Fais comme si tu ne me
connaissais pas.
Malgré la peur que je lui inspire, elle me tient tête et ne se ratatine pas
face à moi. J’apprécie sa force de caractère autant qu’elle m’horripile.
J’hésite à la manière à employer pour lui faire fermer sa grande gueule :
en plaquant ma main dessus ou ma propre bouche.
– On s’ignore alors, c’est ça ton deal ? Exposé-je en trouvant cela
ridicule.
– Il te faut du temps, mais tu finis par comprendre, c’est bien, me
félicite-t-elle, hautaine.
Sur ces mots, elle tourne les talons et se tire. Elle est sacrément
gonflée de se comporter comme ça. Elle me plante comme un con, alors
que d’habitude, c’est toujours moi qui ai le dernier mot, peu importe avec
qui. Cette nana est dingue, elle a dû trop sniffer de farine.
Je rejoins mes cousins qui se sont réunis près d’une table haute, et
nous discutons de tout et de rien. Plusieurs de mes conquêtes passées
viennent se rappeler à mon bon souvenir. J’ai réservé une suite, dans le
bel hôtel quatre étoiles, situé à côté de Centori, pour finir la soirée en
charmante compagnie. Les affaires m’ont accaparé ces dernières
semaines et j’ai besoin de chaleur humaine pour décompresser.
Paulina arrive en tête du classement et a de grandes chances de
l’emporter ce soir. Elle ne cache pas grand-chose dans sa robe rouge
sang. Sa poitrine déborde de son décolleté et le bas ressemble plus à
une ceinture. Je pourrais peut-être même commencer avec elle dans un
coin discret du lieu de réception, pour terminer avec une autre dans ma
chambre. De cette manière, je rattraperais mon retard.
Mon regard tombe comme par hasard sur Angela qui se trouve à
l’autre bout de la pièce. Elle est de dos, et son triangle qui la dénude
m’attire bien plus que tout ce que peut montrer mon futur plan cul. Je
m’imagine empoigner ses longs cheveux or pour toucher encore une fois
leur douceur. Elle parle avec un homme que je ne connais pas. C’est la
première fois que je la vois vraiment détendue et souriante. Je
comprends que ce type soit venu tenter sa chance dès le départ des
festivités. Ils vont être plusieurs sur le coup ce soir, c’est certain.
Les plans de table sont affichés et ma curiosité me pousse à vérifier
qui je vais devoir me coltiner. On dit toujours que les mariés font tout ce
qu’ils peuvent pour ne pas mettre ensemble des gens qui ne s’entendent
pas entre eux. Moi, en tout cas, je n’ai jamais été satisfait de mes voisins
de tablée.
Je cherche mon nom sur les dessins affichés. Je crois bien que la
malédiction prend fin ce soir. Aurélia doit y être forcément pour quelque
chose parce que ce tirage est trop parfait. Enfin pour moi. Je me marre
tout seul devant l’affiche. Je devrais peut-être réfléchir à une protection
pour Aurélia, contre sa patronne, parce que lorsqu’elle verra son nom à
côté du mien, je pense qu’elle aura envie de la tuer.
– Tu m’as promis de bien te comporter avec elle, alors j’espère que tu
ne me feras pas regretter de t’avoir fait confiance, me réprimande Aurélia
en déboulant de nulle part.
Ma sœur, l’idéaliste, qui rêve d’un monde où tout le monde s’aime.
Douce utopie.
– Je n’ai qu’une parole, juré-je en levant les bras devant moi en gage
de bonne foi.
Elle me tape sur les mains et nous plaisantons un peu ensemble sur
le physique de certains membres de la famille du marié.
– Bon, ce n’est pas tout ça, mais il faut que j’aille retrouver Angela,
car nous allons bientôt devoir rejoindre nos tables, et je veux éviter tout
risque de fuite, plaisante-t-elle.
Je laisse ma sœur vaquer à ses occupations de midinette. Je décide
de rejoindre Paulina pour une virée rapide dans ma berline avant le début
du repas de mariage.
14

Angela Alessi

Je prends la poudre d’escampette après ma boutade parce que je


crains sa réaction. Je me sens fière de lui avoir rabattu le caquet, mais ça
ne m’empêche pas de trembler comme une feuille. Je vais me servir un
verre au bar installé pour l’occasion. Malgré moi, mon regard est attiré là
où il se trouve. Il est à l’aise au milieu de sa famille, faisant la bise à
certaines personnes, le baisemain à des dames plus âgées. Le respect
est important dans la mafia et le clan Alario n’échappe pas à cette règle.
Je l’observe de loin discuter et rire avec certains invités. Plusieurs
femmes lui font les yeux doux ce qui ne m’étonne guère. Il répond aux
avances de l’une d’elles, habillée pour aller tourner un film
pornographique. Ses goûts concernant la gent féminine laissent à
désirer.
Enfin, mon phare, Aurélia, réapparaît au milieu de la foule. Le
désespoir me gagnait de la revoir avant d’entrer dans la salle de
réception.
– Il a presque fallu que je me batte pour atteindre ma cousine et la
féliciter. Ils sont fous ces gens, j’te jure !
– Tiens, bois ça, tu as l’air toute desséchée, me moqué-je en lui
tendant un thé glacé à la pêche.
Elle en boit une gorgée et me regarde avec désapprobation.
– T’es sérieuse là ? Un thé glacé ?
J’écarquille les yeux ne comprenant pas son problème. Sous cette
forte chaleur, rien de mieux pour se désaltérer. Elle aurait peut-être
préféré de l’eau.
– On est à un mariage là, pas à un goûter d’anniversaire d’une gosse
de quatre ans, me réprimande-t-elle.
Elle se rapproche du comptoir et interpelle à haute voix le pauvre
homme débordé avec tout ce monde. Quand il aperçoit la beauté de ma
cavalière, il s’empresse de la servir.
– Deux mojito, s’il vous plaît ! Minaude-t-elle en lui faisant les yeux
doux.
Nous admirons le barman utiliser une pince pour attraper les feuilles
de menthe, puis remplir son shaker des liquides alcoolisés et gazeux
pour enfin danser avec, tel un jongleur. Il s’empresse de servir nos verres
avec délicatesse. Il tend nos boissons à Aurélia qui continue ses yeux de
biche, auxquels il répond sans la moindre hésitation. Attention danger,
j’espère pour lui qu’il sait ce qu’il fait, sous peine de finir une balle entre
les deux yeux. Nous trinquons et buvons notre délicieux nectar préparé
avec tant de soin.
– Maintenant place à la fiesta ! crie presque Aurélia en m’entraînant à
sa suite.
Sa joie est contagieuse et je ne peux réprimer un immense sourire.
J’avais oublié à quel point être entourée des personnes qu’on apprécie
fait du bien. Certes, je n’en ai qu’une, mais elle m’est déjà précieuse.
Comme le dit l’adage : on compte ses amis sur les doigts d’une main.
– Où va-t-on ?
– Régler le dernier petit détail de la soirée, précise-t-elle en me faisant
un clin d’œil.
Qu’est-ce qu’elle me réserve encore ? Nous arrivons devant les portes
de la salle où le dîner aura lieu. Les plans de table y sont accrochés, mais
Aurélia me les cache.
– Je te préviens, c’était soit ça, soit tu te retrouvais toute seule avec
sept personnes que tu ne connaissais pas du tout, me met-elle en garde.
– À part toi, je ne connais pas grand monde, donc si on est à la même
table, il n’y a aucun problème, accordé-je.
– À la bonne heure ! Chantonne-t-elle. Je te rassure, nous sommes à
la même table.
– Pourquoi, j’ai comme l’impression que tu ne me dis pas tout ?
Murmuré-je.
– Ben, on n’allait pas dîner en tête à tête au mariage de ma cousine.
C’est des tables de huit, mais ne t’inquiète pas, je te présenterai à tout le
monde. Enfin, même si certains te connaissent déjà.
J’ai été longue à la détente, mais je viens de comprendre quel était ce
détail qu’elle souhaitait vérifier.
– Laisse-moi voir ces plans, ordonné-je en la poussant sans
ménagement.
Après quelques secondes, je repère mon nom dans une case rose.
Juste à côté de deux cases, mais bleues, annotées « Giacomo Alario » et
« Adriano Alario ». Quand je me tourne vers ma traîtresse, je n’arrive
même pas à être véritablement en colère face à sa moue désolée. Ça
doit être mon mojito qui commence à me détendre. Cela fait longtemps
que je n’ai pas bu d’alcool.
– Je crois qu’il va me falloir un autre verre, conclus-je en pensant à la
soirée à venir.
Elle éclate de rire, soulagée que je le prenne comme ça. J’aurais dû
m’en douter qu’elle comploterait quelque chose. Je commence à la
connaître et je vois bien que ça lui fait de la peine que son frère et moi ne
nous apprécions pas. Il va pourtant falloir qu’elle finisse par se faire une
raison.
Depuis mon versement et le rendez-vous avec Aldo, je ne peux pas
nier qu’Adriano a tenu parole. Plus personne n’est venu m’intimider.
Aurélia a peut-être raison. Je devrais essayer de trouver un terrain
d’entente avec lui, au lieu de rester complètement braquée.
Alors qu’elle est allée nous chercher une boisson un peu plus forte,
j’observe à nouveau Adriano. Je me maudis intérieurement de lui
accorder autant d’attention, mais je n’arrive pas à m’en empêcher. Il est
accroupi à hauteur d’un jeune garçon et rigole avec lui. Il continue son
chemin et s’approche de Miss Film-X. Un mot glissé à l’oreille et les voilà
partis vers le parking. Aucun doute sur leurs intentions. Je me persuade
que la pointe de jalousie que je ressens provient uniquement de mon
manque de sexe, en ce moment.
15

Adriano Alario

Paulina ne s’est pas fait prier pour me suivre jusqu’à ma voiture,


située au fond du parking. À l’abri des regards indiscrets, derrière les
vitres teintées de ma banquette arrière, elle m’a prouvé que sa réputation
dans l’art de se servir de sa bouche n’est pas déméritée. Elle a mis du
cœur à l’ouvrage et avec mes deux semaines d’abstinence, je n’ai pas
tenu très longtemps. Par contre, cette coquine est sortie de la voiture
tout de suite après, prétextant que si j’en voulais plus, il allait falloir la
ramener dans un endroit un peu plus classe. Elle a de la suite dans les
idées la bimbo. Je sors de ma berline et vérifie que mon costard n’est
pas trop froissé. J’entends quelqu’un siffler discrètement sur ma droite.
Aldo est accroupi, caché par ma voiture et des buissons.
– Qu’est-ce que tu fous là, bordel ? Je ne t’ai pas convoqué, m’énervé-
je, aussitôt.
Il est complètement cinglé de venir me parler. Il est en territoire
ennemi et il pourrait se faire repérer rapidement. Et si tel est le cas, je
n’hésiterai pas à le descendre pour donner le change.
– Marco a demandé à certains d’entre nous de venir rôder dans le
coin. Ça n’sent pas bon, Adriano. Il a l’air de ne plus faire confiance à
personne, me prévient-il, inquiet.
Marco est le chef des bikers. C’est lui qui rêve de me faire tomber et
s’approprier Centori. Que cherche-t-il en envoyant ses troupes
aujourd’hui ? Nos lois lui interdisent de s’en prendre aux membres de
notre famille. J’aperçois effectivement au loin quelques motos faire une
parade devant le lieu de réception puis s’en aller. Ça sent la merde à plein
nez.
– Il ne peut rien faire aujourd’hui, indiqué-je, calmement.
– Il est prêt à tout pour prendre ton territoire, méfie-toi, insiste-t-il.
Batista sort fumer une clope et il scrute les alentours. Je laisse Aldo
sans un mot de plus pour ne pas nous faire remarquer et rejoins mon
cousin. Je devrais peut-être repenser à l’idée de mon père et donner le
premier coup. Mais, je ne veux pas faire ce plaisir à Marco. Il pourrait se
poser en victime et dire à ceux qui bénéficient de ma protection que cette
guerre est de mon unique faute.
– Tony te cherche partout depuis que Paulina est de retour,
m’informe mon cousin.
Pas étonnant. Comme il gère ma sécurité, je l’ai prévenu de mon
aparté avec la demoiselle et comme je ne reviens pas, il s’inquiète.
– Je veux qu’on se voit lundi matin dans mon bureau avec Tony et
Giacomo.
– Y’a un souci ? S’enquiert-il, immédiatement.
– Je ne sais pas encore, lui confié-je.
De retour dans la salle de réception, je repère Tony, déjà installé à
notre table avec sa femme et Giacomo. Aurélia et Angela arrivent et ma
sœur fait les présentations. Je les rejoins rapidement avec un grand
sourire et me régale d’avance de la situation. Si Angela pensait pouvoir
m’ignorer, elle va vite comprendre qu’elle s’est lourdement trompée. Je
ne suis pas du genre transparent comme mec.
Je prends place à côté d’elle et son regard est étrangement doux.
Pour une fois, ses yeux ne m’envoient pas des éclairs. Elle boit une
grande gorgée de son cocktail et je me demande si elle n’en aurait déjà
pas un peu trop abusé.
– Alors Angela, dis-nous pourquoi avoir choisi de t’installer à
Centori ? La questionne Julia, la fiancée de Batista.
À cette table, nous nous connaissons tous. Nous avons, plus ou
moins, grandi ensemble, ou nous fréquentons depuis plusieurs années.
Nous sommes du même clan. Les femmes de Batista et Tony
s’apprécient et se côtoient quotidiennement. Il est donc normal
qu’Angela soit au cœur de la conversation. Personne ne la connaît. Elle
est comme notre nouvelle attraction à Centori. Tony doit être ravi que
Julia ait l’intention de lui poser quelques questions puisqu’il me gonfle
pour enquêter sur elle. Je m’y oppose pour l’instant, refusant qu’il perde
du temps sur une nana qui passe simplement son temps à faire des
gâteaux.
– Par hasard, je cherchais à lancer mon affaire et je suis tombée sur
l’annonce que Rosa avait fait paraître. Elle bradait son salon de thé, ce
qui était une aubaine pour moi qui n’avait pas un gros budget, explique
Angela en toute simplicité.
Elle me jette une œillade en terminant sa phrase. Elle est mignonne,
elle pense pouvoir m’attendrir sur ses problèmes d’argent. Désolé chérie,
c’est très mal me connaître. La maison ne fait pas crédit.
– Et d’où viens-tu ? Continue-t-elle, toujours aussi curieuse.
Julia est connue pour son côté commère. Elle n’est pas amie avec
Aurélia pour rien. C’est ma sœur qui lui a présenté Batista, d’ailleurs. Je
ne comprends toujours pas comment un homme comme mon cousin, si
discret et secret sur nos affaires, puisse être avec une femme si
exubérante. Tony écoute attentivement les réponses d’Angela et me
demandera l’autorisation de vérifier l’exactitude de ses propos dès
demain.
– Je viens de Rastori, précise-t-elle avec un timbre un peu amer.
Cette ville me fait tout de suite repenser à ces flics qui veulent me
faire tomber. Ils se sont faits discrets, depuis qu’ils ont retrouvé leur
collègue raide mort, mais je sais que ça ne va pas durer. Nous avons
dégoté quelques informations de ce côté-là. Un nouveau chef de la police
anti-mafia a été nommé dernièrement, Lorenzo Lucarelli. Un type réputé
pour aller au bout de ses affaires. A priori, il ne fait pas dans la dentelle et
n’hésiterait pas à contourner quelques lois, si cela lui permettait d’aboutir
à l’arrestation qu’il espère. Lucarelli a déjà quelques distinctions à son
actif pour avoir fait tomber quelques gros bonnets de la finance. Ses
résultats lui ont permis d’intégrer l’élite du groupe qui lutte contre la
mafia. Il aurait mieux fait de partir sur une suite de réussites parce que
ses victoires vont s’arrêter ici.
– On dit que c’est une ville un peu dangereuse, non ? Lui demande
Julia.
Angela sourit bizarrement à la question et je suis sûr maintenant
qu’elle a ingurgité trop d’alcool. Elle ne sait définitivement pas où sont les
limites à ne pas dépasser, peu importe le domaine.
– J’ai rencontré plus de problèmes, à Centori, en un mois, que toutes
mes années passées à Rastori. Alors excuse-moi, mais je m’y sentais
beaucoup plus en sécurité, lâche-t-elle, sèchement, en prenant une
nouvelle gorgée de son cocktail.
– Parce qu’il ne t’était encore jamais rien arrivé à toi, peut-être. Mais
une ville sans Chef où chacun peut faire sa Loi, ce n’est pas un endroit où
j’aimerais vivre, s’emporte Julia qui n’apprécie pas le ton employé par la
patronne de ma sœur.
J’avais oublié aussi que Julia avait un avis tranché sur tout et qu’elle
démarre au quart de tour.
– C’est un peu facile d’avoir ce genre de pensées, quand on bénéficie
de la protection dudit « Chef » ? lui rétorque du tac au tac Angela en
colère. Mais as-tu déjà pensé à ceux qui subissent sa Loi ?
Je ne réponds plus de rien. Angela ne connaît rien de l’Histoire de
Centori et de la venue de mon père. Elle ne soupçonne pas le passé
sordide de cette ville et les épreuves qu’a pu traverser la femme de
Batista.
– J’ai subi les Lois de ceux qui étaient là avant que Falco Alario ne
mette de l’ordre à Centori. Et je bénis tous les jours le Seigneur d’avoir
fait venir cet homme dans notre ville. Donc pour répondre à ta question :
oui, je pense à ceux qui subissent la Loi des Alario ici, et laisse-moi te
dire que tu n’es pas à plaindre, en rapport à ce que d’autres ont eu à
endurer, fulmine Julia en se retenant de lui hurler dessus.
Batista pose sa main sur celle de sa fiancée pour l’apaiser. Autour de
la table, nous n’ignorons pas grand-chose du passé de Julia, et savons en
partie par quoi elle est passée. Angela doit apprendre à fermer sa grande
gueule, et vite.
– Je suis désolée si je t’ai blessé Julia, ce n’était pas mon intention,
se radoucit Miss Cupcake, en remarquant avoir touché un point sensible
chez son interlocutrice.
– Ce n’est rien, lui accorde Batista pour mettre fin au malaise.
Heureusement pour nous, le témoin du marié choisit ce moment pour
nous faire un petit discours. Timing parfait. Angela est contrainte de se
tourner vers moi pour mieux l’apercevoir de sa place.
– On peut dire que tu as le chic pour te faire des amies, lui chuchoté-
je, pour qu’elle soit la seule à l’entendre.
– Épargne moi tes sarcasmes, tu veux, glousse-t-elle en me donnant
un coup de coude.
Elle fait mine d’écouter attentivement le témoin nous gonfler avec ses
anecdotes à la con. Y’a personne qui veut sortir son flingue et le buter
qu’on puisse manger ? Le parfum d’Angela s’immisce dans mon espace
intime, attirant mon attention. J’en profite pour observer les traits de son
visage s’adoucir lorsqu’elle sourit aux propos du guignol qui a le micro en
main. Ses lèvres ont une jolie teinte rose clair. Elles paraissent bien
innocentes pour une nana qui la ramène autant. Mon regard s’attarde une
nouvelle fois sur les apparitions de sa peau claire que laisse entrevoir sa
robe. Je passerais bien le bout de mes doigts sur le bas de son dos pour
toucher la volupté de son épiderme.
– Tu veux bien arrêter de me fixer comme ça, me surprend-elle, du
coin de l’œil.
– Tu m’as dit qu’on devait faire comme si on ne se connaissait pas,
lui rappelé-je en imaginant déjà la proposition que je vais lui faire.
– Hum hum, bredouille-t-elle, toujours en gardant son attention sur le
témoin.
Cette fille est née pour tester mon ego, ce n’est pas possible
autrement.
– Eh bien, si je ne te connaissais pas ce soir, je ne pourrais pas
t’ignorer, la courtisé-je en toute sincérité.
Ma réplique a le mérite d’attirer enfin son regard vers moi. Ses yeux
fixent les miens pour sonder mes intentions. Pour être totalement
honnête, dès que j’ai vu Angela la première fois à la pâtisserie, je l’ai
trouvé jolie. Puis, est venue la soirée au Cabaret, et là, elle était carrément
canon. Alors, en venant à ce mariage, et sans nos antécédents, mon
choix sur qui ramener dans ma chambre d’hôtel ce soir, ce serait, elle,
sans hésiter.
16

Angela Alessi

Adriano m’a déjà prise au dépourvu par le passé, mais je dois dire que
là, il se surpasse. Je répète sa dernière phrase en me demandant si elle
peut être à double sens, ou si elle recèle un piège. Ai-je mal compris ses
propos ? Il est plutôt agréable depuis le début de la journée, même si cet
adjectif est à prendre à demi-mesure avec lui.
– Qu’est-ce que tu insinues par-là ?
Je ne peux m’empêcher de lui demander pour dissiper tout
malentendu.
Je vérifie que personne ne prête attention à nous. Je ne voudrais pas
que l’on surprenne notre discussion qui prend un tournant inattendu. Il
m’offre un sourire carnassier typique de l’homme sûr de lui. Je m’en veux
déjà de lui avoir prêté oreille.
– Je ne suis pas du genre à insinuer Angela, m’affirme-t-il. Tu es une
belle femme et ça ne me dérange aucunement de te le dire.
Je ne veux pas que son compliment m’atteigne et qu’il pense avoir,
ne serait-ce, qu’une ouverture avec moi. Je prie tous les cieux pour ne
pas rougir, même si je sais que c’est peine perdue. Le témoin vient de
finir son éloge et je n’en ai pas entendu la fin. Tout le monde l’applaudit et
la mariée est bien entendu en pleurs. Tandis que nous reprenons place
convenablement à table, mon éducation de bonne-famille me pousse à
lui répondre.
– Merci, lui souris-je timidement.
Il ne me répond pas et entame un aparté avec son homme de main.
Je ne parviens pas à déterminer, si je suis déçue ou soulagée, qu’il passe
à autre chose, si vite. Ce type souffle le froid et le chaud, c’est à perdre la
tête. Le serveur remplit nos verres avec du vin blanc français et je
m’empresse d’y tremper mes lèvres devenues sèches. Je suis déjà un
peu éméchée, mais il me faut un minimum d’alcool, pour rester au beau
milieu de tous ces mafieux.
Une horde de serveurs déboule à notre table pour nous servir
instantanément. C’est de la grande classe, ce mariage. Ma curiosité
professionnelle a hâte d’arriver au dessert pour découvrir les délices
sucrés.
Le premier plat est une très belle assiette d’antipasti. Mes yeux se
régalent déjà en voyant les tomates et la mozzarella misent à l’honneur.
La faim se fait aussitôt ressentir et vu tout l’alcool que j’ai déjà ingurgité,
je ferais bien de me dépêcher d’avaler quelque chose, afin de ne pas finir
sous la table.
La discussion est animée principalement par Julia, alias la vipère, qui
ne m’adresse plus la parole depuis notre petite altercation de toute à
l’heure. Et je ne m’en plains pas. Je ne sais pas ce qu’elle a vécu pour
vénérer le père Alario et je ne veux pas le savoir. Elle est le genre de
femme à penser tout savoir, et tout connaître, sous prétexte d’avoir vécu
des choses douloureuses dans sa vie, et s’imagine, de ce fait, pouvoir
vous juger. Ne voulant pas me faire un ennemi supplémentaire à cette
maudite table, j’ai pris sur moi et j’ai laissé couler. Pourtant, j’avais une
furieuse envie lui fermer son clapet à celle-là. Aurélia m’a remerciée en
silence, d’un signe de tête, de ne pas en avoir rajouté une couche.
Perdue dans mes pensées, je ne saisis pas exactement de quoi ils
parlent, mais il est question d’aides financières pour des familles du
quartier. Chacun donne son avis à tour de rôle et je suis sauvée par la
réapparition des serveurs qui viennent débarrasser nos entrées. Il ne
manquerait plus qu’ils me demandent mon opinion sur leurs opérations,
tiens.
Le volume sonore de la musique augmente dans la salle et j’aperçois
les mariés se rendre au milieu de la piste. Ils ouvrent déjà le bal, ils ne
perdent pas de temps. Les premières notes d’Ed Sheeran résonnent et je
ne peux que féliciter le choix de Thinking out loud. Une si belle
déclaration d’amour à vie, pour le meilleur et pour le pire. Je les observe
et d’aussi loin que je suis, je remarque cette étincelle dans leurs yeux qui
illumine la salle. On ressent leur amour par les sourires et la complicité
silencieuse qu’ils échangent par de simples regards. La manière tendre
qu’a le marié de lui caresser le dos. Le front de son épouse collé à son
épaule, il lui susurre des petits mots qui lui donnent le sourire. Ils sont
touchants et m’attendrissent sincèrement.
Je suis jalouse de leur bonheur et les envie de s’être trouvés. Mes
quelques relations passées n’avaient rien à voir avec de l’amour. Au
mieux, un brin d’affection. J’espère qu’ils mesurent la chance qu’ils ont
d’être ensemble. Mes yeux menacent de ruiner mon maquillage face à ce
bonheur qui m’explose à la figure. Retenir mes larmes me demande une
grande concentration et trouble ma vue.
Quand ma vision s’éclaircit à nouveau, j’ai peur d’être prise
d’hallucinations sous l’effet de mes trop nombreux cocktails. Adriano est
debout et attend avec sa main tendue dans ma direction. Les couples ont
déjà déserté les tables pour rejoindre les mariés sur la piste de danse.
Je me lève et accepte sans me poser plus de questions. Je ne lui
ferai pas l’affront de lui refuser une danse. Et pour être complètement
honnête, je ne me force pas tellement. Aujourd’hui, il est loin de l’homme
qui m’a fichu une trouille bleue dans son bureau. J’ai conscience que le
fait d’être dans une grande fête de famille joue en sa faveur. Il n’a pas à
se montrer méchant ici et ça a tendance à attendrir son portrait. Après
tout, c’est moi qui lui ai proposé de faire comme si nous étions des
inconnus. Donc, dans notre réalité parallèle, je ne sais pas qu’il est
méchant. Je ne vois qu’un homme, très charmant au demeurant,
m’invitant à danser.
Je le suis à travers le dédale des tables pour rejoindre les autres
couples. Mon regard braqué sur nos deux paumes jointes et la sensation
d’une agréable chaleur qui se diffuse dans mon bras. Je ne peux
empêcher mon esprit d’imaginer ce que cette main puissante est capable
de faire. Pourtant, sa poigne est étrangement douce à cet instant, pour
un homme capable du pire.
Il est face à moi et attend que je fasse le premier pas pour me
rapprocher de lui. Je scrute ses épaules et y pose timidement mes
phalanges en gardant une certaine distance, entre lui et moi. Mon instinct
de protection prend le dessus. Ma poitrine qui monte et descend
ostensiblement trahit mon angoisse. Adriano me touche enfin en posant
ses mains sur ma taille. Mes paupières se ferment toutes seules et mon
esprit fouille dans ma mémoire pour se rappeler la dernière fois qu’un
homme m’a prise dans ses bras.
Les dernières notes résonnent et la chanson prend fin. Mon
sentiment de déception prouve mon envie d’avoir voulu être contre de lui.
Le destin nous coupe dans notre élan de corps à corps. Mais, c’est sans
compter sur mon cavalier sombre qui ne se laisse pas dicter son
comportement par une simple bande-son. Il accentue son étreinte en
passant sa main dans le bas de mon dos. Mes pieds s’avancent vers lui
et instinctivement mes bras remontent dans sa nuque. Mon visage est si
près du sien que je sens son souffle chaud caresser ma nuque. Mon nez
est niché dans son cou et je me perds dans les effluves de son parfum
enivrant.
Le piano dans les enceintes nous joue la douce mélodie de « Million
eyes » et les premiers mots douloureux retentissent de la voix de ce
jeune chanteur torturé. Adriano me fait tourner sensuellement au rythme
de la musique et je suis son mouvement. Je voudrais que le temps
s’arrête et graver cet instant à jamais dans ma mémoire. Nous sommes
juste un homme et une femme qui dansons ensemble. Peu importe nos
différends, et ce qui nous oppose, nous nous créons une parenthèse. Je
savoure ce moment parce que je me sens bien là, tout contre son corps.
Sans y avoir été forcée. Adriano pourrait être cet homme capable de me
protéger de mon père. Celui qui ne se laisserait pas impressionner par
son statut. Bien au contraire, Adriano prendrait du plaisir à l’anéantir, j’en
suis certaine.
Malheureusement pour moi, il est la cause de mes soucis et non pas
la solution.
Il profite des découpes de ma robe pour effleurer ma peau. L’effet de
ses petits cercles sur ma taille dénudée et dans le bas de mon dos ne se
fait pas attendre. Ma tête, perdue dans un fantasme où les mains
d’Adriano seraient ailleurs sur mon corps, se pose sur son épaule et ses
lèvres chatouillent mon front. Cette bouche, qui m’a fait tant de mal avec
ses paroles, se fait si tendre qu’on pourrait croire qu’elle cherche à se
faire pardonner. Je ne veux pas que la chanson finisse et que la raison
reprenne ses droits. J’oublie qui il est, et qui je suis, pour me laisser aller
à cet instant. Mes doigts viennent caresser ses cheveux dans le bas de
sa nuque. Mon nez se promène timidement sur son cou. Je lui ai dit de
faire comme si nous ne nous connaissions pas. Et c’est ce qu’il fait
depuis que nous sommes à table. Suis-je capable de jouer à ce jeu que
j’ai instauré sans me douter de la tournure que cela prendrait ?
J’écoute son cœur cogner près de mon oreille et je ressens ses
battements à travers le mien. Est-il lui aussi troublé par notre proximité ?
Ressent-il cette sensation étrange qu’un courant circule entre nous ?
Loïc Nottet cesse de nous transporter et le charme est aussitôt
rompu. Je prends conscience que son corps est collé tout contre le mien
et un vide s’empare de moi dès que je m’éloigne de lui. Bouleversée par
mes émotions, je m’empresse de rejoindre la sortie de la salle pour
reprendre mes esprits. Je ne peux pas retourner à notre table dans cet
état et faire comme si tout allait bien. Je devrais le haïr par rapport à
notre situation et avoir peur de lui. Mais au lieu de ça, je me laisse cajoler
dans ses bras le temps d’une danse et l’encourage, même.
Je me retrouve dehors et arpente le parking. Mentalement, je me fous
des claques pour me ressaisir. J’aperçois Giacomo rejoindre Aldo. Leur
entrevue est brève, à peine quelques mots échangés et le cousin
d’Aurélia retourne dans la salle de réception alors que le motard
rebrousse chemin discrètement.
Je repense à cette soirée au bar du Casino et je me demande si
Adriano a tenu parole. Est-il un homme de confiance si l’on fait partie de
son clan ? Durant quelques minutes, en étant dans ses bras, je me suis
sentie en sécurité. Il était mon armure humaine dans laquelle je pouvais
me blottir pour me sentir protégée. Il aurait les épaules pour être ce
rempart derrière lequel j’aimerais pouvoir me mettre à l’abri. Je vois bien
que les gens le craignent et qu’il est respecté. Mais c’est là que réside le
cœur du problème. Il est dans les extrêmes. Trop violent. Trop Sombre.
C’est un mafieux sans scrupules qui ne craint pas d’avoir du sang sur les
mains. Je suis tout son contraire.
Me voilà à méditer sur nos différences, comme si quelque chose était
possible entre nous. Je délire complètement et il va falloir que je
ralentisse sérieusement ma consommation de cocktails alcoolisés. Je
dois garder à l’esprit qu’il est mon ennemi.
– Te voilà ! Je te cherche partout depuis tout à l’heure, m’interpelle
Aurélia, essoufflée.
Elle me rejoint et s’installe à côté de moi sur le petit muret sur lequel
je suis assise.
– Qu’est-ce qu’il se passe Angela ? Tu peux me parler tu sais, me
confie-t-elle en posant sa main sur une des miennes.
Je lui souris pour la rassurer. Je n’ai pas l’habitude que l’on s’inquiète
pour moi et encore moins que l’on me réconforte. Et puis, pour une fois,
son frère ne m’a rien fait de mal. C’est même tout le contraire, et
finalement, c’est aussi un problème. C’est une histoire à perdre la tête.
– J’avais juste besoin de prendre un peu l’air, expliqué-je pour éluder
mes véritables préoccupations.
– Je vois bien qu’il y a un problème avec Adriano, me sermonne-t-elle
en plissant les yeux.
– Laisse tomber, ce n’est rien, minimisé-je, d’un geste de la main.
– Je sais que je ne suis pas impartiale dans cette histoire, mais ne
t’arrête pas à l’image qu’il renvoie, me somme-t-elle. Ce que j’essaie de te
dire c’est que, oui mon frère est le chef d’un gang qui trempe dans un tas
de malversations, mais il n’est pas que ça.
– Et il est quoi d’autre qui rachèterait toutes ses mauvaises actions ?
Ironisé-je en haussant un sourcil, curieuse.
– Ça, c’est à toi de le découvrir, se moque-t-elle en me tapant sur la
cuisse. Allez, viens, on y retourne.
Je la suis docilement, retrouve ma place, mais mon voisin si
déstabilisant est absent. Je me demande si l’autre facette d’Adriano,
dont m’a parlé Aurélia, aurait un rapport avec les propos qu’a tenus Julia
toute à l’heure. Elle insinuait que l’arrivée de la famille Alario avait été
bénéfique à Centori. Il faudra que je tire les vers du nez à Aurélia pour
qu’elle accepte de m’en parler. Elle n’aime pas que je lui pose trop de
questions sur sa famille. Pas par honte, elle brandit son nom de famille
comme un blason, fière et la tête haute. C’est juste qu’elle ne se mêle pas
des affaires du clan.
Les serveurs apparaissent à nouveau autour de nous et se
synchronisent pour nous servir nos assiettes en même temps. Quand ils
soulèvent les cloches, je hume cette délicieuse odeur et je sais que je
vais me régaler les papilles avec ces tagliatelles à la truffe. Nous
dégustons nos plats sans qu’Adriano ne nous honore de sa présence. La
conversation est légère, mais je n’y participe pas, car mes voisins se
remémorent de vieux souvenirs de leur enfance. Je me concentre sur le
goût divin de mon dîner pour ne pas sombrer dans les miens, biens
moins joyeux.
Nos assiettes repartent en cuisine et celle d’Adriano sera
probablement jetée à la poubelle. J’ai horreur du gaspillage de nourriture,
mais pour le coup c’est le moindre de mes soucis. Je suis partagée, entre
l’envie qu’il revienne à sa place, et l’apaisement de ne pas avoir à être à
ses côtés, dans l’immédiat.
Le DJ joue avec ses platines et démarre une ambiance un peu plus
festive. Les derniers hits du moment s’enchaînent et les invités se
pressent sur la piste pour se déhancher.
– Allez les mamies, on va faire chauffer la piste ! crie Aurélia à mon
attention et celle de Julia.
De bon gré, nous nous frayons un chemin à travers la foule compacte
et commençons à remuer nos corps au rythme du tempo de Kungs « I
Feel So Bad ». Le titre résume bien mon état, et quoi de mieux que bouger
son corps, pour évacuer toute cette tension ?
Aurélia et moi dansons l’une en face de l’autre et essayons d’adopter
une chorégraphie à peu près élaborée. Nous rions sincèrement devant
nos pas incertains, mais continuons en enchaînant nos déhanchements.
Les chansons se succèdent et ma carcasse a du mal à suivre le rythme
endiablé de mon amie. Rien n’arrête la jeune femme, une fois qu’elle est
sur la piste.
– Je vais boire un coup et je reviens, lui hurlé-je dans l’oreille.
Elle lève son pouce pour me faire comprendre qu’elle a compris. Je
file au bar et je craque pour une vodka Red Bull. Après tout, je suis venue
à pied, je peux me le permettre. Mon verre en main et un peu collante de
transpiration, je me dirige à nouveau dehors. Il fait frais maintenant que
la nuit est pratiquement tombée, mais j’apprécie le changement de
température.
Une main agrippe violemment mon bras par-derrière et me retourne
contre mon agresseur. Un cri s’échappe de ma bouche, mais s’arrête dès
que je constate qu’il s’agit d’Adriano.
– Tu es complètement malade, ma parole ! Le réprimandé-je en le
frappant avec mon poing sur le torse.
– On ne t’a jamais dit que c’était dangereux pour une femme de se
balader seule, la nuit ? Se contente-t-il comme réponse.
Il tient toujours mon bras, mais son pouce tourne autour de l’endroit
où il m’a fermement agrippé l’instant d’avant. Je le retire brusquement
parce que son geste me trouble.
– Je n’avais aucune raison d’avoir peur de sortir avant de te
rencontrer, lui asséné-je, prête à en découdre avec lui.
– Nous y revoilà, ça t’arrange bien en réalité de me voir comme le
méchant de l’histoire, me fustige-t-il.
Mais qu’est-ce qu’il me chante ? Lui aussi a abusé du vin ?
– Une chose est sûre, tu n’es pas le gentil, exulté-je en mettant
quelques pas de distance entre nous.
– Ça ne sert à rien tout ça, argumente-t-il, blasé, tu ne vois que ce que
tu as envie de regarder.
– Alors dis-moi qui tu es, m’emporté-je, face à cette discussion à
mots voilés.
– Tu n’es pas prête à voir au-delà des apparences, formule-t-il,
comme si j’étais aveugle.
– Et comment peux-tu savoir ça ? Tu ne me connais pas.
– Laisse tomber, je te dis, conclut-il dans une grimace.
J’hallucine, il me rabroue comme une moins que rien et commence à
retourner vers le lieu de réception. S’il croit qu’il peut s’en sortir comme
ça, alors effectivement, il me connaît très mal.
– En réalité, l’interpellé-je, c’est à toi que servent les apparences.
Il a les mains dans les poches et me regarde avec les yeux plissés
pour tenter de comprendre le sens de mes paroles.
– Je crois que ça t’arrange que l’on pense que tu n’es qu’un gros dur
sans cœur prêt à se salir les mains. Tu caches tes faiblesses derrière ce
masque malfaisant, lui confié-je d’une voix que je tente convaincante.
Il rit face à ma description et se rapproche de moi à nouveau, bien
trop près pour mon petit cœur.
– Et quels avantages je tire de ces suppositions ? Me questionne-t-il
pour me faire aller au bout de ma pensée.
– La crainte, et donc l’obéissance et le respect, lui énoncé-je, droit
dans les yeux.
– Et si j’avais besoin d’autre chose ? Confesse-t-il, en prenant ma
tresse dans sa main et en posant ses yeux sur mes lèvres.
Je redoute ma prochaine question, mais ma curiosité parle pour moi.
– Qu’est-ce que tu voudrais de plus ?
17

Adriano Alario

On peut toujours compter sur Angela pour poser les bonnes


questions. Ou celles qui fâchent, tout dépend de quel point de vue on se
place. Alors qu’elle attend que je médite ma réponse, je laisse mon
instinct prendre le dessus. Je la désire et je commence à avoir du mal à
lutter contre mon attirance pour la jolie blonde. Je la fais reculer jusqu’à
ce que son dos heurte la portière d’une voiture. Elle est coincée entre une
berline et mon corps, que je m’applique à bien coller contre le sien.
Qu’est-ce que je veux de plus ?
Je suis le chef d’un gang important qui sévit dans la plus grande ville
du nord de l’Italie. Mon père me transmet son flambeau avec fierté.
J’inspire la crainte, mais aussi le respect. Mes hommes m’obéissent au
doigt et à l’œil. Mes parents m’ont toujours soutenu et ma sœur ne me
juge pas. Pourtant, je ne pourrais pas dire que je suis heureux. Il me
manque bien quelque chose. Je sais de quoi il s’agit, mais plutôt crever
que de le lui révéler. Et puis, je lui dirais quoi ?
Ça fait deux semaines que tu hantes mes soirées, tel un fantôme ultra
sexy, lorsque je me retrouve seul. Que je te revois dans ta petite robe noire
à froufrous en train de chanter sur scène au Cabaret et j’en attraperais
presque la gaule. Que si j’avais su que tu m’attirerais autant, je n’aurais
sûrement pas agi de la même manière, ce soir-là. Qu’en te ramenant chez
toi après le casino, je t’ai couru après en sortant de la voiture pour
t’embrasser, mais ton regard assassin m’en a empêché. Alors je t’ai sorti la
première saloperie qui me venait à l’esprit.
Il est hors de question que je me dévoile ainsi. On dirait une
déclaration à l’eau rose, et moi je ne donne que dans les déclarations de
guerre. Donc je vais lui faire la version courte.
– Que tu finisses la soirée avec moi, lui dévoilé-je en posant une main
sur sa taille dénudée pour sentir encore le grain de sa peau.
Je profite de sa stupéfaction pour venir titiller, de mon nez, le côté de
son cou entièrement dégagé par sa coiffure. Elle incline sa tête pour
m’offrir un meilleur accès. Je m’immisce dans cette cachette intime et
mes lèvres se ravissent pour la première fois du goût délicat de son
épiderme. Sa peau trahit son trouble par une légère chair de poule. Ses
mains se posent à plat sur mon torse, mais ne me repoussent pas. Pas
un son ne sort de sa bouche, mais je sens son palpitant accélérer la
cadence. Je m’enivre de son odeur aux touches sucrées que j’avais déjà
pu apprécier, mais de loin. Je ne résiste pas à aspirer le petit bout de
peau juste sous sa carotide. Sa veine palpite à une vitesse au-delà de la
moyenne et je m’enorgueillis de lui faire cet effet.
– Je ne peux pas, souffle-t-elle, de manière à peine audible.
Putain, faut toujours qu’elle me contrarie. Elle ne peut pas s’en
empêcher. Elle en a envie autant que moi, alors pourquoi ne se laisse-t-
elle pas porter ? Je ne m’arrête pas pour autant, car elle ne me repousse
pas.
– Pourquoi faut-il toujours que tu résistes ? Souris-je en embrassant
le lobe de son oreille.
– Tu m’as agressée, rackettée, app…
Je pose un doigt sur sa bouche pour la faire taire, même si je
préférerais l’embrasser, pour arriver à mes fins. J’arrime mon regard au
sien et approche mon visage si près que nos lèvres ne sont plus
séparées que par mon doigt.
– On ne se connaît pas, tu te souviens ? Lui rappelé-je son deal.
– Cesse de dire n’importe quoi, Tente-t-elle de s’exprimer en ayant du
mal à bouger ses lèvres à cause de mon index.
Elle commence à être contrariée par mon comportement. Je veux la
faire changer d’avis et qu’elle accepte de me suivre.
– C’est toi qui l’as décidé, alors assume. Sois honnête ; si tu ne me
connaissais pas, accepterais-tu de passer la nuit avec moi ?
Je libère sa bouche et je me retiens de fondre dessus pour enfin
échanger un baiser avec elle. J’en meurs d’envie depuis que nous avons
dansé ensemble tout à l’heure, mais elle m’a semé dès la fin de la
chanson. En la cherchant, je suis tombé sur Paulina qui m’a coincé pour
savoir où elle devait me rejoindre, quand le mariage serait fini. J’ai eu un
mal de chien à me sortir de ses griffes acérées. J’ai préféré rester un peu
dehors pour temporiser mes idées à propos d’Angela. La prochaine
échéance approche et je dois prendre une décision la concernant. Je suis
conscient qu’il va m’être difficile d’être intraitable avec elle. D’une part, à
cause de ma sœur. Je ne souhaite pas lui causer de la peine et m’en
prendre à son amie lui en procurerait à coups sûrs. D’autre part, mon
attirance pour elle est un point faible. Mais elle ne peut pas bénéficier
d’un quelconque passe-droit. Pas deux fois de suite. Alors que j’étais en
train de réfléchir à une solution pour les deux parties, je l’ai aperçue le
regard au loin dans le vague. J’ai pensé qu’il était temps qu’elle fasse un
choix : assumer son attirance pour moi malgré nos différends ou tout
nier en bloc. J’espère qu’elle penchera pour la première option afin que je
puisse assouvir certains de mes fantasmes la concernant.
Elle pose son front contre mon épaule pour fuir mon regard. Ses
mains sont toujours posées sur mon torse et je me délecte de son
toucher. Ma bouche se colle à son oreille pour lui reposer la question.
– Je ne vais pas te supplier Angela. – Je soulève son menton pour
qu’elle m’affronte. – Je te le demande une dernière fois : accepte de
passer la nuit avec moi, s’il te plaît.
Voilà, je ne peux pas faire mieux. Elle a droit à toute la panoplie
complète d’Adriano le gentil. Elle n’obtiendra rien de plus.
– J’aimerais pouvoir te dire oui, Adriano, me confie-t-elle d’une voix
timide. J’en ai envie, mais je ne peux pas. Je sais que je vais le regretter
plus tard.
Son rejet m’atteint plus qu’il ne devrait. Je n’ai pas pour habitude que
l’on me dise non. Je réalise à quel point je la désire. Cette nana va me
causer des ennuis si je ne peux pas arriver à mes fins avec elle. Je lui
propose une pause dans la tourmente. J’agite un drapeau blanc devant
elle. Tout ce qu’elle trouve à faire en retour, c’est de m’envoyer balader.
La colère envahit mon esprit et il vaut mieux que je m’éloigne d’elle. Mes
bras délaissent son corps et je remets une distance entre nous. Ses
mains retombent devant elle alors qu’elle ne me quitte pas des yeux. Je
finis par la laisser seule contre cette voiture pour repartir en direction du
mariage de ma cousine, sans un mot de plus.
Le pire, c’est que même Paulina ne fera plus l’affaire pour ce soir. Elle
est excentrique et vulgaire, là où Angela est simple et ravissante. C’est
ma petite pâtissière que je veux et personne d’autre. Mais elle, elle veut
n’importe qui, sauf moi. Elle vient de flinguer ma nuit sans même le
savoir. Cette fête de famille va me sembler encore plus longue et la
soirée promet d’être une horreur avec elle à mes côtés à table. Je suis
dans une impasse la concernant et je crois que la seule solution va être
de la faire partir. À compter du moment où elle n’est pas, pour moi,
qu’une simple commerçante qui s’acquitte de son pizzo, elle ne peut pas
rester sur mon territoire.
– Tu étais passée où ? Me gronde Aurélia, et où est Angela ?
– T’es flic ? M’agacé-je, plus sèchement que je ne l’aurais voulu.
Voilà, Miss Cupcake m’a mis les nerfs à vif et je vais être à prendre
avec des pincettes, maintenant. Encore une fois, à cause d’elle.
– Très drôle ! Ironise ma sœur qui ne s’offusque pas de mon
changement d’humeur soudain.
– Je ne sais pas où est ta copine, sûrement aux toilettes vu tout ce
qu’elle a bu, critiqué-je la demoiselle absente.
Un bip sur son téléphone portable lui indique qu’elle a reçu un
message. Elle le consulte et me regarde sournoisement.
– Tu m’avais promis de te tenir à carreau, t’es chiant Adriano ! Me
réprimande-t-elle en croisant les bras.
– Et j’ai tenu parole, ne me fais pas chier Aurélia, pas maintenant,
m’emporté-je contre elle et son comportement de gamine qui m’exaspère
parfois.
Il ne vaut mieux pas qu’elle me cherche là tout de suite parce que je
suis passablement énervé. Ce n’est pas de sa faute, mais si elle reste
sous ma main, c’est elle qui va prendre la tempête qui sévit en mon for
intérieur.
– Alors, pourquoi Angela vient de me dire qu’elle ne se sentait pas
très bien et qu’elle rentrait chez elle ? Me questionne-t-elle, en me
montrant l’écran de son téléphone comme preuve ultime de ma
méchanceté.
– Sûrement parce que c’est la vérité, résumé-je, en haussant les
épaules.
Ma mère arrive au même moment, pour demander à ma sœur de
rester avec mon père, quelques instants à sa place. Aurélia oublie
aussitôt Angela pour le rejoindre. Me retrouvant face à moi-même, je
réfléchis sur le fait qu’Angela soit seule dans les rues de Centori, à pied,
pour rentrer chez elle. Ce n’est pas très loin. Un petit quart d’heure de
marche, tout au plus. Mais je me rappelle qu’Aldo m’a prévenu que le
gang des motards rode dans le coin. Je ne donne pas cher de sa jolie
peau blanche si elle croise leur route. Est-ce que je la rattrape pour
m’assurer qu’elle rentre sans encombre ? Ça montrerait que je m’inquiète
un peu trop pour elle. Et surtout, ça serait une première que je me soucie
autant d’une femme, autre que ma mère ou ma sœur. Je ne suis pas sûr
que ce soit judicieux, pourtant, je sais pertinemment que je vais le faire.
En pesant les pour et les contre, je trouve une excuse pour la rejoindre
sur le chemin.
Je me précipite à l’extérieur et galope pour la rattraper. Elle n’est pas
bien loin et nous rejouons presque la scène de tout à l’heure quand je lui
effleure le bras pour lui signifier ma présence.
– Arrête d’arriver par derrière comme ça, c’est flippant, m’engueule-t-
elle, effrayée.
– Et toi, arrête d’errer seule la nuit, lui balancé-je, avec un clin d’œil.
Tiens, tu as laissé ton sac à main à la table.
Elle se mord la lèvre inférieure et me sourit.
– Tu aurais pu m’envoyer un de tes sous-fifres pour me le rapporter,
me taquine-t-elle, à juste titre.
– Je te raccompagne jusque chez toi, les rues peuvent être
dangereuses par ici, rajouté-je pour me justifier.
Elle rigole, probablement encore sous l’influence de l’alcool, et
reprend son chemin. Nous marchons l’un à côté de l’autre sans échanger
un seul mot, seulement quelques regards. J’aperçois déjà la boutique au
bout de la rue. Je suis frustré par anticipation, car je sais qu’elle ne me
proposera pas de monter prendre un dernier verre. Devant sa porte, elle
fait tourner sa clé dans la serrure et se retourne vers moi,
– Merci, me sourit-elle en effleurant mes doigts avec les siens.
Elle hésite un instant, mais s’approche pour m’embrasser sur la joue.
Alors qu’elle recule son visage du mien, je pose la paume de ma main sur
sa nuque pour l’empêcher de s’éloigner. Je refuse de finir là-dessus. Je
n’ai pas cinq ans et nous ne sommes pas dans la cour de l’école
maternelle. Je ne suis pas le genre de mec à qui on fait un putain de
bisou, merde ! Et puis, elle me refuse la nuit alors j’ai bien droit à une
compensation. Je la retiens et pose enfin mes lèvres sur les siennes. Ma
langue vient chercher la sienne qui se fait timide. Elle agrippe le col de
ma veste avec ses petites mains et rapproche mon corps du sien. Je la
plaque contre sa porte d’entrée alors qu’elle incline la tête pour
approfondir notre baiser. Son soupir d’aise traverse mon corps comme
un courant électrique. Je ne veux pas mettre fin à cet échange, parce
qu’elle ne m’offrira rien de plus. C’est tout ce que j’obtiendrai d’elle, ce
soir. Alors, je fais durer cet instant afin de garder aussi longtemps que
possible son goût sur ma langue et dans ma bouche. Elle tremble entre
mes bras, traduisant encore sa peur envers moi. J’aimerais pouvoir la
rassurer et lui dire qu’elle ne craint rien, mais je ne suis pas un menteur. Il
est primordial que je trouve une solution pour régler la situation entre
mon attirance pour elle et le versement du pizzo.
18

Adriano Alario

Lundi matin. Mes hommes les plus proches sont dans mon bureau.
Je suis content que le week-end soit enfin terminé. Après qu’Angela ait
refermé sa porte, je suis retourné au mariage. J’ai profité de ma famille et
de mes proches. Mais le siège vide à côté du mien n’a cessé de me
rappeler la personne qui y était assise plus tôt.
– Je veux revoir tous les détails de la livraison de la cocaïne, les
informé-je, pour justifier leur présence.
– Nous serons livrés demain après-midi à quinze heures au Cabaret,
me renseigne immédiatement Giacomo. La cargaison sera dans le
camion du fournisseur de boissons. Dès qu’il arrive, le chauffeur sait qu’il
doit ouvrir les portes arrière et entrer à l’intérieur pour faire signer les
bons de livraison au barman. Durant ce laps de temps, deux de nos gars
s’occupent de décharger la drogue.
Mon cousin connaît la chanson, ce n’est pas le premier arrivage que
nous gérons, et certainement pas le dernier. Mais, comme je sais que les
motards n’attendent qu’une ouverture pour nous tomber dessus, je
préfère ne rien laisser au hasard. Quitte à me montrer trop prudent.
– Est-ce qu’on connaît le chauffeur ? Me renseigné-je.
– C’est tous les mois le même, m’assure-t-il.
– Si c’est un autre homme demain, tu dis au barman qui sera en place
de le descendre, ordonné-je, fermement.
– Qu’est-ce qu’il se passe Adriano ? S’étonne Batista. C’est quoi le
problème ?
– J’ai appris que Marco et son gang de motards se verraient bien à
Centori. Ils veulent profiter de la passation de pouvoir entre mon père et
moi pour s’imposer, expliqué-je à mes hommes.
– Tu es sûr de ton info ? Continue-t-il, sceptique que Marco ose
m’affronter.
– J’ai planqué la femme et le fils du motard qui a balancé ces
informations à Adriano, précise Tony pour confirmer. Je pense qu’on
peut le prendre au sérieux.
– Tu penses qu’ils veulent s’emparer de la came pour nous mettre à
mal ? déduit Batista.
– Ce serait assez logique. S’ils ont notre coke, ils détiennent une
grande partie du pouvoir. Pas de drogue, pas d’argent. Bref pas la peine
de vous faire un dessin des conséquences, si cela devait arriver,
m’impatienté-je que l’on parle de choses futiles.
Si j’étais à la place Marco, c’est ce que je ferais. Je volerais le bien
précieux de mon adversaire pour le dominer. Il est hors de question que
je le laisse me mettre à terre. En tout cas, pas sans en découdre avant.
– On devrait renforcer la sécurité autour et à l’intérieur du Cabaret,
conseille Tony.
Je hoche la tête en posant mes deux index sur ma bouche. Je dois
bien réfléchir à mon plan pour ne prendre aucun risque. Ou des risques
mesurés.
– Giacomo, le nommé-je pour accaparer son attention, tu vas doubler
toutes les équipes sur cette livraison.
– OK, mais il va falloir revoir les priorités alors, expose-t-il, sachant
que nous ne pourrons pas mettre des hommes partout.
– Exceptionnellement, demain, les récolteurs seront à nouveau en
duo. Ça libérera déjà pas mal d’hommes pour renforcer le cabaret,
décidé-je, après quelques secondes de réflexion.
Ils paraissent tous les trois d’accord avec cette directive. Ce n’est que
l’histoire d’une journée, ça devrait aller. Ils l’ont déjà fait par le passé,
donc rien qui ne sorte réellement de l’ordinaire.
– Adriano, je crois qu’il faudrait aussi revoir ta sécurité personnelle,
s’inquiète mon frère.
– Pas besoin. Nous restons au cabaret demain, également. En cas
d’attaque, je veux être sur place et leur mettre une raclée, moi-même. Je
ne compte pas me mettre l’abri, assuré-je.
– Il faudrait peut-être prévoir un ou deux gars supplémentaires, pour
rester avec le chauffeur, quand il reçoit la marchandise dans le camion
jusqu’au cabaret, estime Batista.
– Tu penses à une attaque en cours de route ? C’est risqué en plein
jour, estime Giacomo.
– Ouais, mais s’ils savent qu’on est prêts à les accueillir, ils
réfléchiront à un autre moyen de prendre la came, et l’attaque sur le trajet
reste la seule option, explique Tony qui partage l’avis de Batista.
Mes trois hommes me regardent et attendent que je tranche. Je ne
peux pas prendre le risque de me faire voler la drogue du gang. Je
perdrais la face. Mon père me destituerait probablement si cela arrivait.
Et je ne parle même pas de la honte que j’infligerais au blason Alario.
– Je veux qu’un de nos hommes monte dans le camion avec le
chauffeur et un autre à l’intérieur avec la cargaison. Et en plus, tu les fais
escorter en voiture par deux gars, indiqué-je pour prendre le plus de
précautions possible.
– On fait ce que tu veux Adriano, énonce d’une voix calme Giacomo,
mais je les sors d’où ces quatre hommes en plus ? Déjà d’ordinaire, on
est plus nombreux au cabaret les jours de livraison. Tu viens de me
demander de doubler l’effectif pour demain. Il faut choisir quels hommes,
je soustrais de leur mission habituelle.
Ça m’énerve de ne pas avoir une réponse immédiate à lui donner.
Plus jeune, quand j’écoutais mon père élaborer des plans contre ses
ennemis, j’avais l’impression qu’il savait toujours quoi faire, quand on
l’interrogeait. Aucune hésitation, il avait réponse à tout. J’espère réussir à
être à sa hauteur un jour. Même si je veux lui ressembler et atteindre son
niveau, j’aspire à faire mes propres choix. Je veux m’imposer
naturellement, comme un leader, par mes décisions et pas uniquement
par mon nom. Je ne peux pas lui demander conseil sur ce coup-là, car il
n’est pas d’accord avec ma manière de procéder. Il me répéterait, encore
une fois, de porter le premier coup et de ne pas les attendre.
De mon côté, je vois les choses différemment. Je les laisse venir à
moi pour les battre sur mon propre terrain. Prouver ainsi encore une fois
que les habitants de Centori ont raison de faire confiance aux Alario.
Montrer à nouveau aux commerçants, pourquoi ils nous paient tous les
mois une cotisation. Cela influencerait peut-être une certaine demoiselle
à moins rechigner sur son versement. Il est important aussi de démontrer
que moi, Adriano Alario, je défends mon territoire et ses habitants, d’un
gang comme celui des motards. Je veux gagner le respect des habitants
de Centori, pas uniquement parce que je suis le fils de Falco Alario, mais
parce qu’ils sauront que moi aussi je suis prêt à me battre pour eux et
pour les protéger.
– Aux heures de la livraison, mes parents seront à la maison. Le
système de sécurité en place là-bas est suffisant. Tu peux retirer les deux
hommes chargés de les surveiller pour qu’ils soient dans le camion,
tranché-je, avec un brin d’hésitation tout de même.
– Et pour l’escorte en voiture ? S’empresse-t-il de rajouter.
– Tu dis aux gars chargés de surveiller Aurélia de la déposer à la
pâtisserie et de filer suivre le camion. Dès que la cargaison est sur place,
ils retournent à la boutique pour reprendre leur poste. On sera
suffisamment nombreux ici pour prendre la suite.
– C’est noté. On se donne rendez-vous à quelle heure, demain ?
– Que tout le monde soit là pour quatorze heures pétantes, ordonné-
je pour conclure notre entrevue.
Batista et Giacomo ne traînent pas trop ayant chacun des choses à
régler. Puisque Tony assure ma sécurité, il prend place dans une chaise
en face de mon bureau. Je le sens préoccupé et je n’aime pas ça.
– C’est quoi ton problème, râlé-je, crache le morceau.
– Tu as raccompagné la pâtissière chez elle samedi sans me
prévenir, m’explique-t-il. S’il y a quelque chose entre vous, tu dois me le
dire pour que j’enquête sur elle.
– Tu te fous de moi ? Tu veux enquêter sur Angela ? Pour apprendre
quoi ? Combien de grammes de farine elle fout dans ses gâteaux ? Me
moqué-je de lui.
– Arrête, tu sais très bien que si tu la fréquentes, je dois vérifier ses
antécédents.
Je sais pertinemment tout ça, mais c’est d’un ridicule. Alors qu’une
guerre de gangs est sur le point d’éclater, il est hors de question qu’il
perde du temps à fouiner dans le passé d’une nana inoffensive.
– Je préfère que tu me trouves cet enfoiré de Chef de la police Anti-
mafia au lieu de vouloir te la couler douce sur un dossier tranquille, lui
balancé-je sur un ton léger, en buvant mon café.
– J’ai prévu de partir dans deux jours à Rastori. Je rassemble le
maximum d’informations sur lui et ensuite on pourra passer à l’action.
– Parfait, je veux me débarrasser de ce Lucarelli le plus vite possible.
Ce con fout une pression à mes gars en bas de l’échelle et ça
commence sérieusement à me faire chier. Il est plus que temps de le
mettre hors circuit.
– Et ensuite, j’enquête sur ta blondasse, parce que quelque chose
cloche avec cette nana, revient-il à la charge.
– Si ça peut te faire plaisir, plaisanté-je.
– Tu ne trouves pas ça étrange qu’elle n’ait même jamais appelé la
police ? Me questionne-t-il, suspicieux.
– Tu réfléchis trop Tony, lui rétorqué-je en le pensant parano.
Beaucoup d’Italiens n’ont pas confiance en eux, alors ça ne m’étonne pas
plus que ça, non.
– Comme tu le sens, mais à mon retour, elle passe dans mon viseur,
me prévient-il. Bon, je file pour finaliser mon départ. Appelle-moi, si tu
sors.
Seul à mon bureau, je me plonge dans les papiers que Batista m’a
ramenés. Les chiffres des récolteurs sont en légère augmentation. Mon
projet d’aider les familles du clan prend du retard, mais je ne l’oublie pas.
Dès que le problème Lucarelli sera réglé, je pourrai avancer. Ce projet me
tient particulièrement à cœur et il est inenvisageable que je recule.
– Coucou ! Chantonne Aurélia en entrant dans mon bureau, je t’ai
rapporté quelque chose.
Elle dépose la petite boîte de six macarons à la pistache sur mon
bureau. Elle a toujours une délicate attention pour moi quand elle rentre
du travail. C’est devenu un nouveau rituel entre nous.
– Ça a finalement des avantages que tu travailles, concédé-je en
mâchant mon pêché mignon.
– Parle pour toi. J’ai déjà pris deux kilos en un mois, se lamente
Aurélia pour la forme.
Nous rigolons en croquant chacun dans une des pâtisseries vertes.
Nous nous racontons notre journée chacun notre tour. Je constate
qu’Aurélia ne sait probablement pas que j’ai embrassé sa patronne. J’en
aurais entendu parler autrement.
– Bon, ce n’est pas que je ne t’aime pas, mais je dois aller réviser. J’ai
un exam’ demain, se plaint-elle en sortant aussi vite qu’elle est entrée.
J’aime tellement ma sœur que je suis déjà attristé à l’idée qu’elle
parte de la maison, une fois qu’elle aura réussi ses examens. Je vais me
sentir encore plus seul sans elle sous mon toit. Elle m’apporte tellement
de joie au quotidien que je flippe qu’elle s’en aille. Mais je sais qu’au lieu
de fulminer, je devrais profiter des instants comme de celui que nous
venons de partager. Je n’exprime pas mes sentiments avec des mots,
mais il faudra que je lui dise que je l’aime et que je suis fière d’elle avant
qu’elle ne quitte le nid. Pour ne rien regretter au cas où il m’arriverait
quelque chose.
19

Angela Alessi

Mardi matin. Je tourne l’écriteau collé sur la vitrine du salon de thé


pour faire savoir qu’il est ouvert.
Je viens de passer deux jours à ne rien faire. Enfin, à ne rien faire à
part revivre ces quelques minutes improbables en compagnie d’Adriano.
J’ai tout de suite regretté ma décision de ne lui faire qu’une simple bise
sur la joue. Je mourrais d’envie de l’embrasser, mon corps le réclamait
depuis qu’il m’avait piégée contre cette voiture. Mais ma conscience me
repassait par images les frasques passées d’Adriano et m’interdisait de
me laisser aller. J’étais perdue au milieu de ma conscience et de mon
désir. Alors, quand il a pris les choses en main, j’ai été soulagée. Ce
n’était pas moi. C’était lui. Mon cœur a pris le contrôle pour mettre tout le
monde d’accord et a répondu généreusement à ses lèvres. J’avoue avoir
savouré chaque seconde de cet échange exquis. Sa douceur m’a prise
par surprise. Je m’attendais à un baiser brut, animal, trahissant sa haine
et maudissant son attirance envers ma personne. Mais il n’en a rien été,
c’était intense et délicieux. Ma mémoire retient en otage toutes les
sensations partagées, pour m’en souvenir quand il deviendra, à nouveau,
« Adriano Chef de Gang ». La prochaine fois qu’il sera agressif envers
moi, j’implorerai cet instant de revenir dans mon esprit, afin de me donner
du courage pour l’affronter.
Il est temps que je me bouge parce que les gâteaux ne vont pas se
faire tout seuls. J’ai pas mal de boulot et j’ai hâte qu’Aurélia arrive pour
me soulager en s’occupant de la boutique. Elle ne m’en veut pas d’être
partie précipitamment du mariage. Uniquement, parce que je n’ai pas fui,
après toutes ses manigances pour me faire parler avec son frère. Cette
fille est culottée et j’adore ça. Je mets la touche finale à des verrines aux
trois chocolats lorsqu’elle arrive. Il est déjà quatorze heures et je n’ai pas
vu la matinée filer. Il faut dire que j’ai surtout une grande affluence
l’après-midi à partir de seize heures, d’où sa présence.
– Hello patronne ! Chantonne-t-elle en passant la porte. Je t’ai
rapporté un sandwich de la cafèt’ de la fac parce que je suis sûre que tu
n’as rien mangé.
– Merci beaucoup, me réjouis-je. Mon ventre commençait à se
plaindre.
– Je sais, j’ai l’habitude de l’entendre hurler depuis le laboratoire
jusqu’au salon de thé. J’ai du mal parfois à comprendre les clients, me
nargue cette insolente.
Je lui balance un torchon de vaisselle à la figure, pour la réprimander
de sa blague douteuse.
Elle me connaît tellement bien, en si peu temps. Je me lave les mains
et commence à me délecter de mon poulet crudités. Elle enfile l’uniforme
rose clair de serveuse américaine. Aujourd’hui, j’ai opté pour le rouge.
– Le site a de nouveaux modèles, si tu veux y jeter un œil quand tu
auras deux minutes, l’informé-je, car je sais qu’elle adore les porter.
– Tu me laisserais en emprunter un pour une soirée à la fac’ ? Me
supplie-t-elle en faisant une moue bizarre avec ses lèvres.
– Tu fais ce que tu veux, mais je ne suis au courant de rien, préféré-je
la prévenir, en levant les mains devant moi, je ne veux pas avoir ton frère
et son gang sur le dos, à cause de ça.
– Oui, ne t’inquiète pas, je me changerai, là-bas ! Me précise-t-elle,
fière de sa supercherie.
Nous vaquons chacune à nos occupations. J’aime pâtisser en
entendant Aurélia discuter et plaisanter avec les clients. Elle les conseille
dans leurs choix et connaît bien tous les ingrédients avec lesquels je
confectionne mes différentes douceurs. Elle s’est vraiment investie dans
son poste et j’ai beaucoup de chance de l’avoir.
Vers quinze heures, elle n’a personne en boutique et me rejoint pour
discuter.
– Alors qu’est-ce que tu as fait ce week-end ? Hasarde-t-elle, pour
papoter.
– Rien de spécial, je suis restée ici et toi ? Tenté-je de changer de
sujet, ne pouvant pas lui avouer que j’ai fantasmé sur son frère, et sa
bouche sur mon corps.
– Pareil, j’étais chez moi. Le mariage de ma cousine m’a crevée et
j’avais pas mal de révisions pour cette semaine, se plaint-elle.
Le carillon de la porte d’entrée se fait entendre alors Aurélia me quitte
pour rejoindre le salon de thé.
– Qu’est-ce que vous voulez ? L’entends-je rabrouer quelqu’un.
Je suis étonnée par le ton abrupt qu’elle adopte, elle, qui a toujours un
mot agréable pour tout le monde.
– Vous devez être Aurélia, suppose une voix, sournoisement.
Je m’essuie les mains sur mon tablier et rejoins le salon de thé,
n’aimant pas les bribes de la discussion que je discerne.
Trois hommes sont face à Aurélia et celui du milieu braque une arme
sur elle. Dès que j’arrive, celui de droite me met immédiatement en joue.
Je m’arrête et n’ose plus bouger. Trois hommes armés contre deux
femmes, malgré la stupéfaction et la peur qui m’ankylosent les membres,
je sais clairement que tout ça, va mal finir.
– Ce n’est rien Angela, ces mauviettes sont là pour moi, tente de me
rassurer mon amie.
Elle ne se laisse pas intimider et je reconnais bien là qu’elle est une
Alario. Hors de question pour elle de baisser la tête et de supplier,
comme je me retiens de le faire, pour nous épargner.
– Je ne ferais pas trop la maligne si j’étais toi, la menace l’homme qui
tient l’arme vers elle.
Je suis tétanisée. La vue de leurs flingues m’a paralysée. Il faut
désamorcer la situation, trouver une porte de sortie. Difficile de réfléchir
avec une arme braquée sur Aurélia, je ne trouve pas les mots qui
pourraient être susceptibles de calmer la tension qui règne dans ma
boutique.
– Vous êtes trois hommes et vous venez menacer deux femmes avec
des gros calibres, alors excusez-moi, si je ne vous trouve pas très
courageux, se moque ouvertement d’eux la digne sœur d’Adriano.
Elle ne se mêle peut-être pas des affaires du clan, mais elle sait
comment se comporter en tant que membre, quand cela s’avère
nécessaire. Elle est passé d’Aurélia l’étudiante insouciante, à une dure à
cuire, prête à se battre s’il le faut.
Je jette un coup d’œil à l’extérieur, mais je ne vois personne. La
voiture des gars chargés de surveiller Aurélia n’est jamais très loin de la
pâtisserie, pourtant. Elle s’amuse souvent à leur rapporter des biscuits
qu’elle a même confectionnés, sachant qu’ils sont invendables. Mais où
sont-ils passés ? C’est le moment d’intervenir.
– On s’en fout de ce que tu penses Alario, ça n’a plus d’importance, la
nargue-t-il d’un air tranquille, en rigolant avec ses acolytes.
Le choix des mots de ce dernier, ajouté au sourire machiavélique, qui
se dessine sur son visage, me fait froid dans le dos. Mes jambes
commencent à trembler et je sens que la situation peut déraper d’un
moment à un autre.
– Qu’est-ce que vous voulez ? Articulé-je finalement, espérant peut-
être pouvoir répondre à leur demande.
Leur attention se porte sur moi et je vois du coin de l’œil Aurélia en
profiter pour saisir son portable et appuyer sur les touches. Je dois faire
diversion pour qu’elle puisse appeler à l’aide. C’est notre seule chance.
Adriano ne laissera jamais rien arriver à sa sœur. Il faut juste que l’on
gagne assez de temps pour lui permettre d’arriver.
– Je ne sais pas ce que vous êtes venus chercher ici, mais je ne veux
pas d’histoire, expliqué-je en cherchant mes mots.
J’ai la gorge serrée et les larmes au bord des yeux tellement je crève
de trouille face aux canons de leurs flingues. Je dois trouver une idée
pour qu’ils continuent de s’intéresser à moi. Mais rien, c’est le néant. La
peur obstrue toute pensée constructive dans mon esprit.
– Nous sommes venus pour faire passer un message, tout
simplement, s’exprime l’homme de droite en s’avançant un peu plus vers
le comptoir.
– C’est à mon frère que vous voulez parler, alors adressez-vous à
moi, ordonne Aurélia.
J’espère qu’elle l’interpelle parce qu’elle a réussi à joindre quelqu’un
pour nous venir en aide. L’homme sourit face à son assurance et son
arrogance, mais il reporte à nouveau son attention sur moi.
– Vous direz à Adriano qu’il a une semaine pour se retirer de Centori.
Je ne lui donnerai pas d’autres avertissements, rajoute-t-il en me couvant
d’un regard à vous glacer le sang. J’ose espérer que ce délai lui sera
amplement suffisant.
Je ne suis pas sûre de bien saisir de quoi il s’agit. De quel
avertissement parle-t-il ? Peut-être qu’Adriano sera en mesure de
comprendre.
– Vous avez bien compris ? Crie-t-il, comme je ne réponds pas.
Je sursaute face à son accès de colère et quelques larmes
s’échappent du coin de mes yeux. Mes mains tremblent et j’ai du mal à
respirer tellement la situation m’oppresse.
– J’ai compris, oui, bégayé-je, la gorge serrée. Je lui dirai.
Et en une seconde, tout bascule. J’entends une détonation et je vois
Aurélia s’effondrer à côté de moi derrière le comptoir. Ses yeux et sa
bouche sont grands ouverts.
Tout se met à tourner autour de moi. Je m’agenouille à côté de mon
amie et prends sa tête dans mes mains. Je crie son prénom, je le hurle
encore et encore. Ma vue se brouille à cause des larmes qui se déversent
sur mon visage. Ce n’est pas possible. Je lui ordonne de me parler. Je la
supplie de se réveiller. Mais son regard paraît déjà lointain. Le sang
commence à se déverser par terre et sur mes jambes. La douloureuse
vérité s’étale sur le sol de ma boutique.
20

Angela Alessi

Je ne veux pas y croire.


Je ne peux pas y croire
Ce n’est pas possible.
Non… non… non
Pas Aurélia
Je refuse de perdre encore une fois quelqu’un que j’aime.
Je ne peux pas m’en remettre deux fois.

Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé depuis qu’a retenti le
son du pistolet. Je suis assise à terre et je berce Aurélia. Je regarde droit
devant moi. Je ne veux pas me rappeler d’elle ainsi. Je ne veux pas que
ses yeux vitreux viennent hanter mes nuits. Je refuse de garder cette
image de son corps ensanglanté comme dernier souvenir. Je me
remémore les bons moments que nous avons passés ensemble. Je
laisse mon esprit s’envoler loin de l’instant présent. Comme je le faisais
quand mon père me battait. Je la revois la première fois qu’elle est venue
ici pour postuler avec son grand sourire. Je sens encore l’odeur de ses
premiers macarons brûlés ou le goût de ses cupcakes ratés.
Cette jeune femme a le don de me faire sourire par sa simple
présence.
Quelqu’un m’arrache Aurélia et mes bras retombent le long de mon
corps.
– Putain ! Non ! Ce n’est pas possible ! Hurle une voix à s’en déchirer
l’âme.
Les clients aiment tant sa bonne humeur quand elle les sert au salon.
Certains attendent que ce soit l’heure où elle est présente. Je le sais
même s’ils ne l’avoueront jamais. Elle a le don de vous transmettre sa
joie de vivre par un simple regard.
– Angela ! Mais merde Angela, regarde-moi ! Me secoue vivement
quelqu’un.
La voix d’Adriano me paraît lointaine, pourtant je le vois bien, face à
moi. Ses mains serrent fermement mes épaules.
– Qui a fait ça ? Semble-t-il crier.
Mais je ne l’entends pas précisément. Le son de ses mots résonne
dans mes oreilles en sourdine.
Je ne veux pas me rappeler.
Non
Je ne veux pas revoir le visage de ces hommes.
J’imagine Aurélia devenir médecin d’ici quelques années. Elle est
brillante et elle m’a confié vouloir se spécialiser en pédiatrie. Les enfants
vont l’adorer, c’est certain. Elle doute d’y arriver, mais je lui ai conseillé de
foncer et de se donner les moyens de réaliser ses rêves. Tout est
possible à son âge, il suffit de s’en donner les moyens.
J’ai l’impression d’entendre des sirènes et l’agitation gagne peu à peu
ma petite boutique. Des personnes se bousculent pour venir derrière le
comptoir, mais tout est encore flou autour de moi.
– Monsieur, s’il vous plaît, laissez-nous intervenir.
– Adriano, allez lâche-là, tente de faire plier une voix que je connais.
Je crois que c’est Tony qui lui parle, mais je n’en suis pas sûre.
– Monsieur, laissez les médecins s’occuper d’elle, intervient un peu
plus sévèrement une autre voix inconnue.
Aurélia adore énerver son frère en lui envoyant des photos des tenues
que je nous choisis pour travailler. C’est vrai qu’elles sont un peu sexy,
mais jamais rien de vulgaire. Elle est si proche de lui. Autant que ma
sœur et moi l’étions, l’une de l’autre.
– Plaie par balle au thorax, s’exprime la même voix inconnue que tout
à l’heure.
Aurélia adore piquer dans la boîte des macarons « moches » comme
elle dit. Ceux que je ne trouve pas assez ronds ou pas assez gonflés pour
les mettre à la vente. Elle me reproche ensuite sa prise de poids, et m’a
fait promettre de l’accompagner pour courir, un soir de la semaine.
– Plus de pouls, enchaîne toujours cette voix.
Elle a déjà noué des liens avec les clients réguliers et leur demande
souvent comment vont leurs enfants, parents ou même leurs chiens. Elle
est tellement gentille qu’on ne croirait pas qu’elle vient d’une famille de
malfrats.
– Heure du décès quinze heures trente-deux.
– Non ! Vérifiez encore, c’est une battante ! Réanimez-là, ne la laissez
pas comme ça sans rien faire, putain ! Rugit la voix que je pense être à
Adriano.
– Je suis désolé Monsieur, mais c’est trop tard, il n’y a plus rien à
faire.
J’entends des objets qui tombent par terre dans un fracas terrible.
Des cris incohérents, des bruits de verres brisés. Ce doit être Adriano qui
perd la raison, mais mon regard n’est pas dans cette pièce. Je suis
ailleurs, dans un monde où cette tragédie ne vient pas d’avoir lieu. Je n’ai
toujours pas bougé. Si je reste là, toute cette merde ne m’atteindra pas.
Je ne veux pas vivre la suite de cet événement. Je n’en ai pas la force. Je
ne peux plus surmonter la mort d’une personne que j’aime.
– Madame ? Vous m’entendez ? Je suis l’Inspecteur Bartoli, se
présente un homme devant moi.
Non, pas la police. Surtout pas eux. Ça ne fait que rajouter à mon
angoisse et à mon envie de ne pas revenir parmi eux. Je me balance
d’avant en arrière pour rester dans mon cocon.
– Madame ? Hé ! Tente-t-il encore.
Mon corps est secoué par une main puissante, comme une poupée
de chiffon, pour tenter de me ramener à la raison.
– Putain, y’a pas un médecin qui peut venir lui donner un truc pour
qu’elle réagisse ? S’impatiente-t-il, exaspéré de mon mutisme.
Pourquoi ne me laisse-t-il pas tranquille ? Quand ma sœur et moi
avions besoin d’eux, ils n’étaient pas là. Personne n’est venu pour nous
aider. Tout le monde a fermé les yeux, alors pourquoi ne puis-je pas faire
la même chose, maintenant ?
Une femme se baisse à ma hauteur et pose ses mains sur mes
genoux serrés contre ma poitrine.
– Angela, c’est ça ? Me hèle-t-elle, d’un calme déconcertant.
Elle porte une tenue d’ambulancière. Elle paraît sereine et la douceur
de ses yeux m’apaise. Je hoche imperceptiblement la tête.
– Je sais que vous venez de vivre un drame, mais il ne faut pas rester
comme ça, d’accord ? Poursuit-elle.
Je pleure et je commence à avoir du mal à respirer, tellement j’essaie
de retenir mes sanglots. Je ne veux plus pleurer. J’en ai marre d’être
dans cet état de tristesse constant.
– Calmez-vous. Respirez fort par la bouche et inspirez. C’est fini, me
rassure-t-elle.
Je fais ce qu’elle me dit et ma trachée laisse passer de l’air dans mes
poumons.
– Voilà, c’est super Angela. Maintenant, je vais prendre votre tension,
d’accord ? Donnez-moi votre bras.
Comme un robot, je lui obéis. Elle le fait passer dans son tensiomètre,
que je sens se serrer autour de mon biceps. Ce pincement me ramène
peu à peu à la réalité. Je vois tout ce sang partout au sol. Aurélia est
recouverte d’un drap blanc. Il faut que je sorte d’ici, j’étouffe. Un élan de
panique me prend à l’estomac. Mes larmes redoublent et je vais finir par
vomir.
– Angela, les policiers auraient des questions à vous poser. Est-ce
que vous vous sentez prête à y répondre, me questionne avec empathie
l’ambulancière.
Je lui fais signe que non avec la tête. Je ne veux parler à personne, et
encore moins avec la police. Ça ne sert à rien de parler avec eux. Ils n’ont
pas pris ma défense dans mon enfance, alors, croire qu’ils enquêteront
correctement sur le meurtre de la fille d’un mafioso serait bien naïf. Je ne
suis pas crédule à ce point. Je refuse de perdre mon temps avec eux. Je
veux juste être seule, et me perdre dans une réalité où ma sœur et Aurélia
seraient vivantes.
– On doit l’interroger, bougonne un homme qui doit être Bartoli.
– Vous ne le ferez pas maintenant. Elle n’est pas en état, contredit
ma protectrice.
J’aperçois Tony dehors qui s’entretient avec un policier en uniforme.
Ce dernier interpelle son chef depuis l’entrée. Ils ont une discussion
discrète et le haut gradé n’a pas l’air content. Il se dirige vers moi, sans
cacher son mécontentement.
– Mademoiselle Alessi. Je ne sais pas quels sont vos liens avec cette
famille, mais je ne saurais que trop vous conseiller de faire attention à
vous. Comme vous ne pouvez pas rester ici le temps de l’enquête,
Adriano Alario m’informe qu’il vous hébergera. Êtes-vous d’accord ?
S’enquiert-il, passablement agacé par la tournure des événements.
Mes mains tremblent et j’ai froid. Je veux quitter cet endroit le plus
vite possible pour aller n’importe où. Alors, j’opine de la tête, ne pouvant
pas prononcer un seul mot. Je ne suis pas prête à accepter la disparition
de mon amie. En parler rendra tout ça réel. Et je n’ai nulle part où aller,
alors je n’ai pas réellement d’autres choix.
L’inspecteur fait signe au policier en uniforme que c’est réglé.
L’ambulancière qui ne m’a pas quittée m’aide à me relever et me soutient
jusqu’à l’extérieur. Arrivée dehors, je remarque enfin toutes les voitures
garées n’importe comment devant ma boutique. Celles du gang et de la
police. Tony vient relayer la jeune femme. Il passe un bras autour de ma
taille et me tient contre lui pour m’aider à avancer. Il m’ouvre la portière
côté passager de sa voiture et m’assiste pour prendre place. Il attache
ma ceinture de sécurité. Peu importe, je peux bien m’écraser contre un
arbre, ça m’est égal. Mes jambes et mes mains sont couvertes du sang
d’Aurélia. Je veux effacer tout ça au plus vite.
– Angela, c’est flippant, il faut que tu parles, me supplie doucement
Tony, pour ne pas me brusquer.
Où est Adriano ? Pourquoi ses hommes ne sont pas venus nous aider ?
Qui s’en est pris à Aurélia et pourquoi ? Où étaient-ils tous et pourquoi ne
sont-ils pas arrivés avant, pour empêcher tout ça ?
J’ai envie de hurler, mais j’en suis incapable. Je reste stoïque, telle
une statue. Il faut d’abord que j’accepte la réalité, et pour l’instant c’est
au-dessus de mes forces.
21

Adriano Alario

Aujourd’hui, la personne que j’aimais le plus au monde est morte. Et


j’en suis l’unique responsable. Mes mauvais choix lui ont coûté ce qu’elle
avait de plus précieux. Personne n’était plus gentil qu’elle. Je ne sais pas
comment je vais réussir à avancer, à poursuivre ma vie avec cette
culpabilité sur les épaules. Comment vais-je pouvoir regarder mes
parents en face à partir d’aujourd’hui ? À cause de moi, ils ont perdu leur
fille. Celle dont ils ont toujours été si fiers. Le rayon de lumière de notre
famille s’est éteint cet après-midi de la pire des manières. Ciblée
uniquement à cause de son nom. Victime collatérale d’une guerre de
gangs. Assassinée parce qu’elle portait le blason des Alario. J’aurais dû
l’éloigner de Centori depuis longtemps, mais j’ai été égoïste. Je ne
voulais pas me priver de son joli sourire au quotidien. J’ai été
présomptueux de penser que je pouvais la protéger en toutes
circonstances. Une douleur insupportable comprime ma poitrine,
m’empêchant de respirer correctement. Ma gorge est sèche et j’ai du mal
à déglutir. Je suis comme en apesanteur. J’attends que quelqu’un vienne
me dire qu’il y a une erreur. Que tout cela n’est pas arrivé. Qu’elle a repris
connaissance sans explications. Si une personne dans ce putain de
monde mérite un miracle, c’est bien elle. Je suis prêt à donner ma vie
pour qu’elle revienne parmi nous. Que le diable me rende visite, pour
signer un pacte avec moi, pour lui redonner son souffle.
Putain, on était tous là comme des cons la queue entre les jambes à
attendre. Tout était trop calme. Tout se passait comme prévu, rien à
signaler. J’aurais dû sentir que quelque chose se tramait. C’est mon rôle
d’anticiper. Un chef se doit d’avoir un instinct pour flairer les mauvais
coups. Quand mon téléphone a sonné et que j’ai vu son nom s’afficher,
ce pressentiment s’est amplifié. Quand je ne l’ai pas entendue me sortir
une vanne dès que j’ai décroché, j’ai compris qu’elle avait un problème.
Aurélia et moi avons un code en cas d’urgence. Si elle m’appelle et ne
parle pas, c’est qu’elle est en danger. J’ai hurlé aux gars qu’il fallait filer
d’urgence à la pâtisserie. Le téléphone scotché à l’oreille, j’ai entendu les
bribes d’une conversation, sans saisir clairement le moindre mot. Jamais
de ma vie, je n’ai ressenti une telle crainte, le temps d’arriver à la
boutique. Ce sentiment horrible a explosé mon cœur quand j’ai entendu
ce son qui m’est familier. Celui d’une arme à feu. J’étais déjà pied au
plancher et je ne pouvais pas rouler plus vite. Lorsque nous sommes
arrivés sur place, j’ai tout vu au ralenti. Angela était assise derrière son
comptoir, avec Aurélia dans ses bras, au milieu d’une mare de sang. Le
sang d’Aurélia. Elle lui caressait les cheveux et avait l’air de lui murmurer
quelques mots. Je ne crois pas qu’il me sera possible un jour d’oublier
cette image. On m’a opéré à cœur ouvert sans anesthésie. Ma rage
devant cette scène a fait éclore une seule interrogation. Qui ? Mais
Angela avait complètement déconnecté de la réalité ; juste quand j’avais
besoin qu’elle parle. Ces putains de médecins qui ne font rien, ne tentent
rien. Les secours, tu parles ! Tout juste capables de simplement
constater un décès. Heureusement que Tony a réussi à me sortir du
salon de thé avant que je ne casse tout à l’intérieur et que j’assassine
moi-même quelqu’un.
Je veux hurler jusqu’à atteindre les oreilles de ces maudits bikers
pour qu’ils soient certains que j’arrive. Je sais que ce sont eux. Et ils vont
me payer ça, très cher. Et avec les intérêts. Au-delà de l’honneur de ma
famille ou de la réputation du gang, il est question du respect de ma
sœur. Et celui ou ceux qui ont participé à cette ignominie périront. Peu
importe ce que cela doit me coûter et ce que je devrai faire pour parvenir
à mes fins. Cette expédition punitive la vengera comme il se doit.
Je sors de ce putain de commissariat où j’ai été traîné et traité
comme un moins que rien. Je jure que si je croise à nouveau les flics qui
m’ont embarqué, je les abats de sang-froid d’une balle dans la tête. Ils
m’ont emmené dans leurs locaux alors qu’Aurélia venait à peine de
rendre son dernier souffle. Tout ça pour quoi ? Me demander si je savais
qui aurait pu s’en prendre à elle ? Si j’avais des ennemis ? Ils ont pris un
malin plaisir à me voir plus bas que terre et se sont bien foutus de ma
gueule. Je voyais, dans leurs yeux, cette petite lueur de victoire comme
s’ils avaient eux-mêmes abattu ma sœur comme un chien. Ils jubilaient,
l’air de dire qu’on ne récolte que ce que l’on sème. Mais dans cette
tragédie, ma sœur n’avait rien à voir.
Aurélia
La seule perle de notre famille qui ne s’est jamais mêlée des affaires.
Elle vivait sa vie de son côté et ne faisait de mal à personne, au contraire.
Elle ne pensait qu’à faire le bonheur autour d’elle et à transmettre de
l’amour. Je refuse de penser à elle pour l’instant et fais abstraction de ma
peine. Mes émotions ne peuvent que m’affaiblir. Si je veux pouvoir la
venger honorablement, je dois garder la tête froide. Je passe la porte de
notre maison et j’entends déjà les sanglots de ma mère dans le salon. Je
me hâte de la rejoindre pour la prendre dans mes bras.
– Je suis désolé mama, lui confié-je, en ayant du mal à contenir mes
larmes face aux siennes.
– Oh Adriano, hoquette-t-elle, pourquoi était-elle seule ?
Ma mère est anéantie. Elles étaient fusionnelles toutes les deux. Je
ne peux pas lui avouer que nous étions tous en train de protéger une
livraison de drogue. J’ai trop honte et peur de ce que je pourrais voir dans
ses yeux. J’ai fait passer la marchandise avant ma propre famille. Je lui
demande pardon en chuchotant dans son oreille, même si je sais que je
suis impardonnable.
– Où est papa ? Demandé-je, parce qu’il me faudra bien l’affronter.
Elle baisse les yeux n’arrivant pas à me regarder en face. Y
parviendra-t-elle à nouveau un jour ?
– Dans son bureau, murmure-t-elle du bout des lèvres, il a convoqué
ton cercle.
Elle se remet à pleurer en murmurant le prénom d’Aurélia. Je l’installe
à nouveau dans le canapé et la recouvre d’un plaid. Elle a dit que mon
père était dans son bureau ? Ce bureau est le mien et non plus le sien. Il
n’est plus intervenu dans les affaires depuis un an. Le fait qu’il ait pris les
devants pour ameuter les troupes ne me dit rien qui vaille. J’entre sans
frapper. Mon père a retrouvé sa place derrière le bureau. Il trône dans son
fauteuil roulant face à mes bras droits.
Dans ses yeux, aucune trace de peine. Uniquement de la colère et de
la rage. Je la sens enfler quand il me scrute d’un œil réprobateur avec un
rictus mauvais sur les lèvres. Je redeviens ce petit garçon devant faire
ses preuves pour essayer d’arriver à la cheville de son paternel.
– Tout ça, c’est de ta faute, Adriano ! M’accuse-t-il, en me montrant
du doigt. Si tu m’avais écouté, nous n’en serions pas là, aujourd’hui.
La poignée d’hommes dans cette pièce est mal à l’aise. Tony admire
le sol alors que Batista ose un regard compatissant. Giacomo pose une
main sur mon épaule pour me soutenir. Qu’est-ce que je peux bien lui
répondre ? Il a entièrement raison. J’ai commis une faute qui a coûté la
vie à sa fille.
– Qui t’a rencardé sur le fait que Marco voulait Centori ? exige-t-il de
savoir d’un ton tranchant.
– Falco, ça n’a plus beaucoup d’importance. Il a été retrouvé cet
après-midi à l’entrée de Centori, tabassé à mort, nous informe Tony en
me jetant un coup d’œil.
Cet enfoiré de biker a su qu’Aldo avait balancé. C’est pour ça qu’il est
passé à la vitesse supérieure. Marco a dû présumer que je garderais la
came sous haute surveillance. Il a joué un coup d’avance en s’attaquant à
un membre de ma famille. Il savait que je respectais les règles et que je
pensais qu’il en ferait autant.
– Papa, Marco n’a pas respecté le code d’honneur et crois-moi, il va
nous le payer ! Lui assuré-je, car je compte bien prendre ma revanche.
Mon père ne m’accorde même pas un regard et s’adresse à mes
hommes.
– Tony, je veux que tu mettes ma femme en sécurité, loin d’ici dès ce
soir, et pour plusieurs jours, ordonne-t-il sèchement.
– Bien Falco, obéit immédiatement mon ami d’enfance.
– Batista, je veux que tu fournisses, en gros calibre, tous les hommes
du clan, même ceux au plus de bas l’échelle, continue-t-il à débiter ses
ordres, imperturbable.
– Je m’en occupe, lui assure mon cousin.
– Giacomo, tu prends les commandes des opérations. Tu as le gang
à ta disposition. Je veux que tu laves l’honneur de notre famille.
– Tout ce que tu veux, lui répond mon cousin, fier d’écoper de la
mission la plus honorable. Merci pour ta confiance.
– Papa, mais qu’est-ce que tu fais ? M’interposé-je, incrédule devant
ses décisions. Laisse-moi venger Aurélia !
Je comprends son besoin de prendre les choses en mains, mais il ne
peut pas reprendre sa place de Chef, vu son état de santé. Ma mère vient
de perdre sa fille, elle ne peut pas enchaîner avec son mari.
– Non ! Ta mission était de la protéger, me crache-t-il au visage. Tu as
échoué et ma fille est morte ! C’est trop tard, maintenant et tu ne peux
rien faire pour te racheter.
– Mais tu ne peux pas me mettre à l’écart ! Hurlé-je en retour, hors de
moi.
– C’est Giacomo qui dirige maintenant. S’il a besoin de toi, il te le fera
savoir, se contente-t-il de me répondre sans même pouvoir me regarder
dans les yeux.
Sur ces derniers mots, il pousse son fauteuil et sort du bureau. Je ne
sais plus à qui est cette pièce dorénavant. Il vient de désigner Giacomo à
ma place de leader. Je le foudroie du regard même s’il n’est pas
responsable des décisions de mon père.
– Adriano, je suis désolé pour Aurélia. Je te jure qu’on va les tuer un
par un ces enfoirés, me réconforte Giacomo, sûr de lui. Je ferai ce qu’il
faut pour.
Je hoche la tête furtivement et la ferme, sinon je vais faire une
connerie. Il a les pleins pouvoirs maintenant et je ne peux rien y faire. Il
vient de devenir mon Chef. Mon cousin quitte la pièce pour passer des
coups de fil et préparer son plan de représailles.
22

Adriano Alario

– Je suis avec toi Adriano, me confie Batista une fois Giacomo parti,
me faisant comprendre ainsi qu’il répond encore à mes ordres.
J’ai toujours pu compter sur lui et aujourd’hui ne déroge pas à la
règle. Il a beau ne pas être un Alario de sang, il en est un de cœur. Il
prend également congé ensuite pour mener à bien sa tâche d’armement.
– Qui savait pour Aldo ? Demandé-je, à Tony une fois que nous
sommes seuls.
– Toi et moi, c’est tout.
Marco l’a descendu parce qu’il a su qu’il était la balance. Ce n’est pas
Tony qui a vendu la mèche. Ça serait fait depuis longtemps sinon, vu qu’il
est au courant depuis le rendez-vous au casino.
– Putain si ! Quelqu’un d’autre savait pour lui, m’exclamé-je, en tapant
sur le bureau.
Tony me fixe en réfléchissant.
– Tu délires Adriano, ça ne peut pas être elle, temporise-t-il comme si
j’étais le dernier des cons. Tu crois franchement qu’elle a un lien avec le
gang des motards ?
– Ce n’est pas toi qui la trouvais louche, il y a quelques jours ? Lui
rétorqué-je, énervé.
Je suis perdu et je deviens peut-être parano. Elle avait l’air de
réellement tenir à Aurélia, mais après tout, on ne la connaît pas. Pourquoi
s’est-elle liée d’amitié avec ma sœur ? Pourquoi l’a-t-elle gardée, même
après mes avertissements ? Je ne me suis jamais vraiment méfié d’elle
et j’ai peut-être commis là, ma première erreur.
– Où est-elle ? Exigé-je de savoir pour tirer ça au clair,
immédiatement.
– Dans la chambre d’amis.
Je quitte le bureau sur-le-champ. J’espère qu’elle est sortie de sa
léthargie parce que je ne suis pas en mesure de faire preuve de
compréhension ou de patience. J’attends des réponses de sa part et elle
a plutôt intérêt à être disposée à causer. Au pire, je connais des moyens
efficaces pour lui délier la langue. J’ouvre la porte sans frapper. Angela
est assise à même sol dans la même position qu’à la pâtisserie. J’étais
en train de tout casser et face à ma fureur, les policiers m’ont embarqué.
J’ai juste eu le temps de dire à Tony de la faire venir chez nous. Elle se
redresse en m’entendant arriver. Son maquillage a coulé partout sur son
visage. Ses mains et ses jambes sont encore recouvertes de sang. Je
serre les poings de rage, car tout ce rouge me renvoie au corps de ma
sœur, inondé de la même nuance. Je dois reprendre mes esprits pour
déterminer si elle a une part de responsabilité dans tout ce merdier.
– J’ai tenté de gagner du temps Adriano, me surprend-elle, d’une voix
entrecoupée par les sanglots, je te jure que j’ai essayé.
Sa voix trahit toute la culpabilité dont elle s’estime fautive. Si elle joue
la comédie, elle est vraiment douée. Elle tremble tellement qu’elle semble
en pleine crise d’angoisse. J’ai du mal à rester de marbre face à son
chagrin. Il faut que j’arrive à la calmer pour qu’elle m’explique ce qui est
arrivé. La manière forte ne sera pas efficace et je ne pense pas en être
capable avec elle. Mais je dois déceler si elle a pris part d’une manière ou
d’une autre à toute cette merde.
– Dis-moi ce qu’il s’est passé, répliqué-je, en refermant la porte et en
m’adossant contre le mur.
Sa mâchoire se crispe et ses yeux ne sont que colère et haine. Elle se
lève et son regard incendiaire ne présage rien de bon. Sans prévenir, elle
se rue sur moi.
– Ce qu’il s’est passé ? Hurle-t-elle en me frappant à coups de poing.
Tu oses me poser cette question !
Si elle était tétanisée tout à l’heure, elle ressemble à une furie,
maintenant. Sa colère s’exprime à travers les coups qu’elle me donne,
aussi forts qu’elle peut. Sa hargne mêlée à sa tristesse la rendent
incontrôlable.
– Toi, dis-moi ce qu’il s’est passé ? Pourquoi personne n’était là ?
Rugit-elle.
Crois-moi Angela, je me les pose aussi toutes ces questions.
Comment j’ai pu être assez con pour ôter sa protection ? Comment,
même en étant averti d’une possible attaque, j’ai pu autant merder ?
Je tente d’attraper ses mains, mais elle anticipe mon geste et
parvient à m’esquiver. Une lutte s’ensuit entre nous. Chacun essayant
d’arriver à ses fins. Elle ne m’épargne rien et continue de me frapper avec
ses mains, ses poings tandis que j’essaie de lui bloquer les bras le long
de son corps pour la maintenir immobile.
– Aucun de tes hommes n’est venu nous aider ! Enrage-t-elle
essoufflée, en me poussant pour me faire tomber à terre, sans succès.
– Tu étais là toi, fulminé-je en parvenant à capturer une de ses mains.
Tu aurais dû la protéger !
Avant que je ne puisse deviner ses intentions, ma tête part de côté et
le son de la claque que je me prends est à la hauteur de la douleur que je
ressens contre ma joue.
– C’était ton rôle ! Vocifère-t-elle, complètement à bout.
La gifle monumentale dont elle vient de me gratifier me vrille le
cerveau. Je la coince rapidement contre le mur et plaque mes mains sur
les siennes que je colle au-dessus de sa tête. Nos respirations sont
saccadées. Nous mélangeons notre air, aspirant la haine et la colère de
l’autre. Je vois les larmes poindre aux coins de ses yeux, mais elle ne
détourne pas son regard du mien.
– Tout est de ta faute Adriano, m’achève-t-elle dans un soupir, à bout
de force.
– Je sais, résumé-je ne pouvant pas me défiler face à ma
responsabilité dans la mort de ma sœur.
Son corps rend les armes et se ramollit dans notre duel. Cet aveu me
coûte et je ravale avec difficulté ma peine, qui a de plus en plus de mal à
rester calfeutrée dans ma poitrine. J’aimerais également pleurer tout
mon saoul dans les bras de quelqu’un, sans pour autant être jugé faible.
Mais je refuse de verser une seule larme tant que ces enfoirés ne seront
pas six pieds sous terre. Je prends conscience que je ne tirerai rien d’elle,
dans cet état. Il faut d’abord qu’elle se calme et reprenne totalement ses
esprits. Elle est encore sous le choc et je dois prendre sur moi pour lui
laisser le temps d’encaisser. Je viens de vivre un drame alors qu’elle, elle
en a été le témoin. Je dois patienter, même si cela me coûte.
– Passe tes bras autour de mon cou et accroche-toi, lui glissé-je
doucement pour qu’elle comprenne qu’elle ne craint rien.
Elle s’exécute sans poser de questions. Je passe mes mains sous
ses genoux et la soulève. Elle pose sa tête contre mon épaule et se laisse
porter jusqu’à la salle d’eau. Je la dépose sur le tapis de bain disposé au
milieu de la petite pièce. Je commence à faire couler la douche pour faire
venir l’eau chaude. Elle reste là sans bouger, les bras le long du corps et
le regard perdu.
Je prends son menton dans une main et lui relève le visage.
– Reste avec moi, ok ? Lui ordonné-je, d’une voix que j’essaie douce.
Je n’ai droit qu’à un hochement de tête et je vais devoir m’en
contenter, pour l’instant. Il est primordial qu’elle ne retombe pas dans un
état catatonique comme avant. Voyant qu’elle ne compte pas s’en
occuper elle-même, je me résigne à lui retirer ses vêtements. Elle ne
bronche pas quand je passe son t-shirt par-dessus sa tête. Je délace ses
baskets et elle prend appui sur mon épaule pour soulever ses pieds afin
que je les lui retire. Pas de réactions non plus quand je déboutonne son
short et le fais glisser le long de ses jambes. Elle se contente de m’aider
en bougeant ses membres en fonction du besoin. Il faut faire disparaître
tout ce sang séché sur elle, si je veux qu’elle me parle. Elle se dirige vers
la douche, la tête baissée. Je m’apprête à quitter la pièce pour lui laisser
une certaine intimité quand je l’entends pousser un râle sourd. On
pourrait croire entendre une bête sauvage en train d’agoniser. Sa tête est
appuyée contre le carrelage et son corps est tordu par des soubresauts
violents.
Sans y réfléchir plus longuement, j’envoie valser mes chaussures et
vais la rejoindre. Je la prends dans mes bras ne pouvant pas rester
insensible face à sa peine. Nous partageons la même. Je nous attire au
sol et elle s’assoit sur mes cuisses en amazone. Ses bras retrouvent mon
cou et je la serre fermement contre moi. Son visage se cache sous mon
menton et elle déverse sa douleur aussi fortement que le jet de la douche
nous coule dessus. Le silence est perturbé uniquement par le bruit de
l’eau qui ruisselle. La vapeur du jet chaud nous englobe, comme si elle
essayait de nous réconforter. Dans ce cocon humide, la barrière de mes
émotions cède et l’eau qui dégouline sur ma peau vient recouvrir mes
larmes. Durant quelques minutes, je ne suis qu’un homme qui pleure sa
petite sœur.
Angela doit s’en apercevoir, car elle pose sa main sur ma joue et
efface de son pouce les témoins de mon chagrin.
– Tu étais son super-héros. Elle ne voudrait pas que tu pleures, me
confie-t-elle avec une voix faible en répétant son geste sur mon autre
joue.
– Toi non plus alors, répliqué-je.
Cette nana est vraiment bizarre parce qu’elle se met à rire. Elle me
fixe avec ses yeux rougis et son sourire embellit son visage. Je ne
comprends pas son changement d’humeur en une seconde.
– Aurélia me disait souvent que nous étions incapables de
communiquer toi et moi, m’explique-t-elle, voyant que je suis un peu
paumé.
– Ce n’est pas faux, avoué-je en souriant un peu à mon tour.
Ses yeux me scrutent et sa main s’aventure dans mes cheveux
mouillés. Je réalise que nous sommes sur une pente glissante, vu la
situation et sa tenue. Nous sommes bouleversés et notre peine pourrait
nous faire faire des choses que l’on regretterait plus tard.
– Je vais te laisser prendre ta douche maintenant, proposé-je, en
décalant déjà son corps du mien.
Elle se pince les lèvres puis se lève pour me laisser partir.
Je sors de la douche les vêtements trempés. J’ôte mon t-shirt
rapidement et le balance dans le lavabo. Mon jean me donne du fil à
retordre, mais je parviens à m’en extirper. Il rejoint mon haut. Je sors en
caleçon de la salle de bain et me rends dans ma chambre pour me
rhabiller. Cela laissera un moment à Angela pour enlever les stigmates
de son après-midi et, je l’espère, trouver la force de tout me raconter dans
les détails.
23

Angela Alessi

L’eau qui coule sur ma peau ôte les traces du sang de mon amie.
Malheureusement, les images de sa vie s’essoufflant petit à petit sont
indélébiles. Je me frotte encore et encore, gratte mes ongles pour
m’assurer de sortir de cette douche, sans emporter un mauvais souvenir
sur ma peau, de cet après-midi. Adriano a réussi à me sortir de la torpeur
dans laquelle je m’étais enfermée pour me barricader. Mon état de semi-
conscience me servait de protection contre toutes les conséquences que
va engendrer l’assassinat d’Aurélia. Adriano m’a mise hors de moi en me
reprochant de ne pas avoir réussi à sauver sa sœur. Il m’a donné
l’impression d’avoir commis une erreur et de ne pas avoir su empêcher
ce drame. Comme si je faisais le poids contre trois hommes armés.
J’avais déjà eu envie par le passé de lui arracher les yeux, mais là, il a
dépassé les bornes. Je devais avoir l’air d’une brindille qui s’attaquait à
un chêne en le frappant, mais au moins, j’avais une réaction. Son
comportement m’a permis de sortir de ma léthargie. En retour, je ne l’ai
pas épargné de mes accusations. Je m’en veux quelque part de lui avoir
balancé tout ça au visage, mais je ne me contrôlais plus. Je sais pourtant
à quel point ça fait mal de porter la responsabilité de la mort de
quelqu’un sur ses épaules. Nous aurons cela en commun, dorénavant.
Adriano a le don de souffler le chaud et le froid. D’abord agressif et
accusateur, puis gentil et tendre sous la douche, quand je me suis
écroulée. C’était la première fois de ma vie que quelqu’un me réconfortait
dans un moment difficile. Depuis toute petite, je gère ma peine toute
seule. La tristesse m’a tenu compagnie plus souvent qu’à mon tour, mais
je sais vivre avec. Enfin, je le pensais. Je n’aurais jamais pensé qu’un
simple câlin puisse autant être apaisant. Même s’il n’efface pas la
douleur qui cogne dans ma poitrine, le fait de partager mon désarroi avec
Adriano a un peu atténué la brûlure acide de ma plaie. Uniquement en
sous-vêtements tout contre lui, je crois que nous avons pris conscience
simultanément de la situation ambiguë dans laquelle nous étions.
La vue de ma peau toute fripée me convainc qu’il est plus que temps
de sortir de cette salle de bain. Il faudra bien que j’affronte Adriano à un
moment ou à un autre. Heureusement, il y a un peignoir accroché à une
patère. Je l’enfile et ouvre doucement la porte pour vérifier s’il est là. Il
est allongé sur le lit, les bras relevés et calés sous sa tête et les yeux
fermés. Il a dû partir pendant que je me lavais, car il porte un t-shirt
simple blanc et un bas de jogging ample. Dans cette position, les
muscles de ses bras sont gonflés et la peau de son ventre est en partie
visible. C’est la première fois que je le vois habillé autrement que tiré à
quatre épingles. Il me paraît tout aussi dangereux dans ce style. Je
réalise que je ne sais même pas où nous en sommes tous les deux. Suis-
je en mauvaise posture par rapport au gang avec le drame qui vient de se
produire ? Ou suis-je là comme « témoin » pour relater les événements.
Sa réaction sous la douche laisse à penser que je n’ai rien à craindre,
mais je préfère rester prudente.
Je grimpe sur le lit et glisse mes jambes sous mes fesses. Le
mouvement du matelas extirpe Adriano de ses songes. Il me regarde,
mais ne prend pas la parole. Je sais ce qu’il attend de moi. Il me l’a
demandé de façon maladroite tout à l’heure en entrant. Je suis celle qui
peut le renseigner sur qui a commis cette horreur. Je me motive en me
disant que, plus vite je lui raconterai, plus vite j’en aurai fini, et plus vite je
pourrai oublier. Je prends le peu de courage qu’il me reste et me confie à
lui.
– J’étais dans le laboratoire quand ils sont arrivés. J’ai compris qu’il y
avait un problème parce qu’Aurélia n’était pas sympa avec eux. Quand je
l’ai rejointe, il y avait trois hommes dans la boutique.
Je me laisse quelques secondes pour continuer. J’ai besoin de
juguler ma terreur avant de pouvoir enchaîner. Il m’est douloureux de
revivre la scène, mais je ne veux plus pleurer.
– Un homme braquait une arme sur elle et dès que je suis arrivée, un
autre l’a imité dans ma direction.
J’essuie avec rage une larme que je n’arrive pas à contenir. Adriano
s’approche de moi et prend ma main dans les siennes. Ses doigts tracent
des cercles sur mon poignet pour m’inviter à poursuivre.
– Elle les a traités de mauviettes parce qu’ils sont venus à trois, juste
pour nous, lui raconté-je en esquissant un semblant de sourire. Aurélia
est partie avec fierté et la tête haute.
– Digne d’une Alario, estime-t-il en pinçant les lèvres.
– J’ai vu qu’Aurélia avait son portable, alors j’ai essayé de gagner du
temps, mais vous n’avez pas été assez rapides, sangloté-je en laissant la
digue de mes larmes céder.
Je me retrouve, à nouveau, collée contre son torse à vider mes
glandes lacrymales.
– Je suis désolé, me répète-t-il plusieurs fois au creux de l’oreille.
Sa voix est grave et a du mal à sortir de sa gorge. Ça ne doit pas être
dans ses habitudes de s’excuser ou même d’admettre ses torts. Il veut
néanmoins garder la face et ne s’autorise pas à pleurer. Je le comprends,
j’ai vécu ça, aussi. Lutter contre la marée montante de ses émotions. Je
ne voulais pas que mon père jubile de voir la peine que me causait sa
mort.
– Est-ce que tu sais qui a fait ça ? L’interrogé-je, parce que j’ai besoin
de savoir.
Il inspire un grand coup et fixe son regard droit devant lui.
– Le gang d’Aldo, me confie-t-il.
– Mais pourquoi Aldo ne t’a-t-il pas prévenu ? M’étonné-je de ce
revers de situation.
– Il n’en a pas eu l’occasion, il est mort, se contente-t-il pour toute
explication.
Je me prends la tête entre les mains et la secoue pour me remettre
les idées en place. Aldo est mort ? Aurélia aussi. Tout ça pour quoi ?
S’attribuer des bouts de trottoirs ? Tout ça me dépasse complètement.
– Donc son gang a su qu’il était une balance ? Résumé-je pour être
certaine de tout comprendre.
– Oui, et Marco leur chef a outrepassé les règles, parce qu’il savait
que c’était son unique opportunité pour m’atteindre et m’affaiblir,
s’emporte-t-il en ressassant.
– Mais de quelles règles tu parles ? L’interrogé-je parce que je ne le
suis plus.
– En tant que Chef de gang, il nous est interdit de nous en prendre à
un membre proche de la famille d’un autre Chef.
– Donc Marco n’avait pas « le droit » de s’en prendre à Aurélia parce
qu’elle était ta sœur ?
– C’est ça, résume-t-il, simplement.
– On ne t’a jamais dit que les règles étaient faites pour être
enfreintes ? Estimé-je, stupéfaite par la stupidité de son raisonnement.
Ses doigts, doux auparavant, serrent mon poignet fermement et il tire
dessus ce qui me propulse contre lui. Il est toujours allongé sur le lit et je
tente de limiter ma chute en me retenant d’une main sur son torse.
– Angela, ce n’est pas le moment d’ouvrir ta grande gueule,
d’accord ? Rugit-il, colérique. J’ai besoin de te poser des questions et ne
t’avise pas à me mentir.
Je peux constater dans la profondeur de ses prunelles que le Chef
Alario est de retour. Ça ne présage rien de bon pour mon matricule.
– Est-ce que tu as parlé d’Aldo à quelqu’un ? Me questionne-t-il,
sérieusement.
– Quoi ? Mais non ! Je ne suis peut-être pas de ton milieu, mais je ne
suis pas complètement débile.
– C’est important Angela, réfléchis bien, m’engueule-t-il. Il faut que je
découvre comment Marco l’a démasqué.
– Mais je te dis que non ! Je ne connais personne, ici. À qui veux-tu
que je parle ? me disculpé-je, en me dégageant de sa poigne et en me
levant du lit.
– Justement, parlons-en, m’admoneste-t-il en s’adossant contre la
tête de lit. Tu viens de le dire, tu ne connais personne à Centori et on n’a
jamais vu une seule personne de ta famille te rendre visite. Je commence
à trouver ça suspect au vu des derniers événements.
Il attaque un point sensible et il est hors de question que je
m’aventure sur ce terrain-là. Encore moins maintenant.
– Qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu t’inquiètes de ma popularité,
maintenant ?
– Tu as dit que tu étais de Rastori, mais tu peux être plus précise ?
C’est une très grande ville, de quel quartier viens-tu ?
– T’es sérieux là ? Quelqu’un a assassiné ta sœur et tu me demandes
d’où je viens ? C’est ta seule préoccupation, tout de suite ?
– Réponds-moi ! Exige-t-il, en criant.
Je m’effraie face à son ton hargneux, mais il est hors de question que
je lui parle de moi. Les choses s’enveniment et ça n’augure rien de bon.
– Tu crois que j’ai quelque chose à voir avec la mort d’Aurélia ?
Récapitulé-je, déçue qu’il puisse le penser.
Je sais que nous ne sommes rien pour l’autre. Notre baiser furtif de
l’autre soir ne représente rien. Particulièrement en de telles
circonstances. Aucune réponse de sa part et son mutisme me blesse.
J’aimais Aurélia et je pensais qu’il saurait croire en la sincérité de notre
amitié.
– Ton silence parle pour toi, Adriano.
Je retourne dans la salle de bain pour m’habiller et partir de cette
maison. Il est impossible pour moi que je reste sous son toit s’il me
pense responsable de la mort d’Aurélia. Déjà par fierté d’une part, mais
aussi parce que je ne donne pas cher de ma peau s’il me soupçonne
d’avoir pris part à cette expédition punitive. Je l’entends grogner un truc
incompréhensible puis descendre du lit et me rejoindre.
– Qu’est-ce que tu fais ? S’agace-t-il, en me voyant rassembler mes
vêtements.
– Je m’en vais, je ne reste pas une minute de plus si tu peux ne serait-
ce que penser que je puisse avoir un rapport, à sa mort. Tu peux bien être
le Chef de gang le plus redouté de ce coin de l’Italie, je ne te laisserai pas
me salir.
Il reste au milieu de la pièce et je ne peux décemment pas enlever
mon peignoir pour m’habiller.
– Sors de cette salle de bain Adriano, lui ordonné-je résignée.
– Je ne suis plus rien, s’exclame-t-il, blessé. Mon père a nommé
Giacomo à ma place à la tête du gang, ce soir.
La mort d’Aurélia n’est même pas encore encaissée qu’il doit
affronter sa destitution. Peine et colère font un mélange redoutable. Je
suis étonnée qu’il me confie cette information. Il a l’air profondément
humilié de cette éviction. Je m’assois sur le rebord de la baignoire et me
frotte le front d’une main, dans une tentative de mettre de l’ordre dans
mes idées. J’attends qu’il continue à se confier à moi parce qu’il doit
forcément avoir d’autres choses à me révéler. Il me semble prêt à faire
tomber le masque dans ces quelques mètres carrés.
– Comme toi, il m’estime responsable de la mort d’Aurélia et donc
indigne de la venger.
Son père le prive de sa seule chance d’aller mieux. Adriano a besoin
de faire payer lui-même aux responsables. Je connais ce sentiment, ce
besoin viscérale de vengeance. Ça vous ronge la journée et vous hante la
nuit.
– Je suis désolée de t’avoir reproché tout ça tout à l’heure, m’excusé-
je.
– Non, tu avais raison. Et mon père aussi. Je suis responsable de la
mort d’Aurélia. Je devais la protéger et j’ai failli à ma mission.
Je me lève et me plante devant lui. Il ne doit pas s’accabler autant
sinon il va sombrer et perdre pied.
– Tu veux savoir pourquoi personne n’est venu ? Continue-t-il, ses
yeux braqués dans les miens. Parce que j’ai voulu deux hommes
supplémentaires en plus de tous ceux que j’avais déjà avec moi. Et tout
ça, pour quoi ? Protéger de la drogue !
Sa voix traduit son dégoût de lui-même. Il s’en veut et c’est légitime,
mais ça ne sert à rien. Ça ne permet pas d’avancer, au contraire.
– Adriano, ce gang veut la guerre et si ce n’était pas arrivé
aujourd’hui, ils auraient trouvé un autre moyen de t’atteindre, lui indiqué-
je, sûre de moi, en me rappelant du message à faire passer. Un des
hommes m’a demandé de te dire quelque chose.
– Quoi ? Et ce n’est que maintenant que tu me le dis ? S’emporte-t-il
contre moi.
Je sais que lorsque je lui aurai répété ces mots, il sera fou de rage et
ça ne m’enchante pas de le faire alors que nous sommes enfermés, ici.
J’aurais pu lui dire plus tôt, mais je n’y repense que maintenant. C’est
juste après m’avoir donné l’information pour Adriano qu’il a appuyé sur la
détente.
– Il a dit qu’il te laisse une semaine pour quitter Centori et que tu
n’auras pas d’autre avertissement.
Il se met à cogner dans le mur avec ses poings et pousse des cris de
rage et de colère. Même si je m’attendais à une réaction virulente, je
prends peur face aux coups violents dont il assène le mobilier. Je
m’approche à petits pas de lui pour éviter de me prendre un coup. Je
passe mes mains autour de sa taille et colle ma tête contre son dos.
– Arrête, calme-toi, l’apaisé-je du mieux que je peux. Garde ta force
pour tes ennemis.
Il se tourne face à moi et pose sa tête contre mon épaule. Les rôles
sont inversés dans cette pièce, pour la première fois. Il ne pleure pas,
mais je sais qu’à l’intérieur ça doit être pire qu’une hémorragie. Je passe
mes mains derrière lui et caresse son dos. Il resserre notre étreinte en
me rapprochant de lui. Il se tient à moi comme on s’agrippe à un rocher
pour tenter de ne pas se noyer. Nous essayons de ne pas couler à cause
de la houle de peine qui nous assaille. Il finit par s’éloigner et me prend
par la main. Il nous entraîne sur le lit et nous nous allongeons. Il se colle
derrière moi et passe son bras autour de ma taille. Je suis soulagée qu’il
ne me laisse pas seule dans cette chambre. Grâce à Adriano, je connais
le réconfort d’une étreinte maintenant, et je ne suis pas contre avoir, à
nouveau, l’impression d’être sur un nuage de coton, bien loin de tout le
mal qui m’entoure. La fatigue s’abat sur moi, mais mon sommeil n’est
pas serein. Je cale ma respiration sur celle d’Adriano dans l’espoir d’y
puiser le calme dont j’ai besoin afin de ne pas faire de cauchemar.
24

Adriano Alario

Angela se détend petit à petit dans mes bras. Je ne sais plus très
bien qui réconforte l’autre, mais je m’en fous. Je me sens plus calme
auprès d’elle, et je ne crois pas que ce soit une bonne idée, que je reste
seul en ce moment. Qui aurait pu prédire qu’elle serait ma bouée, au
milieu du tumulte qui torpille mon clan ? Il est évident que je ne
parviendrai pas à trouver le sommeil, avec le visage sans vie de ma sœur
qui s’imprime sous mes paupières, dès que je ferme les yeux.
– Tu dors ? Hasarde Angela, me tirant de mes pensées.
– Non.
– Tu veux bien me parler d’elle ? Me prie-t-elle en s’installant de façon
plus confortable contre moi.
– Comment ça ? Formulé-je, ne voyant pas bien ce qu’elle souhaite.
– Je ne sais pas, raconte-moi des anecdotes qu’elle n’aurait pas
voulu que je sache, m’explique-t-elle en traçant des cercles sur mon bras
avec son index.
Mes souvenirs d’enfance avec ma sœur me reviennent en mémoire,
mais sa disparition est encore trop fraîche pour que je puisse parler d’elle
au passé. Je me suis toujours senti invincible et puissant. Aujourd’hui, je
crains de ne pas réussir à me relever de la perte d’Aurélia. Elle était tout
pour moi, et je ne suis pas certain de vouloir continuer sans elle. Ni
même de le pouvoir.
– Aurélia a toujours été une véritable catastrophe en cuisine, lui
confié-je finalement.
Nous rions sans joie et Angela entrelace ses doigts aux miens.
Encore une preuve qu’elle comprend ce que je ressens. Parler d’elle, alors
qu’elle n’est plus là, c’est au-dessus de mes forces.
– Je m’en suis aperçue à mes dépens, raille-t-elle en remontant ses
caresses sur mon épaule.
– Elle était incapable de suivre la moindre la recette ou de faire cuire
un œuf, rajouté-je encouragé par la tendresse dont elle fait preuve.
– Je l’ai interdite d’entrée dans le laboratoire, sans moi, à partir du
jour où elle s’est trompée entre la farine et le sucre glace, et qu’elle m’a
confié ne pas être capable de les distinguer, me raconte-t-elle en levant
son visage vers le mien.
Des sourires tristes s’affichent sur nos visages alors que nous
ressassons les bons moments que nous avons passés avec elle. Mes
journées à venir vont être ternes maintenant que j’ai perdu mon rayon de
soleil. Angela pose sa main sur ma joue et ne me quitte pas du regard.
Son geste affectueux me tranquillise, mais me donne aussi envie de plus.
Nous sommes si proches l’un de l’autre que la distance à parcourir pour
l’embrasser est infime. J’ai envie d’oublier mon malheur dans la chaleur
d’Angela. Ses lèvres pourraient, peut-être, panser mes blessures ?
– Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant ? M’interroge-t-elle,
inquiète.
– Giacomo est notre leader et c’est à lui de s’occuper des motards,
éludé-je la question.
– Je ne te demande pas la version officielle Adriano, me réprimande-
t-elle en accentuant l’appui de sa paume contre ma joue pour me faire
réagir.
Je glisse ma main dans son dos pour la rapprocher plus encore.
– Il est hors de question que quelqu’un d’autre se charge de venger
ma sœur, affirmé-je d’un ton qui se veut menaçant.
Je regrette de m’adresser à elle de cette manière, mais la haine
gagne du terrain sur mon cœur, quand je pense à cet enfoiré de Marco,
qui a osé s’en prendre à la personne la plus pure qui soit.
– Promets-moi de faire attention à toi, exige-t-elle, après un court
silence.
– Je ne peux rien te garantir, souligné-je en passant ma main dans
ses cheveux, si je dois crever pour réussir à réhabiliter l’honneur de ma
famille, je le ferai sans hésiter.
– Elle n’aurait pas voulu que tu meures pour la venger, récapitule-t-
elle en connaissant bien ma sœur.
Depuis notre plus jeune âge, Aurélia me demande d’être prudent. Elle
a toujours eu peur, pour moi, dès que j’ai commencé à aller sur le terrain.
Ces paroles censées prouvent bien le lien qui les unissait toutes les deux.
Le regard d’Angela, toujours accroché au mien, et ses caresses du
bout des doigts dans mon cou, me font perdre le fil de mes pensées. Je
ne cherche pas à lutter plus longtemps. À quoi bon ? Je réduis les
quelques centimètres qui séparent nos lèvres pour lui déposer un baiser
léger. Son souffle chaud sur mon visage et son soupir de soulagement
sont une invitation à plus. Nous avons bien le droit d’oublier, quelques
secondes, ce qui nous entoure. J’apprécie à nouveau la douceur de ses
lèvres et c’est tout aussi délicieux que dans mes souvenirs. Sauf que
cette fois-ci, il y a le goût salé de ses larmes qui vient s’immiscer à notre
échange. Elle ranime mon cœur par la délicatesse de son baiser. Nos
bouches s’ouvrent et nos langues s’offrent tendrement. Mes mains
s’approprient sa longue chevelure blonde. Angela promène les siennes
sur mon torse, me déclenchant quelques frissons. Notre baiser
s’intensifie au même rythme que les gémissements de ma petite
pâtissière.
Mon attirance pour elle aurait tendance à me dire de continuer et
d’assouvir enfin mes désirs. Mais, je calme nos ardeurs en ralentissant la
cadence et en emprisonnant son visage dans mes mains. Je ne veux pas
qu’elle puisse penser, un jour, que j’ai profité de sa vulnérabilité. Je pose
mon front contre le sien et ferme les yeux pour apprécier les dernières
secondes de cet échange langoureux.
– Dors maintenant, lui ordonné-je.
Elle ne dit rien de plus, sachant sûrement, elle aussi, que ce n’est pas
une bonne idée de laisser les choses déraper. Si un avenir entre nous est
possible, je ne veux pas qu’il soit entaché par un mauvais démarrage.
Le jour se lève et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Je me suis repassé
en boucle l’épisode des événements qui viennent de bouleverser ma vie.
J’essaie de trouver une raison valable qui justifierait tout ce bordel. Mais,
je n’en trouve aucune. Enfin, à part, le pouvoir et l’argent. Il ne s’agit que
de ça en réalité. Aurélia est morte pour que Marco puisse posséder
Centori, et nous allons la venger pour garder notre ville, et par la même
occasion, nous emparer de son gang. Cela nous rendra encore plus
puissants. Celui qui sera à la tête de cette organisation aura plus de
pouvoir que quiconque n’en a jamais eu, dans tout le nord de l’Italie. Si
Giacomo réussit son coup en restant vivant, il y a de fortes chances pour
qu’il devienne cet homme-là. Et ce sera grâce à moi, et mes mauvaises
décisions, et non pas parce qu’il aura fait ses preuves.
Probablement à cause de mauvais rêves, Angela n’a pas arrêté de
gesticuler comme un ver de terre toute la nuit. Elle arrive à être chiante,
même en dormant. Bien entendu, à force de bouger, son peignoir s’est
entre-ouvert m’offrant un aperçu de sa féminité. J’ai fini par me lever et je
l’ai recouverte avec la couverture. Alors que je m’apprêtais à rejoindre ma
chambre pour ne pas me laisser tenter et faire une connerie, mon
téléphone a bipé.

** Rendez-vous à l’arbre où nous sommes devenus frères de sang

**
Quand Tony est arrivé dans ma famille, j’avais une petite sœur qui me
cassait les pieds à longueur de journée, alors j’étais plus que ravi de le
voir débarquer. Aurélia était très jalouse que je ne joue plus avec elle. Il
faut dire qu’elle avait déjà pour habitude qu’on ne lui refuse rien. Alors un
jour, elle lui a dit qu’il pouvait passer autant de temps avec moi qu’il le
voudrait, mais que je serais toujours son frère à elle, et non à lui.
Quelques heures plus tard, j’ai retrouvé Tony, assis seul, au pied d’un
arbre au fond de notre jardin. Je voyais bien qu’il était triste, alors je lui ai
dit qu’on pouvait devenir réellement frères en mélangeant notre sang. À
l’époque, mon couteau ne me quittait déjà pas. Nous nous sommes
tailladés chacun la paume de la main et les avons posées l’une contre
l’autre pour sceller notre pacte de fratrie. Les années ont passé, mais je
sais encore exactement où se situe cet arbre.
Tony est déjà là, une bouteille de whisky à la main et une clope au
bec. Il me tend la bouteille et je bois au goulot directement. L’alcool brûle
ma gorge et ravive le trou béant qui s’est formé dans ma poitrine.
– C’est parti, déclare-t-il avant de reprendre le liquide ambré pour se
rassasier à son tour.
– Quoi ? Déjà ? M’exclamé-je, surpris. Mais comment a-t-il su si vite
où ils créchaient ?
– J’en sais rien, Adriano. Et cet enfoiré n’a pas voulu de Batista ou
moi pour les accompagner, s’énerve Tony en envoyant valser un caillou
avec force.
– Il veut créer son propre cercle en évinçant les anciens et pouvoir
revendiquer tout le mérite de cette vendetta, fulminé-je en lui piquant une
cigarette, pour tenter de me calmer les nerfs.
– Giacomo prend des précautions aussi parce qu’on a une balance
dans l’équipe. S’il n’emmène que du sang neuf avec lui, il a moins de
risques que l’ennemi soit prévenu de son arrivée, commente-t-il en ayant
réfléchi à la question.
Ça me rend fou d’être ici, alors que ma place est à la tête de ce
commando, qui va détruire le gang de Marco. J’aurais voulu le regarder
droit dans les yeux avant de lui faire exploser la tête moi-même.
– Putain ! Pesté-je, hors de moi. Aucun moyen de savoir où il va avec
ses hommes ?
– Je me suis renseigné, mais il n’a pas dit à ses troupes où ils
allaient. Il est prudent parce qu’il sait que sinon tu vas débarquer, conclut-
il amer.
Giacomo agit vite, et j’espère qu’il aura pris assez de précautions, afin
de ne pas perdre trop d’hommes. Une innocente, et un père de famille, qui
a fait des mauvais choix dans la vie, ont déjà péri au nom de cette guerre
de gangs. Je tire une longue latte sur ma clope et laisse la nicotine agir
sur mes nerfs. Ce n’est pas très efficace, mais c’est tout ce que j’ai sous
la main. Je refuse d’abuser de l’alcool, car je veux rester en pleine
possession de mes moyens.
– Et la pâtissière alors ? Elle a un truc à se reprocher ou pas ? Me
questionne-t-il, sans trop y croire.
– Elle n’a rien à voir là-dedans, laisse tomber, répliqué-je pour clore
cette histoire de suspicions.
Ce qui est certain, c’est que cette pauvre fille est arrivée au pire
moment à Centori. Elle semble profondément atteinte par la mort de ma
sœur, et forcément ça me touche. Aurélia n’arrêtait jamais de parler d’elle
à la maison, Angela par-ci, Angela par-là. À force, j’avais l’impression
d’avoir passé ma journée avec elle. Elles s’étaient liées d’une amitié très
forte, en peu de temps.
– Qu’est-ce qu’on fait Adriano ? Batista attend aussi tes instructions
et on a une bonne vingtaine d’hommes qui ne répondent qu’à toi,
m’assure mon frère, prêts à tout si je décide de m’en mêler.
Je termine ma cigarette et l’écrase avec mon pied. De savoir que des
hommes me restent fidèles et attendent des instructions de ma part me
donne le coup de fouet dont j’avais besoin. Je viens de passer la nuit à
m’apitoyer sur mon sort, il est temps de laisser le Chef que je suis
reprendre le dessus.
– Pour le moment c’est trop tard, Giacomo a un coup d’avance sur
nous. On attend qu’il revienne, on n’a pas le choix. S’il échoue, on
montera notre propre équipe pour aller débusquer Marco. Mon père ne
s’y opposera pas, si c’est pour venger Aurélia, détaillé-je le plan à Tony.
– Ça marche. J’ai différé mon départ pour Rastori. Je veux en être
quand Marco tombera. Aurélia était ma sœur à moi aussi, se confie-t-il, le
regard au loin.
– Je sais, le rassuré-je. Est-ce que ma mère est à l’abri ?
– Oui, tout est réglé, ne t’en fais pas pour ça. Elle est accablée par le
chagrin et s’inquiète d’avoir laissé Falco dans son état, rajoute-t-il, dépité.
– Moi aussi, j’ai peur que tout ceci terrasse mon père. Raison de plus
pour régler ça au plus vite. Je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque
chose pendant son absence. Elle ne me le pardonnerait jamais.
Nous fumons encore, sans rien dire, puis nous rentrons à l’intérieur.
Tony a des choses à régler alors que de mon côté, je me sens inutile.
J’atterris dans ma chambre et décide de passer des vêtements
corrects. Je n’ai pas pour habitude de déambuler en tenue de sport. Je
me brosse les dents et me passe de l’eau fraîche sur le visage. Je
n’affronte pas mon reflet dans le miroir. Je ne trouve pas l’envie de me
raser, alors je fais l’impasse. Ça me ronge de n’avoir rien à faire, je rumine
et ressasse toute cette merde. À cause de moi, mon père va devoir
enterrer sa fille alors qu’il est lui-même en fin de vie. Il ne s’en ira pas de
manière sereine et passera ses derniers instants à pleurer sa petite fille.
Des crissements de pneus se font entendre dehors sur les graviers,
des portières qui claquent et des hommes qui entrent dans la maison. Je
préfère ne pas m’approcher des fenêtres pour vérifier qui vient d’arriver.
Je n’ai pas envie de me faire descendre aussi bêtement. Vu la situation,
je ne sais pas qui vient d’entrer, alors je préfère faire du zèle et me
montrer trop prudent. Je regarde discrètement dans le couloir, mais il n’y
a personne. Je m’y avance et frappe à la porte d’Angela. Je ne peux pas
la laisser seule, si jamais ce n’est pas Giacomo et ses hommes, qui sont
revenus. Les motards sont capables du pire en ce qui concerne la gent
féminine. Dès qu’elle ouvre la porte, je pose mon index sur ma bouche
pour lui signifier de garder le silence. Son visage pâlit et je ne suis pas
certain qu’elle supporte une nouvelle scène de violence à peine vingt-
quatre heures après la précédente. Je lui fais signe de me suivre et de
rester derrière moi. J’envoie un rapide sms à Tony et Batista

** Emergenza Casa **

Que ce soit Giacomo ou Marco qui soit sorti vainqueur de cette


bataille, un tournant important pour le futur du gang va avoir lieu. Ils
doivent donc être présents. Dans la cuisine, une victoire est en train
d’être fêtée. Les sons des verres qui s’entrechoquent en sont les témoins
ainsi que les cris masculins qui résonnent. Rassuré en entendant la voix
de Giacomo, j’entre dans la pièce. Le silence se fait immédiatement
quand les membres du gang m’aperçoivent. J’étais encore leur Chef, il y
a quelques heures. Mon cousin vient seulement de prendre ma place. Ils
ne savent pas encore à qui ils doivent leur loyauté.
– Adriano, j’allais venir te chercher, se réjouit Giacomo en me tendant
un verre, nous buvons à la mémoire d’Aurélia. Tu peux considérer qu’elle
a été vengée.
J’accepte son verre et fixe ses hommes qui attendent tous une
réaction de ma part. Je leur inspire toujours de la peur et ils ont bien
raison d’être sur leurs gardes. Tout ça, va vite, trop vite.
– Tu as tué Marco et les trois hommes de la pâtisserie ? Lui
demandé-je confirmation.
Angela se tient à mon bras et sa prise se resserre quand elle
m’entend évoquer les hommes qui l’ont terrorisée, pas plus tard qu’hier.
– Marco était l’un des trois, et oui ils sont tous morts, m’assure-t-il
d’un ton victorieux.
Je ravale ma salive et ma bouche se tord durement. La mort d’Aurélia
est trop fraîche pour que je puisse me réjouir qu’elle soit vengée.
J’enrage de ne pas avoir tué Marco de ma propre main. C’était à moi que
revenait ce droit.
– Pourquoi ne m’as-tu pas prévenu pour que je puisse vous
accompagner ? Tenté-je d’en apprendre plus pour comprendre les
raisons de mon exclusion et celle de mon cercle.
– Tout s’est passé très vite Adriano, j’avais un coup à jouer pour les
prendre par surprise. Je ne devais pas courir le risque de perdre de
temps.
Je regarde toutes les personnes dans la cuisine. On a l’impression
que l’action d’un film est sur pause. Plus personne ne bouge et la tension
est palpable. Soit je pète un câble, soit j’accepte la situation.
– Tu as eu le temps de prévenir tous ceux présents ici, mais pas
moi ? M’exclamé-je en scrutant la foule.
Je veux qu’il avoue, les yeux dans les yeux, qu’il ne voulait pas de moi
sur l’opération. S’il veut la place du Chef, il va falloir qu’il assume, haut et
fort, ses choix. Ce n’est pas une partie de plaisir tous les jours de diriger
un clan. Il faut avoir l’aplomb nécessaire pour exprimer ce que l’on pense
même si ça ne fait pas plaisir à son interlocuteur.
– Putain Adriano, il fallait venger la famille et ta sœur. C’est tout ce
qu’il comptait. On vient de risquer nos vies, certains sont blessés et toi tu
viens nous faire chier parce qu’on ne t’a pas prévenu, s’emporte-t-il,
soudainement.
Angela passe une main le long de mon dos et caresse mon avant-
bras. Elle doit ressentir que je suis au bord de l’implosion. Tony et Batista
débarquent accompagnés des membres qui restent à ma botte. À nous
voir tous comme ça, avec Giacomo et moi au milieu, chacun à la tête d’un
groupe d’hommes, on pourrait croire que nous ne faisons pas partie du
même gang. Je tourne mon regard vers Angela qui esquisse un sourire
timide. Elle me montre le verre des yeux pour me dire de le boire. Ai-je
vraiment le choix ? Le gang devait laver l’honneur d’Aurélia et c’est fait.
C’est tout ce qui importe. Le clan Alario avant tout. J’ai merdé et je dois
admettre que Giacomo a fait le boulot demandé.
– À Aurélia, scandé-je en levant mon verre vers l’équipe de Giacomo.
Tout le monde reprend en chœur le prénom de ma sœur.
Ce geste me coûte, mais je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.
J’avais promis à ma sœur qu’elle ne craignait rien, que je la protégeais.
Mais je n’ai pas été à la hauteur. Alors, je ne mérite plus d’être celui qui
dirige notre clan.
25

Angela Alessi

Adriano s’est changé et ses muscles tendus menacent de déchirer le


tissu de sa chemise. Ma main sur son poignet, je sens son pouls
s’emballer au fur et à mesure de la conversation avec Giacomo. Il faut
dire que mes phalanges sont bien enfoncées dans sa peau. Tous ces
hommes me font peur et il y a trop de testostérone au mètre carré dans
cette cuisine. J’ai la désagréable sensation de rejouer une version, avec
plus d’acteurs, de la tragédie d’hier.
Nous finissons en comité restreint au salon avec chacun un verre à la
main. Je suis la seule femme de l’assemblée et je ne me sens pas à ma
place. Après tout, je ne fais aucunement partie de leur clan. Je n’ai même
pas été fichue de leur payer ce que je devais. Je n’ai pas prononcé un
seul mot depuis qu’Adriano est venu frapper à ma porte, arme à la main.
De toute façon, je n’ai rien à dire. J’analyse la situation et tente d’évaluer
le degré d’importance de chacun. Mon gangster essaie de faire bonne
figure, mais je vois qu’il menace d’exploser à tout moment. Si la mort
d’Aurélia ne l’avait pas anéanti, le fait de ne pas avoir ôté lui-même la vie
à Marco s’en est chargé. Giacomo nous a expliqué qu’il faisait partie du
groupe qui était venu à ma boutique. J’en ai conclu que ce devait être lui
qui m’a fait passer le message pour Adriano. Je sais que c’est mal de se
faire justice soi-même, mais je ne vais pas pleurer sur la mort de ce chien
qui a abattu de sang-froid ma meilleure amie.
– Des jeunes membres du gang sont en train de taguer partout notre
A sur le territoire de Marco, nous annonce fièrement Giacomo. J’ai déjà
fait passer le message chez les motards que demain soir aurait lieu une
réunion pour leur donner les nouvelles directives de notre gang.
Il a les dents longues celui-là et m’a l’air prêt à écraser ceux qui se
mettraient en travers de son chemin. L’exécution de sa cousine à l’air
d’être déjà un lointain souvenir pour lui. Adriano m’a servi un verre de
whisky, mais j’y trempe seulement le bout des lèvres. Cet alcool est trop
fort et je n’en apprécie pas le goût sur mon palais. J’aurais bien bu un
mojito en souvenir d’Aurélia, mais je n’ai pas osé demander.
– Je me pose quand même une question Giacomo, l’interpelle Tony,
comment as-tu su où trouver si vite Marco et le surprendre, alors qu’il
devait forcément savoir qu’on chercherait à le tuer ?
– Tu sais, se félicite-t-il toujours plein d’orgueil, je gère les mecs de ce
gang depuis des années. Nous sommes réputés pour être une
organisation qui prend soin de ses hommes et nombreux sont ceux à
vouloir nous rejoindre. J’ai mis la pression où il fallait et j’ai fait jouer mes
connaissances.
Je regarde ce type se pavaner et tirer profit de la mort d’Aurélia. Il
marcherait sur sa tombe si ça pouvait lui permettre de se hisser encore
plus haut. Il n’était pas aussi bavard autour de la table au mariage. Je me
rappelle l’avoir vu parler avec Aldo, ce jour-là, justement. Mon cerveau
surchauffe face à toutes les interrogations que ce souvenir vient de faire
naître dans mon esprit.
– Adriano ? L’interpellé-je à voix haute, ce qui a pour conséquence
d’attirer l’attention de tous les hommes présents dans cette pièce.
Je déglutis difficilement et pèse mes mots avant de reprendre la
parole.
– Qui était au courant de l’identité de celui qui t’a prévenu qu’un coup
se montait contre ton gang ?
– Pourquoi veux-tu savoir ça ? S’enquiert-il, perplexe.
L’homme qui assure sa sécurité, Tony je crois, n’apprécie pas mon
intervention. Je me lève ne supportant pas d’être assise alors que j’ai
l’impression de mettre la main sur une information capitale. Je fais
quelques pas qui résonnent plus que de raison dans ce silence. Tout le
monde attend que je m’explique. J’ai peur d’être allée trop vite en
besogne.
– Pourrais-tu juste répondre à ma question, s’il te plaît ? L’imploré-je,
le cœur battant de peur de faire fausse route.
– Il n’y avait que Tony et toi.
Durant un instant, je suis KO. Je réalise que j’aurais pu éviter ce
drame. Si seulement, j’avais dit à Adriano que je les avais vus ensemble.
Dans un second temps, je perds pied quand je me tourne vers cet enfoiré
qui ose encore mettre les pieds dans cette maison.
– C’est toi, l’accusé-je en le pointant du doigt.
– Adriano, tu ferais bien de tenir ta pouffe, prévient-il en me jetant un
regard mauvais.
– Angela, qu’est-ce que tu fais ? M’engueule Adriano en voulant
m’attraper le bras pour m’empêcher d’avancer vers son cousin.
J’esquive son geste et continue ma route vers l’enflure que j’ai dans
le collimateur. À cet instant, je revis mes envies de meurtre que j’avais
envers mon père certains soirs.
– Le soir du mariage, j’étais dehors et je t’ai vu discuter avec Aldo,
m’adressé-je à lui en le tutoyant puisqu’il ne s’est pas embêté de
formules de politesse à parlant de moi à Adriano.
– Je ne connais pas cet Aldo, feinte-t-il nonchalamment en haussant
les épaules, tu dois confondre de personne, chérie.
Un rire sarcastique me prend à la gorge.
– C’est ça ta défense ? Ce n’est pas moi ? Tu parles d’un chef en
devenir, lui craché-je au visage. – Puis, je me tourne vers Adriano. – Je
l’ai vu avec Aldo le soir du mariage de ta cousine. C’est lui l’homme dont
il te parlait, qui complotait contre toi. Ça explique que Marco savait
quand Aurélia se retrouverait sans protection et comment il a fait pour le
débusquer si vite.
Avant que je ne comprenne ce qu’il se passe, Giacomo m’a attrapée
par les cheveux et m’a tirée vers lui. Durant ces quelques secondes, tous
les hommes ont dégainé leurs armes et pointent la personne en face
d’eux. Adriano braque Giacomo qui a posé le canon de son flingue sur
ma tempe. L’odeur fétide de son haleine alcoolisée me revient en plein
nez, additionnée à la peur qui me foudroie les tripes, je suis sur le point
de vomir. La fraîcheur de son arme sur ma peau me tétanise. Aveuglée
par ma rancœur, je n’ai pas réfléchi aux conséquences de mes paroles.
Tout ça va finir dans un bain de sang. Il n’y aura pas de vainqueurs,
seulement des morts.
– Ta réaction te trahit Giacomo, crache Adriano avec dégoût.
Je sens qu’il resserre sa prise autour de mon cou et son geste me fait
très mal à la gorge.
– Baisse ton arme Adriano, ordonne fermement sa voix tout contre
mon oreille.
– Qui crois-tu menacer là, cousin ? S’exclame-il tranquillement en
esquissant un sourire contrarié.
– Des années que je trime à faire ton larbin sans aucune
reconnaissance de ta part, tempête-t-il en colère, et c’est seulement
aujourd’hui que tu te rappelles que je suis ton cousin !
– Mon larbin ? Tu es le référent de tous les hommes qui sont à nos
ordres. Que veux-tu de plus ? Le questionne Adriano, interloqué.
Il pointe maintenant son arme vers Adriano, mais resserre encore sa
clé de bras autour de mon cou. Mes deux mains tirent vainement sur son
avant-bras pour tenter de l’écarter. J’ai du mal à respirer, mais il ne fait
même pas attention à moi. Je lui sers simplement de bouclier humain.
– Ta confiance bordel ! Aboie-t-il en me postillonnant dessus.
Je tente de calmer mon esprit pour trouver une solution ou une issue
pour m’en sortir. Il me faut anticiper la suite des événements. Où est-ce
que je pourrai me cacher des balles, si par chance Giacomo me lâchait ?
Je ne parviens pas à tourner correctement la tête à cause de son bras
serré qui bloque mon menton, mes pieds sont un peu trop surélevés du
sol.
– Mais qu’est-ce que tu racontes putain ! C’est quoi ces conneries ?
hurle Adriano à son tour.
– Les seuls que tu as laissé entrer dans ton cercle intime ne sont
même pas des Alario, explique Giacomo avec écœurement en jetant un
œil aux deux hommes qui l’entourent.
– Va te faire foutre espèce d’enfoiré, l’insulte Tony qui se sent atteint
par ses mots blessants.
– L’orphelin s’énerve ? Comme c’est attendrissant ! Rigole Giacomo.
Regarde qui tu as laissé pénétrer dans les hauts rangs de notre gang, un
putain de gosse de camé, Adriano !
– Parce que tu crois que tu vaux mieux que moi en t’en prenant à des
femmes ? Le nargue l’homme de main.
– Je suis un Alario de sang et ma place n’a pas à être en dessous de
toi, s’énerve Giacomo encore un peu plus, si cela est possible.
Personne ne baisse les armes. Toutes les personnes de cette pièce
tiennent en joue celle d’en face. Sauf moi, je vais être le dommage
collatéral dans cette histoire. On pourra lire dans les journaux qu’un
règlement de compte a eu lieu et a fait des dizaines de morts de chaque
côté. Je suis tellement insignifiante que mon nom ne sera même pas
cité.
– Et Aurélia méritait de mourir à cause de ton problème d’ego ? crie
Adriano fou de rage, tu as tué ta propre cousine. C’est bien du sang Alario
qui a coulé sur le sol de cette pâtisserie !
Son étreinte se relâche un peu et il baisse son arme de quelques
centimètres, mais je le protège toujours d’un éventuel tir d’Adriano. Mes
larmes ne tarissent pas et déferlent à grands torrents. Il va falloir
qu’Adriano prenne le risque de me toucher s’il veut en finir.
– Marco ne devait pas la tuer, elle ! Jamais je n’aurais accepté ce
deal, assure-t-il hors de lui, mais cet enfoiré n’a pas respecté le plan.
– Et c’était quoi le marché, Giacomo ? Explique-nous, l’incite Batista
d’une voix trop calme.
Je comprends qu’il essaie de gagner du temps pour nous extirper de
cette situation, mais je ne vais pas tenir encore longtemps. Je me
demande si je pourrais le mordre pour m’échapper de son emprise, mais
le bas de mon visage est maintenu trop haut par son bras. Je suis
submergée par la peur et la mort imminente qui se profile à l’horizon.
– C’est elle qu’ils devaient tuer pour effrayer Aurélia, avoue-t-il en
enfonçant son arme à feu sur ma tête. J’ai bien vu que vous vous
tourniez autour et je sais que tu as été indulgent envers elle pour le
règlement du pizzo.
Savoir qu’Aurélia est morte à ma place m’enfonce encore plus dans le
trou de mon désespoir. Si seulement Marco avait respecté le plan de
départ, nous n’en serions pas là, aujourd’hui. Il n’y aurait qu’Aurélia qui
souffrirait de ma perte, pas toute sa famille.
– Tu vois Cousin, c’est exactement pour cette raison que tu es resté
tout en bas de l’échelle de cette famille, lui assène Adriano, tu es trop
crédule. On peut te faire gober n’importe quoi.
S’il lui dit ses quatre vérités, c’est qu’il sait que nous sommes foutus.
Ma plus grande peur arrive. Les balles vont être échangées, d’un côté
comme de l’autre. Je songeais que lorsque serait venue ma dernière
heure, je penserais à toi ma sœur et au bonheur de te rejoindre, enfin.
Mais en vérité, j’imagine aussi tout ce dont je n’aurai pas eu le temps de
profiter, en couvant Adriano d’un dernier regard.
26

Adriano Alario

Tout s’est passé à une vitesse irréelle et nous voilà dans une
impasse. Il est hors de question que je baisse mon arme face au
complice du meurtrier de ma sœur. Rien à foutre que ce n’était pas le
plan originel. Aucune excuse n’est valable pour avoir causé la mort
d’Aurélia. Cette mauviette se sert d’Angela pour que je ne puisse pas
l’atteindre. Mais je jure qu’il ne va pas s’en sortir comme ça. Je vise très
bien et au premier écart, je lui troue la peau.
– Tu peux bien penser ce que tu veux, maintenant, ça n’a plus
d’importance. J’ai un gang à mes ordres et je n’ai pas besoin de toi, me
fustige mon cousin.
– Tu es encore plus naïf que je le croyais, si tu penses pouvoir sortir
d’ici, autrement que les pieds devant ! Le menacé-je.
– Personne ne mourra sous mon toit ! Tonne la voix grave de mon
père.
Il est debout à l’entrée du salon. Malgré la maladie et sa perte de
poids, il est encore très imposant par sa taille. Mon père a toujours
dégagé un charisme à vous chier dessus. Il fait peur en étant lui, tout
simplement.
– Baissez tous vos armes, nous ordonne-t-il.
Que ce soit mes hommes ou ceux de Giacomo, ils obtempèrent.
Personne n’ose désobéir aux ordres de Falco Alario. Il est celui qui a créé
notre gang et sa réputation le précède. Giacomo a toujours son flingue
pointé sur la tempe d’Angela alors je garde encore le mien dans sa
direction. Elle semble terrorisée et je veux mettre fin à son calvaire le plus
vite possible. Me reviennent en mémoire les paroles de ma mère
« Prudence est mère de sûreté ». Mon père s’approche d’une démarche
lente, mais décidée. Il pose sa main sur mon avant-bras et le baisse.
– Ne crains rien mon fils. Giacomo a conscience qu’il a déjà fait trop
mal comme ça. Il ne fera rien à cette jeune femme, m’assure-t-il, serein.
Sa voix est douce et me donne envie de le croire. Il se tourne à
nouveau vers les membres du gang présent.

– Je ne le dirai qu’une seule fois. Peu importe, que ce soit Adriano, ou
Giacomo qui dirige. Il n’y a qu’une seule équipe dans ma maison. Alario
de sang ou Alario de cœur, il n’y aucune différence à mes yeux. Soit, vous
êtes avec nous, soit vous êtes contre nous. Est-ce bien clair pour tout le
monde ?
Des « oui » se font entendre ici et là et la tension redescend en partie.
Mon père dirige ensuite son attention sur mon cousin.
– Quel gâchis mon neveu, se désole-t-il. Ta jalousie aura coûté la vie
de ma petite fille.
– Falco, mon oncle, je suis tellement désolé qu’Aurélia soit morte, se
lamente-t-il. Mais crois-moi, Marco a eu ce qu’il méritait. Il m’a laissé
entrer avec quelques hommes là où il se planquait avec ses membres
influents. Il ne s’est pas méfié pensant que je lui ramenais Adriano sous
bonne escorte. Quand il a compris, il était déjà trop tard et nous les avons
tous liquidés.
– La mort d’Aurélia ne peut être compensée par la mort d’autres
personnes, quelles qu’elles soient, gronde mon patriarche.
Giacomo baisse un peu plus sa garde à chaque échange. Le calme
olympien de mon père déteint sur lui. Ma pauvre Angela n’a pas cessé de
pleurer et elle est complètement dépassée par les tournures des
événements. Elle respire un peu mieux, mais mon cousin la garde encore
fermement contre lui.
– Je ne voulais pas que les choses se passent ainsi, jure ce traître.
– Il est trop tard maintenant, le mal est fait et tu ne peux pas revenir
en arrière. Ton père, l’homme le plus loyal que j’ai connu, doit se retourner
dans sa tombe en sachant que tu as fait tuer ta cousine, lui assène
froidement mon père.
– Laisse-le en dehors de cette histoire, s’énerve Giacomo, qu’on
puisse évoquer son paternel.
– Et ta mère ? Tu as songé à elle ? Que pensera-t-elle quand elle
apprendra que sa nièce préférée est morte d’une balle que son fils a
pratiquement tirée, lui-même ? Tu as réfléchi à ce qu’elle deviendra au
sein de notre famille. Tu sais que nous ne protégeons pas les proches
des traîtres.
Il menace ma tante, la femme de son propre frère. C’est ainsi qu’il est
devenu si redouté. Il ne laisse jamais ses émotions ou ses sentiments
prendre le dessus. Ai-je l’étoffe pour devenir un homme si froid quand
cela s’avérera nécessaire ?
– Tu n’oserais pas laisser tomber Mama ! crie-t-il en agrippant à
nouveau Angela qui grimace sous la douleur.
Papa agit et vite parce que ça dure depuis trop longtemps. Angela est
à bout et j’ai peur qu’elle tente quelque chose de stupide, à force de
désespoir.
– Je vais te proposer un deal Giacomo. Tu sais que je ne le fais pas
souvent alors réfléchis bien avant de te décider, annonce-t-il, toujours
aussi calmement.
Mon cousin a l’air prêt à écouter, c’est plutôt bon signe. Je ne sais
pas quel est le plan de mon père et ça prouve encore une fois que je ne
suis pas à la hauteur. Je n’ai aucune idée de comment désamorcer cette
impasse.
– Si tu ne te rends pas de ton plein gré immédiatement, Adriano va
t’abattre comme tu le mérites. C’est-à-dire comme un chien. J’ai perdu
ma fille hier, alors tu peux bien tuer celle derrière qui tu te caches comme
un lâche, ça m’est bien égal. Ensuite, je balancerai ton corps calciné
devant la porte de ta mère et tout le monde saura que tu es un traître. Tu
connais les répercussions que cela engendrera sur sa vie.
Cet enfoiré me regarde et je me retiens de ne pas lui sauter dessus
pour lui régler son compte tout de suite. Il tient mon nouveau point faible,
qui tressaille dans ses bras et ça me rend fou d’être impuissant. Angela
arbore un teint livide et je ne lui donne pas longtemps avant de nous faire
une crise d’hystérie.
– Par contre, si tu te rends sans esclandre et laisses la demoiselle
tranquille, je veux bien faire croire à ta mère que tu es parti avec les
honneurs, en essayant de venger Aurélia. Elle ne saura jamais rien et tout
ceci restera entre nous.
Quoi ? Mais c’est du délire ! Je refuse que l’on puisse croire qu’il ait
été un quelconque héros à un moment dans l’histoire. Mon père sent que
je me tends et il pose une main sur mon épaule pour me retenir.
– Il faut te décider mon neveu, conclut mon père.
Dans la pièce, les hommes retiennent leur souffle dans l’attente de la
réaction de Giacomo. Nous avons tous une main sur nos armes au cas
où. Puis, tout doucement, Giacomo détend son emprise sur Angela. Tony
et Batista s’empressent de lui sauter dessus et de lui faire perdre son
arme. J’attrape son otage dans mes bras et la fais sortir de la pièce pour
l’emmener loin de cette ordure. Je la porte dans les escaliers menant à
ma chambre et j’ouvre la porte. Je l’assois au bord du lit et m’accroupis
entre ses jambes. Tout son corps est pris de tremblement et son visage
est ravagé par ses pleurs.
– C’est fini Angela, j’essaie de la rassurer. Regarde, il n’est plus là,
tout va bien.
Elle est mal en point, mais n’a pas l’air en état de choc comme à la
pâtisserie. Je sais que je suis attendu en bas par mon père et mes
hommes, mais je n’arrive pas à la quitter. Comment la laisser, alors
qu’elle est dans cet état ? Je voudrais pouvoir faire comme hier et la
cajoler dans mes bras jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Mais, ma famille
aura toujours ma priorité.
– Je dois rejoindre mon père et les autres, annoncé-je pour qu’elle
comprenne que je dois partir.
Elle attrape mes mains pour me retenir.
– Non, ne me laisse pas seule, s’il te plaît, me supplie-t-elle.
J’ai conscience que j’agis mal, mais je n’ai pas le choix. Elle m’en
voudra sûrement et me le reprochera, le moment venu.
– J’aimerais rester, mais je ne peux pas, m’excusé-je, désolé.
Elle paraît comprendre et à contrecœur relâche mes mains. J’en
profite pour prendre son visage entre mes paumes et l’embrasser dans
une dernière tentative pour la rassurer. L’instant est trop court, mais j’en
avais besoin, également. Je ne pouvais pas partir, sans ça.
– Je reviens vite, lui assuré-je, juste avant de l’abandonner sur mon lit
et de fermer la porte de ma chambre derrière moi.
En rejoignant le gang, j’en profite pour appeler Julia et lui demander
de venir s’occuper d’Angela. Elle est la mieux placée pour la comprendre
et l’épauler jusqu’à ce que je revienne. Dehors, les moteurs des voitures
sont déjà allumés et le convoi n’attend plus que moi. Je grimpe dans la
mienne en me mettant au volant. Giacomo est à l’arrière entre mes deux
hommes de main et mon père côté passager. Deux voitures devant nous
ouvrent la marche et deux autres la referment. Personne ne parle. Tout a
été dit. Nous arrivons à la frontière qui délimite le territoire du gang des
motards du nôtre. Des jeunes membres sont là et montent la garde, l’air
de rien. Tony et Batista descendent de voiture avec Giacomo menotté.
– Papa, viens avec nous, exigé-je voyant qu’il n’ouvre pas sa portière.
– Non fils, c’est à toi de le faire. Les mots ont dépassé ma pensée à
cause de la peine que j’ai ressentie. À cause de mon comportement, j’ai
failli perdre mon fils, aussi. Tu ne dois pas te reprocher la mort de ta
sœur. Tu n’y es pour rien. Par contre, tu dois la venger, alors va montrer à
ces salopards en moto qui est leur nouveau chef et de quoi il est capable,
m’ordonne-t-il, d’une voix vengeresse.
Nous échangeons un regard qui en dit plus que n’importe quel mot.
Je descends seul de la voiture. Je reboutonne tranquillement ma veste
en regardant autour de moi. Les jeunes bikers ont déjà alerté quelques
membres de leur gang. C’est bien, exactement ce que j’attendais d’eux,
qu’ils se rassemblent. Nous nous approchons de la ligne imaginaire qui
sépare nos deux clans. Je pousse Giacomo, toujours, entre eux et nous.
– Savez-vous qui je suis ? M’adressé-je à l’assemblée d’hommes,
d’une voix forte pour m’assurer qu’ils sont tous attentifs.
– Ouais, tu es Adriano Alario, répond un type sur la gauche d’un air
dédaigneux.
Je sors mon Glock et lui tire dessus, dans son genou droit. Ses
acolytes ont le bon sens de ne pas répondre et restent simplement
stupéfaits en regardant leur pote au sol se plaindre comme une fillette.
– Réponse incomplète, crié-je plus fort. Je suis Adriano Alario ET je
suis votre nouveau Chef.
Les gars se lancent des regards courroucés, mais ne bronchent pas.
Ils ne doivent pas savoir comment se comporter, vu que la rumeur doit
commencer à circuler que le clan Alario a dégommé leur chef Marco. Je
vais leur faciliter leur choix d’options.
– Je suis venu pour me présenter comme il se doit et vous montrer
ce qu’il arrive à ceux qui se mettront en travers de mon chemin.
Je pointe mon arme sur mon cousin et sans une once d’hésitation, je
lui tire une balle en pleine tête. C’est pour Aurélia. Il s’écroule d’un seul
coup au sol et le silence se fait. Je ne me sens pas mieux. La perte de ma
sœur n’est pas effaçable. Mais, au moins, la justice de la rue aura été
faite. Nous ne croyons qu’en celle-ci, et nous la rendons, sans hésitation,
quand cela s’avère nécessaire.
– Je vous laisse passer le message au sein du gang, formulé-je avant
de remonter en voiture.
Instinctivement, Tony prend le volant et je vais à l’arrière avec Batista.
Nous reprenons la route vers la maison sans un regard pour notre cousin
gisant au sol. Les flics finiront pas venir le ramasser et l’emporter à la
morgue.
– Je suis fier de toi Adriano, tu règnes en Maître maintenant sur tout
le nord de l’Italie, me félicite mon père.
J’aurais préféré que ma sœur soit encore de ce monde plutôt que de
recevoir ce titre, mais je ne peux pas les échanger. Je n’éprouve pas de
satisfaction personnelle à être l’homme le plus puissant à plusieurs
kilomètres à la ronde. Je n’ai pas voulu cette distinction. Je n’ai rien
demandé. Mais je ne compte pas laisser ma place à quelqu’un d’autre.
27

Angela Alessi

Je voudrais le supplier de ne pas me laisser. Pas maintenant que je


connais le réconfort au creux de ses bras. C’est exactement de ça, dont
j’ai besoin, là tout de suite. Qu’il me rassure en me gardant contre lui, qu’il
me promette que tout est terminé.
Mais, sa priorité est ailleurs. Son gang et l’honneur de sa famille ne
peuvent pas attendre. Je ne dois pas oublier que je ne suis rien pour lui.
Nous nous sommes embrassés c’est vrai, mais c’était juste dans des
moments de faiblesse et de tristesse profonde. Est-ce que ça compte ?
Des coups donnés à la porte me sortent brusquement de mes
pensées.
– Ouvre, c’est Julia !
Le contact est plutôt mal passé entre nous au mariage. Je me
demande bien pourquoi elle est là. Je me lève du lit et vais lui ouvrir. Elle
tient dans une main une bouteille que j’identifie comme étant de la vodka
et dans l’autre des canettes de Redbull.
– Euh… salut, bégayé-je, faute de savoir quoi lui dire.
– Vu ta tête, j’ai bien fait de prendre avec moi, de quoi nous remonter
le moral !
Elle se met à ouvrir les tiroirs du bureau d’Adriano et en sort deux
grands verres.
– J’étais certaine qu’il en aurait dans sa chambre, se gargarise-t-elle,
fière de sa trouvaille. Ça m’aurait embêtée d’aller dans la cuisine avec
tout ce monde.

Elle verse généreusement de la vodka dans les verres puis la boisson
énergisante, avant de m’en tendre un. Nous trinquons sans un mot et je
laisse le liquide fort apaiser mes douleurs intérieures.
– Giacomo alors, c’est vraiment lui ? M’interroge-t-elle, comme si je
pouvais encore dissiper un malentendu.
Je lui fais signe que oui et m’abreuve encore de son mélange. Elle
pousse un soupir de désolation en prenant place sur le lit.
– Elle va tellement me manquer, confie-t-elle.
– Oui, à moi aussi, avoué-je en prenant place à ses côtés.
Un silence s’installe entre nous, sans qu’il soit dérangeant. Elle doit
être comme moi et ressasser ses souvenirs avec notre amie perdue.
– Je peux te demander quelque chose, Julia ? Osé-je, d’une voix
timide.
Elle me regarde en attendant ma question.
– Qu’est-ce que tu insinuais au mariage quand tu as dit que l’arrivée
de Falco Alario avait été bénéfique à Centori ?
Son visage arbore un demi-sourire et elle vide son verre d’une traite.
– Sors ta boîte de mouchoirs parce que tu as l’air du genre à chialer
sur les histoires sordides et c’est exactement ce que je vais te raconter,
m’annonce-t-elle calmement en s’allongeant sur le lit, en gardant ses
pieds au sol.
Ses yeux se voilent et son air s’attriste, sous le coup des souvenirs
qui remontent à la surface.
– J’avais treize ans quand nous sommes venues habiter à Centori
avec ma mère. Plusieurs gangs sévissaient dans le coin. J’ai vite compris
que je n’avais pas le choix, il fallait que j’en intègre un. Nous n’avions pas
d’homme avec nous pour nous protéger. C’était ça ou une mort assurée.
J’ai bien entendu choisi celui qui était le plus étendu géographiquement
dans le coin. C’était le gang 18. J’ai dû passer tout un rite d’initiation pour
prouver ma loyauté.
Elle inspire pour remplir ses poumons et souffle un grand coup avant
de reprendre.
– Dix-huit épreuves sont à réussir pour prétendre être une des leurs.
Les premières ne sont pas très difficiles. Voler quelque chose, frapper
quelqu’un gratuitement, faire le messager ou le passeur pour des
transferts de drogue. Ensuite ça se corse. L’une des épreuves est de se
laisser frapper par dix-huit membres du gang pendant dix-huit secondes.
Je tressaille l’imaginant se faire battre par autant de personnes, en
même temps.
– Mais, c’est une épreuve uniquement pour les garçons, me rassure-t-
elle avant de continuer. La version féminine de cette épreuve est de
coucher avec dix-huit membres du gang. Et je te le donne en mille, tu as
dix-huit jours pour réaliser l’épreuve.
Son air calme ne me trompe pas. Elle lutte contre ses démons du
passé et ne veut pas les laisser la submerger. Je me retiens de lui
demander si elle a passé cette épouvantable épreuve, en étant si jeune.
– J’en étais à la moitié quand j’ai entendu parler de Falco Alario,
comme d’un type correct, qui refusait de se servir des gosses. Je me suis
dit que je n’avais plus rien à perdre, en allant le voir, pour tenter de me
sortir du merdier dans lequel je m’étais fourrée. Il m’a écoutée sans
jamais m’interrompre et m’a fait raccompagner chez moi. Le lendemain,
dix-huit membres du gang 18 étaient morts et la majorité, des jeunes,
comme moi, avons rejoint le clan de Falco anéantissant le gang à son
profit.
– Je ne sais pas quoi te dire tellement tout ça est horrible.
– Ne t’inquiète pas, c’est derrière moi tout ça, maintenant. En réalité
au mariage, je voulais te rassurer et te faire comprendre de ne pas trop
craindre ces gros durs. Adriano ne fera jamais réellement de mal à une
femme innocente, au sens strict du terme. Mais, quand tu as insinué que
je n’avais peut-être jamais connu la violence, j’ai pété un plomb.
La honte s’abat sur moi quand je repense à ce que je lui ai dit,
maintenant que je connais une infime partie de son passé.
– Je suis sincèrement désolée pour mes propos, m’excusé-je,
embarrassée.
Elle me fait un geste de la main pour me faire comprendre que c’est
oublié.
– Mais, en quoi être dans le clan des Alario est différent ?
Elle a l’air ouverte à la discussion alors je tente ma chance, pour en
apprendre plus. J’ai besoin de savoir pourquoi Aldo a fait confiance au
chef du gang ennemi du sien. Et pourquoi ces jeunes, dont Julia, ont fait
confiance au père d’Adriano par le passé.
– Pour Falco, faire partie de son clan, c’est être un membre à part
entière de sa famille. Quand nous l’avons rejoint, il nous a obligés à
retourner étudier et nous a interdit de participer, à quoi que ce soit, avant
d’avoir seize ans.
Le père Alario serait donc un exemple d’éducation.
– Je sais ce que tu penses Angela, certifie-t-elle en voyant ma moue
dubitative, ça reste un gang, du trafic et des morts. Tu as raison, mais
c’était déjà là, avant l’arrivée de Falco. Alors à choisir, je préfère que ce
soit lui à la tête de tout ça, qu’un autre qui menace de tuer tes enfants si
tu ne vends pas de la drogue pour lui. Ou pire, si tu ne te prostitues pas
pour le gang.
Tout se mélange dans ma tête. En réalité, les Alario sont l’inverse de
ma famille. Les méchants sur le papier, mais pas complètement en
réalité, et j’ai du mal à l’assimiler.
– Pour en venir à celui qui t’intéresse, me taquine Julia, Adriano veut
aller plus loin et il a déjà commencé.
– Comment ça ? Me renseigné-je précipitamment, ce qui la fait
sourire.
– Il veut créer une association qui serait financée par le gang. Elle
servirait à aider les familles des membres, qui se retrouveraient seules
durant l’incarcération, ou suite au décès d’un des nôtres, pour payer les
études des gosses qui en ont besoin, m’explique-t-elle très sérieusement.
– En fait, il veut reprendre le système légal des aides familiales qui
existe déjà, mais en l’alimentant lui-même, constaté-je, ce qui lui permet
d’en faire bénéficier qui il veut, et pour le montant le mieux adapté à la
situation.
– C’est à peu près ça, conclut-elle, Adriano ne veut pas que ses
membres soient dans le besoin. Les Alario les aident à vivre dignement
et rendent accessible l’éducation à leurs enfants. C’est rare, tu sais, au
sein d’un gang.
Nous sommes interrompues par des bruits dans le couloir. Adriano et
Batista entrent dans la chambre. Julia s’empresse de rejoindre ce
dernier.
– Tu n’as rien, s’inquiète-t-elle, en le palpant des bras à la tête.
– Non, arrête, tu veux, la gronde-il en souriant, allez on rentre.
Un dernier signe de la main et ils s’en vont en refermant la porte
derrière eux. Adriano est toujours près de la porte, alors que je suis
assise en tailleur sur son lit.
– C’est définitivement réglé cette fois-ci, il ne peut plus rien t’arriver,
atteste-t-il en brisant le silence.
Parle-t-il aussi pour lui ? Les confidences de Julia m’ont quelque peu
rassurée, mais aussi perturbée. Je ne discerne plus très bien la frontière
entre le bien et le mal.
– Qu’est-ce que vous avez fait ? Osé-je demander dans un excès de
confiance.
Il se rapproche de moi et comme il y a à peine quelques heures, il se
penche et s’agenouille entre mes jambes. Ses paumes plaquées sur mes
cuisses dénudées par mon short, je ne cille pas, devant son regard
étrange.
– Tu ne dois pas poser de question sur notre gang et ce que l’on fait,
m’ordonne-t-il d’une voix grave.
Il fronce les sourcils en observant mon cou. Ses doigts viennent le
caresser aux endroits devenus sensibles à cause de la force de son
cousin.
– Ça va, ce n’est pas grand-chose, le rassuré-je sur mon état
physique.
Je pourrais rajouter que j’ai connu bien pire comme souffrances
corporelles, mais je ne souhaite pas m’étaler sur ce pan de mon passé.
Lorsqu’il passe une main dans mes cheveux pour me faire tomber en
arrière, je constate qu’encore une fois, il n’a pas résisté à l’envie de les
toucher.
Son corps au-dessus du mien ne me touche pas. Ses lèvres
adoucissent les probables marques qui doivent commencer à se voir.
Ses tendres baisers dans mon cou font réagir mon épiderme qui se
couvre d’une délicieuse chair de poule. Celle qui engendre tout un tas de
réactions en chaîne.
Je ne veux pas qu’il mette fin à notre étreinte, comme hier. Je ne veux
pas penser à l’après. Je me suis vue mourir deux fois, en deux jours. Il est
hors de question que je ne fasse pas ce dont j’ai envie, là tout de suite.
Mes mains s’aventurent dans ses cheveux et je cambre mon dos pour
toucher son corps avec le mien. Sa bouche remonte sur mon menton et
mes joues tandis que je promène mes doigts dans sa nuque et ses
épaules. Nos lèvres s’unissent et nos langues entament une valse
endiablée. Nous ne nous sommes jamais embrassés, ainsi. Ce baiser est
torride et charnel. Un appel à plus. Un gémissement m’échappe et je
crois que c’est ce qui fait perdre le contrôle à Adriano.
La seconde suivante, il me touche enfin, craquant l’allumette sur le
feu qui s’anime en moi. Ses mains s’aventurent sous mon t-shirt puis
finissent par l’ôter complètement. Il parsème de baisers mon décolleté
en caressant ma taille. Mes hanches ondulent, désireuses elles aussi
d’obtenir ses faveurs. Je tire le col de son haut pour lui ôter. Je palpe
avec délectation ses muscles saillants. Sa peau est aussi douce que son
cœur doit être dur.
Un fracas énorme nous effraie tous les deux. Une dizaine d’hommes,
habillés tout en noir, certains avec des cagoules, font irruption dans la
chambre et braquent leurs armes sur Adriano. Je reconnais l’inspecteur
Bartoli, parmi eux.
– Adriano Alario, vous êtes en état d’arrestation pour meurtre,
annonce la voix du haut gradé.
Mon cœur cogne fortement dans ma poitrine, sous l’effet
contradictoire des émotions, qui changent d’une seconde à l’autre.
Adriano me lance rapidement mon t-shirt pour que je me couvre, mais là
tout de suite, je me contrefous d’être en soutien-gorge, devant tous ces
flics. Ils représentent tout ce que je déteste. Il se redresse en attrapant
son haut et le passe rapidement.
– Reste ici, je n’en ai pas pour longtemps, déclare-t-il, d’un air presque
décontracté.
La vermine lui passe les menottes et l’embarque, me laissant seule à
nouveau.
Je connais bien la police et je me doute qu’il risque gros. Le meurtre
d’Aurélia, les hommes que Giacomo a tués et ensuite sa probable
exécution. Les flics ne chercheront pas à savoir qui a fait quoi. Ils vont
profiter du bazar pour tout mettre sur son dos et l’envoyer croupir en
prison. Ils pourront ensuite se pavaner dans la presse locale d’avoir fait
boucler un chef de gang mafieux.
Je sais ce qu’il me reste à faire. Je n’y réfléchis pas plus longtemps.
Je fonce dans la salle de bain pour me préparer. Je savais que cet
affrontement devait arriver, mais je n’en aurais jamais imaginé les
circonstances.
28

Adriano Alario

Assis à l’arrière de cette voiture de flic, je médite sur le fait qu’ils


n’auraient pas pu plus mal tomber. S’ils avaient pu attendre, ne serait-ce
qu’une petite heure de plus, pour que j’assouvisse enfin mon envie du
corps d’Angela, ils auraient eu droit à toute ma gratitude. Les choses
sérieuses commençaient à peine. Elle va avoir tout le temps de cogiter
maintenant et je ne pense pas avoir de deuxième chance. Ils me font
vraiment chier sur tous les tableaux ces enfoirés.
Arrivé au commissariat, je suis placé dans une salle d’interrogatoire
sordide. Exigüe, mal éclairée et qui pue, ce cliché me fait franchement
marrer.
Le bleu qui m’a amené ici m’a vite laissé seul. Je voyais bien qu’il
avait peur de moi, et à juste titre. Mais je ne vais pas faire de folie. Ils
n’ont rien contre moi, comme d’habitude. Ce n’est pas la première fois
qu’ils m’embarquent. L’inspecteur Bartoli m’a dans son collimateur,
depuis bien longtemps, et je suis habitué à ses excès de zèle.
Le voilà qui entre justement dans cette pièce, aussi triste que son
accoutrement.
– Bartoli, quel plaisir de vous revoir, ça faisait longtemps, le nargué-je
ironique, en collant mon dos contre le dossier de la chaise inconfortable.
Il me sourit, me laissant apercevoir ses dents jaunies par la tonne de
caféine qu’il doit s’enfiler à longueur de journée.
– Je ne serais pas si enthousiaste à ta place Adriano, siffle-t-il, sûr de
son dossier en s’asseyant sur la chaise en face de moi.
Je pourrais presque y croire.
– Pourrions-nous arrêter cette mascarade ? Ma sœur a été tuée et je
dois préparer son enterrement. Alors, allez à l’essentiel. De quel meurtre
m’accusez-vous ?
Ma mère s’occupe déjà de tout en ce qui concerne Aurélia. Mais, je
dois en finir au plus vite. J’ai des tonnes d’affaires à régler maintenant
que j’ai la responsabilité d’étendre le gang.
– D’aucun en particulier, déclare-t-il avec nonchalance, en ouvrant le
dossier qu’il a posé sur la table.
Quelque chose dans son regard a changé, par rapport aux autres fois,
où il m’a arrêté. Je le sens moins pressé, moins énervé par son enquête
que d’habitude. Il ne cherche pas à me faire parler. Et cette constatation
ne me dit rien de bon. S’il n’a pas besoin de m’entendre, c’est qu’il estime
avoir suffisamment de matière pour m’enfermer.
– Vous êtes accusé d’avoir commandité et participé au règlement de
comptes qui a eu lieu dans la nuit d’hier dans un appartement sur le
territoire du gang de Marco Gianini. Quinze morts, dont votre ennemi juré,
m’assène l’inspecteur, fier de son enquête.
Le ton qu’il emploie pour m’énoncer mon acte d’accusation me
prouve, encore une fois, qu’il a sûrement un dossier solide. Que des
présomptions, aucune preuve. Mais, face à un jury, je ne donne pas cher
de ma peau. Il est de notoriété publique que nous sommes une
organisation mafieuse, mais la justice ne peut pas le prouver. Bartoli a
fini par comprendre ça, et le retourne contre moi. Il sait que je ne tiendrai
pas dans un tribunal.
– Vous les avez estimés coupables de l’assassinat de votre sœur et
vous avez lancé les représailles, continue-t-il.
– Je veux appeler mon avocat, me contenté-je de répondre.
Sa chaise pourrie grince sur le sol quand il se relève avec un sourire
sur les lèvres.
– Bien entendu, il a déjà été prévenu par quelqu’un de votre
entourage. Il sera là dans une demi-heure.
Il sort en reprenant son petit dossier de bureaucrate. Putain de
merde ! Je suis persuadé que Giacomo avait prévu ce coup-là. Bon, pas
son exécution, mais il savait que les flics m’accuseraient des meurtres et
que je n’aurais jamais balancé personne. C’était son plan pour se
débarrasser de moi. Il faut que je reste calme et que j’analyse la situation.
Comment puis-je espérer m’en sortir, cette fois-ci ?
Au bout d’une demi-heure, je suis comme un lion en cage, mais je
reste assis, bien tranquillement, sur ma chaise, le regard au loin. Je ne
leur montre pas que je cogite. Ils doivent être trop contents de
m’observer, derrière leur miroir sans tain. Je ne vais pas, en plus, leur
offrir un spectacle.
Deux heures plus tard, mon avocat arrive enfin et je lui balance un
regard noir. Il est payé plus que généreusement alors je n’apprécie pas
du tout qu’il me fasse attendre.
– Adriano, reste calme. Je devais régler un point important avant de
te rejoindre. Fais-moi confiance et tais-toi, m’ordonne-t-il.
S’il y a un homme à qui j’obéis sans sourciller, en dehors de mon père,
c’est bien à mon avocat. Il m’a sorti de toutes mes emmerdes et il sait
jouer avec les lois. Ça lui a pris un peu plus de temps cette fois-ci, ce qui
prouve bien que Bartoli a peut-être fait du bon boulot, finalement, sur ce
coup-là. L’inspecteur nous rejoint et répète à mon avocat ce dont il
m’accuse.
– Inspecteur Bartoli, mon client a perdu sa sœur hier après-midi. Il est
resté en famille depuis qu’il a quitté votre commissariat après le drame,
me défend Maître Maglione.
– Et c’est lors de cette réunion de famille, comme vous dites, que
Monsieur Alario a organisé l’expédition contre le gang adverse. Lui, et
certains de ses hommes s’y sont rendus aujourd’hui pour se venger,
affirme l’inspecteur.
– Mon client n’a pas quitté son domicile et il n’a pas participé à un
recueillement collectif avec sa famille suite au drame, assure-t-il au flic.
Bartoli se marre en changeant de position sur sa chaise.
– Alors je serais bien curieux de savoir ce qu’a fait votre client en
rentrant chez lui après la mort de sa chère sœur, s’interroge ce salaud,
hautain.
Ça commence à me gonfler sévère qu’il parle de moi, comme si je
n’étais pas là. Et le ton ironique de Bartoli quand il parle de ma sœur va
me faire disjoncter.
– Il est resté dans sa chambre jusqu’à ce que vous veniez
l’importuner. La jeune femme qui était avec lui peut en attester.
Quoi ? Je me tourne vers mon avocat qui m’ordonne de la fermer par
un simple regard, mais la réponse de l’enfoiré d’en face m’énerve encore
plus.
– Je vois d’ici la tête des jurés, quand le procureur expliquera que M.
Alario Junior s’est envoyé en l’air, toute la nuit, alors que sa sœur n’était
même pas encore dans le tiroir de la morgue !
Je fais un bond sur ma chaise en envoyant valser la table, j’attrape
cette ordure par le col de sa veste bon marché et le plaque contre le mur.
– Ne Parle Plus Jamais De Ma Sœur ! Lui hurlé-je dessus en
articulant bien chaque mot.
Il lève les mains d’un air innocent alors que deux de ses collègues
font irruption dans la salle. Je le relâche en m’en voulant de m’être laissé
emporter. C’est exactement ce qu’il souhaite et je suis en train de lui
offrir. Je me rassois et Bartoli remet la table entre nous.
– Je pense que vous devriez écouter le témoignage de Mademoiselle
Alessi avant de juger de sa crédibilité au tribunal, lui conseille
sereinement mon avocat. Elle attend justement dans vos locaux pour
faire sa déposition.
L’inspecteur est un peu déboussolé par la confiance qui émane de
mon avocat. Il sort en prenant soin de bien refermer, derrière lui.
– C’est quoi, ce bordel ?
– Adriano, tu dois me faire confiance. Tu n’as qu’une porte de sortie
dans cette affaire et c’est le témoignage de cette jeune femme.
– Tu sais que je ne veux pas mêler à nos affaires quelqu’un qui n’est
pas de la famille, lui rappelé-je avec autorité.
– À cause de ton cousin, tu n’as pas le choix. C’est soit ça, soit la
prison.
Je frappe la table de mes poings. Je déteste ne pas avoir le choix,
surtout dans une pareille situation.
Pourquoi Angela vient-elle m’aider ? Je ne suis, de loin, pas resté avec
elle tout le temps. Elle aurait de quoi me foutre à l’ombre si elle parlait
aux flics. Entre les menaces, l’attaque au couteau et le racket, elle a des
raisons de m’en vouloir.
– Tu devrais la rejoindre et faire attention à ce qu’elle raconte, avertis-
je Maglione.
– Je ne peux pas vous défendre tous les deux Adriano, m’informe-t-il
en parcourant ses dossiers, il y aurait un conflit d’intérêts, mais ne
t’inquiète pas.
Je pense Bartoli capable de la persuader de témoigner contre moi en
lui disant que je n’échapperais pas à la case prison. Si elle est rassurée
sur sa sécurité, elle me balancera peut-être. Tout se mélange dans mon
esprit et je n’arrive pas à savoir si Angela me fera libérer ou si au
contraire elle va m’enfoncer. Je fulmine, mais m’en remets à lui. Je n’ai
pas le choix de toute manière.
Finalement, quand l’inspecteur revient enfin dans la pièce, je me
félicite intérieurement de ne pas avoir pété les plombs. Il a l’air contrarié,
avec une furieuse envie de m’en coller une, et ça a le mérite de me
détendre un peu.
– Monsieur Alario, vous êtes libre, annonce-t-il simplement, aucune
charge n’est retenue contre vous.
Mon avocat remballe ses affaires et nous nous levons de concert. Je
ne comprends pas en quoi la parole d’Angela a bien pu me blanchir d’un
coup, mais je prends.
Bartoli m’arrête sur le seuil de la porte en m’attrapant par le bras.
– Ne criez pas victoire trop rapidement, Monsieur Alario, vous
remportez peut-être cette manche, mais la partie n’est pas encore
terminée.
– Vous m’en voyez ravi, appelez-moi quand vous serez prêt pour la
prochaine bataille, me moqué-je une dernière fois de lui.
Je le plante dans son commissariat miteux sur ces derniers mots en
me demandant quels ont été ceux d’Angela pour me faire libérer aussi
rapidement.
Elle est là, à quelques mètres et m’attend. Je ne peux pas
m’empêcher de la détailler, avec ses longues mèches or, qui illuminent
son visage. Ses prunelles ont l’air inquiètes et elle se triture les doigts
alors qu’elle ne m’a pas encore aperçu.
Son sourire renaît tandis que je m’approche d’elle.
– Tu as été libéré ? Me questionne-t-elle, anxieuse en posant ses
mains sur mes bras.
– Oui, lui confirmé-je en prenant son visage en coupe dans mes
paumes.
Son délicat parfum remplit mes narines. Je ferme les yeux pour
savourer cet instant. Je me suis retrouvé maintes fois dans cet
établissement pourri, mais jamais personne n’avait attendu ma sortie. A
part Tony, mais c’est différent. Comme aimantée, ma main trouve refuge,
comme à son habitude, dans ses cheveux dont la couleur m’éblouit. Je
caresse sa joue du bout du nez.
– Qu’est-ce que tu as bien pu leur dire pour me faire sortir aussi vite ?
Ses doigts resserrent leur prise sur mes bras et elle semble un peu
nerveuse.
– Il n’y pas que toi qui sais te montrer persuasif quand il faut, me
taquine-t-elle sur un ton léger.
Grâce à Angela, je ne dors pas en cellule ce soir. Je ne sais pas
pourquoi elle est venue me disculper, mais je ne veux pas m’embrouiller
les méninges avec ça, maintenant.
Nous avons des jours difficiles en perspective alors je prends tous
signes d’affection, peu importe leurs motivations venant de sa part.
29

Angela Alessi

Les bureaux de police se ressemblent tous dans notre pays. Tout le


monde semble occupé, les téléphones sonnent dans le vide et de la
paperasse traîne un peu partout.
L’inspecteur Bartoli m’a fait répéter encore et encore ma déposition. Il
m’a affirmé que je ne craignais rien en témoignant contre Adriano Alario,
que je pouvais être mise sous protection, immédiatement.
S’il savait que c’est justement sa protection que je redoute plus que
tout.
Une fois ma signature apposée en bas de son formulaire, je n’ai pas
demandé mon reste et j’ai filé. J’ai bien failli ruiner deux ans de sevrage à
la nicotine, en attendant de voir sortir celui pour qui j’ai pris un risque, en
venant ici.
Quand il m’a enfin rejointe en bas des escaliers du commissariat et
qu’il a pris mon visage délicatement entre ses mains, il n’y avait plus que
lui et moi dans notre petite bulle. Plus de gang, plus de morts ou de
trahison, durant les quelques minutes où nous avons discuté.
– Viens, on retourne chez moi, décide-t-il parce que nous ne pouvons
pas rester indéfiniment là.
– Euh… la police m’a informée qu’ils avaient terminé à la boutique et
que je pouvais y rentrer, déclaré-je, un peu mal à l’aise.
– Tu es sûre de vouloir y aller si rapidement ? Tu es la bienvenue chez
nous, après tout ce que tu as fait, me rassure-t-il, bienveillant.
– Oui, ne le prends pas mal surtout, mais j’ai besoin d’être un peu
seule. Pour accepter tout ça, tu comprends ?
Il m’attire dans ses bras puissants et me serre fort contre lui.
– Tu me laisses te ramener, au moins ? Quémande-t-il.
– Bien sûr, accepté-je volontiers, en l’embrassant furtivement.
Nous nous dirigeons vers un taxi et Adriano lui indique mon adresse.
Durant tout le trajet, nous ne parlons pas. De mon côté, je me demande
s’il est judicieux de l’inviter à monter. Entre le drame qui a eu lieu à la
boutique, et la situation à laquelle la police a mis fin prématurément, je
ne sais plus sur quel pied danser.
La circulation est bonne et nous sommes déjà arrivés. Dans le doute
et ne voulant pas qu’il pense que je regrette quoi que ce soit, je lui
propose.
– Même si j’adorerais, je dois décliner. Mes parents doivent
m’attendre pour finaliser l’enterrement d’Aurélia qui a lieu demain,
précise-t-il, le regard triste.
Je prends sa main dans la mienne à l’évocation de l’épreuve qui nous
attend. Il tire dessus pour me rapprocher de lui dans l’habitacle du taxi. Il
passe une main dans ma nuque et vient m’embrasser tendrement.
– Je vais demander à deux hommes de rester en bas, m’annonce-t-il,
simple précaution en attendant que tout soit bien réglé.
Honnêtement, je suis soulagée de savoir qu’en cas de problème,
quelqu’un sera là. Cette fois-ci.
Je sors du taxi et Adriano attend que je sois bien rentrée pour partir.
Je monte directement les escaliers pour ne pas entrevoir le salon de thé.
Je ne suis pas prête pour affronter ça. Pas encore. C’est trop frais.
Il s’est passé tellement de choses depuis l’assassinat d’Aurélia, que
j’ai l’impression de ne plus avoir mis les pieds chez moi depuis des
semaines. Alors que ça ne fait que deux jours.
J’ai besoin de prendre une douche pour nettoyer mon esprit des
peurs qui m’empoisonnent depuis que je me suis rendue au
commissariat. Je vais donc dans la salle de bain et enlève les vêtements
que Julia m’a prêtés.
Une fois sous le jet d’eau chaude, je réfléchis aux différentes options
qui s’offrent à moi. Y a-t-il un moyen qu’Adriano n’apprenne rien ? Pourrai-
je encore lui cacher qui je suis ? Que fera-t-il s’il l’apprend ?
Je me démêle les cheveux en me regardant dans le miroir.
Mentalement, je me dis que je suis dans un beau pétrin et qu’encore une
fois, c’est de sa faute à Lui. Il vient gâcher ma vie, comme toujours.
J’enfile une culotte et un t-shirt trop grand. Dans la cuisine, je me
confectionne une omelette que j’accompagne d’une tranche de jambon
de Parme. Je m’avachis dans mon canapé et décide de m’abrutir devant
la télé après mon repas dont je n’ai pas réussi à manger grand-chose.
Je tente de ne pas penser à elle et de faire le vide dans ma tête. Si je
ne veux pas avoir une tête de déterrée demain à l’enterrement, il faut
absolument que j’arrive à dormir quelques heures.
La fatigue de mes sanglots silencieux a eu raison de moi vers quatre
heures du matin. Qui aurait cru que pleurer soit aussi épuisant ?
Il est huit heures quand j’émerge pour affronter cette journée qui
s’annonce horrible. C’est égoïste, mais quelque part, je suis contente de
ne pas être chez les Alario en cet instant. Tout le monde doit se préparer,
dans le calme, ne sachant pas quoi dire ou faire de particulier, pour tenter
de tenir bon.
Je n’avale rien parce que mon estomac est crispé rien qu’à l’idée d’un
café. Cette pensée me rappelle ma dernière discussion avec Aurélia. Je
chasse vite ce souvenir, sinon je n’arriverai pas à me rendre à l’église.
Habillée d’une robe noire très simple et de mes escarpins à talons de
la même couleur, j’emprunte le même chemin qu’il y a quelques jours
pour me rendre au mariage de sa cousine.
Si mon cœur était serré ce jour-là à cause de l’angoisse, aujourd’hui
c’est à cause de la tristesse. Personne n’est posté à l’entrée pour
m’indiquer de quel côté je dois prendre place. Bien que j’arrive un quart
d’heure avant la cérémonie, l’église est déjà bondée. À travers le saint
silence du lieu, on entend des pleurs discrets et des gens se moucher. Je
m’approche de quelques pas, pour trouver un banc où il resterait une
place à l’abri des regards. Les gens savent qu’elle a été assassinée, sous
mes yeux, dans ma boutique, je ne veux pas en parler ni voir de la
compassion dans leurs yeux. Je ne le supporterai pas alors qu’elle est là,
enfermée dans une boîte, aussi somptueuse soit-elle. En m’avançant,
j’aperçois son portrait posé sur son cercueil. La photo ne doit pas être
très ancienne.
Elle est là, avec son sourire étincelant et nous regarde lui rendre un
dernier hommage.
Si tu savais, Aurélia, comme je regrette qu’ils ne s’en soient pas tenus
au plan de Giacomo. Adriano et ta famille ne seraient pas dans cet état.
Ma mort n’aurait pas eu d’aussi terribles répercussions, elle n’aurait pas
commis autant de drame et beaucoup moins de monde m’aurait pleurée.
Où que tu sois, excuse-moi de ne pas avoir réussi à te sauver.
Mes jambes menaçant de ne plus me tenir, je m’installe à la première
place d’une rangée au milieu de l’Église. Au premier rang, je peux voir
Adriano, accompagné de ses parents. Juste à côté, je reconnais Batista
et Julia, ainsi que Tony et son épouse. Ils sont serrés les uns contre les
autres comme pour se soutenir, même s’ils sont assis.
– Excusez-moi Mademoiselle, me chuchote le prêtre qui vient de
s’approcher, vous êtes bien Angela Alessi ?
– Euh oui, lui murmuré-je.
– La famille d’Aurélia serait très touchée si vous disiez quelques
mots, tout à l’heure, quand je vous y inviterai.
– Quoi ? Mais non, balbutié-je, je n’ai rien préparé.
– Ce n’est rien, parlez avec votre cœur et tout ira bien, me promet-il
en me prenant chaudement la main dans la sienne.
Il s’en va sans attendre mon accord.
Les premières notes de l’orgue se font douces pour entamer la
cérémonie. La mélodie nous transporte chacun dans les embruns de nos
souvenirs. Le curé s’avance et évoque pourquoi nous sommes tous
réunis, aujourd’hui. Comme s’il nous était possible de l’oublier.
À chaque fois qu’il prononce son prénom, une onde de chagrin
déferle sur l’assemblée. C’est comme si nous rapetissions, au fur et à
mesure de la lecture de l’énoncé des anecdotes que ses parents ont bien
voulu partager avec nous. Durant les enterrements, j’ai parfois
l’impression que ces hommes d’Église font exprès de remuer le couteau
dans la plaie. Ils nous rappellent combien nous aimions l’être perdu, et à
quel point, il va nous manquer. Ils me donnent la sensation d’être
assoiffés de notre peine.
Je retiens mes larmes, car je dois monter sur l’estrade, après, face à
tout ce monde. Ma gorge est tellement sèche que je ne suis pas sûre de
réussir à prononcer un seul mot.
Le prêtre nous raconte qu’Aurélia a reçu pour ses quatre ans une
trousse de secours pour jouer à l’infirmière et qu’elle ne s’est plus
promenée sans, pendant des semaines. Son envie de faire médecine a
sûrement débuté ce jour-là.
Mes paupières ne peuvent plus retenir mes pleurs, quand j’imagine
mon amie disparue, en une jolie petite fille avec un stéthoscope autour
du cou et une piqûre à la main.
Mon attention étant ailleurs, je n’entends que la fin de la phrase dans
les haut-parleurs « quelques mots d’Angela » et le curé me fait signe que
c’est à mon tour.
Je marche doucement et j’hésite à jeter un œil à la famille Alario
avant d’arriver à l’autel. Finalement, je m’abstiens pour ne pas sombrer
complètement en les voyant accablés. Mon cœur rate plusieurs
battements quand je gravis les petites marches menant à l’autel.
J’ajuste le micro face à moi et pose mes mains sur le pupitre en
métal. Sa fraîcheur me fait sortir un peu du brouillard dans lequel je suis.
J’inspire profondément en m’humidifiant les lèvres et je souffle un bon
coup.
– Aurélia, commenté-je au bord des larmes, était une fille aimante,
une sœur agaçante et une amie casse-pieds.
Toute la famille Alario me regarde et je les sens reconnaissants du
ton léger que j’adopte. C’est sûrement ce qu’elle aurait fait, ou voulu.
Non, ne pas penser à elle. Ça peut paraître paradoxal, mais je suis
déjà sur le point d’éclater en sanglots devant sa famille. Je ne vais pas
réussir à parler en revivant des instants partagés avec elle.
– Je ne connaissais pas Aurélia autant que vous tous, mais vous
savez qu’il ne fallait pas beaucoup de temps pour s’attacher à elle.
Quelques personnes sourient timidement et hochent la tête en signe
d’approbation.
Combien de temps a-t-il fallu à Aurélia pour me faire sourire ? Moins
de temps qu’à n’importe qui, ces dernières années, c’est certain. Depuis
le drame qui a anéanti ma vie, je ne m’autorisais plus à vivre pleinement.
– Il y a quelques années, j’ai perdu ma petite sœur, révélé-je, en
laissant une larme rouler sur ma joue. Cela a été une épreuve très difficile
à surmonter. J’avais eu l’impression de la retrouver un peu en Aurélia.
Reprendre ma vie en main sera ma manière de lui rendre hommage et
d’essayer de faire sortir quelque chose de positif de ce gâchis.
– Alors, c’est vrai, je ne la connaissais pas depuis aussi longtemps
que vous tous, mais aujourd’hui, ma peine est aussi grande que la vôtre.
Mon menton tremble et c’est en pleurs que je dévale les quelques
marches de l’autel pour retourner à ma place. Adriano se lève et
m’intercepte en me prenant par la main. Il ne dit rien, mais vient me faire
asseoir avec eux, sur leur banc. Il passe son bras gauche autour de mes
épaules et de son autre main tient les miennes. Il dépose un baiser sur
ma tempe et ce geste d’affection me fait pleurer, encore plus.
Les visages de ma sœur et d’Aurélia se superposent dans mon
chagrin et c’est un peu comme si je leur disais adieu, à toutes les deux.
Mais aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir une épaule sur laquelle
m’épancher.
30

Adriano Alario

Un peu plus d’une semaine est passée depuis l’enterrement d’Aurélia.


Pour éviter de trop penser à elle, je me suis jeté à corps perdu dans les
affaires. J’avais de quoi faire en plus avec la reprise du gang des
motards.
Certains ont eu besoin d’une entrevue plus musclée pour comprendre
à qui ils devaient rendre des comptes dorénavant. La haine et la colère
qui me consumaient de l’intérieur ont pu s’exprimer, à coups de battes de
base-ball et d’objets tranchants.
Maintenant que tout le monde file droit, je devrais me sentir mieux.
Pourtant, je ne me sens pas complètement apaisé. Il me manque quelque
chose, pour pouvoir sortir la tête de cette mélancolie, qui ne veut pas me
lâcher.
Je n’ai plus revu Angela depuis la petite réception qui a eu lieu chez
nous, après l’enterrement. Je l’ai vu discuter avec quelques amies
d’Aurélia tandis que de mon côté, je restais avec mes parents, pour
remercier tout un tas de proches venu nous transmettre leurs
condoléances.
Alors que les gens partaient petit à petit, elle m’a fait signe qu’elle y
allait elle aussi. Je lui ai simplement dit que je l’appellerais. Pas de délai,
ni proche ni lointain. Et pour toute réponse, elle m’a pris la main et m’a dit
de faire attention à moi. Je l’ai regardée s’en aller en ne sachant pas ce
que je devais faire. Je me suis sûrement comporté comme un con, en ne
faisant pas preuve de plus de compassion, mais je ne savais pas
comment la réconforter de toute la peine qui inondait ses yeux.
Je ne peux cependant pas nier, plus longtemps, que je pense souvent
à elle. En particulier, quand je me retrouve dans mon lit et que je me
rappelle la fois où elle y était avec moi. Je revois aussi son visage
accablé par des larmes trop abondantes en évoquant Aurélia et sa sœur
à l’église. Un épais mystère entoure cette femme et il va me falloir le
découvrir.
Julia m’a prévenu ce matin, l’air de rien, qu’Angela ouvrait à nouveau
le salon de thé, aujourd’hui. J’ai eu droit à un regard bien lourd en prime
voulant sûrement me dire que j’avais intérêt à m’y rendre.
Je gare ma Cadillac en face de sa boutique quelques minutes avant
la fermeture et j’entre à l’intérieur.
Les étals sont déjà vides, mais l’odeur de pâtisseries est encore
présente. Elle apparaît rapidement, le carillon accroché au plafond au-
dessus de la porte l’ayant prévenu de mon arrivée.
Elle reste derrière son comptoir comme si j’étais un client banal et ça
me fait sourire.
– Tu ne m’as pas gardé quelques macarons ? lui demandé-je taquin.
Elle répond à mon sourire et attrape une petite boîte qui était de côté.
– Pour un client aussi fidèle que toi, j’ai toujours un petit quelque
chose, pouffe-t-elle en me tendant le paquet.
Comme je m’y attendais, il s’agit de macarons à la pistache. J’en
croque un immédiatement et ça la fait rire.
– Tu as terminé ? L’interrogé-je pour en être certain.
Elle vérifie l’heure sur l’énorme pendule, en forme de cupcake, qui est
suspendue au mur du salon de thé.
– Oui, je vais fermer, décide-t-elle.
Elle marche jusqu’à la porte et elle a l’air un peu tendue. J’admire ses
jambes fuselées dans sa petite robe rose de serveuse de « diners ». Elle
remarque que je suis en train de la mater quand elle se retourne.
– Ta reprise s’est bien passée ? Me renseigné-je pour entamer la
conversation.
– Ça peut aller. Viens, je préfère qu’on monte, m’indique-t-elle en
commençant à rejoindre le laboratoire qui donne sur l’escalier. Enfin, si tu
as le temps.
Elle craint de s’être fait un film et que je sois venu uniquement pour
acheter des pâtisseries. Je lui fais signe que je la suis en lui faisant un
clin d’œil. L’ascension des quelques marches me permet d’admirer le
spectacle de ses courbes, de plus près.
Une fois dans son petit d’appartement, je note tout de suite qu’elle a
tout donné dans la rénovation de la boutique de Rosa, plutôt que chez
elle. Tout est bien rangé et propre, mais ça mériterait un bon coup de
peinture.
– Tu veux boire quelque chose, me propose-t-elle en se rendant dans
sa petite cuisine.
J’en ai marre de tourner autour du pot. L’attente n’est pas mon fort et
là j’ai déjà dû faire preuve de beaucoup trop de patience. Alors, je la
rejoins et lui fais poser le verre qu’elle a déjà dans la main sur le plan de
travail. Sa main tremble un peu quand je le lui prends, mais ses grands
yeux de biche et son sourire coquin trahissent son envie.
– Non, je n’ai pas soif, lui balancé-je en détachant doucement
l’attache de son tablier dans sa nuque et autour de sa taille.
Il va rejoindre le verre abandonné. Je retire de ses cheveux l’élastique
qui les retient en otage. Ils tombent sur ses épaules et dans son dos. Elle
ne se gêne pas pour passer ses mains derrière ma nuque et rapprocher
nos corps par la même occasion.
Mes doigts sur ses hanches, je balade mon nez dans son cou pour
laisser son délicat parfum enivrer mes sens.
– Embrasse-moi, Adriano, me supplie-t-elle.
Je ne me fais pas prier plus longtemps, n’y tenant plus moi-même.
Pourquoi ai-je attendu pour lui rendre visite ? Parfois, je suis vraiment
con.
Je plaque ma bouche sur la sienne en me collant encore plus à elle.
Elle tire sur la racine de mes cheveux me déclenchant une chair de poule.
Nos baisers sont pressés et nous empêchent de respirer correctement.
Mais, ça ne me suffit pas. J’ai besoin de sentir sa peau contre la mienne.
La barrière de nos vêtements m’est insupportable. Comme si nous étions
connectés, elle tire sur le col de mon haut pour le faire passer par-dessus
ma tête. Je l’aide en levant les bras et reprends nos baisers ardents. Nos
langues refont connaissance moins timidement que la dernière fois. Ses
douces mains découvrent les contours de mon torse. Ses doigts laissent
des traces brûlantes sur leur passage. J’ouvre la fermeture à l’arrière de
sa robe et cette dernière tombe à ses pieds, m’offrant la vue de son corps
en lingerie.
Je me baisse pour retirer son vêtement d’entre ses pieds pour ne pas
qu’elle s’emmêle. Je m’en mets plein les yeux en admirant chaque
parcelle de son corps. Je pose mes mains sur sa taille et fais descendre
son sous-vêtement, dans un geste précipité, le long de ses cuisses
jusqu’à ses chevilles. Elle tortille ses hanches et ses jambes pour m’aider,
mettant ses courbes en valeur. Je fais rouler ma langue dans son
nombril en la regardant. Ses joues ont pris une teinte rose et je compte
bien faire rougir sa peau, un peu partout. Je soulève un peu sa jambe en
posant ma main à l’arrière de sa cuisse juste au-dessus de son genou. Je
suis de plus en plus à l’étroit dans mes fringues et je lui fais ressentir
mon désir en le plaquant contre son intimité.
– J’ai envie de toi depuis trop longtemps, Angela, lui révélé-je d’une
voix rauque.
La soudaineté de mon geste lui arrache un gémissement. Ses seins la
trahissent à travers le tissu de son soutien-gorge. Mes caresses sur ses
pointes tendues n’arrangent pas ses affaires. Elle déboucle ma ceinture
tout en m’embrassant langoureusement et ouvre les boutons de mon
jean. J’envoie valser mes baskets et me défais rapidement de mon
pantalon et de mon boxer. Dans un éclair de lucidité, je pense à poser un
préservatif sur le meuble, à côté de nous. Elle s’empare de mon sexe et le
caresse d’une main experte.
– Putain Angela, sifflé-je en inspirant soudainement.
Elle se marre en continuant de plus belle et en me léchant les lèvres
furtivement. Je lui rends ses attentions en jouant avec son intimité du
bout des doigts.
– J’en ai marre d’attendre, me souffle-t-elle, impatiente.
Son aveu pourrait presque me faire jouir immédiatement tellement
son empressement m’excite. Le fait que l’on partage le même sentiment
sur ces rendez-vous manqués me grise. J’attrape la protection sagement
préparée et la tends à Angela. Elle me l’enfile, pas très sûre d’elle, cette
fois-ci. J’en profite pour lui virer son soutien-gorge et l’admirer en tenue
d’Ève. Je la soulève et la pose sur le bord de son meuble de cuisine.
Surprise, elle se tient fermement à mes épaules.
Mes caresses reprennent sur son point sensible. Elle ferme les yeux
et pousse des gémissements près de mon oreille. Sans prévenir, mon
sexe vient remplacer mes doigts et je m’enfonce en elle jusqu’à la garde.
Elle pousse un râle, surprise mais contentée, auquel je fais écho.
– Satisfaite ? Jubilé-je de la prendre au dépourvu suite à sa dernière
remarque.
J’entame doucement des va-et-vient pour l’habituer à ma présence.
Elle lève sa tête vers le plafond m’offrant accès à sa poitrine généreuse.
Ma langue vient jouer avec ses tétons. Angela tente de se cambrer un
peu plus pour m’y donner un meilleur accès, mais les meubles de sa
cuisine suspendus au mur la dérangent.
– Accroche tes jambes autour de ma taille, ordonné-je en croquant
son menton.
Elle les serre fort, car elle a compris ce que je m’apprête à faire. Je
passe mes mains sous ses fesses et la porte. Je fais quelques pas tout
en restant en elle. Je plaque son dos sans précaution contre le premier
mur libre à ma disposition.
Notre étreinte se fait plus sauvage maintenant que nous sommes
libres de nos mouvements. Mes coups de reins sont brutaux et rapides.
Je ne lui laisse aucun répit et les ongles d’Angela me le rendent bien, en
griffant mon cou et mes épaules.
Trop d’occasions ratées et de tensions passées entre nous pour que
cette première fois soit autrement que bestiale.
Elle crie mon prénom de façon hachée, son souffle étant coupé à
chaque claquement de mon bassin contre le sien. Je pétris ses fesses en
la tenant contre le mur. Je suce son cou alors que sa tête bascule en
arrière quand elle atteint l’orgasme. Elle jouit en gémissant des sons
incohérents alors que je lui mords l’épaule pour retenir mes propres
grognements.
Son front vient se poser sur mon épaule et ses bras s’accrochent
comme des lianes pour ne pas tomber. Je nous guide jusqu’à son
canapé et nous allonge dessus. Une fois débarrassé du préservatif, je lui
dégage ses cheveux de l’épaule, je lèche le petit bout de peau que j’ai
maltraité.
Face à face, les jambes entremêlées, ses yeux dans les miens et sa
main sur ma joue, caressant cette barbe que je ne trouve plus la force de
raser, je me sens enfin calme et apaisé. C’était donc ça qu’il me
manquait. Cette petite chose qui a le pouvoir de vous faire relativiser sur
la vie, qui vous pousse vers le haut malgré la noirceur qui vous entoure.
Ma mère nous a dit, à Tony et moi, alors que nous étions des
adolescents en rut, que nous saurions reconnaître les indices lorsque le
destin mettrait sur notre route la femme qui ferait basculer notre vie.
Mon corps l’a déjà compris en se laissant transporter par la douceur
d’Angela. Mon cœur lui sera plus difficile à amadouer. Mais mon esprit a
déjà conscience qu’elle a commencé à percer sa poche en titane, et
qu’elle s’y fraie un chemin.
31

Angela Alessi

Toute la semaine, j’ai espéré qu’il passe me voir. Chaque fin de


journée, j’ai été déçue de son absence. Ses visites, auparavant tant
redoutées, étaient maintenant ardemment désirées.
– Pourquoi n’es-tu venu qu’aujourd’hui ? L’interrogé-je en pianotant
sur son torse du bout de mes doigts.
– J’étais très occupé avec les affaires, m’assène-t-il en jouant avec
mes cheveux comme à son habitude.
Qu’est-ce que je peux être naïve ! Comment ai-je pu imaginer une
seconde que je puisse être une priorité pour lui ? Son comportement
réconfortant et son soutien tout au long de l’enterrement d’Aurélia
m’avaient laissé penser qu’on partageait quelque chose. Quoi, je ne sais
pas, mais certainement pas juste une simple attirance sexuelle.
Je tente de faire comme si ses paroles ne m’atteignaient pas en
faisant bonne figure. Mettre un masque sur ma tristesse, je sais faire, et
depuis mon plus jeune âge.
Cela fait aussi une semaine que je retiens mon souffle, mais dans
l’angoisse d’une autre venue. Une visite dont je me passerais bien, mais
mon nom apparaît maintenant dans le dossier et l’Inspecteur Bartoli ne
tardera pas à le faire prévenir. Je ne donne pas cher de ma peau, à ce
moment-là. Et si j’y survis, ce sera pour subir la foudre d’Adriano, quand il
saura.
J’essaie de bouger pour me dépêtrer de ses membres et me lever
afin de m’éloigner de lui. Il m’en empêche, en s’allongeant sur moi et en
venant picorer mon cou de petits baisers, qui me déclenchent des
frissons qui se répandent sur chacune de mes terminaisons nerveuses.
– J’aurais dû venir plus tôt, je le sais, se confesse-t-il en touchant
mon oreille avec ses lèvres, mais je suis là maintenant, ok ?
Une de ses mains serpente sur ma cuisse jusqu’à ma taille en
passant par mes hanches, pour finir sur mon sein. Il le berce dans sa
paume et vient continuer ses délicats baisers sur mon décolleté.
– Je n’ai pas l’habitude d’avoir des comptes à rendre une femme
Angela, me confie-t-il en relevant sa tête vers moi.
– Tu ne me dois rien, nous ne sommes pas ensemble de toute façon,
commenté-je, plus pour moi-même.
– C’est ça le problème, alors ? Minimise-t-il, en se hissant à nouveau
sur ses coudes, pour remettre nos visages à la même hauteur.
Je me mords les lèvres ne sachant pas vraiment quoi lui répondre.
Jusqu’à aujourd’hui, nous nous étions seulement embrassés quelques
fois. Et l’unique occasion qui est devenue un peu plus érotique s’est
retrouvée avortée par la descente d’une équipe de police.
– Je préférerais juste clarifier la situation, avoué-je pour qu’il ne
subsiste aucune ambiguïté.
Suis-je juste une fille pour un soir ou un peu plus ? Est-il exclusif
quand il est dans une relation ? J’aurais un peu de mal à m’en remettre si
tel n’était pas le cas, mais je pourrai le surmonter. Il n’y a rien que le
temps n’atténue pas. L’histoire de quelques jours ou de plusieurs années,
mais on s’habitue au fardeau de sa peine. Je le sais par expérience,
malheureusement.
– Très bien, clarifions la situation alors, m’accorde-t-il en se relevant,
mais allons d’abord prendre une douche. Ensuite, on se commandera à
manger et on reparlera de tout ça.
Sur ces mots, il se lève et tire sur ma main pour que je l’accompagne.
– Adriano, on ne rentrera pas à deux dans ma douche, gloussé-je en
souriant.
Il est tellement imposant, que je ne suis même pas certaine, qu’on
puisse tenir ensemble dans la salle de bain. Il fronce les sourcils, l’air un
peu contrarié, alors je lui dépose un baiser rapide sur les lèvres.
– Commence, je nous commande à manger pendant ce temps,
décidé-je en allant récupérer nos affaires éparpillées un peu partout.
Quand tu auras fini, je prendrai ton relais et tu attendras le livreur.
Alors que je choisis quelles pizzas nous commander sur la pub,
j’entends des bruits dans la salle de bains, puis Adriano qui s’énerve. Il
doit se cogner aux parois de la douche, ce qui me fait rire.
Mon choix se porte sur une pizza merguez poivrons et une quatre
fromages. Je sors les assiettes et les couverts puis prépare une bouteille
de Lambrusco.
Adriano ressort de ma pièce exiguë, pieds nus et uniquement vêtu de
son pantalon qui tombe bas sur ses hanches. Je distingue d’ici les
gouttes d’eau qui tombent de ses cheveux pour venir s’échouer sur son
torse. J’admire sa musculature fine, tandis qu’il approche de moi, tel un
prédateur. Il passe une main dans mon dos pour rapidement la
descendre sur mes fesses.
– Si tu comptes rester à poil, on ne va pas pouvoir discuter Angela,
me houspille-t-il d’une voix terriblement sexy en mordant mon oreille.
Tandis que je réfléchis si nous avons suffisamment de temps avant
l’arrivée du livreur, il claque mon postérieur et se détache de moi.
– À la douche ! Rigole-t-il, sous mes yeux courroucés.
Je m’exécute et file rejoindre la vapeur qu’il a laissée derrière lui, dans
les cinq mètres carrés de ma salle d’eau. Je ne me prélasse pas, au
contraire. Je préfère le rejoindre pour mettre les choses à plat et savoir
où nous en sommes. Au-delà de nous deux, je veux savoir à quoi je dois
m’attendre, d’ici quelques jours, concernant le pizzo. Le peu de repères,
que j’avais à Centori, a disparu et je me sens complètement perdue.
Je le rejoins vêtue d’une robe légère en coton toute simple vert anis
qu’il semble apprécier. Il me tend un verre du vin que j’ai préparé. L’odeur
des pizzas me prouve que j’ai mis plus de temps que prévu sous la
douche. Nous trinquons en nous souriant les yeux dans les yeux.
J’analyse la situation dans laquelle je suis empêtrée tout en
l’observant boire. Il est du mauvais côté de la barrière, mais paraît
prendre soin des siens, si j’en crois Julia. L’exact opposé de tout ce que
j’ai connu. Quelque chose est-il possible entre nous malgré nos
bagages ? Lui n’a pas toutes les cartes en main pour se décider, car il ne
connaît pas mon passé. Il va falloir que je le lui révèle, mais quand ? Est-
ce que j’attends d’être certaine qu’il tient un peu à moi pour tenter de
sauver ma peau ou je joue la carte de l’honnêteté en lui disant la vérité,
tout de suite ? Je suis paumée face à mes sentiments naissants pour lui
alors je vais d’abord profiter de l’instant présent. Je penserai à demain
une autre fois.
Nous prenons place à table et commençons à manger sans un mot.
– Tu sais que c’est mal élevé de fixer les gens comme ça,
particulièrement quand ils mangent, m’offusqué-je faussement, qu’il
braque son regard sur moi.
– Je ne suis pas connu pour mes bonnes manières, ironise-t-il, ce qui
me fait lever les yeux au plafond.
Je reprends du Lambrusco, car ce silence m’angoisse. Adriano tire
sur ma chaise, qui glisse jusqu’entre ses jambes écartées, sous cette
impulsion.
– Tu sais que j’adore tes cheveux, me confie-t-il en jouant avec
quelques mèches.
Son aveu fait battre mon cœur un peu plus fort, malgré moi. Je ne
veux pas me laisser endormir par ses belles paroles. Il fait glisser une
des bretelles de ma robe sur mon épaule et vient loger son visage dans
mon cou. Je pose mes paumes sur ses jambes et frotte ma joue contre
la sienne. Ses mains se font plus aventurières en remontant ma robe
pour caresser mes cuisses ainsi dénudées.
– Adriano, le grondé-je, je croyais qu’on devait discuter.
Il sourit contre mon cou et remet ma robe en place.
– Qu’est-ce que tu veux savoir ? M’interroge-t-il en se reculant pour
me regarder.
– Ce que l’on est l’un pour l’autre, indiqué-je. Était-ce juste une fois, ou
je peux espérer te revoir ? Et quand tu ne viens pas, est-ce que ça veut
dire que tu es chez une autre femme ?
Il tire doucement sur mes cheveux pour me faire taire.
– Je t’arrête tout de suite, Angela. Premièrement, il n’y a pas d’autres
femmes et deuxièmement oui, je compte bien revenir te voir, me promet-
il avec un sourire coquin.
Alors qu’il s’apprête à m’embrasser, je l’en empêche, car nous n’avons
pas encore abordé le problème du gang.
– Que va-t-il se passer pour moi maintenant ? Je n’ai pas assez
d’argent pour vous payer et je n’en aurai jamais suffisamment, Adriano,
avoué-je avec une pointe d’angoisse, tout de même.
Un éclair de colère traverse ses pupilles et me laisse présager que je
l’ai énervé.
– Ne pense plus à tout ça, m’ordonne-t-il de sa voix glaciale de Chef
autoritaire. Avec les derniers événements, et ce que tu as fait pour moi
auprès de la police, j’ai informé les gars que pour l’instant, tu es à jour
avec le gang.
– Oh très bien, m’étonné-je, ne sachant pas vraiment comment réagir,
car je ne m’attendais pas à ça.
– Je demanderai à Batista de voir avec toi pour trouver un
compromis, qui nous satisfera tous, ok ?
Soulagée de cette dernière nouvelle, je respire un peu mieux. Je
décide de reprendre ce qu’il avait entrepris quelques minutes plus tôt. Je
l’embrasse sans précipitation pour savourer cet instant d’accalmie.
Je grimpe sur lui à califourchon en espérant que ma vieille chaise
supporte nos deux poids. Je frotte mon intimité contre le tissu rêche de
son jean alors qu’il m’attrape les cheveux pour tirer ma tête en arrière. Il
dévore ma gorge en caressant ma poitrine de son autre main.
– Où est ta chambre ? m’interroge-t-il d’une voix grave qui me rend
toute chose.
– C’est la porte en face de la salle de bain.
Il se lève, me faisant glisser sur mes pieds, puis passe un bras sous
mes genoux, l’autre toujours dans mon dos. Il s’avance dans le petit
couloir et ouvre la porte que je lui ai indiquée.
La pièce est petite et ne contient que mon lit et une armoire pour
ranger toutes mes fringues. Ça rend Adriano encore plus impressionnant.
Il me pose à terre et jette un œil autour de lui.
Le temps joue contre moi et je ne veux pas perdre une minute, tant
qu’il est avec moi. Bientôt, tout sera fini et j’aurai besoin d’un maximum
de souvenirs pour tenir le coup après. J’attrape le bas de ma robe et la
passe par-dessus ma tête. Simplement en culotte de dentelle blanche
face à lui, je passe mes mains autour de son cou et me grandis à sa
hauteur.
– Fais-moi l’amour comme tu ne l’as jamais fait à aucune femme,
Adriano, le supplié-je tout contre ses lèvres. Je m’offre entièrement à toi.
Je peux faire ce que tu veux, être qui tu veux.
Voilà, je suis prête à tout lui donner, pour avoir le moins de regrets
possible, quand je regarderai en arrière. Il doit remarquer mon émotion,
car il prend délicatement mon visage en coupe dans ses paumes.
– Je te veux toi, rien de particulier. Juste toi et moi, termine-t-il en ne
me quittant pas des yeux.
Nos bouches parlent à notre place en se caressant et en mélangeant
nos langues dans une danse rythmée. Adriano nous fait basculer sur le lit
et se débarrasse de mon dernier rempart. Son regard se fait gourmand
devant mon intimité offerte. Il écarte doucement mes jambes et faufile
ses doigts à l’intérieur. Ses lèvres viennent faire les coquines en
m’embrassant à cet endroit précis. Sa langue se mêle de la partie pour
mon plus grand plaisir. Des gémissements m’échappent déjà alors qu’il
ne fait que commencer.
– Tu es aussi délicieuse que tes pâtisseries, commente-t-il en léchant
mon clitoris.
Je passe mes doigts dans ses cheveux et mes jambes sur ses
épaules pour l’emprisonner dans mon antre féminin. Il passe ses mains
sous mes fesses pour me rapprocher encore de son visage.
Je le supplie de ne pas s’arrêter tellement c’est délicieux, je crie des
oui, des encore, des grossièretés, alors que ce n’est pas dans mes
habitudes. Mon corps est pris de spasmes quand l’orgasme me ravage.
Je ne crois pas déjà avoir joui aussi fort de ma vie sans avoir fait l’amour.
Mes jambes retombent et je souris à mon bel Apollon qui paraît très
fier de sa prestation.
– Je ne te demande pas si ça t’a plu ? me nargue ce prétentieux.
– Tais-toi et embrasse-moi !
J’aime sentir mon goût salé sur sa langue alors j’approfondis encore
notre baiser. Adriano se relève pour se déshabiller et je n’en loupe pas
une miette en me redressant sur mes coudes.
Il passe un préservatif sur sa verge déjà bien dressée. Alors qu’il
s’allonge sur moi, je le fais basculer sur le dos, et je grimpe sur lui. Je
frotte mon sexe contre le sien et cette friction me fait mouiller encore
plus. Je me soulève un peu pour prendre son membre dans ma main. Je
le fais coulisser doucement dans mon intimité et m’assois dessus.
– Je te sens bien comme ça, bébé, me confie-t-il en posant ses mains
sur mes hanches.
Je fais quelques mouvements circulaires du bassin alors qu’il
empoigne fermement ma taille. Puis, je bouge d’avant en arrière. Nos
voix poussent des grognements de plaisir. Je me penche vers lui pour
l’embrasser et pose mes mains sur le matelas, à côté de son visage. En
même temps, je descends et remonte sur sa queue à un rythme décalé.
Parfois rapide, parfois je le laisse attendre avant de retomber dessus
d’un seul coup.
– Tu veux ma mort à jouer avec moi comme ça, gronde-t-il, fou de
désir.
Je continue ce petit jeu quelques minutes puis il m’immobilise en
passant ses mains dans mon dos collant mon buste contre son torse. Il
me rend coup pour coup et finit par me prendre à une vitesse endiablée.
Le bruit de nos peaux qui claquent résonne dans la pièce, bientôt
remplacé par mes cris, sous l’effet du plaisir, qui fait exploser un feu
d’artifice dans mon corps.
Je roule sur le côté pour laisser respirer mon amant. Mes yeux se
ferment déjà, sonnés par le sommeil que cet orgasme dévastateur a fait
venir précipitamment. Je sens son corps bouger un peu sur le lit,
sûrement pour se débarrasser du préservatif. Adriano me capture dans
ses bras et nous allonge correctement dans mon lit.
– Je peux rester ici cette nuit ? Me sollicite-t-il, en remettant mes
cheveux en place.
– Tu peux rester autant de nuits que tu veux, lui assuré-je, encore
dans les vapes.
J’espère sincèrement que nous aurons droit à beaucoup d’autres
nuits comme celles-ci. Avant que mon passé ne vienne me rattraper et
foute tout ça en l’air.
32

Adriano Alario

Une douce musique de chants d’oiseaux me fait sortir de mon


sommeil. Je ressens tout de suite que je n’ai pas assez dormi.
– Il est quelle heure ? Grommelé-je à Angela, qui se tortille pour
attraper son téléphone et en éteindre l’alarme.
– Cinq heures et demie, m’indique-t-elle, dans un bâillement en
s’étirant comme un chat.
– T’es sérieuse ? Mais pourquoi tu te lèves si tôt ? Râlé-je n’étant pas
du matin, ce qui la fait rire.
– Mes gâteaux ne se font pas tout seuls, gros malin, me balance-t-
elle en se levant nue et splendide au saut du lit. Mais tu peux rester
dormir.
Je ne me fais pas prier et m’installe confortablement dans son lit, qui
a eu du mal à nous contenir tous les deux. Je me rendors aussitôt avec
son parfum sur les draps comme compagnie.
Lorsque j’ouvre les yeux, il fait déjà bien clair dehors et la délicieuse
odeur de gâteaux et de chocolat fondu se fait sentir jusque dans
l’appartement d’Angela. Voyant qu’il est presque onze heures, je me
bouge pour me rhabiller, car j’ai encore une journée bien chargée qui
m’attend.
Je tiens à me montrer présent tous les jours sur mon nouveau
territoire et faire la connaissance de mes hommes. Il va me falloir trouver
un remplaçant à mon traître de cousin. Avec Tony et Batista, nous avons
pensé qu’il serait judicieux de le choisir parmi les motards, pour montrer
que nous souhaitons que les changements se passent dans les
meilleures conditions, pour tout le monde.
Une fois habillé, je passe rapidement par sa minuscule salle de bain
pour me rafraîchir. Je descends les escaliers qui mènent à la pâtisserie.
Je traverse le laboratoire et rejoins Angela qui nettoie les tables de la
petite salle de restauration.
Je passe mes mains autour de sa taille par-derrière et lui embrasse le
cou.
– Bonjour à toi aussi, me salue-t-elle en se retournant pour me donner
un petit baiser du bout des lèvres. Tu as bien dormi ?
– Sincèrement ? Ironisé-je, ton lit est beaucoup trop petit pour
accueillir un type comme moi.
– À dire vrai, c’est le lit de Rosa, m’avoue-t-elle.
– Quoi ? Tu m’as fait dormir dans le lit de la vieille Mamie Rosa ?
Elle se moque de moi face à ma mine dégoûtée.
– Pas seulement dormir, si mes souvenirs sont bons, rajoute-t-elle
joueuse.
Je lui pince les fesses pour la punir de son comportement
d’effrontée.
– Hors de question que j’y remette un pied, maintenant que je sais
ça ! Va falloir t’acheter un nouveau lit rapidement.
– Je verrai ce que je peux faire, me nargue-t-elle.
– J’aimerai t’emmener dîner, ce soir ? L’invité-je avec mon plus beau
sourire.
– Est-ce un rendez-vous, Monsieur Alario ? Se renseigne-t-elle,
espiègle en haussant un sourcil.
– En bonne et due forme Mademoiselle Alessi, lui assuré-je sur le
même ton.
– Hum… elle réfléchit pour la forme, j’accepte, bien entendu.
– Je passe te chercher pour vingt heures, c’est bon pour toi ?
– Oui, pas de souci.
– Ok, je file alors, parce que je suis à la bourre, expliqué-je pour ne
pas qu’il y ait un malentendu entre nous.
Mes lèvres viennent à sa rencontre pour un baiser rapide, mais
possessif. Je me dirige vers la sortie tandis qu’Angela rejoint son
comptoir.
– Ah euh, Adriano, attends, m’interpelle-t-elle, est-ce que ça serait
flippant si je te disais que je t’ai préparé quelques pâtisseries à
emporter ?
Sa gêne est carrément excitante et si j’avais le temps, je la prendrais
bien sur son étalage immédiatement. Je range cette idée pour une
prochaine fois.
– Ça serait plutôt attendrissant, la rassuré-je pour ne pas la mettre
plus mal à l’aise.
Elle sort de sous la caisse un sac à l’effigie de sa pâtisserie et vient
me le remettre.
– C’est juste quelques gâteaux, pas grand-chose, minimise-t-elle,
gênée.
Je l’attire contre moi pour l’embrasser à pleine bouche, étant en
mesure de ne lui offrir que ça, en retour. J’entends le tintement du
carillon de la porte d’entrée, nous signalant qu’un client vient d’arriver. Je
m’en fous et continue de faire tourner ma langue dans sa bouche,
tellement j’adore ça.
Je la libère, excité comme pas permis, et je crois que c’est partagé,
car ses joues ont rougi et son souffle est court.
– Ce soir, vingt heures, lui rappelé-je avec un clin d’œil.
Elle acquiesce en silence, en me souriant, comprenant sûrement mes
pensées salaces sous-entendues. Je salue son client en sortant et
retrouve le confort de ma berline. Je me surprends à vouloir être
rapidement à la fin de cette journée, pour retrouver Angela, alors que je
viens à peine de la quitter.
Arrivé à mon bureau, Tony m’attend de pied de ferme.
– Je te rappelle, au cas où tu l’aurais oublié, que je suis censé savoir
où tu te trouves, beugle l’homme chargé de ma sécurité, énervé.
– Je sais, détends-toi, me moqué-je de lui. Je ne risquais rien, là où
j’étais.
Il prend place sur la chaise en face de moi et attend que je lui en
apprenne plus sur mon absence.
– Bon, tu en es où sur le dossier Lucarelli ? Le questionné-je pour
parler de choses importantes.
– Je pars cet après-midi à Rastori. J’emmène Mattéo, un des
motards. C’était le frère d’Aldo. Il a l’air pas mal alors ça sera un bon
moyen de le tester, là-bas.
– Ok, lui accordé-je. À la moindre opportunité, tu as mon feu vert pour
descendre ce flic.
– Ça marche, conclut-il. Tu ne comptes pas me dire où tu as passé la
nuit, c’est ça ?
– Si c’est pour que tu me reprennes la tête sur les dangers d’une
pâtissière au sein de la Famille, non, persiflé-je, car j’en ai marre d’avoir
cette discussion.
– C’est toi qui vois, Adriano. Mais, une petite enquête de routine, ça
ne mange pas de pain, argumente-t-il en son sens.
– Débusque-moi cette saleté de Chef Anti-Mafia, et tu auras mon
accord pour enquêter sur Miss Cupcake, énoncé-je en analysant les
nouveaux chiffres que Batista m’a apportés.
– Deal, conclut mon frère juste avant de me saluer et de partir pour
mettre fin à nos soucis avec les autorités.
Toute la journée, les minutes se sont écoulées comme des heures,
malgré que je me sois plongé dans les plans financiers de l’association
que je souhaite monter. J’ai eu l’impression d’être redevenu un
adolescent qui attend son premier rencard.
Les choses se mettent tout doucement en place sur notre territoire
agrandi et le frère d’Aldo a l’air d’être un bon candidat pour remplacer
Giacomo. Mattéo était au courant que son frère avait mis sa femme et
son fils sous notre protection. Il est venu, de lui-même, nous voir dès le
lendemain de l’enterrement d’Aurélia, pour déclarer son allégeance à
notre gang. Aldo l’a toujours plus ou moins protégé des perversions de
Marco et les motards ont l’air de le respecter pour ça.
Angela est déjà à l’extérieur quand j’arrive et elle inspecte la serrure
de sa porte d’entrée.
– Qu’est-ce que tu fabriques ?
Elle sursaute et pousse un cri ne m’ayant pas entendu arriver.
– Pardon, je ne voulais pas t’effrayer, la réconforté-je en caressant
ses bras dénudés.
Sa robe et son dos nu en forme de cœur m’en mettent plein la vue.
Elle est en dentelle d’un rouge vif et révèle tout ce qu’il y a de plus féminin
en elle. Sa coiffure est sophistiquée, mais elle a eu la délicate attention
de ne pas s’attacher les cheveux.
Je lui propose mon bras, comme un gentleman que je ne suis pas, et
nous nous mettons en route vers le cabaret. Sans surprise, la table que
j’ai demandée à Massimo, notre chef, est prête et n’attend plus que nous.
Je tire sur la chaise de ma cavalière afin qu’elle prenne place
convenablement.
– Tu fais ça à toutes les femmes avec qui tu sors ? plaisante-t-elle
pour me taquiner alors que je m’assois en face d’elle. Je parierais que
non, vu les regards étonnés que nous jettent les personnes présentes.
Pourquoi est-ce qu’ils ont l’air si…, elle cherche ses mots… choqués ?
Elle reporte enfin son attention sur moi dans l’attente d’un
éclaircissement de ma part.
– Je viens très souvent ici, mais c’est la première fois que je suis
accompagné.
– Et alors ? Se renseigne-t-elle, ne comprenant toujours pas
l’importance de ce tête-à-tête.
– Mon père a offert cet endroit à ma mère après qu’ils y aient eu leur
premier rendez-vous.
– Oh je vois, s’exclame-t-elle étonnée d’être là, maintenant.
– Ce cabaret a une valeur sentimentale très importante pour ma
famille. Nous y tenons particulièrement pour tous les bons souvenirs qu’il
renferme.
Elle m’écoute avec un coude sur la table et la paume de sa main sous
son menton. Son sourire attendri me démontre, sans surprise, qu’Angela
est une romantique dans l’âme.
– Par exemple, il garde le souvenir d’une toute nouvelle habitante de
Centori qui est montée sur scène pour défier son dirigeant, blagué-je en
caressant son autre main posée sur la table.
Une ombre passe dans son regard et son sourire disparaît.
– Qu’est-ce qu’il y a ? M’inquiété-je.
– Rien, élude-t-elle, mais je ne garde pas exactement le même
souvenir de cette soirée que toi.
Je comprends de quoi elle parle et je m’en veux de ne pas avoir
anticipé ce problème.
– Je ne te ferai jamais de mal Angela, j’espère que tu le sais, lui
assuré-je en fronçant les sourcils.
– Tu me le promets ? S’angoisse-t-elle.
Je comprends sa peur, elle est légitime, même si elle m’insupporte.
– Jamais, tu as ma parole, juré-je n’en ayant qu’une.
– J’aimerais te parler de quelque chose, m’indique-t-elle avec
appréhension.
La serveuse choisit ce moment pour venir nous servir du vin français,
accompagné d’un risotto aux cèpes.
– On n’a même pas commandé, s’étonne Angela.
– C’est le principe du restaurant, tu dégustes les plats en fonction de
l’humeur du Chef Massimo, lui indiqué-je pour expliquer le
fonctionnement du restaurant.
– Je trouve ça original et surtout pratique vu que j’ai toujours du mal
à choisir mon plat, plaisante-t-elle pour alléger l’ambiance.
Nous entamons religieusement nos assiettes et Angela me fait signe
que c’est divin. Elle a un bon coup de fourchette et je me demande où elle
met tout ce qu’elle mange.
– Pourquoi tu me regardes comme ça ?
– Parce que j’aime les femmes qui ont de l’appétit, confessé-je en lui
faisant un clin d’œil.
– C’est parce que je n’ai pas eu le temps de manger à midi, se justifie-
t-elle.
Sa mine se fait sombre et elle ferme un court instant les yeux.
– Aurélia avait pris l’habitude de me rapporter un sandwich de la
cafétéria de son bahut quand elle venait travailler.
– Ça ne m’étonne pas d’elle, médité-je à voix haute, elle a toujours eu
à cœur de prendre soin des autres.
– Elle me manque beaucoup, me dit-elle mélancolique.
À moi aussi, mais je n’ai pas pour habitude de m’épancher sur mes
émotions.
– Tu voulais me parler de quelque chose ? Lui rappelé-je, avant que le
serveur n’arrive.
Elle joue avec sa serviette, le regard fuyant et hésite à se confier.
– Tu as parlé de ta sœur à l’enterrement d’Aurélia, tenté-je, pensant
que c’est ce sujet qu’elle souhaite aborder. Tu veux bien m’en dire plus.
– Elle est décédée, il y a deux ans maintenant, me révèle-t-elle, triste.
C’est une des raisons pour lesquelles je suis partie de Rastori. Plus rien
ne me retenait, là-bas.
– Et ta famille ? Répliqué-je pour qu’elle me parle de ses parents,
également.
– Nous ne sommes pas proches comme la vôtre, me confie-t-elle le
regard voilé.
La jeune serveuse vient interrompre cet instant pour débarrasser nos
assiettes. Angela a l’air d’en être soulagée.
Je sens que je n’en saurais pas plus ce soir, alors je n’insiste pas. Je
ne veux pas gâcher notre premier rendez-vous. Et puis, j’ai tout mon
temps pour apprendre à la connaître, elle et son passé. Le plus important
pour moi étant de faire partie de son futur.
33

Angela Alessi

– Julia m’a parlé de ton envie de créer une structure d’aide pour les
habitants de Centori, déclaré-je pour changer de sujet, afin de ne pas
revenir sur ma famille. Tu veux bien m’en dire plus ?
Il secoue la tête, dépité, et pousse un profond soupir.
– Vous les femmes, vous ne pouvez pas tenir vos langues, hein ?
Julia n’avait pas à te parler des affaires de notre famille, m’admoneste-t-
il, contrarié.
– Alors, nous en sommes encore là ? Rétorqué-je, déçue de son
comportement.
Il joue avec son couteau de table puis me scrute d’un œil rieur.
– Mon projet prend du retard, mais l’idée est de créer une sorte
d’organisme social au sein du clan, m’éclaire-t-il, conciliant. Les
allocations nationales ne sont pas faites pour nos hommes. La majorité
n’y a même pas le droit. Mon père aide déjà plusieurs familles et a
dépanné bon nombre de nos membres. Mon idée est d’élargir ça à tous,
que chaque personne faisant partie de notre clan puisse avoir accès aux
mêmes aides. Je n’invente rien, je reprends le schéma officiel : aide au
logement pour l’éducation des enfants. Je rajoute une indemnité pour les
femmes dont les maris seraient en prison, ou pour un séjour à l’hôpital.
Il a rarement été si bavard. Ce projet lui tient à cœur, ça se voit dans
ses yeux quand il en parle. C’est de ça dont voulait me parler Aurélia. Oui,
c’est un criminel. Il deale, fait payer une taxe aux commerçants et
commet probablement des crimes. Mais, il n’est pas tout noir. Il vient
nuancer son côté sombre avec son empathie et son envie de faire vivre
dignement ses hommes. Le contraire de mon père. Blanc en apparence,
mais noir dès que la porte de chez lui était refermée.
Cette soirée est si merveilleuse que j’en oublierais presque mes
soucis. Sa confidence sur ce que représente ce lieu pour sa famille ne
m’a pas laissée indifférente. Par contre, je réalise que j’ai probablement
souillé les souvenirs qu’il aura de cet endroit. Quand il apprendra la vérité,
ce qui arrivera tôt ou tard, il s’en voudra d’avoir fait de moi la première
femme qu’il a invitée à dîner, ici.
J’ai beau réfléchir à une solution pour qu’il n’apprenne rien avant que
je me sois décidée à lui parler, je n’en trouve pas. Ce n’est qu’une
question de jours. Le temps de vérifier que les dires de l’Inspecteur
Bartoli sont vrais. Ensuite, ma vie sera à nouveau anéantie. Après avoir
perdu l’amour de ma sœur, je vais perdre l’homme, dont je suis en train
de tomber amoureuse. Alors que je n’y peux rien, ce n’est pas de ma
faute. Je ne peux rien changer à la situation.
Peut-être que je devrais lui révéler la vérité maintenant ? J’ai failli en
avoir le courage, tout à l’heure, mais le serveur m’a interrompue dans
mon élan. Il est détendu, alors pourquoi ne pas en profiter pour tout lui
dire ? Non, je ne ferai que gâcher encore un peu plus les souvenirs que
nous avons en commun dans le cabaret.
– À quoi tu penses ? Me sort-il de mes pensées.
Je le regarde d’un air espiègle pour donner le change et me mordille
la lèvre inférieure.
– Je crois qu’on devrait exorciser ce problème de divergence de
souvenirs.
Il colle son dos contre le dossier de sa chaise et me déshabille du
regard. Il est tellement charismatique que mon sang chauffe déjà dans
mes veines par le simple regard qu’il me lance.
– Et, qu’est-ce que tu proposes ?
J’adopte la même position que lui, ce qui nous éloigne. Quand je pose
mes bras sur la table, je veille à les garder un peu serrés, pour accentuer
l’opulence de ma poitrine, dans cette robe qui laisse entrevoir ma peau, à
travers la dentelle rouge.
– D’aller dans ton bureau pour effacer les anciens mauvais souvenirs
et d’en créer de nouveaux.
Ses yeux se font brillants tandis qu’il passe sa langue sur ses dents
sous ses lèvres charnues. Je l’allume du mieux que je peux, en essayant
de le regarder avec gourmandise. Je ne suis pas sûre d’être très forte à
ce jeu, mais ça ne m’empêche pas d’y jouer.
Finalement, il se lève calmement et me prend par la main, afin que je
le suive. Nous avançons en slalomant entre les tables. Les gens le
saluent d’un signe de tête, certains lui serrent la main. Je me dis que tout
le monde imagine exactement pourquoi nous nous enfermons dans son
bureau. Je suis embarrassée, mais ça attise aussi mon désir.
Il passe devant moi pour ouvrir la porte et me laisse entrer la
première. Je mettrais ma main à couper qu’il fait exprès de claquer
fortement la porte pour m’effrayer un petit peu.
J’avance dans la pièce et passe derrière son bureau. Je reste près de
son fauteuil en cuir avec une idée bien précise en tête. Il finit par me
rejoindre, mais sans m’oppresser.
– Angela, me réprimande-t-il en caressant du bout des doigts mes
tétons à travers la dentelle de ma robe, tu es déjà excitée alors que nous
n’avons même pas encore commencé.
– C’est parce que je sais ce dont j’ai envie, lui confié-je, et rien que de
l’imaginer ça m’enivre.
– Tu attises ma curiosité, déclare-t-il sans cesser ses petits cercles
autour de mes pointes tendues.
– Pour commencer, j’aimerais que tu me donnes ton couteau.
Je ne sais pas s’il a assez confiance en moi pour accepter. En même
temps, il ne risque rien. Ou si peu. Même si j’ai une arme, il reste plus fort
que moi.
Je souris comme une gamine quand il me le tend, sans faire
d’histoires. Je le prends dans ma main et le soupèse. Il est plus lourd que
ce à quoi je m’attendais. Je tourne autour de lui et me cache derrière son
dos. Je monte doucement mes mains jusqu’à ses épaules et lui retire sa
veste de costard. Sa chemise blanche est cintrée et met ses muscles en
valeur. Cet homme est d’une beauté à l’état brut, sans artifices.
– Maintenant, j’aimerais que tu t’assois à ton bureau, lui ordonné-je
en tournant son fauteuil pour qu’il puisse s’y installer.
Nos regards se jaugent quand il est à nouveau face à moi. Pour
l’instant, il me laisse mener la danse, mais je sais qu’il reprendra le
flambeau à un moment donné. Et c’est ce que je veux, qu’il tente de se
maîtriser, mais qu’il n’y parvienne pas. Je veux créer un tsunami en lui, lui
chambouler le cœur et l’âme, me tatouer dans sa peau pour qu’il ne
puisse pas m’abandonner quand il apprendra qui je suis.
J’approche la lame de son couteau vers son torse. Il ne bouge pas
d’un cil. En même temps, il a dû apprendre à ne pas montrer son
appréhension et sa peur, depuis toujours. Je la fais glisser sous le
premier bouton de sa chemise et tire un petit coup dessus. Il part
s’échouer, je ne sais où, dans la pièce. Je continue ainsi en descendant et
retire ses boutons un à un avec son arme de poing. Il arbore un sourire
arrogant qui m’excite terriblement. Son calme est déconcertant, mais je
compte bien le malmener un peu plus.
J’ouvre d’un geste brusque les deux pans de sa chemise révélant ses
pectoraux développés et ses abdominaux d’acier. Le duel entre nous est
bien présent. Ça sera à celui qui suppliera l’autre en premier.
Je pose cet objet qui m’avait tant fait peur sur le bureau. Je pose mes
paumes sur les genoux d’Adriano et les pousse vers l’extérieur, pour me
faire une place entre ses jambes. Je m’agenouille et je le sens se tendre
par anticipation de ce que suggère ma position.
– Angela… grogne-t-il dans sa barbe alors que je déboucle sa
ceinture.
Je me contente de le regarder tout en glissant mes mains à l’intérieur
de son boxer.
– Adriano, le réprimandé-je sur le même ton que lui tout à l’heure, tu
es déjà excité alors que je n’ai encore rien fait.
Ses doigts se tendent sur les accoudoirs de son siège. Il se glisse un
peu pour être plus à l’aise. Il fait craquer sa nuque et inspire plus
fortement.
Ma langue en profite pour venir goûter les premières gouttes de son
excitation. Elle tournoie autour de son gland, puis le long de sa verge. Je
prends mon temps et savoure chaque seconde de cette emprise que j’ai
sur lui.
Il se contient encore, mais son regard me brûle la peau. Je veux lui
faire perdre pied pour qu’il se souvienne de moi, à tout jamais. Je le
prends entièrement dans ma bouche puis ressors en continuant de le
caresser d’une main.
– Ne t’arrête pas bébé, m’ordonne-t-il presque comme une menace.
J’aime ce petit surnom banal qu’il me donne quand il est emporté par
ses émotions. Je ne me fais pas prier et viens lécher et sucer son sexe
tendu vers mon visage. Sa main vient caresser ma tête pour ensuite
imposer son rythme, intense, avec un soupçon d’agressivité, tant il
empoigne fermement mes cheveux entre ses doigts.
– Angela, putain, scande-t-il d’une voix suave en relâchant un peu ma
tête, me sonnant l’alerte qu’il va venir.
Mais, je ne me retire pas et sa semence chaude vient frapper mon
palais, telle une bouteille de champagne que l’on débouche. Je me
délecte de sa saveur pendant qu’Adriano reprend ses esprits.
Je me remets debout ayant un peu mal aux genoux. Je m’enflamme
quand je m’aperçois qu’Adriano me dévore du regard.
– Encore une idée précise à assouvir, me questionne-t-il en tirant sur
le bas de ma robe pour me rapprocher de lui.
Pour toute réponse, je balance par terre toutes les affaires posées sur
son bureau. Je suis en feu et je m’en fous de foutre le bordel. Il le fait
bien dans mon cœur alors je peux me le permettre dans son bureau.
Alors que je suis penchée pour jeter les quelques objets ayant résisté
à la première vague, il se lève de sa chaise et vient se coller derrière moi.
Ses mains viennent cueillir mes seins et les pincent. Puis, il les descend
sur mes cuisses et fait remonter ma robe jusqu’à ma taille.
– Bordel, tu ne portes rien sous ta robe, se réjouit-il, comme un enfant
qui reçoit un cadeau le soir de Noël.
Je me félicite intérieurement de cette initiative de dernière minute.
D’une main dans mon dos, il colle ma poitrine contre le marbre de son
bureau. J’en sens la fraîcheur à travers le fin tissu de la dentelle, et ça a
pour effet de tendre encore plus mes tétons. Il frotte la paume de sa
main sur mes fesses ainsi offertes.
– Écarte les jambes, bébé, exige-t-il, d’un ton pressé.
Je ne me fais pas prier et lui obéis. Il ouvre un tiroir, et en sort une
protection qu’il enfile, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Ses
doigts s’immiscent dans la moiteur de mon intimité, ravivant le feu qui
sommeille en moi. Son sexe vient les remplacer et se fraie doucement un
chemin.
Un murmure de soulagement s’échappe de mes lèvres, n’en pouvant
plus d’attendre qu’il unisse enfin nos corps. Pour l’instant, Adriano se fait
tendre et son bassin bouge lascivement pour faire monter lentement le
désir. Mais, j’ai besoin de plus. Je veux qu’il me possède, qu’il fasse de
moi la sienne. Je veux garder des courbatures de cette étreinte dans son
bureau. Je relève un peu ma tête et la tourne vers lui pour l’admirer en
train de me faire l’amour. Il se penche vers mon visage et nous
échangeons, tant bien que mal, un baiser. Ma langue se fait coquine et
vient lécher ses lèvres avant qu’il ne se redresse.
– Tiens-toi au bureau bébé, geint-il entre ses dents.
Je lève mes mains vers le haut du bureau et m’y agrippe. Celles
d’Adriano s’enfoncent férocement dans la peau de mes hanches et ses
coups de reins se font rapides et bruts. Une de ses mains vient
empoigner mes cheveux pour m’approcher un peu plus de lui à chaque
coup de bassin.
Nos respirations sont sifflantes et je ne contiens pas mes cris sous la
pression de l’orgasme qui arrive comme une avalanche. Je discerne la
voix d’Adriano qui émet des grognements à son tour. Je suis sonnée et
en apesanteur, foudroyée par le plaisir.
Mes muscles sont ankylosés et je ne peux plus bouger. Je sens
qu’Adriano baisse ma robe pour recouvrir mes jambes et m’attire à lui. Il
a déjà remis son pantalon et nous dirige vers un petit canapé en cuir noir.
Il s’y allonge et me couche contre lui. Il vient caresser ma joue, mon
contour de l’oreille puis mon cou. Ma bouche vient instinctivement
recouvrir la sienne dans un baiser simple, mais passionné.
– Tu es surprenante, comme femme, rigole-t-il en posant son menton
sur le sommet de ma tête.
Je dépose de légers baisers sur son torse, en me disant qu’il ne se
doute pas, à quel point il a raison. Malheureusement, toutes les surprises
ne sont pas bonnes. Je ne lui réponds pas, préférant encore une fois
profiter de l’écrin de ses bras.
Je ne veux pas prendre le risque de lui révéler quoi que ce soit alors
qu’il ne se passera peut-être rien. Je me mens à moi-même, en me
berçant de douces illusions, mais ça fait du bien de rêver que je puisse
être heureuse avec lui.
Je n’ai pas encore la force de sortir de cette petite bulle de bonheur,
que nous nous sommes créée, pour entrer à nouveau dans la spirale de
la dépression.
– Je me sens bien avec toi, murmuré-je tout contre lui.
Il prend mon menton dans sa main et lève mon visage vers le sien.
– Moi aussi, m’assure-t-il avant de m’embrasser avec délicatesse
comme si je lui étais précieuse.
34

Adriano Alario

Tous les dossiers en cours sont traités et je suis plutôt satisfait de


l’ordre qui règne au sein des motards. Tous les membres semblent avoir
compris qu’il était dans leur intérêt d’obéir à mes ordres. Certaines
familles commencent même à se faire recenser pour intégrer
l’association d’aide, qui est maintenant en place.
Je n’ai pas encore eu d’informations de la part de Tony sur ce qu’il se
passe à Rastori, mais je ne suis pas inquiet. S’il ne m’appelle pas, c’est
qu’il n’y a rien de neuf, pour l’instant, sur Lucarelli. L’inspecteur Bartoli a
relâché sa surveillance, mais je reste sur mes gardes. Ce chef de la
police Anti-Mafia m’a l’air plus malin qu’il n’y paraît et je ne compte pas
me laisser prendre dans ses filets.
Le coup de sonnette d’Angela m’extirpe de mes pensées.
– Buongiorno Signorina, l’accueillé-je, en l’attrapant par la taille pour
l’embrasser.
Nous avons pris l’habitude de nous retrouver, tous les soirs. Une fois
chez elle, une fois ici, dans la demeure familiale. Angela n’était pas
d’accord, mais le départ de mes parents pour la Capitale a anéanti ses
excuses.
– Je suis passée chez le traiteur et je nous ai pris des Spaghettis à la
Napolitaine, m’indique-t-elle en s’affairant déjà dans la cuisine.
Elle me rejoint dans le salon et dispose les assiettes et les couverts
sur la table basse.
– Je te préviens, ce soir, c’est à mon tour de choisir le film, fait-elle
remarquer en allant récupérer notre dîner.
Je me marre en nous servant du vin blanc et lui tends son verre. Nous
nous installons, à même le sol, et dégustons nos pâtes à la tomate.
– Batista est passé me voir aujourd’hui pour discuter d’un
arrangement concernant le pizzo, m’annonce-t-elle, sans oser me
regarder.
Je suis, bien entendu, au courant que mon cousin devait s’en
occuper. Je lui ai laissé le soin de régler ce problème, car j’estime ne pas
être impartial.
– Et, alors ? Qu’avez-vous décidé ? L’interrogé-je, curieux de savoir
comment il a géré le problème.
– Il a accepté que je ne verse que cinq cents euros, tous les mois.
Mais en contrepartie, je m’engage à effectuer des heures de bénévolat au
sein de votre association d’aide aux familles, me confie-t-elle, en levant
son visage vers moi.
Je ne saurais dire si cet accord lui convient. Batista, comme
d’habitude, a eu la bonne attitude. Il est impossible qu’Angela ne paie
rien. Il lui fait donc casquer le minimum en lui demandant un coup de
main.
– Adriano, m’interpelle-t-elle, je veux m’assurer que ce compromis te
satisfait, aussi. Je veux laisser ça derrière nous et ne plus y penser.
Une ombre traverse son regard et je me maudis de lui inspirer encore
de la peur quand elle s’adresse au Chef, et non pas à l’homme.
– C’est parfait ainsi, la rassuré-je. Et tu as raison, n’en parlons plus,
dorénavant.
La télévision est allumée et diffuse les informations nationales.
Le présentateur du journal vante une saisie record de drogue dans le
sud de l’Italie. Après quelques prises de vue de paquets de cocaïne, il
passe en gros plan sur un homme d’un certain âge. Alors qu’il félicite la
police locale et son équipe d’intervention, le bandeau d’affichage indique
qu’il s’agit de Lorenzo Lucarelli, le Chef de l’unité Anti-Mafia. Je l’écoute
d’une oreille, mais grave son visage dans ma mémoire. Dans un sursaut
de lucidité, j’attrape mon téléphone et le prends en photo.
– Adriano, il faut que je te dise quelque chose, intervient Angela.
– Je dois passer un coup de fil, lui précisé-je, en composant déjà le
numéro. Tony ? C’est moi, ta cible a bougé. Tu as le champ libre à Rastori
pour faire des recherches poussées.
Nous ne nous attardons pas plus et raccrochons après nous être
brièvement salués. Angela a le regard fixé sur l’écran de la télévision.
– Il y a une émission sur un concours de cuisine sur RAI 4, si tu veux,
lui suggéré-je, en changeant de chaîne pour ne plus voir la gueule de
cette pourriture.
– Comment sais-tu que tu peux faire confiance à tes hommes ?
M’interroge-t-elle, sérieuse, tout à coup.
– Ça se mérite et s’entretient, au fil des années. Dans mon milieu, rien
n’a plus de valeur que la confiance.
– Que se passe-t-il si un de tes membres te trahit ?
– Pas de seconde chance, énoncé-je. Un traître n’a pas beaucoup
d’espérance de vie, tu sais.
– Parfois, il arrive que l’on se retrouve dans une situation qui nous
dépasse et que l’on fasse les mauvais choix pour s’en sortir, estime-t-elle,
en fronçant les sourcils.
– Je t’arrête tout de suite, il n’existe pas de circonstances
atténuantes dans les affaires dont je m’occupe. Soit tu files droit, soit tu
finis six pieds sous terre. Il n’y a pas d’autres alternatives, lui assuré-je de
façon directe.
– Et si le membre en question fait un mea culpa avant qu’il ne soit
trop tard ? S’enquiert-elle, soucieuse.
– La confiance ne se donne qu’une fois au sein la Famille. Si tu la
corromps, c’est terminé.
Elle joue avec sa fourchette dans son assiette et semble bien
songeuse.
– De toute façon, tu n’as pas à te soucier de ça, tu n’es pas un de mes
hommes, plaisanté-je, pour la dérider.
– Je sais, mais il arrive parfois, hésite-elle, que nous soyons dépassé
par la tournure de certains événements ou que nous n’ayons pas anticipé
certains problèmes.
Je m’approche d’elle et la fais taire en l’embrassant parce qu’elle
semble trop s’inquiéter pour les membres de mon clan.
– Je te trouve bien bavarde, ce soir, la taquiné-je, en passant déjà
mes mains sous son chemisier.
– Attends, Adriano, tente-t-elle de continuer la conversation en se
soustrayant à mon étreinte.
– Est-ce que je vais devoir te couper la langue pour que tu te taises ?
Feinté-je d’être contrarié. Ça m’embêterait parce que je l’aime bien, moi.
Elle pouffe, malgré elle, et ne me repousse pas lorsque je la recouvre
de mon corps en l’allongeant sur le tapis. Je me redresse et ouvre les
boutons de son haut en soie. J’écarte le bout de dentelle de son sous-
vêtement et lèche avec gourmandise, l’un après l’autre, ses tétons qui
n’attendent que ça.
Ma main se faufile plus bas et remonte le long de sa cuisse. J’aime
suivre ses courbes féminines et me surprends à apprécier de prendre
mon temps. Je vénère son corps comme un bien précieux, tout en lui
faisant apprécier ma brutalité.
Angela ne tarde pas à griffer mes abdominaux et à défaire ma
ceinture. Ses doigts se posent sur mon sexe déjà tendu sous l’effet du
désir qu’elle m’inspire. J’inspire son parfum de chocolat et empoigne ses
mèches blondes dans le creux de ma main. Son pouce joue avec mon
gland, comme elle aime le faire à chaque fois. Elle sait ce qu’il me plaît et
s’amuse à me rendre fou. Nos langues toujours en harmonie décuplent
cette attraction qui nous unit.
Je retrousse le bas de sa jupe et la déleste de sa lingerie. Ses mains
en profitent pour me retirer également mon pantalon. Je me débarrasse
de mon t-shirt par la même occasion et me munis du préservatif que
j’avais préparé.
– Dès demain, je veux qu’on fasse ce qu’il faut pour ne plus utiliser
ceci, exigé-je en me protégeant.
– Maintenant, c’est toi qui parles trop, me balance-t-elle en m’attirant
contre elle afin de reprendre nos baisers ardents.
Ses jambes enserrent ma taille, m’invitant à me glisser en elle. Son
bassin ondule au même rythme que le mien alors qu’elle s’accroche à ma
nuque. Mes paumes posées de part et d’autre de sa tête, j’impose ma
cadence, qui augmente toujours, car les gémissements s’échappant de
sa bouche me rendent dingue. Nos corps emboîtés l’un dans l’autre, nous
savourons l’orgasme dévastateur, qui nous ébranle en même temps.
Angela prend, un peu plus chaque jour, de l’importance dans ma vie.
J’espère qu’elle est cette femme que j’attendais, celle qui aime l’homme
derrière le leader intransigeant que je suis.
35

Adriano Alario

Assis à mon bureau de bon matin avec une tasse de café fumante et
des macarons disposés sur une petite assiette, je tente de me concentrer
sur les chiffres que Batista m’a envoyés.
Hier soir, Angela et moi avons continué à nous faire taire à tour de
rôle. La fatigue ayant eu raison d’elle, je l’ai ramenée à son appartement.
Angela n’a pas accepté de rester dormir chez moi, sous prétexte qu’elle
se lève tôt pour la pâtisserie et qu’elle ne veut pas me déranger sachant
qu’on ne se réveille pas à la même heure. Il était hors de question que je
dorme encore une fois dans le lit de Rosa, donc je me suis éclipsé après
un dernier coup rapide. Ce n’est pas de ma faute si elle est la tentation
incarnée.
La première chose que j’ai faite, ce matin, est de passer commande
sur internet pour un lit King-size, avec livraison directe chez Miss
Cupcake. J’enverrai des gars se débrouiller pour le faire passer dans les
escaliers. Elle s’occupera de l’achat des draps et tout le reste, quand il
sera monté.
Cette nana est tout simplement déroutante. Elle a son côté presque
niais avec ses pâtisseries et son éternel sourire au bout des lèvres, mais
je l’ai vue au plus bas et je sais qu’elle cache une tristesse profonde sous
ce masque. L’autre soir encore, au restaurant « Le Cabaret », elle a éludé
la question de sa famille. J’ai juste réussi à lui faire dire que sa sœur était
morte, il y a deux ans. Comment ? Ça, je vais devoir attendre qu’elle me
fasse encore un peu plus confiance, pour le savoir.
Elle me plaît et pas uniquement physiquement. Le fait qu’elle tente de
me tenir tête depuis le début, ou juste de me faire chier, ne m’a jamais
laissé indifférent. J’ai envie de partager avec elle les coins de Centori que
je préfère et j’ai commencé en l’emmenant dans le restaurant de mes
parents. Le fait qu’elle comprenne la valeur de ce rendez-vous, venant de
ma part, ne me fait que l’apprécier davantage.
Quelqu’un frappe à la porte de mon bureau et l’ouvre. Il n’y a que Tony
pour ne pas attendre que je lui réponde.
– Tu es déjà rentré de Rastori ? M’étonné-je qu’il ne m’ait pas prévenu
de son retour.
– Oui, acquiesce-t-il laconiquement en prenant place dans un fauteuil
en face de moi.
– Qu’est-ce qu’il y a ? Ça n’a pas l’air d’aller ? Constaté-je en croisant
les bras sur mon torse.
– Adriano, j’ai un truc à te dire, m’avoue-t-il, mal à l’aise.
Tony sait que je ne lui ferai jamais rien, alors, s’il hésite, c’est qu’il a
vraiment fait une connerie.
– Je t’écoute, énoncé-je pour qu’il crache le morceau.
– J’ai découvert quelque chose à propos d’Angela, confesse-t-il en ne
baissant pas les yeux.
– Je t’avais pourtant interdit d’enquêter sur elle, il me semble ?
M’insurgé-je, choqué de cette initiative de la part de mon frère.
– Adriano, cette fille arrive ici de nulle part et on ne connaît rien d’elle.
– Toi tu ne connais rien d’elle, rétorqué-je en le pointant du doigt,
mais qui te dit que JE ne la connais pas ?
– J’ai fait ça pour toi, Adriano. Tu la fréquentes et je veille sur toi,
c’est mon boulot, conclut-il, face à mes remarques.
Je recule mon siège et passe une main dans mes cheveux. Il a raison,
c’est son job de faire attention à qui s’approche de moi. Mais Angela,
c’est de l’ordre du privé, alors ça me dérange. Est-ce que je veux
connaître une partie de son histoire de cette manière, par une enquête
minutieuse de Tony ?
– Laisse tomber, je ne veux rien savoir, décidé-je, préférant rester
honnête avec la femme qui partage ma vie.
– Je suis désolé Adriano, mais tu n’as pas le choix, me précise Tony
en me tendant une grande enveloppe brune en kraft.
S’il veut que je la consulte, c’est qu’il a découvert quelque chose
d’important. Tony a toute ma confiance alors s’il juge nécessaire que je
dois savoir, c’est que c’est justifié. Je décolle le papier collé de
l’enveloppe et m’empare de ce qu’il y a à l’intérieur. Plusieurs photos de
surveillance en tombent. Un homme photographié, à plusieurs reprises et
à des jours différents. Je reconnais mon ennemi, celui que j’ai vu au
journal télévisé, hier. Il se rend au tribunal ou dans les locaux de la police.
Sur quelques clichés, il est en compagnie de l’Inspecteur Bartoli. Sur
d’autres photos, il rentre dans une maison, qui doit être à lui.
– Il s’agit de Lorenzo Lucarelli, le nouveau Chef de la cellule Anti-
Mafia qui cherche à te faire tomber. Son QG est bien au commissariat de
Rastori, du poste d’où venait Jérémy.
– Comment as-tu réussi à savoir où il crèche ? Ils font profil bas pour
ne pas se faire abattre normalement, ajouté-je, choqué qu’il ait mis la
main sur son habitation.
– Grâce à cette photo, m’annonce-t-il en m’en tendant une autre qu’il
gardait dans la poche intérieure de sa veste.
Il s’agit d’un portrait de famille. Un homme et une femme
accompagnés de leurs deux filles à peu près adolescentes. Je reconnais
Angela immédiatement dessus. Elle avait déjà ses magnifiques cheveux
blonds même s’ils sont complètement attachés sur ce cliché.
Puis, mon regard examine le père. Il s’agit du même homme que sur
les photos précédentes. Je lève mon regard vers Tony et j’espère qu’il a
une explication miraculeuse qui ferait que ce n’est pas ce que je crois.
– Je suis désolé, mais j’ai tout vérifié. Lucarelli a deux filles, l’une est
morte il y a deux ans dans des circonstances assez floues. Et l’autre…
– L’autre est Angela, terminé-je à sa place. Elle est la fille du mec que
l’on cherche depuis des mois.
Il ne répond pas sachant que c’est inutile. Je ne sais plus quoi penser.
Suis-je con au point de m’être fait avoir comme un débutant par le
charme d’une femme ? J’ai du mal à y croire, pourtant c’est bien là, sous
mes yeux. La vérité sur un cliché ancien. Je me lève et regarde dehors. Je
sens une tempête prendre de l’ampleur dans mon corps. S’est-elle
moquée de moi depuis le début ? Sa trahison ravive les blessures, encore
ouvertes, que la mort d’Aurélia m’a causées. J’ai baissé ma garde et
Angela a réussi à se faire une place dans ma vie.
– Fais-la chercher et ramène-la ici immédiatement, ordonné-je à Tony
sans me retourner pour le regarder.
Il ne dit rien et sort de la pièce. Il me connaît et sait que j’ai besoin de
rester seul. Qu’est-ce que je vais faire ? Il y a à peine quelques minutes, je
nous imaginais inaugurer notre nouvelle literie et maintenant j’en suis à
me demander si je vais être obligée de la tuer.
36

Angela Alessi

Quand je regarde la vitrine de la boutique, ce matin, avant d’ouvrir, je


constate que j’ai mis de la couleur partout. C’est l’effet Adriano. Nos
soirées en tête à tête s’enchaînent et nous nous découvrons peu à peu. Il
s’ouvre à moi me laissant apercevoir celui qui se cache derrière sa
carapace de Chef. Je sais qu’il abordera le sujet de ma famille, encore et
encore, jusqu’à obtenir les réponses qu’il souhaite. Il est vraiment temps
que je prenne une décision. Est-ce que je lui révèle la vérité ? À chaque
fois que je tente d’aborder le sujet, soit je me défile, soit c’est lui qui met
fin à la conversation, sans s’en rendre compte. Mais depuis hier soir, je
sais ce que je risque en ne lui révélant pas la vérité. Je ne suis pas
certaine de m’en remettre s’il me rejette.
Je me retourne en entendant le carillon de la porte tinter. Je suis
étonnée de voir Tony et Batista.
– Bonjour Angela, me salue Batista.
– Adriano aimerait te voir, me brusque Tony, avec une lueur de
mépris dans les yeux, tout de suite.
Mon cœur s’emballe sous le coup de ce qu’implique cette urgence.
– Mais je ne peux pas, tenté-je, j’ai la boutique.
– Il va falloir la fermer pour l’instant, m’informe Tony en retournant
déjà l’écriteau sur la porte d’entrée.
Je retire mon tablier en tremblant sous le regard indulgent de Batista.
La peur s’insinue dans mes veines. J’ai bien compris de quoi il en
retourne. Je les suis docilement dans leur voiture, sans broncher. J’ai
bien conscience que ça ne sert à rien. Il serait vain de lutter contre ces
deux colosses.
Le temps de parcourir le chemin jusque chez Adriano n’est pas très
long en voiture. Je suis étrangement calme. Du moins, pour l’instant. Je
tente d’analyser la situation et de mettre en ordre mes idées pour
affronter le Chef Alario.
Je grimpe les escaliers, toujours escortée par les deux hommes.
Tony nous ouvre la porte avec un air sévère alors que Batista me semble
plus enclin à écouter ce que j’ai à dire, avant de juger.
Adriano est debout et admire la vue par sa grande baie vitrée, un
verre à la main. Il est un peu tôt pour boire, mais je m’abstiens de le lui
faire remarquer.
– Qui est ton père ? M’apostrophe-t-il, d’un ton glacial, sans perdre
une seconde.
La question claque comme un fouet dans les airs. Je ne m’attendais
pas à entendre autant de haine dans le timbre de sa voix. Il n’attend pas
d’explications de ma part.
– Si tu me le demandes de cette manière, c’est que tu le sais déjà, lui
balancé-je hautaine pour le forcer à se retourner.
Je veux qu’il m’affronte, qu’il lise la sincérité dans mes yeux.
– C’est quoi le plan Angela ? Vocifère-t-il, toujours de dos.
– Je te promets qu’il n’y en a pas, lui assuré-je, de bonne foi.
Sa froideur me glace le sang et me provoque des tremblements.
– Tu devais te rapprocher de moi et t’immiscer dans ma vie pour que
ton cher papa sache quand frapper ? Me questionne-t-il avec dégoût.
Je ne supporte pas cette distance entre nous et le dédain avec lequel
il me traite, comme si je n’étais rien pour lui.
– Non, pleurniché-je, malgré moi.
– Alors quoi ? crie-t-il brusquement, me faisant sursauter.
Il s’avance vers moi et lève mon visage d’une main pour me regarder
droit dans les yeux. Je ne vois dans ses prunelles que le Chef de clan,
pas de trace de mon Adriano.
– Tu sais tout, je suis ici par hasard suite à l’annonce de Rosa. Tout
ça n’a rien à voir avec lui, Adriano, juré-je en voulant effleurer sa joue,
mais je retiens mon geste face à la colère qui brûle dans ses yeux.
Il me relâche aussitôt et s’éloigne à nouveau comme si j’étais capable
de l’empoisonner par un simple touché. Mon cœur se fissure face à son
rejet.
– Tu te fous de ma gueule ? Tu penses que je vais te croire ?
S’emporte-t-il en tapant du poing sur le bureau.
– Pourquoi je serais venue témoigner pour toi alors auprès de la
police quand ils t’ont arrêté ? Ils avaient de quoi t’enfermer pour plusieurs
années, mais grâce à mon témoignage, tu as été libéré.
Batista a l’air de peser le pour et le contre face à mes arguments, il a
envie de me croire. Tony, lui, ne m’écoute même pas, mais je m’en fous.
Tout ce qui compte, c’est ce qu’il pense, lui.
– Je ne sais pas ce que vous cherchez avec ton paternel, mais si
c’est faire de moi une balance pour m’avoir fait échapper à la prison,
vous vous êtes trompés de mec ! raille-t-il en prenant encore de la
distance.
– Non ! M’écrié-je horrifiée qu’il m’associe avec mon géniteur.
Adriano, j’ai essayé de t’en parler à plusieurs reprises. Au départ, je ne
pouvais rien te dire, et ensuite, quand nous nous sommes rapprochés, je
n’ai pas su comment aborder le sujet. J’avais peur de ta réaction.
– Et tu avais raison d’avoir peur, me confie-t-il, le regard menaçant.
Sa réponse est dite sans aucune émotion. Il est dans son rôle de
Chef, là. Je ne représente rien pour lui. Je dois atteindre l’homme que se
cache derrière, celui qui fait battre mon cœur et me donne des papillons
dans le ventre.
– Je n’ai rien à voir avec lui Adriano, tu dois me croire, le supplié-je. Je
suis sincère avec toi et je l’ai toujours été.
– Tu m’as caché ta véritable identité, comment veux-tu que je te croie
maintenant ? Me discrédite-t-il, hors de lui.
Toujours en pleurs, mes larmes doivent ruiner mon maquillage. Je
décide de laisser parler mon cœur, consciente que c’est ma dernière
chance.
– Parce que je t’aime, lui avoué-je, ce qui a le mérite d’attirer son
attention. Et si tu tiens à moi, laisse-moi l’occasion de m’expliquer.
Ma déclaration a le mérite d’étonner Tony. Je me suis rapprochée
d’Adriano et ose prendre ses mains dans les miennes.
Voilà, les dés sont jetés. Si je ne parviens pas à toucher son âme, s’il
reste insensible à ma détresse, c’est qu’il n’est pas l’homme que je
pensais.
– C’est trop facile ça Angela, me reproche-il un peu plus calmement,
droit dans les yeux, si tu m’aimais vraiment, tu ne m’aurais pas menti sur
une chose si importante.
– Et quand voulais-tu que je te le dise ? Quand tu es venu me
racketter ? Quand tu m’as agressée avec ton couteau ? Quand on faisait
l’amour ? Ou bien alors à l’enterrement d’Aurélia ?
La colère me gagne aussi. Ne comprend-il pas que j’étais dans une
impasse ? Croit-il que je n’ai pas mesuré l’ampleur de la situation ?
Il tire sur mes mains et je me retrouve catapultée contre son torse. Il
attrape des mèches de mes cheveux et les tient fermement dans la
paume de sa main. La poigne qu’il exerce me fait mal, mais la douleur
n’est rien en comparaison à celle que j’éprouve dans mon cœur.
– Fais attention à ce que tu dis, Angela ! me menace-t-il, ivre de rage
que j’ose évoquer sa sœur.
– Laisse-moi m’expliquer, lui intimé-je à nouveau.
J’aimerais pouvoir être forte et arrêter les larmes de dévaler sur mon
visage. Mais c’est impossible, la peur des souvenirs difficiles, qui
remontent, associée à celle de perdre Adriano, rend la chose
insurmontable.
– Tu devrais peut-être écouter ce qu’elle a à te dire cousin, lui
conseille Batista.
Tony baisse la tête et n’a pas l’air d’accord. Adriano leur fait signe de
sortir du bureau. Ils obéissent et je suis soulagée de me retrouver seule
avec lui alors que je m’apprête à me confier.
– Je t’écoute ? M’ordonne-t-il avec sa main toujours dans mes
cheveux.
– Je suis la fille aînée de Lorenzo Lucarelli c’est vrai, lui confirmé-je
de vive voix. Je suis aussi celle qu’il battait tous les jours, à coups de
pieds, de poings, de ceintures et d’insultes.
Son emprise se relâche au fur et à mesure de mes mots. Il ne sait
plus quoi dire ou faire. Il ne s’attendait pas à cette révélation.
– Il a toujours voulu que ma sœur et moi soyons parfaites en public :
bien élevées, tirées à quatre épingles et jamais un mot plus haut que
l’autre.
Je commence à apercevoir son côté doux et protecteur prendre le
dessus.
– Bien entendu, ce n’était jamais assez bien pour lui. Les coups
pleuvaient sous n’importe quel prétexte. Ma mère avait bien trop peur de
lui pour s’interposer.
Ses pouces essuient mes larmes qui coulent toujours. Sa mâchoire
est contractée et je vois sa jugulaire pulser au rythme des violences que
je lui raconte avoir subies.
– En grandissant, j’ai commencé à moins le craindre. Alors quand il a
remarqué que je m’étais endurcie, il s’en est pris à ma petite sœur, me
confié-je en reniflant.
L’angoisse de savoir qu’il va bientôt me retrouver à cause de mon
témoignage m’empêche de me calmer.
– Elle s’appelait Louisa, lui indiqué-je pour ne plus rien lui cacher, elle
s’est ouvert les veines pour mettre fin à son calvaire.
Je plaque une main sur ma bouche, prise d’une envie de vomir, en
repensant au corps de ma sœur inerte dans la baignoire, les bras
tailladés. Je vois trouble avec les mauvais souvenirs qui affluent. Je me
sens tomber, mes jambes ne supportant plus le poids de ma peine et de
ma culpabilité.
Les bras d’Adriano m’entourent et me collent à lui. Il me serre
fermement en caressant mes cheveux. Mes pleurs redoublent d’intensité
dans le réconfort de son étreinte.
– Adriano, je t’en prie. Ne me dit pas que c’est fini, protesté-je en
relevant mon visage ravagé. Ne me laisse pas tomber, je suis déjà au
plus bas, je ne le supporterai pas.
37

Adriano Alario

S’il y a une chose que je ne tolère pas, c’est la violence faite aux
enfants. C’est inacceptable, encore plus quand il s’agit de vos propres
parents. Comment peut-on faire du mal à la chair de sa chair ?
– Je suis partie de chez moi sans prévenir suite au décès de ma
sœur. Ça fait un peu plus d’un an, m’a-t-elle précisé. Quand j’ai fait ma
déposition à l’Inspecteur Bartoli, il ne voulait pas me croire. Il m’a dit que
si nous avions une relation, ma parole n’avait pas de valeur. Alors je lui ai
dit que j’étais la fille du chef de son chef et qu’il valait mieux pour lui que
je sois prise au sérieux.
Il ne l’avait pas vu venir celle-là, le flic ! J’aurais donné cher pour voir
sa tête quand Angela lui a révélé être la fille du chef de la police anti-
mafia, rien que ça !
Par contre, cela n’excuse pas tout. Ça ne lui donnait pas le droit de
me séduire en connaissance de cause. Je crois que c’est ce qui m’énerve
le plus. Elle savait durant tout ce temps que ça finirait par exploser, qu’on
se retrouverait au pied du mur. Mais, cela ne l’a pas empêchée de se
laisser aller avec moi. Elle a foncé tête baissée dans l’impasse qu’est
notre relation. Elle et moi, c’est impossible.
Je comprends mieux maintenant pourquoi elle n’est jamais allée se
plaindre auprès de la police. Elle ne voulait surtout pas se faire
remarquer. Elle a pourtant levé le voile sur son identité pour me faire
libérer. Elle s’est exposée, après plus d’un an dans l’ombre, pour ma
liberté.
J’enrage d’avoir la tête à l’envers à cause d’une femme. Je ne
discerne plus le vrai du faux. Que veut-elle ? Peut-être voit-elle en moi une
opportunité d’enfin rendre fier son flic de père ? C’est vrai, elle aurait pu
me livrer à lui sur un plateau tellement j’ai baissé ma garde.
Deux bonnes heures sont passées depuis que je l’ai fait sortir de mon
bureau, en restant muet à ses supplications. Batista m’a informé l’avoir
mise dans la chambre d’amis en attendant que je prenne une décision.
La porte s’ouvre doucement et le visage de ma mère apparaît dans
l’embrasure. Mes parents sont rentrés tôt, ce matin, car l’état de mon
père s’aggrave et ils préfèrent donc être à Centori.
– Je peux entrer ? M’interroge-t-elle, par crainte de déranger.
– Bien sûr Mama, toujours, lui assuré-je.
Son visage a perdu de sa lumière depuis la disparition d’Aurélia et je
ne sais pas comment elle tient encore le coup. Le fait de devoir s’occuper
de mon père doit l’y aider, je présume.
– Que se passe-t-il, mon fils ? S’intéresse-t-elle, d’une douce voix.
– Angela est la fille d’un flic très haut placé, soupiré-je, las.
– Est-ce de sa faute ? S’exclame ma mère.
– Comment ça ?
Je ne comprends pas ce qu’elle essaie de me dire.
– Adriano, tu es bien placé pour savoir qu’on ne choisit pas ses
parents, examine-t-elle à juste titre.
Elle marque un point.
– Tu as raison, mais elle a bien choisi de me le cacher, lui rétorqué-je,
du tac au tac.
– Doux Jésus, heureusement ! S’exclame-t-elle. Adriano, que lui
aurais-tu fait, si dès son arrivée, tu avais su qui elle était ?
Je ne réponds pas, incapable d’assumer à voix haute le sort que je lui
aurais réservé. Celui que je peux encore décider de lui infliger.
– Que t’a-t-elle dit, tout à l’heure, quand Tony et ton cousin l’ont
ramenée ici ?
Je souffle et passe mes mains sur mon visage, n’ayant pas très envie
de répéter ces horreurs.
– Que son père la battait elle et sa sœur depuis leur enfance. Elle a
fui sa famille, il y a un an, suite au suicide de sa sœur.
Ma mère est horrifiée et cache sa mine de dégoût en posant sa main
sur sa bouche.
– Pauvre petite, résume-t-elle. Vous vous êtes rapproché ces derniers
temps tous les deux, je crois ?
Je hoche la tête en tapotant du bout des doigts sur mon bureau.
– Et maintenant que vas-tu faire ? Me balance-t-elle comme si la
solution était évidente.
– Je n’en sais rien, putain ! Elle m’a menti mama, comment veux-tu
que je lui fasse confiance, maintenant ? Je ne sais pas quelle décision je
dois prendre.
Je peux faire cet aveu à ma mère. Elle ne me juge pas et tente au
contraire de me venir en aide.
– Que te dicte ton cœur ? M’encourage-t-elle à continuer mes
confidences.
– Oh arrête, tu veux, pas de ça avec moi ! La réprimandé-je, agacé
qu’elle vienne me parler de sentiments.
– Si tu hésites mon fils, c’est que tu as déjà ta réponse en réalité. Il te
faut juste trouver une solution pour que vous puissiez être ensemble.
La véracité des propos de ma mère me surprend. Elle a entièrement
raison. Je ne cherche pas à savoir si je pardonne à Angela ou pas. Je
tente de solutionner notre problème majeur. Je ne peux pas rester
insensible à cette femme, à laquelle je me suis tant attaché. Je lui en
veux bien sûr de ne m’avoir rien dit. Mais puis-je le lui reprocher ? Je me
rappelle qu’elle a tenté, maladroitement quelquefois, d’évoquer le sujet.
Mais elle tournait autour du pot ou se dégonflait à la dernière minute. Je
pensais qu’elle avait besoin de temps, mais j’étais loin d’imaginer son
secret.
– Fais ce qui te semble le plus juste, me conseille ma mère, en
posant sa main sur mon avant-bras avant de sortir de mon bureau.
Je décide de noyer mes pensées dans un nouveau verre de scotch.
Je n’en suis qu’à mon troisième, après tout. Pas sûr que ce soit une
bonne idée, mais c’est la seule qui me vienne pour apaiser le brasier, qui
consume mon corps d’avoir été trahi, par la femme avec laquelle je
pensais un avenir possible.
38

Angela Alessi

Je suis réveillée depuis un bon quart d’heure, mais je refuse d’ouvrir


les yeux. Je suis ensevelie dans les profondeurs de ma peine et de ma
peur. Je ne pensais pas pouvoir tomber plus bas quand Louisa est morte,
mais je me suis trompée. J’ai non seulement perdu ma sœur, ma
nouvelle amie et maintenant l’homme que j’aime. Comment avoir encore
envie de se lever et de continuer à vivre ? Et puis, d’une manière ou d’une
autre, je sais mes jours comptés. Ce sera à qui s’en prendra à moi le
premier ? Adriano a pour l’instant une manche d’avance puisqu’il me
garde recluse chez lui. Mais dehors, il y a mon père qui attend son tour.
Sans oublier, les gangs ennemis à celui d’Adriano, si la nouvelle se
répand, ils ne tarderont pas à vouloir me mettre la main dessus, pensant
pouvoir se servir de moi contre mon paternel.
Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est, ou encore depuis combien de
temps je suis allongée sur ce lit. Les pleurs incessants m’ont emportée
dans les bras de Morphée après qu’il soit resté muet face à ma détresse.
Mon cœur bat toujours dans ma poitrine, mais je ne ressens plus rien. Je
suis une coquille vide, dépouillée de toute émotion. Je n’ai plus rien à
donner, il m’a tout pris. La chute a été vertigineuse et je ne pense pas
pouvoir m’en relever. Je suis remplie d’hématomes à l’intérieur. C’est la
fracture de trop.
Je tente de m’assoupir à nouveau, mais il n’y a que les ténèbres pour
m’accueillir. L’image de mon père et celle d’Adriano se mélangent. Je ne
suis pas assez bien, pour aucun des deux. Pour personne d’ailleurs. Si je
disparais, à qui manquerai-je ?
Mes paupières se soulèvent douloureusement tellement mes yeux
sont gonflés. Un coup d’œil au réveil m’indique qu’il est plus de deux
heures du matin. Le silence dans la maison des Alario est apaisant. La
salle de bain, dont la porte est entrouverte, me donne envie d’imiter ma
sœur. Mettre fin à mon supplice, là, maintenant. Être maîtresse de mon
destin d’une certaine manière et choisir mon dernier départ.
Mon uniforme de robe sixties est complètement froissé et mes
cheveux emmêlés. Je dois ressembler à ces épouvantails que l’on voit
dans les champs, au détail près qu’ils ont toujours un sourire, eux.
Dans mon demi-sommeil, je me rappelle la promesse que je m’étais
faite à l’enterrement d’Aurélia. La même que lorsque je me suis enfuie de
Rastori. Vivre pour elles, qui sont parties beaucoup trop tôt. Je dois
cesser de baisser les bras, arrêter de pleurer et d’être faible. Il faut que je
puise dans chaque artère de mon cœur, pour honorer leur mémoire. Pour
me battre et forcer Adriano à entendre raison. Il m’a chassée de son
bureau, ce matin, juste quand je commençais à atteindre l’homme qui
m’a séduite. Je vais devoir affronter le Chef qu’il est en façade, pour faire
capituler l’Adriano dont je suis tombée amoureuse.
J’avance sur la pointe des pieds pour ne pas me faire remarquer.
J’ouvre la porte avec précaution pour vérifier si quelqu’un surveille mes
allées et venues. Personne en vue. Je m’arme du peu de courage qu’il me
reste en parcourant le couloir qui me mènera jusqu’à sa chambre.
Arrivée devant sa porte, je lève ma main et m’apprête à toquer. Tout
compte fait, je décide de rentrer doucement sans m’annoncer. La porte
n’est pas fermée à clé et je la referme discrètement derrière moi.
Quand je me retourne, Adriano sort de sa salle de bain. Une serviette
autour de la taille et une autre dans la main, en train de frotter ses
cheveux. Il s’arrête lorsqu’il m’aperçoit.
– Tu n’as rien à faire ici, m’assène-t-il, contrarié.
J’interdis à mon cœur d’écouter, pour l’instant. Sinon, je vais faiblir et
ne pas tenir le coup. Je l’observe en tentant de déterminer le choix des
mots qui pourrait le convaincre.
– Regarde-moi, exigé-je comme il s’évertue à me fuir.
Il m’offre la vue de son dos tandis que je m’approche de lui. Je pose
mon front contre son omoplate et mes mains sur ses épaules. Ses
muscles se tendent et il inspire brusquement.
– Qu’est-ce qu’il va se passer à présent ? M’inquiété-je.
Il ne me répond pas et reste insensible à mes mains qui parcourent
ses bras.
– Maintenant qu’il sait où je vis, mon père va venir me chercher.
J’avais réussi à me cacher jusqu’ici, avec le nom de jeune-fille de ma
grand-mère maternelle, mais ce n’est qu’une question de temps.
Mes lèvres viennent éponger les gouttes qui ruissellent sur son dos.
– Tu vas quitter Centori, déclare-t-il en me regardant de biais.
Sa réponse me fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre. Il vient
de sortir mon cœur meurtri de ma cage thoracique pour le piétiner.
– Je ne veux plus fuir, me lamenté-je, désemparée à l’idée de le
quitter.
– Tu ne comprends pas, souffle-t-il en secouant la tête, le danger ne
vient pas seulement de ton père. Si Tony a réussi à avoir ces
informations sur toi, les autres gangs, aussi, peuvent les obtenir.
Je comprends mieux le comportement de son bras droit. C’est lui qui
a dû apprendre la nouvelle à mon sujet à Adriano. Il vient poser ses
mains sur les miennes, qui recouvrent son ventre.
– J’aurai peur, seulement si je ne suis pas avec toi, lui avoué-je.
Il se tourne enfin et passe ses mains dans ma nuque. Son front posé
sur le mien, nous fermons tous les deux les yeux. Je le sens en train de
se livrer une bataille intérieure.
– Si j’avais mis Aurélia à l’abri quand les choses ont commencé à
dégénérer, elle ne serait pas morte, aujourd’hui. Je ne ferai pas deux fois
la même erreur, Angela, me confie-t-il, avec difficulté.
– Ne me rejette pas Adriano, l’imploré-je, ne pouvant plus retenir mes
larmes.
Ma supplication le fait enfin capituler. Ses lèvres se font douces sur
les miennes. Notre baiser est lent et plein de tendresse. Je le savoure,
car j’ai peur de le perdre. J’ai toujours marché sur un fil dans cette
relation. C’est à Adriano de décider s’il est rompu définitivement.
39

Adriano Alario

– C’est impossible entre nous Angela, énoncé-je pour qu’elle prenne


conscience de la situation.
Sa respiration est saccadée. J’ai peur qu’elle s’écroule d’une minute à
l’autre tellement sa mine est déconfite.
– Je suis le Chef d’un clan d’une famille de mafieux et tu es la fille du
flic chargé de nous faire tomber.
– Ne dis pas ça, m’ordonne-t-elle en posant son index sur mes lèvres.
Il doit exister une manière de nous permettre de nous aimer.
Je connais la seule solution pour remédier à ce dilemme. Par contre,
je ne suis pas certain qu’elle soit d’accord avec cette option. Et est-ce
que nous pourrons être, encore heureux ensemble, après ça ? Verra-t-elle,
encore, en moi l’homme qu’elle prétend aimer ? Je préfère qu’elle s’en
aille, en sachant qu’elle a encore des sentiments pour moi, plutôt que de
la garder ici et de la voir me haïr.
– Dans la mafia, il n’y a pas trente-six solutions, Angela. Et crois-moi,
celle-ci ne va pas te plaire, lui assuré-je.
Nous sommes debout au beau milieu de ma chambre. Les yeux dans
les yeux, pour déterminer notre avenir incertain durant les jours à venir.
– Je veux rester avec toi, peu importe ce qu’il faudra faire, me
garantit-elle d’une voix convaincante.
Angela s’est toujours battue pour nous. Si quelqu’un mérite que je
mette ma fierté de côté, c’est elle. Pour ce qu’elle a fait pour ma
libération, et aussi pour tout ce qu’elle a subi, à cause de mon clan. Le
meurtre et le traumatisme lié à la mort d’Aurélia qui lui ont fait revivre le
décès de sa sœur, l’agression de Giacomo et aujourd’hui, son exposition
auprès de son père. Tout ça, par ma faute. Si elle avait atterri dans une
autre ville, elle ne connaîtrait pas tous ces ennuis.
Elle est bien passée outre le fait que je l’ai rackettée et agressée. Il
est peut-être temps, à mon tour, que je fasse quelque chose pour elle,
pour nous. Je suis incapable de lui dire que je l’aime. Je ne sais pas
réellement à quoi ressemblent ces sentiments profonds. Mais je peux lui
montrer ce que ressent mon corps et mon cœur pour elle.
J’avance et la fais reculer d’un même mouvement jusqu’à mon lit. Je
la laisse tomber doucement dessus et me penche sur elle, en posant un
genou entre ses jambes sur le matelas.
– Je vais devoir tuer ton père Angela, tu en as conscience ? Lui
déclaré-je, plus sérieux que jamais.
Pour la faire accepter aux yeux des membres du gang, il faut que ce
soit moi qui le fasse. C’est la seule solution pour nous sortir de cette
impasse. Je veux qu’elle sache dans quoi elle s’engage, en restant avec
moi.
– Et je ferai tout ce qu’il faut pour t’y aider, m’assure-t-elle, sans ciller.
Je reste stoïque quelques instants, face à son aplomb. Elle est sûre
d’elle, je le lis dans ses yeux. Je peux voir danser au fond de ses
prunelles toute la haine et la rancœur que lui inspire son père. Je
l’embrasse me délectant de ses paroles revanchardes. J’aime qu’elle se
montre forte et rancunière envers lui.
J’entreprends de déboutonner sa robe de serveuse jusqu’en bas.
J’embrasse son cou et son décolleté. Ma main s’insinue dans son tanga
et elle se cambre pour me faciliter l’accès à son intimité. Mes doigts
s’enfoncent en elle tandis que ma langue suçote le bout de ses seins.
Angela rejette la tête en arrière et ses gémissements attisent mon
excitation.
Sans cesser mes caresses sur la douceur de son sexe, je tends mon
autre main vers ma table de chevet pour attraper un préservatif. Je
balance la serviette nouée à ma taille parterre et m’empresse de me
protéger. Je m’allonge sur elle et ancre bien mon regard dans celui de la
femme qui détient mon cœur.
– Jure-moi de ne plus jamais rien me cacher, lui ordonné-je pour ne
plus avoir à revivre cette situation.
Elle noue ses bras autour de mon cou et relève son visage.
– Tu as ma parole Adriano, me promet-elle sachant quelle
importance ça a pour moi.
Je m’enfonce en elle pour effacer ces mauvais souvenirs, comme
nous l’avons fait dans mon bureau au Cabaret. Nos bouches ne se
décollent pas tandis que nos bassins s’unissent en rythme. Nous
prenons notre temps et profitons de ce moment.
Nos corps s’assemblent pour ne former plus qu’un et mener l’autre au
bord du précipice du plaisir. Nous jouons sur les cadences en nous
mordillant les lèvres, tour à tour.
Puis, les mains d’Angela empoignent mes fesses et m’invitent à
accélérer le mouvement. Je ne me fais pas prier et augmente la cadence
de mes va-et-vient.
Notre orgasme s’exprime dans un son étouffé par la bouche de
l’autre. Nos langues refusent de se quitter et s’enlacent encore et encore,
comme pour rattraper les quelques heures perdues.
Angela met sa tête sur mon épaule et une main sur mon torse quand
je m’allonge à côté d’elle. Son regard fuyant me donne l’impression
qu’elle n’est pas encore complètement rassurée. Alors, je pose une main
sous son menton et lui fais lever son visage.
– Ce sera toi et moi contre ton père, énoncé-je comme une promesse.
Elle me sourit, soulagée et sereine.
– Toi et moi contre lui, répète-t-elle pour sceller notre pacte.
Lorenzo Lucarelli n’est pas un homme innocent et il mérite de payer
pour ce qu’il a fait. Ensemble, nous allons venger Louisa et faire payer à
cet homme sa cruauté.
Par cet échange, nous nous engageons l’un envers l’autre vers un
avenir en commun. Nous allons devoir surmonter des épreuves, nous
faire confiance et être solidaires.
Mais ensemble, je suis convaincu que nous y parviendrons. La
préface de notre histoire n’est pas commune et finalement, ça nous
correspond. Le destin a choisi de nous réunir, moi, fils du chef mafieux, et
elle, fille du flic chargé de nous faire enfermer. Nous n’avons rien à faire
ensemble et pourtant nous sommes si bien l’un avec l’autre. Les deux
pièces d’un puzzle s’emboîtant l’une dans l’autre, comme le Yin et le
Yang.

- A suivre -
Remerciements

Il y a un peu moins d’un an, je posais les premiers mots de Gun Cake,
sans imaginer le parcours qu’aurait cette histoire. Fan des films d’Al
Pacino et Robert de Niro, Adriano a vite pris forme dans mon esprit. Pour
Angela, j’ai laissé ma passion pour la pâtisserie me parler. Mon couple
italien était né.
Mais, sans le soutien et l’aide de certaines personnes, rien n’aurait été
possible.
Marjy, toi, la première a cru en cette histoire. On a largement dépassé
le stade des remerciements toutes les deux, mais je tenais à te le dire, ici
encore. Merci d’avoir été là, chaque soir. D’avoir relu mille versions
différentes d’une même scène. D’avoir pris tout ce temps pour moi et de
m’avoir encouragée quand je baissais les bras. Sans toi, je ne serais pas
allée jusqu’au bout.
Claire, merci de m’avoir proposé ton aide lors du concours. Tu m’as
poussé à développer mes personnages et sans toi, ils ne seraient pas
pareils.
Lisa, je me revois encore devant mon écran t’entendre parler de Gun
Cake dans ta vidéo. Merci de me pousser à croire en moi, de me faire
comprendre que tout est possible, si l’on s’en donne les moyens. Tu es
une personne formidable. J’espère que nos Italiens te plairont dans leur
intégralité.
Flora, tu es la marraine de Gun Cake. Tu as trouvé les mots justes,
après ma défaite, pour que je reprenne confiance en mon histoire et ne
l’enterre pas. Tu as su voir les faiblesses de mon texte et tu as fait opérer
ta magie dessus, avec tes idées percutantes. Bam, bam !
Florence, comment me contenter d’un merci ? Sans toi, je
n’autopubliais pas, tout simplement. Je t’ai déjà tellement dit merci, que
je vais te demander pardon. Pardon pour toutes ses virgules manquantes
ou au mauvais endroit, pardon pour toutes ces fautes d’accord et ces
étourderies, pardon pour ces heures de corrections intenses, en peu de
temps. Tu es une perle et je te souhaite de tout cœur de réussir tes
projets professionnels.
Merci à la communauté Fyctia, aux lectrices qui sont venues
découvrir Angela et Adriano durant le concours. Votre générosité en
lecture nous pousse à toujours continuer, malgré les doutes.
Vous pouvez me retrouver sur les réseaux sociaux pour être tenu au
courant de mes actualités (waouh ça fait très « people », dis comme
ça !) :
Ma page auteur sur Facebook : Maloria
Mon compte auteur Facebook : Maloria Cassis
Instagram : Maloria67

A très vite… J’espère, Maloria.
© Maloria Cassis
9782755652048 - mars 2018
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