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Gun Cake 01 Maloria Cassis
Gun Cake 01 Maloria Cassis
Cassis
Gun Cake
« Ne prenez pas ma gentillesse pour une faiblesse, je suis aimable
avec tout le monde, mais lorsque quelqu’un ne l’est pas avec moi,
“faible” n’est pas le mot dont vous vous souviendrez à propos de
moi. »
Al Capone
Citation préférée d’Adriano Alario.
1
Adriano Alario
Adriano Alario
Angela Alessi
Je savais que les habitants seraient curieux de venir dès les premiers
jours d’ouverture, mais j’étais loin d’imaginer que la fréquentation ne
ferait qu’augmenter. J’ai mal à la mâchoire de sourire à longueur de
journée. Tous les jours, je crains d’en faire trop et contre toute attente je
suis toujours dévalisée. En cette fin de première semaine, je suis claquée,
mais sur un petit nuage qui ne fait que prendre de la hauteur.
J’entends le bruit de la petite sonnette qui me prévient de l’arrivée
d’un client. Je n’ai pas fermé la porte d’entrée alors que le salon de thé
est fermé depuis une demi-heure. Quelle idiote je fais. Je me précipite à
l’avant de la boutique pour voir qui est là.
– Rosa, vous m’avez fait peur, bafouillé-je en apercevant la vieille
femme.
– Oh pardon, je ne voulais vraiment pas, s’excuse-t-elle, confuse.
– C’est de ma faute, j’aurais dû fermer à clé, lui indiqué-je, en
m’empressant de le faire.
– Je suis venue voir comment se passaient les affaires, précise-t-elle.
Rosa est l’ancienne propriétaire des lieux. Elle possédait ce salon de
thé depuis plus de dix ans. L’endroit avait connu de beaux jours, mais les
dernières années avaient été un peu chaotiques. Elle avait rencontré
quelques soucis de santé et avait préféré vendre son affaire avant de
faire faillite. C’était une belle opportunité car elle bradait sa boutique. Elle
souhaitait procéder rapidement à la vente, ce qui était vraiment idéal
encore une fois pour moi, qui souhaitait partir au plus vite de Rastori. Je
m’étais laissée à peine une semaine pour refaire une beauté à cet endroit,
et ouvrir la pâtisserie de mes rêves d’enfant. J’avais repeint les murs en
blanc et avais accroché un peu partout des images très colorées de
cupcakes, de macarons et des gâteaux démentiels. Maintenant, il fallait
que je renfloue les caisses, et rapidement, sinon j’étais bonne pour
fermer dans l’année.
– La semaine a été éreintante ! Je suis crevée, mais c’était génial de
voir autant de monde venir découvrir la boutique, me réjouis-je auprès de
ma seule amie.
– J’ai vu qu’il y avait même eu la queue, dehors à un moment,
s’étonne-t-elle, ravie pour moi.
– Oui, c’est parce que la dame qui m’avait commandé le gâteau
d’anniversaire pour sa fille est venue le récupérer. Il a fait son petit effet
dans la boutique et tout le monde voulait le voir.
Je suis une spécialiste du cake design et j’adore personnaliser le
gâteau que je réalise pour quelqu’un. La maman de cette jeune fille, qui
fêtait ses dix-huit ans, m’avait expliqué qu’elle était une fashionista et
raffolait des chaussures. Il ne m’en fallait pas plus pour lui réaliser un
escarpin en pâte à sucre noire qui trônait fièrement sur le dernier étage
d’un gâteau gigantesque. La maman m’avait expliqué vouloir quelque
chose de grand et de tape-à-l’œil. Ça tombait bien, j’avais besoin d’une
première commande pour faire parler de moi dans le coin et faire de la
pub gratuitement.
– Tu as réussi à tout gérer, toute seule ? S’inquiète-t-elle.
J’ai l’impression de m’entraîner pour courir le prochain marathon, à
part ça, tout va bien. Entre les six tables du salon de thé et le comptoir
des ventes à tenir, ça a été difficile de tenir la barque correctement.
– Je pense que certains clients ont trop attendu. Il faudrait que je
puisse me couper en deux, me lamenté-je, fatiguée.
– Ou il faudrait que tu prennes quelqu’un avec toi pour t’aider ? Me
conseille l’ancienne propriétaire.
– Je ne sais pas, Rosa. Avoir un employé, alors que je ne sais pas du
tout si la pâtisserie va fonctionner. Ça ne me paraît pas raisonnable, lui
fais-je remarquer.
– Tu peux être sûre que si les clients s’impatientent, tu ne les reverras
plus, m’assène-t-elle.
– Ce n’est pas faux, ne puis-je m’empêcher de penser à voix haute.
– Écoute, ma petite Angela, je t’aime bien. J’ai envie que tu y arrives.
Je ne veux pas voir cet endroit vide et abandonné. Tu lui as donné une
nouvelle âme, alors ne fais pas de bêtises, s’il te plaît. Servir les clients
convenablement, c’est essentiel pour les faire revenir. Prends quelqu’un à
mi-temps au moins au départ.
– Je vais y réfléchir, lui certifié-je.
Rosa est tellement gentille depuis qu’elle m’a vendu la pâtisserie.
Nous nous sommes prises d’affection l’une pour l’autre et ça me fait
chaud au cœur qu’elle soit venue prendre de mes nouvelles, ce soir. Ses
conseils et son amitié me sont précieux. Je n’ai pas pour habitude d’être
rassurée et encouragée dans ce que j’entreprends.
Nous bavardons encore un petit peu avant que Rosa ne retourne chez
elle. Elle me parle de ses belles années et ne manque jamais de me
donner une petite recette de grand-mère. Je finis de nettoyer les tables et
le sol pour que tout soit prêt demain matin.
Je monte dans mon petit appartement qui est juste au-dessus. C’était
aussi un des avantages du salon de Rosa. Il était vendu avec un deux-
pièces meublé. Cela m’évitait d’avoir à chercher un appartement. Certes,
il n’est pas moderne et les peintures sont défraîchies, mais je suis chez
moi. Et ça, ça n’a pas de prix.
J’ai besoin d’une douche bien chaude pour ôter le poids de cette
journée difficile. J’enlève ma tenue de travail et file sous le jet d’eau, qui
ne coule pas régulièrement dans ma cabine exiguë.
Au fil des jours, j’avais remarqué que les hommes avaient du mal à se
concentrer sur le choix des parfums qu’ils souhaitaient pour leurs
macarons, lorsque je venais prendre la commande. Il faut dire que pour
mon uniforme, j’avais opté pour une robe identique à celles des
serveuses dans les « diners » américains de l’époque. Le premier jour, il
s’agissait d’une robe rose clair avec des boutons noirs sur le devant. Elle
était courte et se portait avec un cerceau qui élargissait son diamètre. Le
col et les retours de manches étaient en damiers noirs et blancs. J’avais
aussi lacé le petit tablier style soubrette autour de ma taille. Je portais
fièrement le petit chapeau rose avec une queue de cheval bien haute.
C’est simple, il ne me manquait plus que les rollers pour être
complètement fidèle à l’image de ces dames d’autrefois. Le site sur
lequel j’avais trouvé cette petite merveille en vendait de toutes sortes, j’en
arborais donc une différente tous les jours.
Si mon père me voyait dans cette tenue, je passerais un sale quart
d’heure. Il me reprocherait de vouloir attirer l’attention. Il me dirait que je
devrais savoir depuis le temps qu’en étant sa fille, je suis censée me
montrer irréprochable et ne pas faire dans l’extravagant.
Je m’installe dans mon canapé et regarde une émission à la télé en
grignotant un sandwich. Je finis par m’endormir plus heureuse que je ne
l’ai jamais été. Je vis seule et je suis enfin libre de faire ce que je veux.
J’ai tout laissé derrière moi pour démarrer une nouvelle vie. Je fais ce
que j’aime le plus au monde et j’ai même ouvert ma propre boutique. Je
suis à Centori, bien loin de mon père et de toutes ses règles drastiques.
Personne ne viendra me dicter mon comportement ou me dire ce que je
dois faire, ici. Ce temps-là est révolu.
Après une matinée de folie, et la confection de dizaines de macarons
et pâtisseries diverses, je profite du calme du début d’après-midi pour
aller distribuer les flyers que j’ai conçus de mes petites mains, la veille.
Je dois absolument promouvoir mes gâteaux d’anniversaire pour
augmenter mon chiffre d’affaires, et le plus tôt sera le mieux. Mes Vans
violettes au pied, je gambade dans les rues du centre-ville et commence
mon interminable partie de boîtes aux lettres. J’en profite pour repérer
les lieux. Depuis que je suis ici, soit deux semaines, je suis calfeutrée
entre quatre murs à bosser non-stop. Le soleil se tient fièrement dans le
ciel et nous fait plisser les yeux. La chaleur environnante ne va pas me
faciliter la tâche. Je n’aurais pas pu choisir pire moment pour distribuer
des tracts. Je repère plus loin, un magasin d’alimentation avec un grand
parking. Finalement, je vais peut-être opter pour déposer mes affiches
sur les pare-brise des voitures. Ça ira certainement plus vite.
Je veille à bien faire attention aux essuie-glaces, je ne voudrais pas
qu’un automobiliste m’engueule en me voyant toucher à sa voiture. Après
une heure de placardage, j’entre dans l’enseigne pour acheter une San
Pellegrino pour me réhydrater, sous peine de finir toute sèche comme
une vieille pêche, restée trop longtemps au soleil.
Je ressors en buvant de grandes gorgées et j’aperçois du coin de l’œil
une bande de jeunes en train de s’amuser à retirer tous mes flyers des
voitures. Ils les mettent en boule et se les balancent à travers le parking
en rigolant. Sans plus réfléchir, je me rue vers eux.
– Hé ! Arrêtez de retirer mes pubs des voitures ! Leur hurlé-je dessus.
Les jeunes se regroupent rapidement autour de moi et je n’avais pas
soupçonné qu’ils étaient si nombreux. Ils m’entourent, mais je tente de
faire bonne figure au milieu de cet attroupement. Ne pas montrer sa peur,
première règle d’autodéfense. Je cherche du regard les gens qui
déambulent à côté de nous pour avoir un soutien, mais les passants font
mine de ne pas remarquer qu’il se trame quelque chose.
– Je ne crois pas que vous ayez eu l’autorisation de faire de la
distribution de pub sur ce parking, s’adresse à moi, de façon sournoise,
celui qui doit être le chef de la meute.
– Je suis désolée, m’excusé-je, sans me démonter, j’ignorais qu’il en
fallait une.
– Vous voilà prévenue maintenant, se contente-t-il en retour. Allez les
gars, au boulot.
La troupe se disperse et ils reprennent leurs activités, réduisant à
néant les efforts que je viens de faire. Certains déchirent en mille
morceaux mes impressions et les lancent en l’air comme si c’étaient de
simples confettis. D’autres reprennent leur bataille de boules de papier et
ont l’air de s’amuser, tels des gamins en culotte courte.
– Vous êtes vraiment obligés de retirer mes affiches ? Pesté-je, en
colère contre le donneur d’ordres.
Entre le temps passé sur l’élaboration du tract, et mes efforts pour la
distribution sur ce parking, ils sont en train d’anéantir quasiment une
journée entière de boulot. Si je compte combien m’ont coûté le papier
glacé et les cartouches d’encre, ils balancent plus d’une centaine d’euros
à la poubelle. Et, impossible d’estimer les pertes de ce qu’aurait pu
m’apporter mon action.
– Que ça vous serve de leçon, et estimez-vous chanceuse qu’on se
contente de ne faire que ça, me menace-t-il, juste avant de s’en aller
rejoindre ses copains, pour leur donner un coup de main.
Non, mais je rêve ! Pour qui se prend ce morveux ? Ils sont en
surnombre et je ne peux donc absolument rien faire. Une belle bande de
lâches. Voyant l’heure tourner sur ma montre Cerutti, chinée par ma sœur
dans un marché aux puces, je m’avoue vaincue et retourne à la pâtisserie
passablement énervée. Je me sens humiliée et en position de faiblesse,
tout ce que je ne voulais plus jamais ressentir.
De retour à la boutique, l’adrénaline retombe et l’énervement s’infiltre
dans mes membres. Je me brûle à chaque sortie du four, ce qui n’est pas
dans mes habitudes. Je garde espoir qu’il s’agisse d’un acte isolé d’une
bande d’idiots n’ayant rien de mieux à faire, et que je sois passée sur leur
chemin au mauvais moment.
Je viens de finir de glacer cinquante cupcakes dans trois coloris
différents et, pas une seule fois, je n’ai entendu la cloche de l’entrée
tinter. Un coup d’œil à l’horloge m’indique qu’il est pourtant l’heure où les
gens rentrent du travail et j’ai souvent pas mal de monde à cette heure-ci.
Je me lave les mains en faisant attention à mes quelques petites
brûlures et vais jeter un coup d’œil à l’avant du magasin.
La scène qui se joue me cloue sur place dans un premier temps. Je
reconnais certains jeunes du parking. Ils sont devant ma pâtisserie et en
bloquent l’accès. Ils sont tous debout et ils empêchent la lumière du jour
d’entrer par les vitrines, tellement ils sont nombreux. Ils plaisantent entre
eux en s’exclamant fortement, ils fument et boivent des « Bira Del
Borgo ». Je ne sais pas trop comment réagir. J’ai bien trop peur de sortir
et, appeler la maréchaussée, non merci. Si c’est pour qu’ils m’envoient
deux flics bedonnants à la veille de la retraite, ils ne me seront pas d’une
grande utilité. Finalement, c’est celui qui s’est adressé à moi tout à
l’heure qui prend une décision en entrant. Il paraît avoir tout juste la
vingtaine. Le tintement tant attendu se fait entendre et le son me paraît
maintenant un brin angoissant.
– Qu’est-ce que vous voulez ? L’interrogé-je en lissant mon tablier
correctement pour m’occuper les mains.
Le jeune homme prend son temps et fait mine de réfléchir à ce qu’il
pourrait bien acheter. Le silence me prend à la gorge et je me dis que je
devrais essayer de me saisir d’un couteau, au cas où.
– Rien de particulier, se cantonne-t-il à me répondre, c’est juste un
petit avertissement.
– Je ne comprends pas, m’agacé-je à voix haute, alertée par le dernier
mot de sa phrase, qui n’augure rien de bon.
– Quelqu’un se chargera de vous expliquer les choses plus en détail,
ce n’est pas mon rôle, me confie-t-il, mais à ce moment-là, repensez à
nous. On s’est montré courtois jusqu’ici et ça serait dommage que les
choses s’enveniment.
Abasourdie, je le regarde s’emparer d’un cupcake Redvelvet et sortir
de ma boutique. Je reste là sans bouger et les observe squatter mon
trottoir quelques instants. Le chef de la bande me jette un regard à
travers la vitrine, tend sa bière dans ma direction et boit à ma santé.
Toute la bande déguerpit peu après, mais le mal est fait. L’heure du rush
est passée et vu l’état de la devanture de ma boutique, personne ne
viendra encore acheter quelque chose aujourd’hui. Des débris de
canettes jonchent le sol, accompagnés de papiers en tout genre et de
mégots de cigarette.
Tout en nettoyant ce bordel, je repense à la phrase du chef qui me
disait que quelqu’un viendrait m’expliquer les choses. Je redoute cette
entrevue et ce qui va m’être demandé. Il est fort possible que la mafia
sévisse dans le coin, auquel cas, je suis dans de beaux draps. La police
ne pourra ou ne voudra rien faire. Il ne me reste plus qu’à espérer que ce
ne soit pas un clan trop violent.
Alors que je range ce qui me reste d’achalandage, passablement
énervée, une jeune femme entre dans la boutique.
– Mince, vous fermez ? Me questionne-t-elle, déçue.
Finalement, je vais peut-être terminer cette journée sur une note
positive avec une cliente de dernière minute.
– Je commence à peine à ranger, je vous en prie, entrez, l’encouragé-
je en essayant de sourire, même si, ni le cœur, ni l’envie, ne sont présents,
vu la journée que je viens de passer.
– Je reçois quelques amis ce soir et ce n’était pas prévu. Qu’est-ce
qu’il vous reste encore ? Me questionne-t-elle, en balayant des yeux le
comptoir.
J’entreprends d’ouvrir à nouveau quelques boîtes que j’allais ranger
dans le réfrigérateur pour la nuit.
– Vous avez de la chance, pour une fois, il me reste du choix, lui
indiqué-je. Vous serez combien en tout ?
Le malheur des uns fait le bonheur des autres, ironisé-je en pensée.
– Nous serons une petite vingtaine, me précise la jeune femme.
– Très bien, je peux vous confectionner un assortiment de macarons
de plusieurs parfums. J’ai encore chocolat, citron, fraise, menthe et
pistache. Je vous en mets quatre de chaque sorte et vous aurez un
macaron par personne.
– Ça me semble une bonne idée, bredouille-t-elle, sans plus.
– Vous désiriez autre chose, peut-être ? L’interrogé-je, pour avoir son
avis.
Je veux finir cette journée par une vente pour me remonter un peu le
moral.
– Le gâteau que vous avez derrière vous, dans la vitrine.
Elle pointe du doigt ma dernière création.
Il est affiché à 50 euros pour 8 à 10 personnes. C’est un cake au
citron et à la crème. Il est nappé d’un glaçage blanc recouvert de crème
fouettée rose flashy coulant sur le dessus. Pour finir l’effet, j’ai ajouté une
boule de pâte à sucre rose comme s’il s’agissait d’une boule de glace à la
fraise et un cornet en biscuit dessus renversé. Ça donne l’impression que
la glace de quelqu’un est tombée gracieusement sur le gâteau et que le
tout dégouline de manière suggestive. Je ne pensais pas le vendre
aujourd’hui et l’aurais bradé demain à moitié prix, alors c’est peu dire que
j’ai envie de sautiller sur place. Je prépare une grande boîte à emporter et
ouvre la vitre pour sortir le dessert.
– Vous prenez les macarons avec ? Tenté-je, puisque le gâteau ne
suffira pas.
– Oui s’il vous plaît, merci.
Le tout emballé dans mes boîtes à dessert et mes sacs à l’effigie de
ma boutique, j’enregistre ses achats dans la caisse.
– Ça vous fera soixante-dix euros, s’il vous plaît, lui indiqué-je,
contente de cette dernière vente.
La jeune femme s’empare des sacs, que je lui ai préparés, et quelque
chose dans son visage angélique change tout à coup.
– Pour le règlement, ça sera à voir avec mes amis qui vous ont rendu
une petite visite tout à l’heure, articule-t-elle, moqueuse.
Je rêve ou ils pensent pouvoir venir se servir dans ma boutique quand
ils organisent une petite soirée. C’en est trop pour une journée ! Je me
suis laissé faire sur le parking, puis dans la pâtisserie quelques heures
plus tôt. À chaque fois, ils étaient en surnombre. Là, elle semble être
venue toute seule, alors c’est équilibré.
– Je te conseille de reposer ces sacs tout de suite, lui ordonné-je
sans plus de politesse, les dents serrées en sortant de derrière le
comptoir pour lui barrer le passage vers la porte.
– Et moi, je vous conseille de ne pas faire d’histoires et de me laisser
partir, me menace-t-elle.
– Tu vas laisser ce gâteau et ces macarons ici. Tu diras à ton chef,
pas celui qui était sur le parking et qui est venu ensuite, non, à celui qui
vous envoie tous me faire chier, que s’il a un problème, qu’il vienne lui-
même au lieu de se comporter comme un lâche en envoyant des gens à
sa place.
– Vous allez le regretter, rigole-t-elle, en faisant tomber les pâtisseries
à ses pieds.
– C’est toi qui va regretter d’être restée ici, si tu es encore là dans
deux minutes, lui balancé-je, hors de moi.
Pour l’instant, je suis trop en colère pour ressentir la peur et
l’angoisse de la venue prochaine de l’homme qui se cache derrière cette
bande. Mais là, c’était la visite de trop. Je referme la porte derrière elle à
double tour et baisse le store, pour qu’on ne puisse plus voir l’intérieur de
la boutique. Je ramasse ce que j’avais préparé et me remets à la tâche de
rangement. Le cake design façon glace à l’envers est foutu. Je décide de
l’emporter à l’étage dans mon appartement pour en faire mon repas du
soir. Rien de mieux qu’une overdose de sucre pour finir une journée aussi
merdique.
Il est minuit passé et je suis avachie dans mon canapé avec la télé
allumée tout en somnolant. Le fait d’avoir faire déguerpir la petite idiote
m’a calmé les nerfs, dans un sens. Je suis fière de ne pas m’être laissé
faire, au bout du compte. Par contre, je suis complètement hors service,
ce soir. Je me lève aux aurores pour pâtisser tous les desserts
nécessaires. Je prévois de plus en plus de sortes différentes pour
essayer de faire venir le maximum de monde. Mais le reste de la journée,
j’ai du mal à tenir le rythme soutenu.
Si je commence à avoir quelques commandes de gâteaux
d’anniversaire, je ne sais pas quand je vais pouvoir les réaliser sans
m’aménager un moment dans la journée pour m’y consacrer et délaisser
le salon de thé. Ces gâteaux spéciaux sont mes commandes les plus
importantes, car financièrement, elles me permettent de rentrer
beaucoup d’argent, en une seule fois. Je ne dois pas les négliger en les
prenant à la légère.
Je vais donc écouter Rosa. Après tout, elle a géré cette boutique
pendant plusieurs années et connaît mieux que moi les attentes des
habitants de cette ville. Dès demain, une annonce sera accrochée sur la
devanture de la pâtisserie. J’espère trouver quelqu’un de sérieux,
rapidement. Le bouche-à-oreille a l’air de commencer à fonctionner, je le
ressens à la fréquentation. Alors, je prends un risque modéré en
embauchant une personne à mi-temps.
J’entends des motos passer dans la rue, mais il me semble qu’elles
s’arrêtent en laissant le moteur allumé. Alors que je me lève pour voir de
qui ou de quoi il s’agit, j’entends un énorme bruit de verre qui éclate. Je
prends peur et je fonce à la fenêtre. Je vois un type assis sur une moto.
Un autre homme avec une capuche sur la tête frappe encore et encore la
vitrine de ma boutique jusqu’à ce qu’elle cède sous la puissance de ses
coups de batte de base-ball. J’ouvre la fenêtre et hurle comme une
dingue. Je ne sais pas ce que j’espère en faisant ça, mais ça permet à ma
peur de s’exprimer. Je dévale les escaliers menant à la boutique à toute
vitesse, mais une fois arrivée, je ne peux que voir ces deux connards s’en
aller.
Le vent s’engouffre dans la pâtisserie. Le type n’y est pas allé de main
morte. L’immense vitrine avec ces décors de cupcakes est en mille
morceaux, dispersée sur le macadam du trottoir. Mon cœur est dans le
même état sur le sol de la pâtisserie. Les larmes me montent aux yeux et
je ne peux pas les empêcher de couler abondamment. Pourquoi s’en
prennent-ils à moi de la sorte ? Qu’est-ce que je leur ai fait pour mériter
ça ? Il n’aura fallu que d’une minute pour que ces deux hommes
massacrent l’entrée de la boutique.
Deux heures de balai plus tard, tous les morceaux de verre ont
disparu, au prix de coupures aux doigts et d’un mal de dos phénoménal. Il
y en avait dans tous les recoins. J’ai finalement mis la main sur le
numéro vert de l’assurance, que j’ai pu joindre au milieu de la nuit.
Moyennant un gâteau d’anniversaire gratuit pour sa petite fille, un artisan
verrier m’a fait passer en priorité ce matin, et est déjà en train de changer
ma vitrine. Je jubile à l’idée que cette bande de petits cons repasse par
ici pour voir que tout est déjà réparé.
– Bonjour, me chantonne une jolie voix, me sortant ainsi de mes
pensées. Une amie qui est passée ce matin m’a dit que vous cherchiez
une vendeuse ?
Elle est très souriante ce qui lui fait tout de suite gagner des points.
– Oui effectivement, mais seulement à mi-temps, lui indiqué-je.
– Ben, ça m’arrangerait en fait. Je suis étudiante donc un temps
partiel serait parfait pour moi, m’explique-t-elle, en gardant son air joyeux.
Je vois déjà la file s’agrandir alors que nous parlons seulement
depuis trente secondes. Je suis crevée et je n’ai pas envie, ni la force de
passer son CV au crible. De toute façon, son parcours ne doit pas être
bien conséquent vu qu’elle est encore étudiante.
– Vous pouvez commencer quand ? Lui demandé-je en lui offrant
mon premier vrai sourire de la matinée.
– Dès que vous voulez, m’assure-t-elle, surexcitée, ayant compris
implicitement que c’était dans la poche.
– Alors tout de suite, venez derrière le comptoir avec moi, votre
formation commence sur-le-champ.
La jeune femme en sautille presque sur place et ça me redonne la
pêche. J’enchaîne les ventes de macarons, de cupcakes et distribue à
chacun un petit dépliant montrant l’étendue de ce que je propose. Il me
faut impérativement plus de commandes de gâteaux spéciaux
maintenant que j’ai une employée. Une fois tout le monde servi, je me
tourne vers la jeune femme que je viens d’engager sans même connaître
son prénom.
Ici, je peux enfin être impulsive et prendre mes décisions, toute seule.
Si j’avais ouvert mon affaire à Rastori, mon père aurait voulu tout
contrôler. Par exemple, il aurait voulu vérifier les antécédents de ma
recrue, avant toute chose. Et mon choix ne lui aurait certainement pas plu
et il m’aurait imposé quelqu’un d’autre.
Je tends, enfin, la main à la jeune femme,
– Je m’appelle Angela Alessi, soit la bienvenue, me présenté-je, en lui
serrant la main.
– Aurélia Alario, enchantée et ravie de travailler pour vous, rigole-t-elle
en répondant à ma main tendue.
– As-tu un peu d’expérience ? M’intéressé-je, tout de même.
– Non, pas vraiment. Je suis en première année de médecine à la fac.
C’est beaucoup de travail, mais j’ai besoin de me vider l’esprit et de
penser à autre chose de temps en temps. Alors, j’ai pensé que me trouver
un petit job serait une bonne solution et apporterait une touche de
sérieux à mon CV.
– C’est une bonne idée, selon moi. On s’occupe d’organiser tes
horaires et tu reviens demain. Je ferai préparer un contrat par le
comptable. Je te propose de te prendre à l’essai un mois et si à la fin ça
nous convient à toutes les deux, c’est parti.
En vrai, si je n’ai pas au moins deux commandes spéciales d’ici là, je
ne la garderai pas, mais inutile de lui dire.
– C’est parfait, merci beaucoup, se réjouit-elle.
Après avoir vu ensemble comment aménager son emploi du temps
pour faire coïncider les moments où j’ai besoin d’elle ici et les cours
qu’elle ne doit surtout pas manquer, j’informe le comptable et Aurélia
repart chez elle.
C’est vraiment plaisant d’avoir quelqu’un avec qui travailler. Ça m’a
plu de tout lui expliquer et elle a pris beaucoup de notes. Elle m’a semblé
très intéressée et sérieuse. Elle avait souvent des questions pertinentes.
C’est une bonne fée qui a dû m’envoyer cette fille. Elle m’en a fait oublier
mes soucis de la veille.
En fin de journée, je monte les chaises du salon de thé sur les tables.
Je passe l’aspirateur et nettoie les sols. Quand, petite fille, je m’imaginais
à la tête de ma propre boutique qui serait, bien entendu, magnifique, je
n’avais pas pensé que je ferais autant de ménage. La pâtisserie n’occupe
pas autant mon temps que je le souhaiterais et ça m’embête. J’espère
que la venue d’Aurélia changera la donne et me permettra de me
consacrer à ma passion.
Alors que je m’apprête à fermer la porte d’entrée, l’homme de l’autre
jour la pousse pour être certain que je le laisse entrer. Je ne me sens pas
rassurée avec lui. Il a quelque chose dans son regard qui me met mal à
l’aise.
– La boutique est fermée, lui indiqué-je espérant qu’il s’en aille.
– Ça tombe bien, je ne viens pas pour acheter, me rétorque-t-il
sèchement.
Je crois que le grand chef s’est décidé à se présenter de manière
officielle cette fois-ci.
4
Adriano Alario
Après avoir fait deux heures de sport avec Anthony et mis KO Batista
à la boxe ce matin, je suis resté enfermé dans mon bureau toute la
journée. J’ai revu en détail avec Giacomo quels hommes pouvaient
rejoindre les équipes des récolteurs pour en repasser le plus possible en
trio. Il m’a semblé contrarié que je veuille tout vérifier, mais je m’en
balance. Il a été prudent en vérifiant plusieurs fois les informations qu’il
avait sur les différents gars qui souhaitent rejoindre mon clan. Il sait qu’il
a perdu ma confiance depuis qu’il a laissé s’infiltrer un flic et que je vais
avoir du mal à oublier ça. Sa connerie aurait pu nous coûter cher, enfin
surtout à moi. Jérémy aurait pu tous nous faire tomber avec un peu de
temps.
Le rendez-vous avec notre fournisseur de cocaïne est confirmé. Nous
attendons une grosse livraison et sommes donc tous à cran. C’est une
transaction dangereuse à chaque fois, et il nous faut avoir tout anticipé.
Anthony a prévu une équipe de six hommes pour assurer ma sécurité. Ça
me fait chier, mais je sais que s’il estime cela nécessaire, c’est que ça
l’est. Des rumeurs circulent que le clan du sud du pays aimerait prendre
une partie de notre territoire. Il faut dire que Centori est une ville très
lucrative. Rien qu’avec la faculté de médecine, on fait des bénéfices
énormes en revendant la came. Il y a aussi le business des paris sur les
combats de boxe clandestins qui nous rapporte pas mal. Et ensuite
viennent les commerçants de la ville qui doivent tous payer leur taxe de
sécurité auprès du clan : le pizzo.
Ça me fait repenser que les frères Tagliani m’ont dit avoir dû
employer les grands moyens chez la petite pâtissière. Madame a décidé
de se la jouer rebelle. Nul doute que ses belles vitrines en mille morceaux
vont fragiliser son excès de confiance. Et, puisqu’elle l’a demandé si
poliment, je vais me faire un plaisir de lui rendre une nouvelle petite visite.
J’enfile mes gants en cuir et me mets au volant de ma Cadillac LTS et
prends la route de sa boutique. Je me gare sur le trottoir d’en face et
remarque de suite que les dégâts ont été réparés. Elle est efficace la
petite, moins d’une journée pour la remise en état, elle a battu le record
de rapidité que détenait l’ancien pizzaïolo.
Je m’empresse de m’engouffrer à l’intérieur, voyant qu’elle s’apprête
à verrouiller l’accès.
– La boutique est fermée, m’accueille-t-elle, froidement.
– Ça tombe bien, je ne viens pas pour acheter, lui rétorqué-je, en
refermant la porte derrière moi. J’ai appris que vous aviez eu des ennuis
dernièrement.
– Si par ennuis, vous voulez dire qu’une bande de petites frappes s’en
prend à moi sans raison et sont même allés jusqu’à casser mes vitres,
alors oui, vous êtes bien renseigné, s’énerve-t-elle.
– Rien n’arrive jamais par hasard, Angela, lui indiqué-je en circulant
entre les tables de son salon thé et en faisant mine d’observer le décor.
– Ce n’était pas grand-chose au final, m’assure-t-elle en haussant les
épaules. Un coup de fil et tout était réparé dans la matinée.
Je me dirige vers elle d’un pas décidé pour raccourcir la distance qui
nous sépare. Je n’apprécie pas trop sa désinvolture face aux premières
attaques du gang.
– Pour cette fois-ci, c’était suffisant. Mais la prochaine fois ?
L’interrogé-je suspicieux.
Elle a reculé à mesure que j’avançais, jusqu’à buter contre le
comptoir, l’empêchant de continuer sa progression. Je réduis encore
l’espace entre nous et plante mes yeux dans les siens.
– Parce que je peux vous assurer qu’il y aura bien une prochaine fois,
et que les choses ne vont aller qu’en empirant.
Elle ravale sa salive et pose la question qui lui brûle les lèvres d’une
petite voix.
– Comment pouvez-vous le savoir ?
– J’ai des hommes partout dans les rues de Centori. Ils peuvent
s’assurer que rien ne vous arrive de jour comme de nuit, lui indiqué-je,
comme pour la rassurer.
– Pourquoi ai-je comme l’impression que c’est tout le contraire, que
vos hommes sont justement ceux qui me font vivre un enfer, s’agace-t-
elle, en prenant une voix assurée.
Cupcake sort les dents. Je suis habitué aux pleurs et je trouve que ça
la rend diablement sexy de me tenir tête.
– Peut-être parce que vous avez un bon instinct, concédé-je avec un
demi-sourire.
Elle tremble un peu, mais affronte tout de même mon regard noir qui
la transperce.
– Qu’est-ce que vous voulez ? Conclut-elle, courageusement.
Je jubile de la faire plier. Ça fait déjà plus de dix jours qu’elle est là. La
plupart n’ont pas eu sa tranquillité si longtemps. Elle devrait s’estimer
heureuse.
– Les commerçants de Centori doivent tous s’acquitter du pizzo*.
Deux mille euros par mois, précisé-je. Payables d’avance, bien entendu.
Je vous laisse deux jours pour m’apporter le premier versement en
liquide.
Quelques secondes de silence s’éternisent, le temps pour elle
d’assimiler ce que je viens de lui dire.
– Et ne vous permettez plus jamais d’insinuer que je me cache
derrière mes gars ou que je suis un lâche, la réprimandé-je, comme une
enfant.
J’attrape une mèche de ses cheveux et joue avec. D’un geste
brusque, elle frappe ma main avec la sienne pour la retirer. Plus rapide
qu’elle, je lui agrippe le poignet fermement. Ses yeux sont écarquillés
face à la brutalité de mon geste et elle tente de se reculer, sans résultat.
– Vous regretteriez de me faire déplacer une seconde fois, lui
murmuré-je, tout près de son oreille, en m’enivrant des effluves de son
doux parfum aux touches sucrées.
Je ressors de sa boutique sans un mot de plus et retourne dans le
confort de ma berline de luxe. J’espère que ma visite convaincra notre
nouvelle arrivante qu’il est dans son intérêt de payer sa taxe. Je dois
avouer qu’elle est plutôt jolie et ça m’embêterait que les choses
déraillent. Elle n’imagine pas le calvaire que je peux lui faire vivre, si elle
refuse de se soumettre. Briser ses vitrines et le reste n’était qu’un amuse-
gueule.
À peine ai-je franchi le seuil de la maison que j’entends Aurélia débiter
un flot de paroles.
– Elle est vraiment super sympa comme patronne, bavarde-t-elle, aux
anges.
– Je ne suis pas sûre que ce soit raisonnable que tu travailles
pendant tes études, estime notre mère tout en mangeant.
– On en avait parlé et tu avais donné ton accord, boude Aurélia.
Qu’est-ce qu’elle est chiante avec ses caprices quand elle s’y met,
celle-là ! J’entre dans la salle à manger et vais embrasser mon père et ma
mère.
Je m’assois à ma place et fixe ma sœur qui fait mine de se
concentrer sur ce qui se trouve dans son assiette.
– Il ne me semble pas que tu m’en aies parlé à moi ? M’impatienté-je.
C’est quoi cette histoire de job ?
– Maman m’a dit que je pouvais prendre un petit boulot si j’en avais
envie, se défend-elle avec véhémence.
– Et pourquoi voudrais-tu travailler alors que tu dois te concentrer sur
tes études et que tu n’as besoin de rien ? M’agacé-je qu’elle ne
comprenne pas qu’elle va compliquer la vie de tout le monde.
Elle est butée et n’en fait qu’à sa tête. Sa sécurité est gérée sur le
campus et à Centori. Elle a tout ce qu’elle veut, alors pourquoi veut-elle se
faire chier à bosser ?
– Adriano, intervient ma mère en posant sa main sur la mienne pour
me calmer, laisse ta sœur. Elle étudie beaucoup et elle a de très bons
résultats. Elle mérite de faire autre chose de temps en temps.
– Et tu n’as rien trouvé d’autre comme passe-temps que d’avoir un
boulot ? M’étonné-je de sa nouvelle lubie.
– Pour ne pas te créer d’ennuis, j’ai trouvé un emploi à Centori.
Comme ça, les garçons sont toujours dans le coin en cas de problème,
me rassure-t-elle pour contrecarrer toutes objections de ma part.
Elle a un peu réfléchi, au moins. C’est sûr que c’est plus arrangeant
qu’elle travaille sur mon territoire. Tout le monde la connaît et sait qu’il ne
vaut mieux pas y toucher. Je me demande d’ailleurs qui a eu le culot de
l’embaucher sans venir demander mon autorisation. Je vais me faire un
plaisir de lui rappeler qui est le chef ici et qu’aucune décision, surtout qui
implique ma famille, ne se prend sans moi.
Je vois dans le regard d’Aurélia qu’elle attend en silence mon accord.
Elle sait que si je m’y oppose, elle devra obéir. Elle n’aura pas d’autres
choix.
– Chez qui tu travailles ? Capitulé-je en haussant les sourcils, vaincu
par son regard de chien battu.
– Chez Angela, tu sais celle qui vient d’ouvrir une pâtisserie. C’est une
nana hyper cool. Je l’adore déjà, fanfaronne-t-elle.
Elle sort de table et vient vite m’embrasser sur la joue et me glisse un
merci à l’oreille. Oui, je reviens à peine de sa boutique alors, je sais très
bien qui est Angela. La seule et unique personne devant de l’argent au
clan actuellement. Il y a quelque chose dans sa manière de s’être tenue
droite face à moi et dans son regard qui n’a pas flanché, qui me fait
penser qu’elle est du genre plus coriace qu’il n’y paraît. Avoir Aurélia entre
nous m’énerve davantage. J’espère pour elle qu’elle viendra payer parce
que sinon, je ne réponds plus de rien. 1
1. * Pizzo : forme de racket pratiqué par les mafias italiennes envers les commerçants
locaux, une protection dans le jargon.
5
Angela Alessi
Adriano Alario
Oh, and baby, I’m fist fighting with fire (Et, bébé, je combats
à main nue contre le feu)
Just to get close to you (Juste pour être proche de toi)
Can we burn something babe ? (Et si on brûlait quelque
chose, Bébé ?)
Elle a plus parlé que chanté sur ces phrases avec une voix grave en
haussant un peu ses sourcils. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle chante
aussi bien. Elle me cherche là, devant tout le monde. Tout Centori ne
parlera que de ça, demain. De la gentille petite pâtissière qui défie leur
chef sur scène. Elle n’a peur de rien ou elle ne sait pas à quoi elle
s’expose, en me mettant dans une situation pareille. Certains me jettent
déjà des regards pour tenter de comprendre ce qu’il est en train de se
passer entre nous. D’autres comprennent que c’est foutu pour eux.
Angela Alessi
Attablée dans ma cuisine, mon café ne passe pas. Rien que l’odeur
me donne envie de vomir. Pourtant, j’ai conscience que c’est la peur qui
me noue l’estomac. La même angoisse que lorsque j’appréhendais
l’humeur de mon père. La tasse m’échappe des mains alors que je
voulais la nettoyer. Elle s’écrase sur le sol en se brisant à plusieurs
endroits. Adriano a réalisé la même chose sur moi, hier soir, dans son
bureau. Mes plaies intérieures étaient encore à vif et il a déversé son
venin dessus, réduisant à néant mes efforts, pour ne plus me sentir
comme une pauvre petite proie apeurée.
Le voir si haut perché sur son tabouret au bar, siégeant tel le roi de la
jungle sur ses disciples, m’a écœurée. Mais, le verre de champagne offert
a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Mon cerveau a vrillé et je
me suis efforcée de trouver une solution pour le faire redescendre de son
piédestal. Le voir savourer mon malaise et constater à travers son air
supérieur, qu’il suppose pouvoir me faire capituler sans plus d’efforts,
m’a mise hors de moi. Il a une haute estime de lui et se pense tout
puissant, alors j’ai voulu le remettre à sa place, du moins celle que je
pense qu’il mérite.
Je suis sûre que tout se sait à Centori. Les habitants doivent être au
fait que je ne me suis pas encore acquittée du pizzo. Les personnes
présentes ont été les témoins de ma folie, prouvant à Adriano que je ne le
crains pas. J’avais envie de semer le doute parmi ses partisans et qu’ils
le pensent faible face au charme de la pâtissière. Les paroles étaient,
bien entendu, à prendre au second degré. Je ne l’aime pas et je ne veux
pas qu’il m’aime. Je veux juste avoir la paix et faire mes gâteaux,
tranquille.
Pourquoi le destin se joue de moi en m’envoyant sur son territoire ?
J’ai toujours bénéficié de la protection de mon père. Personne n’aurait
osé s’en prendre à un membre de sa famille. Cette sécurité m’a coûté
cher, puisque j’ai dû faire bon nombre de sacrifices, pour être à la hauteur
de l’image parfaite que voulait mon paternel.
J’ai enfin eu le courage et l’audace de briser mes chaînes en venant à
Centori. Et voilà qu’un autre homme me force à me plier à ses règles.
Lorsqu’il a sorti son couteau, une flopée d’émotions est remontée à la
surface. Tous ces sentiments que je ne voulais plus jamais ressentir. La
terreur et l’angoisse qui s’infiltrent à l’intérieur de mon corps et accélèrent
mon rythme cardiaque, ma respiration qui se trouve bloquée à cause de
la peur et menace de me faire perdre connaissance. Voilà, dans son
bureau, j’ai à nouveau été cette petite fille qui redoute la douleur des
coups reçus, alors qu’elle n’a rien fait.
J’aimerais posséder l’aplomb et la force nécessaire pour honorer la
promesse que je m’étais faite en quittant Rastori. Mais je dois me rendre
à l’évidence, je ne fais pas le poids. L’agneau contre le loup. Je ne suis
pas de taille à affronter Adriano, et encore moins un gang, à moi toute
seule.
Je pourrais les dénoncer à la police et porter plainte. Si seulement
j’avais confiance en l’autorité. Si le passé ne m’avait pas montré l’autre
visage de ceux censés veiller sur nous. Au final, ils ne se protègent
qu’entre eux en fermant les yeux sur le sort de familles victimes de leurs
propres abus.
Je suis passée de l’euphorie à l’épouvante lors de cette soirée au
cabaret. Je me suis sentie puissante et fière en chantant au nez
d’Adriano. Cela faisait tellement longtemps que je n’avais plus laissé ma
voix s’approprier des notes pour jouer avec mes tonalités. Je jubilais sur
cette scène en le regardant, et en lui précisant par cette chanson que je
ne suis pas facile à impressionner.
Sa mise au point dans son bureau a fait redescendre le baromètre de
mon plaisir au plus bas. Je suis fière de lui avoir dit, tout haut, ce que je
pensais tout bas, que je ne paierai pas.
Et pourtant, me voilà devant le cabaret, à l’heure demandée, avec à
peu près la somme qu’il me réclame. La menace de son couteau a eu
raison de mon affront. Soyons sérieux un instant, je ne fais pas le poids.
Je dois être réaliste, si je tiens à la vie.
Lorsque j’entre dans son antre, le vide m’accueille. Le silence
contraste avec l’ambiance joyeuse d’hier. J’avance, les jambes
tremblantes et l’angoisse au paroxysme. Je rendrais ma tasse de café si
seulement j’avais réussi à l’avaler. L’endroit paraît désert et ça ne me
rassure pas de savoir que je vais me retrouver seule avec ce sale type. Je
frappe à la porte du bureau dans lequel je n’ai absolument aucune envie
de me retrouver à nouveau.
– Entrez ! L’entends-je crier.
Ma main hésite sur la poignée, mais je m’exécute et fais quelques
pas à l’intérieur, le cœur battant.
– Referme la porte derrière toi, m’ordonne-t-il, sans même m’accorder
un regard.
Je ne veux pas être encore enfermée ici avec lui. Une sensation de
claustrophobie pointe le bout de son nez. Mais je n’ai pas le choix. Je ne
dois pas faillir. Je ne souhaite plus que ma vie soit contrôlée et Adriano
m’en empêche. Il me faut régler cela au plus vite.
– Je vois que tu as décidé d’être enfin raisonnable, se gargarise-t-il.
Il ne me regarde toujours pas et son insolence m’insupporte. J’ai
envie de lui hurler dessus, lui dire qu’il n’est qu’un homme ignoble et que
je me demande comment il fait pour se contempler dans un miroir.
– Je n’ai pas toute la somme demandée, lui indiqué-je, d’une voix
tremblante.
J’angoisse qu’il ressorte son couteau pour m’entailler, cette fois-ci,
réellement. Ça a le mérite de lui faire relever la tête.
– Me prendrais-tu pour un marchand de tapis ? Plaisante-t-il en
s’adossant confortablement contre le dossier de son fauteuil en cuir.
– Je viens juste d’ouvrir ma pâtisserie, plaidé-je ma cause, j’ai juste
besoin d’un peu plus de temps.
Je me sens tellement pathétique. J’ai l’impression d’entendre les
répliques d’un accro aux jeux face à son bookmaker qui vient lui péter les
deux genoux parce qu’il ne rembourse pas sa dette. Il croise les bras sur
sa poitrine et me jauge du regard. Il réfléchit quelques secondes en
m’observant de la tête au pied. Je me félicite d’avoir choisi un jean noir
banal associé à un sweat léger large. S’il pensait que j’allais me faire jolie
pour lui rendre visite, il s’est fourvoyé.
– Et combien as-tu rapporté avec toi ? S’enquit-il curieux de compter
ses billets.
C’est l’instant qui déterminera la suite des événements.
– Mille euros, articulé-je, en ravalant difficilement ma salive.
Ça passe ou ça casse. Je ne peux pas faire plus. Ce sont toutes mes
économies. Celles réservées en cas de coups durs. Et je crois pouvoir
dire qu’Adriano rentre dans cette catégorie. Il sourit en posant ses index
sur ses lèvres.
– Que proposes-tu pour les mille manquants ? M’interroge-t-il, en
plissant les yeux.
Je n’en sais rien. Il n’imagine pas le nombre de macarons, cupcakes
ou gâteaux que je dois vendre pour disposer d’une telle somme. Il se lève,
fait le tour de son bureau et s’assoit sur le bord de celui-ci. Il croise ses
longues jambes et pose les mains dessus. Sa posture ne me dit rien qu’y
vaille.
– J’ai un rendez-vous important ce soir, auquel je ne souhaite pas
aller seul. En contrepartie de la somme manquante, tu m’y
accompagneras, décide-t-il comme si je n’avais pas mon mot à dire.
Il exige un rencard, il est sérieux là ? Plutôt me faire écraser par un
train que de sortir avec lui. Je dépose le sac contenant les billets par
terre, près de lui.
– Je ne paie pas autrement qu’avec de l’argent ce que tu me
réclames, que les choses soient bien claires, lui fais-je remarquer.
Son regard s’obscurcit et il s’approche de moi à une vitesse
surprenante. Sa main se pose dans ma nuque avant que je ne puisse
esquisser le moindre mouvement. Nos corps se retrouvent à nouveau
bien trop près l’un de l’autre. Mon palpitant s’affole et les larmes pointent
déjà sous mes paupières. Je retiens mon souffle et ma supplique de ne
pas revoir son couteau. Je devine l’odeur agréable de son après-rasage.
Bizarrement, ce parfum boisé et délicat apaise mes sens et me donne le
courage nécessaire pour affronter son regard.
– Je n’ai pas pour habitude de forcer une femme. J’ai conscience que
tu débarques et que tu ne sais pas où tu as mis les pieds. Je suis prêt à
oublier ton ardoise, mais à une condition.
– Laquelle ? Bredouillé-je timidement en affrontant ses yeux azur
déstabilisants.
– Je te l’ai dit. Tu m’escortes ce soir à un rendez-vous d’affaires et tu
cerneras mieux les raisons pour lesquelles tu paies une protection à mon
clan.
– Merci, mais je crois avoir déjà eu un avant-goût de ce que je risque,
lui balancé-je, acerbe, en tentant vainement de me dépêtrer sa prise.
Mon comportement me vaut l’effet inverse. Sa main toujours dans
ma nuque, il m’attrape la taille de l’autre pour m’empêcher de reculer.
Dans l’élan, mon visage se retrouve niché entre son cou et son épaule.
Mes mains se retrouvent sur son torse contre sa chemise impeccable, je
sens les muscles de ses pectoraux saillants sous mes doigts.
– Tu n’as pas idée de ce à quoi tu t’exposes en ne payant pas, me
murmure-t-il à l’oreille. Ce n’est pas uniquement de moi dont tu dois te
méfier.
La colère qu’il m’inspire se tasse sous la caresse de son souffle
chaud.
– Tu me jures que si j’accepte, tu fais une croix sur les mille euros
manquants, l’exhorté-je.
– Je n’ai qu’une parole, me promet-il les yeux dans les yeux.
– Je t’accompagne juste, rien de plus, insisté-je, essayant de
m’affirmer.
– Ne me fais pas me répéter, s’impatiente-t-il en retrouvant une main
de fer. J’ai assez de femmes à mes pieds pour ne pas avoir à forcer qui
que ce soit.
– C’est d’accord alors, concédé-je, comme si j’avais le choix.
Il prend ses distances en me projetant loin de lui. Je manque de
tomber, mais je retrouve l’équilibre de justesse. Il retourne s’asseoir et se
replonge dans ses papiers.
– Je passerai te chercher pour vingt heures. On va dans un endroit
chic, sois présentable, exige-t-il, sans y mettre les formes.
J’aimerais l’envoyer se faire voir tellement il est hautain. Lui dire qu’il
peut crever pour que je fasse la belle à son bras. Lui sortir d’un chapeau
magique les billets manquants et les lui balancer à la figure. Mais, je ne
peux pas me permettre de refuser son offre. Je ne suis même pas
certaine d’avoir les deux mille euros pour le mois prochain, alors je ne
fais pas la fine bouche. J’espère juste qu’il est sincère sur le fait de ne
m’obliger à rien de plus, que de faire la plante verte.
8
Adriano Alario
Angela Alessi
*
* *
Je me réveille de mauvaise humeur ayant eu du mal à trouver le
sommeil. Après un passage rapide pour faire un brin de toilette, je choisis
d’enfiler la chemise noire à encolure blanche, style veste de basket-ball,
avec un short en jean.
Après avoir ingurgité ma dose de caféine minimum, je descends à ma
boutique pour m’atteler à la tâche. M’occuper l’esprit en pâtissant m’a
toujours fait du bien et aujourd’hui n’échappe pas à la règle. C’est d’un
pas plus léger que je vais déverrouiller la porte d’entrée de la boutique à
quelques minutes de l’ouverture. Je vois la voiture d’Adriano garée
devant. Il en sort immédiatement, frais et tiré à quatre épingles comme
toujours. Il ne compte donc me laisser aucun répit. Je me rue derrière le
comptoir pour l’utiliser comme un rempart et continue ma mise en place
dans la vitrine.
– Bonjour Angela, me salue-t-il, de façon enjouée.
Je ne relève même pas la tête et fais mine d’être occupée.
– Qu’est-ce que tu veux ? L’accueillé-je, sèchement.
– J’aimerais une dizaine de macarons à la pistache, me commande-t-
il, d’un naturel déconcertant.
Mes mains tremblent alors que je dépose délicatement les
pâtisseries dans une petite boîte à emporter. Je me rapproche de lui en
allant à la caisse pour enregistrer son achat.
– Tu n’as rien à craindre de moi, Angela, lâche-t-il en posant une main
sur la mienne. J’ai conscience que les choses sont allées loin, mais je ne
te veux aucun mal.
Il se moque de moi à jouer les girouettes. Il ose me dire qu’il ne me
veut rien de mal. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
– Tu veux dire que tant que je te paie une somme astronomique tous
les mois, tu ne me feras rien. Tu es peut-être le chef ici et je ne peux rien
contre toi, mais tu ne m’empêcheras pas de penser ce que je veux. Tu es
un homme ignoble et méchant. Ce n’est pas la peine de m’envoyer tes
gars me faire chier, puis de me foutre la trouille en personne et revenir le
lendemain la bouche en cœur avec de bonnes intentions, m’emporté-je
d’un ton hargneux en ôtant ma main de la sienne, d’un mouvement sec.
Ça te fera dix euros pour les macarons.
J’avance son paquet sur le comptoir où il dépose un billet pour me
payer. Son regard me cloue sur place et il semble faire des efforts pour
ne pas me remettre à ma place. Je ne comprends pas sa démarche de ce
matin. Croit-il sérieusement qu’un simple mot d’excuse va effacer tout ce
qu’il m’a fait subir ? Les tracts jetés, l’intimidation devant ma boutique, la
casse de mes vitrines et son agression au couteau. Ce type est cinglé s’il
pense qu’il suffit de quelques macarons pour acheter mon pardon.
Il sort de la boutique sans un mot de plus et j’espère sincèrement être
débarrassée de lui. Du moins, jusqu’à la prochaine échéance.
10
Adriano Alario
Angela Alessi
Angela Alessi
à l’Église ;) Dsl **
venir te chercher **
Adriano Alario
Angela Alessi
Adriano Alario
Angela Alessi
Adriano m’a déjà prise au dépourvu par le passé, mais je dois dire que
là, il se surpasse. Je répète sa dernière phrase en me demandant si elle
peut être à double sens, ou si elle recèle un piège. Ai-je mal compris ses
propos ? Il est plutôt agréable depuis le début de la journée, même si cet
adjectif est à prendre à demi-mesure avec lui.
– Qu’est-ce que tu insinues par-là ?
Je ne peux m’empêcher de lui demander pour dissiper tout
malentendu.
Je vérifie que personne ne prête attention à nous. Je ne voudrais pas
que l’on surprenne notre discussion qui prend un tournant inattendu. Il
m’offre un sourire carnassier typique de l’homme sûr de lui. Je m’en veux
déjà de lui avoir prêté oreille.
– Je ne suis pas du genre à insinuer Angela, m’affirme-t-il. Tu es une
belle femme et ça ne me dérange aucunement de te le dire.
Je ne veux pas que son compliment m’atteigne et qu’il pense avoir,
ne serait-ce, qu’une ouverture avec moi. Je prie tous les cieux pour ne
pas rougir, même si je sais que c’est peine perdue. Le témoin vient de
finir son éloge et je n’en ai pas entendu la fin. Tout le monde l’applaudit et
la mariée est bien entendu en pleurs. Tandis que nous reprenons place
convenablement à table, mon éducation de bonne-famille me pousse à
lui répondre.
– Merci, lui souris-je timidement.
Il ne me répond pas et entame un aparté avec son homme de main.
Je ne parviens pas à déterminer, si je suis déçue ou soulagée, qu’il passe
à autre chose, si vite. Ce type souffle le froid et le chaud, c’est à perdre la
tête. Le serveur remplit nos verres avec du vin blanc français et je
m’empresse d’y tremper mes lèvres devenues sèches. Je suis déjà un
peu éméchée, mais il me faut un minimum d’alcool, pour rester au beau
milieu de tous ces mafieux.
Une horde de serveurs déboule à notre table pour nous servir
instantanément. C’est de la grande classe, ce mariage. Ma curiosité
professionnelle a hâte d’arriver au dessert pour découvrir les délices
sucrés.
Le premier plat est une très belle assiette d’antipasti. Mes yeux se
régalent déjà en voyant les tomates et la mozzarella misent à l’honneur.
La faim se fait aussitôt ressentir et vu tout l’alcool que j’ai déjà ingurgité,
je ferais bien de me dépêcher d’avaler quelque chose, afin de ne pas finir
sous la table.
La discussion est animée principalement par Julia, alias la vipère, qui
ne m’adresse plus la parole depuis notre petite altercation de toute à
l’heure. Et je ne m’en plains pas. Je ne sais pas ce qu’elle a vécu pour
vénérer le père Alario et je ne veux pas le savoir. Elle est le genre de
femme à penser tout savoir, et tout connaître, sous prétexte d’avoir vécu
des choses douloureuses dans sa vie, et s’imagine, de ce fait, pouvoir
vous juger. Ne voulant pas me faire un ennemi supplémentaire à cette
maudite table, j’ai pris sur moi et j’ai laissé couler. Pourtant, j’avais une
furieuse envie lui fermer son clapet à celle-là. Aurélia m’a remerciée en
silence, d’un signe de tête, de ne pas en avoir rajouté une couche.
Perdue dans mes pensées, je ne saisis pas exactement de quoi ils
parlent, mais il est question d’aides financières pour des familles du
quartier. Chacun donne son avis à tour de rôle et je suis sauvée par la
réapparition des serveurs qui viennent débarrasser nos entrées. Il ne
manquerait plus qu’ils me demandent mon opinion sur leurs opérations,
tiens.
Le volume sonore de la musique augmente dans la salle et j’aperçois
les mariés se rendre au milieu de la piste. Ils ouvrent déjà le bal, ils ne
perdent pas de temps. Les premières notes d’Ed Sheeran résonnent et je
ne peux que féliciter le choix de Thinking out loud. Une si belle
déclaration d’amour à vie, pour le meilleur et pour le pire. Je les observe
et d’aussi loin que je suis, je remarque cette étincelle dans leurs yeux qui
illumine la salle. On ressent leur amour par les sourires et la complicité
silencieuse qu’ils échangent par de simples regards. La manière tendre
qu’a le marié de lui caresser le dos. Le front de son épouse collé à son
épaule, il lui susurre des petits mots qui lui donnent le sourire. Ils sont
touchants et m’attendrissent sincèrement.
Je suis jalouse de leur bonheur et les envie de s’être trouvés. Mes
quelques relations passées n’avaient rien à voir avec de l’amour. Au
mieux, un brin d’affection. J’espère qu’ils mesurent la chance qu’ils ont
d’être ensemble. Mes yeux menacent de ruiner mon maquillage face à ce
bonheur qui m’explose à la figure. Retenir mes larmes me demande une
grande concentration et trouble ma vue.
Quand ma vision s’éclaircit à nouveau, j’ai peur d’être prise
d’hallucinations sous l’effet de mes trop nombreux cocktails. Adriano est
debout et attend avec sa main tendue dans ma direction. Les couples ont
déjà déserté les tables pour rejoindre les mariés sur la piste de danse.
Je me lève et accepte sans me poser plus de questions. Je ne lui
ferai pas l’affront de lui refuser une danse. Et pour être complètement
honnête, je ne me force pas tellement. Aujourd’hui, il est loin de l’homme
qui m’a fichu une trouille bleue dans son bureau. J’ai conscience que le
fait d’être dans une grande fête de famille joue en sa faveur. Il n’a pas à
se montrer méchant ici et ça a tendance à attendrir son portrait. Après
tout, c’est moi qui lui ai proposé de faire comme si nous étions des
inconnus. Donc, dans notre réalité parallèle, je ne sais pas qu’il est
méchant. Je ne vois qu’un homme, très charmant au demeurant,
m’invitant à danser.
Je le suis à travers le dédale des tables pour rejoindre les autres
couples. Mon regard braqué sur nos deux paumes jointes et la sensation
d’une agréable chaleur qui se diffuse dans mon bras. Je ne peux
empêcher mon esprit d’imaginer ce que cette main puissante est capable
de faire. Pourtant, sa poigne est étrangement douce à cet instant, pour
un homme capable du pire.
Il est face à moi et attend que je fasse le premier pas pour me
rapprocher de lui. Je scrute ses épaules et y pose timidement mes
phalanges en gardant une certaine distance, entre lui et moi. Mon instinct
de protection prend le dessus. Ma poitrine qui monte et descend
ostensiblement trahit mon angoisse. Adriano me touche enfin en posant
ses mains sur ma taille. Mes paupières se ferment toutes seules et mon
esprit fouille dans ma mémoire pour se rappeler la dernière fois qu’un
homme m’a prise dans ses bras.
Les dernières notes résonnent et la chanson prend fin. Mon
sentiment de déception prouve mon envie d’avoir voulu être contre de lui.
Le destin nous coupe dans notre élan de corps à corps. Mais, c’est sans
compter sur mon cavalier sombre qui ne se laisse pas dicter son
comportement par une simple bande-son. Il accentue son étreinte en
passant sa main dans le bas de mon dos. Mes pieds s’avancent vers lui
et instinctivement mes bras remontent dans sa nuque. Mon visage est si
près du sien que je sens son souffle chaud caresser ma nuque. Mon nez
est niché dans son cou et je me perds dans les effluves de son parfum
enivrant.
Le piano dans les enceintes nous joue la douce mélodie de « Million
eyes » et les premiers mots douloureux retentissent de la voix de ce
jeune chanteur torturé. Adriano me fait tourner sensuellement au rythme
de la musique et je suis son mouvement. Je voudrais que le temps
s’arrête et graver cet instant à jamais dans ma mémoire. Nous sommes
juste un homme et une femme qui dansons ensemble. Peu importe nos
différends, et ce qui nous oppose, nous nous créons une parenthèse. Je
savoure ce moment parce que je me sens bien là, tout contre son corps.
Sans y avoir été forcée. Adriano pourrait être cet homme capable de me
protéger de mon père. Celui qui ne se laisserait pas impressionner par
son statut. Bien au contraire, Adriano prendrait du plaisir à l’anéantir, j’en
suis certaine.
Malheureusement pour moi, il est la cause de mes soucis et non pas
la solution.
Il profite des découpes de ma robe pour effleurer ma peau. L’effet de
ses petits cercles sur ma taille dénudée et dans le bas de mon dos ne se
fait pas attendre. Ma tête, perdue dans un fantasme où les mains
d’Adriano seraient ailleurs sur mon corps, se pose sur son épaule et ses
lèvres chatouillent mon front. Cette bouche, qui m’a fait tant de mal avec
ses paroles, se fait si tendre qu’on pourrait croire qu’elle cherche à se
faire pardonner. Je ne veux pas que la chanson finisse et que la raison
reprenne ses droits. J’oublie qui il est, et qui je suis, pour me laisser aller
à cet instant. Mes doigts viennent caresser ses cheveux dans le bas de
sa nuque. Mon nez se promène timidement sur son cou. Je lui ai dit de
faire comme si nous ne nous connaissions pas. Et c’est ce qu’il fait
depuis que nous sommes à table. Suis-je capable de jouer à ce jeu que
j’ai instauré sans me douter de la tournure que cela prendrait ?
J’écoute son cœur cogner près de mon oreille et je ressens ses
battements à travers le mien. Est-il lui aussi troublé par notre proximité ?
Ressent-il cette sensation étrange qu’un courant circule entre nous ?
Loïc Nottet cesse de nous transporter et le charme est aussitôt
rompu. Je prends conscience que son corps est collé tout contre le mien
et un vide s’empare de moi dès que je m’éloigne de lui. Bouleversée par
mes émotions, je m’empresse de rejoindre la sortie de la salle pour
reprendre mes esprits. Je ne peux pas retourner à notre table dans cet
état et faire comme si tout allait bien. Je devrais le haïr par rapport à
notre situation et avoir peur de lui. Mais au lieu de ça, je me laisse cajoler
dans ses bras le temps d’une danse et l’encourage, même.
Je me retrouve dehors et arpente le parking. Mentalement, je me fous
des claques pour me ressaisir. J’aperçois Giacomo rejoindre Aldo. Leur
entrevue est brève, à peine quelques mots échangés et le cousin
d’Aurélia retourne dans la salle de réception alors que le motard
rebrousse chemin discrètement.
Je repense à cette soirée au bar du Casino et je me demande si
Adriano a tenu parole. Est-il un homme de confiance si l’on fait partie de
son clan ? Durant quelques minutes, en étant dans ses bras, je me suis
sentie en sécurité. Il était mon armure humaine dans laquelle je pouvais
me blottir pour me sentir protégée. Il aurait les épaules pour être ce
rempart derrière lequel j’aimerais pouvoir me mettre à l’abri. Je vois bien
que les gens le craignent et qu’il est respecté. Mais c’est là que réside le
cœur du problème. Il est dans les extrêmes. Trop violent. Trop Sombre.
C’est un mafieux sans scrupules qui ne craint pas d’avoir du sang sur les
mains. Je suis tout son contraire.
Me voilà à méditer sur nos différences, comme si quelque chose était
possible entre nous. Je délire complètement et il va falloir que je
ralentisse sérieusement ma consommation de cocktails alcoolisés. Je
dois garder à l’esprit qu’il est mon ennemi.
– Te voilà ! Je te cherche partout depuis tout à l’heure, m’interpelle
Aurélia, essoufflée.
Elle me rejoint et s’installe à côté de moi sur le petit muret sur lequel
je suis assise.
– Qu’est-ce qu’il se passe Angela ? Tu peux me parler tu sais, me
confie-t-elle en posant sa main sur une des miennes.
Je lui souris pour la rassurer. Je n’ai pas l’habitude que l’on s’inquiète
pour moi et encore moins que l’on me réconforte. Et puis, pour une fois,
son frère ne m’a rien fait de mal. C’est même tout le contraire, et
finalement, c’est aussi un problème. C’est une histoire à perdre la tête.
– J’avais juste besoin de prendre un peu l’air, expliqué-je pour éluder
mes véritables préoccupations.
– Je vois bien qu’il y a un problème avec Adriano, me sermonne-t-elle
en plissant les yeux.
– Laisse tomber, ce n’est rien, minimisé-je, d’un geste de la main.
– Je sais que je ne suis pas impartiale dans cette histoire, mais ne
t’arrête pas à l’image qu’il renvoie, me somme-t-elle. Ce que j’essaie de te
dire c’est que, oui mon frère est le chef d’un gang qui trempe dans un tas
de malversations, mais il n’est pas que ça.
– Et il est quoi d’autre qui rachèterait toutes ses mauvaises actions ?
Ironisé-je en haussant un sourcil, curieuse.
– Ça, c’est à toi de le découvrir, se moque-t-elle en me tapant sur la
cuisse. Allez, viens, on y retourne.
Je la suis docilement, retrouve ma place, mais mon voisin si
déstabilisant est absent. Je me demande si l’autre facette d’Adriano,
dont m’a parlé Aurélia, aurait un rapport avec les propos qu’a tenus Julia
toute à l’heure. Elle insinuait que l’arrivée de la famille Alario avait été
bénéfique à Centori. Il faudra que je tire les vers du nez à Aurélia pour
qu’elle accepte de m’en parler. Elle n’aime pas que je lui pose trop de
questions sur sa famille. Pas par honte, elle brandit son nom de famille
comme un blason, fière et la tête haute. C’est juste qu’elle ne se mêle pas
des affaires du clan.
Les serveurs apparaissent à nouveau autour de nous et se
synchronisent pour nous servir nos assiettes en même temps. Quand ils
soulèvent les cloches, je hume cette délicieuse odeur et je sais que je
vais me régaler les papilles avec ces tagliatelles à la truffe. Nous
dégustons nos plats sans qu’Adriano ne nous honore de sa présence. La
conversation est légère, mais je n’y participe pas, car mes voisins se
remémorent de vieux souvenirs de leur enfance. Je me concentre sur le
goût divin de mon dîner pour ne pas sombrer dans les miens, biens
moins joyeux.
Nos assiettes repartent en cuisine et celle d’Adriano sera
probablement jetée à la poubelle. J’ai horreur du gaspillage de nourriture,
mais pour le coup c’est le moindre de mes soucis. Je suis partagée, entre
l’envie qu’il revienne à sa place, et l’apaisement de ne pas avoir à être à
ses côtés, dans l’immédiat.
Le DJ joue avec ses platines et démarre une ambiance un peu plus
festive. Les derniers hits du moment s’enchaînent et les invités se
pressent sur la piste pour se déhancher.
– Allez les mamies, on va faire chauffer la piste ! crie Aurélia à mon
attention et celle de Julia.
De bon gré, nous nous frayons un chemin à travers la foule compacte
et commençons à remuer nos corps au rythme du tempo de Kungs « I
Feel So Bad ». Le titre résume bien mon état, et quoi de mieux que bouger
son corps, pour évacuer toute cette tension ?
Aurélia et moi dansons l’une en face de l’autre et essayons d’adopter
une chorégraphie à peu près élaborée. Nous rions sincèrement devant
nos pas incertains, mais continuons en enchaînant nos déhanchements.
Les chansons se succèdent et ma carcasse a du mal à suivre le rythme
endiablé de mon amie. Rien n’arrête la jeune femme, une fois qu’elle est
sur la piste.
– Je vais boire un coup et je reviens, lui hurlé-je dans l’oreille.
Elle lève son pouce pour me faire comprendre qu’elle a compris. Je
file au bar et je craque pour une vodka Red Bull. Après tout, je suis venue
à pied, je peux me le permettre. Mon verre en main et un peu collante de
transpiration, je me dirige à nouveau dehors. Il fait frais maintenant que
la nuit est pratiquement tombée, mais j’apprécie le changement de
température.
Une main agrippe violemment mon bras par-derrière et me retourne
contre mon agresseur. Un cri s’échappe de ma bouche, mais s’arrête dès
que je constate qu’il s’agit d’Adriano.
– Tu es complètement malade, ma parole ! Le réprimandé-je en le
frappant avec mon poing sur le torse.
– On ne t’a jamais dit que c’était dangereux pour une femme de se
balader seule, la nuit ? Se contente-t-il comme réponse.
Il tient toujours mon bras, mais son pouce tourne autour de l’endroit
où il m’a fermement agrippé l’instant d’avant. Je le retire brusquement
parce que son geste me trouble.
– Je n’avais aucune raison d’avoir peur de sortir avant de te
rencontrer, lui asséné-je, prête à en découdre avec lui.
– Nous y revoilà, ça t’arrange bien en réalité de me voir comme le
méchant de l’histoire, me fustige-t-il.
Mais qu’est-ce qu’il me chante ? Lui aussi a abusé du vin ?
– Une chose est sûre, tu n’es pas le gentil, exulté-je en mettant
quelques pas de distance entre nous.
– Ça ne sert à rien tout ça, argumente-t-il, blasé, tu ne vois que ce que
tu as envie de regarder.
– Alors dis-moi qui tu es, m’emporté-je, face à cette discussion à
mots voilés.
– Tu n’es pas prête à voir au-delà des apparences, formule-t-il,
comme si j’étais aveugle.
– Et comment peux-tu savoir ça ? Tu ne me connais pas.
– Laisse tomber, je te dis, conclut-il dans une grimace.
J’hallucine, il me rabroue comme une moins que rien et commence à
retourner vers le lieu de réception. S’il croit qu’il peut s’en sortir comme
ça, alors effectivement, il me connaît très mal.
– En réalité, l’interpellé-je, c’est à toi que servent les apparences.
Il a les mains dans les poches et me regarde avec les yeux plissés
pour tenter de comprendre le sens de mes paroles.
– Je crois que ça t’arrange que l’on pense que tu n’es qu’un gros dur
sans cœur prêt à se salir les mains. Tu caches tes faiblesses derrière ce
masque malfaisant, lui confié-je d’une voix que je tente convaincante.
Il rit face à ma description et se rapproche de moi à nouveau, bien
trop près pour mon petit cœur.
– Et quels avantages je tire de ces suppositions ? Me questionne-t-il
pour me faire aller au bout de ma pensée.
– La crainte, et donc l’obéissance et le respect, lui énoncé-je, droit
dans les yeux.
– Et si j’avais besoin d’autre chose ? Confesse-t-il, en prenant ma
tresse dans sa main et en posant ses yeux sur mes lèvres.
Je redoute ma prochaine question, mais ma curiosité parle pour moi.
– Qu’est-ce que tu voudrais de plus ?
17
Adriano Alario
Adriano Alario
Lundi matin. Mes hommes les plus proches sont dans mon bureau.
Je suis content que le week-end soit enfin terminé. Après qu’Angela ait
refermé sa porte, je suis retourné au mariage. J’ai profité de ma famille et
de mes proches. Mais le siège vide à côté du mien n’a cessé de me
rappeler la personne qui y était assise plus tôt.
– Je veux revoir tous les détails de la livraison de la cocaïne, les
informé-je, pour justifier leur présence.
– Nous serons livrés demain après-midi à quinze heures au Cabaret,
me renseigne immédiatement Giacomo. La cargaison sera dans le
camion du fournisseur de boissons. Dès qu’il arrive, le chauffeur sait qu’il
doit ouvrir les portes arrière et entrer à l’intérieur pour faire signer les
bons de livraison au barman. Durant ce laps de temps, deux de nos gars
s’occupent de décharger la drogue.
Mon cousin connaît la chanson, ce n’est pas le premier arrivage que
nous gérons, et certainement pas le dernier. Mais, comme je sais que les
motards n’attendent qu’une ouverture pour nous tomber dessus, je
préfère ne rien laisser au hasard. Quitte à me montrer trop prudent.
– Est-ce qu’on connaît le chauffeur ? Me renseigné-je.
– C’est tous les mois le même, m’assure-t-il.
– Si c’est un autre homme demain, tu dis au barman qui sera en place
de le descendre, ordonné-je, fermement.
– Qu’est-ce qu’il se passe Adriano ? S’étonne Batista. C’est quoi le
problème ?
– J’ai appris que Marco et son gang de motards se verraient bien à
Centori. Ils veulent profiter de la passation de pouvoir entre mon père et
moi pour s’imposer, expliqué-je à mes hommes.
– Tu es sûr de ton info ? Continue-t-il, sceptique que Marco ose
m’affronter.
– J’ai planqué la femme et le fils du motard qui a balancé ces
informations à Adriano, précise Tony pour confirmer. Je pense qu’on
peut le prendre au sérieux.
– Tu penses qu’ils veulent s’emparer de la came pour nous mettre à
mal ? déduit Batista.
– Ce serait assez logique. S’ils ont notre coke, ils détiennent une
grande partie du pouvoir. Pas de drogue, pas d’argent. Bref pas la peine
de vous faire un dessin des conséquences, si cela devait arriver,
m’impatienté-je que l’on parle de choses futiles.
Si j’étais à la place Marco, c’est ce que je ferais. Je volerais le bien
précieux de mon adversaire pour le dominer. Il est hors de question que
je le laisse me mettre à terre. En tout cas, pas sans en découdre avant.
– On devrait renforcer la sécurité autour et à l’intérieur du Cabaret,
conseille Tony.
Je hoche la tête en posant mes deux index sur ma bouche. Je dois
bien réfléchir à mon plan pour ne prendre aucun risque. Ou des risques
mesurés.
– Giacomo, le nommé-je pour accaparer son attention, tu vas doubler
toutes les équipes sur cette livraison.
– OK, mais il va falloir revoir les priorités alors, expose-t-il, sachant
que nous ne pourrons pas mettre des hommes partout.
– Exceptionnellement, demain, les récolteurs seront à nouveau en
duo. Ça libérera déjà pas mal d’hommes pour renforcer le cabaret,
décidé-je, après quelques secondes de réflexion.
Ils paraissent tous les trois d’accord avec cette directive. Ce n’est que
l’histoire d’une journée, ça devrait aller. Ils l’ont déjà fait par le passé,
donc rien qui ne sorte réellement de l’ordinaire.
– Adriano, je crois qu’il faudrait aussi revoir ta sécurité personnelle,
s’inquiète mon frère.
– Pas besoin. Nous restons au cabaret demain, également. En cas
d’attaque, je veux être sur place et leur mettre une raclée, moi-même. Je
ne compte pas me mettre l’abri, assuré-je.
– Il faudrait peut-être prévoir un ou deux gars supplémentaires, pour
rester avec le chauffeur, quand il reçoit la marchandise dans le camion
jusqu’au cabaret, estime Batista.
– Tu penses à une attaque en cours de route ? C’est risqué en plein
jour, estime Giacomo.
– Ouais, mais s’ils savent qu’on est prêts à les accueillir, ils
réfléchiront à un autre moyen de prendre la came, et l’attaque sur le trajet
reste la seule option, explique Tony qui partage l’avis de Batista.
Mes trois hommes me regardent et attendent que je tranche. Je ne
peux pas prendre le risque de me faire voler la drogue du gang. Je
perdrais la face. Mon père me destituerait probablement si cela arrivait.
Et je ne parle même pas de la honte que j’infligerais au blason Alario.
– Je veux qu’un de nos hommes monte dans le camion avec le
chauffeur et un autre à l’intérieur avec la cargaison. Et en plus, tu les fais
escorter en voiture par deux gars, indiqué-je pour prendre le plus de
précautions possible.
– On fait ce que tu veux Adriano, énonce d’une voix calme Giacomo,
mais je les sors d’où ces quatre hommes en plus ? Déjà d’ordinaire, on
est plus nombreux au cabaret les jours de livraison. Tu viens de me
demander de doubler l’effectif pour demain. Il faut choisir quels hommes,
je soustrais de leur mission habituelle.
Ça m’énerve de ne pas avoir une réponse immédiate à lui donner.
Plus jeune, quand j’écoutais mon père élaborer des plans contre ses
ennemis, j’avais l’impression qu’il savait toujours quoi faire, quand on
l’interrogeait. Aucune hésitation, il avait réponse à tout. J’espère réussir à
être à sa hauteur un jour. Même si je veux lui ressembler et atteindre son
niveau, j’aspire à faire mes propres choix. Je veux m’imposer
naturellement, comme un leader, par mes décisions et pas uniquement
par mon nom. Je ne peux pas lui demander conseil sur ce coup-là, car il
n’est pas d’accord avec ma manière de procéder. Il me répéterait, encore
une fois, de porter le premier coup et de ne pas les attendre.
De mon côté, je vois les choses différemment. Je les laisse venir à
moi pour les battre sur mon propre terrain. Prouver ainsi encore une fois
que les habitants de Centori ont raison de faire confiance aux Alario.
Montrer à nouveau aux commerçants, pourquoi ils nous paient tous les
mois une cotisation. Cela influencerait peut-être une certaine demoiselle
à moins rechigner sur son versement. Il est important aussi de démontrer
que moi, Adriano Alario, je défends mon territoire et ses habitants, d’un
gang comme celui des motards. Je veux gagner le respect des habitants
de Centori, pas uniquement parce que je suis le fils de Falco Alario, mais
parce qu’ils sauront que moi aussi je suis prêt à me battre pour eux et
pour les protéger.
– Aux heures de la livraison, mes parents seront à la maison. Le
système de sécurité en place là-bas est suffisant. Tu peux retirer les deux
hommes chargés de les surveiller pour qu’ils soient dans le camion,
tranché-je, avec un brin d’hésitation tout de même.
– Et pour l’escorte en voiture ? S’empresse-t-il de rajouter.
– Tu dis aux gars chargés de surveiller Aurélia de la déposer à la
pâtisserie et de filer suivre le camion. Dès que la cargaison est sur place,
ils retournent à la boutique pour reprendre leur poste. On sera
suffisamment nombreux ici pour prendre la suite.
– C’est noté. On se donne rendez-vous à quelle heure, demain ?
– Que tout le monde soit là pour quatorze heures pétantes, ordonné-
je pour conclure notre entrevue.
Batista et Giacomo ne traînent pas trop ayant chacun des choses à
régler. Puisque Tony assure ma sécurité, il prend place dans une chaise
en face de mon bureau. Je le sens préoccupé et je n’aime pas ça.
– C’est quoi ton problème, râlé-je, crache le morceau.
– Tu as raccompagné la pâtissière chez elle samedi sans me
prévenir, m’explique-t-il. S’il y a quelque chose entre vous, tu dois me le
dire pour que j’enquête sur elle.
– Tu te fous de moi ? Tu veux enquêter sur Angela ? Pour apprendre
quoi ? Combien de grammes de farine elle fout dans ses gâteaux ? Me
moqué-je de lui.
– Arrête, tu sais très bien que si tu la fréquentes, je dois vérifier ses
antécédents.
Je sais pertinemment tout ça, mais c’est d’un ridicule. Alors qu’une
guerre de gangs est sur le point d’éclater, il est hors de question qu’il
perde du temps à fouiner dans le passé d’une nana inoffensive.
– Je préfère que tu me trouves cet enfoiré de Chef de la police Anti-
mafia au lieu de vouloir te la couler douce sur un dossier tranquille, lui
balancé-je sur un ton léger, en buvant mon café.
– J’ai prévu de partir dans deux jours à Rastori. Je rassemble le
maximum d’informations sur lui et ensuite on pourra passer à l’action.
– Parfait, je veux me débarrasser de ce Lucarelli le plus vite possible.
Ce con fout une pression à mes gars en bas de l’échelle et ça
commence sérieusement à me faire chier. Il est plus que temps de le
mettre hors circuit.
– Et ensuite, j’enquête sur ta blondasse, parce que quelque chose
cloche avec cette nana, revient-il à la charge.
– Si ça peut te faire plaisir, plaisanté-je.
– Tu ne trouves pas ça étrange qu’elle n’ait même jamais appelé la
police ? Me questionne-t-il, suspicieux.
– Tu réfléchis trop Tony, lui rétorqué-je en le pensant parano.
Beaucoup d’Italiens n’ont pas confiance en eux, alors ça ne m’étonne pas
plus que ça, non.
– Comme tu le sens, mais à mon retour, elle passe dans mon viseur,
me prévient-il. Bon, je file pour finaliser mon départ. Appelle-moi, si tu
sors.
Seul à mon bureau, je me plonge dans les papiers que Batista m’a
ramenés. Les chiffres des récolteurs sont en légère augmentation. Mon
projet d’aider les familles du clan prend du retard, mais je ne l’oublie pas.
Dès que le problème Lucarelli sera réglé, je pourrai avancer. Ce projet me
tient particulièrement à cœur et il est inenvisageable que je recule.
– Coucou ! Chantonne Aurélia en entrant dans mon bureau, je t’ai
rapporté quelque chose.
Elle dépose la petite boîte de six macarons à la pistache sur mon
bureau. Elle a toujours une délicate attention pour moi quand elle rentre
du travail. C’est devenu un nouveau rituel entre nous.
– Ça a finalement des avantages que tu travailles, concédé-je en
mâchant mon pêché mignon.
– Parle pour toi. J’ai déjà pris deux kilos en un mois, se lamente
Aurélia pour la forme.
Nous rigolons en croquant chacun dans une des pâtisseries vertes.
Nous nous racontons notre journée chacun notre tour. Je constate
qu’Aurélia ne sait probablement pas que j’ai embrassé sa patronne. J’en
aurais entendu parler autrement.
– Bon, ce n’est pas que je ne t’aime pas, mais je dois aller réviser. J’ai
un exam’ demain, se plaint-elle en sortant aussi vite qu’elle est entrée.
J’aime tellement ma sœur que je suis déjà attristé à l’idée qu’elle
parte de la maison, une fois qu’elle aura réussi ses examens. Je vais me
sentir encore plus seul sans elle sous mon toit. Elle m’apporte tellement
de joie au quotidien que je flippe qu’elle s’en aille. Mais je sais qu’au lieu
de fulminer, je devrais profiter des instants comme de celui que nous
venons de partager. Je n’exprime pas mes sentiments avec des mots,
mais il faudra que je lui dise que je l’aime et que je suis fière d’elle avant
qu’elle ne quitte le nid. Pour ne rien regretter au cas où il m’arriverait
quelque chose.
19
Angela Alessi
Angela Alessi
Adriano Alario
Adriano Alario
– Je suis avec toi Adriano, me confie Batista une fois Giacomo parti,
me faisant comprendre ainsi qu’il répond encore à mes ordres.
J’ai toujours pu compter sur lui et aujourd’hui ne déroge pas à la
règle. Il a beau ne pas être un Alario de sang, il en est un de cœur. Il
prend également congé ensuite pour mener à bien sa tâche d’armement.
– Qui savait pour Aldo ? Demandé-je, à Tony une fois que nous
sommes seuls.
– Toi et moi, c’est tout.
Marco l’a descendu parce qu’il a su qu’il était la balance. Ce n’est pas
Tony qui a vendu la mèche. Ça serait fait depuis longtemps sinon, vu qu’il
est au courant depuis le rendez-vous au casino.
– Putain si ! Quelqu’un d’autre savait pour lui, m’exclamé-je, en tapant
sur le bureau.
Tony me fixe en réfléchissant.
– Tu délires Adriano, ça ne peut pas être elle, temporise-t-il comme si
j’étais le dernier des cons. Tu crois franchement qu’elle a un lien avec le
gang des motards ?
– Ce n’est pas toi qui la trouvais louche, il y a quelques jours ? Lui
rétorqué-je, énervé.
Je suis perdu et je deviens peut-être parano. Elle avait l’air de
réellement tenir à Aurélia, mais après tout, on ne la connaît pas. Pourquoi
s’est-elle liée d’amitié avec ma sœur ? Pourquoi l’a-t-elle gardée, même
après mes avertissements ? Je ne me suis jamais vraiment méfié d’elle
et j’ai peut-être commis là, ma première erreur.
– Où est-elle ? Exigé-je de savoir pour tirer ça au clair,
immédiatement.
– Dans la chambre d’amis.
Je quitte le bureau sur-le-champ. J’espère qu’elle est sortie de sa
léthargie parce que je ne suis pas en mesure de faire preuve de
compréhension ou de patience. J’attends des réponses de sa part et elle
a plutôt intérêt à être disposée à causer. Au pire, je connais des moyens
efficaces pour lui délier la langue. J’ouvre la porte sans frapper. Angela
est assise à même sol dans la même position qu’à la pâtisserie. J’étais
en train de tout casser et face à ma fureur, les policiers m’ont embarqué.
J’ai juste eu le temps de dire à Tony de la faire venir chez nous. Elle se
redresse en m’entendant arriver. Son maquillage a coulé partout sur son
visage. Ses mains et ses jambes sont encore recouvertes de sang. Je
serre les poings de rage, car tout ce rouge me renvoie au corps de ma
sœur, inondé de la même nuance. Je dois reprendre mes esprits pour
déterminer si elle a une part de responsabilité dans tout ce merdier.
– J’ai tenté de gagner du temps Adriano, me surprend-elle, d’une voix
entrecoupée par les sanglots, je te jure que j’ai essayé.
Sa voix trahit toute la culpabilité dont elle s’estime fautive. Si elle joue
la comédie, elle est vraiment douée. Elle tremble tellement qu’elle semble
en pleine crise d’angoisse. J’ai du mal à rester de marbre face à son
chagrin. Il faut que j’arrive à la calmer pour qu’elle m’explique ce qui est
arrivé. La manière forte ne sera pas efficace et je ne pense pas en être
capable avec elle. Mais je dois déceler si elle a pris part d’une manière ou
d’une autre à toute cette merde.
– Dis-moi ce qu’il s’est passé, répliqué-je, en refermant la porte et en
m’adossant contre le mur.
Sa mâchoire se crispe et ses yeux ne sont que colère et haine. Elle se
lève et son regard incendiaire ne présage rien de bon. Sans prévenir, elle
se rue sur moi.
– Ce qu’il s’est passé ? Hurle-t-elle en me frappant à coups de poing.
Tu oses me poser cette question !
Si elle était tétanisée tout à l’heure, elle ressemble à une furie,
maintenant. Sa colère s’exprime à travers les coups qu’elle me donne,
aussi forts qu’elle peut. Sa hargne mêlée à sa tristesse la rendent
incontrôlable.
– Toi, dis-moi ce qu’il s’est passé ? Pourquoi personne n’était là ?
Rugit-elle.
Crois-moi Angela, je me les pose aussi toutes ces questions.
Comment j’ai pu être assez con pour ôter sa protection ? Comment,
même en étant averti d’une possible attaque, j’ai pu autant merder ?
Je tente d’attraper ses mains, mais elle anticipe mon geste et
parvient à m’esquiver. Une lutte s’ensuit entre nous. Chacun essayant
d’arriver à ses fins. Elle ne m’épargne rien et continue de me frapper avec
ses mains, ses poings tandis que j’essaie de lui bloquer les bras le long
de son corps pour la maintenir immobile.
– Aucun de tes hommes n’est venu nous aider ! Enrage-t-elle
essoufflée, en me poussant pour me faire tomber à terre, sans succès.
– Tu étais là toi, fulminé-je en parvenant à capturer une de ses mains.
Tu aurais dû la protéger !
Avant que je ne puisse deviner ses intentions, ma tête part de côté et
le son de la claque que je me prends est à la hauteur de la douleur que je
ressens contre ma joue.
– C’était ton rôle ! Vocifère-t-elle, complètement à bout.
La gifle monumentale dont elle vient de me gratifier me vrille le
cerveau. Je la coince rapidement contre le mur et plaque mes mains sur
les siennes que je colle au-dessus de sa tête. Nos respirations sont
saccadées. Nous mélangeons notre air, aspirant la haine et la colère de
l’autre. Je vois les larmes poindre aux coins de ses yeux, mais elle ne
détourne pas son regard du mien.
– Tout est de ta faute Adriano, m’achève-t-elle dans un soupir, à bout
de force.
– Je sais, résumé-je ne pouvant pas me défiler face à ma
responsabilité dans la mort de ma sœur.
Son corps rend les armes et se ramollit dans notre duel. Cet aveu me
coûte et je ravale avec difficulté ma peine, qui a de plus en plus de mal à
rester calfeutrée dans ma poitrine. J’aimerais également pleurer tout
mon saoul dans les bras de quelqu’un, sans pour autant être jugé faible.
Mais je refuse de verser une seule larme tant que ces enfoirés ne seront
pas six pieds sous terre. Je prends conscience que je ne tirerai rien d’elle,
dans cet état. Il faut d’abord qu’elle se calme et reprenne totalement ses
esprits. Elle est encore sous le choc et je dois prendre sur moi pour lui
laisser le temps d’encaisser. Je viens de vivre un drame alors qu’elle, elle
en a été le témoin. Je dois patienter, même si cela me coûte.
– Passe tes bras autour de mon cou et accroche-toi, lui glissé-je
doucement pour qu’elle comprenne qu’elle ne craint rien.
Elle s’exécute sans poser de questions. Je passe mes mains sous
ses genoux et la soulève. Elle pose sa tête contre mon épaule et se laisse
porter jusqu’à la salle d’eau. Je la dépose sur le tapis de bain disposé au
milieu de la petite pièce. Je commence à faire couler la douche pour faire
venir l’eau chaude. Elle reste là sans bouger, les bras le long du corps et
le regard perdu.
Je prends son menton dans une main et lui relève le visage.
– Reste avec moi, ok ? Lui ordonné-je, d’une voix que j’essaie douce.
Je n’ai droit qu’à un hochement de tête et je vais devoir m’en
contenter, pour l’instant. Il est primordial qu’elle ne retombe pas dans un
état catatonique comme avant. Voyant qu’elle ne compte pas s’en
occuper elle-même, je me résigne à lui retirer ses vêtements. Elle ne
bronche pas quand je passe son t-shirt par-dessus sa tête. Je délace ses
baskets et elle prend appui sur mon épaule pour soulever ses pieds afin
que je les lui retire. Pas de réactions non plus quand je déboutonne son
short et le fais glisser le long de ses jambes. Elle se contente de m’aider
en bougeant ses membres en fonction du besoin. Il faut faire disparaître
tout ce sang séché sur elle, si je veux qu’elle me parle. Elle se dirige vers
la douche, la tête baissée. Je m’apprête à quitter la pièce pour lui laisser
une certaine intimité quand je l’entends pousser un râle sourd. On
pourrait croire entendre une bête sauvage en train d’agoniser. Sa tête est
appuyée contre le carrelage et son corps est tordu par des soubresauts
violents.
Sans y réfléchir plus longuement, j’envoie valser mes chaussures et
vais la rejoindre. Je la prends dans mes bras ne pouvant pas rester
insensible face à sa peine. Nous partageons la même. Je nous attire au
sol et elle s’assoit sur mes cuisses en amazone. Ses bras retrouvent mon
cou et je la serre fermement contre moi. Son visage se cache sous mon
menton et elle déverse sa douleur aussi fortement que le jet de la douche
nous coule dessus. Le silence est perturbé uniquement par le bruit de
l’eau qui ruisselle. La vapeur du jet chaud nous englobe, comme si elle
essayait de nous réconforter. Dans ce cocon humide, la barrière de mes
émotions cède et l’eau qui dégouline sur ma peau vient recouvrir mes
larmes. Durant quelques minutes, je ne suis qu’un homme qui pleure sa
petite sœur.
Angela doit s’en apercevoir, car elle pose sa main sur ma joue et
efface de son pouce les témoins de mon chagrin.
– Tu étais son super-héros. Elle ne voudrait pas que tu pleures, me
confie-t-elle avec une voix faible en répétant son geste sur mon autre
joue.
– Toi non plus alors, répliqué-je.
Cette nana est vraiment bizarre parce qu’elle se met à rire. Elle me
fixe avec ses yeux rougis et son sourire embellit son visage. Je ne
comprends pas son changement d’humeur en une seconde.
– Aurélia me disait souvent que nous étions incapables de
communiquer toi et moi, m’explique-t-elle, voyant que je suis un peu
paumé.
– Ce n’est pas faux, avoué-je en souriant un peu à mon tour.
Ses yeux me scrutent et sa main s’aventure dans mes cheveux
mouillés. Je réalise que nous sommes sur une pente glissante, vu la
situation et sa tenue. Nous sommes bouleversés et notre peine pourrait
nous faire faire des choses que l’on regretterait plus tard.
– Je vais te laisser prendre ta douche maintenant, proposé-je, en
décalant déjà son corps du mien.
Elle se pince les lèvres puis se lève pour me laisser partir.
Je sors de la douche les vêtements trempés. J’ôte mon t-shirt
rapidement et le balance dans le lavabo. Mon jean me donne du fil à
retordre, mais je parviens à m’en extirper. Il rejoint mon haut. Je sors en
caleçon de la salle de bain et me rends dans ma chambre pour me
rhabiller. Cela laissera un moment à Angela pour enlever les stigmates
de son après-midi et, je l’espère, trouver la force de tout me raconter dans
les détails.
23
Angela Alessi
L’eau qui coule sur ma peau ôte les traces du sang de mon amie.
Malheureusement, les images de sa vie s’essoufflant petit à petit sont
indélébiles. Je me frotte encore et encore, gratte mes ongles pour
m’assurer de sortir de cette douche, sans emporter un mauvais souvenir
sur ma peau, de cet après-midi. Adriano a réussi à me sortir de la torpeur
dans laquelle je m’étais enfermée pour me barricader. Mon état de semi-
conscience me servait de protection contre toutes les conséquences que
va engendrer l’assassinat d’Aurélia. Adriano m’a mise hors de moi en me
reprochant de ne pas avoir réussi à sauver sa sœur. Il m’a donné
l’impression d’avoir commis une erreur et de ne pas avoir su empêcher
ce drame. Comme si je faisais le poids contre trois hommes armés.
J’avais déjà eu envie par le passé de lui arracher les yeux, mais là, il a
dépassé les bornes. Je devais avoir l’air d’une brindille qui s’attaquait à
un chêne en le frappant, mais au moins, j’avais une réaction. Son
comportement m’a permis de sortir de ma léthargie. En retour, je ne l’ai
pas épargné de mes accusations. Je m’en veux quelque part de lui avoir
balancé tout ça au visage, mais je ne me contrôlais plus. Je sais pourtant
à quel point ça fait mal de porter la responsabilité de la mort de
quelqu’un sur ses épaules. Nous aurons cela en commun, dorénavant.
Adriano a le don de souffler le chaud et le froid. D’abord agressif et
accusateur, puis gentil et tendre sous la douche, quand je me suis
écroulée. C’était la première fois de ma vie que quelqu’un me réconfortait
dans un moment difficile. Depuis toute petite, je gère ma peine toute
seule. La tristesse m’a tenu compagnie plus souvent qu’à mon tour, mais
je sais vivre avec. Enfin, je le pensais. Je n’aurais jamais pensé qu’un
simple câlin puisse autant être apaisant. Même s’il n’efface pas la
douleur qui cogne dans ma poitrine, le fait de partager mon désarroi avec
Adriano a un peu atténué la brûlure acide de ma plaie. Uniquement en
sous-vêtements tout contre lui, je crois que nous avons pris conscience
simultanément de la situation ambiguë dans laquelle nous étions.
La vue de ma peau toute fripée me convainc qu’il est plus que temps
de sortir de cette salle de bain. Il faudra bien que j’affronte Adriano à un
moment ou à un autre. Heureusement, il y a un peignoir accroché à une
patère. Je l’enfile et ouvre doucement la porte pour vérifier s’il est là. Il
est allongé sur le lit, les bras relevés et calés sous sa tête et les yeux
fermés. Il a dû partir pendant que je me lavais, car il porte un t-shirt
simple blanc et un bas de jogging ample. Dans cette position, les
muscles de ses bras sont gonflés et la peau de son ventre est en partie
visible. C’est la première fois que je le vois habillé autrement que tiré à
quatre épingles. Il me paraît tout aussi dangereux dans ce style. Je
réalise que je ne sais même pas où nous en sommes tous les deux. Suis-
je en mauvaise posture par rapport au gang avec le drame qui vient de se
produire ? Ou suis-je là comme « témoin » pour relater les événements.
Sa réaction sous la douche laisse à penser que je n’ai rien à craindre,
mais je préfère rester prudente.
Je grimpe sur le lit et glisse mes jambes sous mes fesses. Le
mouvement du matelas extirpe Adriano de ses songes. Il me regarde,
mais ne prend pas la parole. Je sais ce qu’il attend de moi. Il me l’a
demandé de façon maladroite tout à l’heure en entrant. Je suis celle qui
peut le renseigner sur qui a commis cette horreur. Je me motive en me
disant que, plus vite je lui raconterai, plus vite j’en aurai fini, et plus vite je
pourrai oublier. Je prends le peu de courage qu’il me reste et me confie à
lui.
– J’étais dans le laboratoire quand ils sont arrivés. J’ai compris qu’il y
avait un problème parce qu’Aurélia n’était pas sympa avec eux. Quand je
l’ai rejointe, il y avait trois hommes dans la boutique.
Je me laisse quelques secondes pour continuer. J’ai besoin de
juguler ma terreur avant de pouvoir enchaîner. Il m’est douloureux de
revivre la scène, mais je ne veux plus pleurer.
– Un homme braquait une arme sur elle et dès que je suis arrivée, un
autre l’a imité dans ma direction.
J’essuie avec rage une larme que je n’arrive pas à contenir. Adriano
s’approche de moi et prend ma main dans les siennes. Ses doigts tracent
des cercles sur mon poignet pour m’inviter à poursuivre.
– Elle les a traités de mauviettes parce qu’ils sont venus à trois, juste
pour nous, lui raconté-je en esquissant un semblant de sourire. Aurélia
est partie avec fierté et la tête haute.
– Digne d’une Alario, estime-t-il en pinçant les lèvres.
– J’ai vu qu’Aurélia avait son portable, alors j’ai essayé de gagner du
temps, mais vous n’avez pas été assez rapides, sangloté-je en laissant la
digue de mes larmes céder.
Je me retrouve, à nouveau, collée contre son torse à vider mes
glandes lacrymales.
– Je suis désolé, me répète-t-il plusieurs fois au creux de l’oreille.
Sa voix est grave et a du mal à sortir de sa gorge. Ça ne doit pas être
dans ses habitudes de s’excuser ou même d’admettre ses torts. Il veut
néanmoins garder la face et ne s’autorise pas à pleurer. Je le comprends,
j’ai vécu ça, aussi. Lutter contre la marée montante de ses émotions. Je
ne voulais pas que mon père jubile de voir la peine que me causait sa
mort.
– Est-ce que tu sais qui a fait ça ? L’interrogé-je, parce que j’ai besoin
de savoir.
Il inspire un grand coup et fixe son regard droit devant lui.
– Le gang d’Aldo, me confie-t-il.
– Mais pourquoi Aldo ne t’a-t-il pas prévenu ? M’étonné-je de ce
revers de situation.
– Il n’en a pas eu l’occasion, il est mort, se contente-t-il pour toute
explication.
Je me prends la tête entre les mains et la secoue pour me remettre
les idées en place. Aldo est mort ? Aurélia aussi. Tout ça pour quoi ?
S’attribuer des bouts de trottoirs ? Tout ça me dépasse complètement.
– Donc son gang a su qu’il était une balance ? Résumé-je pour être
certaine de tout comprendre.
– Oui, et Marco leur chef a outrepassé les règles, parce qu’il savait
que c’était son unique opportunité pour m’atteindre et m’affaiblir,
s’emporte-t-il en ressassant.
– Mais de quelles règles tu parles ? L’interrogé-je parce que je ne le
suis plus.
– En tant que Chef de gang, il nous est interdit de nous en prendre à
un membre proche de la famille d’un autre Chef.
– Donc Marco n’avait pas « le droit » de s’en prendre à Aurélia parce
qu’elle était ta sœur ?
– C’est ça, résume-t-il, simplement.
– On ne t’a jamais dit que les règles étaient faites pour être
enfreintes ? Estimé-je, stupéfaite par la stupidité de son raisonnement.
Ses doigts, doux auparavant, serrent mon poignet fermement et il tire
dessus ce qui me propulse contre lui. Il est toujours allongé sur le lit et je
tente de limiter ma chute en me retenant d’une main sur son torse.
– Angela, ce n’est pas le moment d’ouvrir ta grande gueule,
d’accord ? Rugit-il, colérique. J’ai besoin de te poser des questions et ne
t’avise pas à me mentir.
Je peux constater dans la profondeur de ses prunelles que le Chef
Alario est de retour. Ça ne présage rien de bon pour mon matricule.
– Est-ce que tu as parlé d’Aldo à quelqu’un ? Me questionne-t-il,
sérieusement.
– Quoi ? Mais non ! Je ne suis peut-être pas de ton milieu, mais je ne
suis pas complètement débile.
– C’est important Angela, réfléchis bien, m’engueule-t-il. Il faut que je
découvre comment Marco l’a démasqué.
– Mais je te dis que non ! Je ne connais personne, ici. À qui veux-tu
que je parle ? me disculpé-je, en me dégageant de sa poigne et en me
levant du lit.
– Justement, parlons-en, m’admoneste-t-il en s’adossant contre la
tête de lit. Tu viens de le dire, tu ne connais personne à Centori et on n’a
jamais vu une seule personne de ta famille te rendre visite. Je commence
à trouver ça suspect au vu des derniers événements.
Il attaque un point sensible et il est hors de question que je
m’aventure sur ce terrain-là. Encore moins maintenant.
– Qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu t’inquiètes de ma popularité,
maintenant ?
– Tu as dit que tu étais de Rastori, mais tu peux être plus précise ?
C’est une très grande ville, de quel quartier viens-tu ?
– T’es sérieux là ? Quelqu’un a assassiné ta sœur et tu me demandes
d’où je viens ? C’est ta seule préoccupation, tout de suite ?
– Réponds-moi ! Exige-t-il, en criant.
Je m’effraie face à son ton hargneux, mais il est hors de question que
je lui parle de moi. Les choses s’enveniment et ça n’augure rien de bon.
– Tu crois que j’ai quelque chose à voir avec la mort d’Aurélia ?
Récapitulé-je, déçue qu’il puisse le penser.
Je sais que nous ne sommes rien pour l’autre. Notre baiser furtif de
l’autre soir ne représente rien. Particulièrement en de telles
circonstances. Aucune réponse de sa part et son mutisme me blesse.
J’aimais Aurélia et je pensais qu’il saurait croire en la sincérité de notre
amitié.
– Ton silence parle pour toi, Adriano.
Je retourne dans la salle de bain pour m’habiller et partir de cette
maison. Il est impossible pour moi que je reste sous son toit s’il me
pense responsable de la mort d’Aurélia. Déjà par fierté d’une part, mais
aussi parce que je ne donne pas cher de ma peau s’il me soupçonne
d’avoir pris part à cette expédition punitive. Je l’entends grogner un truc
incompréhensible puis descendre du lit et me rejoindre.
– Qu’est-ce que tu fais ? S’agace-t-il, en me voyant rassembler mes
vêtements.
– Je m’en vais, je ne reste pas une minute de plus si tu peux ne serait-
ce que penser que je puisse avoir un rapport, à sa mort. Tu peux bien être
le Chef de gang le plus redouté de ce coin de l’Italie, je ne te laisserai pas
me salir.
Il reste au milieu de la pièce et je ne peux décemment pas enlever
mon peignoir pour m’habiller.
– Sors de cette salle de bain Adriano, lui ordonné-je résignée.
– Je ne suis plus rien, s’exclame-t-il, blessé. Mon père a nommé
Giacomo à ma place à la tête du gang, ce soir.
La mort d’Aurélia n’est même pas encore encaissée qu’il doit
affronter sa destitution. Peine et colère font un mélange redoutable. Je
suis étonnée qu’il me confie cette information. Il a l’air profondément
humilié de cette éviction. Je m’assois sur le rebord de la baignoire et me
frotte le front d’une main, dans une tentative de mettre de l’ordre dans
mes idées. J’attends qu’il continue à se confier à moi parce qu’il doit
forcément avoir d’autres choses à me révéler. Il me semble prêt à faire
tomber le masque dans ces quelques mètres carrés.
– Comme toi, il m’estime responsable de la mort d’Aurélia et donc
indigne de la venger.
Son père le prive de sa seule chance d’aller mieux. Adriano a besoin
de faire payer lui-même aux responsables. Je connais ce sentiment, ce
besoin viscérale de vengeance. Ça vous ronge la journée et vous hante la
nuit.
– Je suis désolée de t’avoir reproché tout ça tout à l’heure, m’excusé-
je.
– Non, tu avais raison. Et mon père aussi. Je suis responsable de la
mort d’Aurélia. Je devais la protéger et j’ai failli à ma mission.
Je me lève et me plante devant lui. Il ne doit pas s’accabler autant
sinon il va sombrer et perdre pied.
– Tu veux savoir pourquoi personne n’est venu ? Continue-t-il, ses
yeux braqués dans les miens. Parce que j’ai voulu deux hommes
supplémentaires en plus de tous ceux que j’avais déjà avec moi. Et tout
ça, pour quoi ? Protéger de la drogue !
Sa voix traduit son dégoût de lui-même. Il s’en veut et c’est légitime,
mais ça ne sert à rien. Ça ne permet pas d’avancer, au contraire.
– Adriano, ce gang veut la guerre et si ce n’était pas arrivé
aujourd’hui, ils auraient trouvé un autre moyen de t’atteindre, lui indiqué-
je, sûre de moi, en me rappelant du message à faire passer. Un des
hommes m’a demandé de te dire quelque chose.
– Quoi ? Et ce n’est que maintenant que tu me le dis ? S’emporte-t-il
contre moi.
Je sais que lorsque je lui aurai répété ces mots, il sera fou de rage et
ça ne m’enchante pas de le faire alors que nous sommes enfermés, ici.
J’aurais pu lui dire plus tôt, mais je n’y repense que maintenant. C’est
juste après m’avoir donné l’information pour Adriano qu’il a appuyé sur la
détente.
– Il a dit qu’il te laisse une semaine pour quitter Centori et que tu
n’auras pas d’autre avertissement.
Il se met à cogner dans le mur avec ses poings et pousse des cris de
rage et de colère. Même si je m’attendais à une réaction virulente, je
prends peur face aux coups violents dont il assène le mobilier. Je
m’approche à petits pas de lui pour éviter de me prendre un coup. Je
passe mes mains autour de sa taille et colle ma tête contre son dos.
– Arrête, calme-toi, l’apaisé-je du mieux que je peux. Garde ta force
pour tes ennemis.
Il se tourne face à moi et pose sa tête contre mon épaule. Les rôles
sont inversés dans cette pièce, pour la première fois. Il ne pleure pas,
mais je sais qu’à l’intérieur ça doit être pire qu’une hémorragie. Je passe
mes mains derrière lui et caresse son dos. Il resserre notre étreinte en
me rapprochant de lui. Il se tient à moi comme on s’agrippe à un rocher
pour tenter de ne pas se noyer. Nous essayons de ne pas couler à cause
de la houle de peine qui nous assaille. Il finit par s’éloigner et me prend
par la main. Il nous entraîne sur le lit et nous nous allongeons. Il se colle
derrière moi et passe son bras autour de ma taille. Je suis soulagée qu’il
ne me laisse pas seule dans cette chambre. Grâce à Adriano, je connais
le réconfort d’une étreinte maintenant, et je ne suis pas contre avoir, à
nouveau, l’impression d’être sur un nuage de coton, bien loin de tout le
mal qui m’entoure. La fatigue s’abat sur moi, mais mon sommeil n’est
pas serein. Je cale ma respiration sur celle d’Adriano dans l’espoir d’y
puiser le calme dont j’ai besoin afin de ne pas faire de cauchemar.
24
Adriano Alario
Angela se détend petit à petit dans mes bras. Je ne sais plus très
bien qui réconforte l’autre, mais je m’en fous. Je me sens plus calme
auprès d’elle, et je ne crois pas que ce soit une bonne idée, que je reste
seul en ce moment. Qui aurait pu prédire qu’elle serait ma bouée, au
milieu du tumulte qui torpille mon clan ? Il est évident que je ne
parviendrai pas à trouver le sommeil, avec le visage sans vie de ma sœur
qui s’imprime sous mes paupières, dès que je ferme les yeux.
– Tu dors ? Hasarde Angela, me tirant de mes pensées.
– Non.
– Tu veux bien me parler d’elle ? Me prie-t-elle en s’installant de façon
plus confortable contre moi.
– Comment ça ? Formulé-je, ne voyant pas bien ce qu’elle souhaite.
– Je ne sais pas, raconte-moi des anecdotes qu’elle n’aurait pas
voulu que je sache, m’explique-t-elle en traçant des cercles sur mon bras
avec son index.
Mes souvenirs d’enfance avec ma sœur me reviennent en mémoire,
mais sa disparition est encore trop fraîche pour que je puisse parler d’elle
au passé. Je me suis toujours senti invincible et puissant. Aujourd’hui, je
crains de ne pas réussir à me relever de la perte d’Aurélia. Elle était tout
pour moi, et je ne suis pas certain de vouloir continuer sans elle. Ni
même de le pouvoir.
– Aurélia a toujours été une véritable catastrophe en cuisine, lui
confié-je finalement.
Nous rions sans joie et Angela entrelace ses doigts aux miens.
Encore une preuve qu’elle comprend ce que je ressens. Parler d’elle, alors
qu’elle n’est plus là, c’est au-dessus de mes forces.
– Je m’en suis aperçue à mes dépens, raille-t-elle en remontant ses
caresses sur mon épaule.
– Elle était incapable de suivre la moindre la recette ou de faire cuire
un œuf, rajouté-je encouragé par la tendresse dont elle fait preuve.
– Je l’ai interdite d’entrée dans le laboratoire, sans moi, à partir du
jour où elle s’est trompée entre la farine et le sucre glace, et qu’elle m’a
confié ne pas être capable de les distinguer, me raconte-t-elle en levant
son visage vers le mien.
Des sourires tristes s’affichent sur nos visages alors que nous
ressassons les bons moments que nous avons passés avec elle. Mes
journées à venir vont être ternes maintenant que j’ai perdu mon rayon de
soleil. Angela pose sa main sur ma joue et ne me quitte pas du regard.
Son geste affectueux me tranquillise, mais me donne aussi envie de plus.
Nous sommes si proches l’un de l’autre que la distance à parcourir pour
l’embrasser est infime. J’ai envie d’oublier mon malheur dans la chaleur
d’Angela. Ses lèvres pourraient, peut-être, panser mes blessures ?
– Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant ? M’interroge-t-elle,
inquiète.
– Giacomo est notre leader et c’est à lui de s’occuper des motards,
éludé-je la question.
– Je ne te demande pas la version officielle Adriano, me réprimande-
t-elle en accentuant l’appui de sa paume contre ma joue pour me faire
réagir.
Je glisse ma main dans son dos pour la rapprocher plus encore.
– Il est hors de question que quelqu’un d’autre se charge de venger
ma sœur, affirmé-je d’un ton qui se veut menaçant.
Je regrette de m’adresser à elle de cette manière, mais la haine
gagne du terrain sur mon cœur, quand je pense à cet enfoiré de Marco,
qui a osé s’en prendre à la personne la plus pure qui soit.
– Promets-moi de faire attention à toi, exige-t-elle, après un court
silence.
– Je ne peux rien te garantir, souligné-je en passant ma main dans
ses cheveux, si je dois crever pour réussir à réhabiliter l’honneur de ma
famille, je le ferai sans hésiter.
– Elle n’aurait pas voulu que tu meures pour la venger, récapitule-t-
elle en connaissant bien ma sœur.
Depuis notre plus jeune âge, Aurélia me demande d’être prudent. Elle
a toujours eu peur, pour moi, dès que j’ai commencé à aller sur le terrain.
Ces paroles censées prouvent bien le lien qui les unissait toutes les deux.
Le regard d’Angela, toujours accroché au mien, et ses caresses du
bout des doigts dans mon cou, me font perdre le fil de mes pensées. Je
ne cherche pas à lutter plus longtemps. À quoi bon ? Je réduis les
quelques centimètres qui séparent nos lèvres pour lui déposer un baiser
léger. Son souffle chaud sur mon visage et son soupir de soulagement
sont une invitation à plus. Nous avons bien le droit d’oublier, quelques
secondes, ce qui nous entoure. J’apprécie à nouveau la douceur de ses
lèvres et c’est tout aussi délicieux que dans mes souvenirs. Sauf que
cette fois-ci, il y a le goût salé de ses larmes qui vient s’immiscer à notre
échange. Elle ranime mon cœur par la délicatesse de son baiser. Nos
bouches s’ouvrent et nos langues s’offrent tendrement. Mes mains
s’approprient sa longue chevelure blonde. Angela promène les siennes
sur mon torse, me déclenchant quelques frissons. Notre baiser
s’intensifie au même rythme que les gémissements de ma petite
pâtissière.
Mon attirance pour elle aurait tendance à me dire de continuer et
d’assouvir enfin mes désirs. Mais, je calme nos ardeurs en ralentissant la
cadence et en emprisonnant son visage dans mes mains. Je ne veux pas
qu’elle puisse penser, un jour, que j’ai profité de sa vulnérabilité. Je pose
mon front contre le sien et ferme les yeux pour apprécier les dernières
secondes de cet échange langoureux.
– Dors maintenant, lui ordonné-je.
Elle ne dit rien de plus, sachant sûrement, elle aussi, que ce n’est pas
une bonne idée de laisser les choses déraper. Si un avenir entre nous est
possible, je ne veux pas qu’il soit entaché par un mauvais démarrage.
Le jour se lève et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Je me suis repassé
en boucle l’épisode des événements qui viennent de bouleverser ma vie.
J’essaie de trouver une raison valable qui justifierait tout ce bordel. Mais,
je n’en trouve aucune. Enfin, à part, le pouvoir et l’argent. Il ne s’agit que
de ça en réalité. Aurélia est morte pour que Marco puisse posséder
Centori, et nous allons la venger pour garder notre ville, et par la même
occasion, nous emparer de son gang. Cela nous rendra encore plus
puissants. Celui qui sera à la tête de cette organisation aura plus de
pouvoir que quiconque n’en a jamais eu, dans tout le nord de l’Italie. Si
Giacomo réussit son coup en restant vivant, il y a de fortes chances pour
qu’il devienne cet homme-là. Et ce sera grâce à moi, et mes mauvaises
décisions, et non pas parce qu’il aura fait ses preuves.
Probablement à cause de mauvais rêves, Angela n’a pas arrêté de
gesticuler comme un ver de terre toute la nuit. Elle arrive à être chiante,
même en dormant. Bien entendu, à force de bouger, son peignoir s’est
entre-ouvert m’offrant un aperçu de sa féminité. J’ai fini par me lever et je
l’ai recouverte avec la couverture. Alors que je m’apprêtais à rejoindre ma
chambre pour ne pas me laisser tenter et faire une connerie, mon
téléphone a bipé.
**
Quand Tony est arrivé dans ma famille, j’avais une petite sœur qui me
cassait les pieds à longueur de journée, alors j’étais plus que ravi de le
voir débarquer. Aurélia était très jalouse que je ne joue plus avec elle. Il
faut dire qu’elle avait déjà pour habitude qu’on ne lui refuse rien. Alors un
jour, elle lui a dit qu’il pouvait passer autant de temps avec moi qu’il le
voudrait, mais que je serais toujours son frère à elle, et non à lui.
Quelques heures plus tard, j’ai retrouvé Tony, assis seul, au pied d’un
arbre au fond de notre jardin. Je voyais bien qu’il était triste, alors je lui ai
dit qu’on pouvait devenir réellement frères en mélangeant notre sang. À
l’époque, mon couteau ne me quittait déjà pas. Nous nous sommes
tailladés chacun la paume de la main et les avons posées l’une contre
l’autre pour sceller notre pacte de fratrie. Les années ont passé, mais je
sais encore exactement où se situe cet arbre.
Tony est déjà là, une bouteille de whisky à la main et une clope au
bec. Il me tend la bouteille et je bois au goulot directement. L’alcool brûle
ma gorge et ravive le trou béant qui s’est formé dans ma poitrine.
– C’est parti, déclare-t-il avant de reprendre le liquide ambré pour se
rassasier à son tour.
– Quoi ? Déjà ? M’exclamé-je, surpris. Mais comment a-t-il su si vite
où ils créchaient ?
– J’en sais rien, Adriano. Et cet enfoiré n’a pas voulu de Batista ou
moi pour les accompagner, s’énerve Tony en envoyant valser un caillou
avec force.
– Il veut créer son propre cercle en évinçant les anciens et pouvoir
revendiquer tout le mérite de cette vendetta, fulminé-je en lui piquant une
cigarette, pour tenter de me calmer les nerfs.
– Giacomo prend des précautions aussi parce qu’on a une balance
dans l’équipe. S’il n’emmène que du sang neuf avec lui, il a moins de
risques que l’ennemi soit prévenu de son arrivée, commente-t-il en ayant
réfléchi à la question.
Ça me rend fou d’être ici, alors que ma place est à la tête de ce
commando, qui va détruire le gang de Marco. J’aurais voulu le regarder
droit dans les yeux avant de lui faire exploser la tête moi-même.
– Putain ! Pesté-je, hors de moi. Aucun moyen de savoir où il va avec
ses hommes ?
– Je me suis renseigné, mais il n’a pas dit à ses troupes où ils
allaient. Il est prudent parce qu’il sait que sinon tu vas débarquer, conclut-
il amer.
Giacomo agit vite, et j’espère qu’il aura pris assez de précautions, afin
de ne pas perdre trop d’hommes. Une innocente, et un père de famille, qui
a fait des mauvais choix dans la vie, ont déjà péri au nom de cette guerre
de gangs. Je tire une longue latte sur ma clope et laisse la nicotine agir
sur mes nerfs. Ce n’est pas très efficace, mais c’est tout ce que j’ai sous
la main. Je refuse d’abuser de l’alcool, car je veux rester en pleine
possession de mes moyens.
– Et la pâtissière alors ? Elle a un truc à se reprocher ou pas ? Me
questionne-t-il, sans trop y croire.
– Elle n’a rien à voir là-dedans, laisse tomber, répliqué-je pour clore
cette histoire de suspicions.
Ce qui est certain, c’est que cette pauvre fille est arrivée au pire
moment à Centori. Elle semble profondément atteinte par la mort de ma
sœur, et forcément ça me touche. Aurélia n’arrêtait jamais de parler d’elle
à la maison, Angela par-ci, Angela par-là. À force, j’avais l’impression
d’avoir passé ma journée avec elle. Elles s’étaient liées d’une amitié très
forte, en peu de temps.
– Qu’est-ce qu’on fait Adriano ? Batista attend aussi tes instructions
et on a une bonne vingtaine d’hommes qui ne répondent qu’à toi,
m’assure mon frère, prêts à tout si je décide de m’en mêler.
Je termine ma cigarette et l’écrase avec mon pied. De savoir que des
hommes me restent fidèles et attendent des instructions de ma part me
donne le coup de fouet dont j’avais besoin. Je viens de passer la nuit à
m’apitoyer sur mon sort, il est temps de laisser le Chef que je suis
reprendre le dessus.
– Pour le moment c’est trop tard, Giacomo a un coup d’avance sur
nous. On attend qu’il revienne, on n’a pas le choix. S’il échoue, on
montera notre propre équipe pour aller débusquer Marco. Mon père ne
s’y opposera pas, si c’est pour venger Aurélia, détaillé-je le plan à Tony.
– Ça marche. J’ai différé mon départ pour Rastori. Je veux en être
quand Marco tombera. Aurélia était ma sœur à moi aussi, se confie-t-il, le
regard au loin.
– Je sais, le rassuré-je. Est-ce que ma mère est à l’abri ?
– Oui, tout est réglé, ne t’en fais pas pour ça. Elle est accablée par le
chagrin et s’inquiète d’avoir laissé Falco dans son état, rajoute-t-il, dépité.
– Moi aussi, j’ai peur que tout ceci terrasse mon père. Raison de plus
pour régler ça au plus vite. Je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque
chose pendant son absence. Elle ne me le pardonnerait jamais.
Nous fumons encore, sans rien dire, puis nous rentrons à l’intérieur.
Tony a des choses à régler alors que de mon côté, je me sens inutile.
J’atterris dans ma chambre et décide de passer des vêtements
corrects. Je n’ai pas pour habitude de déambuler en tenue de sport. Je
me brosse les dents et me passe de l’eau fraîche sur le visage. Je
n’affronte pas mon reflet dans le miroir. Je ne trouve pas l’envie de me
raser, alors je fais l’impasse. Ça me ronge de n’avoir rien à faire, je rumine
et ressasse toute cette merde. À cause de moi, mon père va devoir
enterrer sa fille alors qu’il est lui-même en fin de vie. Il ne s’en ira pas de
manière sereine et passera ses derniers instants à pleurer sa petite fille.
Des crissements de pneus se font entendre dehors sur les graviers,
des portières qui claquent et des hommes qui entrent dans la maison. Je
préfère ne pas m’approcher des fenêtres pour vérifier qui vient d’arriver.
Je n’ai pas envie de me faire descendre aussi bêtement. Vu la situation,
je ne sais pas qui vient d’entrer, alors je préfère faire du zèle et me
montrer trop prudent. Je regarde discrètement dans le couloir, mais il n’y
a personne. Je m’y avance et frappe à la porte d’Angela. Je ne peux pas
la laisser seule, si jamais ce n’est pas Giacomo et ses hommes, qui sont
revenus. Les motards sont capables du pire en ce qui concerne la gent
féminine. Dès qu’elle ouvre la porte, je pose mon index sur ma bouche
pour lui signifier de garder le silence. Son visage pâlit et je ne suis pas
certain qu’elle supporte une nouvelle scène de violence à peine vingt-
quatre heures après la précédente. Je lui fais signe de me suivre et de
rester derrière moi. J’envoie un rapide sms à Tony et Batista
** Emergenza Casa **
Angela Alessi
Adriano Alario
Tout s’est passé à une vitesse irréelle et nous voilà dans une
impasse. Il est hors de question que je baisse mon arme face au
complice du meurtrier de ma sœur. Rien à foutre que ce n’était pas le
plan originel. Aucune excuse n’est valable pour avoir causé la mort
d’Aurélia. Cette mauviette se sert d’Angela pour que je ne puisse pas
l’atteindre. Mais je jure qu’il ne va pas s’en sortir comme ça. Je vise très
bien et au premier écart, je lui troue la peau.
– Tu peux bien penser ce que tu veux, maintenant, ça n’a plus
d’importance. J’ai un gang à mes ordres et je n’ai pas besoin de toi, me
fustige mon cousin.
– Tu es encore plus naïf que je le croyais, si tu penses pouvoir sortir
d’ici, autrement que les pieds devant ! Le menacé-je.
– Personne ne mourra sous mon toit ! Tonne la voix grave de mon
père.
Il est debout à l’entrée du salon. Malgré la maladie et sa perte de
poids, il est encore très imposant par sa taille. Mon père a toujours
dégagé un charisme à vous chier dessus. Il fait peur en étant lui, tout
simplement.
– Baissez tous vos armes, nous ordonne-t-il.
Que ce soit mes hommes ou ceux de Giacomo, ils obtempèrent.
Personne n’ose désobéir aux ordres de Falco Alario. Il est celui qui a créé
notre gang et sa réputation le précède. Giacomo a toujours son flingue
pointé sur la tempe d’Angela alors je garde encore le mien dans sa
direction. Elle semble terrorisée et je veux mettre fin à son calvaire le plus
vite possible. Me reviennent en mémoire les paroles de ma mère
« Prudence est mère de sûreté ». Mon père s’approche d’une démarche
lente, mais décidée. Il pose sa main sur mon avant-bras et le baisse.
– Ne crains rien mon fils. Giacomo a conscience qu’il a déjà fait trop
mal comme ça. Il ne fera rien à cette jeune femme, m’assure-t-il, serein.
Sa voix est douce et me donne envie de le croire. Il se tourne à
nouveau vers les membres du gang présent.
– Je ne le dirai qu’une seule fois. Peu importe, que ce soit Adriano, ou
Giacomo qui dirige. Il n’y a qu’une seule équipe dans ma maison. Alario
de sang ou Alario de cœur, il n’y aucune différence à mes yeux. Soit, vous
êtes avec nous, soit vous êtes contre nous. Est-ce bien clair pour tout le
monde ?
Des « oui » se font entendre ici et là et la tension redescend en partie.
Mon père dirige ensuite son attention sur mon cousin.
– Quel gâchis mon neveu, se désole-t-il. Ta jalousie aura coûté la vie
de ma petite fille.
– Falco, mon oncle, je suis tellement désolé qu’Aurélia soit morte, se
lamente-t-il. Mais crois-moi, Marco a eu ce qu’il méritait. Il m’a laissé
entrer avec quelques hommes là où il se planquait avec ses membres
influents. Il ne s’est pas méfié pensant que je lui ramenais Adriano sous
bonne escorte. Quand il a compris, il était déjà trop tard et nous les avons
tous liquidés.
– La mort d’Aurélia ne peut être compensée par la mort d’autres
personnes, quelles qu’elles soient, gronde mon patriarche.
Giacomo baisse un peu plus sa garde à chaque échange. Le calme
olympien de mon père déteint sur lui. Ma pauvre Angela n’a pas cessé de
pleurer et elle est complètement dépassée par les tournures des
événements. Elle respire un peu mieux, mais mon cousin la garde encore
fermement contre lui.
– Je ne voulais pas que les choses se passent ainsi, jure ce traître.
– Il est trop tard maintenant, le mal est fait et tu ne peux pas revenir
en arrière. Ton père, l’homme le plus loyal que j’ai connu, doit se retourner
dans sa tombe en sachant que tu as fait tuer ta cousine, lui assène
froidement mon père.
– Laisse-le en dehors de cette histoire, s’énerve Giacomo, qu’on
puisse évoquer son paternel.
– Et ta mère ? Tu as songé à elle ? Que pensera-t-elle quand elle
apprendra que sa nièce préférée est morte d’une balle que son fils a
pratiquement tirée, lui-même ? Tu as réfléchi à ce qu’elle deviendra au
sein de notre famille. Tu sais que nous ne protégeons pas les proches
des traîtres.
Il menace ma tante, la femme de son propre frère. C’est ainsi qu’il est
devenu si redouté. Il ne laisse jamais ses émotions ou ses sentiments
prendre le dessus. Ai-je l’étoffe pour devenir un homme si froid quand
cela s’avérera nécessaire ?
– Tu n’oserais pas laisser tomber Mama ! crie-t-il en agrippant à
nouveau Angela qui grimace sous la douleur.
Papa agit et vite parce que ça dure depuis trop longtemps. Angela est
à bout et j’ai peur qu’elle tente quelque chose de stupide, à force de
désespoir.
– Je vais te proposer un deal Giacomo. Tu sais que je ne le fais pas
souvent alors réfléchis bien avant de te décider, annonce-t-il, toujours
aussi calmement.
Mon cousin a l’air prêt à écouter, c’est plutôt bon signe. Je ne sais
pas quel est le plan de mon père et ça prouve encore une fois que je ne
suis pas à la hauteur. Je n’ai aucune idée de comment désamorcer cette
impasse.
– Si tu ne te rends pas de ton plein gré immédiatement, Adriano va
t’abattre comme tu le mérites. C’est-à-dire comme un chien. J’ai perdu
ma fille hier, alors tu peux bien tuer celle derrière qui tu te caches comme
un lâche, ça m’est bien égal. Ensuite, je balancerai ton corps calciné
devant la porte de ta mère et tout le monde saura que tu es un traître. Tu
connais les répercussions que cela engendrera sur sa vie.
Cet enfoiré me regarde et je me retiens de ne pas lui sauter dessus
pour lui régler son compte tout de suite. Il tient mon nouveau point faible,
qui tressaille dans ses bras et ça me rend fou d’être impuissant. Angela
arbore un teint livide et je ne lui donne pas longtemps avant de nous faire
une crise d’hystérie.
– Par contre, si tu te rends sans esclandre et laisses la demoiselle
tranquille, je veux bien faire croire à ta mère que tu es parti avec les
honneurs, en essayant de venger Aurélia. Elle ne saura jamais rien et tout
ceci restera entre nous.
Quoi ? Mais c’est du délire ! Je refuse que l’on puisse croire qu’il ait
été un quelconque héros à un moment dans l’histoire. Mon père sent que
je me tends et il pose une main sur mon épaule pour me retenir.
– Il faut te décider mon neveu, conclut mon père.
Dans la pièce, les hommes retiennent leur souffle dans l’attente de la
réaction de Giacomo. Nous avons tous une main sur nos armes au cas
où. Puis, tout doucement, Giacomo détend son emprise sur Angela. Tony
et Batista s’empressent de lui sauter dessus et de lui faire perdre son
arme. J’attrape son otage dans mes bras et la fais sortir de la pièce pour
l’emmener loin de cette ordure. Je la porte dans les escaliers menant à
ma chambre et j’ouvre la porte. Je l’assois au bord du lit et m’accroupis
entre ses jambes. Tout son corps est pris de tremblement et son visage
est ravagé par ses pleurs.
– C’est fini Angela, j’essaie de la rassurer. Regarde, il n’est plus là,
tout va bien.
Elle est mal en point, mais n’a pas l’air en état de choc comme à la
pâtisserie. Je sais que je suis attendu en bas par mon père et mes
hommes, mais je n’arrive pas à la quitter. Comment la laisser, alors
qu’elle est dans cet état ? Je voudrais pouvoir faire comme hier et la
cajoler dans mes bras jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Mais, ma famille
aura toujours ma priorité.
– Je dois rejoindre mon père et les autres, annoncé-je pour qu’elle
comprenne que je dois partir.
Elle attrape mes mains pour me retenir.
– Non, ne me laisse pas seule, s’il te plaît, me supplie-t-elle.
J’ai conscience que j’agis mal, mais je n’ai pas le choix. Elle m’en
voudra sûrement et me le reprochera, le moment venu.
– J’aimerais rester, mais je ne peux pas, m’excusé-je, désolé.
Elle paraît comprendre et à contrecœur relâche mes mains. J’en
profite pour prendre son visage entre mes paumes et l’embrasser dans
une dernière tentative pour la rassurer. L’instant est trop court, mais j’en
avais besoin, également. Je ne pouvais pas partir, sans ça.
– Je reviens vite, lui assuré-je, juste avant de l’abandonner sur mon lit
et de fermer la porte de ma chambre derrière moi.
En rejoignant le gang, j’en profite pour appeler Julia et lui demander
de venir s’occuper d’Angela. Elle est la mieux placée pour la comprendre
et l’épauler jusqu’à ce que je revienne. Dehors, les moteurs des voitures
sont déjà allumés et le convoi n’attend plus que moi. Je grimpe dans la
mienne en me mettant au volant. Giacomo est à l’arrière entre mes deux
hommes de main et mon père côté passager. Deux voitures devant nous
ouvrent la marche et deux autres la referment. Personne ne parle. Tout a
été dit. Nous arrivons à la frontière qui délimite le territoire du gang des
motards du nôtre. Des jeunes membres sont là et montent la garde, l’air
de rien. Tony et Batista descendent de voiture avec Giacomo menotté.
– Papa, viens avec nous, exigé-je voyant qu’il n’ouvre pas sa portière.
– Non fils, c’est à toi de le faire. Les mots ont dépassé ma pensée à
cause de la peine que j’ai ressentie. À cause de mon comportement, j’ai
failli perdre mon fils, aussi. Tu ne dois pas te reprocher la mort de ta
sœur. Tu n’y es pour rien. Par contre, tu dois la venger, alors va montrer à
ces salopards en moto qui est leur nouveau chef et de quoi il est capable,
m’ordonne-t-il, d’une voix vengeresse.
Nous échangeons un regard qui en dit plus que n’importe quel mot.
Je descends seul de la voiture. Je reboutonne tranquillement ma veste
en regardant autour de moi. Les jeunes bikers ont déjà alerté quelques
membres de leur gang. C’est bien, exactement ce que j’attendais d’eux,
qu’ils se rassemblent. Nous nous approchons de la ligne imaginaire qui
sépare nos deux clans. Je pousse Giacomo, toujours, entre eux et nous.
– Savez-vous qui je suis ? M’adressé-je à l’assemblée d’hommes,
d’une voix forte pour m’assurer qu’ils sont tous attentifs.
– Ouais, tu es Adriano Alario, répond un type sur la gauche d’un air
dédaigneux.
Je sors mon Glock et lui tire dessus, dans son genou droit. Ses
acolytes ont le bon sens de ne pas répondre et restent simplement
stupéfaits en regardant leur pote au sol se plaindre comme une fillette.
– Réponse incomplète, crié-je plus fort. Je suis Adriano Alario ET je
suis votre nouveau Chef.
Les gars se lancent des regards courroucés, mais ne bronchent pas.
Ils ne doivent pas savoir comment se comporter, vu que la rumeur doit
commencer à circuler que le clan Alario a dégommé leur chef Marco. Je
vais leur faciliter leur choix d’options.
– Je suis venu pour me présenter comme il se doit et vous montrer
ce qu’il arrive à ceux qui se mettront en travers de mon chemin.
Je pointe mon arme sur mon cousin et sans une once d’hésitation, je
lui tire une balle en pleine tête. C’est pour Aurélia. Il s’écroule d’un seul
coup au sol et le silence se fait. Je ne me sens pas mieux. La perte de ma
sœur n’est pas effaçable. Mais, au moins, la justice de la rue aura été
faite. Nous ne croyons qu’en celle-ci, et nous la rendons, sans hésitation,
quand cela s’avère nécessaire.
– Je vous laisse passer le message au sein du gang, formulé-je avant
de remonter en voiture.
Instinctivement, Tony prend le volant et je vais à l’arrière avec Batista.
Nous reprenons la route vers la maison sans un regard pour notre cousin
gisant au sol. Les flics finiront pas venir le ramasser et l’emporter à la
morgue.
– Je suis fier de toi Adriano, tu règnes en Maître maintenant sur tout
le nord de l’Italie, me félicite mon père.
J’aurais préféré que ma sœur soit encore de ce monde plutôt que de
recevoir ce titre, mais je ne peux pas les échanger. Je n’éprouve pas de
satisfaction personnelle à être l’homme le plus puissant à plusieurs
kilomètres à la ronde. Je n’ai pas voulu cette distinction. Je n’ai rien
demandé. Mais je ne compte pas laisser ma place à quelqu’un d’autre.
27
Angela Alessi
Adriano Alario
Angela Alessi
Adriano Alario
Angela Alessi
Adriano Alario
Angela Alessi
– Julia m’a parlé de ton envie de créer une structure d’aide pour les
habitants de Centori, déclaré-je pour changer de sujet, afin de ne pas
revenir sur ma famille. Tu veux bien m’en dire plus ?
Il secoue la tête, dépité, et pousse un profond soupir.
– Vous les femmes, vous ne pouvez pas tenir vos langues, hein ?
Julia n’avait pas à te parler des affaires de notre famille, m’admoneste-t-
il, contrarié.
– Alors, nous en sommes encore là ? Rétorqué-je, déçue de son
comportement.
Il joue avec son couteau de table puis me scrute d’un œil rieur.
– Mon projet prend du retard, mais l’idée est de créer une sorte
d’organisme social au sein du clan, m’éclaire-t-il, conciliant. Les
allocations nationales ne sont pas faites pour nos hommes. La majorité
n’y a même pas le droit. Mon père aide déjà plusieurs familles et a
dépanné bon nombre de nos membres. Mon idée est d’élargir ça à tous,
que chaque personne faisant partie de notre clan puisse avoir accès aux
mêmes aides. Je n’invente rien, je reprends le schéma officiel : aide au
logement pour l’éducation des enfants. Je rajoute une indemnité pour les
femmes dont les maris seraient en prison, ou pour un séjour à l’hôpital.
Il a rarement été si bavard. Ce projet lui tient à cœur, ça se voit dans
ses yeux quand il en parle. C’est de ça dont voulait me parler Aurélia. Oui,
c’est un criminel. Il deale, fait payer une taxe aux commerçants et
commet probablement des crimes. Mais, il n’est pas tout noir. Il vient
nuancer son côté sombre avec son empathie et son envie de faire vivre
dignement ses hommes. Le contraire de mon père. Blanc en apparence,
mais noir dès que la porte de chez lui était refermée.
Cette soirée est si merveilleuse que j’en oublierais presque mes
soucis. Sa confidence sur ce que représente ce lieu pour sa famille ne
m’a pas laissée indifférente. Par contre, je réalise que j’ai probablement
souillé les souvenirs qu’il aura de cet endroit. Quand il apprendra la vérité,
ce qui arrivera tôt ou tard, il s’en voudra d’avoir fait de moi la première
femme qu’il a invitée à dîner, ici.
J’ai beau réfléchir à une solution pour qu’il n’apprenne rien avant que
je me sois décidée à lui parler, je n’en trouve pas. Ce n’est qu’une
question de jours. Le temps de vérifier que les dires de l’Inspecteur
Bartoli sont vrais. Ensuite, ma vie sera à nouveau anéantie. Après avoir
perdu l’amour de ma sœur, je vais perdre l’homme, dont je suis en train
de tomber amoureuse. Alors que je n’y peux rien, ce n’est pas de ma
faute. Je ne peux rien changer à la situation.
Peut-être que je devrais lui révéler la vérité maintenant ? J’ai failli en
avoir le courage, tout à l’heure, mais le serveur m’a interrompue dans
mon élan. Il est détendu, alors pourquoi ne pas en profiter pour tout lui
dire ? Non, je ne ferai que gâcher encore un peu plus les souvenirs que
nous avons en commun dans le cabaret.
– À quoi tu penses ? Me sort-il de mes pensées.
Je le regarde d’un air espiègle pour donner le change et me mordille
la lèvre inférieure.
– Je crois qu’on devrait exorciser ce problème de divergence de
souvenirs.
Il colle son dos contre le dossier de sa chaise et me déshabille du
regard. Il est tellement charismatique que mon sang chauffe déjà dans
mes veines par le simple regard qu’il me lance.
– Et, qu’est-ce que tu proposes ?
J’adopte la même position que lui, ce qui nous éloigne. Quand je pose
mes bras sur la table, je veille à les garder un peu serrés, pour accentuer
l’opulence de ma poitrine, dans cette robe qui laisse entrevoir ma peau, à
travers la dentelle rouge.
– D’aller dans ton bureau pour effacer les anciens mauvais souvenirs
et d’en créer de nouveaux.
Ses yeux se font brillants tandis qu’il passe sa langue sur ses dents
sous ses lèvres charnues. Je l’allume du mieux que je peux, en essayant
de le regarder avec gourmandise. Je ne suis pas sûre d’être très forte à
ce jeu, mais ça ne m’empêche pas d’y jouer.
Finalement, il se lève calmement et me prend par la main, afin que je
le suive. Nous avançons en slalomant entre les tables. Les gens le
saluent d’un signe de tête, certains lui serrent la main. Je me dis que tout
le monde imagine exactement pourquoi nous nous enfermons dans son
bureau. Je suis embarrassée, mais ça attise aussi mon désir.
Il passe devant moi pour ouvrir la porte et me laisse entrer la
première. Je mettrais ma main à couper qu’il fait exprès de claquer
fortement la porte pour m’effrayer un petit peu.
J’avance dans la pièce et passe derrière son bureau. Je reste près de
son fauteuil en cuir avec une idée bien précise en tête. Il finit par me
rejoindre, mais sans m’oppresser.
– Angela, me réprimande-t-il en caressant du bout des doigts mes
tétons à travers la dentelle de ma robe, tu es déjà excitée alors que nous
n’avons même pas encore commencé.
– C’est parce que je sais ce dont j’ai envie, lui confié-je, et rien que de
l’imaginer ça m’enivre.
– Tu attises ma curiosité, déclare-t-il sans cesser ses petits cercles
autour de mes pointes tendues.
– Pour commencer, j’aimerais que tu me donnes ton couteau.
Je ne sais pas s’il a assez confiance en moi pour accepter. En même
temps, il ne risque rien. Ou si peu. Même si j’ai une arme, il reste plus fort
que moi.
Je souris comme une gamine quand il me le tend, sans faire
d’histoires. Je le prends dans ma main et le soupèse. Il est plus lourd que
ce à quoi je m’attendais. Je tourne autour de lui et me cache derrière son
dos. Je monte doucement mes mains jusqu’à ses épaules et lui retire sa
veste de costard. Sa chemise blanche est cintrée et met ses muscles en
valeur. Cet homme est d’une beauté à l’état brut, sans artifices.
– Maintenant, j’aimerais que tu t’assois à ton bureau, lui ordonné-je
en tournant son fauteuil pour qu’il puisse s’y installer.
Nos regards se jaugent quand il est à nouveau face à moi. Pour
l’instant, il me laisse mener la danse, mais je sais qu’il reprendra le
flambeau à un moment donné. Et c’est ce que je veux, qu’il tente de se
maîtriser, mais qu’il n’y parvienne pas. Je veux créer un tsunami en lui, lui
chambouler le cœur et l’âme, me tatouer dans sa peau pour qu’il ne
puisse pas m’abandonner quand il apprendra qui je suis.
J’approche la lame de son couteau vers son torse. Il ne bouge pas
d’un cil. En même temps, il a dû apprendre à ne pas montrer son
appréhension et sa peur, depuis toujours. Je la fais glisser sous le
premier bouton de sa chemise et tire un petit coup dessus. Il part
s’échouer, je ne sais où, dans la pièce. Je continue ainsi en descendant et
retire ses boutons un à un avec son arme de poing. Il arbore un sourire
arrogant qui m’excite terriblement. Son calme est déconcertant, mais je
compte bien le malmener un peu plus.
J’ouvre d’un geste brusque les deux pans de sa chemise révélant ses
pectoraux développés et ses abdominaux d’acier. Le duel entre nous est
bien présent. Ça sera à celui qui suppliera l’autre en premier.
Je pose cet objet qui m’avait tant fait peur sur le bureau. Je pose mes
paumes sur les genoux d’Adriano et les pousse vers l’extérieur, pour me
faire une place entre ses jambes. Je m’agenouille et je le sens se tendre
par anticipation de ce que suggère ma position.
– Angela… grogne-t-il dans sa barbe alors que je déboucle sa
ceinture.
Je me contente de le regarder tout en glissant mes mains à l’intérieur
de son boxer.
– Adriano, le réprimandé-je sur le même ton que lui tout à l’heure, tu
es déjà excité alors que je n’ai encore rien fait.
Ses doigts se tendent sur les accoudoirs de son siège. Il se glisse un
peu pour être plus à l’aise. Il fait craquer sa nuque et inspire plus
fortement.
Ma langue en profite pour venir goûter les premières gouttes de son
excitation. Elle tournoie autour de son gland, puis le long de sa verge. Je
prends mon temps et savoure chaque seconde de cette emprise que j’ai
sur lui.
Il se contient encore, mais son regard me brûle la peau. Je veux lui
faire perdre pied pour qu’il se souvienne de moi, à tout jamais. Je le
prends entièrement dans ma bouche puis ressors en continuant de le
caresser d’une main.
– Ne t’arrête pas bébé, m’ordonne-t-il presque comme une menace.
J’aime ce petit surnom banal qu’il me donne quand il est emporté par
ses émotions. Je ne me fais pas prier et viens lécher et sucer son sexe
tendu vers mon visage. Sa main vient caresser ma tête pour ensuite
imposer son rythme, intense, avec un soupçon d’agressivité, tant il
empoigne fermement mes cheveux entre ses doigts.
– Angela, putain, scande-t-il d’une voix suave en relâchant un peu ma
tête, me sonnant l’alerte qu’il va venir.
Mais, je ne me retire pas et sa semence chaude vient frapper mon
palais, telle une bouteille de champagne que l’on débouche. Je me
délecte de sa saveur pendant qu’Adriano reprend ses esprits.
Je me remets debout ayant un peu mal aux genoux. Je m’enflamme
quand je m’aperçois qu’Adriano me dévore du regard.
– Encore une idée précise à assouvir, me questionne-t-il en tirant sur
le bas de ma robe pour me rapprocher de lui.
Pour toute réponse, je balance par terre toutes les affaires posées sur
son bureau. Je suis en feu et je m’en fous de foutre le bordel. Il le fait
bien dans mon cœur alors je peux me le permettre dans son bureau.
Alors que je suis penchée pour jeter les quelques objets ayant résisté
à la première vague, il se lève de sa chaise et vient se coller derrière moi.
Ses mains viennent cueillir mes seins et les pincent. Puis, il les descend
sur mes cuisses et fait remonter ma robe jusqu’à ma taille.
– Bordel, tu ne portes rien sous ta robe, se réjouit-il, comme un enfant
qui reçoit un cadeau le soir de Noël.
Je me félicite intérieurement de cette initiative de dernière minute.
D’une main dans mon dos, il colle ma poitrine contre le marbre de son
bureau. J’en sens la fraîcheur à travers le fin tissu de la dentelle, et ça a
pour effet de tendre encore plus mes tétons. Il frotte la paume de sa
main sur mes fesses ainsi offertes.
– Écarte les jambes, bébé, exige-t-il, d’un ton pressé.
Je ne me fais pas prier et lui obéis. Il ouvre un tiroir, et en sort une
protection qu’il enfile, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Ses
doigts s’immiscent dans la moiteur de mon intimité, ravivant le feu qui
sommeille en moi. Son sexe vient les remplacer et se fraie doucement un
chemin.
Un murmure de soulagement s’échappe de mes lèvres, n’en pouvant
plus d’attendre qu’il unisse enfin nos corps. Pour l’instant, Adriano se fait
tendre et son bassin bouge lascivement pour faire monter lentement le
désir. Mais, j’ai besoin de plus. Je veux qu’il me possède, qu’il fasse de
moi la sienne. Je veux garder des courbatures de cette étreinte dans son
bureau. Je relève un peu ma tête et la tourne vers lui pour l’admirer en
train de me faire l’amour. Il se penche vers mon visage et nous
échangeons, tant bien que mal, un baiser. Ma langue se fait coquine et
vient lécher ses lèvres avant qu’il ne se redresse.
– Tiens-toi au bureau bébé, geint-il entre ses dents.
Je lève mes mains vers le haut du bureau et m’y agrippe. Celles
d’Adriano s’enfoncent férocement dans la peau de mes hanches et ses
coups de reins se font rapides et bruts. Une de ses mains vient
empoigner mes cheveux pour m’approcher un peu plus de lui à chaque
coup de bassin.
Nos respirations sont sifflantes et je ne contiens pas mes cris sous la
pression de l’orgasme qui arrive comme une avalanche. Je discerne la
voix d’Adriano qui émet des grognements à son tour. Je suis sonnée et
en apesanteur, foudroyée par le plaisir.
Mes muscles sont ankylosés et je ne peux plus bouger. Je sens
qu’Adriano baisse ma robe pour recouvrir mes jambes et m’attire à lui. Il
a déjà remis son pantalon et nous dirige vers un petit canapé en cuir noir.
Il s’y allonge et me couche contre lui. Il vient caresser ma joue, mon
contour de l’oreille puis mon cou. Ma bouche vient instinctivement
recouvrir la sienne dans un baiser simple, mais passionné.
– Tu es surprenante, comme femme, rigole-t-il en posant son menton
sur le sommet de ma tête.
Je dépose de légers baisers sur son torse, en me disant qu’il ne se
doute pas, à quel point il a raison. Malheureusement, toutes les surprises
ne sont pas bonnes. Je ne lui réponds pas, préférant encore une fois
profiter de l’écrin de ses bras.
Je ne veux pas prendre le risque de lui révéler quoi que ce soit alors
qu’il ne se passera peut-être rien. Je me mens à moi-même, en me
berçant de douces illusions, mais ça fait du bien de rêver que je puisse
être heureuse avec lui.
Je n’ai pas encore la force de sortir de cette petite bulle de bonheur,
que nous nous sommes créée, pour entrer à nouveau dans la spirale de
la dépression.
– Je me sens bien avec toi, murmuré-je tout contre lui.
Il prend mon menton dans sa main et lève mon visage vers le sien.
– Moi aussi, m’assure-t-il avant de m’embrasser avec délicatesse
comme si je lui étais précieuse.
34
Adriano Alario
Adriano Alario
Assis à mon bureau de bon matin avec une tasse de café fumante et
des macarons disposés sur une petite assiette, je tente de me concentrer
sur les chiffres que Batista m’a envoyés.
Hier soir, Angela et moi avons continué à nous faire taire à tour de
rôle. La fatigue ayant eu raison d’elle, je l’ai ramenée à son appartement.
Angela n’a pas accepté de rester dormir chez moi, sous prétexte qu’elle
se lève tôt pour la pâtisserie et qu’elle ne veut pas me déranger sachant
qu’on ne se réveille pas à la même heure. Il était hors de question que je
dorme encore une fois dans le lit de Rosa, donc je me suis éclipsé après
un dernier coup rapide. Ce n’est pas de ma faute si elle est la tentation
incarnée.
La première chose que j’ai faite, ce matin, est de passer commande
sur internet pour un lit King-size, avec livraison directe chez Miss
Cupcake. J’enverrai des gars se débrouiller pour le faire passer dans les
escaliers. Elle s’occupera de l’achat des draps et tout le reste, quand il
sera monté.
Cette nana est tout simplement déroutante. Elle a son côté presque
niais avec ses pâtisseries et son éternel sourire au bout des lèvres, mais
je l’ai vue au plus bas et je sais qu’elle cache une tristesse profonde sous
ce masque. L’autre soir encore, au restaurant « Le Cabaret », elle a éludé
la question de sa famille. J’ai juste réussi à lui faire dire que sa sœur était
morte, il y a deux ans. Comment ? Ça, je vais devoir attendre qu’elle me
fasse encore un peu plus confiance, pour le savoir.
Elle me plaît et pas uniquement physiquement. Le fait qu’elle tente de
me tenir tête depuis le début, ou juste de me faire chier, ne m’a jamais
laissé indifférent. J’ai envie de partager avec elle les coins de Centori que
je préfère et j’ai commencé en l’emmenant dans le restaurant de mes
parents. Le fait qu’elle comprenne la valeur de ce rendez-vous, venant de
ma part, ne me fait que l’apprécier davantage.
Quelqu’un frappe à la porte de mon bureau et l’ouvre. Il n’y a que Tony
pour ne pas attendre que je lui réponde.
– Tu es déjà rentré de Rastori ? M’étonné-je qu’il ne m’ait pas prévenu
de son retour.
– Oui, acquiesce-t-il laconiquement en prenant place dans un fauteuil
en face de moi.
– Qu’est-ce qu’il y a ? Ça n’a pas l’air d’aller ? Constaté-je en croisant
les bras sur mon torse.
– Adriano, j’ai un truc à te dire, m’avoue-t-il, mal à l’aise.
Tony sait que je ne lui ferai jamais rien, alors, s’il hésite, c’est qu’il a
vraiment fait une connerie.
– Je t’écoute, énoncé-je pour qu’il crache le morceau.
– J’ai découvert quelque chose à propos d’Angela, confesse-t-il en ne
baissant pas les yeux.
– Je t’avais pourtant interdit d’enquêter sur elle, il me semble ?
M’insurgé-je, choqué de cette initiative de la part de mon frère.
– Adriano, cette fille arrive ici de nulle part et on ne connaît rien d’elle.
– Toi tu ne connais rien d’elle, rétorqué-je en le pointant du doigt,
mais qui te dit que JE ne la connais pas ?
– J’ai fait ça pour toi, Adriano. Tu la fréquentes et je veille sur toi,
c’est mon boulot, conclut-il, face à mes remarques.
Je recule mon siège et passe une main dans mes cheveux. Il a raison,
c’est son job de faire attention à qui s’approche de moi. Mais Angela,
c’est de l’ordre du privé, alors ça me dérange. Est-ce que je veux
connaître une partie de son histoire de cette manière, par une enquête
minutieuse de Tony ?
– Laisse tomber, je ne veux rien savoir, décidé-je, préférant rester
honnête avec la femme qui partage ma vie.
– Je suis désolé Adriano, mais tu n’as pas le choix, me précise Tony
en me tendant une grande enveloppe brune en kraft.
S’il veut que je la consulte, c’est qu’il a découvert quelque chose
d’important. Tony a toute ma confiance alors s’il juge nécessaire que je
dois savoir, c’est que c’est justifié. Je décolle le papier collé de
l’enveloppe et m’empare de ce qu’il y a à l’intérieur. Plusieurs photos de
surveillance en tombent. Un homme photographié, à plusieurs reprises et
à des jours différents. Je reconnais mon ennemi, celui que j’ai vu au
journal télévisé, hier. Il se rend au tribunal ou dans les locaux de la police.
Sur quelques clichés, il est en compagnie de l’Inspecteur Bartoli. Sur
d’autres photos, il rentre dans une maison, qui doit être à lui.
– Il s’agit de Lorenzo Lucarelli, le nouveau Chef de la cellule Anti-
Mafia qui cherche à te faire tomber. Son QG est bien au commissariat de
Rastori, du poste d’où venait Jérémy.
– Comment as-tu réussi à savoir où il crèche ? Ils font profil bas pour
ne pas se faire abattre normalement, ajouté-je, choqué qu’il ait mis la
main sur son habitation.
– Grâce à cette photo, m’annonce-t-il en m’en tendant une autre qu’il
gardait dans la poche intérieure de sa veste.
Il s’agit d’un portrait de famille. Un homme et une femme
accompagnés de leurs deux filles à peu près adolescentes. Je reconnais
Angela immédiatement dessus. Elle avait déjà ses magnifiques cheveux
blonds même s’ils sont complètement attachés sur ce cliché.
Puis, mon regard examine le père. Il s’agit du même homme que sur
les photos précédentes. Je lève mon regard vers Tony et j’espère qu’il a
une explication miraculeuse qui ferait que ce n’est pas ce que je crois.
– Je suis désolé, mais j’ai tout vérifié. Lucarelli a deux filles, l’une est
morte il y a deux ans dans des circonstances assez floues. Et l’autre…
– L’autre est Angela, terminé-je à sa place. Elle est la fille du mec que
l’on cherche depuis des mois.
Il ne répond pas sachant que c’est inutile. Je ne sais plus quoi penser.
Suis-je con au point de m’être fait avoir comme un débutant par le
charme d’une femme ? J’ai du mal à y croire, pourtant c’est bien là, sous
mes yeux. La vérité sur un cliché ancien. Je me lève et regarde dehors. Je
sens une tempête prendre de l’ampleur dans mon corps. S’est-elle
moquée de moi depuis le début ? Sa trahison ravive les blessures, encore
ouvertes, que la mort d’Aurélia m’a causées. J’ai baissé ma garde et
Angela a réussi à se faire une place dans ma vie.
– Fais-la chercher et ramène-la ici immédiatement, ordonné-je à Tony
sans me retourner pour le regarder.
Il ne dit rien et sort de la pièce. Il me connaît et sait que j’ai besoin de
rester seul. Qu’est-ce que je vais faire ? Il y a à peine quelques minutes, je
nous imaginais inaugurer notre nouvelle literie et maintenant j’en suis à
me demander si je vais être obligée de la tuer.
36
Angela Alessi
Adriano Alario
S’il y a une chose que je ne tolère pas, c’est la violence faite aux
enfants. C’est inacceptable, encore plus quand il s’agit de vos propres
parents. Comment peut-on faire du mal à la chair de sa chair ?
– Je suis partie de chez moi sans prévenir suite au décès de ma
sœur. Ça fait un peu plus d’un an, m’a-t-elle précisé. Quand j’ai fait ma
déposition à l’Inspecteur Bartoli, il ne voulait pas me croire. Il m’a dit que
si nous avions une relation, ma parole n’avait pas de valeur. Alors je lui ai
dit que j’étais la fille du chef de son chef et qu’il valait mieux pour lui que
je sois prise au sérieux.
Il ne l’avait pas vu venir celle-là, le flic ! J’aurais donné cher pour voir
sa tête quand Angela lui a révélé être la fille du chef de la police anti-
mafia, rien que ça !
Par contre, cela n’excuse pas tout. Ça ne lui donnait pas le droit de
me séduire en connaissance de cause. Je crois que c’est ce qui m’énerve
le plus. Elle savait durant tout ce temps que ça finirait par exploser, qu’on
se retrouverait au pied du mur. Mais, cela ne l’a pas empêchée de se
laisser aller avec moi. Elle a foncé tête baissée dans l’impasse qu’est
notre relation. Elle et moi, c’est impossible.
Je comprends mieux maintenant pourquoi elle n’est jamais allée se
plaindre auprès de la police. Elle ne voulait surtout pas se faire
remarquer. Elle a pourtant levé le voile sur son identité pour me faire
libérer. Elle s’est exposée, après plus d’un an dans l’ombre, pour ma
liberté.
J’enrage d’avoir la tête à l’envers à cause d’une femme. Je ne
discerne plus le vrai du faux. Que veut-elle ? Peut-être voit-elle en moi une
opportunité d’enfin rendre fier son flic de père ? C’est vrai, elle aurait pu
me livrer à lui sur un plateau tellement j’ai baissé ma garde.
Deux bonnes heures sont passées depuis que je l’ai fait sortir de mon
bureau, en restant muet à ses supplications. Batista m’a informé l’avoir
mise dans la chambre d’amis en attendant que je prenne une décision.
La porte s’ouvre doucement et le visage de ma mère apparaît dans
l’embrasure. Mes parents sont rentrés tôt, ce matin, car l’état de mon
père s’aggrave et ils préfèrent donc être à Centori.
– Je peux entrer ? M’interroge-t-elle, par crainte de déranger.
– Bien sûr Mama, toujours, lui assuré-je.
Son visage a perdu de sa lumière depuis la disparition d’Aurélia et je
ne sais pas comment elle tient encore le coup. Le fait de devoir s’occuper
de mon père doit l’y aider, je présume.
– Que se passe-t-il, mon fils ? S’intéresse-t-elle, d’une douce voix.
– Angela est la fille d’un flic très haut placé, soupiré-je, las.
– Est-ce de sa faute ? S’exclame ma mère.
– Comment ça ?
Je ne comprends pas ce qu’elle essaie de me dire.
– Adriano, tu es bien placé pour savoir qu’on ne choisit pas ses
parents, examine-t-elle à juste titre.
Elle marque un point.
– Tu as raison, mais elle a bien choisi de me le cacher, lui rétorqué-je,
du tac au tac.
– Doux Jésus, heureusement ! S’exclame-t-elle. Adriano, que lui
aurais-tu fait, si dès son arrivée, tu avais su qui elle était ?
Je ne réponds pas, incapable d’assumer à voix haute le sort que je lui
aurais réservé. Celui que je peux encore décider de lui infliger.
– Que t’a-t-elle dit, tout à l’heure, quand Tony et ton cousin l’ont
ramenée ici ?
Je souffle et passe mes mains sur mon visage, n’ayant pas très envie
de répéter ces horreurs.
– Que son père la battait elle et sa sœur depuis leur enfance. Elle a
fui sa famille, il y a un an, suite au suicide de sa sœur.
Ma mère est horrifiée et cache sa mine de dégoût en posant sa main
sur sa bouche.
– Pauvre petite, résume-t-elle. Vous vous êtes rapproché ces derniers
temps tous les deux, je crois ?
Je hoche la tête en tapotant du bout des doigts sur mon bureau.
– Et maintenant que vas-tu faire ? Me balance-t-elle comme si la
solution était évidente.
– Je n’en sais rien, putain ! Elle m’a menti mama, comment veux-tu
que je lui fasse confiance, maintenant ? Je ne sais pas quelle décision je
dois prendre.
Je peux faire cet aveu à ma mère. Elle ne me juge pas et tente au
contraire de me venir en aide.
– Que te dicte ton cœur ? M’encourage-t-elle à continuer mes
confidences.
– Oh arrête, tu veux, pas de ça avec moi ! La réprimandé-je, agacé
qu’elle vienne me parler de sentiments.
– Si tu hésites mon fils, c’est que tu as déjà ta réponse en réalité. Il te
faut juste trouver une solution pour que vous puissiez être ensemble.
La véracité des propos de ma mère me surprend. Elle a entièrement
raison. Je ne cherche pas à savoir si je pardonne à Angela ou pas. Je
tente de solutionner notre problème majeur. Je ne peux pas rester
insensible à cette femme, à laquelle je me suis tant attaché. Je lui en
veux bien sûr de ne m’avoir rien dit. Mais puis-je le lui reprocher ? Je me
rappelle qu’elle a tenté, maladroitement quelquefois, d’évoquer le sujet.
Mais elle tournait autour du pot ou se dégonflait à la dernière minute. Je
pensais qu’elle avait besoin de temps, mais j’étais loin d’imaginer son
secret.
– Fais ce qui te semble le plus juste, me conseille ma mère, en
posant sa main sur mon avant-bras avant de sortir de mon bureau.
Je décide de noyer mes pensées dans un nouveau verre de scotch.
Je n’en suis qu’à mon troisième, après tout. Pas sûr que ce soit une
bonne idée, mais c’est la seule qui me vienne pour apaiser le brasier, qui
consume mon corps d’avoir été trahi, par la femme avec laquelle je
pensais un avenir possible.
38
Angela Alessi
Adriano Alario
Il y a un peu moins d’un an, je posais les premiers mots de Gun Cake,
sans imaginer le parcours qu’aurait cette histoire. Fan des films d’Al
Pacino et Robert de Niro, Adriano a vite pris forme dans mon esprit. Pour
Angela, j’ai laissé ma passion pour la pâtisserie me parler. Mon couple
italien était né.
Mais, sans le soutien et l’aide de certaines personnes, rien n’aurait été
possible.
Marjy, toi, la première a cru en cette histoire. On a largement dépassé
le stade des remerciements toutes les deux, mais je tenais à te le dire, ici
encore. Merci d’avoir été là, chaque soir. D’avoir relu mille versions
différentes d’une même scène. D’avoir pris tout ce temps pour moi et de
m’avoir encouragée quand je baissais les bras. Sans toi, je ne serais pas
allée jusqu’au bout.
Claire, merci de m’avoir proposé ton aide lors du concours. Tu m’as
poussé à développer mes personnages et sans toi, ils ne seraient pas
pareils.
Lisa, je me revois encore devant mon écran t’entendre parler de Gun
Cake dans ta vidéo. Merci de me pousser à croire en moi, de me faire
comprendre que tout est possible, si l’on s’en donne les moyens. Tu es
une personne formidable. J’espère que nos Italiens te plairont dans leur
intégralité.
Flora, tu es la marraine de Gun Cake. Tu as trouvé les mots justes,
après ma défaite, pour que je reprenne confiance en mon histoire et ne
l’enterre pas. Tu as su voir les faiblesses de mon texte et tu as fait opérer
ta magie dessus, avec tes idées percutantes. Bam, bam !
Florence, comment me contenter d’un merci ? Sans toi, je
n’autopubliais pas, tout simplement. Je t’ai déjà tellement dit merci, que
je vais te demander pardon. Pardon pour toutes ses virgules manquantes
ou au mauvais endroit, pardon pour toutes ces fautes d’accord et ces
étourderies, pardon pour ces heures de corrections intenses, en peu de
temps. Tu es une perle et je te souhaite de tout cœur de réussir tes
projets professionnels.
Merci à la communauté Fyctia, aux lectrices qui sont venues
découvrir Angela et Adriano durant le concours. Votre générosité en
lecture nous pousse à toujours continuer, malgré les doutes.
Vous pouvez me retrouver sur les réseaux sociaux pour être tenu au
courant de mes actualités (waouh ça fait très « people », dis comme
ça !) :
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Instagram : Maloria67
A très vite… J’espère, Maloria.
© Maloria Cassis
9782755652048 - mars 2018
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